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Oncologie : Article pp.19-23 du Vol.3 n°1 (2009)

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Texte intégral

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DOI 10.1007/s11839-009-0115-3

ARTICLE ORIGINAL /ORIGINAL ARTICLE DOSSIER

Les cancers entre hier et aujourd ’ hui :

de la colonisation à la régression. Le point en Algérie

Cancers between yesterday and today: from colonisation to regression (an overview in Algeria)

M. Maaoui

© Springer-Verlag 2009

Résumé La perception du cancer en Algérie est ici interprétée par le même observateur sur une période allant de la période coloniale jusqu’à la période actuelle.

L’auteur distingue quatre périodes : la période coloniale, avec comme référence la date de l’inauguration du centre anticancéreux d’Algérie : c’est l’occasion de classer les différentes ethnies qui peuplaient alors le pays et de rappeler leurs espérances de vie respectives : on y relève de grosses différences entre européens et indigènes, mais l’explication de ce constat n’est pas très convaincante, pas plus que ne le sont les différentes théories relatives à la prévalence de tel ou tel cancer vu par le système colonial.

La perception du cancer par les indigènes eux-mêmes se réfère à des notions de différences anthropologiques où les interdits religieux sont mis en avant pour expliquer la maladie.

La deuxième grande période, qualifiée de « chimérique », est la période postindépendance immédiate, faite d’euphorie anesthésiante, de narcissisme et de solides convictions quant à l’immunité que les algériens auraient par rapport aux grandes maladies et notamment le cancer. Cette période est suivie d’une troisième où la « libération » est à son rythme de croisière : le dirigisme du pouvoir politique impliquait notamment le clientélisme qu’on retrouve dans la pratique médicale. La perception par rapport à certaines localisations du cancer au niveau d’organes hautement symboliques (menaçant la féminité ou la virilité) est ici rappelée, tant dans ses traits universels que dans ses aspects plus spécifiques. Le préjugé de l’invulnérabilité des chefs est battu en brèche quand le cancer a

« osé » frapper le président Boumedienne lui-même : ce fut un énorme choc émotionnel accompagné d’hystérie collective sans précédent ! Enfin, il y eu de profonds bouleversements idéologiques, avec la « révolution islamique » iranienne et surtout l’activisme religieux wahabite directement ou

indirectement encouragé par ses sponsors anglo-saxons qui ont progressivement poussé les pays sous leur influence vers des pratiques charlatanesques (saignées, fumigations, exor- cisme) parrainées par des « savants religieux», télécoranistes très en vogue. Cette dérive est encouragée aux plus hauts niveaux des institutions et le danger est patent en ce sens que ce retour à des pratiques archaïques concurrence fortement les différentes thérapeutiques que l’arsenal moderne met à la disposition des cancéreux.

Conclusion: Ce survol dans le temps concernant une population inscrite dans les traditions de la civilisation arabo- musulmanes nous montre une perception du cancer formatée à l’aune du colonialisme confortée par « un complexe du colonisé » qu’on retrouvera à la « libération ». Lié à une religion révélée, qu’on ne discute pas, la mentalité des soignants et des soignés s’agrippe de plus en plus difficilement à la tradition galéno-hippocratique, qui-elle-se discute, et qui a imprégné jadis la civilisation arabo-musulmane.

Mots clésCancer · Image · Colonialisme ·

Independance · Indigènes · Civilisation · Charlatanisme

Abstract The perception of cancer in Algeria is here described by a single observer over a period running from the colonial era to the present day.

The author identifies four distinct periods: first, the colonial period, considered as having started with the inauguration of the Algerian cancer institute. This was an opportunity to classify the different ethnic components of the country’s population at that time and to bring to mind their respective life expectancies. Significant differences between European and indigenous inhabitants are noted in this respect, but neither the explanation of this statement nor the different theories linked to the prevalence of various cancers as seen by the colonial establishment are convincing.

Perceptions of cancer held by the natives themselves refer to anthropological differences, whereby religious taboos are indicated as explaining the disease.

