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Fausse présence au monde moderne

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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Fausse présence

au monde moderne

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Le Comité de la collection Les Bergers et les Mages a décidé d'intercaler de temps en temps, parmi les volumes qui la constituent, quelques ouvrages relevant d'une sorte de « tribune libre protestante ».

L'étude de Jacques Ellul inaugure cette tribune que d'au- tres auteurs, pour ne pas dire d'autres orateurs, occuperont sans doute à leur tour.

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Jacques ELLUL

Fausse présence au monde moderne

" Les Bergers et les Mages "

Diffuseur :

Librairie Protestante, 140, boulevard Saint-Germain, Paris, 6 Alsace et Lorraine: Librairie Oberlin, 19, rue des Francs-Bourgeois,

Strasbourg.

Belgique : Librairie « Les Semailles », 7, rue d'Ecosse, Bruxelles.

Italie : Libreria di Cultura Religiosa, 32, Piazza Cavour, Rome.

Suisse : Librairie de l'Ale, 33, rue de l'Ale, Lausanne.

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La liste des ouvrages publiés par « Les Bergers et les Mages » se trouve pages 187 et 188 du présent volume.

Ouvrages du même Auteur

— Le Fondement théologique du Droit : Delachaux, 1946.

— Présence au Monde Moderne : Roullet, 1948.

— Le livre de Jonas :

« Foi et Vie », 1951.

— L'homme et l'argent : Delachaux, 1953.

— La Technique ou l'Enjeu du Siècle : A. Colin, 1954.

— Histoire des Institutions : 3 vol., P.U.F., 1955-1959.

— Propagandes : A. Colin, 1962.

A paraître prochainement :

— L'illusion Politique.

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Avertissement

Cet essai est évidemment en relation avec mes autres écrits. Il s'appuie sur eux, si bien que des affirmations rapides ou des thèmes simplement évoqués ici sont lon- guement expliqués ailleurs. Je me permettrai de renvoyer à ces ouvrages :

Fondement théologique du Droit (pour la p. 171 de cet essai).

Présence au Monde Moderne (pour les p. 16 suiv., 59 suiv., etc.).

L'Homme et l'Argent (pour la p. 172).

Propagandes (pour les p. 42 suiv., 79 etc...).

Nation et Nationalisme (Revue de l'Evangélisation 1960, pour la p. 173).

Mythes Modernes (Diogène 1958) (pour la p. 173).

Signification actuelle de la Réforme (« Foi et Vie », 1959) (pour la p. 171).

Désacralisation et Resacralisation dans le Monde Moderne (« Semeur », 1963) (pour la p. 171).

De plus, beaucoup d'estimations politiques se rappor- tent à un ouvrage plus important à paraître prochaine- ment sous le titre : L'illusion politique. On y trouvera en particulier des explications sur : les sens du terme « poli- tique », sur la Politique et les Valeurs (ici, p. 61), sur l'Actualité (ici, p. 79), sur l'influence de l'information (ici, p. 134), sur l'Autonomie ou Politique (ici, p. 139), sur les centres de décision politique (ici, p. 146), etc...

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Introduction

Les chrétiens de ce temps ont pris conscience d'une grande vérité : que l'Eglise n'a pas à vivre repliée sur elle-même et pour elle-même. Elle n'est l'Eglise qu'envoyée dans le monde pour les hommes. Il est essentiel, il est excellent que, de plus en plus, les chrétiens cherchent à être présents au monde. Il est essentiel, il est excellent que l'on ait rappelé, que l'on soit convaincu qu'il ne saurait y avoir d'un côté l'Eglise, et d'un autre Mission ou Evangélisation. Tout simplement lorsqu'on prétend les séparer, on nie la réalité à la fois de l'Eglise et de l'Evangélisation. Parler d'une « Eglise qui évangélise », c'est faire une tautologie, car il n'y a pas d'Eglise s'il n'y a pas Mission dans le monde. Voici dès lors un grand élan de bonne volonté dans nos Eglises, dans les mouve- ments les plus avancés, pour assurer cette présence au monde, et au monde moderne. On a pu dire, à juste titre, que les chrétiens retrouvaient la vocation de l'Eglise. Mais le monde dans lequel nous vivons est très complexe, pose des questions très difficiles, présente des obstacles et des pièges assez nombreux. Avant toute chose, ce monde est terriblement nouveau.

