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Genre et conflit armé = Genre et conflits armés

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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GENRE et CONFLIT ARMÉ

Synthèse

Amani El Jack

août 2003

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© Institute of Development Studies août 2003 ii ISBN 1 85864 465 8

Amani El Jack (auteure) prépare un doctorat d'études sur la condition féminine à l'université de York, à Toronto, au

Canada. Elle a travaillé, entre autres sur le thème " genre et armes légères et de petit calibre " (A.L.P.C). Elle a participé au projet SALIGAD, coordonné par le Bonn International Center for Conversion (BICC) [Centre International de Bonn pour la conversion] qui contrôle le stock et la circulation des A.L.P.C dans les pays de la corne d'Afrique regroupés au sein de l'Autorité intergouvernementale pour la lutte contre la sécheresse et pour le développement (IGAD). Dans le cadre de ce projet, elle a mené un travail de terrain auprès de femmes

soudanaises pour déterminer de quelle manière les idéologies de genre avaient pu affecté la prolifération des armes légères et de petit calibre au Soudan. Elle est également spécialiste des implications sexospécifiques des déplacements induits par le développement (DID), et de la sécurité humaine.

Judy El-Bushra (consultante externe) a travaillé pendant vingt ans dans le domaine du développement local en

Afrique et s'est spécialisée plus récemment dans la recherche en genre, conflit et développement. Elle s'intéresse au rôle de la culture, comme le théâtre, dans le développement et la transformation des conflits. Ancienne directrice du programme de recherche et d'action au sein de l'agence pour l'Agence de Coopération et de recherche pour le Développement (ACORD), on lui doit de nombreux écrits sur le thème " genre et conflit " pour ACORD, Oxfam et International Alert, entre autres organisations.

Lata Narayanaswamy (rédactrice) est chargée de recherche au sein de l'équipe de BRIDGE. Elle se consacre

plus spécialement aux problèmes de l'inégalité des genres et de la pauvreté, aux stratégies des organisations de citoyens ordinaires contre les racines de l'inégalité et de la pauvreté ainsi qu'au rôle des hommes au sein du paradigme genre et développement.

Emma Bell (rédactrice) est agent de recherche et de communication au sein de BRIDGE. Elle a signé et révisé de

nombreuses publications sur différents thèmes, parmi lesquels : " genre et globalisation ", " genre et participation ", les stratégies de réduction de la pauvreté, le virus HIV/SIDA et les violences contre les femmes.

Laurence Nectoux (traductrice) est traductrice de l'anglais au français, sa langue maternelle, et travaille à Paris

avec diverses maisons d'édition et l'Unesco, pour qui elle a traduit plusieurs documents sur les femmes et le genre. Merci aux membres de l'équipe de Bridge, Susie Jolly, Hazel Reeves et Charlie Sever pour leur aide éditoriale et leur contribution substantielle à ce rapport.

© Photos réalisées par Jenny Matthews. Jenny est photographe documentaire et travaille avec Network

Photographers. Depuis 1982, elle a travaillé au sein d’un vaste projet à travers le monde, concernant les femmes et la guerre. Nombre de ces photos publiées dans son livre Femmes et guerre, édité par Pluto Press en 2003, faisaient également partie d’une exposition photographique organisée à Londres, au Royaume-Uni sous le co-parrainage d’ActionAid, sur le même thème.

Bridge remercie les organisations suivantes de leur soutien financier : le gouvernement canadien par le biais de l'Agence Canadienne de Développement International (ACDI-CIDA), le Ministère du Développement International au Royaume-Uni (DFID), le Ministère allemand du Développement et de la Coopération économique (BMZ) par l'intermédiaire de l'Agence de Coopération Technique Allemande (GTZ), l'Agence Néo-zélandaise pour le Développement International (Nzaid), l'Agence Norvégienne de Coopération au Développement (NORAD), le Ministère Royal des Affaires Étrangères du Danemark (Danida), l'Agence Suédoise de Coopération Internationale au Développement (Asdi) et la Direction du Développement et de la Coopération (DDC), en Suisse.

Fondé en 1992 au sein de l'Institute of Development Studies (IDS) au Royaume-Uni, BRIDGE est un service de recherche et d'information spécialisé en genre et développement. BRIDGE soutient les efforts déployés dans la sphère politique et sur le terrain en faveur de la prise en compte du genre, en comblant le fossé entre théorie, politique et pratique par l'apport d'informations accessibles et variées sur la problématique du genre. Autres titres disponibles dans la série des Kit Actu'

 Genre et budgets, 2003  Genre et sida, 2002

 Genre et évolution culturelle, 2002  Genre et participation, 2001

Ces Kit actu', de même que d'autres publications de BRIDGE, y compris En Bref, peuvent être téléchargés gratuitement sur le site de BRIDGE à www.ids.ac.uk/bridge. Des exemplaires papier sont en vente sur le portail de la librairie virtuelle de l'IDS à : www.ids.ac.uk/ids/bookshop/index.html, ou auprés de l'ITDG, 103-105 Southampton Row, London WC1B 4HH, UK (tel: +44 20 7436 9761; fax: +44 20 7436 2013; email: orders@itpubs.org.uk). Un nombre limité d'exemplaires pourra être gracieusement mis à la disposition des organisations basée dans le Sud, sur demande (contactez BRIDGE pour de plus amples informations : bridge@ids.ac.uk)

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Table des matières

Acronymes ... 2

Résumé ... 3

1. Introduction ... 7

1.1 Pourquoi étudier le rapport des genres et des conflits armés ? ... 7

2. Comprendre le conflit armé ... 10

2.1 Causes du conflit armé ... 10

2.2 Types de conflits armés ... 11

2.3 Les étapes des conflits ... 12

3. Dynamique des conflits armés en terme de genre ... 13

3.1 Relations de genre et conflit ... 13

3.2 Femmes et conflit ... 13

3.3 Les hommes et la guerre ... 15

4. Répercussions des conflits armés en terme de genre ... 17

4.1 Déplacement forcé ... 17

4.2 Les violences liées au sexe de la victime ... 20

5. Protéger les droits humains et promouvoir l'égalité des sexes ... 26

5.1 Droit humains ou sécurité humaine : que privilégier ? ... 26

5.2 Lois, résolutions et conventions internationales ... 28

5.3 D'où proviennent ces difficultés d'application et de mise en œuvre ? ... 30

6. Le genre dans les interventions au sein des conflits ... 32

6.1 L'assistance humanitaire ... 32

6.2 Désarmement, Démobilisation et Réinsertion (DDR) ... 35

6.3 Maintien et construction de la paix ... 38

7. Intégration du genre et organisation des femmes ... 40

7.1 Qu'est-ce que l'intégration systématique du genre ? ... 40

7.2 Comment systématiser la prise en compte du genre dans les interventions au cours et à l'issue des conflits ? ... 40

7.3 Exemples d'intégration du genre dans les structures de l'après-guerre ... 42

7.4 L'organisation des femmes ... 45

8. Conclusions et recommandations ... 51

8.1 Recommandations ... 52

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Acronymes

ACDI Agence Canadienne de Développement International

ACORD Agence de Coopération et de Recherche pour le Développement A.L.P.C Armes légères et de petit calibre

AWAG Abused Women And Girls [Femmes et filles victimes d'abus sexuels]

AWCPD African Women Committee on Peace and Development [Comité des Femmes Africaines pour la Paix et le Développement]

AWID Association for Women's Rights in Development [Association pour les Droits des Femmes en développement]

BICC Bonn International Center for Conversion [Centre International de Bonn pour la Conversion] CAD Comité d'Aide au Développement

CEDAW Convention pour l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes CSNU Conseil de Sécurité des Nations Unies

CPI Cour Pénale Internationale

DDR Désarmement, Démobilisation et Réinsertion

DEVAW Déclaration sur l'élimination de la violence à l'égard des femmes DFID Ministère du Développement International au Royaume-Uni DID Déplacement Induit par le Développement

ECOSOC Conseil Économique et Social des Nations Unies GTZ Agence de Coopération Technique Allemande IST Infections sexuellement transmises

MINUK Mission Intérimaire des Nations Unies au Kosovo NAWOCOL Commission Nationale des Femmes du Libéria NRA Armée de Résistance nationale

