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Géographie Économie Société: Article pp.45-68 of Vol.13 n°1 (2011)

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Texte intégral

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Géographie, Économie, Société 13 (2011) 45-68

doi:10.3166/ges.13.45-68 © 2011 Lavoisier, Paris. Tous droits réservés.

GÏOGRAPHIE ÏCONOMIE SOCIÏTÏ GÏOGRAPHIE ÏCONOMIE SOCIÏTÏ

La nature en ville : l’improbable biodiversité Nature in the city: the unlikely biodiversity

Paul Arnould*, Yves-François Le Lay, Clément Dodane et Inès Méliani

Université de Lyon, UMR 5600 « Environnement, Ville, Société » ENS de Lyon, 15 parvis René Descartes, BP 7000 - 69342 LYON CEDEX 07

Résumé

Aborder la question de la nature en ville sous le signe d’une biodiversité qualifiée d’improbable peut paraître surprenant. Ce travail est tout d’abord une étude synthétique, esquissée à partir de références bibliographiques classiques de la littérature francophone et anglo-saxonne, dans une perspective géographique d’organisation de l’espace. Cet état de l’art s’appuie sur l’exemple pri- vilégié de la métropole lyonnaise, contextualisé par des comparaisons avec ce qui se joue dans d’autres ensembles urbains des pays développés de l’hémisphère nord. Trois grandes thématiques sont successivement abordées. En premier lieu est effectuée une mise en perspective du caractère incertain, ambigu et souvent contradictoire de la nature en ville, au travers d’un questionnement sur les objets (en privilégiant ici le vivant), les espaces, les lieux, les territoires. Une deuxième approche est focalisée sur la biodiversité comme étonnant réservoir de nature dans ses contradictions entre espèces désirées et rejetées et dans les fausses certitudes de la modélisation. Un troisième temps s’attache à traiter des questions de tension, d’action, de gestion, de manipulation dans les politiques publiques, enjeux de savoirs, de pouvoir mais aussi de devoirs.

© 2011 Lavoisier, Paris. Tous droits réservés.

Summary

Considering the issue of nature in the city through its unlikely biodiversity could seem surprising.

This article derives from a synthesis of French language and English language literatures. The state

*Adresse email : paul.arnould@ens-lyon.fr

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of art highlights the case study of the Lyon metropolis compared with others urban settlements in developed countries of North hemisphere. The three following themes are presented. The first part explores the uncertain, ambiguous and often contradictory characteristics of nature in the city, through questioning live objects, spaces, places and territories. The second part focuses on urban biodiversity as an amazing stock of nature, underlines the contradictions between desired and unde- sired species, and shows the deceptive certainty of modeling. The last part deals with public policies in terms of tension, action, management and manipulation, insofar as nature elements appear as stakes for knowledge, power and duties.

© 2011 Lavoisier, Paris. Tous droits réservés.

Mots clés : biodiversité, naturalité, trame verte, marketing urbain, sauvage, domestique Keywords: biodiversity, naturalness, green corridor, urban marketing, wilderness, domestic

Introduction

Pourquoi à propos de la nature dans la ville – thématique abordée par des cohortes de chercheurs, d’aménageurs et de prospectivistes (Corvol, 1995-1997 ; Clergeau, 1996 ; Blanc, 2000 ; Hucy, 2002 ; Arnould et Glon, 2005 ; Dorier-Apprill, 2005 ; Arnould et Simon 2007 ; Bain et al., 2008 ; Boutefeu, 2009) – et plus récemment à propos de bio- diversité urbaine – fondée sur des inventaires précis et quantifiés, sur des effectifs floris- tiques et faunistiques et sur des habitats – envisager une lecture de la géographie du vivant au prisme de l’improbable ?

Parce que derrière ce vocable se profile une façon de renouveler le traitement des questions touchant à une nature pas comme les autres – « contre nature » pour certains, « dénaturée » pour reprendre le titre d’un livre de Dorst (1970), un des premiers auteurs à tirer des signaux d’alarme sur ce qui se jouait autour du devenir des environnements biotiques sur terre – dans ces lieux où vit désormais la moitié de l’humanité, les villes (Arnould et al., 2009).

Improbable d’abord du côté de la définition de la ville. A la suite de Choay (1994) et de Lussault (2007), il est possible de souscrire à un modèle d’évolution historique, en trois temps et trois types de formes urbaines. A la cité close dans ses remparts, antique et médiévale, succède la ville issue de l’époque moderne et de la révolution industrielle avec ses faubourgs et ses banlieues, relayée depuis la fin du XXe siècle par l’urbain proliférant et apparemment déstructuré qui caractérise les « monstruopoles », terme employé à la suite des travaux de Luis Gonzales pour évoquer l’anomalie urbaine que constituait la ville de Mexico (Bairoch, 1985 ; Monnet, 1993 ; Rufat, 2006). Ces aspects temporels et structurels, ainsi que les natures qui y sont liées (expulsée, contenue, intégrée, maîtrisée, jardinée, paysagée, manipulée…), ne seront pas abordés ici de façon centrale.

Incertitude aussi dans le registre épistémologique (Dalla Bernardina, 1996 ; Larrère et Larrère, 1997 ; Descola, 2005), dans la mesure où le terme nature chevauche et recoupe des concepts voisins, comme ceux d’environnement  – «  les habits neufs du milieu  » comme le dit Jean-Louis Tissier (in Robic, 1992) – mais aussi paysage voire récemment écosystème, biome ou biodiversité (Drouin, 1991).

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En quoi l’improbable permet-il d’aborder les questions de biodiversité dans la ville ? La notion d’improbable n’a rien de géographique (Arnould, 2005). Les dictionnaires la rattachent au domaine des mathématiques et des calculs de probabilité. Le sens courant (commun) y met l’idée de flou, de surprenant, d’étonnant, d’inattendu, de ce qui a peu de chances de se produire. On peut y ajouter des connotations se rattachant à l’indésirable, à l’invivable voire à l’impossible. Derrière ces sens et ces significations multiples, un fil rouge tient aussi à l’idée que la présence de la nature dans la ville et que la lecture en termes de biodiversité relèvent du pari et de l’aléatoire. L’improbable tient également au caractère fondamentalement composite et hybride des questions de nature et de biodiver- sité qui joue tout à la fois sur le sauvage et le domestique (Lizet et Ravis-Giordani, 1995), le public et le privé, le local et le mondial, l’indigène et l’exotique, le maîtrisé et le rebelle, la connaissance et l’ignorance.

L’improbable, proche de la notion de confusion (Arnould, 2006), permet de réflé- chir aux inscriptions spatiales de la biodiversité, aux gradients de naturalité allant des hypercentres aux périphéries urbaines (Savard et al., 2002, Arnould et Cieslak, 2004).

