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Dépôt Institutionnel de l’Université libre de Bruxelles / Université libre de Bruxelles Institutional Repository

Thèse de doctorat/ PhD Thesis Citation APA:

Nkulu Kabamba, O. (1995). Ethique et démocratie: la problématique du personnalisme de Jacques Maritain : essai d'éthique politique (Unpublished doctoral dissertation). Université libre de Bruxelles, Faculté de Philosophie et Lettres, Bruxelles.

Disponible à / Available at permalink : https://dipot.ulb.ac.be/dspace/bitstream/2013/212507/1/1f7f86b4-a4d5-4850-b9b1-2fb148969ea5.txt

(English version below)

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(2)

Faculté de Philosophie et Lettres

ETHIQUE ET DEMOCRATIE:

LA PROBLEMATIQUE DU PERSONNALISME DE JACQUES MARITAIN

Essai d’éthique politique

Dissertation présentée par NKULU KABAMBA Olivier en vue de l'obtention du >

grade de Docteur en Philosophie et Lettres.

PROMOTEUR:

Professeur Jean-Luc SOLERE.

Bruxelles

Année académique 1994-1995

(3)

UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES Faculté de Philosophie et Lettres

ETHIQUE ET DEMOCRATIE:

LA PROBLEMATIQUE DU PERSONNALISME DE JACQUES MARITAIN

Essai d'éthique politique

Dissertation présentée par NKULU KABAMBA Olivier en vue de l'obtention du

grade de Docteur en Philosophie et Lettres.

PROMOTEUR:

Professeur Jean-Luc SOLERE.

Bruxelles

Année académique 1994-1995

G3S.450

(4)

AVANT-PROPOS

INTRODUCnON GENERALE p.2

CHAPITRE L: LE PERSONNALISME ET LA SOCIETE

POLITIQUE DANS LA PENSEE PHILOSOPHIQUE DE JACQUES

MARITAIN p.l7

1.0. Introduction p.l7

1.1. L'herméneutique de la conception maritainienne de la personne

humaine p.l8

1.1.1. L'homme comme individu p.l9

1.1.2. L'homme comme personne p.22

1.2. Les implications personnalistes dans l'appréhension intellectuelle

maritainienne de la société politique p. 31

1.2.1. Analyse phénoménologique de la compréhension maritainienne de la

société politique p.36

1.2.2. Le fonctionnement du personnalisme dans la conception maritainienne

de la société politique p.42

1.3. Les apories du personnalisme maritainien et leurs retombées sur sa

conception de la société politique p. 46

1.3.1. L'ambivalence de la distinction de l'homme comme individu et

l'homme comme personne p.46

1.3.2. La négativité de la différenciation entre société (corps) politique et

communauté naturelle ou nation p. 51

1.4. Conclusion p.55

(5)

PHILOSOPHIE POLITIQUE DE JACQUES MARITAIN p.59

2.0. Introduction p.59

2.1. Analyse phénoménologique de la conception maritainienne de la

démocratie p.60

2.1.1. Les fondements de la démocratie p.61

2.1.2. Les morphologies de la démocratie p.75

2.2. Les impératifs de la démocratie organique et l'herméneutique de son

fonctionnement p. 89

2.2.1. Les caractères existentiels de la démocratie organique p.89 2.2.2. Les pôles fonctionnels de la démocratie organique p.99

Au/u

2.3. Considérations critiques «te la conception maritainienne de la

démocratie p.l09

2.3.1. Le disfonctionnement entre l'anthropocentrisme et le théocentrisme

dans les principes de la démocratie p.llO

2.3.2. Le caractère réductionniste de la démocratie chrétienne de

Maiitain p.ll3

2.4. Conclusion p.ll8

CHAPITRE m. : LES IMPLICATIONS PERSONNALISTES DANS LA CONCEPTION MARITAINIENNE DE LA DEMOCRATIE ;

LIEU D'EMERGENCE ET DE FONCTIONNEMENT DE L'ETHIQUE

POLITIQUE p.l21

3.0. Introduction p.l21

3.1. Le personnalisme comme lieu de rencontre de l'éthique et de la

politique p.l25

3.1.1. Le respect démocratique des droits de la personne humaine comme point de rencontre de l'éthique et de la politique p. 125 3.1.2. L'herméneutique de la loi comme jonction de l'éthique et de la

politique p.l36

(6)

3.2.1. La considération démocratique du bien commun comme lieu

d'émergence de l'éthique politique p. 146

3.2.2. Le fonctionnement démocratique du pouvoir comme lieu d'action de

l'éthique politique p. 150

3.3. Les apories des implications personnalistes de l'éthique et de la

politique en démocratie p. 162

3.3.1. La non fonctionalité de la subordination de la politique à l'éthique p. 162 3.3.2. Les ambiguités du pouvoir "démocratique": les apories du système

représentatif p. 169

3.4. Conclusion p.l75

CHAPITRE IV.: PRINCIPES DE L'ETHIQUE POLITIQUE A PARTIR DE LA PHILOSOPHIE MARITAINIENNE DE LA DEMOCRATIE p. 178

4.0. Introduction p.l78

4.1. De la démocratie comme principe politique à l'idéal démocratique

comme exigence éthique p. 181

4.1.1. La démocratie comme forme de gouvernement politique ouvert à

l'éthique p.l84

4.1.2. La démocratie comme exigence éthique dans la politique de

l'économie p.l90

4.2. De la démocratie comme ordre politique au principe démocratique comme projet éthique d'émancipation de la personne humaine p. 198 4.2.1. Le respect de droits de l'homme comme fondement des vertus

politiques de la démocratie p. 199

4.2.2. La démocratie comme heu éthique d'huraaitisation des droits de

l'homme p.205

4.3. De la démocratie comme modèle poUtique de société à l'esprit démocratique comme possibiüté éthique d'organisation

socio-politique p. 213

4.3.1. Les repères éthiques, Ueux de la démocratie comme modèle

politique de société p.214

4.3.2. L'éthique de Ubération comme réalisation de l'esprit démocratique

(7)

4.4. Conclusion p.233

CONLUSION GENERALE p.236

BroLIOGRAPHIE p.243

ANNEXE

(8)

Dans cette oeuvre de philosophie politique où nous nous efforçons d'apporter notre contribution à la réflexion éthique sur la démocratie, nous voudrons d'abord témoigner de notre sympathie et de notre soutien à tous ceux et celles qui, de par le monde, consacrent leur vie pour la promotion des valeurs démocratiques.

Une pensée particulière à tous ceux et celles qui sont morts pour la démocratie; que tout ce qui était grand pour eux soit respecté par ceux qui continuent leur oeuvre.

Nos remerciements les plus sincères à monsieur Jean-Luc SOLERE qui a accepté de prendre la direction de ce travail et à monsieur Robert LEGROS.

Merci aux professeurs de l'Institut de Philosophie de l'Université Libre de Bruxelles pour leur enseignement donné avec dévouement.

Un merci tout particulier à Madame Maton, secrétaire de l'Institut de Philosophie, pour son esprit d'accueil et d'écoute.

Merci à Mademoiselle Régina Below qui a pris soin de mettre en forme les pages de ce travail.