NURC Commission pour l'Unité Nationale et la Réconciliation

OCDE Organisation pour la Coopération Économique et le Développement OIT Organisation Internationale du Travail

OMS Organisation Mondiale de la Santé ONG Organisation Non-gouvernementale ONU Organisation des Nations unies

PNUD Programme des Nations Unies pour le développement RAWA Association Révolutionnaire des Femmes d'Afghanistan SFOR Force de Stabilisation

UE Union Européenne

UNHCR Haut-commissariat des Nations Unies pour les réfugiés UNIFEM Fond de développement des Nations Unis pour les femmes UNTAET Administration provisoire des Nations Unies au Timor Oriental USAID Agence des États-Unis pour le Développement International

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Résumé

La guerre produit un impact négatif sur les hommes et les femmes et génère des handicaps liés à l'appartenance à un sexe social qui ne sont pas toujours reconnus ou pris en compte dans les réflexions traditionnelles, hermétiques à la notion de genre, traitant du conflit et de la reconstruction. L'inégalité des sexes reflète un déséquilibre du pouvoir préexistant dans les structures sociales, que le conflit armé et ses prolongements exacerbent. L'acceptation des stéréotypes sexuels est l'une des principales causes de la persistance de cet autisme à l'égard des genres.

Perceptions stéréotypées des rôles

Les interprétations stéréotypées modèlent et sont elles-mêmes modelées par le contexte social, politique, économique, culturel et religieux. L'existence d'un conflit armé renforce les présupposés selon lesquels les hommes iront bien évidemment se battre tandis que les femmes les soutiendront " à l'arrière ". La perception courante veut que les hommes soient des soldats ou des agresseurs et les femmes des épouses, des mères, des infirmières, des assistantes sociales et des travailleuses du sexe. Il est vrai que les conscrits et les personnes tuées au combat sont majoritairement des hommes, tandis que les femmes forment la plupart des victimes civiles et sont touchées dans leur rôle de pourvoyeuses de soins, du fait de la dislocation des structures sociales (Byrne, 1996). Néanmoins, les femmes sont aussi des combattantes, comme l'ont montré le Sri Lanka et le Libéria, et les hommes aussi comptent au nombre des victimes. Ces réalités objectives ont des conséquences sur les relations de genre, qui passent souvent inaperçues et restent sans réponse.

Répercussions du conflit armé sur les relations entre les sexes.

Les conséquences de la guerre sur les relations entre les sexes sont loin d'être négligeables. Les déplacements forcés et les violences liées au sexe de la victime sont deux exemples de répercussions qui ne sont en rien des retombées inévitables du conflit, mais bien plutôt des stratégies de guerre délibérées, qui déstabilisent les familles et les communautés. Les violences physiques et sexuelles, en particulier à l'égard des femmes et des enfants, se produisent avec une plus grande régularité pendant et au lendemain d'un conflit armé. Les femmes sont victimes de viols, de grossesses forcées, tombent dans la prostitution forcée et l'esclavage sexuel, souvent par les mains mêmes des " pacificateurs ", police ou forces occupantes, comme ce fut le cas en Bosnie. Bien que les hommes soient les premiers

responsables de violences à l'égard des femmes et des enfants, il est important de noter que les hommes sont également l'objet de victimisation et de violences, y compris de violences sexualisées.

Lois et institutions internationales

Les différences socioculturelles entre les sexes sont enracinées dans les institutions publiques et privées qui interviennent pour mettre fin aux conflits armés et construire la paix (El-Bushra 2000a; Kabeer, 1994). L'attitude des organisations internationales comme les Nations unies (ONU), les gouvernements et les

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organisations non-gouvernementales (O.N.G.) va de l'absence totale de prise en compte des femmes à l'approche non sexiste, en passant par la reprise complaisante des stéréotypes féminins. D'autres encore se penchent sur les femmes sans aucune considération de la relative inégalité des femmes dans le cadre des relations de genre.

On tend souvent, lorsqu'on utilise le terme de " genre ", à mettre l'accent sur les femmes et les filles en oubliant que l'inégalité sociale entre les sexes et le déséquilibre des pouvoirs entre les hommes et les femmes aggravent encore de multiples façons leurs désavantages. Les conséquences de la guerre, tels les déplacements forcés ou et les violences liées aux sexes de la victime, ne sont pas comprises comme des violations des droits humains mais plutôt comme des problèmes culturels ou privés dont il vaut mieux ne pas se mêler. En outre, de nombreux gouvernements doivent encore ratifier les engagements

internationaux destinés à protéger les droits humains des femmes et des filles au cours et à l'issue d'un conflit armé. L'absence de reconnaissance formelle ou de respect effectif de ces droits empêche tout progrès réel vers l'égalité sociale des sexes.

Intégrer de manière systématique la prise en compte du genre dans la résolution des

conflits et les interventions

Les interventions d'assistance humanitaire ou les programmes de désarmement, démobilisation et Réinsertion (DDR) des anciens combattants, par exemple, aggravent les inégalités sociales entre les sexes dès lors qu'ils restent sourds aux spécificités des genres. Systématiser la sensibilisation aux questions de genre dans les structures qui régissent le conflit armé et la reconstruction après la guerre passe nécessairement par une meilleure coopération entre les institutions internationales, les états et les O.N.G. Si nous voulons bâtir des sociétés plus égalitaires à l'issue des conflits, il est particulièrement important d'impliquer les organisations de femmes au niveau décisionnel dans la formation des structures politiques et juridiques. En effet, le chaos généralisé qu'engendre un conflit armé crée un espace pour une redéfinition plus équitable des relations entre les genres dans la période de reconstruction. Mais sans un soutien plus affirmé aux organisations et interventions qui défendent l'égalité des genres dans tous les domaines, les anciennes formes d'oppression risquent fort de se voir réinstaurées.

Recommandations

Le rapport formule un certain nombre de recommandations :

S'inspirer des réalités locales : les interventions doivent être basées sur des données contextuelles,

relatant ce que les hommes et les femmes font réellement, et non sur des interprétations stéréotypées des rôles et des relations entre les genres, convaincues de savoir ce qu'ils et elles devraient faire. Il serait souhaitable que les interventions impliquent les organisations locales — en particulier, les groupes de femmes — dans des instances décisionnelles. Le travail de vulgarisation et de soutien en vue d'aider les familles et les communautés à s'adapter à des rôles et des relations de genre changeants, doit être évaluée au niveau local afin qu'il corresponde bien à la région ou à la communauté concernée. Les

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programmes étatiques ou d'organisations internationales doivent également refléter les préoccupations et les priorités exprimées par les populations locales.

Améliorer l'application des lois internationales existantes par les institutions internationales et les états, en

particulier dans la reconnaissance des répercussions d'un conflit armé telles que déplacements forcés, appauvrissement, violences liées au sexe de la victime, comme des violations des droits humains et non comme des problèmes d'ordre privé, culturel, qui seraient inévitables en temps de guerre. L'application et le respect de la résolution 1325 du conseil de sécurité des Nations unies constitueraient un premier pas significatif en ce sens.

Accroître la dotation des services spécialisés, chargés de répondre aux besoins spécifiques des hommes

et des femmes qui ont eu à subir les conséquences violentes d'un conflit armé, telles que le viol et la torture. Pour les femmes, des services spécialisés doivent comporter une prise en charge psychologique et un travail de prise de contact pour gérer les problèmes gynécologiques et de santé génésique liés aux viols, aux grossesses forcées et au travail sexuel. Des services sanitaires et de soutien psychologique doivent également être mis à la disposition des hommes qui s'écartent des rôles stéréotypés dévolus au genre masculin ou résistent à la violence et aux combats, devenant ainsi victimes, par contrecoup, de violences physiques et sexuelles.

