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Article pp.407-425 du Vol.5 n°3 (2007)

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La délocalisation de la formation universitaire

à Ryerson : une évolution vers l’internationalisation du savoir

Alexandra Bal

Ryerson University School of Image Arts 350 Victoria Street,

Toronto, ON, M5B 2K3, Canada abal@ryerson.ca

RÉSUMÉ. Cet article s’intéresse à un cas canadien de délocalisation de la formation universitaire. Liées à la perspective de la création d’une « écologie d’apprentissage », les prestations éducatives d’acteurs ayant des positions idéologiques et pédagogiques divergentes coexistent sans affrontement. Les acteurs font appel au constructivisme dans le but de faciliter la construction de l’individu hyper-autonome d’une nouvelle phase du capitalisme. Mais le développement des capacités de l’apprenant devient un « pré-requis ». Cette simplification risque de convertir la virtualisation du savoir en un instrument de lutte sociale car l’hyper autonomie peut inscrire les individus autant dans une « technopolie » que dans une démocratie.

ABSTRACT. This article examines a Canadian instance of virtualisation of university education.

Despite conflicting ideologies and pedagogical positions, actors interested in the creation of a “learning ecology” allow commercial and not for profit educational applications to coexist without conflict in the virtual space. Actors rely on constructivist pedagogy to develop hyper- autonomous individuals necessary to a new phase of capitalism. But autonomy becomes a pre-requisite and no longer a goal of undergraduate education. This simplification of the constructivist pedagogy runs the risk of converting educational virtualisation into a social class battlefield since hyper-autonomy can as much serve a “technopoly” as a democracy.

MOTS-CLÉS : internationalisation de l’Éducation. Socio-économie de l’éducation universitaire, écologie d’apprentissage.

KEYWORDS: internationalization of education, virtual education socio-economy, learning ecology.

DOI:10.3166/DS.5.407-425 © Cned/Lavoisier

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1. Introduction

Le système éducatif universitaire ontarien, comme dans le reste du Canada, connaît une période de changement important fondé en partie sur l’informatisation des processus infocommunicationnels. Les évolutions sont visibles tant au plan pédagogique (développement des formes d’autoformation) qu’au plan administratif.

Cet article s’intéresse au cas de délocalisation de la formation universitaire spécifique à l’université Ryerson au Canada.

Le présent article rassemble les éléments susceptibles d’aider le lecteur européen à appréhender le contexte des universités virtuelles de l’Ontario sans qu’il soit question de chercher à présenter ce qui pourrait constituer une tendance générale significative du contexte canadien. Tous les aspects de l’enseignement supérieur ne sont, bien sûr, pas évoqués. Seuls sont abordés ceux qui caractérisent le contexte à la fois culturel et socio-économique de l’enseignement supérieur d’une institution particulière, l’université Ryerson.

Notre hypothèse est que si dans les discours de cette institution, le besoin de survie institutionnelle qui implique l’adaptation aux besoins d’une société technocratique est la justification sous-jacente des transformations actuelles, moins visiblement, des enjeux économiques et politiques néo-libéraux influencent profondément la nature de la modernisation de ce dispositif universitaire.

2. Le contexte éducatif de l’Ontario

Avant d’examiner en détail le projet my.ryerson.ca, il est important de présenter certaines des caractéristiques qui différencient le système éducatif canadien du système français, par exemple. Une première particularité en est la fragmentation. Il n’existe en effet pas de structure éducative nationale, chaque province canadienne est responsable de son propre système éducatif. Au plan local, chaque université est un établissement autonome et indépendant, géré par son propre conseil d’administration. Chacune de ces institutions définit et contrôle ses orientations générales ainsi que les normes de formation professionnelle à adopter. De ce fait, le cas my.ryerson.ca est un cas unique qui ne reflète pas une tendance générale en Ontario d’autant plus qu’il revient à chaque université d’élaborer sa propre politique vis-à-vis de l’usage des Technologies de d’Information et de Communication (TIC).

Les orientations actuelles de Ryerson University sont influencées par son histoire et sa mission spécifique. Ryerson University a d’abord été une école technique. Le Ryerson Institute of Technology a été créé en 1948. Pendant plus de vingt ans, il se spécialisera dans les formations techniques d’un ou deux ans. Il obtiendra le droit de donner des diplômes de baccalauréat en 1971 (Bachelor of Technology and Bachelor of Applied Arts degrees) et ce n’est qu’en 1993 qu’il se verra octroyer le statut d’université à part entière, pouvant offrir des formations d’études avancées. Il

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octroiera son premier diplôme de maîtrise en 2001 et accueillera son premier étudiant de doctorat en 2003.

Ryerson est une institution unique dans le système universitaire ontarien car le statut d’école technique de cette université l’a de longue date sensibilisée aux exigences industrielles et commerciales. De ce fait, Ryerson crée une spécificité universitaire adaptée aux modes de production industrielle actuels, fondés sur l’acquisition de savoir-faire et pas seulement sur l’acquisition de connaissances.

Depuis les années 1995, les universités de l’Ontario développent des stratégies internes, adaptées à leur contexte spécifique, où de nouveaux modèles éducatifs viennent se greffer aux modèles traditionnels. L’objectif est d’introduire au sein des filières initiales des formations plus pratiques que théoriques dans le but de répondre aux demandes de formation professionnalisées de la part des industries et des étudiants. Un grand nombre d’universités crée de nouvelles filières en collaboration avec des collèges1, ce qui permet d’offrir des formations professionnalisées qui comportent cependant un certain nombre de cours théoriques académiques. Ryerson, pour sa part, ne recherche d’association ni avec une autre université ni avec un collège et développe une stratégie technologique à travers l’introduction de my.ryerson.ca et de la plateforme Blackboard.

