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La BCE et l'écologie ; vent nouveau, brassage d'air ou nouvelle ère néolibérale ?

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La BCE et l'écologie ; vent nouveau, brassage d'air ou nouvelle ère néolibérale ?

BAUDRAZ, Simon Alexis Victor

Abstract

La revue stratégique de la BCE officialise que le changement climatique peut avoir un effet sur ses objectifs. En étudiant les prises de position publiques des dirigeants de la BCE, cet article questionne la doctrine de l'organisation de Francfort par rapport au changement climatique. La réflexion s'organise autour de trois grandes questions : pourquoi est-ce que la BCE décide de s'impliquer sur les questions écologiques, comment est-ce qu'elle le fait, et quelles sont les potentielles implications de ses décisions. S'il y a une évolution rapide des positions des dirigeants de la BCE, il ne s'agit pas d'un changement de paradigme mais d'une adaptation du modèle existant. La BCE n'agit pas pour limiter le changement climatique directement, mais pour maintenir sa légitimité face aux attentes politiques. Elle doit également veiller à rester crédible aux yeux du marché, et met en place des mesures basées sur une meilleure prise en compte et divulgation des risques climatiques. Ces mesures peuvent être décrites comme néolibérales, avec la compétition comme valeur fondamentale et une grande confiance dans la [...]

BAUDRAZ, Simon Alexis Victor. La BCE et l'écologie ; vent nouveau, brassage d'air ou nouvelle ère néolibérale ?. 2021, 30 p.

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:155101

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Political Economy Working Papers | No. 5/2021

La BCE et l'écologie ; vent nouveau,

brassage d'air ou nouvelle ère néolibérale ?

Simon Baudraz (Université de Genève)

Department of History, Economics and Society, University of Geneva, UniMail, bd du Pont-d'Arve 40, CH-1211 Genève 4. T: +41 22 379 81 92. Fax: +41 22 379 81 93

Working paper

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La BCE et l'écologie ; vent nouveau, brassage d'air ou nouvelle ère néolibérale ?

Simon Baudraz

Université de Genève, Département d'Histoire, Economie et Société (DEHES) simon.baudraz@unige.ch

Abstract: La revue stratégique de la BCE officialise que le changement climatique peut avoir un effet sur ses objectifs. En étudiant les prises de position publiques des dirigeants de la BCE, cet article questionne la doctrine de l'organisation de Francfort par rapport au changement climatique. La réflexion s'organise autour de trois grandes questions : pourquoi est-ce que la BCE décide de s'impliquer sur les questions écologiques, comment est-ce qu'elle le fait, et quelles sont les potentielles implications de ses décisions. S'il y a une évolution rapide des positions des dirigeants de la BCE, il ne s'agit pas d'un changement de paradigme mais d'une adaptation du modèle existant. La BCE n'agit pas pour limiter le changement climatique directement, mais pour maintenir sa légitimité face aux attentes politiques. Elle doit également veiller à rester crédible aux yeux du marché, et met en place des mesures basées sur une meilleure prise en compte et divulgation des risques climatiques. Ces mesures peuvent être décrites comme néolibérales, avec la compétition comme valeur fondamentale et une grande confiance dans la discipline du marché. Cette conception n'est pas neutre politiquement, et participe à limiter les possibilités de changements institutionnels profonds.

Mots-clefs: Banque centrale européenne; changement climatique; néolibéralisme; approche néoréaliste

Codes JEL: B52; E02; E50; E58; Q54

1. Introduction

Depuis la fin du XXème siècle et jusqu'à la crise de 2007-2008, il existait un consensus sur le rôle des banques centrales (Goodfriend 2007; Alesina & Stella 2010), un paradigme de ciblage de l'inflation organisé autour d'une holy trinity : la stabilité des prix comme objectif principal, l'indépendance des banques centrales comme arrangement institutionnel et le taux d'intérêt à court terme comme instrument principal (Braun & Downey, 2020). Pour reprendre les mots de Borio (2011 p. 191):

"Everything was simple, tidy, and cozy".

Ce consensus n'est pourtant pas une constante historique (Goodhart 2011; Elliott, Feldberg & Lehnert 2013), et a été mis à mal par la crise de 2007-2008. Les banques centrales ont dû prendre des mesures de grandes ampleurs et non conventionnelles (Bentoglio and Guidoni 2009; Tooze 2018), et ainsi à adapter leur rôle (voir par exemple Clerc & Raymond 2014; Couppey-Soubeyran 2012). La crise du COVID-19 a également eu un impact sur les activités des banques centrales (Aguilar et al. 2020; Billio et al. 2020; Cavallino & De Fiore 2020). Plus spécifiquement, la Banque centrale européenne (BCE) a été confrontée à la crise financière puis à la stabilité de la zone euro (Baldwin et al., 2015), et a dû faire face à des situations comme la probabilité de défaut d'un Etat membre (Macchiarelli et al., 2020). Ces développements soulèvent des questions sur les enjeux éthiques de déléguer la politique monétaire à des banques centrales indépendantes, comme leur tâche devient de plus en plus complexe (Van’t Klooster 2020).

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A la suite au fameux discours de Mark Carney (2015) sur la tragédie des horizons, les banques centrales sont de plus en plus appelées à prendre des mesures face aux risques posés par le changement climatique, voire à prendre un rôle en faveur d'un verdissement de l'économie (Tooze 2019). En effet, le changement climatique concerne les banques centrales car il peut avoir un effet sur la stabilité des prix (Parker 2018; Dafermos, Kriwoluzky et al. 2021) et la stabilité financière (Bolton et al. 2020). De plus, la politique monétaire n'est pas neutre par rapport au climat, notamment avec les mesures d'assouplissement quantitatif qui favorise les industries les plus polluantes (Anderson 2015;

Matikainen et al. 2017; Battiston and Monasterolo 2019). La littérature sur le sujet se développe rapidement (par exemple Bolton et al. 2020; Campiglio et al. 2018; Dafermos et al. 2018; D'Orazio &

Popoyan 2019a; Krogstrup & Oman 2019; Volz 2017). Les banques centrales implémentent de mesures. D'Orazio and Popoyan (2019b) ont créé une base de données avec les instruments macroprudentiels mis en place par les banques centrales dans le monde. En particulier, avec les résultats de sa revue stratégique la BCE semble répondre aux attentes. Elle reconnait que le changement climatique a un effet sur la politique monétaire, et "within its mandate, the Governing Council is committed to ensuring that the Eurosystem fully takes into account, in line with the EU’s climate goals and objectives, the implications of climate change and the carbon transition for monetary policy and central banking" (ECB 2021a).

L'objectif du présent article est d'étudier la doctrine de la BCE par rapport au changement climatique.

La réflexion s'organise autour de trois grandes questions principales : pourquoi est-ce que la BCE décide de s'impliquer sur ces questions, comment est-ce qu'elle le fait, et quelles sont les potentielles implications de ces décisions. Il ne s'agit donc pas de déterminer si une banque centrale doit prendre un rôle proactif dans la transition écologique ou comment est-ce qu'elle peut intervenir, mais bien d'étudier les motivations qui pourraient la pousser à s'impliquer, la manière dont elle le fait et les conséquences de ses choix.

Pour ce faire, cet article repose sur une analyse des prises de position publiques des dirigeants de la BCE, permettant de mieux comprendre les conceptions qui sous-tendent les décisions et ainsi mettre en avant les motivations qui peuvent pousser la BCE à prendre en compte les enjeux climatiques. Le point de départ est les documents directement identifiés par la BCE sur son site internet comme étant liés au changement climatique. Cela comprend des interviews, discours, communiqués de presse, documents de travail ou encore article de blog1. Les discours des membres du Conseil de surveillance prudentielle sont également utilisés2. Pour mettre les choses en perspective, une recherche automatique de mots-clefs est appliquée à 2488 discours publics donnés par les membres du Comité Exécutif entre 1997 et 20213. Deyris & Bonnet (2021) proposent une présentation détaillée de l'évolution de ces discours.