Faire participer les femmes et former à la notion de genre : la participation des femmes est nécessaire

mais ne garantit pas à elle seule la résolution des problèmes liés au genre ou la sensibilisation automatique des femmes à ces questions. Les forces chargées du maintien de la paix doivent en particulier suivre une formation à la problématique du genre adaptée à leur fonction, afin d'établir une base de confiance avec les communautés et réduire les risques de violences sexuelles et physiques perpétrées par leurs propres recrues. Sans une compréhension véritable de l'évolution des rôles et des relations par lesquels se définissent les genres, nous compromettons l'objectif de bâtir une société viable et pacifique à l'issue du conflit. Une meilleure coopération est nécessaire entre tous les acteurs impliqués dans le conflit et la reconstruction après guerre, en vue de répondre aux déséquilibres du pouvoir qui sont causes de l'inégalité socioculturelle entre les sexes. Sans avancées significatives vers l'égalité des genres, il ne peut y avoir de paix réelle et digne de ce nom.

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1. Introduction

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1.1 Pourquoi étudier le rapport des genres et des conflits armés ?

Les conflits armés exacerbent des inégalités qui existaient dans les relations de genre avant leur

éclatement. Cette étude explore l'impact des conflits armés sur les relations de genre, et analyse la façon dont hommes et femmes s'en trouvent distinctement affectés. Elle met en lumière les désavantages dont pâtissent les hommes et les femmes du fait de leur appartenance à un genre, et que ne reconnaissent pas les interprétations conventionnelles des conflits armés, ni les processus de reconstruction, lorsque la guerre est terminée.

Les interventions doivent prendre en compte les diverses réalités des hommes et des femmes, qui peuvent jouer l'un comme l'autre, simultanément, les rôles de militants et de parents, de soldats et de victimes. Reconnaître et répondre à cette diversité est crucial pour l'établissement de sociétés durables, soucieuses de l'égalité des sexes, à l'issue du conflit. Même si les femmes rencontrent des désavantages au cours du conflit armé, il ne s'ensuit pas que les hommes sont toujours les auteurs, et donc les

gagnants, et les femmes les perdantes. Ce rapport démontre que les hommes et les femmes vivent le conflit armé de manières distinctes, qui peuvent à leur tour altérer les rapports sociaux de sexe.

Dans toutes les sociétés, l'inégalité dont les femmes sont victimes au cours et à l'issue d'un conflit armé dérive des représentations dominantes touchant aux rôles assumés par chacun des deux sexes. Il faut entendre par " genre " les perceptions de ce qui est jugé convenable en terme de comportements, d'apparences et d'attitudes des femmes et des hommes, telles que les induisent les attentes culturelles et sociales. Dans le cadre d'un conflit armé, la perception des femmes en tant qu'épouse, mère et

nourricière persiste, tandis que les hommes sont considérés comme des agresseurs et des soldats. Bien que, de fait, les hommes et les femmes assument souvent ces rôles traditionnels, la littérature dominante a une certaine tendance à exagérer le degré d'endossement de ces rôles sexualisés, stéréotypés, dans les conflits armés. La réalité est que les femmes sont également actives en tant que soldats et

agresseurs, tandis que les hommes peuvent être aussi bien victimes que combattants.

Les relations de genre, par suite, renvoient aux façons dont les hommes et les femmes interagissent. Un point central de ce rapport est d'explorer l'impact des conflits armés sur ces relations en évaluant dans quelle mesure les différents types de désavantages qu'impose la guerre affectent les dynamiques de pouvoir entre hommes et femmes. Les analyses existantes de conflits armés et de règlements d'après-guerre pêchent par plusieurs aspects — certaines ignorent les femmes tandis que d'autres restent sourdes à la notion de genre ou définissent le rôle des femmes de manières stéréotypées. D'autres encore traitent des femmes indépendamment des relations entre les genres.

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Lorsque le terme " genre " apparaît, son usage implique souvent que les femmes (et les filles) sont en majeure partie " des victimes " évoluant dans un contexte " particulier " avec des besoins " spéciaux ", tandis que les hommes sont décrits comme des " acteurs ". Mais le terme "genre" ne devrait pas être utilisé de manière aussi restrictive. Il devrait plutôt nous permettre de comprendre que les hommes et les femmes fonctionnent dans une variété de rôles — stéréotypés ou autres — et d'étudier de quelle manière les modifications de ces rôles affectent les relations de genre.

La déstabilisation des rapports sociaux de sexe qui accompagne fréquemment les conflits armés et leurs réglements peuvent également ouvrir certaines opportunités. Le bouleversement de la guerre nous laisse avec une ardoise neuve pour repartir et nous poser certaines questions fondamentales sur le type de société que nous voulons et la manière dont les relations de genre pourront fonctionner en son sein. Autrement dit, c'est un temps où "la désorganisation sociale peut ouvrir la porte aux transformations que nous espérons" (Cockburn et Zarkov 2002: 11). La réalité veut cependant que ses changements ne soient pas toujours à portée de main, comme nous le verrons plus loin dans ce rapport.

Pour que le bouleversement social mène à des relations plus équitables entre les hommes et les

femmes, il est judicieux, pour commencer, de mener une analyse de genre. Cette démarche nous permet d'identifier les relations de pouvoir existantes entre les hommes et les femmes dans une société donnée et de comprendre comment le conflit et son prolongement influencent ces relations. Elle éclaire

également le fait que les groupes marginaux qui rejettent un tant soit peu les stéréotypes féminins et masculins, comme les hommes pacifistes ou les femmes militaires, vivent le conflit de manières différentes.

Une mère peut être à la fois soutien de famille et avoir une activité militante et cet engagement dans des rôles tant stéréotypés que non-stéréotypés aura des conséquences sur les relations de genre au sein son foyer. Les interventions destinées à lui venir en aide qui ne sont pas sensibilisées à la problématique hommes-femmes peuvent supposer, par exemple, que ses besoins sont limités à ceux d'une mère. Ce type d'interprétation ne reconnaît pas que les gens, les femmes en particulier, endossent de multiples rôles et responsabilités et subissent quantités de répercussions négatives dans les périodes de bouleversements sociaux.

Une analyse de genre permet une compréhension plus nuancée de la manière dont les femmes qui assument de multiples rôles influencent simultanément les relations de genre au sein de leur foyer et dans la société. Le langage du genre s'éloigne des interprétations stéréotypées de ce que les hommes et les femmes devraient faire et ce dont ils devraient avoir besoin pour accepter et soutenir ce que les hommes et les femmes font et ce dont ils ont réellement besoin.

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9 Les points suivants se verront abordés dans ce rapport :

 Interactions entre genre et conflit armé. Le chapitre 2 présente une synthèse des types de conflits armés et de leurs étapes. L'analyse se poursuit au chapitre 3 et s'intéresse aux dynamiques sexospécifiques des conflits armés. Le chapitre 4 se penche sur les impacts sexospécifiques des conflits armés, à travers l'exemple des violences liées au sexe de la victime et des déplacements forcés.

 Des outils pour l'intégration systématique de la notion de genre. Le chapitre 5 dresse un tableau critique des cadres théoriques, des lois internationales et d'autres outils d'orientation actuellement utilisés pour mettre en œuvre des approches plus sensibles à la problématique du genre dans le traitement des conflits armés.

 Défense des stratégies sensibilisées à la problématique du genre. À partir des critiques formulées dans les chapitres précédents, le chapitre 6 examine l'incidence de l'assistance humanitaire, des programmes de Désarmement, Démobilisation et Réinsertion (D. D. R.) ainsi que des activités de maintien et de construction de la paix pour les relations de genre, justifiant une approche plus sensible à la problématique hommes-femmes dans tous les aspects de résolution/construction de la paix du conflit et de son règlement.

 Stratégies d'amélioration. Le chapitre 7 donne un aperçu de quelques-uns des outils disponibles pour une intégration systématique du genre dans les institutions qui régentent le conflit armé et ses lendemains. Trois exemples de programmes d'intégration réussis montrent comment cette prise en compte peut être réalisée en pratique. Enfin, ce chapitre explore comment les organisations de femmes ont répondu au manque d'attention accordé aux dimensions hommes-femmes du conflit armé.

