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Géographie Économie Société : Article pp.87-106 du Vol.8 n°1 (2006)

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Géographie, économie, Société 8 (2006) 87-106

GÏOGRAPHIE ÏCONOMIE SOCIÏTÏ GÏOGRAPHIE ÏCONOMIE SOCIÏTÏ

De la reconnaissance à l’influence ? Heurts et enjeux d’une tentative d’empowerment en France

From acknowledgement to political influence ? Limits and stakes of an empowerment

attempt in France.

Julien Scolaro*

Centre de Science Politique Comparative, IEP d’Aix en Provence, 25, rue Gaston de Saporta, 13625 Aix en Provence cedex 5

Résumé

Dans un contexte de refonte des modalités et capacités d’intervention de l’Etat Providence en matière d’aménagement du territoire, le concept d’empowerment semble particulièrement approprié pour interro- ger les reconfigurations en cours en matière de développement économique local. Il est ici mobilisé pour appréhender l’émergence, la mobilisation collective et l’entrée en politiques publiques d’acteurs français dits de « l’économie solidaire ». Revendiquant des méthodologies d’intervention et des principes organi- sationnels inclusifs et participatifs, ces acteurs entendent inscrire les expériences et pratiques des usagers dans l’espace public. Dans un contexte d’ouverture apparente du champ de la décision et de territorialisa- tion de l’action publique, ils espèrent contribuer à la recomposition économique et sociale de leur territoire d’intervention en tentant d’influencer l’orientation des politiques publiques en la matière. En dépit d’un réel processus de légitimation, l’examen empirique d’une telle tentative en milieu rural révèle les nom- breuses limites auxquelles elle se heurte, liées tant aux évolutions des orientations gouvernementales qu’à la permanence de logiques de clôture dans l’action publique.

© 2006 Lavoisier, Paris. Tous droits réservés.

*Adresse email : julien.scolaro@gmail.com

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Abstract

In a context of redefinition of the welfare state’s capabilities and ways of intervention in matters of local planning, the concept of empowerment seems particularly suitable to question current local economic deve- lopment reorganizations. It is used here to grasp the emergence, the collective mobilization and the involve- ment of French «solidarity-based economy» activists in public policies. These activists who assert inclusive and participative methodologies of intervention and organizational rules intend to promote the recognition of users’ experiences in the public sphere. In a context of apparently more open decision-making process and of public action territorialization, they hope to contribute to the economic and social redevelopment of their territory of intervention while trying to influence public policies. In spite of a real process of legitimization, the empirical analysis of such an attempt in rural environment shows its numerous limits, related to the evolutions of governmental agendas as well as to the permanence of closing down logics in the policy making process.

© 2006 Lavoisier, Paris. Tous droits réservés.

Mots clés : économie sociale, décentralisation, développement local, France Keywords: social economy, devolution, local development, France

Introduction

Si le recours à la notion d’empowerment s’avère omniprésent, voire « épidémique » dans le monde social et la littérature académique de langue anglo-saxonne (Weissberg, 1999 : VII), elle est en revanche très peu employée en France, que ce soit comme catégorie de pratique ou d’analyse. On la retrouve certes comme référentiel d’action dans certaines politiques publiques européennes, mais son appropriation sur le terrain hexagonal demeure encore limitée. Dans les travaux comparatifs France / Etats-Unis sur la politique de la ville, elle apparaît même comme un des éléments constitutifs d’un « contre modèle », la dimension « communautaire » qui irrigue les expériences nord-américaines constituant en quelque sorte le « repoussoir » de la démarche française, en raison notamment des risques « d’ethnicisation » et de fissuration du modèle d’intégration républicain qu’elle comporte (Donzelot et Mevel, 2001: 6). Dans les expériences de développement social urbain, la « participation à la française » ne constitue pas « l’occasion pour les habitants de la construction d’un pouvoir », mais résulte d’une « injonction d’en haut » et relève de

« l’accomplissement d’un devoir civique » (Donzelot et Mevel, 2002 : 91). En raison de la prégnance de cette conception universaliste de la citoyenneté, le concept d’empowerment s’avère ainsi peu opérationnel pour rendre compte d’une politique de la ville qui récuse la dimension ethnique de la réalité sociale (Epstein et Kirszbaum, 2003 ; Jaillet, 2003).

L’empowerment apparaît en revanche plus approprié pour interroger les reconfigurations en cours en matière de développement économique local, dans un contexte d’ouverture

Les définitions du concept d’empowerment sont pléthoriques et diffèrent fortement selon l’approche théorique qu’il sous-tend et les réalités empiriques dont il est censé rendre compte. En 1987, J. Rappaport le définissait, en psychologie communautaire, comme « la capacité des personnes et des communautés à exercer un contrôle sur la définition et la nature des changements qui les concernent » (Rappaport, 1987). Traduction proposée par Y. L Le Bossé (2003). Depuis, la notion s’est fortement diffusée, si bien qu’une grande variété de disciplines en sciences humaines s’en sont emparées pour rendre compte d’une pluralité de phénomènes.

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apparente du champ de la décision et de territorialisation de l’action publique. La notion est fréquemment mobilisée pour rendre compte, notamment dans le contexte nord-améri- cain, des recompositions de l’intervention publique en la matière et des processus à l’œu- vre au sein des expériences de « Développement économique communautaire » (Ninacs, 2002 ; voir également les articles de M. Mendell et M.-H. Bacqué dans ce numéro), l’em- powerment désignant alors la « revitalisation économique et sociale d’un territoire » et « la réappropriation par la population résidente de son devenir économique et social » (Favreau et Lévesque, 1996: XIX). En s’inspirant de cette approche, cet article prend le parti pris d’appréhender l’émergence, la mobilisation collective et l’entrée en politiques publiques d’acteurs français de « l’économie solidaire » comme une forme d’empowerment.

« L’économie solidaire »2 rassemble concrètement un ensemble pluriel d’ex- périmentations socio-économiques de proximité, relevant de champs d’activités variés (entrepreneuriat collectif, accompagnement vers l’emploi et l’auto-emploi, épar- gne et financements dits « solidaires », réseaux d’échanges, commerce équitable, services à la personne…). Historiquement, l’émergence de ces diverses initiatives, qui peut être datée au tournant des années 980, semble fortement corrélée à la double crise, tant éco- nomique que culturelle, qui affecte le compromis fordiste et l’Etat Providence de type keynésien. Tertiarisation de l’économie, érosion du salariat et stabilisation d’un chô- mage structurel important, affaiblissement des solidarités horizontales professionnelles et familiales, crise des finances publiques, « fragilisation culturelle » du « grand sociali- sateur » que constituait l’Etat Providence dans tous les domaines de la vie (Rosanvallon et Viveret, 1977) à la faveur de la montée en puissance des valeurs post-matérialistes (Inglehart, 1977)… les pratiques d’économie solidaire apparaissent dans un paysage en profonde recomposition. Exprimant la revendication pratique et théorique d’un « pou- voir-agir » dans l’économie (Laville, 1994), elles émergent le plus souvent à la faveur de mobilisations localisées visant à prendre en charge, notamment dans le secteur florissant du « tertiaire relationnel », des besoins de proximité non satisfaits, ni par le marché, ni par l’Etat. Censées « démocratiser l’économie à partir d’engagements citoyens » (Laville et Cattani, 2005), leurs praticiens revendiquent des méthodologies d’intervention et des principes organisationnels inclusifs et participatifs, favorisant l’inscription des expérien- ces et des pratiques des usagers dans l’espace public. Se nourrissant d’une remise en cause du caractère institutionnel et abstrait de la redistribution publique en matière de solidarité et de traitement de l’exclusion, les initiatives de l’économie solidaire réactualisent ainsi

« la dimension réciprocitaire de la solidarité vécue » (Laville et Chanial, 2000: 10). Enfin, alors que prolifèrent les phénomènes de désaffiliation (Castel, 1995), une partie d’entre- elles s’attèlent notamment à l’intégration de personnes en difficultés ou exclues dans des emplois de droit commun, favorisant des « itinéraires d’entrée ou de retour sur le marché du travail » (Comeau, Favreau et al., 2001: 54).