L’improbable concerne non seulement les territoires sous contrôle mais encore les espaces interstitiels où la friche trouve sa place, aux côtés des activités informelles et de l’urbanisation illégale : les nouvelles formes de mobilités créent des lieux de l’entre deux (Vallat et al., 2008) où le vivant peut triompher du minéral et s’affranchir du statut de mobilier urbain. Véritables remèdes à la surdensité et antidotes de l’urbain, des amé- nagements, les espaces de nature et la biodiversité, sélectionnés à des fins de gestion écologique et de renaturation, connaissent un succès grandissant, symbolisé par la ville durable (Calenge, 1997 ; Emelianoff, 2000) ou par la vogue de la notion de trame verte (Saint-Laurent, 2000 ; Autran, 2004). Celle-ci constitue un registre désormais puissant et incontournable des questions de nature dans la ville et d’ingénierie écologique. Le corridor est-il le remède miracle pour renaturaliser la ville ? Faut-il à tout prix connecter les îlots de biodiversité isolés dans le tissu urbain ? L’instrumentalisation de la nature et la survalorisation d’espèces et de lieux emblématiques sont au cœur des enjeux de ce que certains qualifient de marketing urbain (Rosemberg, 2000). Derrière les images de la ville se jouent aussi des enjeux de pouvoir (Lussault, 1998 et 2009). Enfin, derrière l’improbable se cachent aussi des ressorts plus intimes et spontanés, du registre du psy- cho-système, où la peur (Terrasson, 1988) et le désir de nature (Kaplan, 1984 ; Herzog, 1989) tiennent un rôle non négligeable. En définitive ces diverses interrogations s’arti- culent autour de la thématique du « repenser la ville », proposée comme fil directeur de ce numéro de Géographie Economie et Société. La réhabilitation de la nature et la prise en compte de la biodiversité annoncent-elles de nouveaux paradigmes susceptibles de changer les façons de gérer les villes où ne sont-elles que des façons de remédier de façon homéopathique aux dysfonctionnements urbains ? Sous forme de jeux de mot peut-on se demander s’il s’agit simplement de « repanser » les maux les plus criants c’est-à-dire apporter des médications partielles, au lieu de repenser la place du vivant dans la ville ?

Les matériaux utilisés dans cette mise au point s’appuient sur des réflexions menées depuis des années par les auteurs, à partir de données bibliographiques dans le cadre de cours sur l’environnement, de la participation à des travaux de recherche sur la nature en ville, sur les perceptions et les représentations d’objets environnementaux, de réalisation cartographique pour l’Agence d’urbanisme de Lyon dans le cadre du projet de Schéma de

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cohérence territoriale1 (Scot) de l’agglomération lyonnaise, de travaux de thèses en cours sur le marketing urbain. Cela explique la présence forte du cas lyonnais dans les exemples mobilisés pour certaines démonstrations.

Notre démarche est articulée en trois temps : 1- une mise en perspective des contradic- tions à l’œuvre dès qu’il s’agit de traiter de nature en ville, d’êtres vivants, d’espaces, de

1 Le Scot est un document de cadrage général. Il exprime des principes, des orientations et des objectifs en matière de grands principes d’aménagement et de développement urbain. Le Scot a une portée juridique, il s’impose aux autres documents d’urbanisme de niveau inférieur.

Fig. 1 - Les trois natures de la rive gauche des berges du Rhône à Lyon (Clichés : Y.F. Le Lay, 2009).

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lieux, de territoires (section 1) ; 2- une analyse de la biodiversité concrète et modélisée (section 2) ; 3- une approche plus politique sur les pratiques de gestion de la biodiversité et les enjeux de savoirs, de pouvoirs et de devoirs qu’elle implique (section 3).

1. Les natures de la ville ou le règne de l’incertain

La nature est incertaine. Des questions simples reviennent régulièrement. Qu’est-ce qui fait nature en ville ? Comment discriminer la nature en ville ? Différentes options existent. Il est notamment tentant de privilégier le gradient de naturalité/artificialité, de considérer les inventaires floro-faunistiques, ou bien encore de dégager des types d’es- paces (comme les jardins, les parcs, les friches et les berges). Chaque système d’approche et de partition possède sa logique et ses raisons, tantôt à dominante écologique, tantôt fondée sur les données de l’analyse spatiale.

1.1. La ville au naturel : des certitudes des naturalistes aux inquiétudes des aménageurs L’artificiel et le naturel se caractérisent différemment au regard des flux d’énergie, des organismes vivants et de la capacité d’auto-organisation et de régénération. A ces critères écologiques s’ajoutent des éléments éthiques et esthétiques qui permettent d’identifier quelques situations clés du gradient naturalité/artificialité, à savoir des natures dites sau- vage, entretenue et aménagée (Niemelä, 1999a ; Swart et al., 2001). Celles-ci sont illus- trées par trois photographies prises sur les berges de rive gauche du Rhône, requalifiées dans les années 2000 (Fig. 1).

La nature « sauvage » (Lizet et al., 1997), celle sur laquelle l’anthropisation est mini- male, fonctionne entièrement à la faveur de l’énergie solaire et de sa conversion biolo- gique dans le cadre de la photosynthèse et de l’assimilation (Naveh, 1998). Comme près de la lône du Brétillod (Fig. 1), ces paysages de la biosphère comportent des organismes dont la présence, le développement et la reproduction sont spontanés. C’est pourquoi les écologues y décrivent les processus physiques, chimiques et biologiques, comme la sédimentation, la décomposition ou la prédation (Swart et al., 2001). Révéler ces méca- nismes écologiques constitue une source d’appréciation esthétique. Même dans une zone densément peuplée, les références au sauvage existent tant il s’avère attractif. S’il a de la valeur en lui-même (Van der Windt et al., 2007), il peut devenir sublime lorsque sa contemplation suscite éblouissement et stupeur dans l’œil de l’observateur (Burgard et Saint Girons, 1997). Schroeder (1992) va jusqu’à le rendre propice aux expériences spi- rituelles lorsque des archétypes y sont projetés. Au cours d’une enquête sur les images et les valeurs de la nature dans la civilisation occidentale, la grande majorité des répondants ont fortement associé la nature sauvage à la nature véritable (Van den Born et al., 2001).

Selon Schama (1999), c’est la vue primitive envers la nature ; c’est la situation qui existait avant l’installation des hommes. Idéalisée et fantasmée, cette image d’Epinal sert parfois de référence mythique aux programmes dits de restauration, réhabilitation, revitalisation ou renaturation qui s’efforcent d’en retrouver certaines caractéristiques. Négligeant les pratiques des usagers et la co-construction des hommes outillés qui interagissent avec la nature, cette quête d’un paradis perdu est compromise tant il est vain de chercher à fixer l’état de systèmes par essence dynamiques et évolutifs.

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La nature entretenue est parfois dite arcadienne et sous-tend une vision pastorale et champêtre (Schama, 1999). En effet, la poésie bucolique latine et hellénique présentait l’Arcadie comme une région idyllique que peuplaient des bergers vivant en harmonie avec la nature. Cette vision se réfère à des paysages culturels et agraires qui sont utilisés extensivement et procèdent ainsi de l’interaction dynamique entre les hommes et leur environnement. Certes l’autorégulation de la nature cède la place à son usage modéré par les sociétés, mais l’influence humaine y est considérée comme positive parce qu’elle accroît la biodiversité (Arnould et Simon, 2007) et parce qu’elle contribue à former un paysage harmonieux. Dans leur enquête sur les visions occidentales de la nature, Van den Born et al. (2001) ont montré que 38  % des participants associaient fortement l’image arcadienne à la véritable nature. La valeur utilitaire, culturelle et historique de ces paysages s’ajoute à la valeur de la nature en elle-même, si bien qu’ils peuvent être conservés ou restaurés. Ressemblant à des parcs, ces paysages culturels sont fréquents en Europe où ils procèdent d’interventions humaines pluriséculaires (Van der Windt et al., 2007). En milieu urbain, les espaces verts, les parcs et les jardins publics s’en rapprochent par l’intermédiaire des vocabulaires champêtres (haies, prairies fleuries, arbres ruraux, chemins creux) (Fig. 1).