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2. Comprendre le conflit armé

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2.1 Causes du conflit armé

Les causes du conflit armé sont souvent liées à des tentatives de contrôler les ressources économiques comme le pétrole, le métal, les diamants, la drogue ou des frontières territoriales contestées. Dans des pays comme la Colombie ou le Soudan, par exemple, l'exploration des gisements pétrolifères a engendré et aggravé l'appauvrissement d'hommes et de femmes. Des communautés entières ont été prises pour cible et décimées, déplacées et/ou marginalisées au nom du développement pétrolier. Le contrôle des ressources, comme l'exercice du pouvoir n'est pas neutre en terme de genre. Ceux qui n'ont ni pouvoir, ni ressources — groupes majoritairement (mais en aucun cas exclusivement) composés de femmes — ne sont généralement pas des fauteurs de guerres.

Les affrontements sans résolution pour les ressources, associées aux graves répercussions des déplacements, de l'appauvrissement et de la militarisation accrue dans les zones de conflits ne font que prolonger les conflits armés existants. De plus, la guerre tend à engendrer et/ou perpétuer les inégalités entre les groupes ethniques et la discrimination envers les groupes marginalisés d'hommes et de femmes, pavant ainsi la voie à l'éclatement de futurs conflits.

Les conflits armés gagnent en complexité, à mesure que l'on avance dans le XXIe siècle. Au niveau international, l'inégalité dans la distribution des pouvoirs et des ressources s'est accentuée. Associée aux inégalités structurelles entre et au sein de nations-états, cette disparité a conduit à des conflits plus régionaux, ainsi qu'à une montée en flèche du nombre de conflits armés internationaux. En outre, la nature de la guerre elle-même a profondément évolué, en lien avec le développement de technologies militaires de plus en plus sophistiquées. Les nations ont augmenté leurs efforts en vue d'accroître et/ou de renforcer leur puissance militaire. Les limitations existantes aux droits des femmes s'en trouvent aggravées, ce qui a pour effet d'exacerber les inégalités dans les relations de genre.

Tandis que, dans les pays, la militarisation accrue impose de nouvelles limites aux droits des femmes, l'égalité des genres s'est vue invoquée au niveau international pour justifier l'intervention militaire dans les frontières de nations souveraines. Ainsi, la libération des femmes du régime oppressif des talibans a constitué l'une des justifications de l'invasion américaine en Afghanistan en 2001. Mais les cinq années qui ont précédé l'invasion ont été marquées par un manque obstiné de considération pour le sort des femmes, en dépit de tentatives des organisations non gouvernementales (ONG) locales et internationales d'attirer l'attention sur la violation des droits humains des femmes afghanes.

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En réalité, les interventions militaires ne sont JAMAIS une réponse au problème des inégalités de genre. Les conflits armés et la période d'aprés-guerre engendrent des inégalités de genre ou exacerbent les

inégalités existantes, lesquelles se doublent ensuite de divisions raciales, sociales, de caste, fondées sur la sexualité, religieuses ou générationnelles.

Guerre et justice pour les femmes … une réconciliation impossible

La guerre aggrave la souffrance des femmes. Par leurs rôles de mères, de nourricières et de

pourvoyeuses de soins, les femmes forment invariablement une grande proportion des victimes civiles. Les femmes en Afghanistan, par exemple, ont constitué la majorité des civils blessés ou tués à la suite de bombardements par erreur sur des maisons, hôpitaux et autres structures civiles (Malakunas 2001). La destruction des ressources et l'empoisonnement des élevages ont mis en danger la vie de l'ensemble de la population civile (Edwards 2001). Qui plus est, bien que les femmes assument des rôles non stéréotypés en tant que combattantes, femmes politiques et/ou chef de famille, les tentatives de faire entendre leur voix dans les processus officiels aboutissent rarement. Peu de moyens sont à leur

disposition pour tenter d'empêcher les violations dont leur sexe est spécifiquement victime, comme le viol et le mariage forcé.

2.2 Types de conflits armés

Un certain nombre d'études ont établi des distinctions entre conflits internationaux/inter-étatiques et conflits nationaux/civils (Byrne 1996). De récents éclairages suggèrent toutefois qu'il est indispensable de replacer ces distinctions dans leur contextes, afin que les répercussions en terme de genre soient

totalement prises en compte. Il est important de reconnaître que les conflits nationaux/civil ne sont pas seulement internes mais transnationaux par nature, dans la mesure où il se déroule dans un contexte international particulier.

Indépendamment du type de conflit, le concept qui veut que les hommes vont à la guerre au " front " et que les femmes restent en sécurité à la maison avec les enfants et les vieillards ne reflète pas la réalité de la guerre. En fait, la distinction entre zones " de conflit " et " sécurisées ", où le foyer et le lieu de travail sont considérés comme sûrs est un mythe qui perdure, et que les féministes analysent et dénoncent depuis longtemps (Byrne 1996; Cockburn 1998; El Jack 2002; Giles and Hyndman à paraître). Dans les zones de conflit, la guerre touche les femmes au beau milieu de leurs travaux agraires. Elle s'attaque à leurs foyers — les enlevant, les déportant et/ou les assassinant avec leurs enfants (El Jack 2002).

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2.3 Les étapes des conflits

Selon Byrne (1996: 8), les conflits peuvent se découper en quatre étapes : 1. La marche à la guerre (pré-conflit)

2. Le conflit lui-même

3. Le processus de paix (ou résolution de conflit) 4. Reconstruction et réinsertion, ou après-guerre

Les types d'inégalités de genre et les réponses appropriées à des besoins sexospécifiques donnés diffèrent en fonction de l'étape du conflit armé. Ce découpage nous permet de formuler des hypothèses sur les répercussions probables à une étape donnée et de concevoir une intervention qui prenne en compte la dimension du genre. La possibilité de définir des réponses détaillées et sur mesure est néanmoins limitée par les frontières mouvantes du conflit armé lui-même. Comme l'expliquent Cockburn et Zarkov (2002: 10) :

"…On ne peut assurément jamais dire d'une guerre qu'elle a commencée ou fini à un moment clair et précis. Elle s'inscrit plutôt dans une gradation du conflit, qui s'exprime tantôt par la force armée, tantôt par les sanctions économiques ou la pression politique. Un temps de paix supposé peut se voir renommer plus tard " période d'avant-guerre ". Au plus fort des combats, à l'insu des fantassins sous le feu, les processus de paix sont souvent déjà à l'œuvre. Une période de reconstruction à l'issue d'un conflit peut être redéfinie plus tard comme un inter bellum – une simple pause entre deux guerres."

Un problème supplémentaire dans cette ventilation est que la tendance à considérer le conflit et la reconstruction après-guerre comme des étapes réelles, identifiables et autonomes crée une division conceptuelle. Ce qui représente la paix d'un point de vue féministe peut différer des vues dominantes parce que pour beaucoup de gens, les femmes en particulier, la paix ne signifie pas seulement la fin du conflit armé mais un temps pour s'attaquer aux déséquilibres structurels des pouvoir responsables du conflit à l'origine. Il faut alors une interprétation plus nuancée de ces étapes, où les interventions qui traitent de l'inégalités des sexes dans le conflit armé reflètent le fait que les événements se passent simultanément et que les étapes se chevauchent.

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3. Dynamique des conflits armés en terme de genre

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3.1 Relations de genre et conflit

Les rapports sociaux de sexe se caractérisent par une inégalité dans l'accès au pouvoir ou sa répartition. Par sa forte prévalence, cette discrimination en terme de genre influence d'autres dynamiques du conflit armé. Plus spécifiquement, l'analyse en terme de genre des conflits armés met en lumière les différences entre hommes et femmes dans ce que leurs activités, leurs besoins, leur acquisition et leur contrôle des ressources, leur accès aux processus décisionnels dans les situations d'après-guerre, ont de spécifique, du fait de leur appartenance à un genre (PNUD 2002).

Les hommes en âge de se battre forment la majorité des conscrits et donc des morts et des blessés au cours des combat. Les femmes, cependant, sont les principales victimes de la guerre, soit directement par mort accidentelle ou au cours des combats, soit indirectement par l'éclatement des structures familiales et communautaires (Byrne 1996).