Pour y assurer une présence vraie, il ne suffit pas de bonne volonté ni de zèle, fussent-ils chrétiens. Bien entendu, on peut dire qu'il suffit de s'engager : le Saint-Esprit pourvoira à tout. Il me semble que c'est une erreur théologique. Dieu a toujours demandé à l'homme d'utiliser des moyens humains et des connaissances. Lorsque nous considérons concrètement les formes et les effets de la présence au monde, tentée par les chrétiens, nous sommes

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obligés de nous demander si le Saint-Esprit a compensé les carences manifestes de ces bonnes volontés.

Il est évident que les quelques indications que je pré- sentais dans Présence au Monde Moderne ont paru beaucoup trop intellectualisantes et difficiles. On s'est généralement orienté vers des essais d'une présence plus simple, plus à la portée de tous, plus évidente. Or, il ne me semble pas que l'on soit arrivé par cette voie à assurer en quoi que ce soit une attestation de la foi dans la Seigneurie de Jésus-Christ et dans le salut accordé à tous les hommes. Par contre, beaucoup d'engagements qui me paraissent erronés causent un grand trouble dans l'Eglise, un désarroi, et parfois un scandale. Il est trop simple de dire : « L'Eglise traditionnelle, rétrograde et bourgeoise, est troublée ? tant mieux ! » Car dans beaucoup de cas, c'est une foi parfaitement vraie, authentique, qui est induite en scandale. Et dans beaucoup d'autres, il ne semble pas que la cause du désarroi soit une manifestation particulièrement juste et vraie d'une foi rénovée.

Je tente, dans les pages qui suivent, une difficile et redoutable critique des engagements abondants de ces dernières années. Si je le fais, ce n'est pas par esprit de critique et de combat; je préférerais de beaucoup ne pas me livrer à cette pénible recherche. D'une part, j'ai la conviction qu'en certains de ces engagements il y a un faux aiguillage, et qu'il n'y a en définitive, par cette voie, aucune présence assurée au monde. Mais ma conviction ne me suffirait pas, car je peux me tromper. D'autre part, il y a, manifestes, un danger pour l'Eglise et la souffrance de beaucoup de chrétiens qui ne comprennent pas. Le problème est alors de savoir s'il est légitime de faire courir ces dangers à l'Eglise et d'infliger cette souffrance à nos frères ? Si l'on est dans la vérité, si l'on témoigne authentiquement de Jésus-Christ, je répondrai certaine-

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ment : oui. Mais si l'on s'est engagé sur de fausses données théologiques, sur une erreur concernant la société, s'il y a une absence de lucidité, une légèreté dans ces engagements, alors il faut certainement en avertir l'Eglise et la protéger.

Ceci m'amène à formuler ces remarques préliminaires qui sont pour moi décisives :

1) Je tente de décrire une situation de fait de l'Eglise Réformée de France. Il ne s'agit pas de recherche théo- logique. Il ne s'agit pas de décrire ce qui « devrait être » comme si cela était. Beaucoup de « Messages », par exemple, sont très bien fondés théologiquement, mais les conséquences que l'on en tire, et les comportements de ceux qui les rédigent, sont souvent assez différents de la formulation théologique. Dans l'ensemble, on peut dire que le renouveau théologique a gagné la presque totalité de l'Eglise, et je suis personnellement plein de joie et de gratitude pour cette formulation de la vérité. Mais il est également manifeste qu'une bonne théologie ne garantit pas une bonne conduite ni une vision exacte du monde contemporain. D'une bonne théologie on peut, hélas ! tirer une éthique douteuse, ce qui d'ailleurs se retourne assez vite contre les prémisses théologiques et mène à leur déformation.

2) Je tente de décrire une situation de fait actuelle : par conséquent je ne procéderai pas à la critique de l'Eglise d'il y a un demi-siècle ou un siècle. Cette critique, on la trouve partout. Tous les écrits abondent de ces attaques contre l'Eglise bourgeoise du XIX siècle, l'Eglise non missionnaire, l'Eglise conformiste, l'individualisme protes- tant, etc... Tout récemment encore, un bon écrivain protestant soulignait qu'il avait fallu un siècle à l'Eglise pour sortir de l'erreur individualiste, et que l'on n'y retournerait plus. Ces critiques me sont assez désagréables, car elles signifient en définitive que les chrétiens d'hier

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avaient tort, mais que nous, nous sommes dans le bien, la vérité, la justice. Il est évidemment bien plus facile de dénoncer les erreurs d'hier que de chercher celles d'au- jourd'hui. Je suis entièrement d'accord avec les procès faits à l'Eglise du XIX siècle, ou même à celle de 1920, mais je ne suis pas certain que cela nous regarde de faire ces procès; alors que ce qui nous regarde, c'est de faire notre propre critique. Les erreurs d'hier ne m'intéres- sent que dans la mesure où elles sont pour nous un avertissement, une leçon. Mais cela implique alors que nous devons nous demander si nous ne commettons pas aujourd'hui, par rapport à la société et aux idées de 1960, exactement les mêmes erreurs que l'Eglise de 1860 pouvait commettre par rapport à la société et aux idées de 1860 ? Notre lucidité sur l'Eglise de 1860 ne vient-elle pas tout simplement du fait que la société a changé ?