2 Cette appellation est l’œuvre d’un groupe de socio-économistes engagés faisant de ce champ de pratiques émergentes leur objet de recherche privilégié, et réunis au sein du Centre de Recherche sur la Démocratie et l’Autonomie (CRIDA). Pour une analyse socio-économique détaillée, voir notamment J.-L. Laville (1994), E.

Dacheux et J.-L. Laville, (2003). En France, « l’économie solidaire » se distingue de l’économie sociale, qui désigne des expériences d’une génération antérieure. Il arrive néanmoins de regrouper les deux familles en une expression synthétique : « l’économie sociale et solidaire ».

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On assiste depuis quelques années en France, dans un contexte de territorialisation croissante de l’action publique, à diverses formes – plus ou moins réussies – de mobilisa- tions et d’entrées en politiques publiques de collectifs d’acteurs de l’économie solidaire à différentes échelles (régions, intercommunalités, communes…). Pour ces derniers, l’enjeu consiste à contribuer à la recomposition économique et sociale de leur territoire d’interven- tion dans des contextes de dévitalisation souvent prégnants. A partir de l’analyse empirique de ce que nous appréhendons comme une tentative d’empowerment, la présente contribu- tion se propose de pointer les évolutions et les permanences que révèle un tel processus.

En Languedoc-Roussillon, au cœur de la Haute Vallée de l’Aude, les praticiens du Bureau pour l’Action Solidaire dans l’Espace Sud Audois (BASE) ont investi l’espace de concerta- tion ouvert par un « pays » en émergence, et se sont vus confier à ce titre, avec le concours de l’Etat, une mission de promotion de l’économie sociale et solidaire3. A de nombreux égards, la politique française des « pays », relative à la Loi d’Orientation pour l’Aména- gement et le Développement Durable du Territoire (LOADDT)4, semble emblématique d’un certain renouvellement des modes d’action publique en matière d’aménagement du territoire et de développement local en milieu rural. Consacrant le territoire comme lieu de définition des problèmes publics et reposant sur le recours aux dispositifs participatifs, elle a constitué une opportunité substantielle d’implication, de reconnaissance et d’influence aux yeux des praticiens audois de l’économie solidaire. Pour ces derniers, néo-ruraux pour la plupart, la mobilisation en faveur d’un modèle alternatif de développement économi- que local s’articule à un enjeu caractéristique des sociétés rurales contemporaines, lié à la question de l’intégration des groupes sociaux qui participent au repeuplement et à la revitalisation des campagnes, et de leur accès à la parole sociale et politique.

Car il traite littéralement du pouvoir, le concept d’empowerment permet d’interroger la forme, mais également la nature des transformations en cours, concernant tant la conduite que la légitimation de l’action publique territoriale. Plus précisément, plusieurs interroga- tions émergent : Dans quelle mesure les praticiens de l’économie solidaire et les groupes sociaux dont ils se font les porte-parole sont-ils susceptibles de s’instituer en interlocuteurs effectifs et légitimes auprès des autorités locales ? Sont-ils à même, au-delà des reconnais- sances formelles, de contribuer substantiellement au processus territorial de conception des politiques publiques en matière de développement économique local et d’influencer leur mise en œuvre ? En dépit d’un réel processus de légitimation des acteurs, l’examen empirique révèle essentiellement les limites auxquelles se heurtent une telle tentative, liées tant aux évolutions des orientations gouvernementales qu’à la permanence de logiques de clôture caractéristiques du contexte institutionnel dans lequel elle s’inscrit.

1. Les opportunités récentes des politiques de développement territorial

Le contexte d’émergence des initiatives d’économie solidaire est aussi celui d’une refonte profonde des modalités et capacités d’intervention de l’Etat Providence, notamment

3 L’enquête empirique a été menée dans la Haute Vallée de l’Aude en 2003. Elle s’inscrit dans un travail de thèse traitant des rapports entre économie solidaire et action publique territoriale.

4 La Loi d’Orientation pour l’Aménagement et le Développement Durable du Territoire (LOADDT), dite

« Loi Voynet », a été adoptée le 25 juin 1999.

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en matière d’aménagement du territoire et de développement local. Depuis les années 1960, l’évolution de ces politiques est emblématique de transformations majeures, concernant tant les conditions d’élaboration que de mise en œuvre des politiques publiques.

1.1 De « l’Etat aménageur » à « l’Etat facilitateur » ?

Caractéristique de la période fordiste, le schéma d’intervention gaullien de « l’Etat aménageur » entendait construire une vision totale, hiérarchisée et équilibrée du territoire français, à la hauteur des enjeux de l’époque (Béhar et Estèbe, 1999). Conduite dans un contexte de croissance économique, cette politique de géographie volontaire est délégi- timée à la suite des chocs pétroliers du milieu de la décennie 1970, ouvrant une période d’instabilité en la matière qui durera jusqu’aux années 1990. Dans un contexte de recom- position majeure des espaces productifs industriels et agricoles, la politique d’aménage- ment du territoire entre dans une période d’incertitudes. Alors que la crise de l’emploi bat son plein, « l’Etat Pompier » tente, sans réel succès, de freiner la dégradation du tissu industriel par une politique d’injection massive de fonds publics concentrée sur les zones sinistrées. Progressivement, sous la double contrainte budgétaire et idéologique du tournant néo-libéral (Jobert, 1994), l’intervention étatique se resserre pour se cantonner au traitement social de la désindustrialisation. Parallèlement, à la faveur du processus de décentralisation, on assiste à la montée en puissance des collectivités territoriales, villes en tête, en matière de développement économique local.

Les années 1990 sont marquées par le renouvellement et l’adaptation des modes d’in- tervention de la puissance publique. Au référentiel de l’aménagement, s’adjoint celui du

« développement territorial ». Au modèle de la « régulation croisée », caractérisé par des mécanismes d’arrangement entre élus locaux et administrations publiques à la périphérie de l’Etat central, succède un modèle de politiques publiques territorialement construi- tes (Duran et Thoenig, 1996). De lieu d’application de politiques exogènes, le territoire devient un espace de coordination entre les acteurs et de définition des problèmes publics.