Les déterminants et effets de la communication des banques centrales avec le marché sont traités dans la littérature économique (Blinder et al., 2008), ainsi que la communication avec la société de manière plus large (Braun, 2016) et le rôle des médias dans cette communication (Velthuis, 2015). La BCE doit gérer les anticipations du marché, et a donc tout intérêt à avoir une communication claire (Braun, 2015), et ses décisions sont rapidement prises en compte (Altavilla, Giannone, and Lenza 2014

; Brand, Buncic, and Turunen 2010). Une limitation méthodologique importante est qu'en s'intéressant

1 https://www.ecb.europa.eu/home/search/html/climate_change.en.html (données consultées la dernière fois le 15 juillet 2021).

2 https://www.bankingsupervision.europa.eu/press/speeches/speaker/bm/html/index.en.html (données consultées la dernière fois le 15 juillet 2021).

3 https://www.ecb.europa.eu/press/key/html/downloads.en.html (données consultées la dernière fois le 1er juillet 2021).

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principalement aux positions des membres du Comité exécutif, la pluralité de positions derrière le consensus de la BCE est peu prise en compte, notamment car les contextes nationaux peuvent diverger à cause 1) des positions idéologiques des gouvernements différentes, 2) des différences d'opinion publique et 3) des intérêts économiques (Moschella and Diodati, 2020).

L'argument développé dans cet article peut être résumé de la manière suivante. S'il y a une évolution rapide dans les positions publiques des dirigeants de la BCE et qu'ils reconnaissent clairement les risques liés aux changements climatiques, la BCE reste dans un même paradigme néolibéral face aux enjeux climatique. Elle ne cherche pas à étendre sa mission pour mettre un place un whatever it takes climatique, mais à défendre ce que Braun et al. (2021) appellent ses organizational interests:

s'impliquer sur les questions climatiques est un moyen d'affirmer sa légitimité, mais les mesures mises en place ne doivent pas nuire à la crédibilité de la BCE par rapport aux marchés financiers. En effet, les mesures envisagées restent indissociables d'une conception néolibérale, présente dès les origines de la BCE (Hermann 2007). La compétition est une valeur fondamentale (Amable 2011), et une grande confiance dans la discipline du marché. Par exemple, une mesure écologique mise en avant par les dirigeants de la BCE est la mise en place d'une Capital Market Union (CMU). De plus, les discussions sur le concept de neutralité du marché, malgré une évolution notable, donnent toujours une place centrale à la discipline de marché, même si certains ajustements sont nécessaires. Cette conception néolibérale des enjeux climatiques est loin d'être neutre. En effet, les actions de la BCE par rapport au climat s'inscrivent dans un contexte institutionnel plus large, et comprendre d'éventuelles modifications nécessite une théorie dépassant la portée des actions de la BCE vues comme un agent stratégique. L'approche néoréaliste d'Amable et Palombarini (2005; 2009) se base sur un conflit entre groupes sociaux qu'un modèle socio-économique peut temporairement limiter. Dans cette approche, une idéologie a un rôle primordial pour "sa capacité à disqualifier certaines attentes sociales […]

comme contraire à l'intérêt général" (Amable & Palombarini 2005 p. 239). Si de futures recherches sont nécessaires sur ce dernier point, en prenant position sur les questions écologiques et en y proposant des solutions néolibérales la BCE peut renforcer certains groupes sociaux soutenant un modèle socioéconomique néolibéral, et ainsi limiter le développement de modèles socioéconomiques alternatifs.

La suite de cet article s'organise de la manière suivante. La prochaine section présente de manière synthétique l'évolution des positions publiques des dirigeants de la BCE. La section 3 étudie les motivations de la BCE, comprise comme un agent stratégique. La section 4 montre comment les mesures prises s'inscrivent toujours dans un cadre néolibéral et la section 5 montre les potentielles implications de ces décisions. Enfin, la section 6 conclut.

2. Evolution de la position des dirigeants de la BCE face au changement climatique

Depuis quelques années l'écologie devient un sujet de plus en plus important dans la communication de la BCE, à tel point que sur la première moitié de l'année 2021 elle est mentionnée dans près de la moitié des interventions publiques étudiées.

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En plus de cette augmentation rapide en termes quantitatifs, les vues exprimées ont également évolué. En effet, les membres du Comité exécutif expriment des opinions variées qui peuvent changer dans le temps, mais surtout le renouvellement des membres amène des perspectives nouvelles. S'il est difficile de dégager une périodisation précise, une tendance générale peut être mise en avant. Pour une présentation complète, Deyris & Bonnet (2021) reviennent en détails sur l'évolution des positions sur le climat exprimées dans les discours des membres du Comité Exécutif.

En particulier, il y a une évolution notable de la place qu'il doit être accordé au changement climatique par rapport au mandat de la BCE. Avant 2018, les interventions publiques sur le sujet restent rares, et, si discuté, le sujet semble hors de portée pour la BCE. Ensuite, le changement climatique est de plus en plus perçu comme un risque pour la stabilité financière, ce qui justifie que la BCE s'implique de manière limitée. Depuis 2019, suite notamment aux arrivées de Christine Lagarde et Isabel Schnabel respectivement à la Présidence de la BCE et comme membre du Comité exécutif, les risques climatiques sont désormais compris comme faisant partie du mandat de stabilité des prix de la BCE, et de manière générale comme un défi majeur. Toutes ces discussions et prises de position publiques sont officialisés avec les résultats de la revue stratégique, détaillée en juillet 2021, qui établit que le changement climatique peut avoir un effet sur la stabilité des prix, ce qui justifie que la BCE prenne des mesures.

Ces différentes conceptions du rôle de la BCE par rapport au défi du changement climatique donnent lieu à différentes mesures envisagées. Vu comme une menace pour la stabilité financière, le changement climatique justifie que la BCE incite les organisations financières à le prendre en compte.

En particulier, plusieurs éléments reviennent dans les discours des dirigeants de la BCE sur ce que l'institution pourrait et devrait mettre en place: 1) veiller à ce que les acteurs du marché disposent des données de qualités et une taxonomie commune définissant les actifs écologiques ou non, 2) améliorer la compréhension des risques liés au changement climatique notamment via des collaborations au sein notamment du Network for Greening the Financial System (NGFS), et 3) montrer l'exemple en étant un investisseur et une organisation exemplaire, dans les limites restreintes de son mandat (ce qui exclut par exemple les portfolios détenus dans le cadre de la politique monétaire). Ensuite, la vision que le changement climatique fait partie du mandat principal de la BCE ouvre la porte à d'autres mesures. Plusieurs aspects prennent de l'importance dans les discours des dirigeants: 1)

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l'implémentation de stress tests prenant explicitement en compte le changement climatique, 2) la mise en place d'une Union des marchés des capitaux (Capital Market Union, CMU), et 3) une remise en question possible du principe de neutralité du marché. Ces éléments se retrouvent dans les résultats de la revue stratégique.

