Problème A : théorème de d’Alembert
1) Soit E unR-espace vectoriel de dimensionnimpaire et f ∈ L(E) ; le polynôme caractéristique est un polynôme de R[X] de degré impair, il admet donc au moins une racine dans R (cf. le théorème des valeurs intermédiaires) qui est une valeur propre de f. En conclusion :
P(n,R) est vraie pour toutn impair.
2) a)Si f = λ.IdE, tout vecteur non nul de E est vecteur propre de f. Or d’après P(n,R), je dispose d’un vecteur propre deg, qui est donc commun à f etg.
Si f =λ.IdE,f et gadmettent au moins un vecteur propre commun.
Supposons maintenant f =λ.IdE. Comme f etg commutent par hypothèse,g commute également avecf−λ.IE et doncKer (f−λ.IdE) etIm (f −λ.IdE)sont stables parg. De plus,Ker (f−λ.IdE) n’est pas égal à E (puisque f =λ.IdE), ni à {0} (puisqueλest valeur propre de f par hypothèse).
Donc Im (f−λ.IdE) ne peut être égal àE en vertu du théorème du rang. Ainsi,
Sif =λIdE,Ker (f−λIdE) etIm (f−λIdE)sont deux sous-espaces vectoriels stricts de E, stables parg.
b)Soit, pour p ∈ N, A(p) le prédicat : “Q(2q+ 1,R) est vraie pour tout q ∈ [[0, p]]”. Je montre par récurrence sur pque A(p) est vraie pour tout p :
∗ A(0)est vraie, puisqueQ(1,R) l’est : dans unR-espace vectorielE de dimension 1, tout vecteur non nul est vecteur propre commun à tous les endomorphismes deE !
∗ hypothèse de récurrence : supposonsp≥1tel que A(p−1)soit vraie.
∗ Pour montrer queA(p) est vraie, il s’agit de prouver Q(2p+ 1,R). Soient doncE un R-espace vectoriel de dimension 2p+ 1 et f, g deux endomorphismes de E qui commutent. D’après 1), je dispose d’une valeur propre λ de f. Si f = λ.IdE, j’ai vu au a) que f et g admettent un vecteur propre commun. Sinon, toujours d’après a), je dispose d’un sous-espace strict F de E, stable parf etg et de dimension impaire (en effet, l’un des deux sous-espacesKer (f−λ.IdE) et Im (f −λ.IdE) est nécessairement de dimension impaire, puisque la somme de leurs dimensions est impaire : c’estdimE d’après le théorème du rang !). AlorsdimF = 2q+1avecq∈[[0, p−1]]et f, g induisent deux endomorphismes deF qui commutent. L’hypothèse de récurrence me fournit alors un vecteur de F, vecteur propre commun à ces deux endomorphismes induits, qui est a fortiori un vecteur de E, vecteur propre commun à f etg. Ainsi Q(2p+ 1,R) est vraie, ce qui achève la preuve par récurrence.
Q(n,R)est vraie pour tout n entier naturel impair.
3) a)Considérons ici Mn(C) comme unR-espace vectoriel. H n’est autre que le noyau de l’application B→tB−B, qui est clairement R-linéaire (mais elle n’est pasC-linéaire. . . ). Par conséquentH est un sous-espace vectoriel du R-espace vectorielMn(C).
Soit B∈ Mn(C). J’écrisB=X+i.Y, avecX etY dans Mn(R).
B∈H ⇔ tX+i.tY =X−i.Y
⇔ tX=X et tY =−Y
Ainsi, H apparaît comme étant Im Φ, où Φ est l’application de S × A dans Mn(C) qui à (X, Y) associe X+i.Y,S (resp. A) étant le sous-espace deMn(R) formé des matrices symétriques (resp.
antisymétriques). Φ étant clairement linéaire et injective, il en résulte que H = Im Φ est de même dimension que S × A; or, classiquement,
dimS = n(n+ 1)
2 et dimA= n(n−1) 2 d’où :
dimH = n(n+ 1)
2 + n(n−1) 2 =n2. En conclusion :
H est unR-espace vectoriel de dimensionn2.