3) Il n'y a dans ma recherche, si sévère qu'elle puisse parfois paraître, aucun esprit de jugement, et encore moins un esprit de supériorité ou de bonne conscience. Je parti- cipe à toutes les erreurs de l'Eglise, je ne me place pas en dehors, je souffre de chacun de ses manquements, et c'est moi que j'accuse en premier. Si j'en écris ce n'est pas pour tirer mon épingle du jeu ni pour me laver les mains. C'est que, vivant de la vie même de l'Eglise, je me sens atteint par tout ce qui me paraît compromission ou erreur. Si je me plaçais en dehors, je ne souffrirais pas et n'éprouverais pas le besoin de parler de ces dangers.

Si je m'accuse le premier, ce n'est pas de façon théorique et globale : c'est que, généralement, j'ai moi-même fait ces expériences, je me suis engagé dans ces chemins, j'ai été victime de ces erreurs et de ces illusions où je vois entrer beaucoup de nos Mouvements.

Dans bien des cas, je porte très personnellement la responsabilité de tels ou tels engagements. Dans chacune de ces démarches que je fais, il s'agit donc d'abord d'une critique de moi-même.

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4) Lorsque je parle ici de l'Eglise, je ne vise évidemment pas l'être théologique de l'Eglise, mais sa réalité humaine (quoique je sache fort bien qu'on ne peut pas dissocier les deux ! grâces en soient rendues à Dieu). Dans cette réalité humaine, je pense moins à la masse des fidèles des paroisses, qui reste assez stable pour le moment, qu'aux « leaders » de l'Eglise, aux Mouvements actifs et, en priorité, aux autorités, à ceux qui parlent et écrivent au nom de l'Eglise, aux intellectuels. Ma critique prend sa base dans les articles des revues et journaux protestants, les motions des Synodes et Congrès, la connaissance person- nelle que je puis avoir de tel ou tel. Je voudrais alors attester que tout ce qui va suivre n'est pas une idée personnelle sur la vie actuelle de l'Eglise, ni une critique gratuite, acerbe, ni un ressentiment. Tout ce que j'avance, je pourrais le prouver par des citations nombreuses, par des exemples précis, et même par des statistiques ! J'ai tout cela. Je ne le ferai que très exceptionnellement, parce que je ne veux pas alourdir, et parce qu'il ne s'agit jamais d'une querelle de personnes. Il n'y a aucun jugement sur mes frères. Il s'agit seulement, à l'occasion de tel rapport ou de telle réflexion, de discerner une tendance générale et de se poser la question de sa validité et de sa signifi- cation. C'est pourquoi, lorsque je ferai des citations, je n'en indiquerai pas les auteurs. Je considère que ces phrases engagent l'Eglise, la réflexion, la responsabilité de l'Eglise et ne sont pas personnelles.

5) Il s'agit pour moi d'une tentative pour voir clair.

Comme il y aura une orientation critique, je sais que l'accusation de pessimisme, de négativisme sera portée. Je voudrais dire d'abord qu'un examen de conscience ne me paraît jamais ni négatif ni pessimiste; qu'un essai de voir clair et de mise au point n'est jamais pessimiste ni négatif (même lorsque cela aboutit à la critique !); que je ne prétends pas rendre compte de toute la vie actuelle de l'Eglise, je l'ai déjà dit plus haut; et que je laisse

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délibérément de côté d'immenses aspects positifs que je connais parfaitement. Mais en présence d'un danger, avertir de ce danger, en présence d'une erreur d'aiguillage, avertir de cette erreur, me paraît une tâche éminemment positive et constructive.