3. Pourquoi? Intérêts organisationnels de la BCE

Pourquoi est-ce que la BCE devrait-t-elle se soucier de l'écologie? Son mandat a été rédigé il y a quelques décennies avec l'inflation comme enjeux central, et ne fixe pas clairement un objectif écologique, ni ne donne d'indications sur les instruments à mettre en place. Les dirigeants de la BCE doivent donc présenter une interprétation de leurs objectifs, et leurs décisions souffrent de democratic authorizatoin gaps (de Boer & Van't Klooster 2020; Van't Klooste 2021). De manière générale, la question de savoir si une banque centrale doit prendre en compte les aspects écologiques a souvent été étudié dans la littérature en analysant leur mandat et la place éventuelle accordée à des objectifs écologiques. Par exemple, Dikau & Volz (2021) étudient 135 banques centrales dans le monde et montrent que seulement 12% ont explicitement un mandat incluant la durabilité, et 40% ont un mandat qui inclut un soutien aux priorités des gouvernments, qui peuvent inclure des considérations écologiques. C'est le cas de la BCE, qui a un objectif principal de stabilité des prix, mais doit également soutenir les politiques économiques de l'UE (sans porter préjudice à son objectif principal). D'après Campiglio et al. (2018 p.466), les banques centrales des pays à hauts revenus ont des objectifs plus restreints, se focalisant sur la stabilité des prix et parfois la stabilité financière (voir également Dikau

& Ryan-Collins 2017).

Place de l'écologie dans le mandat de la BCE, vue par ses dirigeants

Avant d'étudier les motivations de la BCE, il est intéressant de présenter l'évolution de la place que les dirigeants ont accordé à l'écologie dans les missions de la BCE.

Le 8 novembre 2018, Benoît Coeuré (2018, 8 novembre) donne un discours à une conférence intitulée Scaling up Green Finance: The Role of Central Banks. Il s'agit d'une des premières interventions publiques par un membre du Comité Exécutif dédiée au changement climatique et ses effets pour la politique monétaire et la BCE. La position de Coeuré sur l'importance des enjeux écologiques est claire:

"Climate change is not a theory. It is a fact". Cela représente un défi majeur, et la BCE doit participer, même si elle n'a qu'un rôle secondaire par rapport aux gouvernements: "While there is a wide recognition that environmental externalities should be primarily corrected by first-best policies, such as taxes, all authorities, including the ECB, need to reflect on, and consider, the appropriate response to climate change". En effet, Coeuré considère que ce dernier a un effet sur la politique monétaire,

"one way or the other – whether it is left unchecked or humankind rises to the climate change challenge."

La position de Coeuré que le changement climatique peut être un enjeu pour la politique monétaire ne fait pas l'unanimité chez les dirigeants de la BCE. Notamment, quelques semaines après le discours de Coeuré, Yves Mersch (2018, 27 novembre) donne aussi son avis sur les potentiels risques associés au changement climatique. Il reconnait les risques potentiels liés au changement climatique de manière générale, mais estime que ce n'est pas la responsabilité de la BCE d'intervenir pour résoudre le problème climatique: "By no means do I want to be the ‘spirit, ever, that denies’. But in this concrete instance, the situation is clear: finding – or financing – the solution to the problems of climate change

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appears, at first glance, somewhat remote from the primary mandate of a central bank". Il estime en effet que les effets macroéconomiques du changement climatique sur l'inflation sont limités. Dans le cadre de son objectif principal, la BCE n'a donc que peu de marge de manœuvre, et Mersch insiste sur l'importance du principe de neutralité du marché pour les programme d'achat d'actifs.

Néanmoins, Mersch reconnait que le changement climatique peut avoir un effet sur la stabilité financière. Reprenant des catégories similaires à celles de Carney (2015), il identifie trois catégories de risque, en insistant en particulier sur les risques de transition vers une économie plus écologique: "first, the physical risk from exposure to climatic events; second, the sharp adjustments in asset prices arising from discretionary policy interventions; and third, investors being so caught up in the euphoria over

"green" financial assets that they fail to adequately price in their risks". Ainsi, ces risques justifient que la BCE étudie les effets du changements climatiques, par exemple en surveillant et analysant "the extent to which climate change or other shocks may affect the transmission of monetary policy, the economic cycle, the soundness of individual banks and financial stability as a whole, and how they interact, is part of our forward-looking approach".

Cette vision du changement climatique comme un risqué pour la stabilité financière s'impose de plus en plus dans les discours des membres du Comité Exécutif, mais également chez les membres du Conseil de surveillance prudentielle. La BCE doit prendre en compte le changement climatique via son objectif secondaire de stabilité financière, et pas à cause de ses effets sur la stabilité des prix, ou pour participer à la mise en place de mesures pour limiter le changement climatique en soutien des politiques de l'UE. Par exemple, Andrea Enria (2019b, 21 novembre), Président du Conseil de surveillance prudentielle, explique qu'il y a des idées "to give banks an incentive to allocate more capital to green projects and assets. Some argue that regulation should feature a green supporting factor. In other words, capital requirements for exposures to green assets should be lower. From my point of view as a supervisor, it is not as easy as that. Our mandate is to make banks safer and sounder".

Dès lors, d'après Enria, la BCE doit travailler à définir et mesure les risques climatiques, de son côté et via sa participation au sein du NGFS. De manière similaire, Pentti Hakkarainen (2019, 9 septembre), Membre du Conseil de surveillance prudnetille, explique qu'à son avis "It is not up to supervisors or regulators of banks to conduct climate politics. Our job is to ensure that bank are safe and sound.

Personally speaking, I would love to see an economy that is in balance with nature and social rights.

But professionally speaking, it is not my job. As a banking supervisor, my job is to care about the risks that climate change poses to banks". Les régulateurs et les superviseurs peuvent aider en fournissant des définitions des actifs verts et bruns, et également mieux étudier leurs risques respectifs, ainsi qu'à intégrer les risques climatiques dans leur mission de surveillance prudentielle. De son côté, Sabine Lautenschläger (2019, 17 avril), alors membre du Comité exécutif, est claire sur le rôle de la BCE: "I would caution that any potential changes to regulatory or prudential frameworks must be justified from a prudential perspective. We should do our utmost to acknowledge, assess and act upon climate change-related risks within our mandate, but we should not be obliged, for example, to promote green finance by granting banks preferential capital treatment if this is not justified by the specific risks linked to green finance."

Suite à sa prise de fonction en novembre 2019, Christine Lagarde a pris une position claire sur l'importance du changement climatique. Dans une interview pour Le Monde, elle affirme que "Face à ce qui est le risque majeur du XXIe siècle, tout le monde doit se mobiliser. Si nous ne le faisons pas maintenant, nous ne pourrons plus lutter contre le changement climatique. Il sera trop tard ! Chacun de nous, où que nous soyons, nous serions coupables de ne pas nous être demandé : dans la mission qui est la mienne, que dois-je faire ? Que puis-je faire ? Mon intuition me dit que l'on peut faire plus que ce que l'on imagine." (Lagarde, citée par Albert & Charrel, 2020). À une autre occasion, elle

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considère que chacun, individu ou organisation, doit s'interroger sur le rôle qu'il peut jouer, et "ce qui vaut pour l'individu, dans ses gestes quotidiens, vaut aussi pour les institutions. Elles doivent se demander comment elles peuvent participer à la lutte contre le changement climatique, une des très graves menaces qui pèsent sur notre planète et les générations à venir" (Lagarde, citée par Lecoq &

Aubault, 2020). En particulier, la BCE ne peut pas se cacher derrière un mandat spécifique pour éviter de faire sa part: "if everybody looks at those issues and says, oh, this is not really my mandate or this is not really for me to do, this is always for somebody else, I would caution against that for anybody who's tempted to go in that direction" (Lagarde, citée par Ignatius 2020, 23 juillet). De plus, la BCE a un intérêt particulier à réfléchir à son rôle par rapport au changement climatique, car il peut avoir un effet sur son objectif premier de stabilité des prix. À la question de savoir si la BCE doit contribuer à la transition écologique, elle affirme que "C'est une question fondamentale, et je vais tenter d'entraîner le Conseil des gouverneurs à au moins accepter de s'interroger sur l'action légitime d'une banque centrale pour participer à la lutte contre le changement climatique. Je connais le scepticisme de certains commentateurs. Très bien, nous en débattrons. Mais nous devons prendre en compte les questions climatiques, car elles ont un impact sur la stabilité des prix, notre mandat premier" (Lagarde, citée par Albert & Charrel, 2020).