Olivier Nkulu

(9)

INTRODUCTION GENERALE

Dans la recherche d'une éthique politique où nous nous engageons, nous avons choisi comme cadre, la philosophie politique de Jacques Maritain. Les écrits politiques de Maritain ne constituent certes pas la partie la plus importante de son oeuvre philosophique. Jacques Maritain est surtout un métaphysicien. Il contribua grandement à la propagation du thomisme. C'est pourquoi pour comprendre le fond de sa pensée philosophique politique qui a évidemment comme centre d'intérêt l'élaboration d'une vision chrétienne de la politique, il est vivement souhaitable et même recommandable de se référer à sa métaphysique thomiste. En effet Maritain donne à sa philosophie politique, les racines d'une métaphysique de la personne conçue dans l'esprit du réalisme critique. Une telle base ontologique peut ainsi assurer la solidité du personnalisme dans la société. Car la philosophie de l'être qu'est la métaphysique fonde la philosophie de l'agir, la philosophie politique doit commencer par saisir la nature des choses pour en dégager les lois élémentaires de fonctionnement. La politique, dans l'esprit de Maritain, est donc subordonnée à la métaphysique, mais elle ne s'y réduit certes pas. Car, en effet, la métaphysique examine l'être même des réalités, alors que la vie politique et sociale s'exerce dans le monde de l'existence et de la contingence, il lui faut tenir compte des leçons de l'histoire et de l'expérience. Mais son enracinement dans une métaphysique lui permet de ne pas sombrer dans une sorte de "nihilisme" éthique.

La vision chrétienne maritainienne de la politique, enracinée dans la métaphysique de Saint Thomas d'Aquin, n'a pas été élaborée que pour les catholiques. D'ailleurs, à son époque, certaines des idées de Maritain, sur la démocratie et le pluralisme, sur la liberté religieuse, bousculaient le paysage mental de beaucoup de catholiques marqués par les séquelles de la Révolution française et enclins à demander au passé leur idéal de société. La pensée philosophique politique de Maritain n'a pas été non plus influencée par le seul thomisme. Il faut noter également l'inspiration du courant philosophique personnaliste^ dans lequel

1 "En fait le personnalisme de Maritain risque souvent d’être associé au courant personnaliste issu de Renouvier et clairement explicité par Emmanuel Mounier, contemporain de Maritain, sensiblement éloigné du "personnalisme thomiste".

Etienne Borne note que: "Et si Maritain, il y a exactement cinquante ans, apporte à Mounier l'aide

amicale et matérielle qui lui permettra de lancer la revue et le mouvement Esprit, il n'est jamais

entièrement d'accord avec les orientations de Mounier, dont il redoute qu'après avoir dissocié le

spirituel et le réactionnaire, il ne compromette ce même spirituel avec, sous couvert de révolution,

des mythologies et des sectarismes de sens contraire".

(10)

Maritain a tant puisé les éléments de sa compréhension philosophique de la personne humaine. On peut noter également l'influence du syndicalisme socialiste et de l'Action Française pour lesquels Maritain a été un vaillant militant dans sa jeunesse^.

Il nous paraît indubitable que la philosophie politique de Maritain mérite d'être saluée aussi par les non-croyants ouverts et sensibles à un plaidoyer pour le respect inconditionnel des droits de la personne humaine, dans les projets des sociétés politiques démocratiques dont Maritain lui-même s'est fait le penseur et le défenseur. Car de quelque bord qu'elle provienne, la défense de la personne humaine, de sa dignité et de sa liberté, de ses droits, doit toujours mériter une attention particulière^.

E. BORNE, "La philosophie politique de Jacques Maritain", dans Jacques Maritain. philosophe dans la cité, publié sous al direction de Louis Allard, Ottawa, Editions de IXIniversité d'Ottawa,

1985, pp.253-254.

Voir aussi à ce sujet les études suivantes:

- CAMPANINI, G., "Maritain e Mounier. Impegno intellectuale e proposta politica" in Humanitas (Brescia) TJCXXV, n°3, (1980), pp.364-382.

- HELLMAN, J., "Polemica sécréta Maritain-Mounier" in Criterio (Buenos Aires), n®53, (1980), pp.569-576.

- LUROL, G., "Mounier et Maritain" dans EspriL TJCLI, n°430, (Décembre 1973), pp.771-782.

- Jacques Maritain - Emmanuel Mounier (1929-1939). introduction et notes de J. Petit, Paris, Desclée de Brouwer, 1973.

2 Dans le n°13 des Cahiers Jacques Maritain, Lucien Mercier relate que "le jeune Jacques Maritain fut un militant socialiste de style "anarcho-syndicaliste". 11 voulait consacrer sa vie au salut du prolétariat par la révolution sociale. Ce ne fut point un caprice d'adolescent mais un véritable engagement intellectuel et social où il paya de sa personne. Il avait assimilé le catéchisme révolutionnaire qui disait que: "Le christianisme est une aliénation. La bourgeoisie doit être détruite par des moyens radicaux". Cette foi révolutionnaire s'éteignit autour de 1906, année de sa conversion au catholicisme. Seul le rappel de ce passé révolutionnaire où l'humanité était la seule finalité, permet de comprendre les sources de la pensée de Maritain".

Cfr. Carnets et Notes. Paris, Desclée de Brouwer, 1955, p.l8. voir aussi BENETON, Ph.

"Jacques Maritain et l'Action française", dans Revue Française de Science Politique. volJCXIII, n°6, (Décembre 1973), pp.1202-1238.

^ Ceci nous renvoie directement ou indirectement à scruter l'étymologie et la signifrcation des mots "Ethique" et "Morale". "Ethique" vient du grec "ethos": dispositions morales; et "Morale"

qui provient du latin "mores": coutumes et principes.

Il est intéressant de voir comment ces deux termes "éthique" et "morale" sont synonymes mais recouvrent parfois des significations différentes. Pour cela nous empruntons les considérations de deux auteurs féminins: Kremer-Marrieti et Françoise Quàé.

Kremer-Marrieti distingue nettment "éthique" et "morale", deux termes auxquels elle a consacré

deux études séparées (a): "Aussi nos deux études, écrit-elle, la Morale et l'Ethique s'opposent-elles

et se continuent selon ce que les Anglo-Saxons proposent comme étant, d'une part l’éthiaue

normative et, d'autre part, la méta-éthique": "En fait, dit-elle encore, chaque fois qu'il est question

de "la morale", il est généralement question d'un ensemble constitué d'un corps de pensées et de

théories, de lois et de règles, destinées à légiférer, régler la conduite humaine, qu'elle soit

individuelle ou collective, privée ou publique"; "LEthique, discipline noétique (relative à la pensée

dans l'acte de connaissance) est inséparable d'une méthode. Dès que nous nous interrogeons sur les

tenants et les aboutissants de la morale, nous poursuivons déjà une enquête théorique dans un

champ hors de tous les champs et les impliquant tous. Cette réflexion (...) n'est autre que l'éthique

générale ou la science de la morale". Françoise Quéré à son tour rappelle que: "D'après les

philosophes, l'éthique scrute les valeurs et cherche les fondements aux actions des hommes. La

morale règle la pratique, elle énonce des lois et des conseils". Ainsi dit-elle: "LEthique aurait donc

l'apanage de la réflexion théorique, elle s'interrogerait sur les sources, la liberté, les valeurs, les

(11)

On comprend et on apprécie mieux la vision thomiste et personnaliste maritainienne de la politique lorsqu'on considère le contexte historique dans lequel elle a pris forme. Les écrits politiques de Maritain pour la plupart s'inscrivent dans le contexte de la montée du communisme, du nazisme et dans le climat de la deuxième guerre mondiale, tous des phénomènes dans lesquels les droits et la dignité de la personne humaine ont été profondément bafoués et largement évacués des projets politiques des sociétés. Certainement, les écrits politiques ou la vision chrétienne de la politique de Jacques Maritain ne peuvent pas manquer d'intérêt en cette fin du XXème siècle marquée par autant des bouleversements et des paradoxes politiques: d'une part, une percée spectaculaire des élans démocratiques à l'Est, à l'Ouest, au Sud et au Nord de notre planète, mais en même temps, une émergence de plus en plus inquiétante des nationalismes avec leurs violences guerrières et leurs mécanismes d'exclusion atteignant, dépassant même souvent et dans la plupart des cas, le seuil de l'intolérable. D'autre part, la montée extraordinaire de la mondialisation de l'économie et de la création des espaces géographiques de politique commune entre les pays, mais en même temps les Etats nantis du monde progressent dans la finesse et le perfectionnement du mécanisme de protectionnisme commercial et de l'exclusion politico-économique des pays en mal de développement.