L’Etat se fait ainsi « facilitateur » ou « accompagnateur », garantissant les conditions de prise en charge locale du développement dans l’ensemble du territoire. A l’instar de la politique des pays, relative à la LOADDT, les politiques dites de « développement ter- ritorial »6 ont ainsi pu être qualifiées de « constitutives » ou « procédurales ». Se distin- guant des actions « substantielles » – produites par une autorité centralisée définissant d’entrée les buts poursuivis et les moyens de les atteindre – les politiques procédurales se caractérisent, selon P. Lascoumes et J.-P. Le Bourhis par la mise en place d’instruments de connaissance, de délibération et de décision peu finalisés a priori (1998: 39-40). Au cœur de cet éventail de procédures, les dispositifs dits participatifs, destinés à associer les citoyens à la décision, prennent une importance grandissante. La légitimité démocra- tique représentative et le recours à l’expertise technique et scientifique semblent en effet devoir de plus en plus se conjuguer avec la mise à disposition d’espaces de débat public

5 Expressions empruntées à D. Béhar et P. Estèbe (2004).

6 Selon A.-C. Douillet, les politiques de développement territorial désignent un « ensemble de politiques de soutien au développement local dont le principe est la constitution de nouveaux « territoires » via des regroupe- ments de communes » (2003: 585)

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et de concertation. Dans le même ordre d’idée, P. Duran et J.-C. Thoenig évoquent des politiques constitutives qui délèguent le traitement du contenu. La puissance publique ne se manifesterait plus par l’édiction de critères universalistes ou la prise en charge globale des solutions, mais édicterait des règles sur les règles, des procédures organisationnelles qui servent de contexte d’action et offrent des positions d’échange et d’ajustement entre les acteurs. Elles seraient dès lors « activées dans l’espoir qu’à travers elles se [créent] des fenêtres d’opportunité pour de l’action collective » (Duran et Thoenig, 1996: 601).

1.2 Récit d’une entrée en politique publique

De fait, les praticiens audois de l’économie solidaire ont profité de l’établissement du Pays de la Haute Vallée de l’Aude pour tenter de faire valoir leur cause. Nouvel échelon de coopération entre les collectivités locales en milieu rural, un « pays » a pour vocation, selon la Loi Voynet, d’être le cadre d’élaboration d’un « projet commun de développement durable ». Affichant le principe d’une association de l’ensemble des acteurs du territoire à l’élaboration, à la mise en œuvre et à l’évaluation des politiques territoriales, la loi fait naître de nombreux espoirs pour un grand nombre de groupements associatifs ruraux. Elle institue en effet des instances de concertation ouvertes à l’ensemble des acteurs locaux, les Conseils de développement, dont la finalité est de définir collectivement un projet de territoire, acté dans une charte de développement durable.

En l’occurrence, les praticiens audois de l’économie solidaire décident d’investir les travaux préparatoires précédant la création du Pays de la Haute Vallée de l’Aude dès leur lancement, courant 999.

« Au moment où s’engage le travail de définition d’un projet commun aux habitants de la Haute Vallée pour déboucher sur une charte en 2001 et sur la mise en place d’un conseil de développement ouvert aux forces vives du territoire, il nous semble important de nous connaître, de nous reconnaître et de nous faire connaître pour constituer un interlocuteur local, en nom collectif, auprès des pouvoirs publics, collectivités locales et services de l’Etat, des acteurs économiques et autres composantes de la vie locale du Sud Audois ». Lettre d’invitation à rejoindre le BASE Sud Audois, non datée.

Forts d’une réelle connaissance du dispositif, ils interpellent les élus initiateurs de la démar- che afin d’y être associés, « en tant que personnes contributives qui participent à l’animation de la vie locale, qui ont créé des activités et engendré un nombre significatif des emplois de cette zone ». Ils demandent officiellement la création et l’animation d’une sous-commission supplémentaire, dédiée à l’économie solidaire. Le principe accepté, l’implication des membres du BASE Sud Audois sera forte et soutenue tout au long des travaux de préparation de la charte de territoire, et elle est encore effective au sein du Conseil de développement.

A plusieurs égards, la « structure des opportunités politiques »7 s’est avérée, au cours de la législature de Lionel Jospin, particulièrement favorable aux acteurs de l’économie soli- daire dès lors qu’ils étaient collectivement organisés. La mise en œuvre de la LOADDT

7 Le concept de « structure des opportunités politiques » rend compte de l’ensemble des contraintes et opportunités politiques caractéristiques du contexte dans lequel s’inscrivent les mouvements sociaux. Il permet notamment d’appréhender l’ensemble des opportunités ouvertes par la structure institutionnelle et les évolutions de l’agenda gouvernemental dans un système politique donné (Mc Adam, 1996).

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s’est en effet accompagnée d’une politique nationale incitatrice, visant à encourager la prise en compte de l’économie sociale et solidaire dans les diverses contractualisations territoriales. La circulaire du 5 septembre 2000, à l’initiative du Secrétariat d’Etat à l’Eco- nomie Solidaire et du Ministère de l’Aménagement du Territoire et de l’Environnement, indique en effet que l’économie solidaire, « issue d’une démarche territoriale initiée par les acteurs locaux », doit pouvoir se retrouver dans les instances territoriales de concer- tation existantes ou à créer et doit pouvoir bénéficier de financements inscrits dans les différentes contractualisations, qu’il s’agisse des contrats de plan, des contrats de pays, des contrats d’agglomération ou des contrats de ville, cette reconnaissance pouvant être formalisée dans le cadre de conventions pluriannuelles d’objectifs. La démarche dite de

« convention territoriale », initiée par le Secrétariat d’Etat à l’Economie Solidaire, avait ainsi pour ambition de structurer et d’installer durablement les relations entre les collec- tivités locales (pays, intercommunalités, agglomérations, communes) et les acteurs de l’économie sociale et solidaire du secteur, se basant sur « un engagement réciproque pour un projet de développement territorial ». Le BASE Sud Audois bénéficie de ce disposi- tif, et, à la faveur de son engagement au sein du Pays de la Haute Vallée de l’Aude, est désigné comme l’instance de pilotage d’une convention territoriale pluriannuelle pour la promotion de l’économie sociale et solidaire, signée le 9 novembre 2002 avec l’Etat et le Syndicat Mixte de la Vallée de l’Aude et des Pyrénées Audoises8. Ainsi, la participation active au processus de concertation permet à l’association d’étoffer son programme d’ac- tion, d’obtenir des moyens financiers conséquents et de s’instituer en interlocuteur obligé des instances officielles du Pays. Ces dernières reconnaissent officiellement :

« - L’intérêt de l’économie solidaire qui peut constituer une des composantes signifi- catives du développement de l’économie du Pays de la Haute Vallée de l’Aude face aux mutations industrielles en cours,

- La mise en place, dans le cadre du processus de mobilisation des acteurs locaux sur le projet de Pays de la Haute Vallée de l’Aude, d’une commission de travail Economie Solidaire,

- Les réflexions de la dite commission et son apport au niveau de la charte de Pays de la Haute Vallée de l’Aude dans la définition d’un développement économique équilibré et durable. » Convention territoriale au titre de l’économie sociale et solidaire sur la Haute Vallée de l’Aude – BASE Sud Audois, 9 novembre 2002.

2. Ressorts et enjeux d’une implication institutionnelle

Le BASE Sud Audois regroupe une quinzaine de membres actifs, impliqués profes- sionnellement dans le champ de la création d’activités. Recoupant l’arrondissement de la ville de Limoux, au sud de Carcassonne, la Haute Vallée de l’Aude est leur lieu de vie, d’intervention professionnelle et d’implication associative. Terre de migration néo-rurale depuis près de trente ans, elle est également leur territoire d’adoption. Dans un contexte de mutations économiques, sociales et démographiques majeures, l’analyse de leurs tra-

8 La convention sera signée avec la Préfecture de région le 9 novembre 2002, permettant un engagement sur crédits en 2002. 50 % des fonds sont apportés par l’Etat, l’autre moitié se répartissant entre les fonds propres de l’association, un apport du FEDER (Fonds Européen de Développement Economique Régional), et une contri- bution du Conseil Général de l’Aude.

