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LINCOLN ROOM
UNIVERSITY OF ILLINOIS
LIBRARY
A MADAME
ABRAHAM LINCOLN
Toutetraductionou contrefaçonestinterditeenFranceetà l'Étranger.
Tout exemplaire nonrevêtudelagriffeci-dessousseraconsidérécommecontrefait.
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PariSf
—
Typ. Walder, rue Bonaparte,44,ABRAHAM
LINCOLN
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8A NAISSANCE, SA VIE, SA MORT
RÉCIT DE LA GUERRE D'AMÉRIQUE
D'APRÈS LES DOCUMENTS LES PLUSAUTHENTIQUES
ACHILLE ARNAUD
Rédacteur àl'OpinionnalùmaU
PARIS
sn-
CHARLIEU FRERES ET HU1LLERY, LIBRAIRES-EDITEURS
10, RIE GÎT-LE-COEUR
*«
fABRAHAM
LINCOLN, Néle12février1809, mortle15avril 1865.<
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v\>Hk> '*"
Lavied'un honnête
homme,
d'un citoyen qui,comme Abraham
Lincoln, marchedepuissespremiers ans jusqu'au jour desamortdanslavoiequelui tracentla loiet lamorale; qui, dans quelque circonstancequ'ilsetrouve, humble oupuissant,simplebûcheron ouchefd'Etat, n'oubliejamaiscequel'on doità Dieu, àsessemblableset àsoi-même;labiographie decetapôtredu devoirdoit êtreunenseignementsalutairepourtous,pourlespremierscomme
pourlespluspetitsparmilepeuple.Touspeuvent méditer utilementlespéri- pétiesd'abord douloureuses,glorieusesplustard,d'uneexistenceoù.l'adversité retrempelecourage dansletravail,oùlavictoirenetrouve danslesuccèsqu'un argument enlaveurdelaréconciliation.Oui,laviede Lincolndoit êtreun exemple pourceuxauxyeux desquelsla premièrequalitédel'espritestlesérieux
;lapremière condition delavie,la simplicité. Cette vie,commencéeparledévouement, mûrie danslesdevoirs rigoureuxducitoyen,s'estterminée parle sacrifice.Lapostéritén'endemande pas toujours autantpourfaireunhéros;lesfaiseursde légendessontmoins exigeantsalors qu'ils'agitde décernerl'immortalitéàunpourfendeur de Turcs oudeSarrasins.
L'histoireafaitlarge placeàcesconquérants antiquesqui, sur laVoieSacrée, traînaient derrière leurcharlesnations vaincuesetenchaînées;ellea couronné Octave,cetriumvirromainqui,après avoir étayé son trône aveclescadavres des guerresciviles, sacrifia leslibertésdupeupleromainsurlapremièremarche .* dupalaisd'Auguste. Quellepageréservera-t-elleauprésident Lincoln qui n'a vudanssesennemisabattusquedes citoyens de l'Union américaineetqui,dans
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lesmomentslesplusdifficilesd'une guerreterrible, n'ajamais'pensé àsacrifier uneseuleprérogative démocratiqueaudieu jaloux desbatailles?Sous quel jour lumineuxnous montrera-t-ellelagrandefigurede Lincoln,mourantdans son triomphe,lejouroùla justice rayait définitivement,aveclapointe de sonépée victorieuse,leCodeNoirdelaConstitutionaméricaine?
Silesguerrierstriomphants,silesconquérants de paysetde peuplesexcitent l'enthousiasmede quelques-uns,je suisconvaincuquelelibérateurdesesclaves duSudtrouvera dansle cœurde tousles
hommes
de bienetde sentiments généreux l'admiration quirevientdedroitauxbienfaiteursde l'humanité.Pourétudier et écrirel'histoiredeCésar,ilfaut êtreCésarlui-même ouavoir legéniedePlutarque;pour comprendreetraconterlavied'AbrahamLincoln,
ilfautsimplementsentirle bien etl'aimer.
En
retraçanticil'existence du dernier Président desEtats-Unis, je n'aiqu'une ambition,celledefaireestimer etadmirer parlesautres,comme
je l'estime etl'admiremoi-même,legrandhomme
quetous,même
sesennemis, appelaient «l'honnête.»Jamaisje n'ai étéplusfierd'êtrehommequelorsque cettemort m'a montrécombien,pendantlestroubles deson administration,lesvertuspubliquesetprivées d'AbrahamLincolns'étaientgravées d'une manièrelente
«tsilencieusedanslecœurdeshommes.
Bigklow.
NAISSANCEDELINCOLN. LES QUAKERS.
—
LES PIONNIERS.Abraham
Lincoln naquit le 12février 1809, dansunecondition des plus humbles. Ses ancêtres, établisdans le comté de Hardin (Kentucky), ap- partenaient àlasectedesquakers, secte qui prendlenom, parmiles initiés, deSociété chrétienne desamis. GeorgesFoxenavait étélefondateuren Angle- terrevers l'an 1657. Les persécutions exercées par le fameux protecteur Cromwellpoussèrent à l'émigrationlamajeurepartiedesadeptes,qui débar- quèrent, l'an1650, enAmérique.Trente ans plus tard,Guillaume Penn, convertiàla doctrinede Fox, échangea unecréance de 400,000francsquelui devait le gouvernement anglais contre lapropriété et la souveraineté du vaste territoirecontigu à New-Jersey àl'ouestde la Delaware. Ce terri- toire,entre lesmains des quakers, devintl'Etat de Pensylvanie. Là,libre detouteentrave gouvernementale,Pennappliqualepremier principepolitique dela secte.Ilvoulutquelesindigènes donnassent leursanctionau nouveau gouvernement, etiladmitlesIndienspour unquart danslareprésentation nationale.Le nouveau colonisateur,
comme
illeditlui-même, « cherchaità donnerforceaupouvoirpar rapportaupeuple,etàgarantirlepeuple detout abus de pouvoir,afinqu'il fût libreparl'obéissance légale;car la libertésans l'obéissanceestconfusion, et l'obéissance sans liberté est l'esclavage. »Quandon étudieun
homme
de l'importancepolitiquede Lincoln,ilest nécessairede connaîtrequels principesila sucés aveclelait,quelles sont les10
LINCOLN.
doctrines qui, s'inculquantdanslecerveau del'enfant,ontdirigélecaractère del'homme mûr.