Lagarde met donc en avant l'importance du changement climatique pour la BCE, à cause de son mandat de stabilité des prix. Avec le renouvellement des membres du Comité exécutif, une autre voix importante sur le sujet du changement climatique arrive en janvier 2020 en la personne d'Isabel Schnabel, qui partage la vision de Lagarde: "What then, if any, is the role of central banks, and monetary policy in particular, in supporting the transition towards a low-carbon economy? The starting point for answering this question is the ECB's primary objective: price stability. Climate change, if not addressed swiftly, can be expected to affect the economy in a way that poses material risks to price stability in the medium to long term" (Schnabel 2020a, 17 juillet). Il n'y a néanmoins pas de consensus, et Yves Mersch (2020, 21 novembre) n'est pas partisan de cette interprétation du risque climatique comme faisant partie du mandat principal: "The EU Treaties require the ECB to give primacy to the objective of price stability. If ECB's engagement with the green and sustainable financial sector were necessary for maintaining price stability in the euro area, it would fall within the remit of our primary objective. I don't think that applies at present". La BCE reste néanmoins légitime sur les questions de durabilité via ses objectifs secondaires: "Without prejudice to our primary objective of price stability, we support the general economic policies in the EU: "with a view to contributing to the achievement of the objectives of the Union". One of these objectives is to work towards "a high level of protection and improvement of the quality of the environment". This justifies why the ECB is also looking into sustainability" (Yves Mersch, 2020, 21 novembre). Cela constitue une évolution par rapport aux propos de Mersch (2018, 27 novembre) présentés précédemment ; la BCE doit prendre en compte le risque climatique, même si "contrary to what some may argue, that does not mean that the ECB is free to take the initiative and decide itself how "a high level of protection and improvement of the quality of the environment" is to be achieved. For good reason, that remains the privilege of elected politicians"

(Yves Mersch, 2020, 21 novembre).

Finalement, les résultats de la revue stratégique officialisent la vision que le changement entre dans le périmètre d'action de la BCE car "climate change has profound implications for price stability through its impact on the structure and cyclical dynamics of the economy and the financial system. Addressing climate change is a global challenge and a policy priority for the EU. Within its mandate, the Governing Council is committed to ensuring that the Eurosystem fully takes into account, in line with the EU’s climate goals and objectives, the implications of climate change and the carbon transition for monetary policy and central banking" (ECB 2021a). En d'autres termes, la BCE doit prendre en compte le changement climatique car il a un effet sur la stabilité des prix.

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9 Intérêts et audiences de la BCE

Comme le montre l'évolution des positions de ses dirigeants, la BCE considère que le changement climatique peut directement avoir un effet sur ses objectifs de stabilité financière et des prix. Mais cela ne suffit pas à expliquer pleinement le nouvel élan d'intérêt de la BCE. En effet, il s'agit d'un acteur politique qui cherche à étendre son influence (Fontan 2014). De plus, la BCE est connue pour adopter un comportement stratégique pour défendre ce qu'elle perçoit être ses intérêts (Howarth 2004;

Henning 2015; Helt & Mueller 2021). Cela soulève donc une question : pourquoi est-ce que la BCE décide-t-elle de s'impliquer sur les questions écologiques?

Braun et al. (2021) étudient le soutien de la BCE pour des réformes structurelles, malgré son manque d'autorité formelle et de moyens officiels pour les implémenter au niveau des Etats, et proposent un cadre théorique pertinent pour comprendre les actions de la BCE en lien avec les questions climatiques. Ils expliquent que la BCE distingue entre les périodes d'activités normales, pendant lesquelles les organizational interests expliquent les choix pris, et les périodes de crise, pendant lesquelles les intérêts systémiques prennent le pas sur d'autres considérations pour par exemple éviter un effondrement du système financier, indépendamment des potentiels coûts de réputation.

Les intérêts organisationnels de la BCE peuvent être analysés selon les deux dimensions qui représentent les deux audiences principales d'une banque centrale : "Central banks seek to establish and sustain credibility vis-à-vis market audiences, the conditions for which are their independence (performed by upholding policy commitments against government pressure) and their epistemic authority (performed via “investment in scientific prestige and scholarly research”). At the same time, central banks seek to establish and sustain legitimacy vis-à-vis political audiences, notably their government principals and the broader public. Here, they must balance output-legitimacy (achieving mandated policy goals) and throughput-legitimacy (acting within the scope of established rules and procedures that underpin the organization’s authority)" (Braun et al. 2021 p. 10). Les intérêts organisationnels de la banque centrale permettent d'appréhender ses actions pendant une période d'activité standard.

Pour illustrer dans le cas du climat, Mersch (2018) est bien conscient de ces enjeux: "independence is not a carte blanche to act arbitrarily. Our use of monetary policy tools needs to be necessary, suitable and proportionate to achieving our aim, while respecting the principles of an open market economy with free competition. Going beyond these strict conditions would erode our legitimacy, which could in turn threaten our future independence and reduce our ability to achieve our mandate over the long term". De manière générale, ces enjeux se retrouvent également dans les documents produits par le NGFS (2020). Par exemple, le tableau ci-dessous provient d'un rapport intitulé Progress report on the implementation of sustainable and responsible investment [SRI] practices in central banks’ portfolio management, et montre que parmi les banques centrales interrogées, l'implémentation de pratique SRI dans la gestion de certains portefeuilles est principalement motivée par des enjeux de réputation.

Il s'agit de satisfaire les attentes de stakholders sur les enjeux climatiques, mais également rester crédible dans les recommandations faites aux marchés: "Reputational risk and setting a good example are again considered as the key motivations for the adoption of SRI practices (Table 1). In their role as public institutions, central banks are subject to public scrutiny if they fail to address stakeholders’

climate change-related concerns. This is especially true if a central bank calls upon the financial sector to address climate-related risks, but fails to appropriately address these risks in its own operations"

(NFGS 2020)

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Par contre, face à une crise importante, les intérêts organisationnels sont relégués par la nécessité de faire whatever it takes pour éviter un effondrement du système financier ou de la monnaie commune.

Dans ces circonstances, une banque centrale doit agir comme prêteur de dernier recours, sans véritablement se soucier de l'effet sur sa légitimé politique ou crédibilité sur les marchés. Cette distinction entre périodes usuelles et périodes de crise "applies with particular force to the ECB, which in a crisis confronts the possibility of a break-up of the currency area (such as “Grexit”). Avoiding such systemic breakdown—and its own obsolescence—becomes an overriding “grim necessity” for the ECB" (Braun et al. 2021 p.10-11). Dans de telles situations, les intérêts systémiques de l'organisation de Francfort peuvent dépasser son périmètre d'action habituel et entrer en conflit avec ses intérêts organisationnels. Par exemple, le programme d'opérations monétaires sur titres (Outright Monetary Transactions) lancé en septembre 2012 ou le programme d'assouplissement quantitatif de début 2015 ont été annoncés alors que la BCE était au courant que ces mesures allaient déclencher des tensions politiques et des actions devant la justice (de Boer & Van't Klooster 2020).

