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L'assistance humanitaire

6. Le genre dans les interventions au sein des conflits

6.1 L'assistance humanitaire

L'aide humanitaire consiste en l'approvisionnement d'une vaste gamme de biens et services d'urgence au cours du conflit et à son terme, pendant la période de reconstruction : prêts d'urgence, services

médicaux, organisation locale, protection, formation, refuge, habillement, équipement ménager,

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les organisations bi- et multilatérales et les organisations non-gouvernementales fournissant l'expertise technique, formative et professionnelle pour reconstruire les communautés.

Pour la communauté européenne (UE), l'assistance humanitaire s'attache à :

… prévenir et soulager les souffrances, [et] est accordé aux victimes sans discrimination de race, d'appartenance ethnique, religieuse, de sexe, d'âge, de nationalité ou d'affiliation à un parti politique et ne saurait être guidée par ou soumise à des considérations politiques… Les décisions d'assistances humanitaires doivent être prises impartialement et au regard des seuls intérêts et besoins des victimes … (Règlement 1257/1996 du Conseil de l'Europe, citée par Stevenson and Macrae 2002).

L'évaluation " impartiale " des besoins et de l'intérêt des victimes, telle que le souligne la définition, risque néanmoins d'évacuer les problèmes sexospécifiques au moment de sa concrétisation. La discrimination fondée sur le sexe se caractérisant souvent par une répartition inégale des ressources, la façon dont s'effectue la distribution des ressources, en tant qu'aide directe ou d'assistance indirecte peut grandement affecter les relations entre les sexes. Malheureusement, les interventions des groupes humanitaires témoignent souvent d'une absence de sensibilité à la notion de genre. Les groupes marginalisés — sur quelque critère que ce soit : sexe, race, classe, appartenance ethnique, religion, culture, nationalité, sexualité ou filiation politique — peuvent être encore plus défavorisés par des programmes d'aide et d'assistance humanitaire qui adoptent une attitude de " neutralité " supposée. (de Alwis and Hyndman et 2002: 28).

Alors même que les relations de genre pourraient être grandement améliorées au travers d'interventions à long terme visant à l'intégration sociale et économique des femmes, l'assistance au développement sur le long terme diminue tandis que le financement d'urgences humanitaires complexes augmente en proportion. En fait, dans les années 1990, l'aide internationale aux régions en guerre a été multipliée par cinq pour atteindre 5 milliards de dollars US tandis que l'aide au développement à long terme connaissait une baisse importante (Boutwell and Klare 2000). Les gouvernements donateurs ont montré une

préférence pour le financement d'organisations internationales qui gèrent des crises humanitaires d'urgence, à court terme, et un intérêt diminué en proportion pour les périodes de reconstruction.

Autrement dit, il y a encore moins d'argent disponible pour l'assistance à long terme et lorsque des fonds existent, l'égalité des sexes voit sa place considérablement réduite dans les priorités de l'après-guerre.

Fournir immédiatement des produits de première nécessité comme la nourriture, un refuge et des activités génératrices de revenus revêt une importance cruciale pour les sociétés déchirées par des conflits, notamment pour les femmes qui se retrouvent souvent avec la responsabilité de faire vivre leur famille. Mais les initiatives qui accordent une importance disproportionnée aux besoins immédiats ou à

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court terme plutôt qu'au développement à long terme sont impuissantes à réellement transformer les relations entre les sexes et améliorer la vie des femmes.

La décision de l'Organisation Internationale du Travail (OIT) de fournir aux femmes des opportunités de générer un revenu à court terme après un conflit reconnaissait que l'allocation de moyens aux femmes ne garantissait pas à elle seule le succès économique ou l'acceptation sociale (Bouta and Frerks 2002). Les déséquilibres de pouvoir entre les hommes et femmes étant exacerbés au cours et à l'issue des conflits, l'égalité des sexes ne progressera que par le soutien aux femmes, aux hommes et aux communautés en phase d'adaptation au contexte de l'après-guerre. Néanmoins, étant de court terme par nature, l'aide humanitaire est souvent incapable d'apporter ce niveau de soutien.