M. Maaoui (*)

Mustapha Maaoui, Service de chirurgie, Hôpital B Mentouri, Algérie e-mail : maaouimustapha@yahoo.fr

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The second, so-called “utopian” period, is the period immediately following independence, steeped in anaesthetis- ing euphoria, narcissism and convictions concerning the immunity of Algerians with respect to serious diseases in general and cancer in particular. Following this, the

“liberation” period involved state intervention with cliente- lism appearing even in relation to medical practice. Here the author discusses perceptions relative to cancers located in highly symbolic organs (threatening either femininity or virility), with respect to both its universal and specific aspects. The belief that leaders must be invulnerable was severely shaken when cancer “dared” to strike President Boumedienne himself: this came as a huge emotional shock and resulted in unprecedented scenes of collective hysteria.

Finally came a period of ideological upheaval caused by the Iranian “Islamic revolution” and, above all, Wahabit religious activism, directly or indirectly supported by its American sponsors, who gradually pushed countries over which they had influence into Charlatanistic practices such as blood-letting, exorcism, fumigation, which were pro- moted by “religious scientists” and fashionable telekora- nists. This regressive trend is encouraged at the highest levels and the danger is that a return to these archaic practices is in direct competition with the various modern therapies available for cancer management.

Conclusion: This chronological overview of a population steeped in arabo-islamic tradition reveals a perception of cancer formatted by colonisation and reinforced by the

“colonial complex” that remained even after independence had been achieved. Now linked to a rediscovered religion, that is not up for discussion, the mentality of both patient and physician clings ever more tenuously to the galeno- hippocratic tradition, which is something thatcanbe debated and which once permeated arabo-islamic civilization.

KeywordsCancer · Perception · Colonialism · Independence · Indigenous population · Civilization · Charlatanism

La perception et la réaction par rapport aux cancers en Algérie peut être approchée selon quatre périodes histo- riques, suffisamment proches dans le temps pour pouvoir être embrassées par le même regard, mais suffisamment différentes pour pouvoir être comparées entre elles.

Il y a la période coloniale, avec d’une part une population

« indigène » encore trop jeune pour relever de manière

significative de la cancérologie, et en tout cas incapable d’accéder aisément aux moyens diagnostiques, déjà insuffi- sants à cette période : ceci les excluait des statistiques, même si ceux d’entre eux qui relevaient de cette pathologie pouvaient bénéficier des progrès scientifiques disponibles à l’époque. Il faut souligner que les diagnostics les plus fréquemment rencontrés étaient… les cancers de la peau, accessibles au diagnostic du malade lui-même ! Les experts de l’époque expliquaient cette prévalence par « les rites de la prière mahométane ». En ce qui concerne les moyennes d’âge observées à l’époque, voici les chiffres avancés par le professeur Jaques Brehant, directeur du centre anticancéreux Pierre et Marie Curie d’Alger à l’occasion de l’inauguration solennelle de celui-ci, le 16 novembre 1959, en présence de monsieur Bernard Chenot, ministre de la santé et de la population ainsi que monsieur Paul Delouvrier, délégué général du gouvernement en Algérie [1] :

espérance de vie pour les européens hommes : 60 ans en Algérie, 62 ans en France ;

espérance de vie pour les européens femmes : 67 ans en Algérie et 67 ans en France ;

espérance de vie pour les indigènes hommes : 44 ans ; espérance de vie pour les indigènes femmes : 49 ans.

Afin d’expliquer et de justifier ces énormes hiatus en matière d’espérance de vie, entre les différents groupes ethniques, le professeur Jacques Brehant a puisé dans l’anthropomorphisme pour affirmer sans sourciller, après avoir constaté que le cancer touchait les musulmans à un âge plus précoce : « l’organisme du jeune musulman est-il plus accessible à la cancérisation que celui du jeune européen ? Les rapports des âges physiques et physiologi- ques seraient-ils différents chez l’autochtone et le métropo- litain ? Le temps physiologique s’écoulerait-il plus vite chez l’autochtone ?... » [2]. Bref, en d’autres termes, faudrait-il corriger l’âge de l’indigène en le multipliant par un chiffre à préciser, à la manière des vétérinaires qui calculent ainsi l’âge de leurs animaux de compagnie ? C’est un phénomène bien connu qui veut que « le langage du colon, quand il parle du colonisé, est un langage zoologique. Le colon, quand il veut bien décrire et trouver le mot juste, se réfère constamment au bestiaire » [3].