Ce cadre théorique peut être utilisé pour éclairer la position de la BCE par rapport au climat. En premier lieu, il est difficile d'interpréter les mesures misent en place par la BCE comme une réponse à une crise systémique pouvant menacer la zone euro. En effet, si les dirigeants de la BCE sont loin d'être des climato-sceptiques et reconnaissent volontiers le défi que représente le changement climatique, et qu'il peut avoir un effet sur la stabilité financière et des prix , il ne représente pas une menace directe et immédiate comme celles que la BCE a dû gérer en ce début de 21ème siècle. Ensuite, les dirigeants de la BCE mettent fréquemment en avant que si l'organisation a un rôle un jouer face au défi que représente le changement climatique, la responsabilité revient principalement aux gouvernements.

Par exemple, Lagarde considère que "[the policymakers, the governments] have to also take the right measures, so everybody must be at the table. Central bankers will not eliminate climate risk on their own. They can participate in the process and for my money, I'll do the best I can to participate, but it's not a business of central banks." (Lacqua 2020, January 24). Un autre exemple, avec Schnabel (2020 September 28) qui insiste sur le fait que la BCE ne peut pas être seule responsable pour rendre l'économie et le système financier plus résilient face aux risques climatiques: "In short, I would argue that it requires collective and concerted action by all stakeholders, first and foremost by legislators and national governments". Enfin, les résultats de la revue stratégique illustrent bien le manque d'urgence dans les mesures proposées. Les dirigeants de la BCE sont clair face aux potentiels risques liés à une crise climatique, mais ne les traitent pas comme une urgence. En d'autres termes, avec les

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résultats de sa revue stratégique il est clair que la BCE ne s'engage pas vers un whatever it takes climatique dans un avenir proche.

Par contre, les intérêts organisationnels donnent un éclairage pertinent sur les décisions de la BCE. Le récent intérêt pour les questions climatiques peut être compris comme un moyen pour l'organisation de Francfort d'établir sa légitimité par rapport à son public politique (gouvernements et société civile de manière large) avec un communicative discourse ainsi qu'une manière de maintenir sa crédibilité face aux marchés financiers avec un coordinative discourse (Schmidt 2014).

La littérature sur l'indépendance des banques centrales a fréquemment argumenté pour le besoin d'une séparation entre gouvernements politiquement élus et banquiers centraux, de manière à protéger la politique monétaire de pressions politiques et/ou populistes. Comme l'explique Mersch (2018), "[…] there will be winners and losers. It is therefore the responsibility of elected representatives to decide on the best solutions. Central banks are explicitly excluded from such political debates. In view of the central banks’ almost limitless financial power, politicians would come under too much temptation to use monetary policy to achieve short-term political goals, a situation that could undermine the task of preserving the purchasing power of money. That is why, in most jurisdictions, monetary policy has been transferred to technocrats who are independent of politics and are bound to fulfil a strict and unambiguous mandate to guarantee price stability". Néanmoins, une banque centrale a toujours besoin de légitimité pour pouvoir fonctionner efficacement(Ehrmann et al. 2013;

Roth et al. 2014; Roth et al. 2016). La BCE réagit à des contestations publiques, et une opinion publique négative impacte sa communication (Moschella et al. 2020). Elle ne peut pas simplement ignorer les pressions politiques. Par exemple, dès son lancement la revue stratégique stipulait explicitement que

"[the strategic review] will be reaching out to not just the usual suspects, but it will also include consulting with Members of Parliament and I've committed to that with the European Parliament. It will reach out to the academic community, of course. It will reach out to civil society representatives and it will aim at not just preaching the gospel that we think we master, but also listening to the views of those to whom we reach out" Lagarde & de Guindos (2019). Dans la conference de presse qui a suivi l'annonce des résultats de cette revue stratégique, Lagarde explique que le Conseil des Gouverneurs a entendu "the calls of European citizens for a broader coverage of housing costs in the HICP" (Lagarde & de Guindos 2021). Dans le cas spécifique du climat, dès son arrivée à la tête de la BCE Lagarde a reçu une lettre ouverte4 signée par plus de 160 universitaires, responsables d’organisations de la société civile ou autres citoyens engagés en faveur de la lutte contre le changement climatique pour que la BCE agisse sans tarder contre le changement climatique. Il existe donc des attentes pour que la banque centrale agisse par rapport au climat, ce qui est un moyen pour la BCE de maintenir sa légitimité.

En parallèle de faire face à son public politique, une banque centrale doit également interagir avec un autre public, les marchés financiers. La crédibilité d'une banque centrale est vue vu comme nécessaire pour la politique monétaire de fonctionner correctement (Blinder 2000). Hors périodes de crise nécessitant des interventions immédiates, la BCE doit donc faire attention de ne pas perdre sa crédibilité aux yeux des marchés. De plus, les banques centrales sont dans une position hybride, entre une organisation publique et le système financier. Elles sont "market-based in the sense that the implementation and transmission of monetary policy occurs through financial markets" (Braun, 2020), et leur efficacité dépend de leur relation d'interdépendance avec les marches financiers (Braun 2015).

Elles ne peuvent donc pas être vues comme des régulateurs au-dessus des marchés, car elles font partie des marchés. Ainsi d'après Braun (2020, p.396), en plus d'un instrumental power via les activités

4 http://www.positivemoney.eu/wp-content/uploads/2019/12/lettre_ouverte_christine_lagarde_vers_fr.pdf

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de lobbyisme et d'un structural power, "which derives from the financial sector's privileged position in financialized economies", le secteur financier a également une forme de infrastructural power : les banques centrales ont besoin des marchés financiers, nécessaires pour l'implémentation des politiques de la BCE. Par exemple, elles se retrouvent à soutenir le développement des marchés repo et de la titrisation. La BCE soutient le développement du shadow banking pour l'implémentation de sa politique monétaire: "the ECB played a crucial role in fending off an aggressive proposal by the European Commission for a financial transaction tax that would have taxed repo transactions [...].

Similarly, the ECB went out of its way to protect the securitization market. It provided collateral easing and quantitative easing, and successfully lobbied the European Commission and national governments for regulatory easing [...]. In both cases, the ECB cited concerns over the potential negative consequences for monetary governability. This is the transmission mechanism of the infrastructural power of shadow banking: the ECB's readiness to throw around its weight in Brussels to protect the financial infrastructure through which it governs the economy" (Braun and Gabor, 2019). Ainsi, si la BCE doit équilibrer les attentes de ses deux publics principaux, si un arbitrage doit être fait, les besoins des marchés financiers sont primordiaux. C'est en particulier le cas depuis la crise financière, comme la BCE a un rôle plus important pour des mesures prudentielles (Baker 2013; Blinder et al. 2017). De plus, les banques centrales font face à ce que Lohmann (2003 p. 100) appelle des audience-cost: "an institution enjoys some degree of credibility if the act of institutional creation attaches the institution to an audience that can and will monitor the integrity of the institution and impose audience costs on the policy-maker who would dare to mess with the institution". En d'autres termes, "an institutional commitment has bite only if it is made vis-à-vis an audience that can and will punish institutional defections" (Lohmann 2003 p. 97). La BCE est plus directement vulnérable aux réactions et sanctions des marchés financiers que de celles du public.

En résumé, la BCE ne réagit pas au changement climatique comme s'il s'agissait d'une crise systémique, mais ses intérêts organisationnels permettent d'expliquer les mesures en lien avec l'écologie qui sont implémentées (en d'autres termes, pourquoi la BCE fait ce qu'elle fait). Prendre position sur les questions écologiques lui permet de maintenir sa légitimité face à son public politique, tout en faisant attention de rester crédible par rapport aux marchés. Les mesures écologiques choisies visent donc principalement à pousser les marchés financiers à mieux prendre en compte les risques liés au climat et pas à directement lutter contre le dérèglement climatique (voire section suivante), voire sont un moyen d'étendre la sphère financière.