b)Soit B∈H :
t u(B) = 1
2
tB×tA+A×tB
= 1
2 B×tA+A×B carB∈H
= u(B)
Autrement dit, u(B) ∈ H. On vérifie de même que v(B) ∈ H. De plus, u et v sont clairement R-linéaires et on vérifie que :
u◦v(B) =v◦u(B) = 1
4i A2B−BtA2 .
u etv sont deux endomorphismes deH tels que u◦v=v◦u.
c)n étant impair, n2 l’est également et donc Q n2,R est vraie, d’après2). L’appliquant dans H, je dispose d’une matrice non nulleBdeH, vecteur propre commun àuetv, associé à des valeurs propres réelles x, y ; ainsi : u(B) =x.B et v(B) =y.B. Or, par construction,u(B) +iv(B) =A×B et donc
AB= (x+i.y).B.
d)Observant le principe de calcul de AB, je constate que chaque vecteur colonne Z de B vérifie : AZ = (x+i.y).Z. Or la matrice B est non nulle, l’un au moins de ses vecteurs colonnes est non nul, il est alors vecteur propre de A associé à la valeur propre x+i.y. J’ai ainsi obtenu l’existence d’une valeur propre de A, donc de f cela pour tout endomorphismef deE. En conclusion :
P(n,C)est vraie, cela pour tout entier naturel nimpair.
4) a)On vient de montrer que P(p,C) est vrai, pour tout entier naturel p impair ; on en déduit que Q(p,C) est également vrai, en recopiant la démonstration du 2), en remplaçant R par C. Par conséquent,
R(0) est vraie.
b)Considérons le matériel fourni par l’énoncé.
(i)Il est classique que L, ensemble des matrices antisymétriques, est un sous-espace vectoriel de Mn(C) de dimension :
n(n−1)
2 = 2kp 2kp−1
2 = 2k−1q où q =p 2kp−1 . q est bien impair, car produit de deux entiers impairs, ainsi :
Lest un C-espace vectoriel de dimension2k−1q,q impair.
(ii)Soit B∈L :
t u(B) = tB×tA+A×tB
= −B×tA−A×B carB∈L
= −u(B)
Autrement dit, u(B) ∈ L. On vérifie de même quev(B) ∈ L. De plus,u et v sont clairement C-linéaires et on vérifie que :
u◦v(B) =v◦u(B) =A2BtA+ABtA2.
u etv sont deux endomorphismes deL tels que u◦v =v◦u.
(iii)D’après R(k−1), appliqué à L, je dispose d’une matrice non nulle B de L, vecteur propre commun àu etv, associé à des valeurs propres complexes x, y ; ainsi :
u(B) =x.B et v(B) =y.B, d’où
y.B=A×B×tA=A×(x.B−AB) soit
A2−x.A+y.In ×B= 0.
(iv)Je sais (cf. le second résultat admis en début de problème) que le polynôme X2−x.X+y se factorise dans C[X], sous la forme (X−a) (X−b), aveca, b complexes.
J’ai alors (comme au 3)d)) pour tout vecteur colonneZ deB : (A−a.In) (A−b.In)Z = 0.
Je considère alors un vecteur colonne non nul Z de B (il en existe, puisque B = 0). De deux choses l’une : soit Z1 = (A−b.In)Z est nul, auquel cas Z est vecteur propre de A associé à la valeur propre b, soit Z1 est non nul, auquel cas Z1 est vecteur propre de A associé à la valeur proprea (puisque(A−a.In)Z1 = 0!). J’ai donc obtenu dans tous les cas une valeur propre de A, donc de f, cela pour tout endomorphisme f deE. Autrement dit :
P 2kp,C est vraie.