En
analysantlafoipolitique et religieusedesaïeuxdujeuneAbraham
,ilseraplus facile desaisirlavigoureuse etdroitenature del'ex- Président desEtats-Unis.Danslavie ordinaire
comme
danslacarrièredel'hommed'Etat,nous verrons reparaître,transformées peut-être, mais identiques quantau germe,lesidées inspiréesparFoxetses disciples.Ainsi parlaconstitutiondePenn,résumée parlui-même en une phrase quenous venons detranscrire,ilressortclairementquelesquakers devaient êtrelesennemisnaturelsdudespotisme.L'histoirenousapprendeneffet qu'ils furentlespremiers àsesoulever contrel'Angleterre,lorsqueéclata laguerre de l'Indépendance. Leurcroyancereligieuse leurdéfendaitbien de prendreles armesetdeverserlesanghumain,mais, danscette circonstance,l'amour dela libertédominalesentiment humanitaire. Plusloin,nous verrons Lincolnfaire Jesacrifice à la nécessitéde son horreurpour lesang,marcher un
moment
contre les Indiens, maisse hâterde rentrer danslavie privée une fois l'expéditionfinie.Lemétierdesoldatluia toujoursétéantipathique.Évidem- mentcetterépulsionluivenaitde son éducation première.
Lagrande idée qui adominé Lincolntoute sa vieest celledel'abolitiondé l'esclavage.Lesprincipes abolitionistesontprisnaissancechezlesquakers.
Un
publiciste anglaisnousapprend que«la traitedesnoirs futtoujours odieuse àla Société chrétienne desamisetquece futde l'AmériqueduNord,imbuedes doctrines des quakers, que partit le signal de la grande croisade contre l'esclavage.»Ilsendemandèrentl'abolitiondès1783.
Lecaractère distinctifdes quakersest labonhomie,l'intelligence industrielle.
Le
nom
donnéà Lincoln parlepeuple américain, quil'appelait familièrement OldAbe(lepèreAbraham),témoigneassezdeladouceur decaractèrequetous reconnaissaientauPrésident. L'intelligence industrielledesa race,illa possédait également, puisque,partiderien,ilétaitarrivésuccessivementàêtrebûcheron, épicier,maîtred'école, avocat.
Cesontencorelesquakers qui poussentl'idéaldel'honnêtetéjusqu'àproscrire leserment
comme
unechoseillégitime et qui ontinscritdansleursdogmes qu'une simpledéclarationnégativeouaffirmativesuffit.Le fonddu caractèrede Lincoln aété l'honnêteté,etcettevertuétait un articledefoipourla sectedanslaquellevécurentses ancêtres, tous pionniers.
Le Yankeesefaitnaturellementpionnier. Cette appellation,dont l'Amérique possède aujourd'huil'usagepresqueexclusif,est d'origine toute française.
On
désignaitsouscenom, du tempsde FrançoisIer,lessoldatschargésd'exécuter lestravauxmatérielsqu'exigeaientl'attaque et ladéfensedesplaces.En1803, Bonaparte, premierconsul,fitdesmilitairesnoirs etdecouleur,provenant de noscolonies,unbataillonde pionniers qu'on
nomma
lespionniersnoirs.Les soldats etlessapeursdugénie sont aujourd'huilespionniers chargés,lorsqueLINCOLN.
}1 l'arméeesten marche, de couperleshaies, d'aplanirIpsfossésetdefrayerun passage dansleslieux sans routes nicommunications. L'analogieafaitdonner cenom
auxhardis travailleurs qui,dans l'AmériqueduNord,s'avancent dans lesimmensesforêts viergespourlesdéfricher ety apporterlaculture etla civilisation.JLepionnier américainestlorcédenecompter quesurlui-même.
Armé
de sa hache,ilest assezfortpour mépriserlesobstacles et dompterlanature.Arrive-t-ildansunlieudésert,il sefaitouvrieretingénieur.
En
cinqousix heuresils'estconstruitunabripourluietsa famille.Quelques branchesd'arbre luiontfournilesmuraillesetle toitdesacabane.Le lendemainilincendiela forêt et créeunchamp
danslequelilsème dumaïsetdespommes
deterre.|1 éclaircitlesenvironsleplusqu'illepeut,car,danscettevie toutede hasards dangereux,ilfautvoirvenirdeloinl'ennemi. Outrelesbêtes fauves, ilya surtoutà redouterl'Indien,l'ennemi implacabledublanc, decetenvahisseur acharné quiebaquejourlerepousse plusloin.Lepionnierseregardecomme
légitime possesseurdusolqu'il défriche; l'indigène, lui, spcroirepropriétaire natureldecesolenvahi.Delàuneguerreatroce enfrecolonset Indiens,qui dura depuisladécouverte de l'Amérique.Pans, cette vieoùtoutestdanger,leYankee,abandonnéàlui-même,n'ayant pour,prgtppteurquesonriffle,apprendlecourageet laprudpncp à chaquepas.
Souvent
même,
malgrécecourageetcetteprudence,ilsuccombesouslescoups desesennemis, qui guettent chezluiuninstantdedéfaillance,unmoment
d'oubli. C'estdansune minutede confiancefatalequelegrantb-pèrpd'Abraham Lincoln, l'un despremiers pionniersduKentucky,fut surpris et tuéparles Indiens,pendantqu'ilétaitàlachasse.Sonpetit-fds,quipendant quelques annéesmènera
comme
lui laviedepionnier,échappant àlahaine desIndiens, devaittomberfrappéparuneballeaméricaine.LafamilleLincoln, privée de sonchef, se décidaàquitterleKentuckyet à chercherdansl'Indianalesressources nécessaires. Elle se fixadanslecomté de Spencer, quiétaitalorsunesolitudepresqueinhabitée.Lepèred'Abraham
vit,
comme
avant,lamisères'attacheràses pas, etune mortprématurée,arrivée en1819, vint l'enleveràsafemme
etàsestrois enfants, qu'illaissait sans ressources.Abraham
Lincolnavait dix ans.t
ÉDUCATION
m
LINCOLN.—
SESPREMIÈRES ANNÉES.Lejeune Lincolnse trouvait, dèssespremiersans, l'unique soutiendesa mèremalade, d'unfrère etd'unesœurplus jeunesquelui.Pourveniren aide à cettefamilleabandonnée,Abrahamn'avaitquedesbrasauxmuscles à peinefor- més. MaisLincoln, élevépardes pionniers,danslasobriétéet lafermetéd'âme desquakers,avaitunevolonté defer.Onluiavaitenseigné,àluitout enfant,
12
LINCOLN.
ce qu'il devaitpratiquer
comme homme.
Ses aïeuxetson pèreluiavaient appris l'homogénéité desidées, la consistanceducaractère.Les pères américainss'étudientàfairedeshommes.Ilsprennent àcœurleur devoiretn'abandonnent pasauxhasardsd'une éducation mercenairelesoin d'élever leurs enfants.Le Yankeeseréserve toutela responsabilité quelui imposeledevoir.