3.2 Femmes et conflit

Les femmes qui se trouvent dans des zones de guerre peuvent être confrontées à des demandes contradictoires de la part du gouvernement et de la société. D'un côté, la nation appelle les femmes à participer aux luttes nationalistes en tant que membre de l'entité nationale. Dans différentes zones de guerre, les femmes ont été mobilisées dans le conflit armé parce que leur apport, leur travail et leurs services étaient nécessaires. Dans le même temps, la construction des femmes en temps que " mères " et " gardiennes de la culture" au sein de mouvements nationalistes de libération a souvent limité leur activisme dans les processus de reconstruction au cours et à l'issue des conflits (Stasiulis 1999).

Les identités des femmes, telles que les ont forgées leurs rôles sexospécifiques de " mères " et de " gardiennes de la culture ", impliquent qu'elles sont des " victimes ", justifiant ainsi l'usage intensif du pouvoir et de la violence pour les protéger. On a souvent le sentiment que cette " protection " a échoué, ainsi par exemple lorsque des actes publics de violence physique et sexuelle comme le viol se

produisent. Les crimes sexuels, qui touchent en grande majorité des femmes, peuvent s'accomplir sous les yeux de la famille et de la communauté, rendant les victimes " souillées " et indignes de protection (Bennett et al. 1995).

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Pas de sexe, merci, nous combattons !

Une exception notable à l'exclusion et la discrimination envers les femmes combattantes s'est produite à Tigray, une province éthiopienne. Le Front populaire de libération du Tigray (TPLF) s'est formé en 1975 dans le but d'instaurer un état éthiopien démocratique. Il a activement encouragé les femmes à rejoindre son combat. Des services d'éducation des femmes et de garde des enfants ont été instaurés pour faciliter leur participation. Les relations sexuelles étaient interdites afin de concentrer les énergies sur les objectifs du combat. Des exceptions furent faites plus tard pour permettre aux femmes de se marier et d'avoir des enfants. Une femme raconte : " la loi anti-mariage avait un rôle positif : entre les hommes et les femmes, il y avait un dialogue, pas d'activité sexuelle. Un homme considérait une femme en fonction de son travail, non de son amant ". (Adapté de Bennett et al. 1995: 9)

Des exemples d'initiative de femmes en faveur de la paix sont souvent cités comme preuve que les femmes sont naturellement protectrices, tandis que les hommes seraient naturellement agressifs et de tempérament guerrier. Des études féministes du Nord et du Sud ont néanmoins contredit la soi-disante nature paisible des femmes au vu de leur engagement dans les luttes de libération nationale, leur soutien direct et/ou indirect aux conflits armés et leurs contributions à la guerre et au militarisme en général (Babiker 1999; Byrne 1996; Cockburn 2002; El-Bushra 2000; Moser and Clark 2001; Kelly 2000).

Les femmes en tant qu'agresseures

Le stéréotype de la femme naturellement protectrice ne reflète pas toujours l'expérience sur le terrain. Les nombreux exemples de femmes qui sont ou ont été d'actives combattantes ou de fervents soutiens d'États " oppresseurs " montre à quel point les allégations sur le comportement des hommes et des femmes peuvent être naïves et manquer d'imagination :

 Les femmes ont adhéré en grand nombre au parti nazi et servi dans les camps d'extermination.  Le régime de Pinochet au Chili dans les années 1970 a reçu le soutien de femmes issues de la

bourgeoisie.

 Des femmes issues des classes ouvrières protestantes et catholiques participent aux émeutes en Irlande du Nord.

 Des femmes ont servi dans l'armée américaine, et l'ont défendue.

 Des exemples existent, de femmes ayant justifié l'usage du viol contre leurs " ennemies " et celles qui n'étaient pas considérées comme de " vrais femmes ". (Adapté de Jacobs, Jacobson et Marchbank 2000: 12-13)

Que ce soit en leurs qualités traditionnelles et peut-être stéréotypées d'épouses et de mères ou dans leur rôle d'agresseurs et de soutien aux conflits, les femmes continuent de subir des discriminations, du fait des structures de pouvoir inégales qui gouvernent leurs relations avec les hommes.

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3.3 Les hommes et la guerre

Les hommes et les femmes subissent la violence différemment au cours et à l'issue du conflit, en leur qualité aussi bien de " victimes " que de " parties prenantes " (Moser et Clark 2001: 7). La violence sexuelle est largement infligée aux femmes mais les hommes et les garçons sont également violés au cours de conflits armés dans une forme de violence destinée à ébranler un pouvoir masculin.

Néanmoins, même lorsqu'il a été établi que des hommes ont été victimes d'abus sexuels sur le champ de bataille, les hommes continuent à être décrits comme des " héros masculins " (Moser et Clark 2001: 3). D'après, Zarkov (2001), dans le cas de l'ex-Yougoslavie, le refus de considérer des hommes comme des victimes de violences sexuelles au cours du conflit armé fut justifié logiquement par les relations de pouvoir pendant la guerre et au cours du processus de création d'entités nationales qui a suivi, qui dictaient quelles personnes pouvaient être étiquetées comme victimes d'abus sexuels. En d'autres termes, une femme peut être une victime mais un homme n'est jamais une victime, ce qui nie l'une des réalités sexospécifiques du conflit armé.

Les hommes ne souffrent pas seulement en termes de violence sexuelle. Ils connaissent aussi des violations de leurs droits humains qui, pour être différentes, sont tout aussi injustes que celles qui affligent les femmes, que ce soit en tant que prisonniers de guerre, soldats ou individus qui s'éloignent des

normes socioculturelles prescrites à leur sexe (homosexuels, hommes pacifistes, par exemple). Les hommes sont également directement visés dans les conflits armés et forment la majorité des pertes causées par les armes légères et de petit calibre (A.L.P.C). Le nombre croissant de ménages dirigés par des femmes dans les zones de conflits est une illustration de la vulnérabilité spécifique des hommes (El Jack 2002).

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Masculinité et conflit armé : les deux vont-ils de pair ?

Le lien entre " masculinité ", militarisation et conflit armé est important. Des analyses féministes identifient les structures militaires comme des institutions masculines, patriarcales, dirigées par et pour des

hommes, basées non sur les " caractéristiques biologiques des hommes mais... sur les constructions culturelles de la " virilité " (Turshen and Twagiramariya 1998: 5). Dans de nombreux contextes culturels, être " vraiment un homme " passe par la capacité à se servir d'une arme (Jacobs et al. 2000: 11).

Cela signifie-t-il que les hommes sont intrinsèquement violents ? NON – la violence masculine dirigée vers d'autres hommes, femmes ou enfants est un reflet d' " attentes masculines " imposées par la société et renforcées par des états avides de manipuler ces attentes pour leurs propres fins politiques (Cockburn and Zarkov 2002; Dolan 2002; Jacobs et al. 2000). Les hommes qui se sentent incapables de remplir leurs rôles " masculins " de protecteurs ou d'agresseurs sont susceptibles de décharger leurs frustrations sur leur famille. Ces actes engendrent par la suite d'autres violences, un manque de compréhension des besoins personnels et de ceux des femmes, comme de leur évolution à l'épreuve de la guerre.

Le fait que la guerre soit généralement faite par les hommes ne prouve en rien que les hommes soient naturellement violents. La guerre est décidée par ceux qui ont le pouvoir et les hommes occupent généralement les positions les plus puissantes. Des exemples existent de femmes dirigeantes au pouvoir, telles Margaret Thatcher et Indira Gandhi, qui ont engagé leur pays dans la guerre.

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4. Répercussions des conflits armés en terme de genre

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Les inégalités entre les sexes sont exacerbées durant les périodes de conflits armés et persistent durant la reconstruction de l'après conflit. Les femmes comme les hommes subissent des exactions et des traumatismes de guerre, des ruptures et des pertes de moyens. L'impact de ses pertes est vécu de différentes manières et les femmes sont souvent plus affectées que les hommes.

Les états et les organisations échouent continuellement à faire appliquer les lois et les conventions internationales destinées à protéger les droits humains des femmes et promouvoir l'égalité des sexes. Les pourvoyeurs d'assistance, qu'ils soient gouvernementaux, non gouvernementaux ou multilatéraux ont mis du temps à répondre à la montée en flèche des violations des droits humains des femmes, au cours et à l'issue des conflits armés en particulier. Les décideurs découragent parfois, voire empêchent le développement d'initiatives ouvertes à la problématique du genre.