(v)Reprenons l’idée et les notations du 2): λ est valeur propre def etf =λ.IE (sinon le résultat est banal), donc F = Ker (f−λ.IE) et G= Im (f −λ.IE) sont deux sous-espaces stricts de E, stables parf etg, et la somme de leurs dimensions est n= 2kp. Deux cas se présentent :
· l’une de ces deux dimensions est de la forme2ℓqavecℓ∈[[0, k−1]]etq impair ; alorsR(k−1) permet de conclure, en fournissant un vecteur propre commun aux deux endomorphismes induits ;
· ces deux dimensions sont de la forme 2kq et 2kr avec q +r = p ; alors nécessairement q ou r est impair (puisque p l’est) et strictement inférieur à p. Appelons p1 celui qui est impair et E1 le sous-espace (F ou G) correspondant, qui est de dimension 2kp1. On peut réitérer le raisonnement : à chaque étape, soit on peut conclure à l’aide de R(k−1), soit on se ramène à un sous-espace de dimension 2kpj, où (pj) est une suite strictement décroissante d’entiers impairs. Au pire (c’est-à-dire si R(k−1) n’a jamais permis de conclure), on se retrouvera après un nombre fini d’étapes dans un sous-espace de dimension 2k et une dernière itération permettra alors nécessairement d’utiliser R(k−1)!!
Dans tous les cas, j’aurai pu exhiber un vecteur propre commun à f etg : Q 2kp,C est vraie.
c)On vient de montrer par récurrence que :
R(k) est vraie pour toutk.
5) Tout entier natureln non nul s’écrit sous la forme 2kp aveck∈Net p impair. Alors R(k) permet de conclure :
P(n,C) etQ(n,C)sont vraies pour tout entier naturel non nul n.
6) Soit λ∈R; il s’agit de calculer le déterminant suivant :
det (λI−A) =
λ 0 · · · 0 a0
−1 λ · · · 0 a1
0 . .. ... ... ... ... . .. ... λ ... 0 · · · 0 −1 an−1+λ
.
J’effectue (habilement) l’opération suivante sur les lignes : L1 ←L1+
n i=2
λi−1.Li =
n i=1
λi−1.Li, qui ne modifie pas la valeur du déterminant, puisque j’ajoute à une ligne une combinaison linéaire des autres.
Suite à cette opération, pour tout j dans [[1, n−1]], la valeur située sur L1 dans la colonne j (qui ne comportait que deux termes non nuls, λen lignej et −1 en lignej+ 1) vaut :
λj−1.λ+λj.(−1) = 0 et la valeur située sur L1 en colonnenvaut :
n−1 i=1
λi−1.ai−1+λn−1.(an−1+λ) =
n−1 k=0
akλk+λn=P(λ) où P =Xn+
n−1 k=0
akXk.
Il n’y a plus qu’à développer par rapport à cette première ligne :
det (λI−A) =
0 0 · · · 0 P(λ)
−1 λ · · · 0 a1
0 . .. ... ... ... ... . .. ... λ ... 0 · · · 0 −1 an−1+λ
= (−1)1+nP(λ)
−1 λ · · · 0 0 . .. ... ...
... . .. ... λ 0 · · · 0 −1
.
Or ce dernier déterminant vaut(−1)n−1 (matrice triangulaire !).
Finalement,
χA=Xn+n−
1 k=0
akXk.
Ce résultat est important, car il montre que tout polynôme de terme dominantXnpeut être vu comme le polynôme caractéristique d’une certaine matrice carrée d’ordren(et donc d’un certain endomorphisme).
7) SoitQun polynôme non constant deC[X],nson degré ;Qpeut s’écrireα.P avecα∈C∗ etP unitaire, de la forme
P =Xn+
n−1 k=0
akXk où (a0, . . . , an−1)∈Cn. Grâce à la question6), je dispose d’une matriceA de Mn(C) telle queχA=P.
Or on a montré à la question 5) que P(n,C) est vraie, donc A admet au moins une valeur propre λ dans C. λest alors racine de P, donc deQ. Par conséquent :
Tout polynôme non constant de C[X]admet au moins une racine dansC. (Ce qui est bien le théorème de ’A !)
Problème B : théorème de Cayley-Hamilton
1) Soit k= dimF. Je considère une base deF, que je complète en une base de E. F étant stable par u, la matrice deu dans cette base est de la formeM = A B
0 C , où A est la matrice dev dans la base choisie de F. J’ai alors, pour touttdans K:
χu(t) = det tIk−A −B
0 tIn−k−C = det (tIk−A) det (tIn−k−C) et χv(t) = det(tIk−A).