Ce portail agrégateur des usages infocommunicationnels de l’université permet la mise en commun des offres des formations initiale, continue et à distance tout en s’inscrivant dans la continuité du régime d’enseignement actuel. Comme nous l’avons fait remarquer dans un précédent article, il semble que : « L’objectif est de laisser les pratiques évoluer en fonction des normes et des cultures locales tout en inscrivant les mutations dans un processus de construction de formes d’ingénierie de formation permettant l’hybridation des projets innovants des formations initiale, continue et à distance, ceci sous-entendant un déplacement des frontières juridico administratives qui séparent ces trois filières». (Bal et Combès, 2006, p.12).

Ce déplacement de frontières permettrait la mise en œuvre d’une offre plus flexible en introduisant dans les filières initiales (FI), à la fois les produits de la formation à distance (FAD) et ceux de la formation continue (FC). Si l’offre universitaire de Ryerson rassemble différents types d’enseignement, ceux de la formation à distance diffèrent de ceux de la formation continue et de la formation initiale qui opèrent selon le mode de gestion de l’entreprise privée et utilisent des méthodes de travail à distance industrialisées. Ces filières possèdent une infrastructure capable de répondre rapidement à la variation des demandes du marché. Mais les règles universitaires interdisent à ces filières de décerner des diplômes de type universitaire. Ce droit demeure le monopole des filières initiales

1. Les partenariats entre l’Université de York et le collège Sheridan, l’Université de Toronto et le collège Humber, l’université de Guelph et le collège Humber sont des exemples de ces collaborations.

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qui témoignent de la garantie de la qualité pédagogique de l’offre à travers l’accréditation et la certification, et par conséquent contrôlent l’accès aux diplômes.

L’introduction du portail my.ryerson.ca, en facilitant la création de nouvelles formes d’ingénierie pédagogique et de formation hybrides qui allient les processus de production des formations continue et à distance aux processus de médiation de la formation initiale, permet d’assouplir de manière indirecte les frontières juridico- économiques entre ces filières et de tester de nouvelles formules administratives.

Il nous semble que l’université cherche à créer, sur le long terme, un système de self-service en offrant à travers le portail un point d’accès aux ressources variées offertes par ses différentes filières, leur lieu d’origine devenant transparent aux usagers. Cette agrégation de processus éducatifs variés a le potentiel de faciliter la mise en œuvre d’une offre variée (celles de la FI, de la FAD et de la FC) susceptible de répondre à des besoins diversifiés comme ceux des étudiants inscrits à l’université, en formation en entreprises, ou dans les pays en voie de développement.

Plusieurs obstacles apparaissent à la mise en œuvre d’un tel dispositif de self- service. Au premier plan, se trouve la résistance d’une grande partie du corps enseignant des sciences humaines, des arts et des sciences des services de la santé (social work, nursing etc.) qui, tendant à se positionner dans la tradition des logiques de partage du savoir, s’oppose fortement à tout effort de ré-industrialisation2 fondé sur la logique managériale de l’entreprise privée et sur les principes d’efficacité et d’efficience propres à la formation continue. Le besoin de renouvellement pédagogique constitue un second obstacle car les méthodes pédagogiques des formations initiale et continue divergent et ne servent pas les mêmes objectifs. La formation continue vise à améliorer le capital humain d’apprenants adultes dans la perspective de leur ascension professionnelle, alors que les filières initiales s’intéressent à l’acculturation des jeunes aux normes de la société. De même, la formation continue recherche la production de ressources marchandes alors que les filières initiales fondent leurs enseignements sur le dialogue. La création d’une offre commune à ces modèles d’enseignement si différents, suppose l’invention de nouvelles formules éducatives au service d’objectifs émanant d’écoles de pensée idéologiquement opposées. Enfin, la nature des frontières juridico-économiques qui séparent les filières constitue un troisième obstacle. Bien que les différentes filières appartiennent au même établissement, chacune fonctionne selon des règles économiques et juridiques qui lui sont propres et lui confèrent un certain pouvoir sur son offre. Pour des raisons de survie institutionnelle, les différentes filières ne sont

2. Cet article se situe dans le cadre du mouvement théorique de la réindustrialisation de la formation (Moeglin et al. 1999). Les chercheurs de ce mouvement théorique considèrent que les changements socio-économiques et pédagogiques rencontrés dans le champ universitaire sont une évolution du système antérieur. Nous considérons que le portail My.ryerson.ca représente un phénomène de réindustrialisation de la filière éducative qui s’inscrit dans la continuité et dans la logique des normes existante de la formation universitaire en Ontario.

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pas disposées à renoncer au contrôle qu’elles exercent sur leur offre en ouvrant à d’autres acteurs leurs frontières juridiques et économiques.

L’introduction du portail my.ryerson.ca est censé lever un certain nombre de freins à l’instauration du système de self-service envisagé, en commençant par la résistance du corps enseignant.

3. La modernisation pédagogique : l’affaiblissement des résistances venues du corps enseignant

En mettant en avant des objectifs de technologisation de l’enseignement, l’administration réussit à introduire des réformes qui altèrent la nature du travail des enseignants, en facilitant la production volontaire de ressources éducatives virtuelles par ce même corps enseignant. Il pourrait sembler étonnant que celui-ci ne s’oppose pas aux changements de normes professionnelles qui se développent, progressivement, sans discussion publique et sans la constitution d’un consensus.

Mais plusieurs facteurs, qui font accepter ces réformes, interviennent.

Les stratégies des gouvernements successifs de l’Ontario imposent aux instances universitaires des réformes économiques qui ont abouti à une nouvelle vague de massification du public universitaire. Cette remassification de l’enseignement universitaire nous semble être tout aussi marquante que la première phase d’après guerre qui a profondément altéré le monde universitaire nord américain de cette époque entraînant des changements de définitions des mandats ainsi que des structures universitaires (Aronowitz, 2000). Ces deux phases de massification de l’enseignement universitaire ont en commun de forcer les universités et le corps enseignant à réformer les infrastructures politique, administrative et pédagogique selon des reformulations qui favorisent l’expansion de la marchandisation du savoir.