L'aide humanitaire délivrée par les organisations ou les États répugne également souvent à s'attaquer au problème de la violence sexospécifique. En principe, la reconnaissance du viol comme un crime de guerre, en plus de l'importante couverture médiatique du viol en tant qu'arme de guerre en Bosnie et au Rwanda, ont fait entrer la violence sexospécifique dans le domaine public et en ont fait une priorité acceptable de l'intervention humanitaire. En réalité, cependant, rapporter et reconnaître ses crimes peut s'avérer difficile, surtout si l'on considère que dans la majorité des cas, la victime (homme ou femme) connaît son agresseur, ou l'événement violent s'est déroulé dans le cadre domestique. Les organisations internationales témoignent encore d'une certaine réticence à répondre à ces problèmes, les considérant " trop difficiles, trop compliqués et trop privés " (Williams 2002: 99). De la même façon, les agences humanitaires refusent ou sont dans l'incapacité de contrôler l'envolée des taux d'infection par le virus HIV/SIDA dans les situations de conflit, parmi les femmes en particulier (Smith 2002).

Même lorsque les O.N.G. sont orientées vers le développement à plus long terme et manifestement dédiées à " l'intégration systématique du genre " et sensibles "à la dimension hommes-femmes ", leur démarche peut être biaisée. Certaines abordent les problèmes sexospécifiques de manière superficielle en animant des ateliers professionnels ad hoc ou en se contentant d'ajouter des points de vue de

femmes à une stratégie plus large, qui reste globalement conventionnelle dans son hermétisme au genre (de Alwis and Hyndman 2002).

Au Sri Lanka, des O.N.G. délivrant des secours d'urgence ont mis l'accent sur certaines activités

génératrices de revenus en direction des femmes comme l'élevage de volaille, le jardinage et la couture, renforçant ainsi les rôles stéréotypés socialement dévolus à leur sexe et pour un bénéfice plus faible encore. À la différence de leurs homologues masculins, les femmes étaient "encouragées à devenir infirmières ou dactylos (rôles d'assistantes) plutôt que médecins ou chefs de service (de Alwis and Hyndman 2002: 12). Former les femmes dans des rôles non-traditionnels ne mènera vers une plus grande égalité des sexes que si les prises de contact et la formation aident les femmes, les hommes et les communautés à accepter les changements intervenus dans la société d'après guerre.

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Inégalité des sexes dans l'aide humanitaire au Kosovo

Oxfam a participé aux actions humanitaires d'urgence au Kosovo en 1999. Oxfam a déployé des efforts considérables pour intégrer systématiquement la prise en compte du genre et incorporer des éléments d'assistance humanitaire " durs " (techniques) et " tendres " (sociaux). Cette détermination a pourtant volé en éclats sous l'œil attentif des médias, à l'heure où d'importantes sommes d'argent étaient transférées à Oxfam, à dépenser rapidement.

Au Kosovo, ce revirement a d'abord engendré des inégalités entre les sexes dans le recrutement et le paiement du personnel : de jeunes réfugiés kosovars diplomés, de sexe masculin, qui travaillait avec les ingénieurs de l'eau ont été payés, tandis que de jeunes réfugiées kosovares diplomées, de sexe féminin ne l'étaient pas, une omission qui fut rectifiée un peu plus tard. Néanmoins, la division traditionnelle du travail entre les sexes resta inchangée, des programmes " durs " comme l'ingénierie de l'eau étant presque exclusivement assumés par des hommes tandis que les programmes " tendres " embrassant le genre, l'aide aux invalides, le développement social et la promotion de l'hygiène employaient presque exclusivement des femmes. Les équipes du programme sur l'eau avaient chacune accès à leurs propres véhicules neufs — moyens hautement désirables dans la période de crise — tandis que les équipes chargées du développement social, du genre, de la promotion de l'hygiène et de l'aide aux invalides devaient se partager un unique vieux véhicule en piteux état (Adapté de Williams 2002: 96).

Là où la priorité a été donnée aux femmes dans les programmes d'assistance, ceci a, au moins superficiellement et à court terme, relevé leur statut de défavorisées et accru les moyens mis à leur disposition pour faire vivre leurs foyers et leurs communautés. Cependant, sans un examen des structures de pouvoir sexospécifiques, ces programmes risquent d'être dans l'incapacité de combattre l'inégalité des femmes (El-Bushra 2000b).

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