Le cas du soutien de la BCE à la captial market union (CMU) est intéressant. Luis de Guindos (2019, 21 novembre) explique l'intérêt d'une CMU comme une mesure écologique: "in order to successfully meet the aims of the Paris Agreement, we need to see changes in how funding flows to the real economy. In the EU, this adds a further environmental motivation to the already substantial merits of completing the capital markets union (CMU). Deeper equity markets can greatly benefit Europe by helping to fund new technologies, including those needed for the transition to a low-carbon economy and for other purposes, such as digital innovation. Indeed, well-functioning capital markets can be agile, tailoring funding sources to firms along different stages of development. They also complement the banking sector by providing additional channels to mobilise the large existing pool of savings towards financing the economy". Les membres du Comité exécutif parle de l'importance d'une CMU depuis un certain temps, dès 2014/2015 (graphique 2), avant de discuter fréquemment des enjeux écologiques. C'est plus récemment, dès 2019 (mais la CMU est déjà mentionnée dans des discours en lien avec l'écologie dès 2017), que cela devient un argument écologique, et finit par être mobilisé dans environ un tiers des discours sur le sujet (graphique 3)

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La position de Luis de Guindos (2020, 3 mars) illustre bien les deux principales audiences auxquelles s'adresse la BCE, et la priorité accordée aux marchés financiers: "To most people in Europe, the need for deep and liquid capital markets might not seem the most pressing issue. The latest survey data show that people are more concerned about other topics: climate change and digitalization.

Nonetheless, I am convinced that the CMU has an important role to play here and its advancement should be seen in tandem with the EU's efforts to support the transition to a carbon-neutral economy.

The CMU and sustainable finance are two mutually reinforcing initiatives and we could benefit from considerable synergies by making progress on both fronts". D'après Braun, Gabor, and Hübner (2018), alors que les économistes identifient l'instabilité financière liée aux différentes formes de shadow banking comme une des raisons des crises des subprimes aux USA ainsi que des crises bancaires et souveraines en Europe, le CMU cherche à étendre l'intégration financière dans la zone euro. Cela peut être interprété comme une tentative "by European policymakers to devise a financial fix for this

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structural capacity gap. Using its regulatory powers, the European Commission, supported by the European Central Bank (ECB), seeks to harness private financial markets and instruments to provide the public policy good of macroeconomic stabilization" (Braun and Hübner, 2018).

Ainsi, utiliser le CMU comme un argument écologique permet à la fois à la BCE de maintenir sa légitimité en prenant position sur les questions écologiques, mais également de renforcer son contrôle en étendant l'intégration financière, sans perdre sa crédibilité aux yeux du marché.

4. Comment? Une vision néolibérale de l'écologie

Comme l'expliquent Chenet et al. (2021), si les banques centrales et régulateurs sont de plus en plus au fait des risques financiers liés au climat, l'approche actuelle se concentre principalement sur la réduction des problèmes d'information pour permettre aux marchés de fixer les prix correctement, par exemple grâce à plus de transparence et de divulgation des risques, stress tests et des analyses de scénarios. En effet, en reprenant la classification de Baer, Campiglio & Deyris (2021), dans l'ensemble, les dirigeants de la BCE agissent principalement pour des prudential motives : l'objectif est d'assurer la stabilité du système financier contre les risques climatiques, et pas de protéger le climat directement (promotional motives). Pour ce faire, la BCE met principalement en place des informational measures, qui visent à améliorer la qualité et quantité d'informations sur les risques financiers que les marchés ont à disposition. De manière plus large, Baer et al. (2021 p.7) parlent d'un "European promotional gap", soit "a restricted usage of the set of conceivable climate-related financial policies to be used for promotional purpose".

L'argument développé ici est de nature un peu différente : ce n'est pas tant que la BCE utilise un nombre limité d'outils à sa disposition, mais bien qu'elle exploite au maximum les instruments compatibles avec un mode de gouvernance néolibéral des enjeux environnementaux, en cohérence avec ses intérêts organisationnels, comme expliqué précédemment. En effet, la BCE défend une conception néolibérale, présente dès les origines de l'organisation (Hermann 2007; Moss 2005 Stockhammer 2016 et basée sur l'idée d'une discipline du marché soutenue par de la meilleure information sur les risques climatiques, ce qui est décrit par Christophers (2017) comme "a quintessentially neoliberal modality of governance". En effet, l'idée est qu'une information claire sur les risques encourus permet aux acteurs du marché de par exemple sanctionner les prises de risque excessives qui peuvent découler d'investissement dans des actifs trop exposés aux risques climatiques.

Cette idée repose sur deux hypothèses néolibérales relatives au fonctionnement des marchés (Christophers 2017 p.1117-1118) : les marchés sont efficients, et les acteurs du marché agissent de manière à ce que les prix reflètent les risques connus. D'après Chiapello (2020 p. 46) cette conception néolibérale peut être étendue de manière plus générale à la finance verte : "Les limites de la finance verte sont indissociables du cadre de pensée néolibéral qui lui donne naissance. Celui-ci postule que l'intervention publique ne doit pas entraver la concurrence mais rester "neutre" en garantissant un traitement égalitaire des agents. Une fois le cadre établi, il faut laisser le marché faire ses choix.

L'action publique doit alors passer par des "incitations" et des "signaux" visant à orienter l'action sans l'obliger".

On retrouve déjà cette idée de l'importance d'une meilleure information pour permettre la discipline de marché chez Carney (2015), qui considère que l'exemple des recommandations faites par la Enhanced Disclosure Task Force du Financial Stability Board (FSB) après la crise financière montrent que "private industry can improve disclosure and build market discipline without the need for detailed

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or costly regulatory interventions". De plus, le discours de Carney explicite le rôle que peut prendre les banques centrales. Refusant par exemple de participer directement au financement d'une économie bas-carbone en ajustant les exigences de capital des banques, pour Carney il s'agit de développer les conditions qui permettent aux marchés de s'adapter de manière efficiente : "our role can be in developing the frameworks that help the market itself to adjust efficiently. Any efficient market reaction to climate change risks as well as the technologies and policies to address them must be founded on transparency of information".

Cet extrait du discours de Carney met en avant une composante importante du néolibéralisme, qui le différencie du libéralisme classique et de l'idée du Laissez faire. Comme l'expliquent Dardot & Laval (2010), le rôle de l'Etat n'est pas de se retirer complètement de la sphère économique, mais de promouvoir la compétition avec de nouvelles règles si nécessaire. Un Etat interventionniste est parfois nécessaire pour rétablir la compétition, par exemple si un manque de transparence les empêche de fonctionner correctement. En effet, dans la rationalité néolibérale, l'idée de compétition devient centrale dans la vie économique, également sociale, et doit être placée au-dessus des influences politiques. Cependant, "public intervention is far from being prohibited but must be justified by reference to the promotion of individual competition, not as a way to alter the results of a supposedly free and fair process. As a consequence, redistribution, i.e. ex post change in income distribution social protection, i.e. an attempt to limit the rigour of competition, is considered illegitimate" (Amable 2011 p.6).

De manière générale, les marchés apparaissent comme une solution, même si certaines interventions peuvent être nécessaires pour rétablir la compétition et la discipline de marché: "the market (suitably reengineered and promoted) can always provide solutions to problems seemingly caused by the market in the first place” (Miowski 2009, p. 439). Ainsi, ce n'est pas que la BCE ne reconnait pas la double matérialité de ses actions, mais que la solution reste le développement des marchés financiers.

Le concept de double matérialité veut qu'une approche globale des risques financiers liés au climat est nécessaire, pour prendre en compte deux phénomènes: le changement climatique peut avoir un effet sur les institutions financières, mais les institutions financières impactent également le climat et contribuent à ces mêmes risques (Dikau Robins & Volz 2021; Oman & Svartzman 2021). Cela justifierait qu'en plus d'une gestion des risques financiers liés au climat, la BCE s'implique pour le soutien d'une

"early and smooth transition to net-zero is the best way of protecting the EU economy and minimising the risks of instability for the financial system" (Dafermos, Kriwoluzky et al. 2021 p. 16).