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jectoires personnelles et professionnelles et des modalités d’élaboration d’une parole collective permet de comprendre les ressorts d’un processus d’empowerment, les condui- sant à s’inviter dans l’action publique territoriale afin d’importer « l’économie solidaire » comme enjeu de politiques publiques. L’implication au cœur du Pays de la Haute Vallée de l’Aude trouve dès lors ses fondements dans l’aspiration à la reconnaissance, par l’en- vironnement local, de leurs compétences professionnelles, de l’utilité sociale de leurs activités respectives et de leur contribution à la recomposition d’un territoire économi- quement, socialement, voire démographiquement sinistré. Bien plus, au nom de l’exem- plarité de leurs pratiques professionnelles, ce désir s’accompagne de volontés d’influence et de contribution à l’orientation des politiques publiques.

2.1 Sociogenèse d’une mobilisation sociale territorialisée

« Nous sommes devant un choix : céder au cynisme du désespoir ou, au contraire, renouveler notre attention, forcer nos imaginations, affirmer notre solidarité. (…) Au quotidien, il dépend avant tout de nous, gens d’ici ou devenus tels, que ce pays où il fait bon vivre devienne ou non un pays où l’on peut vivre »9

A l’instar de nombreux territoires ruraux, la Haute Vallée de l’Aude est affectée par le déclin séculaire de son économie et de sa population. L’histoire économique des deux derniers siècles apparaît en effet comme celle d’« une perte radicale de l’autonomie de la contrée, c’est-à-dire de sa capacité à reproduire ses terres, sa force de travail, ses capi- taux » (De Ravignan, 2003: 141). Le développement intensif de la monoculture vinicole, engendrant une dépendance accrue au marché et des crises de surproduction à répéti- tion, a eu des effets considérables sur l’économie régionale et l’équilibre démographique (Théveniaut, 1999: 29). Si, pendant un temps, le succès de l’industrie rurale a freiné la dépopulation et la dévitalisation économique liées à l’évolution de l’agriculture, les principaux employeurs industriels (chapellerie, bois, chaussures) ont aujourd’hui défini- tivement fermé leurs portes0. La Haute Vallée de l’Aude a ainsi perdu, depuis plus d’un siècle et demi, la moitié de sa population, pour devenir une zone de faible densité démo- graphique. Le solde naturel étant déficitaire (INSEE, 2000), la stabilisation démographi- que s’explique, depuis 1975, par une immigration d’origine majoritairement urbaine et extérieure au département, suffisamment importante pour prendre le pas sur le tradition- nel exode rural. Témoignant d’un profond mouvement de re-ruralisation, le flux des arri- vées n’a pas fléchi, et c’est dans les années récentes que l’on repère le plus grand nombre de migrants. Ces derniers représentent désormais plus du tiers de la population rurale avec une proportion de l’ordre de la moitié des classes jeunes et actives (De Ravignan, 2003: 87, 98). Contrastant avec l’idée d’un « retour à la terre », seulement 20 % seraient agriculteurs, les autres travaillant dans l’artisanat et le commerce, les domaines culturels et éducatifs, et les activités de services (De Ravignan et Théveniaut-Muller, 2001: 47).

D’origine plutôt urbaine, parfois étrangères, la migration correspond d’ailleurs pour 40 %

9 François de Ravignan, L’avenir d’un désert. Au pays de la Haute Vallée de l’Aude, Atelier du Gué, nou- velle édition mise à jour, 1996, 2003. François de Ravignan est membre du BASE Sud Audois.

0 Alors que l’industrie de la chapellerie (Couiza, Esperaza) a pratiquement disparu, les sociétés Myris à Limoux (chaussures) et Formica à Quillan (bois) ont définitivement fermé leurs portes.

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d’entre eux à un changement d’activités. Alors que l’exode rural avait engendré une sim- plification massive de la société rurale pour n’en faire qu’une société agricole (Mendras, 1976), ce phénomène migratoire diversifié participe d’une recomplexification du tissu social rural, caractérisée par la coexistence de groupes sociaux aux situations profession- nelles, aux ressources et aux représentations différenciées (Gilbert, 2002).

Par leurs parcours de vie et leur identité professionnelle et militante, les praticiens audois de l’économie solidaire sont directement parties prenantes de ce mouvement majeur de recomposition démographique et socio-économique. « Adoptifs » et « néo-ruraux » pour la plupart, leur trajectoire biographique matérialise un choix de vie conforme à certaines aspirations, le sentiment de rupture avec le modèle urbain et dominant de réussite sociale s’accompagnant d’une volonté d’expérimentation socio-économique. A la fin des années 980, la création de sa propre activité rencontre un terreau favorable en milieu rural. La mise à son compte apparaît progressivement comme une solution aux problèmes de chô- mage et de plus grande précarité de l’emploi salarié (Negro, 1995: 40). La Haute Vallée de l’Aude connaît à cette époque une forte aggravation du chômage et de l’exclusion. Entre les recensements de 1982 et de 1990, le taux de chômage passe ainsi de 10 % des actifs à près de 16 % (INSEE, 1999: 23), alors que le nombre de rmistes ne cesse de croître2. Dans un contexte de détérioration préoccupante de la situation économique et sociale, les futurs membres du BASE Sud Audois élaborent divers projets collectifs dans le champ de l’insertion et de l’accompagnement à la création d’activités. Plusieurs structures émer- gent, expérimentant dans divers secteurs (récupération et recyclage des déchets, servi- ces de proximité, artisanat et commerce, activités agro-rurales, tourisme…), la création d’entreprises et la mise en situation de travail de chômeurs ou de personnes « privées de place sociale »13. Les dispositifs de prise en charge des « natifs » étant souvent distincts, ces structures tendent finalement, un peu à la manière des premiers néo-ruraux, à faciliter l’installation des nouveaux arrivants et à faire du milieu rural un espace d’accueil. Dans un contexte de « migration de la pauvreté urbaine » (Got, 2002: 5), une part croissante des nouveaux migrants arrive en situation de très grande exclusion, tranchant avec les généra- tions précédentes qui disposaient de capacités d’adaptation supérieures.

Tout en contextualisant un engagement professionnel et militant spécifique, l’analyse sociographique permet de repérer un certain nombre de « déterminations expérientielles » significatives (Sawicki, 2003).

2 En 2002, l’Aude était le cinquième département de France quant au nombre d’allocataires du RMI (GOT, 2002). Le taux de chômage atteint en 2004 le taux de 16,70 % dans la Haute Vallée de l’Aude (source : CAF de l’Aude).