Comme
leFrançais,parexemple,iln'acceptepasla paternité facile./#'<*A#W£>
Mortdupèred'AbrahamLincoln.
Chez noustout cela estbiendifférent.
Ilnefautpasqu'une vertu embarrasse notreexistence.Noussommeslégers, onnousledittouslesjours, etnous entirons vanité
comme
s'ilyavaitdequoi.Oubliantvolontiers queYobligationestl'expressionnécessairedudroit, notre instabilitérationnelle nous adotés d'une consciencebon-enfant, qui nous bourrelédoucementderemordsémoussésetnouslaissevivre notreviesans nousendouter,absolument
comme
M. Jourdainfaisaitdela prose.Danslerôlede père,
comme
danstousceuxquenous imposentles loisciviles etmorales, nous admettonsleplaisir,nous n'acceptons paslagène.Aussi,quefaisons-nousde nos enfants?
—
Desimpuissants, desinutiles.LINCOLN.
13 AbrahamLincolnnedevaitêtre nil'un ni l'autre.Elevé àl'écoledutravail,il accepta vaillammentledevoir detravailler.Sesancêtres etson pèreluiavaient appris la dignitéhumaine enluiinculquant,comme
premier principe, que l'homme nedoitcompter quesurlui-même;ilnecherchaquedanssavolonté etson énergielemoyen
de gagner son painetceluidelafamille.11sefitsuc- cessivement garçon de charrue dansuneferme,manœuvre
dansunescierie, apprenticharpentier.Lavie étaitdure, maisilsebattait 'contre la vie.Il
mena
cettedifficileexis-Lincolii, flotteurdebois,descendantla rivièreWasbash.
tence jusqu'àl'âgede vingtetunans,dansl'Indiana.
En
1830,ilse sentit pris de cebesoindemouvement
quiest, chezleYankee, un besoinnécessaire, impérieux.L'idée lui vintdesauterà quelques centaines delieues,dansl'ouest, pour yfairefortune;ilémigra dansl'Illinois,surlesbordsduMississipi.ILÉMIGRÉDANS L'iLLINOIS.
L'Illinoisestunpaysplat,semédebois,de marais, deprairies.Sonsoltrès- tertile,son climat très-doux,sa position entrelesrivièresleMississipi,l'Illinois, leKaskaskia,l'Ohio,leWasbach,leMuddy-RiveretleRock, enfontundes plus beauxpays de l'Amérique. Les^fleurssauvagesquel'onrencontre partout,au
14
LINCOLN.
bord des grandesroutes, dans les champs,etprincipalement au milieu des prairies,forment, parleur variété etleluxedeleurs couleurs,leplusbeléchan- tillondela floredesdeuxmondes. Les grands arbresetleslongues lentisquesqui croissentlelongdesgrandes rivièresdénotentune puissance de végétation devantlaquelle lapenséehumainene peut s'empêcher des'incliner.
Si,maintenant,on remontelepassé historique del'Illinois,onrencontreles peuplades indiennes occupantlepays,élevantcà et làquelques huttes depeaux debêtes etvivantdansleurindolenceprimitive.Lacivilisation arriveavecdes Français venusdu Canada en1593.Ces Françaissegroupent et bâtissentau sudlefortdeChartres.Cefortn'étaitpasalorsuneredoutablecitadelle.Son enceinte quadrangulaire occupaitàpeine deuxarpents. Aujourd'hui, ilest moinsqu'uneruine, carlesfermiersduvoisinage ontpris touteslèspierresdu
fortde Chartrespoureh fairelesmurailles pacifiquesd'une bergerie ou d'une étableâboeufs.11fautcouperlesarbustes et lesvignes sauvages quilàrecou- vrentpolirreconnaître l'empreinte guerrière que laFrance alaisséeàBitte place.
Cefut ericoreunFrançais,lepèreGravier,qui fondala premièrevilledans l'Illinois.
A
quelqueslieuesdufort,unestationde missionnaires créala citéde Kaskaskià quifiitlongtempsla capitaledupays, etquin'estplus àl'heure qu'il estqu'Unpauvrevillagede4à500habitants.Un
autrepère missionnairefran- çais,Pihét,foridalasecondeville,quipritd'abordlenom
deCahokia, transformé plus tardenceluide Cahos,mieuxapproprié àl'étatdupayspleindemares d'eau, d'accidents de terrain, de constructions sans symétrie élevées àla diable, etdontlespropriétairessemblaient s'êtredonnélemotpourfaire un assemblage étrange.Cefut l'astucieuxet entreprenant Mazarin qui désignal'Illinoisauxcolons français. Le malin cardinal avait un plan, celui d'enserrer lesAnglais , aveclesquelsnousétionsenguerre,dansunréseau decolonies françaises qui.
seresserrantdeplusèhplus,auraient fini par lesrefoulersurlesplages de l'Atlantique.
Malheureusement, Mazarin mourut sans avoirpu fortifiercesystème de colonisation agressive,et,deuxans aprèssamort, en1663,lehonteuxtraité de Fontainebleause signait etlaFrancecédaitàl'AngleterreïeCanadaetla Louisianeoccidentalecomprenantalorsl'Illinois,leMissouri,etc.L'Amérique repritàl'Angleterre ceterritoire,
comme
lerestedesEtats-Unis, lorsdelaguerre de l'Indépendance en1783.Un
rapportdu capitaine anglaisPittman, àladatede 1710,faitconnaître qu'àcetteépoquel'Illinoisétaitleplusimportant grenier d'abondance desdeux hémisphères. D'aprèscestatisticien,qui nous semblesacrifierun peutrop à l'enthousiasme,unfermier del'Illinoisfournissaità lui tout seulunequantité defarine suffisantepour nourrir pendantune annéelestroupesd'Angleterre.Ilestvraiqu'àcetteépoque, pas plus chez nosvoisinsque chez nous,lésné-
LINCOLN.
