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Protéger les droits humains et promouvoir l'égalité des sexes

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La violation persistante des droits humains, en particulier ceux des femmes, dans les zones de conflits continue à se produire en dépit de lois et de conventions internationales destinées à empêcher de telles violations. Il nous faut donc établir :

1. Quels cadres sous-tendent les lois, conventions et droits internationaux relatifs aux conflits armés ? Quelle approche ces instruments ont-ils du genre ?

2. Que protègent réellement les lois, conventions et droits internationaux ?

3. Pourquoi ces lois et engagements internationaux sont-ils si faibles en pratique ?

La première section de ce chapitre examine les concepts de droits humains et de sécurité humaine, qui forment le socle de nombreux engagements et lois internationaux.

5.1 Droit humains ou sécurité humaine : que privilégier ?

Les droits humains

Historiquement, les définitions traditionnelles des droits humains, bien qu'apparemment neutres en terme de genre, ont été majoritairement basées sur les expériences des hommes. L'article II de la Déclaration Universelle des droits de l'Homme de 1948 reconnaît les droits humains comme un idéal de respect universel pour l'humanité, auquel tous les individus peuvent prétendre mais ne fait aucune mention spécifique des femmes. En fait, un tout petit nombre de gouvernements et d'ONG inscrivent l'égalité des femmes comme un droit humain fondamental dans leurs politiques intérieures ou étrangères (Peters and Wolper 1995). Dans les zones de conflit, le refus de reconnaître les droits humains des femmes a renforcé l'oppression et la discrimination. Combiné à d'autres formes de déséquilibre du pouvoir, les conséquences de ce refus sont plus dévastatrices encore.

Mettre l'accent sur les droits humains est important mais insuffisant pour répondre aux problèmes relatifs à l'égalité des genres. Les violations qui se produisent à toutes les étapes des conflits armés sont souvent considérées comme de simples conséquences de la guerre et pas nécessairement comme des violations des droits humains, et passent de ce fait fréquemment inaperçues :

 Si les conflits armés violent le droit fondamental à la vie et à la sécurité, les femmes connaissent des vulnérabilités et des violences spécifiques de la main de soldats, au nombre desquelles les

grossesses forcées, les mutilations sexuelles et l'esclavage sexuel (Anderlini 2001). De la même manière, les hommes peuvent subir des abus sexuels ou des sévices physiques, ou souffrir de traumatismes en voyant ce type d'exactions commises sur des membres de leur famille. Ces types

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de violations sont perçues comme des affaires "privées" ou des retombées inévitables du conflit, non comme des violations des droits humains.

 La violation des droits humains en période de conflit se manifeste également sous la forme

d'emprisonnements, de tortures, de disparitions et d'enrôlement forcé mais, là encore, ces actes sont perçus comme des retombées inévitables de la guerre plutôt que comme des violations. Les

hommes et les femmes subissent des violations de leurs droits humains distinctes et spécifiques. Les hommes en âge de combattre forment la majorité des pertes combattantes, risquent

l'emprisonnement et la conscription forcée. Dans le même temps, les femmes et les enfants des zones de conflit représentent la majorité des victimes civiles et la majorité des personnes déplacées et appauvries (Byrne 1996).

 La représentation et la participation politique sont des droits humains fondamentaux. Mais, en période de conflit ou non, les institutions politiques excluent fréquemment les femmes. Les femmes sont sous-représentées dans les organisations nationales et internationales aussi bien pendant qu'à l'issue des conflits (P.N.U.D. 2002). Cette violation des droits humains n'est pas définie comme telle mais plutôt vue comme un reflet des structures de pouvoir normales, "patriarcales", qui sont en place. Elle est donc rarement remise en cause, et d'autant moins en période de conflit armé.

En bref, les approches sous l'angle des droits humains continueront à ignorer de graves violations tant qu'elle ne reconnaîtront pas les répercussions sexospécifiques des conflits armés comme une violation des droits fondamentaux et non comme des conséquences inévitables, normales et d'ordre privé des conflits armés.

Droits des femmes en Afghanistan

Dans l'Afghanistan de l'après-conflit, de l'après-Talibans, redéfinir les droits des femmes comme des droits humains et non comme des problèmes "privés" ou "culturels" est un combat permanent. Le nouveau gouvernement Karzai revendique d'avoir annuler les lois talibanes et dit se prévaloir désormais des lois internationales sur les droits humains. Pourtant, la perspective de voir des évolutions significatives dans les relations de genre après la guerre semble s'éloigner. De nombreuses femmes continuent d'être emprisonnées pour avoir voyagé sans compagnie masculine ou de s'être marié sans permission masculine, comme c'était le cas sous le régime des Talibans.