Il est vrai, par contre, que je n'apporterai ici aucune solution. Non pas que la « dénonciation de l'erreur » me paraisse suffisante. (Mais encore une fois, il ne s'agit pas d'une dénonciation !) Je n'ai pas de solution. Je pourrais, bien sûr, rappeler les bases théologiques, que l'on peut trouver dans beaucoup d'études; mais le pas qui suit reste incertain. Je pourrais, bien sûr, indiquer des solutions..., mais qui seraient théoriques parce qu'inapplicables aujour- d'hui dans l'Eglise. Cette attitude conduirait à un livre beaucoup plus satisfaisant et rassurant pour l'esprit du lecteur. Mais pour moi ce serait hypocrisie et malhon- nêteté. Ce que je peux dire c'est que cet examen de conscience se situe entre mon ancien Présence au Monde Moderne, et le travail sur l'Ethique chrétienne que je poursuis. Mettons qu'il en soit le revers.

Avant d'entreprendre ce travail, essayons d'indiquer sommairement quelques raisons de la difficulté dans laquelle nous nous trouvons.

Je suis convaincu de la réalité profonde du réveil théologique, du sérieux de la foi, d'un regain de vitalité de l'Eglise, de progrès certains accomplis dans beaucoup de domaine : il n'y a absolument pas de déclin ni recul.

Il y a une crise qui provient fondamentalement de la nouvelle théologie, mais c'est une crise positive. La théologie mettons « barthienne », rend difficile, à cause de sa fidélité même, la présence au monde et la conception d'une éthique. Elle accumule les obstacles et les problèmes, tant intellectuels que spirituels parce que c'est bien là

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la situation vraie devant Dieu de l'homme appelé par Dieu.

Ici, nous ne pouvons guère profiter des ancêtres : il faut nous débrouiller seuls. Il faut trouver nos réponses et ouvrir nos chemins. Mais nous ne le ferons pas si nous fuyons cette difficulté : alors nous sommes induits à la conformisation (nous aurons à le préciser plus loin).

Une seconde cause générale, tient à la nouveauté du monde où nous sommes appelés à vivre; là encore, il faut créer, inventer une forme de la vie chrétienne dans ce monde. Or, celui-ci est sans doute un des plus complexes où l'homme se soit jamais trouvé. Il est alors tellement tentant de suivre les chemins du monde, en les baptisant d'une façon ou d'une autre.

Enfin, indiquons, aussi schématiquement, un troisième facteur : la disparition de la chrétienté (au sens historique et sociologique), et l'entrée en postchrétienté. Ici encore, nous sommes en présence d'une situation inaccoutumée, à laquelle nous sommes peu préparés. Ici encore, c'est un bien et nous pouvons rendre grâces à Dieu de la liqui- dation de l'ère constantinienne et de l'achèvement de l'erreur monumentale que fut la chrétienté (et nous pouvons réellement en rendre grâces à Dieu, et à Dieu seul, car ce n'est ni par la vertu, ni par la lucidité, ni par la fidélité des chrétiens que la chrétienté a été liquidée;

c'est, hélas ! par le mouvement objectif du politique, du scientifique, etc...). Mais il faut réaliser que ceci nous met en présence d'incertitudes. Et, là encore, la tendance spontanée sera donc de dire : « La chrétienté est morte, vive la postchrétienté ! »

Or, en tout ceci, une trop bonne théologie nous place dans une certaine situation de faiblesse à l'égard du monde. La théologie de Karl Barth est prodigieusement équilibrée, et je la crois vraie dans la mesure même où elle traduit l'extraordinaire dialectique qui se révèle dans toute la Bible, dans le moindre des écrits bibliques. Mais

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précisément parce que tout tient à cette situation de tension, il suffit d'éliminer un seul des facteurs, ou même de le minimiser, pour, non pas arriver à une vérité partielle, mais aboutir à une erreur totale et radicale. Quand l'équilibre tendu qui est la marque externe de la vérité de cette théologie est rompu, c'est un effondrement. Nous aurons à en donner plusieurs exemples. Marquons ici seulement un point préalable : la théologie a beaucoup rappelé (à juste titre) la rigoureuse transcendance de Dieu.

Mais ceci présente le double danger suivant, auquel nous voyons succomber depuis une quinzaine d'années la plupart des intellectuels protestants.

Tantôt l'on est amené à se situer au niveau de Dieu, à juger des événements à partir du trône de Dieu, à prendre le regard de Dieu même (je ne vise pas du tout la même attitude que celle du jugement sub specie aeternitatis, ce n'est absolument pas la même situation). Par exemple, on pourra écrire « Alléluia, Jésus a été crucifié ». Or ceci est une monstruosité. Que Dieu le Père, dans sa souffrance, puisse glorifier son Fils parce que celui-ci a voulu donner sa vie, c'est ce que nous dit l'Ecriture.

