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Oncologie : Article pp.55-59 du Vol.3 n°1 (2009)

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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DOI 10.1007/s11839-009-0122-4 CAS CLINIQUE /CLINICAL CASE

Représentation des cancers chez l’enfant

How children experience cancer

Christine Géricot

© Springer-Verlag 2009

Résumé Depuis 15 ans, le département de pédiatrie de l’Institut Gustave Roussy à Villejuif emploie un professeur d’arts plastiques de l’Éducation Nationale. Sa pédagogie a dû s’adapter à ces enfants gravement malades. Elle reste à l’écoute des enfants, tout en leur proposant les moyens pédagogiques de réaliser leurs oeuvres.

A l’occasion d’un travail sur l’autoportrait, les enfants ont pu se montrer tels qu’ils voulaient qu’on les voit : portrait réaliste ou sublimé. Certains ont pu aussi exprimer en peignant la douleur indicible d’une opération.

La maladie n’en fait pas des artistes mais elle aiguise leur sensibilité.

La création artistique les aide à se reconstruire en leur apportant du plaisir et de la joie, elle les emporte loin de la maladie et de la douleur.

Mots clés Enfants · cancer · souffrance · arts plastiques · créativité · autoportraits

AbstractFor the past 15 years, the Pediatric Department of the Institut Gustave Roussy in Villejuif has employed a professionally qualified art teacher, whose skills have been adapted to suit working with such seriously ill children.

Attentive to the children’s needs, the activities give the children a way of expressing themselves through art.

During work on the self-portrait, children have been given the chance to show themselves as they wished to be seen, resulting in either realistic or sublimated portraits.

Some were also able to express the indescribable pain of the operations they had undergone.

Being ill does not make a child an artist but it can sharpen his/her sensitivity.

Artistic creation helps such children to rebuild them- selves, taking them away from disease and pain through the pleasure and joy of artistic creativity.

Keywords Children · cancer · suffering · expressive arts · creativity · self-portraits

Au neuvième étage de l’Institut Gustave Roussy à Villejuif, le département de pédiatrie accueille plus de quatre cents enfants et adolescents par an.

L’arrivée dans un tel service représente, pour ces jeunes et leur famille, un choc émotionnel intense. On parle même d’un état de sidération. Ils savent qu’ils viennent pour de longs mois, qu’ils vont subir des traitements éprouvants en particulier des opérations lourdes et des chimiothérapies.

Ils découvrent que la maladie mais aussi les traitements attaquent cruellement leur corps et provoquent vomissements, alopécie, amaigrissement et douleurs physiques intenses.

La maladie entraîne angoisse et atteinte narcissique. S’ils sont blessés dans leur corps, ils le sont aussi dans leur âme, car la maladie isole, fragilise, exclut. Ces jeunes perdent peu à peu leur identité et leurs repères. Ils se retrouvent objets de soins entre les mains des médecins, objets d’angoisse pour leurs parents. La plupart d’entre eux n’ont qu’un réflexe, se replier sur eux-mêmes, se fermer au monde, car pour eux, le combat paraît insurmontable face à la maladie qui ronge et parfois tue.

Dans ce service d’oncologie, tout est mis en œuvre pour améliorer leur qualité de vie et faire en sorte qu’ils puissent avoir une vie d’enfant « comme les autres », c’est-à-dire capables, malgré les contraintes de la maladie et de l’hospitalisation, d’aller à l’école, d’apprendre, de se projeter dans un avenir et de créer.

Mon rôle est d’aider ces enfants et ces adolescents gravement malades à créer en respectant leur sensibilité, à les amener à ce moment privilégié où ils vont pouvoir s’exprimer, à se ressourcer, à reprendre contact avec le plaisir, le désir, et l’émotion.

Je ne perds pas de vue mes objectifs d’enseignante, je dois leur faire découvrir les moyens graphiques et picturaux, les ouvrir à des connaissances sur la couleur, la matière, la lumière, l’espace, l’image. Je dois également nourrir leur imaginaire, les amener à se questionner sur leur pratique et celle des autres et leur faire acquérir des références en les mettant en relation avec le monde artistique.

Christine Géricot (*)

Atelier darts plastiques, département doncologie pédiatrique, Institut Gustave Roussy, 94000 Villejuif

e-mail : christine.gericot@igr.fr

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L’atelier d’arts plastiques, que j’ai eu le privilège de créer il y a quinze ans, est ouvert à tous. Il fonctionne avec beaucoup de souplesse, chacun pouvant s’y intégrer à tout moment. C’est un lieu de création, de rencontres et d’échanges.

Je me rends également au chevet des enfants immobilisés dans leur lit ou isolés dans l’unité stérile.

Une adaptation nécessaire

Quelle approche peut favoriser l’expression, le désir d’apprendre et de communiquer chez ces enfants malades, inquiets et marginalisés ? Comment amener ces jeunes à aborder leur maladie et à en parler avec pudeur ?

