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Tarte blanche ?

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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Revue Médicale Suisse www.revmed.ch 28 juillet 2010 1467

Tarte blanche ?

– «Bonjour Docteur. Comme je passais de- vant le cabinet médical, j’ai pensé que je pourrais juste faire un saut pour renouveler mon ordonnance.» Un frisson me parcourt l’échine : c’est une évidence, je le connais cet homme. Je l’ai déjà vu et ce n’est ni à la télévision ni au cinéma. Je sais son histoire de famille, son psoriasis, sa passion pour les bonnes tables et la bonne chair, son ex- cès de cholestérol, son incapacité à chan- ger quoi que ce soit dans ses habitudes de vie, trajectoire inexorable vers la misère phy- sique et psychologique que connut son père à la fin de sa propre vie. Cette manière de se présenter, de s’habiller, cette négligence un peu affectée, ce ton désinvolte et presque familier sont autant de puissants indices qui devraient, en toute logique, me mettre sur la piste. Pourtant ma mémoire reste obstiné- ment rebelle et me refuse toute aide : je suis totalement incapable de me souvenir de son nom. De plus, je suis seul dans cette récep- tion, sans le recours possible au cerveau- disque dur externe de ma secrétaire. Pa- nique à bord, les femmes et les enfants d’abord, sudations froides, essais infruc- tueux de diversion, rien n’y fait. Je ne peux tout de même pas demander son patronyme à cet habitant du village, que je croise quasi tous les jours. Mais sait-on jamais, peut-être que, comme dans les démences fronto-tem- porales, une petite indication me remettra sur la piste, alors : «Pourriez-vous m’indiquer les médicaments dont vous avez besoin. Je pourrai ainsi vérifier si votre traitement est toujours correct et qu’il ne vous manquera rien d’essentiel.» Réponse : «Oh, comme d’habitude, il me faut la petite rouge ronde, la grande blanche ovale, celle qui est un peu jaune avec la petite ligne au milieu, la petite bleue pour dormir, celle pour la prostate, et puis la dernière que vous aviez ajoutée quand je suis venu après Nouvel An.» Sidé- ration. Par chance, je suis sauvé de la honte par l’irruption soudaine et miraculeuse de mon assistante médicale qui identifia immé- diatement Monsieur P. Y. Lulier.*

La mémoire suit d’étranges labyrinthes et

a de subtiles mais évidentes inégalités de distribution. Ainsi, il y a quelques mois, je me rendais en visite chez la doyenne de mes pa- tientes décédée depuis lors. Elle trottinait après son coq, un sachet de soupe instanta- née dans la main. Elle se tenait si penchée que sa chevelure hirsute et grisonnante dis- simulait totalement son visage. «Pilou, Pilou»

criait-elle en jetant la nourriture de manière désordonnée, effrayant par la même occa- sion le volatile qui se précipita vers moi, m’évitant de justesse. «Tiens, le docteur, je vous attendais, s’écria-t-elle sans hésita- tion.» La date de la visite avait pourtant été fixée plusieurs semaines à l’avance, par télé- phone. Espiègle et vive d’esprit, elle jouait de sa mémoire comme d’un instrument de musique. Lui rendre visite était un formi- dable moment de partage et de détente. Elle était un condensé des archives locales et une exploratrice bien vivante du passé. Lors de mon dernier passage chez elle, j’étais ve- nu avec deux jeunes étudiantes très émues de cette découverte du quotidien domici- liaire. Visite rituelle de l’automne, nous étions là, entre autres, pour procéder au vaccin an- tigrippal. Au cours de la discussion déjà bien animée, je proposai alors à l’une des deux jeunes filles d’effectuer l’injection. La main fut craintive et malhabile, l’épaule diaphane et fluette. Un fou rire s’installa, étonnante passerelle entre les âges. L’aiguille pénétra, rite initiatique, laissant à jamais ancré, pour nous tous réunis, le souvenir du premier geste accompli. Proust n’eût pas désavoué la scène.

La mémoire a des visages différents selon que l’on est une vieille dame de 96 ans, une jeune étudiante en médecine effectuant ses premiers actes de soignante ou un praticien d’un certain âge pris en flagrant délit de court-circuit neuronal. La première cultive essentiellement son passé, la seconde enri- chit son avenir, quant au dernier, il essaye de se convaincre qu’il a toujours eu une mé- moire sélective, que retenir les noms des autres ne l’a jamais intéressé.

Au fait, pour qui donc ai-je écrit ce texte ?

* Nom factice, bien entendu carte blanche

Dr Pierre de Vevey Rue de Sadaz 5 1373 Chavornay m.p.devevey@bluewin.ch

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