Mais Dieu seul le peut, et aucun homme n'a le droit de pousser le cri de joie et de triomphe parce que Jésus est mort sur la croix, même s'il sait qu'à cette mort il doit son salut. Cette formule n'est pas une façon de remercier Dieu pour le sacrifice salutaire de son Fils.

C'est une horrible prétention à considérer la Croix du haut du Trône divin.

L'autre erreur où nous sommes induits par l'accentuation de la transcendance, c'est l'incommunicabilité entre la volonté de Dieu absolument transcendant et nos décisions concrètes. On a eu raison de critiquer la fameuse attitude piétiste du « téléphone du Ciel ». Mais voici que, ramenés assez brutalement à notre condition d'homme sur la terre, nous n'avons plus le recours ni à une morale chrétienne, ni à une explication simple de la Bible prise au sens

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littéral, ni à une inspiration constante et infuse du Saint-Esprit. Nous voici dès lors livrés à nos propres responsabilités, ce qui est très bien mais pas tellement facile. En définitive nous prendrons nos décisions sans référence rigoureuse au contenu de la Révélation, et par conséquent l'élément déterminant dans ces décisions, ce sera l'influence sociologique, politique, économique. Si bien qu'une théologie dont on ne retient que l'élément transcen- dant nous conduit à un remarquable conformisme de milieu. Et c'est le point principal sans doute de nos confusions actuelles et de nos déchirements.

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CHAPITRE PREMIER

LA CONFORMISATION DE L'EGLISE AU MONDE MODERNE I. LA JUSTIFICATION DU MONDE PAR L'EGLISE L'homme est justifié par la grâce de Dieu en Jésus-Christ.

Ce n'est pas de cette proclamation de la vérité chrétienne qu'il sera question ici, mais, hélas ! d'une erreur : pour arriver à être présents au monde, les chrétiens aujourd'hui justifient tant qu'ils peuvent le monde comme il va.

1. Jésus-Christ, Seigneur du monde

Le point de départ de la construction est la Seigneurie de Jésus-Christ. Jésus-Christ a vaincu le monde. Il a dépouillé les trônes, puissances et dominations de leurs prétentions et de leur autonomie. Il est actuellement et réellement le Seigneur du monde et de l'Histoire. Tout cela est parfaitement juste et fondamental. Mais on en tire un ensemble de conclusion foncièrement inexactes.

Les œuvres accomplies par l'homme dans ce monde, sont devenues par là des œuvres valides, sauvées et exprimant la volonté du Seigneur. Elles entrent, telles qu'elles sont accomplies, dans le plan et dans les desseins de Dieu. Sur

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ces œuvres, le chrétien ne peut que prononcer le grand Oui de Dieu, attester la bonne volonté de Dieu, affirmer que ces œuvres sont un accomplissement et feront partie du Royaume de Dieu (on ajoute bien souvent : qu'elles le préparent). Ainsi, les actions humaines sont des actions positives : il s'agit donc que le chrétien y participe. Non pas comme un pis-aller, non pas comme une pénétration dans un monde absurde et sans signification, mais, au contraire, dans un monde positif, dans un monde où il ne peut que révéler aux hommes qui font l'histoire à quel point ces œuvres sont dignes, valables et pleines de sens devant Dieu parce qu'incluses dans la Seigneurie de Jésus-Christ. Le chrétien n'a donc pas à « christianiser » les actions et les œuvres de l'homme laïque; il n'a pas à faire une œuvre « chrétienne » : il n'a qu'à participer aux œuvres des hommes, de tous les hommes, justement parce que ce sont ces œuvres-là, même quand elles sont antichrétiennes, qui sont sous la Seigneurie de Jésus-Christ, qui sont rachetées (même quand les hommes n'en savent rien), et promises au Royaume de Dieu. Il n'y a qu'à rechercher le bien de la cité des hommes. Dès lors, le chrétien peut (et doit) — et ce sera sa vraie façon de témoigner — participer au monde politique, à l'action politique, au progrès technique et scientifique (sans se poser de question sur ce qui serait « permis » ou non), aux œuvres économiques, etc... Le chrétien n'a pas à soupçonner qu'il puisse y avoir là une action satanique (Satan est vaincu). Il n'a pas à se poser le problème de bien et de mal : il doit agir en participant à toute action positive, constructive du monde de demain, en pleine liberté chrétienne. Parce que Christ l'a libéré, il n'a plus à être enserré dans un ensemble de lois paralysantes.