Ces paradoxes dénotent ou relèvent, nous semble-t-il, d'un manque significatif d'une éthique politique dans les projets démocratiques qui visent à créer des espaces de politique voire d'économie commune à tous les Etats. Manque significatif d'une éthique politique, car rien n'oblige moralement d'une façon péremptoire dans les directives communes qui pour la plupart du temps souffrent des contournements multiples souvent cachés dans les arguments d'exception ou de veto. Et il arrive souvent que les droits fondamentaux de la personne humaine, même reconnus comme tels par tous, ne trouvent pas leur gain dans ces directives politico-économiques. Voilà qui motive notre recherche d'une éthique politique, mieux d'une exigence morale en politique.

Dans cette recherche, nous allons nous référer mais en le dépassant, au rappel des principes simples si souvent et largement négligés, que contiennent les écrits politiques de Jacques Maritain, à savoir; la loi juste et vraie n'est pas la loi du plus fort; le respect inconditionnel de la personne humaine, de sa dignité et de ses

fins de l'action, la dignité, les relations aux autres et les concepts qui entourent ces notions difficiles. A la morale reviendrait d'intégrer dans un art de vivre les réponses dégagées par la réflexion, et de les appliquer à l'économie, au droit, à la politique, à la section. En un mot, l'éthique décrit, la morale prescrit", (b).

(a) KREMER-MARRIETTI, A., La Morale. Paris, P.U.F., 1982.

KREMER-MARRIETI, A., TÆthiaue. Paris, P.U.F., 1987.

(b) QUERE, Fr., TÆthiaue et la vie. Paris, Editions Odile Jacob, 1991.

(12)

droits constitue le critère éthique fondamental en politique; l'autorité n'est pas un pouvoir sans frein; l'Etat est et doit resté au service de la personne humaine;

l'égalité et la justice sont l'âme de la démocratie; les droits de l'homme ne sont pas séparés ni à séparer des droits de Dieu.

N'est-ce pas méritoire par les temps qui courent de faire une recherche d'une éthique politique, dans le cadre d'une épreuve doctorale en Philosophie?

N'est-ce pas légitime et pertinent de faire une telle recherche quand on vit dans une époque où l'on expérimente largement que les droits de la personne humaine ne constituent pas nécessairement et absolument un critère de référence dans les projets des sociétés politiques de tous les Etats du monde, voire de tous les partis ou tendances politiques des pays qui se proclament "démocratiques"?

N'est-ce pas nécessaire de faire une telle recherche quand on est soi-même ressortissant d'un pays où les droits élémentaires de la personne humaine sont foulés au pied? Ceci constitue le mobile principal qui nous pousse à faire cette recherche.

Si la philosophie politique de Maritain que nous avons choisi comme cadre de pensée ou comme lieu de référence philosophique insiste inlassablement sur le fait que le respect inconditionnel de la dignité et des droits de la personne humaine demeure le critère éthique fondamental en politique, à vrai dire, cette insistance n'a rien d'inutile ni d'exagéré, ni même de "moralisant" au sens péjoratif du terme. En effet, en 1993, nous fêtions le quarante-cinquième anniversaire de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme. La même année, Amnesty International signalait que 138 pays dans le monde violaient systématiquement la dite Déclaration. Point n'est donc besoin de multiplier les exemples pour démontrer l'actualité du problème qui justifie encore une fois de plus la pertinence de toute recherche en matière d'éthique politique.

La recherche d'une éthique politique montre qu'il y a philosophie politique à

partir du moment où l'on cherche à déceler à quelles conditions l'homme, comme

personne insérée dans les institutions diverses, peut donner un sens et un sens

humain à son action, ou peut contribuer à façonner de manière censée ce qui lui

arrive. Cette philosophie est constamment confrontée à deux défis. Le premier défi

c'est la négation du sujet humain comme sujet libre, capable de sens, acteur d'une

histoire. Le second défi est l'exaltation du sujet hédoniste, sans moral, libertaire ou

même tragique selon les cas. Ce double défi indique combien il est important de

donner une base éthique à toute vie politique et sociale. Car les problématiques de

philosophie morale et politique revêtent dans la situation culturelle contemporaine

une importance de premier plan. Le débat sur la loi naturelle, sur les valeurs

(13)

morales, sur le nihilisme éthique, met à nu les prémisses ultimes des cultures, alors que l'orientation prédominante de la philosophie révèle la phase de crise de la civilisation.

En abordant ce débat, nous ne pouvons pas oublier cet arrière-plan constitué par une crise difficile de légitimation des valeurs éthiques qui se reflète dans le monde politique. Situation qui conduit dans ses formes exaspérées au nihilisme éthique, selon lequel toutes les options éthiques sont équivalentes. Si l'homme ne peut pas connaître le bien, s'il ne peut pas établir une hiérarchie à l'égard des fins, ses actions seront sans raison; elles apparaîtront purement subjectives, comme simple expression de volonté et non de raison. Il y a deux positions philosophiques qui inspirent cette perspective; la première position c'est la séparation positiviste entre faits et valeurs. La deuxième position, c'est la négation historiciste de toute vérité métahistorique. La philosophie politique de Maritain à base métaphysique en proposant des vues opposées à celles du positivisme juridique et de la tradition historiciste du droit naturel rationaliste, nous place dans une autre orbite, celle où les valeurs éthiques et religieuses croisent l'activité politique et la convient à la recherche du sens. C'est cette orbite qui aiguillera notre recherche d'une éthique politique.

Nous procéderons à l'analyse des textes principaux de la philosophie politique de Jacques Maritain. La principale source actuelle des écrits de Maritain, ce sont: "Les oeuvres complètes de Jacques et Raïssa Maritain", publiées par les Editions Universitaires de Fribourg (Suisse) et les Editions Saint- Paul de Paris (France), dont 13 (treize) des 15 (quinze) volumes prévus sont déjà parus'*. Les différents textes philosophiques de Maritain lus et situés dans leur contexte historique nous permettront de faire ressortir leur actualité dans la recherche d'une éthique politique, et nous permettront en même temps de découvrir comment le personnalisme se pose comme fondement éthique et politique de la démocratie.

Voir prospectus en Annexe du présent travail.

Aussi, nous indiquerons chaque fois le volume dans lequel nous tirerons les citations. Mais cela

ne nous empêche pas de travailler avec les livres originaux dans les anciennes éditions séparées.

(14)

0.1. Méthode de travail

Nous allons tenter de faire une approche phénoménologico-herméneutique du personnalisme, de la société politique et de la démocratie dans la pensée philosophico-politique de Jacques Maritain. Et puisque nous parlons d'une approche phénoménologico-herméneutique, qui est la double méthode qui guidera nos réflexions; présentons-la brièvement en partant de son initiateur Paul Ricoeur.

Cependant, l'héritage raaritainien de Husserl doit être pris en compte dans cette approche méthodologique^.

Dans la systématisation de cette méthode bipolaire, Ricoeur voit entre la phénoménologie et l'herméneutique, une présupposition réciproque. En d'autres mots, Ricoeur saisit dans la phénoménologie une présupposition de l'herméneutique et dans l'herméneutique une présupposition phénoménologique.

Si, en effet, la phénoménologie signifie laisser la parole aux choses elles-mêmes, laisser la parole aux faits, il faut reconnaître qu'ils n'existent pas des faits qui ne soient pas interprétés. La phénoménologie reste donc l'indépassable présupposition de l'herméneutique^ , il y a donc une relation, une interaction, une complémentarité entre ces deux procédés. Ce qui pousse Ricoeur à parler d'une réciprocité dans les présuppositions: "présupposition herméneutique de la phénoménologie" et "présupposition phénoménologique de l'herméneutique".