15 ccssitésdelaguerre necréaient pas,comme
de nosjours,unbesoinaussidéve- loppé de régimentset d'escadrons, etque, danscettecirconstance,lecapitaine Pittmann'avouluparlerquedes troupesanglaisesqui occupaientlepays.Unfaitnon moinscurieuxquerapportele
même
auteurestcelui-ci:«L'abondance était telledanscesrégionsfertiles, et lamain-d'œuvre sirarequ'un ouvrier étaitnourrietentretenupendantlecours d'uneannée,pourvuqu'il donnât deuxmois detravailàlaferme,l'un à l'époque dessemailles, l'autreàcelle desmoissons.»Ces temps-làétaientbien changésau
moment
oùLincolnarrivaitdansl'Iîli- nois.Abraham
repritd'abordson métier de garçon de charrue dansuneferme où on demandaitunlongtravailpour un faible salaire. L'énergie américaine avaitpeuplé largementlepays;lesbras destravailleursne manquaientpaset laconcurrenceétaitassez fortepourempêcherlesouvriers delacampagnede devenir subitementmillionnaires.Au
milieudupaisible etmonotonetravailauquelladestinéelecondamnait, Lincolnrêvaità l'indépendanceun peusauvage desespremières années.A
l'ar- rièredecettecharrue quisetraînaitpéniblementdanslesillon,ilse rappelait la libre existencede pionnier qu'avaientmenéeson grand-pèreetsonpère. Cette rudeviede défricheuroùonestexposé touslesjoursàtombersousla flèche invisibledel'Indien,oùl'on sebat corps à corps aveclanature,n'avaitquedes attraitspourlui.Lejoug deladomesticitélui pesait aussilourdementquecelui sous lequelsecourbaitl'encolurepuissante desesbœufs.Ladureloidubesoin avaitbeaus'imposer àluifataleetimpérieuse,ilnepouvaitétouffer ses aspi- rationsd'indépendance;ilvoulaitbien subirlamisère,maisildemandaitla libertédanslamisère. Enfin, parun beaujour de généreuxsoleil,parunede cesmatinéesoùlesoiseaux voyageursressententl'irrésistibledésirde locomotion et la soifdel'espace,danslasaisonoùlacaille,parexemple,sebrisequelquefois lecrâne contreleplafond desa cage,parcequedesbarreaux rendent impuis- santsleseffortsacharnés desesailes,paruneaurore de printempsenfin,Abra-ham
Lincolnsentit seréveillerenluil'instinct national,lebesoin des grandes solitudesdel'ouest.Ilpartitpourla frontièrequi séparel'Illinoisdesterritoires indiens.Làilvécut desachasse etdesaculturecomme
avaientvécuses pères.Il
mena
pendantdeuxans ce qu'onappellelarudeviedefrontière.Dansce genred'existenceoùpourvoir àsesbesoins matérielsest lepremiersoin,Lincoln cultivaitdumaïs,se livraitàlachasse danslesbois etlesprairies.Maislachasse devient de plusenplusdifficile.Lachairouladépouille desanimauxsauvages estardue à conquérir. Lesfauves,traquées d'uncôtéparlesIndiens,parles colonsdel'autre,s'enfoncent de plusenplus danslesforêts.Ilfautsouvent de longuescoursespourlesatteindre;leplus souventilfautéchangeruncoup de carabineavecl'indigènequi lespoursuitcomme
letraqueur. C'estdanscemoment
etsurleterrain de chassequelahaine innée entreAméricainet Peau-Rougeéclate.Un
duel de ruseetde couragese livredansces vastessoli-16
LINCOLN.
tudesoùl'hommepâleestsouventlavictime.Rienne peutréconcilier cesdeux ennemisguisur la frontière sedisputentle
même
butin.Lincoln devaitavoirnon-seulementducourage,mais de bons yeux.Cette vie de pionnier devait forcémentluiapprendrela circonspection, car touslesjours sa vie étaitmenacéeetilfallaitladéfendrecontre la rusedes sauvages quilui avaientappris,en tuant son grand-père, que, pouruntraqueur,laplus légère imprudenceestlesuicide.Tout en développantsesforcesphysiques,
Abraham
fortifiaitsoncaractèredéjà sibien trempé.
A
cette écolede laborieuse mais d'attrayante liberté,ilapprenaitlaprudence.IL SEFAITBATELIER SURl'oHIO.
Ilestbienrarequel'on s'enrichissedanslarudeviedefrontière.Pas plusque ses ancêtres,pas plusquesonpère,
Abraham
n'avaitamassé quantité dedollars dansl'existence àdemisauvage depionnier.Pourlessiens etpour lui-même,le coureur debois voulait acquérir.11nerecherchaitpaslafortuneenavare,ilne plaçaitpaslebonheurabsoludansunepépited'or.Non.Dansl'aisancequ'il enviait,Lincolnn'aspiraitqu'à l'indépendance.Ilsavaitquedansunpayslibrecomme
l'Amérique,iln'y avaitquelapauvreté qui pût vousforcerà abdiquer jusqu'àuncertainpointcette liberté,en vousplaçant'sousl'autoritéd'unautre.Ilsavait aussiqu'iln'y apasauxÉtats-Unisdesotmétier,etquelesbrasetla volontéétaientuncapitalfacileàplacer;ilpouvait
comme
tant d'autresentirer parti.Ilsedécida doncàrentrerdanslavie civiliséeetrepassalafrontièredel'IUi- nois.Ilacceptaun compromisentreson besoin d'indépendanceet lanécessité:
ilsefitbateliersurl'OhioetleWasbach.Tout en descendantcesgrandesrivières, soitsurunradeau,soitsur desbateaux chargés defarine,Lincoln,envéritable Anglo-Saxon, neperdaitpas son temps.Sonespritpositif,
comme
celuide tousses compatriotes,neselaissaitpasalleràla rêverie,àlacontemplation decette luxuriantenature. L'idéedel'artetdu beaun'estpascequienflammed'ordi- nairelesintelligencesaméricaines.LeYankeequi aprispourdevise:Timesis money,n'estpas contemplatifcomme
unOriental.Ilatoutunmonde
àdéfricher, àciviliser;iln'apasle loisirde s'abîmerdans desrêveriesimproductives.Ilfaut dupratique entoutàcettenation qui aunesaintehorreur delaconcentration.Lincolnétaitde son paysetde sonépoque:nonpaspourtuerletemps, mais pourl'utiliser,illisaitsurson radeau.
Lalittératureaméricainereflètenécessairementlecaractère national. « C'est,
«ditM.Philarète Chasles,unelittératureaussiéloignéequepossibledurepos
«classique. C'estunelittératured'informations, de renseignements;éminem-
«mentpériodique,
éminemment
journalière,changeante, cherchantl'avenir,« voulants'enquérirduprésentetne comprenantpaslaquiétude del'artiste
<c
quidemandeà de longuesveilles lareproduction exacte,savante,absolue de
«sapensée.Lavariété,lerenseignement,lanouveauté, l'éclatet
même
leLINCOLN.