13 Le BASE Sud-Audois constitue une plate-forme de personnes physiques et morales. Il rassemble une dizaine d’initiatives : parmi celles-ci notons l’association ESPERE (ESPacE Ruralité Emploi ; insertion socio- économique des nouveaux arrivants), l’association LE PARCHEMIN (née à la suite d’une mobilisation éco- logiste contre un projet de décharge ; récupération et recyclage des déchets, activités de réinsertion sociale et professionnelle), les associations ADEAR (Association pour le Développement de l’Emploi Agricole et Rural ; Structure d’appui à l’installation progressive en agriculture) et ACCUEIL PAYSAN (groupe d’hébergeurs pro- posant un accueil à la ferme), le centre résidentiel thérapeutique TOURNEBOUIX (accompagnement médico- psychologique, socio-éducatif et d’insertion à destination de personnes addictives), la coopérative d’activités TRAIT D’UNION (rattachée à la Société Coopérative de Production SAPIE ; accompagnement à la création d’activités), la Société Coopérative d’Intérêt Collectif CADERONNE (nouveau statut multi-partenarial et socié- tarial ; animation touristique et culturelle), ou encore la Société Anonyme à Responsabilité Limitée COULEUR TERRE (fabrication d’enduits et construction écologique)…

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2.2 De l’entre soi à la projection externe : « Vivre, ensemble, dans un même territoire »

Dès l’origine, l’imbrication des registres personnels, professionnels et militants est centrale. La mise en réseau des différentes initiatives s’opère autour d’une identité pro- fessionnelle militante, en dépit de l’hétérogénéité des domaines d’activités. C’est au nom d’un impératif commun de solidarité que prend corps l’action collective et l’organisation associative. Le portage politique de l’association, constituant un bureau de personnes physiques et non pas une fédération d’organisations, est le fait d’un « collectif » et non pas d’un conseil d’administration, ce afin de respecter le principe de la « parité du statut de parole » dans le débat et la prise de décision, donnant le privilège à l’implication per- sonnelle sur les rôles statutaires. Comme programme et principes d’actions, ce collectif se fixe trois défis : « la lutte contre la paupérisation et l’exclusion sociale », « l’améliora- tion des conditions du retour à l’emploi pour ceux qui réussissent à sortir des circuits de l’insertion », et « la mise en valeur des ressources locales, des potentiels d’activités, en réponse à des besoins socialement utiles ».

Progressivement, au fil des échanges, les membres de l’association se reconnaissent dans les principes de « l’économie solidaire », se sentant parties prenantes d’un nouveau courant d’action et de pensée14 (Théveniaut, 1999 ; Théveniaut, 2005). « Généralisation non encore stabilisée de pratiques empiriques diverses et mouvantes » (Dacheux et Goujon, 2001: 23), le concept a l’avantage d’être suffisamment inclusif pour permettre à chacun de s’en revendiquer, en dépit de modes d’appropriation différenciés. Il constitue le support majeur d’un travail de montée en généralité, permettant à ces professionnels de la création d’activité de porter, à partir de leur expérience professionnelle respective, une parole collective à l’échelle territoriale susceptible d’interpeller les autres composantes et groupes sociaux.

Cette interpellation, au sens figuré comme au sens propre (au sein même du conseil de développement), se fait sur le registre d’une injonction à la reconnaissance : recon- naissance par l’environnement local d’une identité et de compétences professionnelles spécifiques et originales ; reconnaissance surtout, de l’utilité sociale des activités mises en œuvre. Au cours des différentes réunions de travail organisées dans le cadre de la sous- commission « économie solidaire », les membres du BASE Sud Audois ont ainsi l’occa- sion de mettre l’accent sur l’ensemble des « spécificités méritoires » de leurs activités.

L’administration de la preuve d’une telle utilité sociale est chargée d’enjeux (Gadrey, 2004). Elle est liée à la question de la pérennisation, notamment financière, de cet ensem- ble d’initiatives souvent fragiles.

La promotion de l’économie solidaire s’articule par ailleurs à un autre enjeu, lié à leur parcours de vie et à leur expérience professionnelle. Leur situation de migrant engendre de fait un rapport ambigu au territoire d’adoption et à ses occupants historiques. La

14 Ainsi qu’en a témoigné Martine Théveniaut, membre active du BASE Sud Audois, la conceptualisation de l’économie solidaire « a ouvert, au moment où elle a été connue, pour un certain nombre de personnes dont je fais partie, un horizon dans lequel il soit possible de concevoir assez concrètement une action qui replace l’homme au cœur d’un projet social et politique et de progresser en se demandant quels échanges économiques sont humanisants. » (Théveniaut, 1999 : 123).

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société « native », représentée par ses élus, renvoie aux membres du BASE une image contrastée, entre reconnaissance obligée et partielle de leurs initiatives, et stigmatisation de leurs « modes de vie ».

« Je m’occupe de l’économie au Conseil Général, donc de temps en temps j’en parle de cette économie alternative… j’en parle à des amis… Et souvent j’ai un accueil qui n’est pas… Ils n’abordent pas le sujet avec le sérieux que ces gens méritent. (…) Il y a une explication à tout. Beaucoup des composantes de cette économie solidaire sont des migrants… Peut-être qu’ils ont ressenti des difficultés d’intégration. Peut-être qu’elles ne tiennent pas à leur personnalité de migrants, mais beaucoup plus à leur façon de vivre. Mais ça, il faut en parler, tranquillement… Voilà, parce que c’est ça ce pays… (…) Les gens disent : ils ne sont pas tout à fait comme nous, ils ne vivent pas pareil, qu’est- ce qu’ils font, et puis ce côté intellectuel, ce côté débat… tout ça. » M. M., Conseiller Général. Entretien réalisé à Axat le 30/04/03.

En retour, les représentations qu’ils peuvent avoir de la société native sont nuancées, admettant que la population « autochtone » s’est avérée somme toute accueillante.

« Il n’y a pas plus de résistance ici qu’ailleurs, il y a une capacité d’innovation, une ouverture d’esprit très grande comparativement à d’autres régions où les cultures sont beaucoup plus fermées. On a une société traditionnelle qui est en pleine mutation et cher- che des façons de s’organiser qui soient tolérantes. Sans être prête à s’engager massive- ment dans une démarche qui soit différente des démarches classiques et qui lui appartien- nent, elle est quand même attentive à ce qu’on peut proposer. » N. R., membre du BASE Sud Audois. Entretien réalisé à Saint Sernin le 13/05/03.

Ils critiquent néanmoins des formes d’inertie et de résistance au changement supposées particulièrement patentes chez ses représentants politiques. Les reproches se concentrent sur l’immobilisme de la classe politique locale. Cette dernière, ruraliste, en grande majo- rité socialiste, constitue un réseau notabiliaire assez peu perméable à leurs yeux.

« Je ne suis pas de Limoux, j’ai pas mes réseaux familiaux ici, j’ai pas… des systèmes assez complexes de clientélisme, de service rendu, de soutiens familiaux… enfin, ce côté là qui est très puissant ici. Des choses liées au familial, liées au politique qui sont vrai- ment importantes. C’est très dur d’y pénétrer… même c’est pas pénétrable, pour des gens comme nous…C’est pour ça qu’on est sûrement étrange dans le territoire, pour beaucoup de gens… ». B. B., membre du BASE Sud Audois. Entretien réalisé à Limoux le 10/04/03.

Le constat de l’ampleur des processus de dévitalisation et de désertification, associé au sentiment que les solutions jusque-là envisagées par la société « native » se sont avérées inefficaces, les conduisent ainsi à concevoir leur activité associative et professionnelle comme une contribution significative à la recomposition du tissu économique et social de la Haute Vallée, légitimant par là même l’action collective. L’économie solidaire est présentée comme une solution crédible de revitalisation. A la promotion du producti- visme agricole et touristique « à tout va », il s’agit de proposer d’autres perspectives de développement local, telles que la mise en œuvre de « circuits courts », la mobilisation de l’épargne de proximité et la création d’activités innovantes en matière environnementale, agricole ou relationnelle.