Une réduction de la durée du cursus au niveau secondaire a éliminé la dernière année et a eu pour conséquence le doublement du nombre d’étudiants de première année du premier cycle en 2003. Simultanément, le gouvernement s’est refusé à toute augmentation des budgets universitaires (y compris la prise en compte de l’augmentation du coût de la vie) alors que depuis 2001, une loi rend illégal tout budget en déficit. Les institutions doivent préparer un « business plan » qui spécifie les moyens de leur rentabilisation et sont donc obligées de rationaliser la gestion de leurs ressources.

Comme l’a remarqué Paul Perron en 2003, l’augmentation du nombre d’étudiants qu’entraîne la double cohorte et l’accroissement du nombre de jeunes voulant acquérir une éducation universitaire, créent trois difficultés majeures : celle du manque de locaux, celle de l’absence de standards d’évaluation et celle de la différence de niveau entre les deux groupes d’étudiants primo entrants. Pour résoudre ces problèmes, d’une part, les universités doivent augmenter leur productivité administrative et rationaliser l’utilisation de leurs ressources matérielles

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et humaines tandis que, d’autre part, le corps enseignant s’efforce d’imaginer des modes d’enseignement adaptés à cette nouvelle vague de massification de l’enseignement.

3.1. L’adaptation de l’enseignement universitaire à une nouvelle vague de massification de l’enseignement

L’élaboration de solutions aux problèmes que génère l’enseignement de masse encourage des activités d’harmonisation entre filières. Dans un premier temps, le problème lié au manque des locaux nécessaires pour accueillir un nombre accru d’étudiants, entraîne la délocalisation d’une partie des activités d’enseignement de la formation initiale. En effet, la création d’un environnement éducatif virtuel facilitant des activités de self-service pourrait réduire le besoin de ressources matérielles (les immeubles et les salles de classe). Dans un deuxième temps, la différence problématique de niveau de préparation aux études universitaires des deux groupes d’étudiants nécessite des changements de modèles pédagogiques que les enseignants de la FI s’efforcent de développer.

Dans l’effort du corps enseignant pour trouver des solutions pédagogiques et rendre le travail plus efficace, la nouvelle plate-forme pédagogique et administrative constitue un outil précieux. Elle permet d’expérimenter de nouvelles méthodes pédagogiques et de nouvelles formes d’Ingénierie de formation susceptibles de résoudre une partie des problèmes posés par l’enseignement de masse.

3.2. L’adaptation de l’enseignement universitaire aux évolutions sociétales De plus, l’introduction de procédés de travail virtuels permet aux enseignants de continuer à répondre aux objectifs sociétaux canadiens. Depuis les années 90, l’utilisation des réseaux s’est développée dans tous les aspects de la vie canadienne et un grand nombre des jeunes d’aujourd’hui font un usage courant du numérique dans leur vie quotidienne. La nécessité d’utiliser des TIC dans les études de premier cycle universitaire est ainsi partiellement née de l’attente des étudiants, ce qui donne aux enseignants des raisons supplémentaires d’accepter les changements en cours, et ce, d’autant que les services gouvernementaux fédéraux et un grand nombre d’industries virtualisent leur processus de travail et convertissent leurs services en activités de self-service.

La résistance des enseignants ainsi affaiblie, il devient possible de commencer à altérer le fonctionnement du système actuel. Mais la participation du corps enseignant sous entend l’introduction d’une autre vision économique qui vient se greffer à celle de la logique néolibérale.

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4. La coexistence de modèles économiques conflictuels

Si les enseignants de la (FI) s’intéressent à l’élaboration de nouvelles formes pédagogiques dans le dessein de participer au renouvellement de la société canadienne, les fondements idéologiques sur lesquels leurs objectifs reposent diffèrent de ceux des autres acteurs. En effet, des stratégies diverses correspondant aux aspirations de divers groupes sociaux et industriels, coexistent en matière de développement de l’espace virtuel et s’échelonnent entre deux positions diamétralement opposées. À une extrémité de la chaîne, certains acteurs, particulièrement ceux de la FAD et de la FC et des filières fondées sur l’économie compétitive des nouvelles technologies, considèrent le réseau comme un nouveau marché privé à exploiter. À l’autre extrémité, dans les acteurs des filières des sciences humaines, des arts et des services de la santé, on a tendance à penser les réseaux comme un mode de circulation de l’information facilitant le partage du savoir. Cette vision de l’économie, influencée par l’idéologie et le fonctionnement économique des logiciels libres, élimine la rivalité entre individus en mettant en avant des aspects de communication interpersonnelle. Entre ces deux pôles, l’administration centrale tente une intermédiation pour faire coexister ces positions opposées.

4.1. La logique de profit néolibérale : la globalisation du savoir

Pour les administrateurs de la FAD et de la FC qui ciblent une population adulte, l’éducation doit répondre aux besoins des secteurs industriels tout en satisfaisant la motivation professionnelle individuelle. Dans ce contexte, la société fonctionne selon les règles concurrentielles du marché, reconnaît le profit comme valeur universelle et l’autonomisation de l’apprenant comme un atout professionnel puisque la rentabilité des individus est à la clé de l’évolution sociale. Dans cette optique, l’investissement financier consenti par l’individu pour son éducation correspond à cette attente et il choisit les programmes susceptibles d’augmenter sa valeur marchande par l’acquisition de nouvelles compétences. En d’autres termes, l’amélioration des compétences professionnelles individuelles est un facteur de développement économique et sert les objectifs des classes dirigeantes (Becker, 1993). D’un point de vue néolibéral, l’individu se transforme en client hyper autonome qui vient piocher dans les ressources éducatives disponibles sur le marché, qu’il paye en fonction de l’utilisation qu’il en fait.

L’éducation s’inscrit alors dans un système économique qui aide au développement de marchés mondiaux par la commercialisation de produits éducatifs proposés sur les réseaux. Dans ce contexte de globalisation de l’acquisition du savoir, l’information est une ressource économique, un produit commercialisé à un prix fixé par le marché.