17«tapage remplissenttout l'espace;toutestmobileet pressé; toutfuit,tout se
«transforme.L'écrivain classiqueressembleausculpteur qui veut graver surla
«pierre, et'pour l'avenir; lanouvellelittératureaméricaineestuntélégraphe
«électriquedontleseulemploiestde transmettre rapidement lanouvelle
«l'imageetl'idée, »
Cegenre delittérature,quiestsurtout celledujournalisme, aidepuissam- mentl'activiténationale.Parleur multiplicité et leurbonmarché,lesjournaux,
18
LINCOLN.
quitirentàplusde cinqcentsmillionsd'exemplaires paran,pénètrent dans touteslesclassesdelasociété,initientchacunàlavie politique,entretiennent cheztous cetteardeur civique quifaitqueleYankee neselaissepointalleraux hébétements del'indifférence.Danslesnaturesélevées
comme
celledeLincoln, apériodicité,quieffleure touteslesquestions, éveillelebesoin de connaître'et 'excite.Abraham
lebatelier,sollicitédans son ardeur d'apprendre parlesexcitations salutairesdespublications àbon marché,s'attachaà connaître lasciencevers laquelleleportaitplusparticulièrementlatendance de sonesprit.Ilméditales lois,étudialapolitique etlesprincipesdu gouvernementde sonpays.Touten amenantses trainsdebois ouseschargements defarinedansleMississipi,le futurhomme
d'Etatmûrissaitsonespritdansl'étudedelaConstitution etdu Codeaméricain.Sonintelligence qui,sousuneresponsabilitéprécoce àlamortde sonpère, avait prisde la fermeté,s'étaitassouplieàlaprudence danssesépreuves de pionnier,s'habituaitaujourd'hui àlaméditation.
Abraham
Lincolnsefaisaithomme.
Lincoln arpenteur, bûcheron, épicier,maîtred'école, avocat.
Quelqueslivres de géométrie élémentaireattirèrent plus particulièrement l'attentiond'Abraham. Ces études absorbèrentun
moment
lesaptitudesde son espritpositif.Songénie pratiqueluifitbientôtcomprendretoutleparti qu'il pouvaittirerdel'artquiconsisteàmesurerleslignes droitesoulesangles.Lejouroùilcompritqueson éducationétaitfaiteengéométrie,ilsongea à appbquerpratiquementcettescience etils'écriacourageusement:Gohead!en avant!UnefoisqueleYankeea prononcécemotquiprésideàtouteslesphases desa destinée,ilnerecule plus.11marche bravementlàoùsarésolutionle conduit.Lincolnsefitarpenteur.IlétaitalorsdanslecomtédeSangamon.Cette profession commençaità apporter quelque petitbien-être à Sa condition, lorsqueéclata, en 1837,lacrise financière qui enlevaauxpropriétés toute leur valeur. Les ventesou les échanges deterrains furent suspendus etle nouveau métierd'Abraham devintune sinécure ruineuse. Peu à peu ses ressources s'épuisèrent, etunjourilenfutréduitàvendresesinstruments,ses jalons, ses fiches,sachaîne d'arpentage, son graphomètre.
Voilà donc encoreunefois lepauvre Lincolnréduitàlamisère. Maisilétait fort,ilétaitrobuste.Lavie àdemi sauvagequ'il avaitmenée, soitsurla frontière enfacedesJowa,desKan, des Nébraska,soit
comme
batelier sur l'Ohio et le Wasbach, avait fortifiésesmuscleset lui avaitfait unesolide constitution.En
effet, pour que l'éducation soitfructueuseetcomplète,ilfaut qu'elle prennel'enfantauberceau.Pourcréerun homme
aussicompletque possible,LINCOLN.
19 dontlesfacultésphysiquessoientenharmonieaveclesfacultésmorales,ilfaut lecultiverabovo,leprendre dansl'œuf,comme
diraitSterne.Si,aulieu d'être élevédansletravail quotidien,parunpère pionnier;si,au lieu d'avoiraccepté dèsl'âgededixansla responsabilitéde nourrirsamère,sa jeune sœuretson jeunefrère,Lincoln eûtétéfilsde bourgeoiseteût reçu l'éducationde noscollèges français, sousunedisciplinefaitepourannihiler sa nature physique,ilaurait,
comme
tantd'entrenous, payé de l'énervement de soncorps,dela virilitéde son énergie morale,etdutiersde sonexistence,lemincebagageintellectueldontl'Universitédotesesélus.
Lepremier devoir del'hommeestdesebienporter.Lincolnétaitriched'une santérobuste. Aussin'hésita-t-ilpasunseul instantà reprendre son ancien métier.Sesbras,habitués àmanierlahachedubûcheron,firentdenouveau évoluer l'instrument dont chaque coup ébranlecesvieux géants desforêtsdu nouveauinonde.Redevenurailspitter,ilsemit àdébiterdestraversespourles chemins defer.
Comme
ilétaitdéjàun peu connu»dans" l'illinois par son intelligence etlesquelquesapplications qu'il avaitpufairedeses connaissances, lesobriquet derailspitterfutaccoléàsonnom
de Lincolnetlui estrestéjusqu'à lafin.Iltrouva encorel'occasionde s'engager
comme
portefaix etmanœuvre
surles bateaux à vapeur duMississipi qui fontle servicede laNouvelle-Orléans.Comme
quelques années auparavant,lespérégrinationsfluvialesramenèrent l'ardeurde la lecture. Ses épargnesluiservaientà acheter des revuesetdes livresàbonmarché, danslesquelsils'absorbaitlorsquelamanœuvre
luilaissait quelquerepos.Leséconomiesmomentanéesqu'il avait réaliséesdanslaprofessiond'arpenteur luiavaientdonnédugoûtpourlespositionsindépendantes.Ilavaitcompris qu'à lui, tout
comme
auxautres,ilpourraitlui arriver,avec quelquesefforts,de sortirdelasubordinationàlaquelle, pourlaquatrièmefois, l'assujettissaitla misère.Ilrésolutdetenterencorela fortune, abandonnala batellerie etvint s'installerépicierdanslapetitevillede Decatur.Toujours ambitieux des'élever,
Abraham
chercha àutiliserlesconnaissances dontlalecture avaitmeublésamémoire, etunefoissonmagasind'épicerie fermé àlanuit tombante,ilappelaitàluilespetits enfants etlesadultes etleur enseignaitun peudece qu'il avaitappristout seul.Pourparlerplussimplement,ilsefitmaîtred'école.Ilinculqua àsesélèveslesprincipes decette religion sobreetsans fastequeluiavaient enseignésses pères.Aveccet esprit lucide, cette diction claire qu'il apporta dansla suiteàl'exposition des questions lesplus ardues,ildéveloppa devantlesenfants etdevantlesjeunes gens qu'on lui confiaitlesidées saines et droitesqui ontfaitla gloiredesa tropcourte carrière.
En
instruisantlesenfants,ilcherchait àfairedeshommes.
Dès que ses élèvessavaientlire, illeurfaisaitétudierlesarticlesdela Constitutionaméricaineetleur expliquaitlesdroits etlesdevoirsducitoyen.