Des questions de revitalisation socio-économiques, les propositions s’élargissent aux enjeux de la recomplexification sociale et démographique de l’espace rural. Chargés d’accueillir, d’orienter et d’accompagner les nouveaux arrivants dans leur installation,

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eux-mêmes « adoptifs », ils s’instituent en quelque sorte comme porte-parole de la population migrante.

« La personne au cœur d’un projet de vie, le sien, est ce moteur humain, cette énergé- tique que nous partageons : le choix de vivre là, d’y trouver son activité ou de trouver les moyens de vivre. […] De par cette expérience, les fondateurs du BASE Sud Audois sont persuadés que le projet de vie que chacun porte en soi est un moteur humain de dévelop- pement personnel, de renouvellement de la vie sociale et culturelle locale, et de la mise en valeur des ressources de l’espace Sud Audois. La conviction qu’il s’agit là d’une voie féconde est leur raison d’agir en tant qu’acteurs solidaires de ce territoire. » BASE Sud Audois, Compte rendu et programme des journées de réflexion organisées par l’associa- tion les 20 et 2 octobre 200.

Valorisant la contribution de la population migrante au développement endogène de la Haute Vallée de l’Aude, ils préconisent l’établissement de politiques efficaces et cohéren- tes d’accueil des nouveaux arrivants, en y intégrant notamment les questions de l’accès au logement et au foncier. De manière plus générale, ils expriment le vœu qu’elle soit pleinement intégrée à son territoire d’adoption et puisse prendre part, dans l’optique d’un

« mieux vivre ensemble », à la définition de son avenir.

Les représentations proprement politiques sont liées à cet enjeu caractéristique des socié- tés rurales contemporaines, à savoir le problème de l’accès à la parole sociale et politique des groupes sociaux qui ont participé au repeuplement des campagnes. Si l’entrée récente de certains néo-ruraux dans les conseils municipaux témoigne d’une intégration politique relative, des formes tacites de division du travail politique demeurent, si bien que la propor- tion numérique des migrants dans l’exercice du pouvoir politique local reste sans commune mesure avec leur apport numérique. Les trajectoires personnelles et professionnelles des praticiens audois de l’économie solidaire, parties prenantes de cette nébuleuse néo-rurale, induisent des modes de politisation différenciés de ceux de la société politique « native » et des représentations concurrentes du politique et de la démocratie. En contrepoint d’un système représentatif local fortement stigmatisé car il apparaît comme tendanciellement excluant à l’égard de la population migrante, la notion de démocratie participative s’impose comme une sorte de « plus-value démocratique » (Mathieu, 1999).

A travers l’investissement et l’occupation des dispositifs participatifs, l’interpellation et le débat, il s’agit de garantir l’authenticité du principe annoncé dans la LOADDT d’une ouverture à toutes les « forces vives » du territoire, tout en contestant symboliquement la monopolisation de la légitimité démocratique par les élus locaux. Privés d’un accès aux réseaux politiques notabiliaires traditionnels et désirant s’en démarquer, ils tentent par ce biais de poser la question centrale d’une modification des règles du jeu politique local, dans le sens d’une plus grande démocratisation et d’une évolution des interactions entre praticiens et décisionnaires.

3. Une contribution effective heurtée

Force est de constater que malgré leur implication active dans le dispositif participatif établi par le Pays de la Haute Vallée de l’Aude, les volontés de contribution des praticiens audois de l’économie solidaire à l’orientation des politiques publiques territoriales se sont heurtées à différents types d’obstacles, tant conjoncturels que structurels. Ils sont

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liés à l’évolution de l’offre politique nationale d’une part, à la permanence des logiques de clôture au cœur des politiques de développement territorial d’autre part, en dépit des nouvelles rhétoriques de l’action publique.

3.1 Les effets de l’alternance politique

La brève mise à l’agenda de l’économie solidaire a contribué à la consolidation ins- titutionnelle et financière d’initiatives restées longtemps informelles et expérimentales.

Si le début de reconnaissance publique nationale de l’« économie solidaire » en tant que telle date d’un discours du Premier Ministre Lionel Jospin, prononcé le 25 juin 1998 lors de l’installation du Conseil National des Villes15, elle se concrétise le 27 mars 2000, lors de la création du Secrétariat d’Etat à l’Economie Solidaire. Il semble opportun de relier cette inscription de l’économie solidaire à l’agenda gouvernemental à la « politique asso- ciative » mise en œuvre par le gouvernement socialiste (1997 à 2002). Selon P. Warin, les projets d’institutionnalisation de ce « partenariat associatif » visent d’une part, la recon- naissance de l’économie solidaire et de la valeur économique essentiellement non moné- taire de l’activité associative et d’autre part, auraient été conjointement mis en œuvre dans un objectif proprement politique, celui de « limiter l’emprise du marché sur la vie sociale » (Warin, 2002: 48).

Outre les efforts accomplis pour normaliser les rapports entre les associations et les pou- voirs publics qui les financent, l’enjeu consistait à établir et reconnaître les associations et les initiatives d’économie solidaire comme acteurs économiques à part entière, pour- voyeurs d’emplois et créateurs d’activités. La « politique associative » du gouvernement de Lionel Jospin s’est notamment matérialisée par la normalisation du cadre réglementaire des conventions pluri-annuelles d’objectifs6 liant la puissance publique et les associations.

Instaurant une plus grande souplesse et une plus grande efficacité dans les procédures de versement des aides financières de l’Etat, elle a pour objectifs de sécuriser les projets asso- ciatifs et de consolider leurs activités sur une durée maximale de trois ans, éventuellement renouvelable. Elle place ainsi l’ensemble des relations avec les associations dans un cadre contractuel homogène, permettant à chaque partenaire de rendre compte de ses engage- ments et d’obtenir une évaluation des résultats. Les conventions territoriales de promotion de l’économie sociale et solidaire, à l’instar de celle dont a bénéficié le BASE Sud Audois, reproduisent dès lors ce schéma dans le cadre de diverses contractualisations territoriales17.

L’alternance politique de mai 2002 signe la disparition du Secrétariat d’Etat à l’Econo- mie solidaire et l’arrêt, dans la majorité des territoires concernés, du financement lié aux conventions territoriales pluriannuelles. Dans la Haute Vallée de l’Aude, les engagements financiers de l’Etat ne sont donc pas tenus et les crédits affectés au BASE Sud Audois

15 « La place de chacun et de chacune dans l’organisation urbaine, l’unité sociale fondée sur l’engagement dans la vie de la cité et du développement d’activités d’intérêt collectif, constituent ce qu’on appelle l’économie solidaire », Lionel Jospin, Installation du Conseil National des Villes, Discours prononcé le 25 juin 1998, cité par Martine Théveniaut.

6 Circulaire du Premier ministre, « relatives aux conventions pluri-annuelles d’objectifs entre l’Etat et les associations », en date du 1er décembre 2000.

17 Circulaire du 5 septembre 2000, à l’initiative du Secrétariat d’Etat à l’Economie Solidaire et du Ministère de l’Aménagement du Territoire et de l’Environnement.