Je me suis vite rendue compte que ma pédagogie devait évoluer, s’adapter à ces jeunes malades, à ce contexte très particulier de l’hôpital. Je me rends à leur chevet dès que je les sens disponibles et tente d’établir un climat de confiance afin de les aider à vaincre leurs appréhensions.

Aussi, je n’impose rien, je suis avant tout à leur écoute, je m’appuie sur leurs désirs et leurs motivations, je tente de les ouvrir à ce « quelque chose en eux qu’ils ne connaissent pas » et de leur donner les moyens de l’exprimer.

Mais il est bien difficile dans ces moments extrêmes de douleurs physiques et psychiques de parler de soi, d’exprimer l’indicible. L’expérience qu’ils sont en train de vivre n’est pas partageable.

Les dessins d’un très jeune enfant se révèlent souvent comme son seul moyen de communication, mais l’adolescent pudique et fragile se montrera plus réticent à s’exprimer de cette manière et les mots, la plupart du temps, sont impossibles.

Parler de soi

Conséquence immédiate de la chimiothérapie, la chute des cheveux est un des tout premiers signes visibles du cancer.

Même si les enfants savent qu’ils repoussent dès l’arrêt des traitements, cette alopécie est terriblement redoutée et vécue comme une mutilation. Ils se sentent nu, honteux et souffrent souvent de la curiosité morbide des autres. Ils découvrent dans le miroir, une image crue, un visage inconnu, dérangeant, dans laquelle ils n’osent se reconnaî- tre. Si certains portent crânement cette calvitie comme les stigmates de leur combat, d’autres cherchent à la masquer par tous les moyens : casquette pour les garçons, bandana, foulard et perruque pour les filles.

Masques, photos, collages… ces moyens détournés m’ont semblé longtemps être les seuls, capables de les aider à se raconter. En effet, il me paraissait parfaitement impudique de le faire à travers l’autoportrait, même si c’est

Guillaume

Iris

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un sujet majeur de la peinture, cette confrontation paraissait insupportable.

Jusqu’au jour où un enfant m’a demandé un miroir. Il s’est peint inlassablement, se scrutant d’une façon obses- sionnelle, crâne nu, de face, de profil. D’autres l’ont suivi.

J’ai été la première surprise de cet engouement pour ce thème. Je crois que chacun a pu parler de soi en toute vérité, et se montrer tel qu’il avait envie qu’on le voie.

Ainsi, Guillaume, fiévreux ce jour-là, n’a pas hésité à se représenter tel qu’il se voyait dans le miroir, crâne nu, pommettes rouges de fièvre, regard brillant. Iris, petite fille de 8 ans aux longs cheveux bruns et bouclés est partie stoïque chez le coiffeur, apparemment tranquille sous les ciseaux qui lui poignardaient le cœur. Elle est remontée sagement à l’atelier, a pris des pastels pour marquer en couleur la couronne d’épines de ses cheveux et le cri qu’elle n’a pas poussé. Dès son arrivée à l’hôpital, Céline, 15 ans s’est promis de laisser une trace de ce qu’elle était là, à cet instant et de rester fidèle à cette image. «Ne jamais me montrer sans cheveux, même aux proches, ne pas se laisser aller. Passer mes examens. Voyager. Vivre passionné- ment.» Ce souci fut le même pour Cindy, 17 ans, une jolie jeune fille qui se réfugie dans la solitude. Pour rien au monde elle n’accepterait de sortir de sa chambre tête nue.

Pourtant avec le sourire de sa féminité retrouvée, je la voie arriver un jour dans l’atelier. Long cheveux bruns, bandana rouge, maquillage. La transformation est étonnante. Un livre sur le Pop Art traîne sur la table parmi d’autres. Elle tombe sur les grandes huiles de Roy Lichtenstein qui semblent l’intéresser. Je la prends en photo ainsi que sa mère et lui propose de faire son portrait « à la manière de ».

Agrandies, les photos sont décalquées sur la toile. Cindy recouvre son dessin de grands aplats de couleur qu’elle cerne de noir. Il ne lui reste plus qu’à remplir les bulles… Quant à Paméla, 19 ans, contrainte de porter pendant des mois un halo qui lui maintient le cou dans une parfaite immobilité, avec une énergie remarquable, s’est « atta- quée » à son autoportrait. On venait la voir peindre, tant elle était impressionnante. Le kinésithérapeute disait que c’était la meilleure des rééducations. « C’est étonnant, ma fille n’a peint que lorsqu’elle avait ce halo. Elle a fait ce portrait dans des moments de souffrance, comme si elle devait se prouver quelque chose. On ne pensait pas qu’elle ferait une chose pareille.»

Enfin, Jennifer, 13 ans, recroquevillée dans son lit, sa mère à ses côtés, m’accueillait toujours avec un sourire navré, refusant obstinément de quitter son lit. Trop fatiguée, trop nauséeuse, pas envie…Un matin je la trouve seule, encore plus pâle et plus triste que d’habitude, les larmes aux yeux.