20
LINCOLN.
Combienles
hommes
qui ontappris" àliresousLincoln doiventêtrefiersaujour- l'huid'avoirreçulesleçonsd'unpareilmaître! Quelexemplede persévérante nergieila légué àses disciplesdeFlllinois!Demaîtred'écoleà procureuriln'y aquel'épaisseurducode. Ladistance étaità moitiéfranchiepar Lincoln quiavaitdéjàétudiéles loisde sonpays.Le hasardluifournitle
moyen
de passer delachairedu pédagogue aubureau de l'avocat.Uneplacedeclerc setrouvaitvacante chezundeses voisins, proprié- taired'unoffice.11remplaçaleclerc etsefithomme
deloi.Par sontravail et sa persévérance,ilacquituneconnaissance approfondie dudroit.11s'établitpour soncompteetbientôtsoninstruction solide, sagrande réputation dedroiture, sesmanièresaffablesluivalurentuneclientèleimportante.Ilquitta la petite villede Decatur pourSpringfield, etlà,sarenommée
lesuivant,ildevintl'avocat leplusdistinguédubarreau.Ilavait alors26 ans(1837)etexerçait saprofession de concert avec sonassociéJohnT. Sevvart.Parsaseulevolonté, parsaténacitédansunenoble ambition,lesimplerail spkter estdevenu l'hommedistinguéà quitouslesplaideurs del'Illinoisveulent confier leurs causes.Iladignementcaptivé la considération, cette considération sienviable quivalelancer danslavie politique.
C'esticiquelagrandehistoired'AbrahamLincoln
commence
;c'estmainte- nantquenousallonslevoirauxprisesavecles difficultésd'untoutautre ordre.Mais Lincolnseratoujoursle
même homme,
ilnevariera ni d'allures nide sen- timents:le travail et lamisère, lequakerismeetl'étude en avaientfaitunhomme
complet.Ilétaitprêtpourseshautesdestinées.VIEPOLITIQUE DELINCOLN. LA CONSTITUTION*DESÉTATS-UNIS.
—
REPUBLICAINS ET DÉMOCRATES.Pourapprécierlesévénements,pourjugerles
hommes,
il estessentielde connaîtrelemilieu politiquedanslequelilssemeuvent,danslequelilsvivent.Ledocumentnationalquirésumelecaractèred'un peuple, sonpassé, ses aspi- rationsversl'avenir,c'estlaconstitutiondecepeuple.
On
adit, etavecraison:« Unenationn'aquelegouvernementqu'elle mérite. » Voyonsdonc, avant d'étudierl'hommepolitiquedans
Abraham
Lincoln,quellessontlesbasessur lesquelleslegrand fondateur delarépublique américaineavaitposél'édifice socialetpolitique des États-Unis.Étudionssa Constitution.En Amérique,la
commune
existaitavantl'Etat,etlarépubliqueétantl'image dela famille,quin'estqu'unecommune
enpetit, devaitêtrefatalement la forme d'ungouvernementlibrementdiscuté etfacilementaccepté.La commune, auxEtats-Unis,estunindividudistinctdansl'Etat.Elle estcomplètement maî- tressede prendretouteslesmesures quiluiparaissentconvenables sansquele gouvernementcentralaitàintervenir.Ilestd'axiomepolitique que chaque individuest lemeilleur juge,en cequinetoucheque lui-même,decequiluiLINCOLN.
21 convient ou nelui convientpas.Aussilasouveraineté réside-t-elledans le peuple quinomme
ses select-mcn,magistratsauxquelsestconfiélesoindelacommune,
etqui ne représententquelepouvoirexécutifchargé d'appliquerles mesures votées partouslesélecteurs réunis.Lepeuple
nomme
égalementles officierspublicschargés de préleverlestaxes, ceux dontlesattributionssontdefaireexécuterlesrèglements depolice;ilnomme même
legreffieret lecaissierdelacommune. Uneindemnitéestallouée à chacun,etnulne peut, sous peine d'amende,refuser l'emploidontl'ahonoré laconfiancedeses concitoyens.L'Étata cependantunecertaine action,mais bienlimitée, sur lacommune.
Si la législaturevote destravauxet laperception d'unimpôt,la
commune
est forcée d'obéir.Maislamanièredontcetimpôtestperçu ne regarde pasl'État.On
luienvoiel'argentquelaloiadécrété,iln'apas à exiger davantage.Toutestcombiné
,dansl'organisationdela
commune
,pourlaisseràchacun son indépendanceaussicomplètequepossible.AussiauxEtats-Unisl'hommeest citoyen.«Cettepréoccupation de l'indépendance personnelle,ditM.Belloc, a faitquel'autoritédes magistrats aété restreinteautantquepossible.Pourcela onaemployé deux moyens:d'abordonn'aconcédélesfonctionsmunicipale1.', que pour un temps extrêmementlimité,une année,parexemple;ensuiteona disséminél'autoritédansungrandnombrede mains.Chacuns'accoutume àre- garderla prospéritédelacommune comme
son propre ouvrage;ily prend intérêt etl'aimeenraisonde l'importancequ'ily a acquiseetdelasomme
de bien-êtrequ'ilenretire. »Au-dessus dela
commune
estYÉtat. ChaqueÉtata uneexistencepropre.C'estunerépubliqueindépendante danslagrande république.L'Étataseslois, sesadministrateurs, qui ne relèvent d'aucuneautorité supérieure.Danschaque État,lepouvoirlégislatifestexercé pardeuxassembléesélues.L'uneestle Sénat,l'autre laChambredesreprésentants.Les représentants sont
nommés
pourunan,lessénateursrestentdeux outroisannéesenfonctions.La Chambre estrenouvelée intégralement,leSénat partiers,detellesortequecettedernière assemblée renferme toujours deshommes
habituésauxaffaires.Au
sommetdel'édificeconstitutionnel setrouve placéleCongrès,composé d'un Sénatetd'uneChambredesreprésentants.Toutlepouvoirlégislatifréside dansleurs votes.LepouvoirexécutifestconfiéauPrésidentdes Etats-Unisqui, demême
queleVice-Président,estnommé
pour quatreans.C'estàlaConstitutionfédéralerédigée parWashington que lesAméricains doiventle développementexceptionnelqui, ensoixante ans, afaitdeleur nationunenationde premierordre. Lalibertéest
comme
lesoleil,tousles peuples aujourd'hui veulentseréchaufferàses rayons.LaRévolutionfrançaise, enlafaisant luiresur l'Europe,aétépourlesÉtats-Unislepluspuissantagent decolonisation.En Amérique,lescolonstrouvent plus deliberté, plusd'avan- tagesmatériels, plusdeprivilèges sociauxetpolitiquesqueneleurenoffre22
LINCOLN.