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dans le cadre de sa mission de promotion de l’économie sociale et solidaire à l’échelle du territoire sont gelés.

Outre cet infléchissement dans le financement affectant directement le programme d’actions que s’était fixée l’association et posant la question de sa pérennisation, l’évolu- tion des orientations gouvernementales nationales a eu des effets indirects sur les moda- lités concrètes comme la portée de l’implication institutionnelle du BASE Sud Audois.

Le nouveau gouvernement a notamment amorcé une révision législative de la LOADDT, visant à simplifier des procédures jugées trop complexes, qui a duré près de neuf mois et donné lieu à l’examen du texte en commission mixte paritaire et à une saisine du Conseil Constitutionnel.8 Le climat d’incertitude quant à l’avenir des pays et de leurs attributions a généré de l’attentisme chez certains élus locaux. De fait, le processus de constitution du Pays de la Haute Vallée de l’Aude a été fortement ralenti. La procédure de validation de la Charte de développement s’est avérée très laborieuse, alors que la reconnaissance officielle du périmètre définitif du pays a été retardée, en raison notamment de l’évolution de la composition du Syndicat mixte de la Haute Vallée de l’Aude (retrait de certaines structures intercommunales et adhésion de nouvelles). La finalisation du plan d’actions détaillé et l’arbitrage entre les priorités d’interventions, de même que la véritable mise en action du Conseil de développement dépendent directement de la mise en application du Contrat de Pays. Or, au 30 avril 2005, ce dernier n’était toujours pas signé9.

3.2 Logiques de clôture

Si ce contexte incertain n’a pas permis de favoriser l’émergence de l’économie solidaire comme enjeu de politiques publiques, les membres du BASE Sud Audois ont également du faire face à des logiques de clôture majeures, propres au champ politique local. Lors du lancement de la démarche de pays par les élus locaux, ces derniers ont appelé largement au « volontariat et à la participation de tous », la loi reposant en effet sur un principe de coopération et d’ouverture obligatoire, condition sine qua non d’une contractualisation permettant d’accéder aux ressources financières des contrats de plan Etat-Région :

« Un impératif partenarial. Le Pays doit être l’affaire de tous les élus mais il ne doit pas être l’affaire des seuls élus. La participation effective des acteurs économiques, sociaux et associatifs est indispensable pour en faire le moteur d’une véritable dynamique de développement. Le contenu et la pertinence de la charte seront ainsi étroitement liés à la mobilisation des acteurs et aux synergies qui se créeront » Syndicat Mixte de la Vallée de l’Aude et des Pyrénées Audoises, Couleur Pays, Lettre d’information n°1, mai 2001.

Au final, en dépit d’une participation active au processus de consultation se tradui- sant notamment par la création et l’animation d’une sous-commission, les références à l’économie solidaire se sont avérées bien minces. Il est en effet simplement question de l’existence de cette sous-commission.

Les membres du BASE Sud Audois ont en outre tenté de pénétrer au sein du comité

8 La loi Urbanisme et habitat n° 2003-590 du 2 juillet 2003.

9 Suite à une circulaire du délégué à l’aménagement du territoire et à l’action régionale (DATAR) datée du 20 décembre 2004, la date limite de signature des contrats de pays et des contrats d’agglomération conclus en application du volet territorial des contrats de plan Etat-régions a été reportée au 30 juin 2005.

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de pilotage du pays, rassemblant notamment le Conseil Général de l’Aude, le Conseil Régional du Languedoc Roussillon, les chambres consulaires (chambre de commerce et d’industrie, chambre des métiers, chambre d’agriculture), et enfin une association para-départementale, chargée de mettre en œuvre la politique de développement local du Conseil Général, l’Association Audoise de Développement Local. Mais ces derniers n’ont pas pu y accéder, à la différence d’acteurs jugés plus légitimes et représentatifs.

« On a pas franchi la barre du politique. (...) On l’a demandé et on l’a pas obtenu. C’est que tout simplement on a pas cette représentativité qui légitime les autres. Nous, kesako économie solidaire ? On a pas le statut d’un organisme consulaire. » M. T., membre du BASE Sud Audois. Entretien réalisé à Alet-les-Bains le 14/05/03.

Dernièrement, les chambres consulaires ont demandé leur intégration effective au sein même du Syndicat mixte, et l’ont obtenue avec succès. Pour les praticiens audois de l’économie solidaire, l’accès au cercle des interlocuteurs autorisés et principaux, suscep- tibles de filtrer ou réinterpréter les propositions issues des démarches participatives, s’est avéré au contraire fort restreint.

L’examen de la structuration historique récente du champ politique local permet de com- prendre les ressorts de cette mise à l’écart des instances officielles du pays comme de la margi- nalisation de la thématique de l’économie solidaire au sein de la charte. Autour de problèmes donnés et sur des périodes plus ou moins longues en fonction des territoires, on peut repérer

« l’existence de cercles d’acteurs assez stables qui dépendent étroitement des sociétés locales, de leurs héritages sociaux et culturels, des conflits internes et externes qui les structurent » (Loncle-Moriceau, 2001 : 68). Etablissant leurs modalités propres de concertation au niveau local, ces « configurations locales d’acteurs » font preuve d’une capacité d’ouverture plus ou moins souple à de nouveaux thèmes et de nouveaux entrants. Le lancement de la démarche de Pays, en octobre 1999, doit notamment être rapporté à la préalable mise en œuvre d’un « pro- gramme de développement de la Haute Vallée de l’Aude ». Initié dès 1997 par les services de la Sous-Préfecture de Limoux, en liaison avec le Conseil Général de l’Aude, il visait à concentrer les interventions et les financements européens, nationaux, régionaux et départementaux « en faveur d’un développement concerté de l’arrondissement ». En réaction aux effets attendus de la déprise industrielle locale (difficultés notamment de la société limouxine Myris, qui allaient déboucher sur la fermeture définitive de l’usine en mai 2000), cette « convention de revitalisa- tion » a permis d’appeler sur la zone près de 23,2 millions d’euros de subventions publiques.

Postérieure, la constitution du pays s’inscrit ainsi dans un schéma préétabli, ce programme ayant engendré des habitudes de concertation, un réseau local d’acteurs stabilisé et des thé- matiques d’intervention récurrentes. En matière organisationnelle, il a donné lieu à la création d’une « cellule entreprise » qui, se réunissant tous les mois à l’initiative de la sous-préfecture, a contribué à consacrer des acteurs légitimes et reconnus du développement local20. Ce cercle d’acteurs a de plus contribué à stabiliser des principes et des modalités d’intervention en

20 Cette cellule rassemblait les services de l’Etat, les collectivités territoriales (CG et CR), les trois chambres consulaires et des « institutions et organismes économiques » : Pépinière d’entreprises de Limoux, Plate-forme d’Initiatives Locales Haute Vallée de l’Aude Initiatives, Société pour le Développement de l’Industrie et de l’Emploi (SODIE), Agence nationale de valorisation de la recherche, dite «Agence française de l’innovation»

(ANVAR), Languedoc Roussillon Prospection, la Banque du développement des Pme ou encore la Cellule Locale d’Accompagnement Technologique.