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4.2. La logique des logiciels libres : la mondialisation des connaissances

En opposition à cette première orientation, un groupe d’acteurs constitué d’une partie des innovateurs enseignants émanant de la FI des sciences humaines et de la santé, s’intéresse prioritairement à l’Éducation des jeunes et cherche à satisfaire les besoins communicationnels d’un individu qui évolue dans une société ouverte, en rupture avec les valeurs industrielles classiques. Dans ce cas, l’individu participe à un modèle économique double qui, en amont, développe une économie solidaire entre individus et, en aval, une économie libérale par la vente de services d’expertise à l’entreprise. Il s’agit alors d’inculquer les processus d’un nouveau modèle industriel qui associe la gratuité à l’économie libérale hyper capitaliste. Rejetant la logique de profit néolibérale, les acteurs, tenants de cette logique, veulent participer à la mondialisation de la connaissance en utilisant l’information comme un outil qui permette la création d’un système social transparent. Ce système répond aux normes d’une économie adaptée à la culture entrepreneuriale individualiste, où plusieurs entrepreneurs s’allient pour créer une offre plus conséquente grâce à la mise en commun de leurs ressources individuelles.

L’Éducation demeure un investissement social collectif qui favorise la compréhension entre individus afin de faciliter leur intégration sociale. La recherche de l’autonomisation de l’apprenant prend alors une autre signification et répond à un mandat humaniste où le partage des valeurs entretenues par les individus, permet de transformer la société et de guider son évolution, car le progrès social y dépend de la participation des citoyens.

4.3. Le portail my.ryerson.ca : la rationalisation administrative de la filière vers un système de self-service

De son côté, l’administration centrale veut introduire des changements d’ordre organisationnel qui visent le développement d’un système de self-service qui touche tant l’accès au savoir qu’aux services administratifs. Par exemple, la recherche documentaire est maintenant virtuelle, l’accès aux articles et aux revues devenant de plus en plus virtuel. Il en va de même pour les inscriptions et la gestion pédagogique et administrative. L’objectif est de changer la nature du centre de gravité des filières (pédagogique et administrative). Aux activités de l’amont, qui permettent de prescrire, orienter et fournir des ressources à des apprenants, viennent se greffer des activités de l’aval, qui permettent à l’usager de solliciter, mobiliser et organiser à sa convenance et sur mesure les ressources éducatives disponibles, où qu’elles soient.

Ce passage vers un modèle de self-service permet à l’administration de créer un équilibre entre les exigences de l’économie solidaire et l’économie libérale et d’atténuer les conflits de logiques entre les acteurs. En effet, le partage des canaux de production et de distribution du savoir fait partie des fonctionnements inhérents à l’économie hyper capitaliste tandis que l’économie solidaire enrichit l’offre de formation par une extension des choix possibles. La plate-forme de distribution et de

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production fait l’objet d’un partage et permet d’effectuer une économie d’échelle au niveau de la palette de l’offre.

5. La virtualisation des enseignements : une arme dans la concurrence universitaire

L’utilisation de Blackboard est ainsi justifiée par des arguments correspondant à des logiques économiques libérales, mais à tonalité et visées différentes. Ils renvoient, soit à la notion classique de développement de marchés mondiaux par la transmission de produits et de services éducatifs standardisés, soit au développement de services de formation personnalisés où l’échange communicationnel entre individus devient la ressource première. On peut également percevoir ici la façon dont l’inscription des processus dans le respect d’une logique solidaire déborde le cadre du service public ; elle est dorénavant incorporée à des processus industriels fondés sur une logique libérale et participe à la rentabilisation de l’offre.

Mais qu’il s’agisse de la logique de globalisation poursuivant la marchandisation du savoir ou de mondialisation qui cherche à créer un système de partage public du savoir, les processus de changement anticipés supposent, pour se dérouler, l’existence d’un dispositif virtuel, l’autonomisation de l’apprenant et la flexibilisation des frontières juridiques de la FI, de la FAD et de la FC.

L’introduction de Blackboard devient nécessaire pour deux types de raisons. Tout d’abord, elle permet l’évitement des conflits car les incertitudes qui existent vis-à-vis des usages potentiels de cette plateforme permettent aux acteurs de participer à son développement sans avoir à s’affronter. Ensuite, cette plate-forme a valeur d’expérimentation pédagogique et structurelle car elle va permettre à tous les acteurs de tester le développement de nouvelles formes pédagogiques ainsi que différents types de processus de flexibilisation des prestations éducatives et de fédération de la FI, de la FC et de la FAD ;

5.1. Le constructivisme comme outil du discours d’une 4e ère du capitalisme Selon Boltanski et Chiappello (2001), les différents modèles pédagogiques correspondent à des imaginaires sociétaux et des modèles industriels spécifiques.

Les idées du béhaviorisme se répandent dans l’éducation au cours d’une deuxième phase du capitalisme libéral, dans les années 1950. L’enseignement par objectif y est important car il prépare l’individu au fonctionnement hiérarchique de la grande entreprise taylorienne. Les modèles des sciences cognitives deviennent prépondérants avec une troisième phase du développement capitaliste, dans les années 1970. En opposition au premier modèle, on accorde alors à la coopération et à la réciprocité dans les rapports communicationnels une importance primordiale pour favoriser l’insertion sociale dans une société « active » où l’économie est fondée sur l’innovation. Les grandes entreprises hiérarchisées des années 1950 se

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transforment (au moins pour partie et idéalement) en espaces collectifs où des ouvriers innovants partagent leurs connaissances pour faire progresser l’innovation.

La firme a besoin de ces « innovateurs » capables de penser et d’agir par eux-mêmes.

D’où une attirance pour les formes d’une pédagogie active qui autonomise l’individu et le prépare ainsi à jouer son rôle dans la firme innovatrice.