laterre natale:ilsy émigrent en masse;laguerre
même
n'apasarrêtéce mouvement.Danscepays,oùl'individualitéestlaisséeàtoutesoninitiative,personne ne rougitdesa position,quelque infimequ'ellesoit.Telmarchandquis'envapar
lesrues, traînantson haquetetcriantdes
pommes
duCanada,seramillionnaire demain,pour redevenir pauvre quelques mois aprèsetrefairedéfinitivement fortunesi, aumilieu detoutes ses péripéties, l'intelligence etlaprobité n'ont jamaisétéentamées.Les Orientaux regardentleschoseslesplus étonnantes sans êtrejamaissurpris,maisce n'est làquedel'indifférenceapathique;c'estréelle- mentpour l'Américainquelepoète Horace aécritson proverbe:Nilmirari,ne s'étonnerderien.Le Yankee,quine doute derien,nesaurait, par simple logique,avoir lesdédainsniaisquelesraces aristocratiques professentpource qu'ellesappellentunhomme
de rien,elles qui nesont plus grand' chose. La réussite d'unhomme
de volontéet d'intelligence n'a rien qui étonne dansce pays deliberté.Les parvenus, danscettedémocratie, sontd'essence nationale.
Lesuccèsd'AbrahamLincoln
comme
avocatn'adoncriende surprenantaux Etats-Unis.Ilétaithonnête,conciliant,ferme dansle droitcomme
dansses devoirs, et aussi légistequ'aucun avocat deSpringfield.Ilavait alors trente ans.En
politiqueilétaitrangé danslafractiondeswhigsavancés.Pourleswhigs, l'unitédelarépubliquemarcheavanttout.Unpourtous,touspourun, voilà leur devise.NousverronscombienLincolnaété fidèleàceprincipe sauveur qui, gràcê à son énergietenace,aétémaintenuparun tempsde guerrecivileoùl'indivisibilitédesEtats-Unisaétésiterriblementmenacée.
.Les whigs,plus rationnellementappelésrépublicains,formentlepartiop- posé àcelui des démocrates, annexionistes forcenés qui poussentlelibéra- lisme jusqu'à vouloir démocratisertoutlecontinent américain.Paruneétrange inconséquence,ces torysoudémocrates,sifanatiquesdeliberté, sontlessou- tiensdesesclavagistes.
LINCOLN ESTENVOYÉ REPRÉSENTANTAL CONGRÈS DEWASHINGTON.
—
ILESTÉLUPRÉSIDENT DESÉTATS-UNIS.Lincoln,quiavait siégépendanttroisannées consécutives àla législaturede sonÉtat, futenvoyé auCongrès, en1847,parlepartirépublicaindel'illinois.
IlentrapourlapremièrefoisàlaChambredesreprésentants,àWashington,le premier lundi de décembre.Ilfutundeceuxqui,danscette enceinte,blâmè- rent laguerre quelesEtats-Unisvenaient d'entreprendre contreleMexique.
Illadésapprouvaénergiquement
comme
injuste et inconstitutionnelle.Ceres- pect dela Constitution,quiéclateicipubliquement, nousleverronsdominer savie politique.L'abolitiondel'esclavagetrouva enluiunrudechampionetilnelaissapas
LINCOLN.
23 échapper une occasion sans affirmerdanscesens saconviction de famille confirmée parlesréflexionsdel'âgemûr.«Deuxans plustard, »ditA. MaJespine,l'hommede France qui connaîtle mieuxlesÉtats-Unis etqui a toujours si courageusement défendula cause duNord, «Lincolnsoutint,en 1858,contrele sénateuresclavagisteDouglas (Stephen),une mémorablelutte oratoire.11lesuivitdevilleenville,prenantla parole aprèsluidevantle
même
public, traitantà fondlaquestion del'esclavage, etrétorquanttous sesargumentsavectant d'énergie, denetteté d'esprit et d'éloquence entraînante,qu'il attirasurluitouslesregardset seplaçaau premier rangdeshommes
politiquesde sonpays.Ilfautsurtoutrechercherdans lesdiscoursde Lincoln,dutact,delaméthode,unelogiqueserrée,une bonnehumeur
spirituelle.Un
journal deChicagodisaitdeluien1858,qu'ilavaitune lucidité toute française. Lorsqu'il abordait une question, ill'épuisait; ses adversairesauraientpu,sansregret,rendrelesarmesavant d'engagerla lutte.Ilestvraiquejamaisilnes'est faitl'avocatd'unemauvaisecause. »
Au commencement
duprintemps de 1860,iln'ya plusen Amériquedepartis, niwhigs,ni torys, ni républicains,m
démocrates. Aprèslagénéreusetentative etl'exécutiondeJohn Brown,lepremier martyr delacauseabolitioniste,deux intérêtsétaienten présence.Lagrande République menaçait desescinderen deuxconfédérations,celleduNord,celleduSud;celle del'abolition,celledu maintien del'esclavage.On
étaitàla veilledel'élection présidentielle.Le23avril1861,troiscenttroisdéléguésassistentàlaconventionqui,surla désignationdupartidémocratique,se tientà Charleston (CarolineduSud).
Plusieurscandidats sont surlesrangs,maisladivision semetdansle
camp
sudiste, etlesénateur Douglasnepeut obtenirlamajorité après dix séances très-agitées.
Laconventionduparticonservateur-unionistes'ouvre,de soncôté,le10 mai, à Baltimore.
Au
premierscrutin,lesénateurBell estnommé
candidatàlapré- sidence etM.EdwardEverett àla vice-présidence.Le16,lesrépublicainstiennentleurconvention à Chicago(Illinois).Treize candidatsse présentent.Les plus sérieux sontSeward, Lincoln etFrémont. Quatre cent soixante-six délégués prennent partauxséances,qui durenttroisjours.
SewardetLincolnsedisputentla majorité,quifinitparresteràcedernieravec 354voix.Lanomination de Lincoln
comme
candidat àlaprésidenceestdéclarée unanime. Parlechoixqu'ils font,lesrépublicains veulent accuserleurmodéra- tion etménagerlessusceptibilitésdeleursadversaires.Uneseconde conventionesclavagiste etdémocratiquese réunit,le18juin, h Baltimore, sans plus desuccèsqu'à Charleston.Une double électionporte àlacandidaturedelaprésidence DouglasetBreckinridge.