Perception par le système colonial de « la carcinidie » en algérie [1]

Pour J. Brehant et J. Musini-montpellier [2] « la population musulmane est un amalgame fort complexe dans lequel on doit retenir deux groupes primaires au moins :

D’une part, les berbères et les arabes, conquérants du

XIe siècle (sic), de race sémite, d’autre part, la population européenne, « fort variée » ; il existe en outre un groupe Travail présenté à l’occasion du 25eCongrès de la Société

Française de Psycho-Oncologie (Paris-27-28 novembre 2008) sous le titre «Cancers nouveaux, néo-archaïsmes : le point en Algérie.»

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important d’israélites et nous avons « dû nous contenter de trois grands groupes : européens, musulmans, israélites » [2].

Cette stadification rappelée, les auteurs, se basant sur des données et des observations plus ou moins empiriques concluent à des prévalences de tel ou tel type de cancer en fonction de l’ethnie concernée. Si ces assertions sont difficilement vérifiables, il en est qui montrent, 50 ans après leur formulation, leur peu de crédibilité : ainsi, quand il cite M. Braithwaite qui soulignait, dès 1902, « la rareté du cancer chez les israélites », rareté qu’il rattachait au régime alimentaire privé de viande de porc, Brehant oublie que les

« indigènes » sont dans la même abstinence, sans bénéficier apparemment aux yeux de ces « experts » de la même clémence carcinologique. Il convient de signaler que le terme « indigène » utilisé pour désigner les populations autochtones a été remplacé au prix d’un curieux glissement sémantique par le vocable « français-musulman », terme encore en vogue pour les français descendants d’indigènes : cet appariement entre une nationalité et une religion est une première mondiale, car les américains ne sont pas allés plus loin puisqu’ils se sont contentés de paramètres chromato- géographiques pour la stratification de leurs compatriotes (afro-américains, hispaniques, caucasiens…) ! Qualifié de

« curieux syntagme qui jure avec les lois de la république » [7] d’inspiration laïque, ce qualificatif fait partie de l’arsenal taxinomique de l’esprit colonial.

Perception du cancer par les algériens eux-mêmes

« Khenzir », qui se rapproche phonétiquement de « cancer » signifie… cochon (nous y voilà) et c’est le terme vulgaire employé pour désigner cette maladie. Ce terme permet en quelque sorte « d’extérioriser » la maladie, de ne pas avoir à l’assumer en tant que maladie exogène d’importation, puisque le cochon est par définition étranger aux algériens, car interdit par l’islam : c’est l’affaire de l’occupant, de l’européen qui en devient « responsable » aux plans étiologique et thérapeutique. Le cancer est donc perçu comme une maladie infamante, d’autant plus révulsive et effrayante qu’elle était mystérieuse et opaque, presque autant pour le profane que le médecin, « l’initié », qui était obligatoirement « l’autre », l’européen. Ceci n’est pas en soi une originalité et l’histoire de la médecine recèle des cas similaires : c’est le cas de la syphilis, où chaque peuplade atteinte par l’épidémie se défausse et rejette en quelque sorte la responsabilité sur l’autre en baptisant l’affection du nom de la source supposée : « morbus gallicus » a été le terme consacré en Europe à la vérole, dénommée par les italiens

« mal français » en riposte à l’appellation française de « mal de Naples » attribué à l’épidémie contractée par les grognards de Napoléon lors de la campagne d’Italie.

Dans le même ordre d’idées, quand l’extension des différents colonialismes prendra de l’ampleur, la maladie

transmise aux nord-africains deviendra « le bouton français », alors que dans les comptoirs d’extrême orient on parlera plus volontiers du « mal portugais » [3].

Pour revenir au « khenzir », le fait de l’assimiler au cochon rend le cancer doublement honteux : d’abord parce que d’un point de vue universellement admis, le cochon n’a pas spécialement la réputation de la propreté, ensuite et surtout parce qu’au regard de la religion, c’est le symbole même de l’impureté : avoir le cancer, en période coloniale, signifie qu’on a été « contaminé » par le colonisateur, par l’infidèle : l’indigène est touché aussi bien dans son corps que dans son âme ; au cas où cette contamination semble indépendante de la volonté du malade, le mal est moindre, mais le patient devra « expier » ce péché même involontaire en se démarquant au maximum de l’agent causal, c'est-à- dire du mode de vie à l’occidentale. Dans le cas plus condamnable où la responsabilité du malade est engagée dans la genèse de l’affection (mode de vie « atypique » par exemple), la maladie est assimilée à une sanction divine, sans parade en ce bas monde.

