Énoncé
L'objet de ce problème
1est le nombre de Mahler
2dont le développement décimal est obtenu en plaçant bout à bout l'écriture décimale de chaque entier naturel non nul. Ce nombre est noté M
M = 0.123456789101112131415 · · ·
Les notations suivantes sont valables dans tout le problème. Pour tout k ∈ N
∗: d k = 9k 10 k−1 = k 10 k − 10 k−1
D k = d 1 + d 2 + · · · + d k
m k =
10
k−1X
i=10
k−1i 10 k(10
k−i−1)µ k = m 1 10
−D1+ m 2 10
−D2+ · · · + m k 10
−DkQuestion préliminaire
Soit n un entier naturel non nul et x un réel qui n'est pas égal à 1 . Montrer que
n
X
j=1
jx
j−1= x n nx − n − 1
(x − 1) 2 + 1 (x − 1) 2
Partie I. Autour des d k .
1. Quel est le plus grand entier à k chires en écriture décimale ? Quel est le nombre d'entiers non nuls ayant exactement k chires ?
2. Présenter dans un tableau les valeurs de d k et D k pour k = 1, 2, 3 . 3. Montrer que D k = (k − 1 9 )10 k + 1 9 .
4. Montrer que D k = 10 D k−1 + 10 k − 1 pour k ≥ 2 .
Partie II. Autour des m k .
Dans toute cette partie, k désigne un élément non nul de N.
1
d'après Making Transcendance Transparent E.B. Burger & R. Tubbs (Springer)
2
connu aussi sous le nom de nombre de Champernowne
1. a. Montrer que
10
k−1X
i=10
k−110 k(10
k−i)= 10 k
10 k − 1 10 d
k− 1 b. Montrer que 10 d
k−1< m k .
c. Montrer que
m k < 10 k − 1 10 k
10
k−1X
i=10
k−110 k(10
k−i)En déduire m k < 10 d
k.
2. Montrer les écritures décimales suivantes : m 1 = 123456789 m 2 = 101112 · · · 979899
On admettra que cette forme est valable pour tous les k c'est à dire que m k est le nombre dont l'écriture décimale est obtenue en plaçant de gauche à droite les écritures décimales de tous les nombres à k chires.
m 3 = 100101102 · · · 997998999 ...
Quel est le nombre de chires dans l'écriture de m k ?
3. a. Écrire l'expression de m k obtenue en posant j = 10 k − i dans la somme le dé- nissant.
b. Montrer qu'il existe un entier a k et un rationnel r k ∈
0, 10 9 tels que
∀k ≥ 2, m k = 10 d
ka k
(10 k − 1) 2 − r k .
Partie III. Autour des µ k .
On considère la suite (µ k ) k∈
N∗
. Il pourra être utile de remarquer que 10 9 < 1 + 10 2 . 1. Soit k ≥ 2 et l > k . Montrer que
m k 10
−Dk+ m k+1 10
−Dk+1+ · · · + m l 10
−Dl< 10
9 10
−Dk−12. Montrer que la suite (µ k ) k∈N
∗est convergente et que, en notant M sa limite, M − µ k ≤ 10
9 10
−DkEn déduire M ≤ 0.1234567902 .
On admet que le nombre M ainsi déni est bien le nombre de Mahler indiqué au début de l'énoncé.
3. Pour k ≥ 2 , on note q k = 10 D
k−1(10 k − 1) 2 . Montrer qu'il existe p k ∈ N tel que
M − p k
q k
≤ 10 9 × 10 D
kMontrer que, pour tout réel γ < 10 ,
M − p k
q k
≤ 1 q γ k
Partie IV. Le théorème de Liouville
Dans cette partie, on identie un polynôme avec sa fonction polynomiale associée.
Soit P un polynôme à coecients dans Z, de degré d , sans racine dans Q et admettant une racine réelle α (donc forcément irrationnelle).
On note M = sup [α−1,α+1] |P
0|
1. Pourquoi M est-il strictement positif ? On pose C = M 1 . 2. Montrer que
P ( p q )
≥ q 1
dpour tout p ∈ Z et pour tout q ∈ N
∗.
3. Théorème de Liouville. Montrer que |α − p q | ≥ q C
dpour tout p ∈ Z et pour tout q ∈ N
∗tels que |α − p q | ≤ 1 .
4. On admet que M est irrationnel. Montrer qu'il n'est racine d'aucun polynôme à coef- cients entiers et de degré inférieur ou égal à 9 .
Corrigé
Question préliminaire
La somme que l'on nous demande d'exprimer est la dérivée de x → 1 + x + x 2 + · · · + x n = x n+1 − 1
x − 1 Elle est donc égale à
(n + 1) x n
x − 1 − x n+1 − 1
(x − 1) 2 = x n (n + 1)(x − 1) − x
(x − 1) 2 + 1 (x − 1) 2
= x n nx − n − 1
(x − 1) 2 + 1 (x − 1) 2
Partie I. Autour des d k .