L’introduction des TIC dans l’éducation conduit à une rationalisation des processus éducatifs et administratifs qui, à son tour, entraîne la réorganisation de la profession enseignante et témoigne d’un processus de ré-industrialisation dans l’éducation (Moeglin, 1999). Cette phase néo-industrielle dans l’éducation est fondée sur les principes d’un modèle industriel de self-service. Puisque les TIC délocalisent les relations travailleur/client, les réseaux sociaux remplacent l’institution, mécanisme traditionnel de contrôle sur l’ouvrier. L’individu autodidacte opère dans ces réseaux sociaux et dans un champ industriel fragmenté. Cet individu

« hyper autonome » opère selon les règles de la « coopétition », un amalgame des processus de coopération et de réciprocité à des processus de compétition fondés sur la hiérarchie et le contrôle (Brandenburger et Nalebuff, 1997). Les individus sont censés internaliser des valeurs néolibérales de manière à ne pas créer de conflit entre leur autonomie d’action et de pensée et l’idéologie dominante. Dans ce contexte, l’éducation inculque à l’individu, la capacité de travailler en autonomie et d’utiliser les processus infocommunicationnels des réseaux sociaux professionnellement. Les méthodes pédagogiques constructivistes qui prennent en considération l’individu et le contexte social de son apprentissage, jouent alors un rôle central dans le développement de cette nouvelle phase du capitalisme.

Si les acteurs s’intéressent à un individu hyper autonome, la définition qu’ils en donnent, dépend de leur vision sociétale. Or, les logiques économiques que nous avons vues dépendent de définitions divergentes vis à vis de la société et par conséquent de l’individu.

5.2. L’individu hyperautonome membre d’une technopolie ou d’une démocratie ? Pour M. Ballow et H-J Robertson, la société canadienne aurait basculé de son socle culturel vers un fondement purement économique en créant une :

« convergence stratégique » qui demande au public de penser l’école comme une entreprise et d’en attendre des produits et des services semblables à ceux de l’entreprise marchande. Quand les pratiques scolaires s’opposent à celles du marché il convient d’en exiger l’alignement. Pour atteindre ce but, on importe le langage de l’entreprise on parle ainsi de client plutôt que d’apprenant, de missions plutôt que d’objectifs pédagogiques, d’investissement et de rentabilité plutôt que d’enseignement et d’apprentissage » (Ballow et Robertson, 1994, p. 143)3. Dans cette optique, la transformation du travailleur ou de l’employé en individu hyper

3. Notre traduction.

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autonome semble inspirée par les valeurs d’une classe technocratique. L’éducation facilite la socialisation des jeunes aux valeurs d’une « technopolie » (Postman, 1993), autrement dit d’une culture qui subsume les intérêts sociaux aux intérêts technologiques, qui donne priorité à la poursuite de la quantité d’information et non à sa signification et qui aliène la population de ses systèmes de croyance antérieurs puisque les systèmes d’information n’ont pas de noyau moral. L’intérêt de l’entreprise est servi par la restructuration des écoles destinées à produire, pour reprendre l’expression de Postman : « l’idéal technocratique » : un individu sans engagement et sans point de vue, mais doté en abondance de qualifications commercialisables.

À l’opposé, on peut estimer que les mutations peuvent faciliter l’avènement d’un nouvel espace public mondial, dans le sens où la « société peut acquérir une emprise sur soi, se médiatiser elle-même par la conscience et la volonté, faire émerger un pouvoir sur elle-même qui soit à la fois radicalement immanent et rationnel » (Haber, 2001, p. 36). Les agents sociaux y sont des acteurs capables d’agir sur l’histoire car les individus peuvent en renverser le cours: « cette première manifestation d’autonomie doit avoir pour résultat de promouvoir une organisation sociale originale qui, bien mieux que la précédente, serait justement capable de faire droit aux capacités humaines d’autodétermination » (ibid., p. 36). La technologisation de l’éducation permettrait de créer des types d’apprentissage facilitant l’émergence d’un nouvel idéal normatif. L’éducation permettrait alors aux individus de se penser pour éventuellement transformer l’histoire et s’opposer à la sphère publique bourgeoise car les TIC favorisent l’émergence de « forums où les membres de la société ont appris en commun à se penser et à penser par eux- mêmes » (ibid., p. 42). L’individu hyper autonome représente alors une sorte de hippy moderne qui croit aux valeurs du bien être social, mais qui survit financièrement en devenant pigiste, en entrepreneur qui vend sa matière grise. Dans cette vision smithienne du monde, l’entrepreneur, dont les valeurs éthiques guident le travail, utiliserait ses compétences professionnelles à des fins utilitaires autant que pour mener ses actions sociales.

L’éducation virtuelle devient ainsi l’enjeu important de renouvellement économique et social qui se déploie, par l’intermédiaire des réseaux, dans le champ de l’éducation universitaire. À qui les faits donnent-ils raison et comment les différents types de réindustrialisation envisagés progressent-ils dans notre champ ?

5.3. Le discours d’une écologie d’apprentissage au fondement de l’évolution de formes industrielles universitaires variées

My.ryerson.ca et Blackboard grâce à leur effet fédérateur accordent une marge d’action élargie aux acteurs et facilitent le développement des nouvelles méthodes pédagogiques ainsi que de la réforme juridique nécessaires à l’instauration d’un nouvel environnement virtuel. La coprésence des logiques socio-économiques et

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pédagogiques de la FI, de la FC et de la FAD implique la coexistence d’enjeux industriels variés liés à l’innovation, cités par L. Petit (2008, à paraître) à propos du cas français de l’Université en Ligne (UEL) : « Tout d’abord l’enjeu de la

« modernisation » de l’enseignement supérieur qui peut prendre des formes variées, en l’occurrence celle d’une rationalisation par les contenus, ici ceux des premiers cycles scientifiques, par ailleurs celle d’une modernisation pédagogique. Ces deux formes renvoient elles-mêmes, à l’enjeu de la professionnalisation des enseignants chercheurs dans le seul versant enseignement en apparence, mais qui interroge du coup les fondements mêmes d’un métier bicéphale ». Mais l’investissement dans la virtualisation des procédés universitaires ne cherche pas à répondre aux besoins d’un seul groupe d’acteurs. L’objectif est de répondre aux besoins de différents acteurs et publics en créant une « écologie » d’apprentissage où différents systèmes sont interconnectés (Seely Brown, 1999). Il n’y a cependant pas de tentative d’uniformisation des usages pédagogiques car chaque stratégie et chaque logique nécessite ses propres méthodes avec pour seul point commun le système technologique.