Période post indépendance

Période post indépendance immédiate :

« période chimérique »

Dans l’euphorie de « la liberté retrouvée », le peuple et ses médecins pensaient, presque de bonne foi, que les problèmes liés à des pathologies graves, telles que le cancer, ne concernaient que « les autres » ; progressive- ment, et malgré de nombreux retards accumulés dans différents secteurs de la vie économique, bloquant l’épa- nouissement et le bien-être social auquel chacun était en droit d’aspirer, l’espérance de vie a néanmoins commencé à augmenter, les modes de vie à évoluer, de la ruralité vers la citadinité, avec comme corollaire l’apparition de pathologies nouvelles ayant pour chef de file le cancer.

Pathologie grave, de mieux en mieux décrite à défaut que d’être traitée efficacement, cette pathologie était curieuse- ment inattendue en Algérie où on a pratiqué à son endroit la politique de l’autruche. Bien qu’il puisse siéger dans n’importe quel organe, le cancer pose un problème particulier quand il siège à certains endroits éminemment sensibles parce que hautement symboliques : chez la femme, comme presque partout ailleurs dans le monde, la localisation au niveau du sein (« la mère qui allaite ») et surtout au niveau de l’utérus et des autre organes génitaux internes (« la mère qui procrée ») est vécue de manière dramatique par la malade, car la polygamie permet un remplacement quasi automatique de cette femme défaillante qui ne peut réaliser ce pourquoi elle aurait créée (« in utero mulier »). En cette période de pouvoir très autoritaire et à une période où les sanctions thérapeutiques admises étaient

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scientifiquement et universellement en faveur des grandes amputations pour les cancers du sein, les chirurgiens n’avaient aucun état d’âme à imposer aux malades ces mutilations. Chez la femme comme chez l’homme, il existe également une localisation très mal vécue : celle du rectum.

À cette époque, et à l’annonce du diagnostic et de la sanction thérapeutique qu’il impliquait, à savoir l’amputation abdo- mino-périnéale avec colostomie définitive, les patients refusaient en général l’intervention, arguant, non sans fondements au demeurant, que ce type d’intervention était à l’évidence réservé à ceux qui disposaient d’une salle de bains indispensable à l’hygiène corporelle et qui avaient un entourage composé de personnes suffisamment discrètes, capables de ne point les importuner sur les affres liés aux

« anus iliaques ». Dans le même temps, de nombreux

« savants » (oulémas) autoproclamés, parfois recrutés dans le milieu médical même, avaient décrété que « la colosto- mie » était incompatible avec le rite musulman en ce sens qu’elle parasiterait en quelque sorte les ablutions. Quand on sait les descriptions minutieuses qui sont faites à propos de ces ablutions (oudhou elkbir, oudhou essghir) qui a fait dire que « l’islam était la religion des sphincters » [9], on peut se demander ce qu’il y a de plus répugnant à nettoyer entre un anus iliaque par rapport à un anus en place. Quoiqu’il en soit, les cancéreux prolétaires aussi bien que leurs mentors, d’accord pour l’abstention au niveau national, se retrouvent curieusement du même avis encore pour accepter qu’une amputation abdominopérinéale avec colostomie définitive, refusée ici, soit réalisée ailleurs, en France ou en Europe, même avec quelques mois de retard (ce qui augmente le nombre d’interventions palliatives et assombrit le pronos- tic) : c’est l’ère du consumérisme tout azimut, et le cancer, à l’instar d’autres affections graves ou chroniques, est devenu « exportable », dans le cadre des transferts à l’étranger, jouant le rôle de récompense et de monnaie d’échange dans un système où le clientélisme est devenu roi. C’est également à cette période que naquirent « les associations caritatives » qui ont la caractéristique d’être obligatoirement de nature religieuse et ainsi l’avantage de domestiquer en parallèle au système en place les récalci- trants qui aurait la mauvaise idée de réclamer leurs droits par des voies séculaires ! Le système politique établi à cette période, malgré les dénominations pompeuses de « socia- lisme », était déjà un système d’injustice et d’inégalités sociales : on pensait encore à cette époque que le cancer n’arrivait qu’aux autres, et éventuellement aux compatriotes