Il apparaît pour Ricoeur, que la phénoménologie en tant que méthode descriptive se trouve engagée fondamentalement dans la quête du sens, quête dont s'occupe précisément l'herméneutique. Le combiné "phénoménologie- herméneutique" apparaît comme le déchiffrement du sens inhérent au vécu. "La plus fondamentale présupposition phénoménologique d'une philosophie de l'interprétation, affirme Ricoeur, est que toute question portant sur un étant quelconque est une question sur le sens de cet étant"^ . L'identification des faits procède par la description dans laquelle l'intentionnalité fait advenir le sens du vécu. La description (phénoménologie) précède l'interprétation (herméneutique).

Cette dernière vise fondamentalement à porter le vécu du langage et à l'élever ainsi au sens. C'est pourquoi Ricoeur laisse entendre par présupposition herméneutique

5 Cfr BRUGNARO, Fr. G., "Jacques Maritain e la fenomenologia husserliana" in Humanitas.

n°8-9, (Agosto-Settembre 1972), pp.694-704.

^ Cfr RICOEUR, P., Du texte à l’action Essais d'herméneutique. CoU. Esprit, Paris, Seuil, 1986; pp.52-62.

^ Ibidem, p.55.

(15)

de la phénoménologie "(...) essentiellement la nécessité pour la phénoménologie de concevoir sa méthode comme une exégèse, une explication, une interprétation.

La méthode que nous adoptons dans notre recherche de l'éthique politique est donc à la fois descriptive et interprétative. Elle s'inspire et s’origine dans la phénoménologie herméneutique dont Ricoeur montre la possibilité en établissant une parenté entre l'acte de comprendre ou d'interpréter et la perception. Toute démarche phénoménologique apparaît à la fois comme une entreprise d'explication, de décryptage et de clarification ou d'élucidation. En mettant ainsi en rapport l'explication et la clarification des horizons, la phénoménologie dans sa présupposition herméneutique ou l'herméneutique dans sa présupposition phénoménologique entend dépasser la description statique qui ferait d'elle ce que Ricoeur nomme " une simple géographie des couches de sens ou une statigraphie descriptive de l'expérience"^.

La description et l'interprétation se trouvent engagées dans un entrelacement, dans un entrecroisement dont le rôle est le dévoilement de sens. De ce fait, la phénoménologie rencontre l'herméneutique dans le fait que les deux entreprises sont l'effet de l'interprétation qui est déjà l'oeuvre de la perception, laquelle se présente comme le siège d'un sens à découvrir et donc d'un travail d'interprétation. C'est cela qui porte Ricoeur à affirmer que l'explication se tient à mi-chemin d'une philosophie de la description et d'une philosophie de la construction ou de la constitution du sens^®.

C'est donc une méthode bipolaire que nous adoptons. Elle est d'une part descriptive et d'autre part interprétative. D'un côté elle est descriptive, c'est à dire phénoménologique, car elle renvoie à la recherche de l'essence enfouie ou submergée dans le réel. C'est une description heuristique qui renvoie à la quête du sens de ce qui est décrit. Dans cette perspective la détection de l'essence, la quête du sens par le décryptage, le déchiffrement fait apparaître la phénoménologie comme une démarche qui procède d'une part par l'analyse et d'autre part, par une critique de l'inauthentique qui empêche un retour à l'originaire. De l'autre côté, elle est interprétative, c'est-à-dire herméneutique, car la saisie de sens du vécu par la description implique le détour par l'interprétation qui a ceci de particulier, elle dit de manière plus personnalisée le sens des expériences de la vie phénoménologiquement décrites, elle rend saisissable et intelligible ce qui se donne

^ Ibidem, p.62.

^ Ibidem, p.7I.

Ibidem, p.70.

(16)

à connaître et à comprendre. La méthode phénoménologico-herméneutique ou

"descriptive-interprétative" nous paraît adéquate et appropriée dans l’approche personnaliste et humaniste contemporaine que nous comptons examiner, celle de Jacques Maritain, car la personne apparaît sur un horizon de sens qui lui est un monde. Voilà pourquoi le politique va constituer en quelque sorte une approche du concept "personne", un élément fondamental de ce monde enchâssant la sphère éthique de valeur, d'où l'on peut tirer que la personne ne peut jamais être objectivée, elle est ce qui achève l'univers et lui donne un sens.

Ceci étant dit sur la méthodologie que nous allons suivre, voyons maintenant dans les lignes qui suivent les détails qui composent le corps de notre recherche, à savoir la subdivision de notre travail.

0.2. Division du travail

Notre analyse comprend cinq chapitres. Dans un chapitre préliminaire, nous parlerons de Jacques Maritain, de sa vie, de son oeuvre pour permettre à notre lecteur de comprendre le cheminement de sa pensée philosophique et de situer le contexte conceptuel dans lequel nous plaçons notre recherche d'une éthique politique.

Et puis, dans le premier chapitre, nous procéderons à la compréhension de la conception maritainienne du personnalisme et de la société politique. Cette analyse compréhensive comprendra d'une part, l'herméneutique de la conception maritainienne de l’homme comme individu et comme personne, et d'autre part, l'analyse phénoménologique de la compréhension maritainienne de la société politique. La connexion méthodologique "herméneutique-phénoménologie" nous aidera à comprendre les rapports entre le personnalisme et la société politique, tels que ces rapports appellent déjà la considération de la dimension éthique en politique. Nous ne manquerons pas avant de poser les premières conclusions partielles, d'appréhender les limites que comporte la compréhension maritainienne de la personne humaine et de la société politique.

Dans le deuxième chapitre, nous entamerons la phénoménologie de la

démocratie et l’herméneutique de son fonctionnement telles que présentées dans la

pensée philosophique politique de Jacques Maritain. L'analyse phénoménologique

nous poussera à découvrir quels sont les fondements et les morphologies de la

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démocratie. La démarche herméneutique nous permettra de découvrir les impératifs de la démocratie et son fonctionnement, en nous dévoilant d'une part les caractères existentiels de la démocratie et d'autre part ses pôles fonctionnels. Au terme de ce deuxième chapitre, à part les conclusions partielles que nous poserons encore, nous ferons quelques considérations critiques sur la conception maritainienne de la démocratie en dévoilant du même coup son caractère réductionniste ainsi que le disfonctionnement de ses principes.

Dans le troisième chapitre, nous verrons quelles sont les implications personnalistes dans la conception maritainienne de la démocratie comme lieu d'émergence et de fonctionnement d'une éthique politique. D'une part, nous découvrirons le personnalisme comme lieu de rencontre de l'éthique et de la politique et d'autre part, nous percevrons la démocratie comme le lieu même de l'émergence et du fonctionnement d'une éthique politique. Cependant, avant de tirer quelques conclusions, nous tenterons de montrer les apories des implications personnalistes de l'éthique et de la politique en démocratie, d'une part nous montrerons la non fonctionnalité de la subordination de la politique à l'éthique, et d'autre part, les ambiguïtés du pouvoir "démocratique" à savoir les apories du système représentatif.

Dans le quatrième et dernier chapitre, nous allons essayer de concevoir quelques principes de l'éthique politique en partant de la conception maritainienne de la démocratie. Nous procéderons en trois points qui se recoupent et se complètent Partant du fait que pour Maritain, la démocratie est le système socio- politique dont le principe fondamental est le respect des droits et de la dignité de la personne humaine, nous poserons trois principes majeurs de l'éthique politique:

D'abord, partir de la démocratie comme principe politique pour découvrir l'idéal démocratique comme une exigence éthique; ensuite de la démocratie comme ordre politique découvrir le principe démocratique en lui-même comme un projet éthique d'émancipation de la personne humaine; enfin en partant de la démocratie comme modèle politique de société, aboutir à la perception de l'esprit démocratique comme possibilité éthique d'organisation sociale.

Nos quatre moments de recherche (ou chapitres) culmineront dans une

conclusion générale ouverte qui n'a rien de dogmatique, ni de définitivement clos.