Si les initiatives axées sur la problématique hommes-femmes ne sont pas soutenues, une des causes en est le clivage conceptuel entre soutien technique et social. Le soutien technique traite des besoins immédiats tels que le rétablissement de l'eau courante, des réseaux d'assainissements, des services de santé, de l'électricité. Le soutien social, par contraste, s'attaque à des problèmes à plus long terme, plus difficiles à résoudre, avec moins de résultats quantifiables et donc perçus comme une moindre priorité, telles que la scolarisation, la formation et la provision de services sociaux. Ces deux types d'assistance bousculent néanmoins les pratiques sociales, culturelles et religieuses, mais durant les périodes de conflits, on considère qu'il est mal venu d'aborder les relations entre les sexes. Le résultat est que l'impact des interventions techniques, tels que les projets sanitaires à grande échelle, sur les dynamiques de genre, n'est pas évoqué (Williams 2002).

Indépendamment du contexte géographique, économique, politique ou social, les conflits armés rendent plus difficile l'accès à la nourriture, à la santé, à l'éducation et à d'autres biens et services de base. Ce chapitre analyse deux répercussions spécifiques des conflits armés : les violences liées au sexe de la victime ou violences sexospécifiques et le déplacement forcé. En examinant ces questions, il tente également d'illustrer comment la guerre exacerbe des conditions antérieures, caractérisées par l'inégalité et le manque d'accès aux sources.

4.1 Déplacement forcé

" Le déplacement forcé est la violence la plus manifeste des droits humains, économiques, politiques et sociaux et de l'échec à faire appliquer les lois humanitaires internationales " (Moser et Clark 2001: 32).

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Les gens ont souvent été arrachés à leurs foyers, victimes de persécutions politiques, religieuses, culturelles et/ou ethniques au cours du conflit. Quel qu'en soit la cause, le déplacement est une source

de violations des droits humains et se traduit par des types de désavantages distincts pour les femmes et les hommes.

Les personnes déplacées dans le cadre de leurs frontières ne sont pas protégées par la loi internationale

Le déplacement ne signifie pas nécessairement que les gens partent où sont emmenés de force vers des destinations éloignées de leurs foyers pendant et au terme du conflit armé. Les conflits armés des

années 1990 ont vu des millions de gens faire l'objet de déplacements internes ou continuer à vivre dans les frontières de leur pays. La convention des Nations unies pour les réfugiés de 1951 protègent les réfugiés à l'extérieur de leurs frontières natales mais ne couvre pas les personnes déplacées à l'intérieur de leurs frontières. Les possibilités de la communauté internationale sont limitées, lorsqu'elle cherche à protéger des personnes déplacées dans leurs propre frontières, dès lors que leur pays n'est pas disposé à coopérer. Le statut légal des personnes déplacées à l'intérieur de leurs frontières demeure un grave problème. (Adapté de organisation mondiale de la santé 2001: 23).

Le déplacement est souvent considéré comme un phénomène temporaire ou transitoire. L'expérience de pays comme le Pérou, le Sri Lanka, la Somalie et le Soudan montre pourtant que c'est en fait un

processus prolongé. À l'échelle mondiale, de nombreuses générations ont été déplacées dans le cadre d'un conflit armé, dont un nombre significatif l'a été plus d'une fois et pour de longues périodes (Indra 1999).

Le déplacement désavantage particulièrement les femmes en ce qu'il se traduit par un accès réduit aux moyens d'assumer la responsabilité d'un foyer et une violence émotionnelle et physique accrue (El Jack 2002). Le déplacement induit également l'exclusion sociale et la pauvreté — circonstances elles-mêmes susceptibles de prolonger le conflit.

Le déplacement forcé est fréquemment utilisé comme une stratégie de guerre, ciblant les relations de genre au travers de la dislocation des foyers et la déstabilisation sociale. Le déplacement entraîne souvent une évolution des rôles et responsabilités propres à chaque genre, pour les deux sexes. Du fait de l'évolution démographique liée au conflit, un plus grand nombre de femmes deviennent chef de famille. Ceci a favorisé des évolutions dans la division du travail qui, si elles ont créé de nouvelles opportunités pour les femmes, ont aussi, à certains égards, réduit leur place dans la société.

Le déplacement ne touche pas toutes les femmes de la même façon. Au Soudan, par exemple, des groupes ethniques comme les Dinkas, les Nuers, les Nubas ainsi que d'autres groupes vivant dans le

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Sud et dans les monts Nuba, sont marginalisés du fait de leur statut de minorités. Les femmes de ces groupes constituent une fraction de plus en plus en plus grande des victimes de guerre, directes ou indirectes. Qui plus est, le surcroît de responsabilités assumé par les femmes dans le travail productif, reproductif et communautaire est souvent transféré à des garçons et des filles plus jeunes au sein de la famille. En particulier, des filles plus jeunes doivent assumer un plus grand nombre de responsabilités comme la garde des enfants, des personnes âgées et des malades en plus de la gestion d'un travail domestique lourd. Ce transfert de responsabilités a des répercussions sur le bien-être et l'avenir des représentantes féminine du foyer (ibid).

En dépit d'expériences de vulnérabilité et de traumatismes au cours du processus de déplacement, certaines femmes en retirent un avantage. Elles peuvent se voir donner la priorité à des programmes de formation et de développement en matière de santé et d'éducation, ainsi qu'à des activités génératrices de revenus. Les compétences qu'elles en retirent leur permettent d'assumer de nouveaux rôles au sein de leurs foyers et de devenir les principaux soutiens de famille quand les hommes ont été tués ou ont du mal à trouver un emploi loin de leurs foyers et de leurs communautés. Cette évolution des responsabilités représente un pas vers l'abandon de rôles " masculins " et féminins " stéréotypés. Les hommes,

cependant, peuvent réagir à ses évolutions par la dépression, l'alcoolisme et une aggravation de la violence contre les femmes en public et en privé. (de Alwis and Hyndman 2002).

Une plus grande autonomie ne se traduit pas nécessairement par l'égalité des genres

Les études de cas menées par l'Agence pour la Coopération et la Recherche en Développement (ACORD) en Angola, au Soudan, en Somalie et en Ouganda démontrent que si les conflits ont élargi l'éventail des rôles économiques des femmes et leur ont donné une plus grande autonomie, il ont rarement conduit à une influence politique accrue ou à une plus grande égalité des sexes. Les seules évolutions observées, pour ainsi dire, l'ont été dans les relations quotidiennes au sein du foyer, mais il est encore trop tôt pour dire si celles-ci sauront se prolonger sur le long terme (El-Bushra, El-Karib and Hadjipateras 2002: 5).

Les gains relativement faibles que les femmes obtiennent au cours d'un déplacement ne se traduisent pas forcément par des rapports sociaux de sexe plus égalitaires. La promotion "des questions féminines à un niveau superficiel, focalisé sur elles, et qui ne parvient pas à remettre en cause les paradigmes généraux des différences entre les genres, laisse les femmes avec de nouveaux rôles mais sans leviers institutionnels pour les assumer effectivement" (El-Bushra 2000b: 6). De plus, il faut s'inquiéter de ce que les lois et résolutions internationales existantes, si elles utilisent le terme "genre", se focalisent en réalité spécifiquement sur les femmes. Cet aspect est certes important, mais, ce faisant, elles ne fournissent tout bonnement pas les moyens de comprendre les répercussions en terme de genre, réduisant les possibilités de développer des relations de genre plus équitables.

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4.2 Les violences liées au sexe de la victime

La violence physique et sexuelle, surtout à l'encontre des femmes, reste une caractéristique largement documentée des conflits armés. Par violence liée au sexe de la victime, ce rapport entend une violence, sexuelle ou autre, qui joue sur les normes et les exclusions de genre, pour briser les individus aussi bien physiquement que psychologiquement. Bien que les femmes soient le plus souvent la cible de ce type de violences, les hommes comme les femmes peuvent être victimes ou exposés à ses diverses formes et conséquences : le viol, l'augmentation du taux d'infection par le virus HIV/SIDA et d'autres infections sexuellement transmises, l'altération de leur santé physique et psychologique ; la dislocation de leurs vies, la perte d'assurance et d'estime de soi.