« d’en bas », ceux qu’on pouvait éventuellement repêcher selon leur docilité au pouvoir et selon l’humeur des décideurs : les dignitaires du régime étaient, dans l’esprit de la population, hors de portée des maladies graves, car être proche du sérail impliquait nécessairement « être riche et en bonne santé ». Être malade, et a fortiori être cancéreux déclenchait une double réaction : d’abord une gêne, une

honte comme certains culpabilisent lorsqu’ils sont pauvres ; ensuite le sentiment qu’il faut trouver un responsable à cette injustice : de cette période naquit un concept nouveau, fortement ancré au sein de la population, et qui s’évertuait à trouver un sexe au mal : quand un cancer était diagnostiqué chez un proche (il était rare d’informer directement le malade de son état), la question quasi-inévitable était : « docteur, c’est une tumeur mâle ou femelle ? ». Inutile de préciser laquelle des deux tumeurs celle qui était en mesure d’enfanter diaboliquement des métastases ! Telles étaient la perception et l’image du cancer dans ses années de socialisme spécifique pur et dur ; qui pouvait imaginer en 1978 ce qui allait arriver au plus haut niveau ?

Le président Houari Boumedienne, victime d’un cancer ?

Un coup de tonnerre dans un ciel serein !!

À la suite d’une maladie dont les symptômes ont très rapidement fait évoquer le diagnostic de maladie de Waldenstroem, le président Houari Boumedienne a été admis aux soins intensifs de Mustapha : les barons du régime, ainsi que quelques médecins supplétifs tinrent à un rythme biquotidien staff sur staff, présidés par… la future veuve du président, inscrite alors en licence de littérature au moment des faits : le diagnostic de cancer n’a jamais été accepté (et il ne le sera jamais pour certains qui iront jusqu’à parler d’un complot, de « la main étrangère », d’un assassinat déguisé, d’un empoisonnement, etc.) [5].

L’honorable professeur Waldenstroem, qui avait décrit magistralement en 1948 la maladie qui porte son nom, et qui coulait une retraite paisible en Scandinavie a même été ramené en personne à Alger, en faisant jouer toutes les forces de persuasion diplomatiques pour le convaincre de venir au chevet du président : tout se passe comme si on sommait l’illustre médecin de réparer les dégâts, parce qu’il serait en quelques sorte coupable d’avoir inventé la maladie qui allait emporter le chef, l’aguellid, le zaim.

La période des charlatans

À l’instar de toutes les pathologies graves, la prise en charge des cancers est, en l’état actuel des choses, de nature consensuelle, multidisciplinaire. Les décisions concernant le patient sont prises, après concertation de l’ensemble des spécialistes impliqués, de façon collégiale. Comment alors concilier ces impératifs organisationnels avec une mentalité forgée par la chape coloniale, formatée par des années de parti unique et de dirigisme politique et finalement entrainée subrepticement vers le monolithisme religieux ? La religion est indiscutable, le cancer se discute ! Depuis la révolution islamique iranienne et surtout les différentes tentatives de manipulation orchestrées à travers le monde avec la

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complicité du wahabisme saoudien, l’essor de médias nouveaux (El arabya, El djazeera…) a vu l’apparition de télécoranistes très largement diffusée, à l’image d’ElQara- daoui, « l’imam cathodique » installé au Quatar. Dispen- sant les « sciences islamiques » voire « coraniques », ce type d’imam ainsi que de très nombreux disciples, moins connus mais tout aussi activistes n’arrêtent pas d’appeler au retour à la vérité, à l’islam vrai, celui du prophète : s’occupant évidemment aussi de médecine puisque ce sont des « savants », ils ne cessent de réclamer pour les pathologies incurables comme le cancer, la solution, la seule solution qui est l’islam et c’est pour cela que nous assistons à une incroyable régression orchestrée par des prédicateurs de télévision (les yéménites sont très prisés dans ce domaine) qui remettent à l’honneur, incantations, saignées, exorcisme et toute la pharmacopée connue à l’époque du prophète. Ceci nous explique pourquoi, à l’occasion de la dernière maladie du président Bouteflika (dont on ne sait par ailleurs rien : aucun élément ne pourrait nous orienter vers une cause néoplasique), les responsables ont eu un réflexe presque prévisible : faire appel à la médecine militaire française, en l’occurrence celle de l’hôpital du Val de Grâce avec comme traitement « adjuvant » (dit-on, mais faut-il le croire ? Sans doute non) une armada d’exorcistes moyen-orientaux venus prêter main forte aux chefs de zaouïa, thaumaturges locaux…À la suite de cet exemple, les cabinets d’exorcistes et autres gourous commencent à avoir pignon sur rue et certains praticiens se sont déjà reconvertis à ces nouvelles spécialités : en parler comme charlatans n’est pas dénué de risque puisque le tribunal de Belcourt vient de condamner à deux mois de prison ferme et une amende de 50 000 dinars une journaliste et le directeur d’un grand quotidien algérien pour avoir osé publier un reportage sur un des exorcistes les plus courus de la capitale [6].