Au contraire du modèle autopoïétique de la nature sauvage, la nature aménagée doit beaucoup à la conversion technologique de l’énergie fossile et nucléaire, notamment pour chauffer les serres (Naveh, 2001). Elle est mise en forme par les sociétés et adap- tée à l’utilisation actuelle qu’elles en font (De Groot et Van den Born, 2003). En ville, la nature à caractère horticole peut désigner des parcelles intensivement cultivées, les façades végétalisées, les toitures vertes ou encore des berges requalifiées (Fig. 1). Elle est souvent caractérisée par des espèces qui suivent les installations humaines, par exemple les pigeons et les étourneaux. Elle contient des éléments aussi négativement valorisés que les cafards, les rats ou les moustiques. Mais d’autres espèces se font une place mieux estimée, comme les pissenlits ou les castors. Certains sites – tels les bords de route – fonc- tionnent parfois comme des bassins d’espèces typiques. Fortement anthropocentrée, cette vision fonctionnelle de la nature (a)ménagée est dite aussi impérialiste ou prométhéenne : au service de l’humanité, la nature est surtout considérée pour ses vertus économique et récréative (Van der Windt et al., 2007). L’opinion publique ne s’y trompe pas. Seul 1 % des participants à l’enquête de Van den Born et al. (2001) ont fortement assimilé cette image utilitaire à la nature véritable. Selon Herzog (1989), elle conserve néanmoins une valeur esthétique : la nature aménagée s’avère d’autant plus appréciée qu’elle présente un fort degré d’organisation (cohérence) – comme dans les jardins à tracé régulier – et la promesse de gagner en information lorsqu’on prend le temps de la parcourir (mystère).

1.2. Les objets de nature : l’inerte et le vivant, l’animal plus que le végétal, l’emblématique et l’ordinaire

Les objets de nature abondent dans la ville. Le milieu de l’artificiel ne peut s’abolir des données naturelles, des contraintes du site, des systèmes de pentes, des substrats géologiques, des formations superficielles et des sols (Arnould et Simon, 2007), de la circulation de l’eau, de la qualité de l’air. Autant le minéral est relativement stable mis à part les cas d’érosion des sols, d’éboulement, autant les fluides que sont l’air et l’eau sont plus délicats à gérer.

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La gestion de l’eau s’appuie sur des siècles d’expérience. Celle de l’air n’en est qu’à ses balbutiements. Le vivant quant à lui pose des problèmes spécifiques. C’est à ce com- partiment de la nature que nous consacrerons notre réflexion en ayant bien conscience que ce faisant nous segmentons une réalité complexe faite d’interactions.

Qu’il soit fixe en apparence comme l’arbre ou l’herbe ou mobile comme les animaux, le vivant ne respecte pas les consignes de décor ou de mobilier urbain que le gestionnaire veut lui imposer.

Peupliers et platanes, arbres emblématiques des villes, sont de redoutables menaces pour les réseaux aériens et les infrastructures de circulation, routes et trottoirs, sans parler des réseaux souterrains. La gestion du monde animal est aussi un casse tête en raison de l’extrême diversité des espèces. Les gros oiseaux – les grégaires comme les étourneaux ou les isolés comme les colombes, les merles, les pies – sont l’objet de politiques spécifiques.

Derrière l’animal se cachent des représentations multiples approchées par les travaux des psychologues. Ils ne sont pas que de simples images de nature. Ils sont aussi associés à des notions de pollution (par leurs fientes), de maladie (les pigeons sont accusés d’être les vecteurs d’une kyrielle de problèmes sanitaires), de phobies (blattes, araignées, rats, souris, serpents sont plus stigmatisés qu’adulés) mais aussi de reconnaissance.

L’animal domestique (Digard, 1999 ; Burgat, 2004) peut être un objet de substitution pour les personnes en manque d’enfants, de complicité non conflictuelle, dans la mesure où ils sont des témoins muets, de compensation à la solitude et à la frustration, d’objets érotiques, de souffre douleurs, d’objets à tout faire, à caresser, injurier, torturer, surali- menter, apostropher... Leurs vertus thérapeutiques sont aussi mobilisées pour aider les enfants handicapés ou contribuer à la socialisation des personnes en marge de la société.

Objets de contemplation dans les zoos (Gay, 2005) ou à domicile, comme les poissons rouges dans les aquariums, ils deviennent objets de passion avec la corrida, les combats de coqs, les courses de chevaux et de lévriers auxquels sont liés des équipements urbains spécifiques et souvent imposants : arènes, gallodromes, hippodromes, cynodromes.

Un des grands problèmes est l’inventaire et le suivi des populations d’êtres vivants.

Le dénombrement des effectifs suppose des spécialistes qui ne couvrent pas tout le registre des possibles. Il est des genres et des familles privilégiées. Les chiffres dispo- nibles sont épars, ponctuels, tributaires de la présence de spécialistes (Vuorisalo et al., 2001). Même les animaux domestiques ne sont connus qu’avec des approximations fortes. Le nombre de chiens et de chats dans le monde est évalué à un milliard. En France, les chiffres font état de près de 10 millions de chiens et les effectifs sont voisins pour les chats. Ce ne sont pas des animaux exclusivement urbains puisque 60 % des animaux domestiques se trouvent dans des foyers à la campagne et dans les villes de moins de 20 000 habitants. Le problème des déjections canines est une des questions les plus délicates à traiter dans le milieu urbain. Entre les solutions de type techno- logiques symbolisées par les « motos-crottes », l’aménagement d’espaces canins, les campagnes d’information et de responsabilisation ou la politique répressive fondée sur des amendes dissuasives, les bilans restent difficiles à établir.

La biodiversité animale pose aussi le problème du visible et de l’invisible. La majorité des animaux ne sont pas faciles à repérer. Trop petits, ils ne constituent pas des élé- ments structurants forts du paysage urbain : les 800 pipistrelles communes, des chauves- souris, inventoriées dans un tunnel désaffecté de la petite ceinture à Paris, ne mesurent

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que 20 cm, ailes déployées et ne pèsent que 6 à 8 grammes. La biomasse des animaux est faible. Ils sont éminemment mobiles. Toutes ces données ne contribuent pas à ériger l’animal sauvage en ville en objet majeur des politiques de gestion. Duvigneaud (1980) applique son schéma de l’ « écosystème urbs » à la ville de Bruxelles (couvrant 16 200 ha et rassemblant un peu plus d’un million d’habitants en 1975) où il ne représente que deux petits mammifères, sans doute domestiques. Leur biomasse est dérisoire par rapport à celle des plantes ou des hommes – 20 fois moins importante que celle des hommes et 1 000 fois moindre que celle des plantes, les arbres essentiellement.

1.3. Les lieux et les espaces de nature en ville

Dans la ville, la nature s’affirme partout et en tous lieux, du jardin de poche aux espaces agricoles périurbains, en passant par les corridors écologiques. Si décliner les espaces et les lieux de nature en ville permet de ne pas réduire notre objet d’étude aux seuls espaces verts ou aux arbres d’alignement, c’est aussi mettre en évidence l’intérêt de réfléchir à la connexion et à l’assemblage de ces espaces pour favoriser l’abondance et la biodiversité en ville. Ces espaces sont également divers par leur dénomination, leur disposition spa- tiale, leur taille, leur vocation sociale, leur valeur symbolique, leur richesse biologique, végétale et animale, leurs attributs paysagers… De cette diversité, il est possible de déga- ger trois grands types d’espaces de nature urbaine : les parcs et jardins, les espaces natu- rels et agricoles périurbains, et les sites semi-naturels (Ost et al., 1993).