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PRELIMINAIRE

JACQUES MARITAIN (1882-1973) SA VIE ET SON OEUVREi

Philosophe français, né à Paris. Il était le petit-fils, par sa mère, du célèbre homme politique Jules Favre. Il est mort à Toulouse le 28 avril 1973, en pleine possession de ses moyens intellectuels.

Après ses études au lycée Henri-IV, il suit les cours à la Sorbonne, où il fait la connaissance de Raïssa Oumançoff, jeune juive d'origine russe qu'il épousera à l'âge de vingt-deux ans. Elle avait comme lui la passion de la certitude absolue qu'elle cherchait de tous côtés. La philosophie scientiste et phénoméniste de ses maîtres avait fini par le faire désespérer de la raison. Un moment, il cru qu'il pourrait trouver la certitude intégrale dans les sciences expérimentales. Cette étape intellectuelle lui procura des connaissances scientifiques, surtout biologiques, qui lui permettront plus tard de parler avec compétence de la portée des sciences modernes. En juin 1905, Maritain passe l'agrégation de philosophie, bien qu'il pense, avec Raïssa, se détourner de la philosophie. C'est alors qu'ils découvrent tous deux, avec une forte impression de vie spirituelle, les oeuvres de Léon Bloy.

Un an plus tard, Maritain qui avait été instruit pendant son enfance dans le protestantisme libéral, reçoit, ainsi que son épouse, le baptême catholique.

Maritain fait la rencontre en 1908 d'un théologien dominicain, le P.

Clérissac, qui l'oriente vers l'étude de Saint-Thomas. "Moi, écrira-t-il, qui avais voyagé avec tant de passion parmi toutes les doctrines des philosophies modernes, et n'y avais rien trouvé que déception et grandioses incertitudes, j'éprouvai alors comme une illumination de la raison: ma vocation philosophique m'était rendue en plénitude".

Une parenthèse dans la vie des Maritain fut celle de l'influence du même P.

Clérissac les attirant vers L'Action française, à laquelle notre philosophe ne donnera

1 Sans faire des réfétenœs, nous nous inspirons largement des sources suivantes pour tracer la vie et l'oeuvre de Jacques Maritain:

- CORVEZ, M„ "Jacques Maritain, 1882-1973" dans Denis HUISMAN, Dictionnaire des philosophes. Paris, P.U.F., 1984, pp.1764-1768.

- "Maritain Jacques (1882-1973)" dans Encvclopaedia Universalis Thésaurus Index. Paris, 1985,

p.1873.

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jamais son adhésion, mais seulement sa sympathie pour le refus qu'il y trouvait des philosophies de cette époque et le souci très vif de la guerre qui menaçait. Lors de la condamnation du mouvement par Pie XI (1926), Maritain se soumettra en esprit aux décisions de l'Eglise et s'en expliquera surtout dans Primauté du spirituel (1927) et Clairvoyance de Rome (1929).

La connaissance heureuse de Péguy vaudra au jeune couple d'être entraîné par lui aux cours de Bergson au Collège de France. Ce fut pour eux la libération du sens de l'absolu. Bergson répondait à leur désir profond de vérité métaphysique.

Au-delà du rationalisme et du positivisme qui régnaient à la Sorbonne, ils furent amenés par lui à une meilleure compréhension du spirituel. Dans son premier ouvrage, La philosophie bergsonienne (1913), Maritain s'appliquera à mettre en relief l'apport authentique du bergsonisme et à en signaler aussi les faiblesses.

Après son enseignement à Stanislas, Maritain est nommé, en 1914, professeur d'histoire de la philosophie moderne à l'Institut Catholique de Paris, il publie un Manuel de philosophie, puis, en 1920, un ouvrage de base. Art et scolastique. Paraissent alors successivement Théonas (1921), Antimodeme (aussi bien "ultra-moderne") (1922), Réflexions sur l'intelligence (épistémologie de la connaissance) (1924), Trois Réformateurs (Luther, Descartes, Rousseau) (1925).

Maritain s'était retiré en 1923 à Meudon avec Baissa et Vera, sa soeur, où ils avaient fondé un foyer de culture qui allait attirer très vite l'élite de la jeunesse et tout ce que l'époque comptait de valeurs dans les domaines intellectuel, littéraire et artistique, religieux. La biographie du couple Maritain à cette époque est relatée dans Carnets de notes (de lui), et d'elle, dans Les grandes amitiés et le Journal de Raïssa.

Après la condamnation de L'Action française (1926), Maritain concentre sa réflexion sur l'indépendance du christianisme à l'égard des régimes politiques et des formes culturelles, comme aussi sur la manière dont il lui appartient de les vivifier et de fonder ainsi une nouvelle chrétienté. De là sortirent Religion et culture (1930), Du régime temporel et de la liberté (1933), Lettre sur l'indépendance (1935), Questions de conscience (1938). A partir de 1934, la montée du communisme et des fascismes fait peser des menaces croissantes sur le monde.

Maritain se fait alors le défenseur convaincu des droits de la personne humaine. Ce

travail, qui donnera à sa pensée un rayonnement mondial, aboutit à l'ouvrage

admirable. Humanisme intégral (1936).

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Pendant les mêmes années, avant la guerre de 40, son activité philosophique n'est pas négligée. Une dizaine d'ouvrages voient alors le jour dont les principaux sont: Les degrés du savoir (ouvrage magistral d'épistémologie de toutes les formes de la connaissance) (1932), De la philosophie chrétienne (1933), Sept leçons sur l'être (1934), La philosophie de la nature (1935), Quatre Essais sur l'esprit dans sa condition chamelle (1939). Série qui sera développée encore après la guerre par De Bergson à Thomas d'Aquin (1944) et Court traité de l'existence et de l'existant (1947), face à l'existentialisme qui sévit en France à ce moment.

Appelé en Amérique, Maritain qui avait occupé une chaire à Toronto (1933) s'y trouve encore en juin 1940 pour enseigner à Princeton (1941-1942) et à Colombia (1941-1944). La philosophie politique fut alors son occupation principale et il publia ces livres de portée internationale: Les droits de l'homme et la loi naturelle (1942), Christianisme et démocratie (1943), L'éducation à la croisée des chemins (1943), Principes d'une politique humaniste (1944), suivis après la guerre de La personne et le bien commun (1947), L'homme et l'Etat (1951) et Le philosophe dans la cité (1960).

Après la Libération, Maritain finit par accepter, pour deux ans, la mission d'ambassadeur au Vatican. Après ce temps, invité à nouveau à Princeton, il s'établit en Amérique, et produit une nouvelle dizaine d'ouvrages: Raisons et raisons (194S), La signification de l'athéisme contemporain (1949), Neuf leçons sur les notions premières de la philosophie morale (1951), L'intuition créatrice en art et en poésie (1953), Approches de Dieu (1953), Pour une philosophie de l'histoire (1957), etc. En décembre 1947, il avait été désigné président de la délégation française de l'UNESCO à Mexico, et il y prononça le discours d'ouverture.

Après la mort de Raïssa en novembre 1960, Maritain revient en France. Fin 1960, il publie Philosophie morale: examen historique et critique des grands systèmes. Il s'en va vivre alors chez les Petits Frères de Jésus à Toulouse, où il fera profession religieuse en 1971. En novembre 1963, il reçoit le grand Prix national des Lettres. La même année, Paul VI élu pape (il vénère Maritain Comme un maître), lui remet, à la fin du Concile, son message destiné aux intellectuels.

Dans sa retraite, Maritain continue à travailler. Plusieurs ouvrages, dont Le

paysan de la Garonne (1966), explorent lucidement les domaines culturels et

religieux de la situation. Il meurt en 1973, laissant les matériaux précieux de la

publication posthume. Approches sans entraves (1973).