Rejetant ce qui est dépassé (par exemple, le capitalisme, le colonialisme), il doit marcher dans le sens de la construction du monde (par exemple, le socialisme, l'indé- pendance nationale) et, accomplissant ainsi une œuvre-

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pour-l'homme, il accomplit en même temps une œuvre qui entre dans le dessein de Dieu.

Dieu en Jésus-Christ a affirmé le Oui à l'œuvre de tout homme, et nous n'avons qu'à le répéter. Dieu a fermé la voie à tout ce qui est négatif et mort, par la résurrection.

Dieu a rendu la désobéissance impossible, par l'obéissance de son Fils. Là où le péché a abondé, la grâce a surabondé.

Enfin rappelons incidemment que cela conduit à dire qu'il n'y a donc aucune frontière entre l'Eglise et le monde, et que la grandeur importante en tout cela, c'est le monde, et l'action des hommes dans le monde.

Tout ceci est très résumé; il y a des dizaines d'articles et de livres qui exposent ces idées; il y a surtout un nombre infiniment plus grand d'articles et de livres écrits en fonction de ces idées présupposées, sans être exprimées.

Ceci dérive souvent directement de formules de Karl Barth, mais toujours selon le même processus, en séparant ces formules de leur contrepartie, ce qui conduit à de graves erreurs. Car cet ensemble de conséquences tirées de la seigneurie de Jésus-Christ me paraît un ensemble d'erreurs théologiques lourdes.

Il faut rappeler que la seigneurie de Jésus-Christ sur le monde ne signifie nullement une restauration de la création dans son intégrité. Le monde n'est pas concrè- tement restauré pas plus que, étant pardonné, je cesse d'être pécheur; pas plus qu'étant déjà ressuscité en Christ, je cesse d'être mortel. Nous assistons aujourd'hui, concer- nant le monde et ses œuvres politiques ou techniques, à une erreur identique à celle qui a consisté périodiquement à croire que l'assurance de la résurrection devait rendre l'homme immortel. Le fait que Jésus-Christ soit vraiment le Seigneur du monde ne garantit en rien que les œuvres accomplies par l'homme dans ce monde expriment cette seigneurie ou soient vouées dans leur entier au Salut, et que nous puissions y participer sans réserve et sans arrière-pensée. Le monde reste le monde. Tout l'Evangile

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de Jean est là pour nous l'attester : puissance hostile et en révolte. Il est trop facile et vraiment mensonger de venir déclarer que la société, le milieu où nous vivons, n'est pas le « monde »... Si ! c'est le monde politique, économique, technique qui est ce dont nous parle l'Evangile de Jean : radicalement perdu, radicalement ennemi de Dieu; et ses œuvres ne sont pas des œuvres bonnes. Le Prince de ce monde est toujours Satan. Même vaincu, comme Oscar Cullmann le rappelle, il garde une extraordi- naire puissance. Quand Satan propose à Jésus-Christ de lui remettre la domination sur les royaumes de ce monde, il ne ment pas. Il dispose toujours de l'autorité sur les puissances politiques. Et Jésus ne le lui conteste nullement.

Je sais bien l'objection qui consiste à dire que tout cela est dépassé, que par-delà la mort il y a la résurrection et par-delà la puissance du Prince de ce monde, celle du Christ Pantocrator. Mais prétendre tirer de cette vérité incontestée des conséquences directes et immédiatement applicables à l'action dans la société contemporaine, comme on le fait tout le temps, c'est tomber dans une autre erreur que l'Eglise a, elle aussi, bien connue : celle, peut-on dire, du « Déjà réalisé », et en définitive d'une théologie de la gloire. Mais il s'agit d'une sorte de théolo- gie de la gloire, bien singulière, puisque c'est la gloire du monde. On pense comme si le Royaume de Dieu était déjà réalisé ; comme s'il était déjà venu, déjà accompli ; comme si nous vivions dans ce Royaume de Dieu ; comme si toutes les actions de l'homme étaient déjà inscrites dans ce royaume présent dans sa plénitude et en définitive substitué à la réalité du monde. L'optimisme à l'égard des œuvres de l'homme (à condition encore une fois qu'elles soient « progressistes » !) implique que nous soyons en présence d'une sorte d'adhésion sans réserve de Dieu, et d'une actualisation non de la grâce mais de la plénitude de l'œuvre de la grâce. Toute la dimension de l'espérance est en fait annulée. Bien sûr, je sais très

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I. F. Q. A. - C A H O R S 31.180 - Dép. lég.: IV-1963

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