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la matière. Elles sont notamment axées autour du soutien aux PME-PMI et à la création de zones d’activités économiques visant à réindustrialiser les sites en difficultés ; de l’ap- pui à l’activité touristique marchande ; du développement agricole et agro-alimentaire ; et enfin de l’amélioration de l’habitat. De fait, cet ensemble de recettes d’action publique se retrouve réactualisé dans la démarche de pays et consigné dans la charte de développe- ment, le dispositif participatif de consultation ne l’ayant modifié qu’à la marge2. Au final, ce programme laisse peu de place aux promoteurs de l’économie solidaire. A la différence par exemple des acteurs du tourisme marchand de la Haute Vallée de l’Aude, qui se voient associés au futur Schéma Local d’Organisation Touristique qui s’inscrit dans les grandes lignes de la stratégie touristique départementale, ou de la pépinière d’entreprises de Limoux qui demeure le référent principal en matière de développement économique local.

De fait, le BASE Sud Audois ne dispose pas des ressources suffisantes pour prendre directement part au jeu politique local. En raison du caractère récent et peu lisible de la mouvance dans laquelle elle s’inscrit d’une part, de la non appartenance de ses membres à la société « native » d’autre part, la progression de l’association suscite parfois des réticences de la part d’élus ou d’acteurs concurrents qui, empruntant les voies de la stig- matisation ou de l’ironie, sont autant de formes de délégitimation.

« Comment ils sont perçus par les autres élus ? Pas toujours facile. Pour certains d’entre eux, cette économie solidaire s’apparenterait à une voie de garage, où on ne sait pas très bien ce qu’on y fait… C’est peut-être pas exprimé aussi violemment, mais il n’y a pas toujours une adhésion franche, massive et spontanée à cette affaire là. Il y en a qui rient un petit peu… C’est un peu de la dérision… ». M. M., Conseiller Général. Entretien réalisé à Axat le 30/04/03.

Ses membres ont néanmoins déployé des stratégies de contournement visant, par la voie de la constitution d’une intervention experte collective, à retourner le « stigmate », afin de tenter tout de même d’influencer l’orientation des politiques territoriales. Lorsqu’elle était encore effective, la convention territoriale a en effet permis au BASE Sud Audois de mettre en chantier une étude collective sur les nouvelles populations résidentes dans la Haute Vallée de l’Aude. Lancée en 2003, cette enquête visait à actualiser les connais- sances sur les flux migratoires de la dernière décennie et à déterminer leurs enjeux sur les activités émergentes. Menée collectivement et en partenariat avec un consultant, elle a reposé sur un cadrage statistique et une analyse qualitative fouillée visant à recenser les nouveaux ménages, décrire les conséquences de leur arrivée et les actions communales mises en œuvre22. Cette intervention experte signe le passage du statut de réseau spéci- fique de compétences à celui d’ « organe de proposition et d’orientation de politiques territoriales », tout en permettant à ses membres de mieux comprendre et accompagner un mouvement d’installation dont ils sont eux-mêmes parties prenantes. Elle se fonde sur deux registres de légitimité complémentaires : « légitimité de l’expérience » (Mathieu, 1999 : 12), reposant sur l’expérience professionnelle et une connaissance de l’intérieur,

2 Le Syndicat Mixte a ainsi décidé de prolonger, au titre du pays, une « Opération programmée d’amélio- ration de l’habitat de revitalisation rurale de la Haute Vallée de l’Aude », entamée par le programme d’action publique précédent.

22 Signe d’une certaine reconnaissance, l’enquête est en ligne sur le site du Pays de la Haute Vallée de l’Aude : http://www.payshva.org/payshva/article.php3?id_article=97

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chargée d’affectivité parce que directement vécue, et légitimité technique, acquise col- lectivement au long de la réalisation de l’enquête. L’enquête a permis à l’association d’ « enrôler » une grande diversité de partenaires à travers la constitution d’un comité de pilotage élargi23, et d’accroître considérablement sa visibilité et sa notoriété. A tra- vers diverses réunions publiques de restitution, elle a permis d’informer et d’interpeller l’ensemble des parties prenantes du territoire sur l’ampleur de la migration et l’enjeu que constitue la mise en œuvre de politiques d’accueil cohérentes et volontaristes. Elle lui a permis d’être en mesure de proposer quelques actions dans le cadre de la négociation du futur contrat de pays. L’avenir dira si ces propositions seront retenues…

Conclusion

Parties prenantes du mouvement néo-rural, professionnels de la création d’activités, les praticiens audois de l’économie solidaire revendiquent une place d’interlocuteurs effectifs dans leur territoire d’adoption et d’intervention. Tirant parti des opportunités ouvertes par un dispositif d’action publique émergent et participatif, ils ont tenté de poser la question centrale d’une modification tangible des règles du jeu politique local et de l’orientation des politiques de développement local. Si l’effectivité de leur implication institutionnelle témoigne de certaines mutations de l’action publique territoriale, l’évolution du contexte national, l’existence de réticences latentes et le verrouillage local des scènes de décisions ont émoussé une telle ambition. Au final, leur tentative de contribution à l’orientation des politiques territoriales a du prendre la voie d’une intervention experte inédite et collective dont il est encore difficile de prévoir les retombées concrètes.

La floraison des nouvelles rhétoriques (approches « partenariales », « participatives »,

« globales ») qui accompagne les politiques de développement territorial pose question.

Discours de mise en image et de mise en scène, elles doivent être appréhendées comme telles. Loin de rendre fidèlement compte d’une réalité plus complexe et bien moins consen- suelle, elles traduisent la recomposition des modes de représentations et de légitimation de l’action publique, le langage opérant comme un « agent de pacification sociale : les conflits y sont euphémisés et l’accord valorisé » (De Maillard, 2000: 21). Suivant des schèmes éprouvés, les mutations récentes ne traduisent pas une horizontalisation des rela- tions entre les différentes parties prenantes. Parmi tous les acteurs impliqués dans les démarches de pays, les élus locaux continuent ainsi d’occuper, de l’initiative à la mise en œuvre en passant par la répartition des financements, une place largement prédominante (Douillet, 2003: 600).

Dès lors, à la lumière de l’expérience du BASE Sud Audois, la politique des pays semble difficilement s’apparenter à une réelle « politique d’empowerment », permet- tant aux acteurs de la « société civile » de contribuer effectivement au développement économique local. Si elle témoigne d’une réelle territorialisation de l’action publique

23 Il est composé de personnes « qualifiées par leur connaissance du territoire, leur expérience et leur fonc- tion » : P. B. (Pépinière d’entreprises) ; M-J. G. (Sous-Préfecture), N. G. (assistante parlementaire du Député de Limoux) ; R. M. (animateur de la charte de pays) ; M. P. (Association Aude Habitat) ; P. R (Communauté de communes d’Axat) ; J. R (maire de Sougraigne).

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(Duran et Thoenig : 1996), elle établit également « une gouvernance institutionnelle » qui, consacrant les acteurs forts de la « société locale » (notables locaux, acteurs de la sphère politico-administrative, organismes à forte légitimité institutionnelle), écarte ou tient à distance les acteurs périphériques (Eme, 2005: 47). En dépit de la mise à disposi- tion d’espaces de débat public, les limites qui bornent l’implication de nouveaux entrants potentiels, notamment associatifs, dans l’arène des politiques publiques demeurent ainsi plurielles. Elles tiennent aux logiques de clôture, de filtrage et d’asymétrie (De Maillard, 2000: 31) qui constituent des aspects incontournables de l’action publique en France.

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