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Pendant de nombreuses années de travaux et de combats, il a cheminé dans la même voie avec le sentiment, a-t-il écrit, de sympathiser d'autant plus profondément avec les recherches, les découvertes, les angoisses de la pensée moderne qu'il essayait d'y faire pénétrer davantage les lumières qui nous viennent d'une sagesse élaborée par les siècles et qui résiste aux fluctuations du temps.

Maritain est avant tout un spéculatif et un philosophe. Quand il s'occupe des choses de la foi chrétienne - ce qu'il a fait abondamment - il entend parler non en théologien mais en philosophe.

Pour le dire d'un mot, sa pensée est fondamentalement celle de Saint Thomas d'Aquin. Il considère la philosophie thomiste comme une philosophie vivante, non archéologique mais actuelle. De plus, au début du XXème siècle, sa pensée catholique, déconcertée par le procès de compétence que lui font tant le rationalisme que la critique historique s'appliquant à ses sources, oscille entre raidissement et modernisme, entre intégrisme et libéralisme. Une telle oeuvre d'intégration universelle, avec sa hardiesse à s'adapter aux conditions historiques nouvelles surgrandissant dans le monde, ne peut être l'affaire d'un système fermé. Elle est et elle tient avant tout au mouvement de recherche philosophique et scientifique.

Comme nous l'avons vu, Maritain a laissé derrière lui une oeuvre abondante dans laquelle il a abordé tous les aspects de la philosophie, depuis la philosophie de la nature, en elle-même et dans ses rapports avec la science, jusqu'à la mystique naturelle chez les Allemands et les Hindous, en passant par la métaphysique et l'épistémologie, les philosophies de la morale, de la politique, de l'histoire, de la poésie et de l'art. Maritain a même connu de près les découvertes de la physique quantique et de la "relativité", le sens du mystère "balbutié" par l'atome et par l'univers, ainsi que l'apport scientifique de Freud et des sciences humaines, reconnaissant la raison d'être de tout dans une philosophie de la nature et dans une psychologie rationnelle avertie.

Mais c'est sur le plan proprement métaphysique que Maritain a marqué le plus profondément la philosophie contemporaine^.

Penseur social et politique, les notions premières de la philosophie morale de Maritain ont suscité beaucoup d'intérêt dans les milieux intellectuels de son temps. Maritain consacra une volumineuse Histoire critique de cette philosophie, n se proposait d'en dégager un exposé complet de la sagesse morale.

^ "L'homme, disait Maritain, est un animal qui se nouirit de transcendantaux; nous avons besoin

de métaphysique beaucoup plus que de charbon; la question des premiers principes est plus

importante pour nous que la question du péuole". Jacques Maritain cité par M. CORVEZ, art.cit.,

pp.1766-1767.

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Bien qu'ayant voulu sonder le mystère naturel de la vie contemplative, reconnaissant que le nirvana était tout simplement l'exister pur de l'homme, Maritain n'a pas perdu sa lucidité de philosophe. Bien que soucieux d'orienter la conscience et l'expérience de l'humanité vers les Mystères du Christ, Maritain a gardé toujours sa philosophie indépendante en elle-même des données de la foi chrétienne. Cependant, il n'est pas inutile de signaler que Maritain a été, pour son intransigeance doctrinale, l'objet de nombreuses critiques. Mais, nous dit Maurice Corvez, "Maritain ne cédait jamais quand la vérité était en question. Cependant à la rigueur du jugement, il savait allier l'art des nuances et le sens supérieur des distinctions"^.

Remarque conclusive

Pour situer notre réflexion philosophique sur la recherche d'une éthique politique ayant pour cadre, la philosophie politique de Jacques Maritain: nous nous attarderons spécialement sur deux périodes de la vie de notre penseur. D'abord de 1926 à 1936, c'est-à-dire après la condamnation de l'Action française jusqu'en 1936 marqué par le rayonnement de son ouvrage célèbre. Humanisme intégral.

Ensuite, la période de la vie de Maritain en Amérique de 1941 à 1960, période pendant laquelle Maritain se consacre entièrement à la philosophie politique^ et publia les ouvrages qui nous serviront de base à savoir: Les droits de l'homme et la loi naturelle (1942), Christianisme et démocratie (1943), Principes d'une politique humaniste (1944), La personne et le bien commun (1947), L'homme et l'Etat {1951), Le philosophe dans la cité (1960). "Les séjours de Maritain en Amérique depuis 1933, signale Henry Bars, ont joué un rôle dans l'achèvement de sa philosophie politique"^

3 CORVEZ, M., arLcit., pp.1767-1768.

4 "C'est en Amérique, dit Maritain, que j'ai eu une réelle expérience de la démocratie concrète, existentielle: de la démocratie non comme un ensemble de slogans abstraits ou comme un idéal élevé, mais comme quelque chose de réel et d'humain, un genre de vie pratiqué au milieu des difficultés et des obstacles de chaque jour, perpétuellement mis à l’épreuve et perpétuellement réajusté. J’ai rencontré la démocratie comme une réalité vivante. Habiter ce pays et observer avec intérêt soutenu la vie quotidienne de son peuple aussi bien que le fonctionnement de ses institutions constitue une grande, profondément éclairante et inoubliable leçon de philosophie politique".

MARITAIN, J., Réflexions sur l'Amérique. Paris, Fayard, 1958, p.l71.

5 BARS, H., lit politique selon Jacques Maritain. Paris, Editions Ouvrières, 1961, p.45.

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I. LE PERSONNALISME ET LA SOCIETE POLITIQUE DANS LA PENSEE PHILOSOPHIQUE DE JACQUES

MARITAIN

1.0. Introduction

Dans ce premier moment de notre analyse, nous découvrirons quelle anthropologie préside à la vision politique maritainienne.

De la lecture que nous avons fait de l'oeuvre de Maritain, il ressort que sa philosophie politique porte des traces du personnalisme suffisamment prégnantes pour nous paraître en constituer son fondement même.

Au début, au milieu, à la fin de l'oeuvre philosophique de Maritain se dresse une seule et même question: "Qu'est-ce que l'homme?"^

Cette question autant fondamentale que préoccupante structure toute la pensée philosophique de Maritain. En effet, toute politique renvoie au sujet humain qui en est ou qui doit en être le principe; et donc une philosophie politique serait aveugle sur le sens ou l'essence de la politique, si elle n'était pas capable comme philosophie de dévoiler la vérité de l'homme. En dépit des diversités culturelles et des différences individuelles qui vont à l'infini, l'essence de l'homme saisie dans ses conditions existentielles multiples demeure l'axiome premier et le principe fondateur de toute philosophie politique. C'est pourquoi, pour cerner l'essence même de la politique, la philosophie maritainienne fait un détour par l'explication de l'être humain dont le respect des droits constitue le fondement d'une société politique en ce qu'elle a de démocratique.

"Toute période de civilisation est commandée par une idée que l'homme se fait de l'homme"^. Cette affirmation montre combien Maritain ne définit l'homme qu'en rapport avec la société politique et l'histoire culturelle. En effet, on sait déjà le contexte socio-politique et historico-culturel qui entoure Maritain lorsqu'il

^ En 1933 dans Du régime temporel et de la liberté. la question de l'homme préoccupe déjà Maritain: "Il faut donc, dit-il, savoir ce qu'est l'homme? Office de métaphysique! Qu'est-ce que l'homme?" in Oeuvres complètes. vol.V, p.335;

En 1945, la même interrogation se retrouve dans son livre Une nouvelle approche de Dieu: "La question décisive sera, plus que jamais qu'est-ce que l'homme? - J'entends l'homme considéré non pas seulement dans son essence abstraite mais daiis ses conditions existentielles"., p.l2.

Aussi dans son ouvrage Raison et raisons de 1948, la même préoccupation de savoir ce que c'est l'homme est exprimée; p.l82.