«Je sais que tu souffres, Jennifer, mais essaie de venir faire un petit tour dans l’atelier, juste pour voir ce que font les autres». Elle s’arrête devant deux enfants en train de faire leur autoportrait. Sans un mot, elle les regarde longuement,

puis me dit d’un ton décidé : «Je veux faire une mer déchaînée.» Je lui montre alors les Tempêtes de Turner, les mers agitées de Monet. Je lui fais découvrir les gris colorés, Céline

Cindy

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les dilutions, les brossés. Elle fait un brouillon sur une grande feuille et très vite attaque la toile. Ciel lourd, côte déchiquetée sur laquelle viennent se briser les vagues écumantes. Sombre violence réalisée en trois heures dans une effervescence bouillonnante. «Tu peux le mettre au milieu des autres [autoportraits], c’est mon portrait intérieur.»

Parler de sa souffrance

Le psychanalyste est là pour aider les enfants à prendre conscience et à essayer de formuler et de transmettre les éléments de la bouleversante expérience qu’ils traversent.

Le psychiatre connaît bien la frontière qui sépare son bureau de l’atelier. Les enfants savent que dans cette pièce qui leur est réservée, ce n’est plus l’univers des médecins.

Leursœuvres ne doivent pas être regardées comme des documents psychologiques, mais comme des expressions d’enfants libres.

Confrontés à la maladie, ils s’approprient le droit d’exprimer ce qu’ils ressentent, de crier leur détresse, de parler de leur souffrance, de dire leur ras-le-bol et de tenter de faire partager la violence de ce qu’ils vivent, sans chercher à solliciter la pitié.

Je retrouve Matthias, 15 ans, un matin à l’hôpital de jour.

Il paraît épuisé. Je ne l’ai pas revu depuis plus d’un mois. Il a subi deux lourdes opérations, aux poumons et au foie. Il revient pour une cure de chimiothérapie en externe qui lui permet de rentrer le soir chez lui. Une fois « branché », il arrive à pied à l’atelier. Je suis toujours étonnée de la force et de la volonté de ces jeunes qui mettent un point d’honneur à ne pas jouer les malades.

Dès le premier jour de son hospitalisation, Matthias est toujours venu à l’atelier avec plaisir. Il a le sens de la couleur et de la composition. Il s’enthousiasme pour tout : perspective, aquarelle, collage, bande dessinée.

Aujourd’hui, rien ne le tente, il est trop fatigué, trop énervé. Je lui parle de l’expressionnisme, qui évoque davantage la douleur et l’émotion que la beauté ou l’esthétisme. Nous regardons et analysons ensemble une peinture de Munch, « Le Cri ». Il comprend aussitôt que l’on peut « jeter » ses émotions sur le papier ou sur la toile.

En prenant son pinceau, il ne sait pas ce qu’il va faire. Je le vois se concentrer, puis sans un mot se mettre à peindre.

Une fois sa peinture achevée, il dit : «Là, je suis sur mon lit. Je ne peux pas bouger, il n’y a que mes yeux qui bougent. Mes mains et mes pieds sont enflés, énormes, du sang circule dans mes jambes mais je ne les sens pas. En rouge c’est mon cœur. Ma bouche est noire. J’ai soif, j’ai mal à la gorge, j’ai du mal à parler. Mes yeux ne voient que le plafond blanc de la salle de réanimation. Mon corps est coupé en trois. Les draps sont jaunes, je ne distingue pas les autres couleurs.»

L’hôpital autrement

Ces jeunes s’expriment avec force, poésie, humour, authenticité, violence. Leurs photos, peintures, dessins, réalisations témoignent non seulement d’une capacité Paméla

Jennifer

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créatrice étonnante malgré la maladie mais illustrent aussi leur combat.

Contrairement à l’idée reçue, leur créativité ne se réduit pas comme « une peau de chagrin » au fur et à mesure de la maladie. Ils ont au contraire un besoin impérieux non seulement de témoigner de cette force vive qui les habite mais peut être aussi de laisser une trace. L’art peut être alors l’ultime rempart contre l’innommable.

La maladie n’en fait pas des artistes, mais elle aiguise leur regard et exacerbe leur sensibilité. Ils savent que leur vie est menacée, ils vivent dans l’instant comme si le temps était compté et qu’aucun moment de devait être perdu.

Ils témoignent d’une réalité douloureuse, sans chercher ni pitié ni compassion. Ils sont parfois dépassés par cette force créatrice qui les habite qui fait dire à l’un d’entre eux paralysé de trois de ses membres : « La peinture m’a libéré le corps ».

Aussi, lorsque l’on connaît le travail considérable que doit fournir un enfant malade pour se maintenir en vie, on mesure la part importante que la création artistique peut lui apporter.

En lui permettant de se situer comme sujet, de se maintenir dans un sentiment de dignité, de reconstruire un lien social, de se relier à lui-même et aux autres, de briser les murs de l’enfermement, de dire l’indicible, elle lui donne une chance de se reconstruire.

Matthias

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