L’introduction d’une plateforme virtuelle incite à la redéfinition d’une partie des normes professionnelles régissant le travail des enseignants de la FI. Ce sont les activités de terrain et non les usages attendus qui alimentent un processus de standardisation et de normalisation des activités de production, de médiation et d’ingénierie de formation. De ce fait, ce sont les membres du corps enseignant qui rationalisent d’eux-mêmes la chaîne de travail pédagogique.

Au cours de l’utilisation qu’ils font du système, les enseignants développent des méthodes de travail propres au virtuel. La structure de l’interface de Blackboard fait surgir le besoin de penser le cours comme une structure d’ensemble qui comporte des ressources, des activités d’encadrement, de médiation, d’apprentissage et d’évaluation. Ceci pousse les enseignants de la FI à développer des formes d’ingénierie de formation spécifiques à leur filière et à ses usages pédagogiques. En fin de compte, différents types de réindustrialisation des filières coexistent car un processus de normalisation et de standardisation est enclenché, mais selon des normes et des standards adaptés aux besoins locaux et donc non généralisables. Une multitude d’usages se développe ; certains servent la modernisation des prestations traditionnelles alors que d’autres représentent de nouvelles formules éducatives développées spécifiquement pour l’environnement virtuel.

5.4. La modernisation de l’enseignement traditionnel : l’assistance à l’enseignement de masse et la délocalisation des activités d’apprentissage

L’enseignement de masse augmente la charge de travail du corps enseignant qui s’adresse à un public plus jeune qui n’a encore développé ni capacité critique ni autonomie. Pour faire face à l’alourdissement de sa tâche, l’enseignant a la possibilité de mettre en ligne des ressources et des procédés de médiation qui

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optimisent son travail dans le cadre d’un cours traditionnel, ce qui est consommateur de temps. Or le temps investi dans la création et la production d’un cours virtuel est tel qu’il entraîne une certaine rationalisation des tâches de l’enseignant. La mise en ligne de ressources et de procédés de médiation permet de transférer une partie des responsabilités de l’enseignant à d’autres acteurs, le rôle de tuteur prenant ainsi de plus en plus d’envergure. Il est assumé par des assistants qui prennent en charge des activités de médiation et d’encadrement des activités d’apprentissage et des activités de rattrapage. De son côté, l’enseignant concentre son attention sur les activités d’ingénierie de formation, la conception et la production de ressources numériques.

Dans ce cas, il s’agit d’une technologisation de l’approche pédagogique traditionnelle dans le dessein de rationaliser et de rendre plus efficace l’enseignement de masse. La classe reste le lieu central où se déroulent les cours magistraux, mais l’espace virtuel constitue un endroit privilégié pour des activités d’encadrement et de médiation.

D’autres modèles d’enseignement introduisant des procédés de délocalisation de l’apprentissage se développent en FI, pour faire face à l’apparition de nouvelles contraintes (y compris temporelles) dans la vie des étudiants, d’ailleurs souvent contraints à travailler pour payer leurs études. Ces modèles « hybrides » introduisent des logiques d’individualisation de l’apprentissage proches de celles de la FAD au cœur de la FI. Le cours ne se déroule plus dans un lieu matérialisé, un certain nombre de nouvelles filières s’établissent sur des modes d’enseignement entièrement virtuel, alors que d’autres incorporent les procédés de la formation sur le tas au cursus de la formation initiale : pour une part de leurs études, les étudiants sont localisés en entreprise et participent à des activités virtuelles à travers la plateforme.

Ces nouveaux modèles pédagogiques correspondent à de nouveaux modèles industriels qui incluent des activités de service. Ceci entraîne une décomposition /recomposition de la fonction enseignante. Les enseignants à temps plein se chargent des activités d’ingénierie de formation au niveau de la filière et conçoivent les cours.

Alors que les enseignants à temps partiels deviennent soit des tuteurs (comme dans le modèle de l’Université Ouverte, où les tuteurs détiennent des doctorats) chargés d’animer un cours virtuel préprogrammé. De nouveaux métiers sont créés pour faciliter le service technique, le service de production des ressources et le service pédagogique (c’est-à-dire l’accompagnement hors classe).

Ces changements de normes professionnelles ne sont ni annoncés ni rendus explicites. Ils se produisent dans des filières spécifiques qui se prêtent à ces réformes soit parce qu’elles fonctionnent selon les règles néolibérales, soit parce qu’elles utilisent déjà les approches pédagogiques des formations professionnalisantes.

L’administration encourage ces transformations en accordant des subventions plus élevées aux filières alignées sur la pensée néolibérale, écoles de business ou ITM4, qui possèdent déjà un marché établi, ou qui disposent de leur propre marge de profit.

4. Information Technology Management.

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Les subventions de l’université permettent à ces filières d’internaliser toutes les activités de travail (conception-production-médiation-diffusion-service technique) et de conserver les droits d’auteurs sur les matériaux développés. Ceci n’est pas le cas pour d’autres filières qui doivent faire appel à la FAD pour financer le développement de leurs ressources virtuelles en échange de ce droit.

5.5. La collaboration FI-FAD : la détemporalisation des cours

Pour certaines filières de la FI de Ryerson, l’utilisation de Blackboard met en évidence le besoin de collaborer avec la FAD. En général, il s’agit des filières qui n’ont pas encore identifié de marché ou qui ne sont pas orientées vers la production de profit ; elles sont de ce fait privées de subvention de la part de l’université pour le financement de la technologisation de leur cursus. Chaque filière ou chaque enseignant doit alors produire ses ressources numériques à ses frais alors que les coûts de développement et de production sont très élevés. Une collaboration entre la FAD et la FI apparaît alors comme une solution avantageuse car la FAD rétribue un enseignant pour la conception du cours et absorbe la majorité de ces coûts; en contrepartie, elle s’approprie les droits d’auteurs. Les coûts de développement, de conception graphique et multimédia ainsi que les coûts de production et de diffusion sont en effet absorbés par la FAD qui utilise ses propres procédés industriels5 et fonctionne selon des formes d’ingénierie de formation standardisées. Ryerson compte seize formations de ce genre aujourd’hui6.