2 MARITAIN, J., Réflexions sur l'intelligence, dans Oeuvres Complètes. Vol. III, p.337.

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cherche sa définition de l'homme. C'est bien le contexte de la montée du communisme et des fascismes dans l'atmosphère de la seconde guerre mondiale. A cause de ce contexte, Maritain insiste dans toute son oeuvre de philosophie politique sur le fait que le respect sans condition de la personne humaine doit toujours demeurer le critère de référence fondamental en politique.

"L'homme! qu'est-il?", question décisive qui amène donc Maritain à élaborer une philosophie pratique, une philosophie ordonnée dès le départ à la

"praxis", dont l'action révolutionnaire est l'action proprement tournée vers la libération de l'homme et la défense de ses droits. C'est pourquoi Maritain lui- même désignera sa philosophie politique comme une "science de la liberté" dont l'objectif principal, nous semble-t-il, est la recherche des fondements d'une société politique gérée par un idéal démocratique, celui du respect inconditionnel des droits de l'homme. Et l'homme lui-même, à considérer comme critère fondamental de référence en politique, qu'est-il? Voilà la question à laquelle nous allons tenter de répondre avec Maritain.

1.1. L'herméneutique de la conception maritainienne de la personne humaine

Qu'est-ce que l'homme? Pour Maritain, l'homme est d'abord un individu et ensuite fondamentalement une personne. Maritain distingue en l'homme

"l'individualité" et "la personnalité"; et il va beaucoup insister sur cette distinction comme un des fondements de sa philosophie politique.

Pour Maritain, l'homme est un individu et une personne, c'est-à-dire, un sujet considéré non seulement dans son essence abstraite mais aussi et surtout dans ses conditions existentielles. Cependant, pour lui, c'est le concept de personne qui donne à l'homme sa perfection et son achèvement. Voilà pourquoi, Maritain en bon philosophe moderne bien que thomiste ou "paléothomiste" comme il lui arrivera de se définir^ , s'inscrit directement dans la lignée des philosophes personnalistes.

^ Maritain n'a jamais accepté explicitement pour lui-même l'étiquette de "néothomiste". Il dit lui- même: "Je ne suis pas un néothomiste; à tout prendre j'aimerais mieux être un paléothomiste; je suis, j'espère être un thomiste".

MARITAIN, J., Cours traité de l'existence et de l'existant 2ème édition. Paris, P. Hartmann, 1964, pp.9-10.

- voir aussi BARS, H., "Jacques Maritain et l'Ecole thomiste" dans Revue de llnstitut Catholique

de Paris. n°7, (Juillet-Septembre 1983), p.24.

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Commençons donc par comprendre le personnalisme'* maritainien, c’est-à-dire par examiner ce que Maritain entend par "l'homme comme individu" qui s'incorpore presque biologiquement dans une communauté avant d'appartenir à une société politique en tant qu'"homme comme personne".

1.1.1. L'homme comme individu

"L'homme - comme l'animal ou la chose - en tant qu'individualité matérielle est un fragment d'une espèce, une partie de cet univers, un point singulier de l'immense réseau des forces et d'influences cosmiques, ethniques, historiques dont il subit les lois; il est ainsi soumis au déterminisme physique"^ . L'individualité se réfère à l'homme matériel, concret, biologique, animal et donc prédéterminé physiquement. L'homme en tant qu’individu est une parcelle du cosmos. Cette désignation comme "individu" est commun à l’homme, à la bête, à la plante, à l'atome^.

L'individualité est ce qui fait qu'une chose ayant la même nature qu'une autre diffère de cette autre au sein d'une même espèce. L'individualité de la chose, de l'animal ou de l'homme a pour racine la matière. L'individualité se trouve dans les choses en raison de ce qui les fait dissemblables à Dieu, c'est-à-dire le non-être, la matière. De l'avis même de Maritain, en Dieu, il n'y a pas d'individuation car l'individuation est liée à l'idée d'une séparation. Or Dieu comme Etre subsistant par lui-même, plénitude de vie et d'être, n'a pas besoin d'être distingué d'un autre qui partagerait la même nature que lui.

Dans le cas de l'individu humain, dit Maritain: "l'âme humaine constitue avec la matière qu'elle informe une unique substance à la fois chamelle et spirituelle"^.

^ Par "personnalisme", nous entendons: "Une doctrine philosophique qui attribue à la personne une place centrale et fondatrice dans la réalité sociale, politique, économique ou culturelle; et qui consiste à réclamer le respect de la personne humaine dans l'action morale et dans la structure sociale".

Au regard de cette définition, la pensée philosophique politique de Jacques Maritain remplit les critères pour être reconnue comme personnaliste. Le thème de la personne humaine traverse de part en part l'oeuvre de Maritain. On le rencontre dans presque tous ses ouvrages de philosophie morale et politique ainsi que ceux de la philosophie de l'histoire et de la philosophie de l'éducaüon.

5 MARITAIN, J., La personne humaine et le bien commun. Paris, Desclée De Brouwer, 1947, p.31.

^ Cfr. MARITAIN, J., Trois réformateurs - Luther. Descartes. Rousseau, dans Oeuvres Complètes. Vol.III, p.452.

7 MARITAIN, J., Réflexions sur la personne humaine et la philosophie de la culture - Etudes -

Articles 0935-19381. dans Oeuvres Complètes. Vol.VI, pp.901-902.

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En fait, l'homme défini comme individu est une désignation de sa spécificité face à la totalité de la nature dans laquelle il est inséré comme un élément singulier et constituant. Ce qui définit son individualité, c'est son "existence", son "acte d'exister". En tant qu'individu, l'homme comme l'animal ou la chose, existe. Et en tant que tel, l'homme est donc considéré comme un étant parmi les autres étants.

Et l'existence des étants est le corollaire de leur unité substantielle (H s'agit bien de la substance au sens aristotélicien, c'est-à-dire l'essence qui donne la nature). C'est de cette unité substantielle que naît l'individu.

Cependant, il ne faut pas omettre que pour Maritain, comme pour Saint Thomas d'Aquin, l'essence ne suffit pas pour qu'une créature existe. On peut bien imaginer un être fabuleux tel le phénix sans qu'il existe dans la réalité. C'est donc l'existence qui constitue la racine même du réel, le principe de l'être: "L'être est avant tout exister". Car ce qui confère à l'être sa perfection - sa pleine effectivité - c'est l'exister, c'est-à-dire qu'il ne faut pas y voir un état mais un acte.

Dans le sillage de Saint Thomas d'Aquin, Maritain conçoit primordialement l'être comme existence ne s'épuisant pas dans l'essence concrète. L'acte d'exister est l'acte par excellence, il est l'acte de la perfection de toute forme* . Bref l'existence en elle-même est une perfection. L'homme est un individu par son existence, par son acte d'exister.

Maritain souligne tout de même que l'homme seul, parmi les autres individus, les êtres naturels, sait qu'il existe, qu'il est une réalité substantielle, exerçant l'acte d'exister, et qu'il est un sujet. Egalement, l'homme sait qu'il est un moi exerçant l'existence de manière individuelle, il est un "suppôt" - suppositum - comme l'explique Maritain: "L'essence est ce que une chose est; le suppôt est ce qui a une essence, ce qui exerce l'existence et l'action, ce qui subsiste"^ .

L'unité substantielle de laquelle naît l'homme en tant qu'individu, c'est, selon Maritain, l'union de l'âme et du corps. La nature humaine est le lieu de fusion de la matière et de l'âme. La matière est informelle, autrement dit, elle ne saurait exister indépendamment de l'âme qui lui est le principe de détermination.

"La matière, écrit Maritain, est elle-même une sorte de non-être, une simple puissance de réceptivité et de mutabilité substantielle, une avidité pour l'être" . La matière reçoit la forme de l'âme qui spécifie tel ou tel être comme individu.