En Europe occidentale, les parcs et jardins sont le fruit d’un héritage d’espaces attenants aux églises et aux châteaux. Le XVIe siècle est celui de l’art des jardins, porté et imposé par l’aristocratie. L’ordonnancement des jardins du Château de Versailles par Le Nôtre, reprenant le modèle de jardin de Vaux-le-Vicomte, constitue par exemple l’une des réalisations les plus emblématiques de cet art des jardins à tracé régulier. Les villes étant construites par opposition à la nature pour s’en protéger, les seules traces d’arbres dans la ville dense sont des vestiges, symboliques parfois, mais pratiques surtout, à l’image de l’arbre de la justice et de la pendai- son. Au XIXe siècle, les théories hygiénistes pensent la nature dans la ville contemporaine comme un bienfait nécessaire à l’équilibre de vie des habitants. Les premiers parcs et pro- menades sont créés avec des objectifs sociaux et économiques, mais aussi sur des arguments esthétiques, d’agrément et de santé (Alphand, 1867). Les objectifs environnementaux sont donc clairement explicités à cette période. La construction de la ville s’articule autour d’une trame plantée, bâtie sur un réseau de jardins reliés entre eux. Deux types d’espaces coexistent à cette époque à différentes échelles : les espaces forestiers semi-naturels (bois de Boulogne, bois de Vincennes), spatialisés selon une logique géographique d’une part; les espaces inté- rieurs ou recréés, comme les petits squares pour la proximité, d’autre part. Au XXe siècle, Forestier (1906) développe le concept d’ossature verte, par l’élaboration d’un système de parcs et de jardins, hiérarchisé et établi méthodiquement pour apporter une solution à la croissance urbaine tout en constituant des espaces d’aération et de récréation. L’agglomération lyonnaise n’échappe pas à l’influence de cette vision systémique, par une construction politique pour structurer et irriguer le territoire urbanisé par un réseau végétal continu et équilibré (Autran, 2004). A Lyon, différentes générations de parcs coexistent, à l’instar du Parc de la Tête d’Or (1856), conçu par les frères Bühler, et du parc de Gerland (2000). Si, dans le premier, le trai- tement paysager invite à la contemplation et à la promenade, le second, conçu par l’architecte

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paysagiste Michel Corajoud, relève d’une conception plus champêtre : le jardin évoque moins la nature que la campagne par la création d’un groupement de hautes herbes ; planté de 300 espèces végétales ligneuses ou graminées, annuelles ou bisannuelles, potagères ou médici- nales, il présente à l’usager du parc une variété de textures, de couleurs et de matières proches des styles et des compositions campagnardes.

Une seconde forme de nature, associée aux espaces naturels et agricoles périurbains caractérise la ville. Jusque-là considérés comme le négatif de l’urbain et comme réservoir de terrains à construire, ces espaces apparaissent désormais comme une composante majeure de l’organisation spatiale de la ville. Dans l’agglomération lyonnaise, les Monts d’Or, le Franc lyonnais, la plaine de l’Est, les plateaux et vallons de l’Ouest constituent de véritables infrastructures naturelles, des outils de régulation de la forme et de l’expansion urbaine et des éléments essentiels de l’attractivité économique et résidentielle de l’agglomération.

Enfin, les «  espaces semi-naturels  » (Ost et al., 1993) constituent la troisième forme de nature en ville. Ce type de milieu occupe, sur des surfaces parfois importantes mais de manière discontinue, les terrains vacants, friches ou petits espaces interstitiels. Ces milieux dits « dégradés », non aménagés, ont une indéniable valeur paysagère et écologique car ils renferment une végétation spontanée et capable de s’adapter plus facilement aux conditions du milieu urbain. A Lyon par exemple, les balmes (coteaux et talus escarpés et généralement boisés) et les vallons boisés dans le territoire urbain ne sont que des reliquats, des terrains non construits, non pas dans un objectif de protection ou de conservation d’un patrimoine naturel, mais parce qu’ils constituent des espaces peu accessibles et difficilement constructibles.

Il reste à situer le statut ambigu des plantes pionnières ou des invasives, comme l’am- broisie, dont les stratégies territoriales d’envahissement des friches urbaines mais aussi des bords d’infrastructures de circulation posent de redoutables problèmes de santé publique (allergies) et de gestion (Méliani et al., 2010). De même, murs et toitures végétales consti- tuent une catégorie d’espaces verts émergente. Ils rompent avec les lieux et la logique de la nature en ville et s’inscrivent comme des éléments de connexion au sein de la trame verte.

Biodiversité locale ou tropicale installée sur des supports aux contraintes fortes, ils sus- citent des amorces de réflexion où le bilan de leurs avantages (esthétiques, thermiques, bota- nique…) et de leurs inconvénients (grands consommateurs d’eau notamment) font débat.

2. La ville, réserve de biodiversité ?

La ville a surtout été examinée au regard de son impact sur la biodiversité. Mais le concept de biodiversité peut être appliqué à l’écosystème urbain lui-même. En effet, la ville doit être considérée comme un système écologique à part entière, avec son climat, son hétérogénéité et ses fortes contraintes, principalement liées à l’homme. De plus, comme les écosystèmes urbains sont très dynamiques, comme ils sont très hétérogènes, l’étude de la nature en ville peut aider à mieux gérer la biodiversité des autres écosystèmes.

2.1. L’urbain contre nature : un bilan contrasté

Les chiffres sont marquants : plus de la moitié de l’humanité vit désormais en ville alors qu’elle comptait 14 % de citadins il y a un siècle. Or l’urbanisation contribuerait à rendre compte d’une dégradation localisée de la biodiversité et de l’homogénéisation bio-

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croissance démographique et au développement économique, cette urbanisation médio- crement planifiée a affecté la qualité physico-chimique et biologique des eaux. Les deux écosystèmes fluviaux ont été perturbés par des endiguements, des comblements et des dérivations dont les répercussions sont sensibles sur l’ensemble de la plaine d’inondation.

La réduction de l’hétérogénéité environnementale et de la diversité des habitats a modi- fié la structure des assemblages spécifiques, notamment des communautés végétales et avifaunistiques autochtones, ce qui a ouvert des niches propices à l’invasion d’espèces allochtones (Pauchard et al., 2006).

Bien souvent, lors des travaux de construction, l’essentiel de la végétation, voire la partie supérieure du sol, sont enlevés pour faciliter l’accès au chantier et réduire ainsi les coûts. Une fois les opérations terminées, les sols non imperméabilisés sont fréquemment replantés avec des espèces exotiques d’herbes, de buissons et d’arbres.

En revanche, l’urbanisation peut aussi accroître la diversité spécifique lorsqu’elle concerne des paysages plus simples – comme ceux des milieux désertiques ou prairiaux – étant donné qu’elle implique la création de nouveaux habitats et l’entrée d’espèces exo- tiques (Savard et al., 2000). Certaines plantes se montrent si bien adaptées aux conditions citadines que Hill et al. (2002) ont repéré des « spécialistes de la ville » au Royaume-Uni.

Plus généralement, des études conduites à différentes échelles en Europe et en Amérique du Nord ont montré que les villes peuvent abriter davantage d’espèces de plantes que leur environnement immédiat (McKinney, 2002a et b ; Lippe et Kowarik, 2008). Cette plus grande diversité spécifique a été attribuée à l’introduction d’espèces allochtones, par exemple à la faveur des cultures (péri)urbaines. Bien plus, selon Kühn et al. (2004), la flore des villes allemandes est naturellement riche en espèces de plantes vasculaires. Les auteurs font l’hypothèse que la diversité des espèces de plantes indigènes est significa- tivement plus grande en milieu urbain qu’en milieu rural parce que les cités se sont pré- férentiellement installées dans des hotspots préexistants de biodiversité. Autrement dit, elles seraient riches en espèces non pas grâce à l’urbanisation, mais en dépit de celle-ci.