Or la fonction :
χv diviseχu.
2) Fu(x)est une partie deE, non vide (carK[X] =∅!), stable par combinaisons linéaires : siy=P(u) (x) etz=Q(u) (x) sont deux vecteurs deFu(x)et si λ∈K, j’ai :
λ.y+z= (λ.P +Q) (u) (x)∈Fu(x).
Ainsi, Fu(x) est un sous-espace vectoriel de E et, si y ∈ Fu(x), je dispose de P dans K[X] tel que y=P(u)(x). Alorsu(y) =Q(u)(x) avecQ(X) =XP(X). Doncu(y)∈Fu(x). Conclusion :
Fu(x) est un sous-espace vectoriel deKn, stable par u.
3) a)La famille x, u(x), . . . , un(x) comporte n+ 1 vecteurs dans un espace vectoriel de dimension n, donc est liée : l’ensemble k∈N/ x, u(x), . . . , uk(x) liée n’est pas vide. Il est inclus dans N donc admet un plus petit élément q, etq ≤n. De plusx= 0donc (x) est libre : q ≥1.
Il existe un plus petit entier naturelq pour lequel la famille x, u(x), . . . , uq(x) est liée.
b) x, u(x), . . . , uq(x) est liée : soit donc (a0, . . . , aq) = (0, . . . ,0) tel que
q k=0
ak.uk(x) = 0. Je pose alors S(X) =
q k=0
ak.Xk, ainsi :
q k=0
ak.uk=S(u) et doncS(u)(x) = 0.
Si aq était nul, il resterait
q−1 k=0
ak.uk(x) = 0 avec (a0, . . . , aq−1) = (0, ..,0), ce qui est faux car la famille x, u(x), . . . , uq−1(x) est libre par définition de q. Donc
aq= 0.
Par suite : uq(x)∈Vect x, u(x), . . . , uq−1(x) et, par récurrence,
∀k∈N uq+k(x)∈Vect x, u(x), . . . , uq−1(x) .
Finalement : ∀P ∈K[X] y =P(u)(x)∈Vect x, u(x), . . . , uq−1(x) donc la famille est génératrice.
Elle est libre, donc
x, u(x), . . . , uq−1(x) est une base deFu(x) .
c)J’ai, avec les notations de l’énoncé : uq(x) =−α0x−α1u(x)− · · · −αq−1uq−1(x). La matrice de v dans la base x, u(x), . . . , uq−1(x) est :
M =
0 0 · · · 0 −α0
1 0 ... −α1
1 . .. ...
. .. 0 −αq−2
(0) 1 −αq−1
d’où, pourt∈K, t.Iq−M =
t 0 · · · 0 α0
−1 t ... α1
−1 . .. ...
. .. t αq−2
(0) −1 t+αq−1
.
Je calcule (habilement) χv(t) grâce à l’opération L1←L1+
q i=2
ti−1.Li :
χv(t) =
0 0 · · · 0 P(t)
−1 t ... α1
−1 . .. ...
. .. t αq−2
(0) −1 t+αq−1
= (−1)q+1P(t) (−1)q−1 =P(t)
en développant par rapport à la première ligne, avec P(t) =α0+
q−1 i=2
ti−1.αi−1+tq−1(t+αq−1) =
q k=0
αk.tk (puisqueαq= 1).
En particulier :
χv(u)(x) =
q k=0
αk.uk(x) = 1 aq
q k=0
ak.uk(x) = 0.
Nous avons vu que χv divise χu, donc χu(X) = Q(X)·χv(X) et χu(u) =Q(u)◦ χv(u), par suite : χu(u)(x) = 0(il faut manœuvrer prudemment car a priori v dépend de x !).
Cela vient d’être prouvé pour tout x non nul de E, mais c’est banal pour x= 0! Finalement : χu(u) = 0(théorème de Cayley-Hamilton !).
On mesure l’intelligence d’un individu à la quantité d’incertitudes qu’il est capable de supporter.
Emmanuel Kant