On
toucheau6novembre.Quatre candidatssedisputentlaprésidence:Abra-ham
Lincoln, John Bell,Stephen Douglas, John Breckinridge. Lesélecteurs24
LINCOLN.
spéciaux,éluspar chaqueEtat,dontlenombretotaldoit être égalàceluides membres duCongrès,Chambredes représentantsetSénatréunis,lesélecteurs émettentleurs votes. Ilssontaunombrede 303:183 pour18 Etatslibres;120 pour 15Etatsàesclaves.L'électionayantlieuàlamajoritéabsolue, cettemajo- ritéestde152. Lesoir
même,
à minuit,letélégrapheannonceàtoutel'Union que180suffragesappellentAbraham
Lincoln àlaprésidence desEtats-Unis.Un
cridecolère, partiduSud,répondàcettenouvelle.LaCarolinelapre- mièredonnelesignaldelasécession.SesdeuxsénateursauCongrès envoient leurdémission.LaGéorgie, l'Alabama,la Floride,leMississipiproposentrésolu- mentla scission.LaconventiondelaCarolinedu Suds'ouvrele17décembre, etle20elleadoptel'acteparlequel«l'Unionentre laCarolineduSudetles«autres Etats,connus sousle
nom
d'Etats-Unisd'Amérique,estdissoute. »Le24,lessixreprésentants del'EtatauCongrèsse retirent, etlespréparatifs militaires sontpoussés aveclaplusactive énergie.
LES PREMIERS ACTES d'hOSTILITÉ.
11estdes
noms
qui portent malheur.LaCarolineduSudavait été baptisée ainsidunom
de Charles IX,roideFrance,l'auteurresponsable decettetuerie huguenote qu'onappelle laSaint-Barthélémy.Cefutlenavigateur JeanRibault, qui,fondant,en1562,lepremier établissementfrançaisdanslepays, luidonna cenom
desinistre origine.C'estdela Caroline,nousl'avonsvu,qu'est partilepremier coup porté àl'in- divisibilité de l'Union; c'estdelaCarolineencore que seratiré lepremier bouletfratricidelancé contrelesNordistes.
CetEtat,undes plusrichesenplantationsde cotonetderiz,possèdesurl'At- lantiquelemagnifique port deCharleston.Lavilledece
nom,
bâtiesurune pointe deterrequi s'avance dansla baie, estenserrée pardeuxrivières:YAsley riveretleCooperriver. L'édificequiattireleplus l'attention etleplussignifi- catifest laSugar House, prison des nègres,oùsetientlemarché auxesclaves.
Danscetteespèce de caverneoudanscescatacombes àl'airinfect,humideet malsain,des
hommes
sontenchaînéset pourrissentpendantdes mois, des années.Maisces
hommes
sontdes nègreset la pitiédesCaroliniens n'estpasfaitepourla race africaine.La moindreinfraction,unretardde quelques minutes dansles rues aprèslecouvre-feu,lesamènentàlaSugar House,oùilssontcondamnés àrecevoirde vingt-cinq à cent coups defouet.Quatrefortssont chargés de défendrelarade:lefort Moultrie,lefortSumpter, lechâteauPinkneyetlefortJohnson.
LefortMoultrie,du
nom
ducolonelquimiten complète déroutel'escadre.anglaisedel'amiralPeter Parker, en 1776,estentouré defossés.Lesmurailles, construitesenpierres eten briques,sont
remplies deterreàl'intérieur etont seizepiedsd'épaisseur.
LINCOLN.
25 LefortSumpter, quicommande
l'entréemême
duportCharleston,avubâtir sesmuraillesde soixante pieds de hauteursurunilôt artificiel.11estarméde 42 canonsàlaPaixhans,'de 24 mortiersetde 76 canons de groscalibre.11peut,Suppliceducollierinfligéauxesclt-v^sniarrous.
selonlescirconstances,bombarderàla foislaville, lesautres forts etlesnavires qui chercheraient àforcerlapasse.
Au
mois dedécembre1861,lemajor AndersonoccupaitlefortMoidtrie.Se voyant dansunepositiondifficile,grâceau peudeforcesdontildisposaiten facedel'insurrectioncarolinienne,ilsedécida à l'abandonneret,le27,ilpartit
26
LINCOLN.
et futavecsestroupes s'enfermer danslefortSumpter.Cedépartfutaccompli nuitamment,sansaucunbruit,et Lelendemainseulementleshabitantss'aper- çurentqueceluiqu'ilscroyaienttenir entre leursmainsavaitaucontraire sur eux un immenseavantage.Ilsagirent alorsparreprésailles ets'emparèrent non-seulementdufortMoultrie,mais encoreduchâteau Pinkney, del'arsenal, deladouaneetdel'hôteldespostes.
Cesédifices,àpart l'arsenal,appartenaientau gouvernementfédéral; aussi cecoup demainfit-iluneprofonde impression dansleNord,et la presse libérale sehâta-t-ellededemanderleravitaillementdufortSumpter.
A
ceteffet,on envoyalesteamertheStar oftheWest avec des troupesetdes munitions. Arrivé àl'entréeduport,lenavire essuyalefeudesbatteries caroli- niennes.Ilreçuttroisbouletsdanssacoque.Lecapitainecommanda
devirerde bordetrevintàNew-York.C'étaitbienlàuneflagrante déclarationdeguerre, etcependantlegouverne- mentdesEtats-Unis,toujoursanimédel'espritdeconciliation, secontentade demandersatisfactiondecetoutrage dansunelettre qu'iladressaau commis- sairecarolinien. Cette lettrecontenaitsimplement un blâmeénergiquecontre cequi venait dese passer.LalégislaturedelaCarolineduSuddéclara qu'elle approuvaitcomplètementl'attaque dirigéecontreleStar oftheWestetquela premièretentativefaitepourravitaillerlefortSumpterseraitconsidérée par elle
comme
unerupture,unacted'hostilité.Aucunrenfortnefutenvoyéau major Andersonjusqu'àlanominationdu nouveauPrésident.AVÈNEMENTDABRAHAMLINCOLN ALA PRÉSIDENCE.
—
SON INSTALLATION, LavilledeWashington,capitaledesÉtats-Unis,estsituéedansledistrictde Colombie,etappartient àl'Etatde Maryland.Elles'étendau pieddes collines sur lesquelles s'élèventlescharmantesvillasde Georgetown,oh demeurentlaplupart desmembres ducorpsdiplomatique.Unebelleavenued'arbres relielefaubourg aristocratiqueàlapremièrecitérépublicaine.LeCapitoleestleplusimposantédifice de la capitaleaméricaine. George Washingtonen posalapremièrepierre, le18 septembre1793.Ilvenaitd'être complètementterminé,lorsque,le25 août 1814,l'amiral anglais Cochrane s'empara delaville,la livraaupillage et à l'incendie.
LeCapitoleestaujourd'huireconstruitsurlacolline CapitolMil,surl'empla- cementprimitif.