2.2. Un gradient urbain-rural ?

Plusieurs travaux ont examiné la biodiversité spécifique des plantes et des ani- maux le long de transects urbains et analysé les stratégies adoptées par les espèces à l’égard des modifications écologiques qui s’accroissent de la périphérie vers le centre des villes, notamment du fait de la fragmentation des habitats, de la réduction de la couverture végétale et de l’accroissement des surfaces imperméables (Fig.  2). Cette anthropisation est révélée également par d’autres métriques telles que les densités de population et de routes, la pollution de l’air et des sols, la température ambiante et les précipitations annuelles, la compaction et l’alcalinité des sols (Medley et al., 1995 ; Pickett et al., 2001). Un gradient urbain-rural rend ainsi compte de la perte des habitats dont la fragmentation croissante produit des patchs à la fois plus petits et plus nom- breux. Le cœur des villes enregistre les diversités des espèces (par exemple de plantes, d’oiseaux et de papillons) les plus faibles du gradient, ce qui s’explique notamment par la médiocrité du couvert végétal. Outre le nombre d’espèces, la composition spécifique varie également le long du gradient. Trois catégories sont fréquemment reprises au sujet des oiseaux, des papillons et des lézards (McKinney, 2002a) selon qu’ils adoptent une

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stratégie d’évitement, d’adaptation ou d’exploitation (Fig. 2) : (a) des espèces évitent la ville (urban avoiders), comme les grands mammifères, du fait de leur sensibilité à la fragmentation des habitats, à la moindre couverture végétale, à l’imperméabili- sation des sols et aux activités humaines  ; (b) d’autres s’adaptent à la ville (urban adapters), par exemple le rouge-gorge, des corvidés et des plantes rudérales (du latin rudus qui signifie « décombres ») ; (c) certaines exploitent la ville (urban exploiters), tolèrent aussi bien des sols imperméabilisés et pollués que le manque de végétation et dépendent directement des ressources humaines, notamment les souris et les rats.

Au terme d’une recension d’études sur l’avifaune en Europe et en Amérique du Nord, Savard et al. (2000) ont ainsi montré que trois espèces, l’étourneau sansonnet, le pigeon bizet et le moineau domestique, se sont particulièrement bien adaptées aux villes et les ont largement colonisées. Ces espèces dominent l’avifaune de la plupart des villes euro- péennes et nord-américaines. Elles sont particulièrement bien représentées dans les zones les plus densément peuplées. En outre, si la richesse spécifique diminue depuis le périurbain jusqu’au centre ville, le nombre total d’oiseaux évolue en sens inverse. Voici le déséquilibre écologique : le centre ville ne connaît que peu d’espèces, mais elles sont fortement repré- sentées. Mais les attributs paysagers sont susceptibles de nuancer le gradient. Etant donné que la richesse spécifique est plus élevée dans les zones les plus végétalisées, de nouveaux développements résidentiels dépourvus de végétation connaissent une médiocre diversité d’oiseaux. En revanche, les boisements en ville s’affirment comme un puissant déterminant.

Plus le boisement est vaste, plus il supporte d’espèces d’oiseaux. A taille égale, la diversité spécifique des oiseaux augmente avec l’hétérogénéité spatiale, la complexité de la structure verticale et la diversité spécifique des plantes (Savard et al., 2000).

Plutôt que de tester la relation qui existe entre la biodiversité spécifique d’une part et des mesures aussi traditionnelles que la distance au centre de la ville et la densité de peuplement d’autre part, d’autres auteurs ont considéré les caractères socioéconomiques et culturels des quartiers qui peuvent influencer les interactions hommes-environnement et présenter des implications écologiques. Leurs résultats révèlent que la diversité des plantes (Hope et al., 2003) et des oiseaux (Kinzig et al., 2005) est corrélée positivement au revenu des résidents. D’un quartier à l’autre, les différences peuvent être sensibles : à Phoenix, en Arizona, les parcs des quartiers riches comptent 28 espèces d’oiseaux, ceux des quartiers pauvres 10 de moins (Kinzig et al., 2005). Un « effet de luxe » lierait la profusion des ressources humaines et la diversité spécifique dans les écosystèmes urbains (Hope et al., 2003). Un tel défaut d’équité quant à l’accès à la nature ne manque pas d’interpeller les gestionnaires.

Avec l’intensification des déplacements, la question suivante peut désormais être posée sans provocation. Les villes exportent-elles de la biodiversité ? Lippe et Kowarick (2008) ont réalisé une étude pour évaluer dans quelle mesure la dispersion des graines par les hommes peut favoriser l’homogénéisation des flores urbaines et rurales. A la faveur de deux longs tunnels autoroutiers dont les voies opposées sont séparées par des murs, les auteurs ont échantillonné les propagules libérées par les véhicules quittant Berlin et s’y dirigeant. Ils ont observé que la biomasse et la diversité spécifique des graines, ainsi que la proportion de graines d’espèces non natives, sont significativement plus élevées sur les voies conduisant hors de la ville. Les plantations d’espèces non natives (comme Lycium barbarum) en bord de route peuvent agir comme une source de graines propices aux inva-

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sions végétales le long des bas-côtés. Plutôt qu’un enrichissement des villes en espèces importées depuis les habitats ruraux, les résultats soulignent davantage l’existence d’un processus dit de « suburbanisation » des espèces qui prédominent en ville. Grâce au tra- fic, les propagules d’espèces rudérales communes et de plantes introduites se dispersent facilement depuis le centre-ville vers les périphéries urbaines. Tant qu’elle ne concerne pas d’espèces invasives, cette dynamique accroît la richesse spécifique autour des cités.

2.3. Gérer les indésirables. Les difficiles rapports avec la faune

La biodiversité urbaine ne respecte pas les maillages administratifs et les lieux que le politique, l’architecte, le paysagiste ou l’urbaniste lui assignent. Tout comme l’air, l’eau, le feu, les animaux, les plantes et les hommes transgressent constamment les frontières. Il faut être adepte de la pensée de Gilles Clément (2002) pour admettre la notion de nature en mouvement. Cette idée est constamment travaillée dans ses écrits. Elle trouve ses réa- lisations concrètes dans les jardins intra-urbains qu’il a créés, à commencer par la friche des jardins André Citroën à Paris mais aussi à Lille ou à Lyon dans le jardin de l’Ecole normale supérieure. La thématique du brassage, du métissage, du jardin planétaire, assor- tie d’un éloge de ce qu’il appelle les vagabondes, tout comme le refus de l’utilisation de tous les produits en « -cides » (herbicides, pesticides, insecticides…) contribue à révolu- tionner le traitement de l’art des jardins.

La nature en ville se focalise autour d’un certain nombre de vivants emblématiques. La blatte ne semblait pas faire partie de ces animaux dignes d’attention mais des chercheurs ont réussi à en faire un animal à forte valeur symbolique, disqualifiant certains quartiers et stigmatisant leurs habitants (Matthieu et al. 1997 ; Blanc, 2000).

Les animaux dans la ville posent des questions territoriales de compétition (les trottoirs, les égouts, les caves, les souterrains, les maisons, les greniers, les poubelles, les décharges...) mais aussi de relégation (les aquariums, les cages, les zoos dans l’espace privé ou public) et des territoires de l’exposition : les arènes et les hippodromes par exemple (Digard, 1999).

Les oiseaux cristallisent l’attention des urbains et des chercheurs (Clergeau et al., 1996 ; Clergeau, 1997 ; Caula et al., 2009). Les pigeons appartiennent à la catégorie des animaux valorisés. En trop grand nombre, ils suscitent des réactions de rejet ou des stra- tégies d’élimination.

Les insectes ne sont pas spécialement appréciés en milieu urbain. Les épidémies de chikungunia ravivent le désir d’éliminer ces vecteurs de maladie. Les moustiques du genre anophèles sont considérés comme des ennemis urbains numéro 1. A l’aéroport de Nairobi une affiche gigantesque d’anophèle stigmatise ce vecteur du paludisme. Les campagnes de démoustication réalisées sur les littoraux touristiques méditerranéens, en Languedoc- Roussillon en particulier, traduisent ce souci de se débarrasser de ces indésirables.