Dans le même ordre d’idées, il faut souligner la levée de boucliers de la part des « responsables » du ministère de la santé quand les spécialistes de la lutte anticancéreuse leur ont souligné l’importance tant au plan de la santé publique que celui de l’économie de santé de la vaccination contre le papillomavirus dans la prévention du cancer du col de l’utérus qui fait des ravages en Algérie : dès lors que l’on rappelle les facteurs étiopathogéniques de l’infection, on déclenche le vieux réflexe de « la politique de l’autruche » : le rejet de cette campagne de vaccination connait une vraie raison et, pour la masquer, un alibi : la vraie raison est irrationnelle mais malheureusement au cœur de la décision : puisque le mode de transmission est en rapport avec les maladies sexuellement transmissibles (donc obligatoirement hors mariage), il est impensable qu’une institution vénérable comme celle de la santé encourage le lucre, le stupre et la fornication ! La réaction est comparable à celle manifestée contre les préservatifs : si vous les distribuez, vous encour- agez la débauche ! Cependant, les motifs avancés pour

justifier ce refus relèvent encore une fois de plus ce que l’on pourrait appeler « le complexe du colonisé » : les français eux-mêmes avaient hésité avant de lancer leur campagne de vaccination : empruntons-leur « le principe de précaution », et nous serions en conformité avec nos (nouveaux) principes et la vigilance bigote de nos mentors !

Conclusion

La période coloniale appartient à l’histoire. Le socialisme

« algérien » relève du mythe.

L’islam, dont on retrouve l’empreinte à chaque étape est toujours là : le dogme s’est montré très malléable au gré des manipulations politiciennes et/ou idéologiques qui affectent aussi bien les soignants que les soignés : la perception du cancer varie donc en fonction de l’ampleur de l’impact de ces manipulations.

L’islam, qui est considéré à juste titre comme une réplique de l’orient à la Grèce et Mohamed, une riposte tardive aux conquêtes d’Alexandre le Grand, a généré une brillante civilisation où la médecine a souvent été qualifiée de galeno-hippocratique [8] par les historiens. Pourtant, les galénistes arabes et assimilés se sont constamment retrouvés en face d’une contradiction majeure : les préalables philo- sophiques indispensables à cette connaissance sont diamé- tralement opposés au dogme musulman : il n’y a pas de révélation chez Platon ou Aristote ! Les tensions entre ces deux pôles sont donc inévitables et après une période brillante, obligatoirement éphémère, nous constatons actuel- lement en Algérie, à nos dépends, au niveau de toutes les couches sociales, cette lacune originelle.

Déclaration de conflit d’intérêt :Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflit d’intérêt.

Références

1. Brehant J Bulletin algérien de carcinologie. Travaux du centre Pierre et Marie Curie. Numéro spécial 1959 Vo 11 n° 35 p. 33 2. Brehant, J, Musini-Montpellier J. Bulletin algérien de carcinologie.

Travaux du centre Pierre et Marie Curie. Numéro spécial 1959 Vol 11 n° 35 p. 58

3. Roger Dachez Histoire de la médecine de lantiquité au XXesiècle.

Éditions Tallandier- Bâle 2005

4. Franz Fanon. Les damnés de la terre (1961) éd. La Découverte poche, 2002, p. 45

5. El Watan. Samedi 27 décembre 2008 6. El Watan. Mardi 23 décembre 2008; 5

7. Le court Grandmaison O. « Coloniser exterminer. Sur la guerre et létat colonial. Casbah éditions. Algérie 2005, p. 271

8. Lichtenthaeler O. Histoire de la médecine. Édition Fayard 1978 ; p. 208

9. Zerdoumi N. Lenfant dhier léducation de lenfant en milieu traditionnel algérien. Domaine maghrébin. Paris Maspero-1970, p. 59

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