La violence à l'égard des femmes

La guerre aggrave les formes de violence sexuelle à l'égard des femmes de deux manières essentiellement. D'abord, les incidences de la violence "quotidienne", la violence domestique en particulier, augmentent avec l'éclatement des communautés pendant et après le conflit (ONU 2002). Deuxièmement, la violence "quotidienne" augmente dans le cadre de situations de conflits militarisés et masculins. L'établissement de camps de viols et la fourniture de services sexuels aux forces armées occupantes en échange de ressources comme la nourriture et la protection sont deux exemples de violences liées au sexe de la victime, au cours et à l'issue du conflit. Les conflits engendrent des types de relations et de déséquilibres de pouvoir spécifiques. Dans une situation de conflit, par exemple, la

violence à l'égard des femmes ne se limite pas à l'exercice du pouvoir sur leurs personnes. En violant les femmes, qui représentent la pureté et la culture de la nation, les armées d'invasion violent aussi

symboliquement la nation elle-même.

Certaines formes de violence sexospécifique au cours et dans le prolongement du conflit sont presque exclusivement commises à l'encontre des femmes et des filles, comme la prostitution forcée et le travail sexuel, la recrudescence des trafics pour les réseaux d'esclavage sexuel ou autre, les grossesses forcées. De même, la violence sexospécifique a des conséquences distinctes pour les femmes et les filles : mutilations sexuelles, stérilité, problèmes de santé

génésique/gynécologiques chroniques, mise à l'écart de la famille et de la communauté du fait du déshonneur associé aux sévices sexuels subis (ONU 2002).

Dans les zones de conflit, la violence sexuelle est devenue une arme de " purification ethnique", comme ce fut le cas en Bosnie-Herzégovine et au Kosovo, où le viol servait à la police et aux forces paramilitaires serbes à punir les femmes membres de l'armée de libération du Kosovo (Human Rights Watch 2000). Cette utilisation du viol en Bosnie explique une partie des déplacements liés au conflit au Kosovo.

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Le viol en tant qu'arme de guerre

" Des femmes ont raconté à Human Rights Watch leurs craintes qu'elles et leurs filles se fassent violer. Des rumeurs de viols circulaient largement pendant que les familles tentaient de fuir leurs foyers. Les femmes d'un certain âge habillaient souvent leurs filles de vêtements larges et de fichus pour tenter de déguiser les jeunes filles en grand-mère. D'autres femmes barbouillaient de boue les visages de leurs filles pour les rendre indésirables. Comme l'a dit une mère à Human Rights Watch, " j'avais surtout peur pour mes filles. J'ai perdu dix-huit kilos pendant la guerre parce que j'avais peur que mes filles se fassent violer. " D'après une autre femme, " les filles avaient peur de la police et ont mis des écharpes. Les policiers ont retiré leurs écharpes et leur ont pincé les joues en leur disant de ne pas se conduire comme des vieilles femmes. Les filles hurlaient. " Selon un médecin de Pristina, " le viol était notre plus grande crainte. Notre principal objectif était d'emmener nos filles – âgé de 25, 21, 14 et 10 ans – hors du pays " (Vandenberg 2000).

Sous la pression des organisations de femmes, le Traité de Rome de la Cour Pénale Internationale (CPI) reconnaît aujourd'hui et poursuit les violences sexuelles et sexospécifiques comme des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité. Ces délits criminels embrassent, d'après le traité, " le viol, l'esclavage sexuel (y compris la traite des femmes), la prostitution forcée, les grossesses imposées, la stérilisation obligatoire, ainsi que d'autres formes de violences sexuelles graves et la persécution sur la base de l'appartenance sexuelle " (Human Rights Watch 2002).

À la suite de violences sexuelles, les femmes sont souvent rejetées par leur famille ou leur communauté. Malgré la compassion pour le traumatisme que ses femmes ont souffert, la société marque les victimes comme " des biens endommagés (Bennett et al. 1995: 9). Les femmes ont également des besoins sanitaires particuliers, en conséquence de ses violations. Par exemple, elles demandent un apport nutritionnel et une prise en charge sanitaire supplémentaire si elles sont enceintes ou en période d'allaitement. La pénurie alimentaire et les inégalités dans la répartition de la nourriture sont exacerbées durant les périodes de conflit armé, exposant davantage les femmes et les filles à la malnutrition (ONU 2002). L'augmentation du taux d'infection par le virus HIV/sida dans les zones de conflit constitue également une tendance préoccupante – confrontées à un risque accru, les femmes ont donc besoin d'un soutien sanitaire, psychologique, et social spécifique.

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HIV/SIDA : une épidémie grandissante qui prospère avec la guerre

L'infection par le virus HIV augmente dans les zones touchées ou récemment affectées par un conflit armé. De nombreux conflits font rage dans des zones déjà fortement affligées par ce fléau (Smith 2002: 1). Les ruptures et les déplacements occasionnés par le conflit peuvent entraîner des modifications du comportement sexuel, une augmentation du taux d'abus sexuels (par les forces armées, par exemple) ou un moindre accès aux services de dépistage (ibid). Des études conduites au Rwanda et en Sierra Leone ont découvert que des faveurs sexuelles étaient souvent exigées en échange de nourriture, entraînant une augmentation du nombre de partenaires sexuels chez les femmes (Benjamin 2001).

L'infection par le virus HIV est souvent perçue comme un problème d'ordre avant tout médical, qui n'est pas une priorité dans les conflits. On perd de vue son multiple enracinement dans les situations

d'instabilité politique, économique et sociale (Smith 2002: 2). Devant la forte stigmatisation/ dont sont encore victimes/que continuent de subir les malades du sida/du fait de l'opprobre persistante qui continue d'entacher les personnes infectées par le virus, les femmes comme les hommes sont peu susceptibles de parler ouvertement de ces problèmes. En conséquence, il est plus nécessaire encore d'atteindre ces victimes. C'est particulièrement le cas pour les femmes, qui sont typiquement incapables d'accéder aux services médicaux.

Les hommes en tant que cibles directes et indirectes

Bien que les hommes soient souvent les auteurs de viols et de violences dans les conflits armés et les femmes leurs victimes, les hommes eux-mêmes peuvent être l'objet de sévices physiques et sexuels. Les abus sexuels, la torture et la mutilation peuvent être dirigées contre des hommes détenus ou prisonniers de guerre (ONU 2002). Une étude menée au début des années 1990 dans le nord de l'Ouganda montrait une prévalence accrue des infections transmises sexuellement parmi les hommes, " qui serait due au viol indiscriminé des hommes " par l'Armée de Résistance Nationale (NRA) (Dolan 2002: 74).

Les ateliers d' ACORD sur la violence sexuelle confirment à quel point il est difficile de prendre la mesure des viols masculins, du fait de la réticence des victimes à en parler (Dolan 2002). Dolan affirme que " le degré d'opprobre attaché [au viol d'un homme] est plus fort encore que celui associé au viol d'une femme ", et que " porter atteinte au sentiment de virilité des hommes devient pour certains hommes un moyen clé d'exercer leur pouvoir sur d'autres hommes " (2002: 75). En ce sens, le viol ou l'abus sexuel en tant que démonstrations de " masculinité " ou de pouvoir sont des armes potentielles, dont les hommes et les femmes peuvent être tout aussi injustement victimes dans les zones de conflit.

Les hommes sont également les cibles indirectes de violences à l'égard des femmes. Le viol des femmes est perçu depuis longtemps comme un acte d'agression publique, où violer et " déshonorer " les femmes est un moyen de " violer et démoraliser les hommes " (Bennett et al. 1995: 8). Les femmes sont

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considérées comme les garantes de l'honneur familial et symbolisent souvent la culture et la pureté raciale d'une nation. L'abus sexuel et la torture des femmes devant un homme de leur famille servent à véhiculer le message qu'il a échoué dans son rôle de protecteur " (ONU, 2002: 16). Ces actes

représentent une attaque contre le pays tout entier en même temps qu'une violation des droits humains des femmes.