1. Le plus grand entier à k chires en écriture décimale est 10 k − 1 . Il représente donc aussi le nombre d'entiers non nuls avec moins de k chires. Pour k = 1 , le nombre d'entiers non nuls ayant exactement k chires est 9 = 10 − 1 . Si k ≥ 2 , pour obtenir le nombre d'entiers à k chires, il faut enlever à l'ensemble des entiers de moins de k chires ceux qui en ont moins de k − 1 . Ce nombre est donc
10 k − 1 − (10 k−1 − 1) = 10 k − 10 k−1 = 9 × 10 k−1
On peut aussi obtenir ce résultat par dénombrement. Le premier chire (celui de puissance de 10 la plus élevée) est entre 1 et 9 , les autres entre 0 et 9 .
2. Des calculs immédiats qui permettent de se faire une idée de l'ordre de grandeur : k d k D k
1 9 9
2 180 189
3 2700 2889
3. On peut appliquer la formule de la question préliminaire avec x = 10 . D k = 9
k
X
j=1
j × 10 j−1 = 9
10 k 10k − k − 1 9 2 + 1
9 2
= 10 k 9k − 1 9 + 1
9 = (k − 1
9 )10 k + 1
9
4. Contentons nous de vérier la formule demandée : 10 D k−1 + 10 k − 1 = 10
(k − 1 − 1
9 )10 k−1 + 1 9
+ 10 k − 1
= (k − 1 − 1
9 )10 k + 10
9 + 10 k − 1 = (k − 1 − 1
9 + 1)10 k + 1 9 = D k
Partie II. Autour des m k .
Dans toute cette partie, k désigne un élément non nul de N.
1. a. Il s'agit d'une somme de termes en progression géométrique. La raison est 10 k , les exposants varient entre 1 et 10 k − 10 k−1 . On a donc
10
k−1X
i=10
k−110 k(10
k−i)= 10 k(10
k−10k−1+1) − 10 k
10 k − 1 = 10 k
10 k − 1 10 d
k− 1
b. Le nombre m k est une somme de nombres positifs. Il est donc plus grand que chacun d'entre eux, en particulier celui d'indice i = 10 k−1 :
m k > 10 k−1 10 k(10
k−10k−1−1)= 10 d
k−1c. On peut majorer m k en remplaçant chaque i devant la puissance de 10 par le plus grand d'entre eux (qui est 10 k − 1 ) sans modier l'exposant. On obtient alors
m k < (10 k − 1)
10
k−1X
i=10
k−110 k(10
k−i−1)= 10 k − 1 10 k
10
k−1X
i=10
k−110 k(10
k−i)= 10 d
k− 1
d'après II.1.a. On en déduit m k < 10 d
k. 2. Par dénition,
m 1 = 1 × 10 1×(8) + 2 × 10 1×(7) + · · · + 8 × 10 9×(1) + 1 × 10 1×(0) = 123456789
car les puissances de 10 sont échelonnées de 0 à 9 . De même pour k = 2 , les puissances vont s'échelonner à cause du k en facteur dans l'exposant.
m 2 = 10 × 10 178 + 11 × 10 176 + 12 × 10 174 + · · ·
+ 97 × 10 4 + 98 × 10 2 + 99 × 10 0
= 1 × 10 179 + 0 × 10 178 + 1 × 10 177 + 1 × 10 176 + · · ·
+ 9 × 10 3 + 9 × 10 2 + 9 × 10 1 + 9 × 10 0 = 101112 · · · 979899 Le nombre de chires dans l'écriture de m k est d k c'est à dire le nombre d'entiers à k chires multiplié par le nombre de chires k . Ce résultat est bien cohérent avec l'encadrement 10 d
k−1< m k < 10 d
ktrouvé plus haut.
3. a. Posons j = 10 k − i dans la somme dénissant m k . Il vient
m k =
10
k−10k−1X
j=1
(10 k − j)10 k(j−1)
b. On peut exprimer m k en utilisant une somme géométrique de raison 10 k et la question préliminaire :
m k =
10
k−10k−1X
j=1
10 kj −
10
k−10k−1X
j=1
j × 10 k(j−1)
= 10 k(10
k−10k−1+1) − 10 k
10 k − 1 − 10 d
k(10 k − 10 k−1 )(10 k − 1) − 1 (10 k − 1) 2
− 1
(10 k − 1) 2
= 10 k
10 k − 1 10 d
k− 10 d
k10 2k − 10 2k−1 − 10 k + 10 k−1 − 1 (10 k − 1) 2
− 1
(10 k − 1) 2 − 10 k 10 k − 1
= 10 d
k10 2k−1 − 10 k−1 + 1 (10 k − 1) 2 − r k
avec
r k = 10 k
10 k − 1 + 1
(10 k − 1) 2 = 1 + 1
10 k − 1 + 1
(10 k − 1) 2 < 10
9
Il existe donc, pour k ≥ 2 , un entier naturel a k = 10 2k−1 − 10 k−1 + 1 et un rationnel r k ∈
0, 10 9
tels que
m k = 10 d
ka k
(10 k − 1) 2 − r k .