Ces nouvelles alliances donnent naissance à des modes d’apprentissage hybrides qui répondent aux attentes de différents publics. Onze certificats de type « hybride » dans lesquels les étudiants peuvent suivre une majorité du cursus virtuellement sont offerts. D’un côté, les étudiants de la FI ont tout loisir de poursuivre leurs études dans des cadres spatio-temporels différents. De l’autre, les étudiants de la FAD ont accès à des cours qui éventuellement les mèneront à l’obtention d’un diplôme.

Ces collaborations amorcent la fragmentation des offres de la FI. Des cours conçus par FI sont accessibles en dehors du cadre spatio-temporel traditionnel. Cette flexibilité accrue des cursus et des procédés juridiques entre les filières initiales et à distance reste interne à l’institution et a lieu entre des filières spécifiques. Mais les processus juridiques nécessaires à sa généralisation sont déjà amorcés et en feront une réalité dans moins de deux ans. Ainsi, la collaboration entre la FI et la FAD dans des cadres d’usage restreints permet de préparer les acteurs de la FI à l’ouverture de leur territoire juridique.

5. Cf. Bal, 2005, pour plus de détails.

6. Voir http://ce-online.ryerson.ca/ce_2007-2008/default.asp?id=1007 pour une liste détaillée de ces offres.

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5.6. Le partage des ressources entre enseignants et institutions

Toutes ces initiatives ont pour but d’augmenter les ressources virtuelles disponibles, mais elles se limitent aux acteurs qui acceptent de travailler dans un cadre économique libéral. D’autres initiatives se développent plutôt dans le sens d’une économie solidaire où les enseignants créent des ressources d’apprentissage (learning objects) diffusés gratuitement. L’administration accorde des subventions aux enseignants volontaires pour cette production qui présente à ses yeux l’avantage d’élargir l’offre de l’institution même si ces contenus peuvent éventuellement être partagés avec d’autres institutions selon les principes de partage d’informations des logiciels libres.

Tous les nouveaux modes d’apprentissage virtuels exigent un renouvellement des procédés industriels éducatifs. Il est clair que les subventions universitaires favorisent implicitement la mise en œuvre de procédés fondés sur la logique managériale de l’entreprise privée et sur des principes d’efficacité et d’efficience.

Les mutations en cours apparaissent alors comme pensées dans la perspective de la création d’une offre de self-service qui permettrait d’élargir la cible universitaire actuelle.

La flexibilisation des cursus que facilite la collaboration de la FI et de la FAD conditionne la création d’un service d’accréditation capable de faire face à la compétition externe qui menace cette université. Par exemple, citons celle exercée par le consortium « campus Canada »7, où les collèges, en partenariat avec les universités spécialisées dans la FAD, offrent des équivalences de crédits universitaires et l’accréditation de compétences étrangères. Ce consortium ne réunit que les acteurs du secteur collégial et de la FC et FAD. Ainsi, un système d’équivalences de crédits de niveau postsecondaire se développe en n’utilisant de l’expertise universitaire que son aspect juridique à travers l’accréditation. Pour l’instant, la FC est le seul secteur qui constitue un nouveau marché libre dérégulé où les universités se trouvent en compétition avec des agents qui lui sont externes. Les cibles sont les formations dans les entreprises qui cherchent à promouvoir leurs employés et le recyclage international. Mais puisque les mêmes plateformes servent différents usages, il devient possible d’ouvrir les formations initiales à la compétition marchande pour faire face à l’invasion d’agents externes, ce qui est le cas pour l’université américaine de Phœnix qui développe son offre de filières initiales sur le territoire canadien. De plus, la standardisation des usages pour les jeunes d’aujourd’hui qui seront les clients de la FAD de demain, pourrait faciliter leur familiarisation à ce type d’offre dans le futur.

Les universités traditionnelles ne sont pas encore en mesure de participer à un tel marché car l’offre de services d’accréditation « sur-mesure », qui constitue une préparation à la conquête de nouveaux marchés, exige l’assouplissement des

7. Cf. http://campuscanada.ca/new/index.php?t=5&pcid=3&lang=f (consulté le 11 Octobre 2007)

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frontières juridiques séparant la FAD, la FC et la FI. Or, les cursus traditionnels ont tendance à être structurés de manière à obliger un apprenant à suivre une liste de cours spécifiques proposés par le département responsable de l’accréditation. Les cursus devraient donc devenir modulaires, flexibles et intégrer des cours provenant d’autres sources. Finalement, l’université doit posséder un nombre de cours virtuels suffisants pour proposer une offre qualitativement et quantitativement acceptable et concurrentielle. C’est ce qui justifie l’aide financière que Ryerson a apportée à des prestations universitaires diversifiées.

L’administration n’annonce pas officiellement ses intentions vis-à-vis d’un système de self-service et de service éducatif sur mesure qui viserait des cibles non- universitaires, Mais plusieurs indicateurs vont dans ce sens. Au-delà des usages pédagogiques, le portail fonctionne déjà comme un système de self-service au plan universitaire8, l’inclusion d’usages pédagogiques semble une progression logique de ce système. De plus, la création de nouveaux rôles, comme celui de Directeur des solutions technologiques innovantes (Director, Innovative Technology Solutions), rend ce but apparent. En effet, d’après la description et le profil de ce poste, le Directeur sera « chargé(e) d’identifier de nouvelles manières d’accroître l’utilisation créative de la technologie dans la diffusion de l’information, à l’attention de différents dépositaires, au sein et au-delà de la communauté universitaire (notre soulignement) » (Ryerson, 2006). De plus, la personne choisie pour remplir cette fonction, est une experte en marketing du e-learning venant d’IBM. Autrement dit, elle possède l’expertise nécessaire pour créer une offre destinée au secteur privé.