Dans une vision néolibérale, la BCE y participe déjà en poussant les marchés à prendre en compte les enjeux climatiques.

Ainsi, si le changement climatique devient de plus en plus important dans la communication des dirigeants de la BCE, et que les mesures discutées évoluent également, il est difficile d'y voir un changement de paradigme. Les mesures envisagées restent indissociables d'une conception néolibérale, avec la compétition comme valeur centrale, que la BCE veille à organiser et mettre en place. En effet, la conception du rôle de la BCE reste d'inciter les marchés financiers à bien prendre en compte les risques liés au changement climatique, et une grande confiance dans les mécanismes de marchés est toujours présente.

Evolution des mesures discutées par les dirigeants

Le reste de cette section présente comment les mesures proposées par les dirigeants de la BCE restent dans le cadre néolibéral décrit ci-dessus, puis comment elles se retrouvent dans les résultats de la revue stratégique.

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16 Taxonomie

Le premier chantier pour la BCE est la mise en place d'une catégorisation claire de ce qui constitue des actifs écologiques. En effet, il s'agit une étape nécessaire pour prendre en compte le risque écologique dans la stabilité financière; "The absence of any agreed definition or standard about what is "green"

and what is "sustainable" is [...] the biggest shortcoming so far." (Mersch, 2018, 27 novembre). Si les banques sont conscientes du risque climatique, d'après un sondage effectué par la BCE, elles le prennent plutôt en compte sous l’angle de la responsabilité sociale des entreprises que de la gestion du risque (Lautenschläger 2019, 17 avril ; Hakkarainen 2019, 9 septembre). Il y a un besoin de plus d'information : "Some banks have asked for clear guidance from regulators, or for more information about best practices. Others see business opportunities. For example, some are interested in financing clean energy or issuing green bonds. However, as I said before, the lack of common definitions and data makes it di-cult to estimate the microprudential impact of these risks. It's clear, then, that the NGFS and other fora for cooperation and knowledge-sharing will continue to play a key role".

(Lautenschläger, 2019, 17 avril).

Ainsi, Coeuré (2018, 8 novembre) explique que ces mesures pour encourager une meilleure prise en compte du changement climatique dans le prix des actifs (comme l'implémentation d'une taxonomie claire) ont des effets presque automatiques sur les actions de la BCE: "A tangible side effect of these measures is that, once adopted, they will automatically be reflected in our collateral framework. That is, once markets and credit risk agencies price climate risks properly, the amount of collateralised borrowing counterparties can obtain from the ECB will be adjusted accordingly". En d'autres termes, la BCE n'a pas besoin de modifier en profondeur son cadre d'action, une fois que les marchés prennent suffisamment en compte les risques liés au dérèglement climatique. Cette approche ressort avec la publication d'un guide non contraignant destiné aux institutions financières sous la supervision de la BCE, pour leur proposer une approche commune pour intégrer les risques liés au climat (BCE, 2020).

The Network of Central Banks and Supervisors for Greening the Financial System (NGFS)

Ce cadre de pensée néolibéral se retrouve également dans les travaux du NGSF, qui discutent également de ce besoin de définitions communes : "We need to know more about the different risks of green and brown assets. Therefore, I wholeheartedly support the request of the NGFS to establish a taxonomy of economic activities, including for green, non-green, brown and non-brown assets. We must fill the data and information gap we face as quickly as possible". (Lautenschläger, 2019, 17 avril).

À la question de savoir "What has the Network achieved so far and what's on the agenda for the coming years?", Frank Elderson, alors Directeur exécutif de la Banque des Pays-Bas, membre du Conseil de surveillance prudentielle de la BCE et Président du NGFS, mais aussi futur membre du Comité exécutif dès décembre 2020, met en avant que "As can be seen from the NGFS progress report published in October 2018, all members and observers have acknowledged that climate-related risks are a source of financial risk. So it falls squarely within the mandates of central banks and supervisors to ensure that the financial system is resilient to these risks. In our first comprehensive report, published on 17 April 2019, we built on this and issued six recommendations" (Elderson, 2019, 15 mai).

Chiapello (2020, p. 49) explique que dans les recommandations proposées par le NGSF (NGFS, 2019b) l'accent est mis sur le besoin de nouvelles données et la production d'informations et un risque centré sur la probabilité de défaut des entreprises bancaires ou d'assurance. Dans une note de l'Institut Veblen portant principalement sur les documents produits par le réseau, Kalinowski & Chenet (2020) estiment également que le NGSF fait principalement des recommandations basées sur le risque de pertes financières et appelle à de nouvelles modélisations.

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Pour le NGSF, le risque climatique est principalement vu comme un risque financier. Par exemple, le titre du rapport évoqué ci-dessus est évocateur: "Un appel à l'action - Le changement climatique comme source de risque financier". Pour Elderson (2019, 15 mai), il faut continuer sur cette voie, pour mieux prendre en compte cet aspect financier: "We still need a significant amount of analytical work to equip central banks and supervisors with the appropriate tools and methodologies to identify, quantify and mitigate climate risks in the financial system. So, future deliverables include a number of technical documents on (i) climate and environment-related risk management for supervisory authorities and financial institutions, (ii) scenario-based climate risk analysis, and (iii) incorporating sustainability criteria into central banks' portfolio management".

Stress tests

Une autre mesure a récemment pris de l'importance pour évaluer les effets des risques climatiques : l'utilisation de stress tests, qui s'inscrit dans la continuité de l'approche néolibérale précédemment décrite. Cette méthode est également utilisée par La Banque des Pays-Bas (Vermeulen et al., 2019) et la Banque d'Angleterre (BoE, 2019). Depuis 2010, les stress tests sont un instrument clé de la surveillance financière, et les risques liés au climat ne sont initialement pas inclus. Par exemple, le 26 septembre 2019, Enria prononce un discours intitulé "The future of stress testing – realism, relevance and resources" (Enria 2019a, 26 septembre) sans aucune référence au changement climatique. Le 27 novembre, il revient sur le sujet dans un discours intitulé "The future of stress testing – some further thoughts" lors d'un atelier sur le sujet organisé par l'Autorité bancaire européenne. Il mentionne que c'est l'occasion pour les chercheurs de réfléchir aux méthodes utilisées dans les stress tests et " how to include new risks such as those stemming from climate change" (Enria 2019c, 27 novembre). À l'époque, la BCE "currently developing an analytical framework for carrying out a climate risk stress test analysis for the euro area banking sector" (de Guindos 2019, 21 novembre).

Depuis, les stress tests ont rapidement été introduit dans les pratiques de la BCE. En novembre 2020, la BCE (2020, p. 46) a publié un " Guide relatif aux risques liés au climat et à l’environnement" destiné aux établissements bancaires qui indique notamment qu'il est "attendu des établissements qu’ils suivent en permanence les effets des facteurs liés au climat et à l’environnement sur leur exposition actuelle au risque de marché et sur leurs placements futurs, et qu’ils mettent au point des tests de résistance incorporant les risques climatiques et environnementaux". De plus, la BCE travaille également sur d'autres stress tests. Comme Lagarde (2021a, 25 janvier) explique, "the ECB Banking Supervision has requested that banks conduct a climate risk self-assessment and draw up action plans, which we will begin assessing this year. We will conduct a bank-level climate stress test in 2022. The ECB is also currently carrying out a climate risk stress test exercise to assess the impact on the European banking sector over a 30-year horizon". Ces deux types de stress tests sont de natures différentes, comme l'explique Elderson (2021, 29 avril) : "This year’s climate stress test exercise is being conducted centrally by ECB staff, relying on the aforementioned datasets and models. This approach differs from that taken for the supervisory climate stress test, which has already been announced for 2022. Next year’s climate stress test of individual banks will instead rely on the banks’ self-assessment of their exposure to climate change risk and their readiness to address it. In stress test parlance: this year’s test is “top-down”, whereas next year’s is “bottom-up". Dans un article sur le blog de la BCE, Luis de Guindos (2021, 18 mars) détaille la mise en place de ces stress tests au niveau de l'économie que la BCE entend mener en 2021.