Partie III. Autour des µ k .
1. D'après II.1.c, m i < 10 d
i. On peut donc majorer
l
X
i=k
m i 10
−Di<
l
X
i=k
10
−Di−1< 10
−Dk−11 + 10
−1+ 10
−2+ · · · + 10
−Dl−1< 10 D
k−110 9 en ajoutant toutes les puissances de 10 qui manquent dans la somme.
2. On en déduit que la suite (µ k ) k∈
N∗
est convergente car elle est croissante et majorée par µ 1 + 10 9 10
−d1. En utilisant la remarque de l'énoncé 10 9 < 1.2 , on peut préciser la forme décimale de ce majorant :
M ≤ 10
−9(123456789 + 1.2) = 0.1234567902 Pour k xé, la suite
l
X
i=k+1
m i 10
−Di!
l>k
= (µ l − µ k ) l>k
est croissante et majorée par 10 9 10
−Dk, sa limite est M − µ k . Par passage à la limite dans une inégalité, ob obtient
M − µ k ≤ 10 9 10
−Dk3. Commençons par écrire
M = µ k−1 + 10
−Dkm k + (M − µ k )
et cassons m k à l'aide de la question II.3.b. Il existe a k ∈ N et r k ∈ 0, 10 9
tels que M = µ k−1 + 10
−Dk10 d
ka k
(10 k − 1) 2 − r k
+ (M − µ k )
= µ k−1 + 10
−Dk−1a k
(10 k − 1) 2 − 10
−Dkr k + (M − µ k )
= 1
q k 10 D
k−1(10 k − 1) 2 µ k−1 + a k
− 10
−Dkr k + (M − µ k ) en ayant posé q k = 10 D
k−1(10 k − 1) 2 .
Posons maintenant p k = 10 D
k−1(10 k − 1) 2 µ k−1 + a k . On peut alors écrire
M − p k
q k
= 10
−Dk10 D
k(M − µ k ) − r k
≤ 10 9 × 10 D
kcar 0 < r k < 10 9 et 0 < 10 D
k(M − µ k ) ≤ 10 9 .
On veut montrer maintenant que, pour 0 < γ < 10 ,
M − p k q k
≤ 1 q k α
Pour simplier les calculs, aaiblissons l'inégalité que l'on vient de montrer en oubliant le facteur 9 :
M − p k
q k
≤ 10
9 × 10 D
k≤ 1 10 D
k−1et majorons le q k :
q k < 10 D
k−1+2k Considérons alors D k − 1 − γ (D k−1 + 2k) et utilisons I.4.
D k − 1 − γ (D k−1 + 2k) = (10 − γ)D k−1
| {z }
>0
carγ<10
+ 10 k − 2γk − 2
| {z }
>0
pourγ<10
etk≥2
> 0
On en déduit 10 D
k−1> 10 D
k−1+2k γ puis
M − p k
q k
≤ 1
10 D
k−1≤ 1
(10 D
k−1+2k ) γ ≤ 1
q k γ
Partie IV. Le théorème de Liouville
1. Comme P est à coecients entiers et sans racines dans Q, il est de degré est au moins 2 . Son polynôme dérivé n'est pas nul et admet un nombre ni de racines. Tout intervalle contient donc des éléments qui ne sont pas des racines de P
0. En particulier M > 0 . 2. Notons a 0 , · · · , a d les coecients de P . En réduisant au même dénominateur, on ob-
tient :
P( p
q ) = a 0 q d + a 1 pq d−1 + · · · + a d−1 p d−1 q + a d p d q d
Le numérateur est entier car p , q et les coecients sont entiers. Il n'est pas nul car P est sans racine rationnelle. Il est donc supérieur ou égal à 1 en valeur absolue. On en
déduit :
P ( p q )
≥ 1 q d
3. Théorème de Liouville. Soit p ∈ Z et q ∈ N
∗tels que |α − p q | ≤ 1 . Appliquons l'inégalité des accroissements nis à P entre p q et α . Comme α est une racine de P , on obtient :
P ( p q )
≤
α − p q
M ⇒
α − p q
≥ P ( p q )
M ≥ C
q d
4. Supposons M racine d'un polynôme à coecients entier de degré d ∈ J 0, 9 K et formons une contradiction entre la majoration de III.3 et la minoration qui résulte du théorème de Liouville (IV.3). D'après la question III.3. utilisée avec un réel γ tel que d < γ < 10 . et le théorème de Liouville, il existe des suites d'entiers p k et q k tels que
M − p q
kk