6. Conclusion

L’éducation virtuelle porteuse de valeurs technocratiques ou démocratiques ? Les évolutions technologiques actuelles se développent en parallèle à des évolutions sociétales conséquentes. En effet, les TIC permettent de court-circuiter les instances traditionnelles de diffusion du savoir et, de ce fait, de changer la nature des territoires économiques et politiques, entre autres ceux de l’enseignement universitaire.

La délocalisation de cet enseignement introduit de nouveaux modèles pédagogiques et économiques, sans pour autant éliminer les anciens. Ainsi coexistent des logiques opposées. Ces logiques ont en commun un objectif d’internationalisation des prestations universitaires mais la commercialisation de la formation, qui tend à la globalisation, concerne principalement la FC et la FAD. La tendance à la globalisation du savoir prend des formes différentes dans chaque pays et, au Canada, dans chaque province. Mais il s’agit le plus souvent de faciliter un

8. Cf. Bal, 2005.

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phénomène d’informatisation sociale où le caractère virtuel des relations interpersonnelles s’accentue. L’Éducation se réforme, elle change en partie de modèle pour inclure davantage de modes d’apprentissage alternatifs et interactifs.

L’internationalisation de l’offre universitaire nécessite, quant à elle, la fragmentation des systèmes administratifs et juridiques. Elle s’exercerait dans le but de répondre à une logique économique néolibérale mondiale qui s’intéresse à l’exportation des ressources virtuelles (globalisation de l’éducation, FAD) et à l’importation du capital humain d’autres pays (FAD). Mais elle répond également à des situations sociétales nouvelles, tels les problèmes de reconnaissance des acquis préexistants des immigrants arrivant au Canada qui crée le besoin de formation rapides et la mise en œuvre d’un système d’équivalence mondial.

Si l’on en croit les discours, la virtualisation de l’apprentissage universitaire permettrait de répondre aux besoins de différents publics et de créer une « écologie » d’apprentissage où les différents systèmes et objectifs sont interconnectés. Au premier abord, cette situation semble préserver les spécificités de chaque filière et de chaque groupe d’acteurs (approche marchande des FC et FAD, approche publique pour FI) et pouvoir se stabiliser. Ainsi, les progrès de la globalisation resteraient limités à des filières et des usages qui fonctionnent déjà selon la logique néolibérale.

Les acteurs animés par d’autres valeurs restant libres d’adopter ou non ces changements fondamentaux dans leur fonction et leur enseignement.

Mais une analyse des usages des TIC (Blackboard, portail, cours en ligne) dans ce domaine montre que les changements d’accès au savoir que ces usages provoquent le rendent problématique pour l’apprenant. En effet, la formation au travail en autonomie ne constitue plus un objectif réel de son éducation universitaire et la capacité d’autodidaxie, implicitement nécessaire pour étudier virtuellement, est supposée préalablement acquise.

Il en résulte que les TIC sont l’outil d’une lutte de pouvoir entre l’intelligentsia technocratique et l’intelligentsia intellectuelle. Les changements de normes professionnelles et de modes d’apprentissage marquent l’introduction, au sein de l’enseignement de premier cycle, d’un nouveau système de valeur que l’on cherche à promouvoir auprès des jeunes. Au cœur de cette lutte se trouve l’instrumentalisation du concept d’autonomie de l’apprenant.

Une instrumentalisation du concept d’autonomie ?

En effet, si l’autonomie est affichée comme objectif primordial dans la présentation des réformes, la réalité donne autre chose à voir. Force est de constater que l’autonomie des apprenants est censée préexister et non être développée dans les modèles d’apprentissages virtuels (Bal, 2001). Or, les primo entrants en université, âgés de 17 ans, sont incapables d’apprentissage en autoformation et encore davantage d’autodidaxie.

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Cette fiction de l’apprenant autonome sert le discours car elle permet d’introduire la virtualisation, phénomène indispensable à toutes les réformes envisagées. Mais cette virtualisation suppose a priori des apprenants autonomes et non pas son développement progressive grâce à l’éducation. Cette simplification du concept constructiviste d’autonomie ne pose pas de problème particulier à la FAD dont le rôle n’est pas de développer l’indépendance de pensée d’apprenants adultes. Mais cet appauvrissement de la fonction pédagogique crée un paradoxe important pour les filières de FI dont le mandat est de développer l’autonomie intellectuelle des jeunes.

Puisque dans un système d’éducation virtuel, l’autonomie de l’étudiant est requise a priori, on peut s’interroger sur le devenir du mandat éducatif des filières initiales. Si nous nous dirigeons vers un système virtuel où les enseignants ne sont plus directement impliqués dans l’apprentissage des étudiants, à qui reviendra la responsabilité de leur éducation et quelles en seront les conséquences ?

Sans l’acquisition de l’autonomie intellectuelle, on peut craindre que les jeunes n’acquièrent pas la faculté d’analyse critique nécessaire pour opérer des choix réfléchis et pour participer activement à la vie d’une société démocratique. Si le mandat universitaire ne comprend plus le développement de ces capacités, le risque est l’avènement d’un système éducatif qui, loin de prendre en compte les besoins des étudiants et de la société, se consacre à la satisfaction de ceux des entreprises privées et du marché.

Seule l’histoire pourra apporter une réponse à cette question car les évolutions en cours représentent des équilibres instables entre différentes logiques qui ne semblent pas encore définitivement inscrites. Mais il n’en reste pas moins certain que la société canadienne dans l’Ontario est marquée par des évolutions qui secouent son système éducatif. On peut cependant penser que l’élargissement des offres de formation universitaire, entre FI, FC et FAD, dans un contexte d’internationalisation est caractéristique d’une société de plus en plus influencée par certains des procédés industriels de la mise en réseaux.

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