L’abeille fait exception. Elle est un bio-marqueur qui bénéficie d’un fort capital de sympathie. Insecte susceptible de provoquer des piqûres, il est pardonné par son compor- tement social sophistiqué et par le produit délicieux qu’il élabore. Des apiculteurs pari- siens jouent sur les contradictions de la biodiversité urbaine en proposant une étonnante appellation « Miel béton ». Les abeilles prospectent dans un cercle de trois kilomètres de rayon autour des ruches, sur un territoire de 3 000 hectares. Le miel produit a été maintes fois primé lors de dégustations (Reygrobellet, 2007)

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Parmi les animaux aux statuts ambivalents, les amphibiens tiennent une place particu- lière. Pour éviter aux crapauds et aux grenouilles de se transformer en matière gluante et ensuite en peau desséchée sur le bitume, de nombreuses associations écologiques ont obtenu la création de crapauducs permettant de circuler au-dessus ou en dessous de la chaussée.

Dans l’ouest parisien, le cas de l’étang d’Ursine, en forêt domaniale de Meudon, est un exemple édifiant de conflit, de concertation mais aussi de dysfonctionnement, liés à des pratiques de trop bonne gestion de la faune. Acte 1 : les écologistes d’ « Ursine nature » interpellent les élus pour obtenir la fermeture de la route où se produisent des hécatombes de crapauds, plus de 600 individus écrasés sur 200 mètres de route. Acte 2 : à défaut d’une fermeture définitive, une fermeture temporaire de nuit est obtenue durant les 15 jours de migration de Bufo bufo, en mars. Les crapauds quittent alors la forêt pour se reproduire dans l’étang qui les a vus naître. Les femelles portent souvent deux à trois mâles sur leur dos, ce qui ne les rend guère agiles pour effectuer une traversée rapide de l’axe routier. Acte 3 : après huit ans de mesures de protection, les inventaires font apparaître que la migration concerne près de 30 000 crapauds, grenouilles et tritons. Ces chiffres exceptionnellement élevés traduisent le succès de la politique de protection. Acte 4  : un problème nouveau mobilise les naturalistes du fait que les métamorphoses des têtards, dans l’étang d’Ursine, restent bloquées avant la deuxième paire de patte entraînant la mort des têtards. A quoi est due cette mortalité ? Pollution de l’étang ou surpopulation provoquant des carences dans le milieu, effet secondaire pervers d’une protection ayant trop bien réussi ? Les opérations de gestion peuvent ainsi déboucher sur des effets pervers.

Les singes macaques de Gibraltar symbolisent les problèmes de cohabitation et de la gestion de la nature en ville. Sur un territoire de 750 hectares cohabitent Homo sapiens et Macaca sylvanus : 240 magots en haut du rocher (répartis en 6 clans) et 27 000 habitants dans le bas. Les singes sont à la fois le symbole de l’occupation britannique, une attrac- tion touristique, mais aussi des intrus qui investissent les lieux habités pour chaparder voire agresser les humains. La cohabitation joue tout à la fois dans le registre du rôle identitaire, de l’intérêt économique, des conflits, de la fascination, de la sauvagerie.

Les perceptions idéalisées de la nature par des urbains peuvent aboutir à des situations où le souci de protection à outrance se révèle anti-écologique.

3. Quelles biodiversités pour demain ?

La nature en ville fait l’objet de toute l’attention non seulement des résidents mais encore des gestionnaires et décideurs, ces derniers lui faisant une place de plus en plus importante dans leur stratégie de communication (Rosemberg, 2000). Elle devient un haut lieu de l’espace politique et administratif, même si nombre d’actions demeurent un pari sur l’avenir.

3.1. Les bénéfices incertains de la nature en ville

Sur quels bénéfices écologiques, socioculturels et psychoaffectifs décelés dans la ville contemporaine pouvons-nous nous appuyer pour construire la ville de demain ? Quel intérêt y a-t-il à développer les objets de nature en ville ? Si ces derniers et la biodi- versité améliorent les conditions de vie et rendent systématiquement plusieurs services

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à la société, les valeurs qu’ils portent et les fonctions qu’ils remplissent varient selon le contexte socioéconomique et culturel. Dans les pays du Nord, la végétation urbaine a été développée principalement pour des raisons esthétiques et pour ses bienfaits éco- logiques. En revanche, dans les pays du Sud, le reverdissement urbain est considéré comme un outil de développement tant les plantes contribuent à satisfaire des besoins fondamentaux. Les plantations, les arbres de la rue, les rideaux brise-vent, les parcs et jardins publics et privés y fournissent des bienfaits tangibles. Les ménages urbains peuvent y trouver non seulement des produits alimentaires, mais aussi la majorité du bois de feu et du bois de construction. Disposer de ces approvisionnements est un véri- table enjeu pour les populations urbaines qui associent bien souvent la collecte des pro- duits ligneux à une activité récréative. En outre, au Nord comme au Sud, la végétation rend toute une série de services à caractère environnemental. Dans l’agglomération de Montréal, des plantations ont été réalisées dans le secteur du Mont-Royal pour dimi- nuer la température ambiante et réduire la pollution atmosphérique, atténuant ainsi la contribution du béton et de l’asphalte à l’amplification du phénomène d’îlot de chaleur urbain. Les forêts urbaines peuvent jouer un rôle considérable dans la préservation des ressources en eau, dans le traitement des eaux usées et dans la gestion des paroxysmes hydrométéorologiques. De même, le génie biologique peut faciliter la conservation des sols et la remise en état de sites dégradés, tantôt par des plantations tantôt par des abat- tages et débusquages répétés.

Les espaces verts exercent des bienfaits sociaux reconnus par le voisinage. Lors de leur séjour hospitalier, les patients profitant d’une vue arborée affirment moindre- ment leur douleur et sollicitent plus rarement le personnel infirmier que ceux dont la fenêtre donne sur un mur (Ulrich, 1984). Dans un environnement urbain stressant, les bribes de nature attirent le regard, suscitent l’observation, la contemplation voire la fascination, et partant fournissent aux citadins autant d’occasions de récupération et de restauration qui dépassent le cadre des activités de loisir (Kaplan, 1984). Cette attractivité a un coût ; le prix des logements augmente lorsque la propriété est asso- ciée à des arbres urbains (Tyrväinen et al., 2005). Surtout, selon Fuller et al. (2007), les bénéfices psychologiques tirés de la fréquentation des espaces verts publics en ville augmentent avec la diversité des espèces. Plus précisément, le nombre d’ha- bitats différents est corrélé à la réflexion et à l’identité personnelle, la variété des plantes à la capacité à réfléchir et celle des oiseaux à l’attachement émotionnel des participants. Même si les répondants ne sont pas déconnectés d’une expérience de la biodiversité, leur aptitude à percevoir la richesse spécifique ambiante varie  : ils évaluent plus facilement la diversité des plantes (plus statiques et visibles) que celle des oiseaux et des papillons (plus discrets).

Néanmoins, dans un écosystème qui ne lui laisse qu’une place bien ténue, la nature peut surprendre le citadin et sa peur s’intensifier (Terrasson, 1988). Cette intolérance s’est affirmée avec l’urbanisation et n’est donc pas neuve. Dans le sud-ouest de la Finlande, le journal local de Turku publia 316 observations de mammifères, oiseaux et reptiles en ville entre 1890 et 1920 (Vuorisalo et al., 2001). Certes les résidents appréciaient le chant des oiseaux et les bêtes de compagnie, mais il reste que les animaux inattendus étaient souvent persécutés par les enfants comme par les adultes. Voilà un effet pervers du tout-urbain et de la concentration des hommes sur des espaces dont la biodiversité est

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appauvrie : la coupure homme-nature s’approfondit (Turner et al., 2004) ; l’expérience de la nature s’éteint (Miller, 2005). D’où l’intérêt des campagnes d’information et de communication à caractère environnemental pour développer l’appréciation de la nature, améliorer la protection des espèces autochtones et stimuler efficacement la biodiversité qui bénéficie déjà d’un large soutien dans l’opinion publique.