Capital Market Union (CMU)

Le 28 septembre 2020, Isabelle Schnabel (2020, 28 septembre) prononce un discours intitulé When markets fail - the need for collective action in tackling climate change. Le constat est sans appel, le

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risque climatique est mal évalué par les marchés, principalement à cause a) d'un manque d'information dû au manque d'une taxonomie claire et transparente accompagnée d'une obligation de divulguer les risques, et b) de la difficulté à mettre un prix sur les externalités et les événements exceptionnels.

D'après Schnabel, cela appelle à une action collective, basée notamment sur un prix global du carbone pour permettre de corriger les échecs du marché. Mais cette mesure n'est pas suffisante en elle-même, et des investissements importants dans des technologies vertes sont nécessaires. D'après Schnabel,

"Empirical evidence suggests that stock markets are more effective than banks in financing the greening of our economy, given the high capital intensity, high risks and long-term horizon of most projects […]. Europe therefore urgently needs to make faster progress towards creating a true capital markets union, with a strong focus on equity markets and green financial instruments". Face aux échecs du marché, une action collective est nécessaire pour mettre en place de nouveaux marchés, plus écologiques.

Cette idée de la CMU comme une mesure écologique est détaillé dans un article sur le blog de la BCE par de Guindos, Panetta et Schnabel (2020, 2 septembre): "advancing CMU would speed up the transition to a low-carbon economy. Recent analysis suggests that an economy's carbon footprint shrinks faster when it receives a higher proportion of its funding from equity investors than from banks or through corporate bonds. Given equity investors' propensity to fund intangible projects, equity markets might be more successful in funding green innovation and supporting the reallocation to green sectors." (Guindos, Panetta, and Schnabel, 2020, 2 septembre). L'argument théorique est appuyé par un document de travail de De Haas and A. A. Popov (2019), dont les intuitions ont également été publiées dans l'Economic Bulletin de la BCE (De Haas and A. Popov, 2019). Il s'agit de références fréquemment utilisées par les dirigeants pour appuyer l'importance d'une CMU pour la transition écologique.

Neutralité du marché

Différentes déclarations de Lagarde et Schnabel laissent entendre que la BCE pourrait ne pas respecter le principe de neutralité du marché lors de ces achats d'actifs à cause des risques liés au dérèglement climatique. Par exemple, Schnabel déclare dans un interview "The question of whether we should bias our purchases will have to be discussed. There are different views. There is the view that we should stick very closely to market neutrality. And there is the alternative view that markets are not pricing climate risks properly, so there is a market distortion and therefore market neutrality may not actually be the right benchmark. My thinking about this is also developing and we will have to have that discussion in the monetary policy strategy review." (Schnabel, citée par Koranyi and Siebelt, 2020, 31 août). Un autre exemple, dans une présentation lors d'un événement organisé par l'Initiative financière du Programme des Nations unies pour l'environnement, Lagarde déclare que "in the face of what I call the market failures, it is a question that we have to ask ourselves as to whether market neutrality should be the actual principle that drives our monetary policy portfolio management" (Lagarde, citée par Arnold 2020b, 19 novembre). En juin 2021, quelques temps avant l'annonce des résultats de la revue stratégiques, Schnabel (2021b, 14 juin) estime que les externalités climatiques impliquent de remettre en question ce principe de neutralité du marché: "In view of such market failures, it seems appropriate to replace the market neutrality principle by a market efficiency principle", afin de prendre en compte que les "market failures may drive a wedge between market prices on the one hand and efficient asset values that internalise externalities on the other". Si elle ne décrit pas en détails ce nouveau principe, cette position semble ouvrir la porte à un rôle proactif de la BCE pour soutenir une transition écologique.

Cette remise en question directe du principe de neutralité du marché soulève des oppositions. Par exemple, Jens Weidmann (2020a, 19 novembre), Président de la Deutsche Bundesbank et membre du

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Conseil des gouverneurs de la BCE, prend position dans un éditorial publié par le Financial Times sur les dangers de trop impliquer les banques centrales dans la gestion des risques liés au changement climatique. Même s'il est loin de nier ces risques (il affirme que "Without a doubt, tackling this crisis is one of the greatest and most pressing challenges of our time. Every one of us should be doing more to curb global warming"), la lute contre le changement climatique implique des decisions politiques que la BCE ne peut pas prendre, et elle doit se concentrer sur la stabilité des prix, qui est "the best contribution monetary policy can make to overall welfare". Pour y parvenir, Weidmann considère que le principe de neutralité du marché est essentiel.

Pourtant, malgré cette opposition apparente, les positions de Schnabel et Weidmann ne sont pas si éloignées. En effet, ce dernier considère que les risques financiers liés au changement climatique nécessitent de donner de meilleures données et plus d'informations aux agents financiers, pour qu'ils puissent prendre en compte ces risques de manières optimales (ce qui est similaire à ce qui a été décrit précédemment). Pour encourager l'accès à ces informations, la BCE pourrait imposer des obligations de transparence, et en cas de non-respect de ces mesures, la BCE pourrait renoncer à acheter certains actifs. Cela revient à dépasser le principe de neutralité du marché. Dans les mots de Weidmann (2020b, 20 novembre) :

"In our role as prudential supervisors and guardians of financial stability, we have to ensure that credit institutions adequately incorporate financial risk into their risk management, including those financial risks that are climate-related. Yet, central banks also have to practise what they preach. We owe it to European taxpayers to keep the financial risks that arise from our monetary policy operations in check. All the more so since our financial assets can be just as exposed to financial risk as those of commercial banks. That’s why central banks, too, should make sure that climate-related financial risks are given due consideration in their own risk management, especially in the securities portfolios held for monetary policy purposes. To this end, it is legitimate to expect securities issuers and rating agencies to provide better information. In my view, the Eurosystem should consider only purchasing securities or accepting them as collateral for monetary policy purposes if their issuers meet certain climate-related reporting obligations.

Similarly, we could also examine whether we should use only those ratings issued by rating agencies that appropriately include climate-related financial risks".

Cette position est donc finalement similaire à celle de Schnabel (2020, 17 jullet):

"For example, we could consider linking the eligibility of securities as collateral in our refinancing operations to the disclosure regime of the issuing firms. Then the Eurosystem would only accept collateral if it is able to fully assess climate-related risks. In addition, we could consider adjusting the haircuts to the risks we identify. Clearly, there are strong and mutually reinforcing synergies between the actions on the prudential and central banking sides. We could also consider reassessing the benchmark allocation of our private asset purchase programmes. In the presence of market failures, market neutrality may not be the appropriate benchmark for a central bank when the market by itself is not achieving efficient outcomes. An important first step in contributing to correcting prevailing market failures is to improve disclosure requirements and reduce informational inefficiencies. The ECB is actively engaged in this endeavor"

La différence principale (et non négligeable) est que Schnabel ouvre la porte pour des mesures supplémentaires : "should such measures not prove sufficient, or should they progress too slowly, we could consider other options, such as, for example, excluding certain bonds - based on clear and transparent rules - that are used to finance projects that conflict with the decarbonisation objectives

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