Dans l'unité substantielle de la matière et de l'âme, c'est l'âme qui joue un rôle déterminant. Comme le dira un autre thomiste, Etienne Gilson, "Il n'y a donc bien

8 Cfr. MARITAIN. J.. Court traité de l'existence et de l'existant p.59.

9 Ibidem, 2ème édition, 1964, p.l02.

MARITAIN, J., T .a personne humaine et le bien commun, p.29.

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qu'un seul exister pour l'âme et pour le corps; et cet exister du composé, c'est l'âme seule qui le fournit. Ainsi l'unité de l'homme n'est pas celle de quelque ajustage qui rendrait solidaires les parties dont il se compose, c'est celle de son acte même d'exister."

La matière comme pure puissance porte l'empreinte d'une énergie métaphysique, l'âme qui constitue avec elle (la matière) une unité substantielle. L'âme est considérée comme la forme qui détermine la matière à être ce qu'elle est dans l'espace. La matière est la première racine ontologique des différences individuelles, considérée comme telle, elle est sans détermination par elle-même.

D'ailleurs Maritain compare la matière à une cire qui reçoit les empreintes de la forme, et il dit; "Autant il y aura des morceaux de cire différents, autant, il y aura des individus ayant la même empreinte spécifique".

Pour Maritain, c'est donc de l'union de la matière avec l'âme qui lui est propre qu'on peut tirer la spécificité de l'homme comme individu face à la totalité de la nature. L'âme est considérée comme un principe d'individuation. Chaque âme humaine a une relation avec un corps déterminé qu'elle anime; mais elle possède elle-même des caractères individuels différents d'une autre âme humaine.

Cependant, même comme cela, en tant qu'individu, chacun de nous "est fragment d'une espèce" soumis au déterminisme du monde physique. Et l'âme individuelle en tant que réalité immatérielle qui anime le corps, survit après la mort et donc échappe à la fatalité de ce déterminisme physique. L'immortalité de l'âme assure la survie de l'homme en tant qu'individu.

De même en tant qu'individu, immergé dans l'univers, l'homme est considéré par Maritain comme un "microcosme". L'intelligence du rapport de l'homme avec les choses et ses relations avec les autres individus, donne à penser que l'homme dans son auto-conscience est un univers en lui-même, supérieur à la nature cosmique, voué à la communion sociale et ouvert à la béatitude divine. De l'avis même de Maritain, l'homme n'est pas seulement un morceau individuel de matière, mais il est aussi: "un microcosme dans lequel le grand univers tout entier peut-être contenu par la connaissance (...)"*^.

L'homme est une âme ayant un corps. En tant que phénomène spirituel et corporel, l'homme est un être naturel original, appartenant cependant à la classe de toutes les créatures, partageant avec elles la même réalité matérielle, se rangeant parmi elles et

GILSON, E., Le Thomisme. 6ème édition, Paris, Vrin, 1986, p.252.

MARITAIN. J.. Réflexions sur la personne humaine et la philosophie de la culture .... P.902.

MARITAIN. J.. La personne et le bien commun. p.31.

MARITAIN. J.. Droits de l'homme et loi naturelle, p.9.

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à leur côté comme un individu, toutefois cependant, sans se confondre ni se réduire à aucune d'entre elles. L'être humain est donc considéré dans son individualité, par Maritain, comme unique et irréductible. Non pas que l'homme soit isolé ou isolable du cosmos ou des autres êtres vivants ou des choses, mais l'homme tant qu'il est considéré dans son originalité. Car ce qui frappe d'abord vivement le phénoménologue qui médite sur ce qu'est l'être humain, c'est sa profonde originalité qui le caractérise par rapport aux autres étants. L'homme semble donc revêtir la figure de l'unicité des éléments de l'univers au point d'en devenir un reflet synthétique. C'est pourquoi Maritain s'émerveillant devant cette originalité de l'individu humain, le définit comme microcosme. L'homme est un univers à lui- même.

Si Maritain définit l'homme comme individu, il le définit encore fondamentalement comme personne, en distinguant "individualité" et

"personnalité".

1.1.2. L'homme comme personne

Maritain distingue théoriquement "individu" et "personne", "individualité" et

"personnalité". Alors que la personnalité se réfère à la liberté, à l'autonomie rationnelle, à l'esprit (au spirituel), l'individualité quant à elle se réfère plutôt à l'homme biologique, matériel, concret et prédéterminé. La personne n'est pas un morceau de matière, un élément individuel, mais elle est plutôt un sujet spirituel qui existe par ses actes libres et rationnels, par ses actes de connaissance et d'amour, en se possédant elle-même dans son indépendance. L'être humain se situe entre les deux pôles l'un appelé "individualité"" qui est plutôt l'ombre de la personnalité, l'autre: "le pôle spirituel qui concerne la personnalité véritable" .

Analysons tous les aspects qui caractérisent ou qui définissent l'homme comme personne, selon Maritain, à savoir la subsistence, l'indépendance ou la liberté ou encore l'autonomie, la raison, la connaissance ou l'intelligence, la volonté et le caractère relationnel.

Autrement dit, le concept de personne qui définit existentiellement l'homme dans la philosophie politique de Maritain repose sur plusieurs fondements à savoir: la raison ou l'intelligence, la liberté ou l'autonomie rationnelle, la volonté et la capacité

MARTTATN. J.. La personne et le bien commun, p.27.

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de tisser les relations et vivre en société avec ses semblables, capacité de vivre en relation avec autrui.

(i) L'homme est une personne parce qu’il est un être subsistant. Dans le paragraphe sur l'homme comme individu, nous avons vu que c'est l'acte d'exister qui caractérise l'être humain. En tant qu'individu, l'homme est un tout (indivis: ce qui ne peut être divisé), c’est-à-dire une portion différenciée et autonome de l'immense nature dans laquelle il se situe comme un point singulier mais aussi constitutif de cette nature. Et selon Maritain, en tant que tel, l'homme est une portion de matière participante de l'esse commune et par conséquent dotée de l'existence qui le porte à la réalité.

Tandis que pour l'homme comme personne c’est la notion de "subsistence" qui entre en jeu. "Maintenant au sujet de l'homme comme personne, dit Maritain, il ne s'agit plus de l'acte d'exister, mais de ce qui exerce cet acte"*^.

L'essence de l'homme n'est pas une abstraction vide. Son essence est actuée par l'existence: "autrement dit, souligne Maritain, pour exercer l'existence, il faut que l'essence soit complétée par la subsistence et devienne aussi suppôt" . Maritain développe la thèse thomiste en démontrant comment la racine métaphysique de la personnalité, c'est la subsistence. "La subsistence, dit-il, présuppose une nature (substantielle) individuelle et singulière qui est l'acte même d'exister. La subsistence est pour la nature comme le sceau ontologique de son unité" .

C'est le suppôt qui exerce l'existence. Quand le suppôt (sujet) est une personne, la subsistence apporte une perfection plus haute, comme le souligne Maritain: "Disons qu'elle est alors un état d'exercice actif et autonome, propre à un tout s'enveloppant lui-même (...) donc intérieur à lui-même et se possédant lui-même" .

Le corps humain subsiste de la subsistence de l'âme spirituelle, et la personnalité de l'âme imprègne ontologiquement chaque cellule, chaque élément historique ou histologique du corps humain^o. Le corps est toujours un corps propre à une personnalité déterminée. Cependant, la personnalité comme telle ne se réfère pas à la matière, mais à l'esprit, aux dimensions les plus profondes de l'être.

(ii) L'homme est une personne parce qu'il est doté d'une nature spirituelle. La personne humaine n'est pas un morceau de matière, un élément

MARITAIN, J., rnim traité de l'existence et de l'existanL 2ème édition, Paris, P. Hartmann, 1964, P.I03.

MARITAIN, J., Distinguer pour unir ou les degrés du savoir, dans Oeuvres Complètes.

Vol.IV, p.1045.

Ibidem, p.l048.

Ibidem, p.1050.

20 MARITAIN. J.. Réflexions sur la personne humaine et la philosophie de la culture .... p.904.

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