3.2. (Re)penser la nature en ville : ambitions et contradictions de la planification urbaine

Un des défis pour la ville de ce début de XXIe siècle porte sur une meilleure prise en compte de la biodiversité urbaine, ainsi que des conditions et des moyens de son intégration en tant qu’élément déterminant du fonctionnement de la nature en ville. Les outils réglementaires de la planification institués par la loi relative à la Solidarité et au renouvellement urbains (votée en 2000), tels les Scot2 à l’échelle d’une agglomération et les Plans locaux d’urbanisme (Plu3) au niveau communal, peuvent jouer un rôle dans la préservation et la valorisation de la nature en ville face aux multiples pressions engendrées par le développement urbain.

L’élaboration du Scot de l’agglomération lyonnaise (72 communes pour une superficie d’environ 55 000 hectares, dont environ la moitié est non bâtie) et la mise en œuvre de la politique départementale de Protection des espaces naturels et agricoles périurbains (Penap) sont à l’origine de la réalisation d’une cartographie des 100 principaux corridors écologiques4 de l’agglomération (Berthoud et al., 2004 ; Dodane, 2008). Ce travail a été réalisé par l’Agence d’urbanisme de Lyon (juin 2008), en collaboration avec les princi- pales associations naturalistes de l’agglomération. Cette cartographie est un éclairage supplémentaire qui est venu compléter et préciser le fonctionnement de la trame verte5 de l’agglomération lyonnaise (« armature verte » selon le vocable du projet de Scot - Fig. 3) dans la perspective de sa protection et de sa valorisation (Autran, 2004). En outre, elle a servi d’inspiration à la géographie des liaisons vertes du Scot de l’agglomération, qui s’appuie sur le réseau maillé de l’armature verte pour mettre la nature à portée des habi- tants en favorisant les modes de déplacements doux (regarder, observer, écouter).

Les corridors écologiques apparaissent comme des éléments de mise en lien, en réseau (notion de système) des réservoirs de biodiversité, ignorant les maillages administratifs.

Mais dans un environnement aussi contraint que la ville, la fonctionnalité de ces corridors écologiques relève du pari, pari de vie ou de mort pour la petite et la grande faune qui y cir- cule : risque d’écrasement, d’enfermement (principe de la nasse), difficultés de franchis-

2 Voir note 1.

3 C’est le principal document de planification de l’urbanisme à l’échelle communale. Il remplace les anciens Plans d’occupation des sols (Pos).

4 Un corridor écologique est une liaison fonctionnelle (qui réunit les conditions de déplacement) entre éco- systèmes ou entre différents habitats pour une même espèce ou un groupe d’espèces.

5 La trame verte et bleue est un outil d’aménagement du territoire qui regroupe l’ensemble des continuités écologiques terrestres et aquatiques organisées en réseau écologique. Les continuités écologiques font référence au maillage des espaces naturels, agricoles et aquatiques qui permettent de mettre en relation des réservoirs de biodiversité entre eux par l’intermédiaire de corridors écologiques. Un réservoir de biodiversité est composé d’un ou de plusieurs noyaux de biodiversité (zone nodale), qui peuvent être différents suivant les espèces, leurs zones d’extensions et les éléments structurants qui les entourent. Ce sont des espaces dans lesquels la faune sauvage présente peut y réaliser l’ensemble de son cycle de vie (alimentation, tranquillité, reproduction).

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sement d’obstacles (routes, clôtures, murs) ; ou bien même de l’aléatoire lorsqu’il s’agit de quelques échanges annuels d’individus entre noyaux de biodiversité, ce qui ressort avant tout du brassage génétique plutôt que de véritables déplacements libres. L’intensité de ces risques et la densité des obstacles caractérisent le fonctionnement aléatoire des corridors écologiques en milieu urbain et périurbain (toute perte de fonctionnalité d’un corridor écologique a des conséquences en termes de biodiversité sur l’ensemble du sys- tème). En outre, cette cartographie concerne avant tout une faune emblématique aux yeux d’une société urbaine. Elle s’intéresse davantage aux mammifères et aux oiseaux, qu’aux batraciens. Certaines espèces apparaissent donc survalorisées au détriment d’autres.

La cartographie des corridors écologiques de l’agglomération lyonnaise pourrait s’ins- crire dans la continuité de la politique de définition des aires protégées (Znieff, Zico, Natura 2000) des années 1990, à ceci près que la traduction réglementaire des corridors écologiques reste à inventer. Pour pallier cette lacune, un guide édité par la Diren Langedoc-Roussillon, le Cete Méditerranée et le Certu (2008) apporte des exemples pratiques permettant d’amé- liorer la prise en compte de l’environnement dans les Plu (création de zonages adaptés à la protection des réservoirs de biodiversité et des corridors écologiques).

Le corridor écologique n’est pas le remède miracle pour renaturaliser la ville, mais cer- tainement une possibilité offerte pour la repenser en intégrant une dimension écologique.

À Lyon, le projet de transformation et de réaménagement de l’axe de circulation Garibaldi en une « coulée verte », laissant place à des cheminements verts qui borderaient les voies de circulation en nombre réduit, en est un exemple. Cette future « coulée verte » pourrait Fig. 3 - L’imbrication du vert dans l’urbain. Extrait de la carte « Armature verte et territoire urbain » du Scot de l’agglomération lyonnaise.

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devenir un des axes majeurs du fonctionnement écologique de la trame verte urbaine de l’agglomération en permettant une meilleure circulation de la biodiversité dans la ville dense. Elle correspond à un élément en projet du système des liaisons vertes de l’agglo- mération qui connectera le parc de la Tête d’Or au futur parc Sergent Blandan et in fine à ceux de Gerland et de Parilly dans l’hypothèse d’aménagements complémentaires. Mais ailleurs, dans la plaine de l’Est lyonnais la création de deux nouvelles infrastructures de transport (ligne du tramway RhôneExpress et contournement de Pusignan) remettent en cause la fonctionnalité d’un corridor écologique, en bloquant la continuité entre le nord et le sud de cette vaste plaine comprise entre les dernières extensions périurbaines et l’aéroport de Lyon-Saint-Exupéry, dont l’échelle d’enjeux est pourtant d’agglomération.

Votée récemment (juillet 2010), la loi « Grenelle 2 », portant engagement national pour l’environnement, vient conforter les ambitions de la planification urbaine dans l’optique d’une préservation de la biodiversité. Dorénavant, les Scot devront se doter d’une cartogra- phie des corridors écologiques se traduisant par l’obligation des Plu concernés de prévoir un nouveau type de zonage afin de protéger les continuités écologiques existantes et ainsi de parer aux contradictions manifestes entre les objectifs de certains projets d’aménagement.

3.3. Vendre la nature en ville : les contradictions de la mise en scène

Aujourd’hui, trouver les moyens de bénéficier d’un rayonnement international conséquent est devenu indispensable pour qu’une ville puisse être qualifiée de métropole. Dans un contexte de mondialisation et de lutte des places (Lussault, 2009), ces dernières tentent d’ancrer leur spécificité en s’appuyant sur des images fortes et consensuelles. A cet égard, mettre en valeur les espaces de nature et la biodiversité du territoire constitue une stratégie pour vendre l’image d’une ville dotée de qualités réelles ou symboliques (Fig. 4 et 5). Pour ce faire, les techniques du benchmarking (analyse comparative) fleurissent régulièrement dans la presse. Ainsi, en octobre 2009, le magazine L’Expansion plaçait Lyon en 14e position de son palmarès des villes vertes françaises, avec ses 385 hectares de parcs et jardins et ses 8,6 m2 d’espaces verts par habitant (Boutefeu, 2009), loin derrière Strasbourg (68 m2 d’espaces verts par habitant). Ces chiffres, qu’il convient de nuancer, constituent néanmoins un indicateur attentivement observé par les politiques, les représentations de la nature dans les médias étant la déclinaison visible d’une politique de marketing territorial (Mac Luhan, 1975 ; Lussault, 1992 ; Debray, 1998).