Bien que les hommes soient susceptibles d'être les agresseurs, nous ne pouvons " bâtir de suppositions quant au comportement des hommes en tant que groupe... Certains hommes ne tirent aucun avantage et peuvent même indirectement souffrir d'actes de violence sexuelle perpétrés contre des membres

féminins de leur famille " (Jacobson et al. 2000: 2-3). Il ne s'agit pas, ici, de minimiser l'immense

souffrance directement infligée aux femmes à la suite de sévices sexuels, mais plutôt d'illustrer le fait que la violence sexospécifique rompt et déstabilise les relations de genre, causant des dégâts souvent irrémédiables qui frappent tout le monde de manière négative.

Une arme de guerre enveloppée de silence

'[les femmes qui ont été] violées pendant la guerre en parlent à leurs proches amies. On entend rarement parler de femmes s'exprimant en public sur toutes ces choses qui leur sont arrivées. Elles préfèrent encore souffrir en silence en attendant de pouvoir tourner la page. Elles tentent de vivre avec, ou de vivre avec l'idée qu'elles ne sont pas seules dans leur cas. Si des centaines d'autres filles parviennent à vivre avec, alors, c'est que c'est possible, en attendant que petit à petit, ça s'efface... Mais la plupart des viols étaient commis en public. Votre fille peut plaire à l'un des rebelles et juste sous vos yeux – la maman, le papa, les autres frères et sœurs – le viol aura lieu. C'est comme ça que tant de filles ont su que leurs amies avaient été violées.' (Extrait du récit d'Agnès au Liberia dans Bennett et al. 1995: 39)

Violence sexospécifique et relation entre les gens

De quelle manière la violence sexospécifique affecte-t-elle les relations entre les genres ? Son impact est visible, entre autres, dans la sphère privée ou domestique, où les femmes sont susceptibles de subir une violence accrue, non seulement des mains des forces étatiques ou occupantes mais aussi de la part des hommes du foyer à l'issue du conflit. Dans les zones de combat, les femmes connaissent souvent des sévices physiques et sexuels de la part de conjoints mâles avilis par le conflit et mortifiés par la culpabilité et la colère de n'avoir pu assumer ce qu'ils percevaient comme leur responsabilité et d'avoir échoué à protéger leurs femmes (El Jack 2002). Il convient toutefois de garder à l'esprit que l'augmentation de la violence sexospécifique au cours et à l'issue du conflit reflète souvent des formes de violence qui existaient avant le conflit.

Les notions de domaines " publics " par opposition au " privé " dressent des obstacles dans le traitement des victimes de violences physiques et sexuelles. La violence est considérée comme un problème privé tantôt au sein qu'en dehors des conflits armés. La division entre public et privé rend nombre de ces

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problèmes " invisibles " " soient littéralement, parce qu'ils se produisent à huis clos, soit de fait, parce que, trop souvent, les systèmes légaux et les normes culturelles les traite non comme des crimes mais comme des affaires de famille ou de banales péripéties de la vie courante " (WHO 2003). Les choses se compliquent encore dans le déroulement d'un conflit armé car la violence physique et sexuelle, en particulier à l'égard des femmes, se manifeste souvent en public et sous le regard de toute la famille et/ou de la communauté. Cependant, pour les femmes comme pour les hommes, l'évacuation du traumatisme est souvent freinée par une incapacité à en discuter du fait que cette violence est considérée comme une affaire privée.

Le travail sexuel et l'esclavage sexuel dans le cadre d'un conflit ont également des conséquences sur les relations de genre. Dans les zones de conflit, les femmes sont parfois conduites à offrir des services sexuels aux soldats pour survivre. Mais comme le démontre l'encadré ci-dessous, les hommes ne sont guère enclins à accepter cette évolution des rôles, engendrant un ressentiment durable et la dislocation de la cellule familiale.

Pas de petit sacrifice : travail sexuel et conflit armé

" Les hommes ont le sentiment que les femmes sont responsables de ce qui s'est passé, que nous l'avons fait de notre plein gré. Ils nous considèrent comme des prostituées. Durant cette période, ils étaient impuissants. On aurait dit des bébés. Ils étaient incapables de veiller sur leur famille. Une épouse devait tout sacrifier, elle-même, le contrat de mariage, tout, pour sauver la famille mais les hommes ne sont pas reconnaissants... Nous avons tout sacrifié, nous-mêmes, notre image dans la société, notre intégrité, tout, pour sauver leur vie et les enfants. Alors, face aux hommes du Liberia, je réagis comme eux. Puisqu'ils me prennent pour une roulure, une prostituée, je les considère comme des animaux... Ils ont oublié toutes les souffrances que nous avons endurées pour eux " (Extrait du récit d'Agnès au Liberia dans Bennett et al. 1995)

Le déroulement du conflit armé lui-même peut mener à des types de violences sexospécifiques

particulières, dues à l'évolution des relations entre les sexes, surtout lorsque les femmes sont actives en tant que combattantes ou opposantes dans un conflit. Les femmes qui ne remplissent pas les rôles typiquement dévolus à leur sexe sont perçues comme méritant de subir des sévices ou des tortures violentes.

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Torturée pour avoir "trahi sa féminité"

Nora Miselem est une militante des droits des femmes et l'une des quatre seules survivantes, sur près de 200 personnes kidnappées, emprisonnées et torturées, de la terreur d'état imposée au Honduras dans les années 1970 et 1980. Soutenues par plusieurs gouvernements américains successifs, les dictatures du Guatemala, du Nicaragua et du Salvador combattaient toute velléité des mouvements populaires socialistes de prendre racine, entraînant la migration d'une masse de réfugiés menacés de persécution. Nombre d'entre eux finirent dans les camps de réfugiés à la frontière du Honduras et du Salvador. Nora raconte ainsi son expérience :

"Ils disaient qu'ils allaient me stériliser parce que je ne méritais pas d'avoir d'enfants Cette idée qu'ils avaient de la femme comme un être sublime dont le rôle sacré est de porter des enfants. D'après eux, je rompais avec la tradition de ce qu'une femme était supposée être. Et ils allaient me punir, de leur point de vue, afin que je ne puisse pas avoir d'enfants. Une femme comme moi ne méritait pas d'être mère... J'avais donné le jour à un petit garçon, mon premier, mais il était mort à l'âge de deux ans... alors leur torture psychologique faisait mouche... Ils me disaient : "tu sais pourquoi ton fils est mort, n'est-ce pas ? Parce que tu t'es engagée dans tout ce truc, sous-entendant que je n'étais pas une bonne mère."

"C'est là, dans cette salle de torture que j'ai connu le traitement spécial qu'ils réservaient aux femmes. Toute cette morale ambigüe. Parce que d'un côté, ils disaient que je ne méritais pas d'avoir d'enfants, que j'étais une chienne et qu'ils allaient me stériliser. Mais en même temps, individuellement, chaque fois que l'un d'eux m'avait pour lui tout seul, il essayait de me violer. Il entrait, me mettait la cagoule et un sac en caoutchouc — comme un pneu qui vous étouffe — et je ressentais ces chocs électriques dans mon vagin...

"Ils nous disaient que nous étions des traitres à notre féminité, ou ce qu'il considérait pour tel. Comment une femme peut-elle s'engager dans ce genre de choses, demandaient-ils, avec des hommes, en plus ? [Ils nous disaient] que la guerre est une affaire d'hommes ou que se battre contre la guerre était réservé aux hommes...

"Ils ne supportent pas de voir une femme qui pense par elle-même, qui veut changer le cours de l'histoire, qui veut changer l'avenir de son pays. C'était leur attitude quand ils me torturaient tous

ensemble. Mais quand l'un d'entre eux, n'importe lequel, venait seul, il me disait qu'il voulait que je porte son enfant, "je veux un enfant de toi", qu'il disait, en se moquant de moi. Je devais lutter pour les empêcher de me pénétrer. Et moralement parlant, ils ne l'ont jamais pu... J'étais vaincue physiquement mais pas vaincue moralement, émotionnellement ou idéologiquement. Le seul recours que j'avais était d'attaquer leur morale, parce qu'ils voulaient violer une femme qui avait peur. Mais mes paroles n'étaient pas celles d'une femme qui avait peur." (Extrait du récit de Nora Miselem dans Randall 2003: 28-29)

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