La presse, recueil de «  connaissances communes et d’acquis scientifiques, et diffu- sant les décisions politiques et les événements marquants de la vie sociale  » (Le Lay, Rivière-Honegger, 2009) a été le support d’une recherche sur la place de la nature dans les projets urbains lyonnais. L’objectif étant de mettre en évidence et de comprendre quand, comment et pourquoi la nature et sa biodiversité ont suscité un intérêt pour cette agglo- mération. A-t-on véritablement souhaité leur octroyer une place dans les projets d’amé- nagements urbains ? Les desseins étaient-ils plutôt politiques ? Certains faits marquants ont-ils pu être à l’origine de cette nouvelle prise en compte ?

Précisément, cinq magazines de presse institutionnelle (Fig. 4) couvrant la période 1989-2009 ont été dépouillés jour après jour, page après page. Dans cette approche dia- chronique, 212 articles au total traitant de la thématique de « nature en ville » ont été recueillis. Un recours aux techniques de traitement de données quantitatives et qualita- tives a permis de donner du sens au contenu des articles.

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Il nous faut également rappeler ici, pour justifier le choix de notre période d’étude, que la prise en compte par le politique à Lyon de la demande sociale pour restaurer la nature en ville a débuté dans les années 1990. La montée en puissance des associations écologistes suite au « désastre arboricole » (Mollie, 2009) des années 1980 et à la raréfaction du végétal et de l’animal en ville, ont contraint Michel Noir, maire de Lyon de 1989 à 1995, à intégrer cette thématique dans son projet de mandat. Ainsi n’hésitait-il pas à affirmer, lors de son discours durant « Les rencontres du Grand Lyon » en 1990, vouloir faire de l’écologie l’une des clefs de voûte de sa politique de requalification des espaces, allant même jusqu’à vanter les vertus de la ville pour l’arbre : « la ville n’est pas une menace, elle peut permettre de protéger toute une série d’essences d’arbres que le milieu naturel a du mal à entretenir ».

Toutefois, si à la fin des années 1980 le registre végétal est présent en ville et dans les schémas d’aménagement et d’urbanisme, la nature n’est entendue que comme un rempart à l’étalement urbain, permettant de « tenir » la ville. En créant la mission écologie en 1991 et la charte de l’écologie urbaine en 1992, le Grand Lyon se dote d’un document de référence pour les politiques menées en matière d’environnement et jette les bases de la revalorisation des jardins publics, places, squares, berges et fleurissements (Fig. 5).

Les résultats de notre étude montrent que jusqu’en 1995, le message sur la nature est avant tout publicitaire, éducatif voire moralisateur, pour montrer les initiatives du poli-

Fig.  4 - Trois maires, trois mandats, trois postures  : divers supports de communication (Réalisation : I. Méliani, UMR 5600, EVS, Universités de Lyon, 2010).

Fig. 5 - 20 ans de politique de la nature à Lyon (1989-2009). Quelles continuités ? Quelles cohérences ? (Réalisation : I. Méliani, UMR 5600 EVS, Universités de Lyon, 2010).

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tique en la matière. Après 1995 et surtout dans les années 2000, l’évolution des messages marque le passage d’un engagement écologique à l’échelle locale à une instrumentalisa- tion de la nature à visée marketing de portée nationale ou internationale.

De ces objets de nature dont les mérites et services sont largement vantés, le véritable support de communication pour la ville est sans aucun doute l’arbre, considéré comme indispensable à la ville pour le cadre de vie, favorisant la biodiversité et régulant l’eau des sols. En outre, la réalisation de la charte de l’arbre en 2000 contribue largement à sa valorisation dans la presse. La nature qui s’apparentait encore à un élément de décor, de mobilier urbain, conçue pour contenir l’étalement urbain de la ville, commence, au début des années 2000, à changer de nature au profit d’une vision où tout le vocabulaire des aménités et des services rendus apparaît.

Aujourd’hui, aux plans et chartes adoptés par l’institution se substituent les grands projets de territoires considérés en sus comme des modèles écologiques. A cet égard, l’aménagement des berges du Rhône, rives de Saône ou du quartier Lyon-Confluence, vitrines de Lyon, figurent parmi les sites dont Grand Lyon Magazine se fait régulière- ment l’écho. L’objet de nature est dissous dans le concept plus général de développement durable mais reste dans ce cadre un objet de marketing, un support de communication pour accroître la visibilité territoriale de l’agglomération. En définitive, l’institution lyon- naise inscrit aujourd’hui son approche communicationnelle à l’échelle locale dans l’enjeu du vivre en ville où la nature correspond beaucoup plus à une nature ordinaire et de proxi- mité, celle que l’habitant peut observer au pied de son immeuble, toutefois corrélée à une communication tournée vers l’international pour donner une image de ville compétitive.

Derrière la valorisation de la nature se cache donc une réalité économique où la nature, de plus en plus instrumentalisée, s’apparente à un argument de vente et d’attractivité pour les cadres représentatifs des fonctions métropolitaines.

Conclusion

La question de la nature en ville ou de sa concrétisation sous le nouveau vocable de biodiversité connaît une incontestable fécondité. La prise en compte de ces nouvelles préoccupations légitimes ne va pas de soi. Cet article a cherché à montrer que, loin des certitudes techniques de l’ingénierie écologique, les questions du vivant dans la ville posent des problèmes complexes où intervient, bien sûr, en premier lieu, l’écologique mais imbriqué avec le politique, l’économique, le technique, le social et aussi le psycho- logique. C’est la prise en compte de l’interaction et de la hiérarchisation de tous ces sys- tèmes fonctionnant à des pas de temps différents et concernant des échelles territoriales différenciées qui peut permettre de repenser les façons de gérer la nature dans la ville.

Les exemples mobilisés dans cet article concernent pour une écrasante majorité les pays développés. Le groupe BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine) semble moins concerné par ces interrogations sur la place de la nature en ville. En Chine, le projet de ville éco- logique a fait long feu. Il est possible de se demander si cette attention aux objets de nature et à la biodiversité n’est pas qu’un luxe de pays riches. Les projets menés dans le cadre de la réflexion « un pari pour le Grand Paris » traduisent une attention renouvelée pour les objets de nature. Le projet Descartes notamment consacre une large part de ses propositions à des objets longtemps marginalisés par les architectes, les urbanistes et les

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paysagistes : la forêt, les friches, l’agriculture, la campagne. La question mérite d’être posée en référence aux réflexions et propositions de Lussault (2009) sur la « guerre des places ». Si la nature et la biodiversité sont l’objet d’interrogations fortes dans les pays développés, il n’en est pas de même en Afrique où d’autres préoccupations plus vitales concernent l’alimentation, le logement, l’accès à l’eau potable. Elles priment sur ce qui peut apparaître comme des préoccupations du registre du superflu. Biodiversité et ques- tions de nature en ville sont pourtant à relier aux enjeux de développement durable. Le

« biome urbain » tel que le nomment les chercheurs du nouvel Institut sur l’écologie et l’environnement (INEE) du CNRS doit permettre de débattre de ces questions de nature et de naturalité dans un contexte d’extrême anthropisation. Pour gérer la biodiversité en ville, faut-il laisser faire, protéger, communiquer, patrimonialiser, gérer ? La question de la nature en ville et l’improbable biodiversité qui en résulte n’en est encore qu’au stade des balbutiements. Nature et ville, un couple à suivre, une relation à repenser…

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