Tandis qu'une campagne d'affiche gouvernementale encourage les parents à mettre leurs filles à l'école, les enseignantes sont menacées de mort et les écoles sont la cible d'attentats. Malgré la pénurie de médecins, Najiba Asseed, une femme qui avait fait le choix de retourner à l'Institut Médical Universitaire de Khaboul dut faire face à une furieuse opposition de son mari et des menaces de mort de la part de son frère. Ayant formulé une demande de divorce auprès du nouveau Ministère des femmes, elle fut encouragée à "quitter l'institut médical pour rentrer chez son mari et faire des enfants" (Garapedian 2002).

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Sécurité de la personne humaine

La sécurité humaine renvoie à la sécurité des individus (des personnes défavorisés, en particulier) face à certaines "menaces chroniques comme la faim, la maladie et la répression . . . [et] certaines ruptures douloureuses dans la configuration de leur vie quotidienne – que ce soit au niveau des foyers, du travail ou de la communauté" (P.N.U.D. 1994: 23).

L'approche sous l'angle de la sécurité humaine se fonde sur le précepte que tous les individus "ont des droits humains fondamentaux et doivent avoir la jouissance de ces droits indépendamment de qui ils sont et où ils se trouvent " (ibid). Sous l'angle du genre, le terme implique que l'ensemble des hommes et des femmes ont droit à la sécurité, y compris à la sécurité économique, alimentaire, sanitaire et

environnementale (ibid). Les points de vue féministes sur la sécurité humaine établissent un lien supplémentaire entre développement durable, justice sociale et protection des droits humains et des capacités, comme des aspects incontournables de toute discussion sur la sécurité humaine (AWID 2002).

Envisager l'étude du genre et des conflits armés sous l'angle de la sécurité humaine est une démarche pertinente en ce qu'elle établit un lien entre égalité des sexes et sécurité individuelle. À la différence de l'approche sous l'angle des droits, mettre l'accent sur la sécurité humaine implique que tout ce qui menace cette sécurité est une violation des droits humains, y compris les violations sexospécifiques longtemps considérées comme des retombées inévitables, normales ou d'ordre privé, de la guerre. Cependant, même avec un cadre orienté sécurité, en pratique, il y aura toujours des résistances à la reconnaissance de ces violations.

Une approche sous l'angle de la sécurité humaine est également problématique en ce que les états et les organisations multilatérales peuvent les adapter à leurs objectifs politiques propres (Enloe 1993). Les attaques contre le World Trade Center, le 11 septembre 2001, aux États-Unis, par exemple, ont servi de prétexte à une présentation raciste des musulmans et des personnes originaires du Moyen-orient au nom de la "sécurité intérieure". Les développements actuels de la politique étrangère américaine laissent fortement à penser que l'argument de la sécurité humaine va continuer à justifier de nouvelles guerres comme celle contre l'Afghanistan en 2001 ou l'Iraq en 2003.

5.2 Lois, résolutions et conventions internationales

Les droits humains des femmes (et des filles) s'incarnent dans un certain nombre d'instruments

internationaux de défense des droits de la personne humaine et de lois humanitaires internationales. Ces instruments condamnent d'une seule voix toutes les formes de violence à l'égard des femmes. Nombre d'entre eux font même spécifiquement référence à l'inclusion d'un "élément de genre" en matière de "paix et de sécurité", notamment la Résolution 1325, la Déclaration de Windhoek et le Plan Namibia (ONU 2000). Ces lois et résolutions insistent pour que ceux qui négocient et font respecter les accords de paix

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adoptent un point de vue soucieux de l'égalité des genres et s'attachent à rendre effectifs les protections et les droits des femmes et des filles au cours du conflit et dans la période de reconstruction.

Les lois et conventions internationales protégeant les droits humains des femmes

Nous présentons ici d'importants instruments internationaux de défense des droits humains et lois humanitaires internationales relatives aux droits humains des femmes :

 Charte des Nations Unies (1945)

 Déclaration universelle des droits de l’homme (1948)

 Convention de Genève sur les droits économiques, sociaux et culturels (1966), Bureau du haut-commissaire des Nations Unies pour les droits de l’homme (OHCHR)

 Déclaration sur la protection des femmes et des enfants en période d’urgence et de conflits armés (1974), Bureau du haut-commissaire des Nations Unies pour les droits de l’homme (OHCHR)  Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW)

(1979)

 Stratégie prospective d’action de Nairobi pour la promotion des femmes (1985)  Déclaration et programme d’action de Vienne (1993)

 Déclaration sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes (1993)  Déclaration et plate-forme de Beijing (1995)

 Haut-commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR), politique pour la protection des réfugiés (1995/révisée en 1997)

 Protocole facultatif à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (1999)

 Déclaration de Windhoek : Plan d’action de la Namibie sur l’intégration d’une démarche soucieuse d’équité entre les sexes dans les opérations multidimensionnelles de paix (2000)

 Résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations Unies (CSNU) sur les femmes, la paix et la sécurité (2000)

 Résolution du Parlement Européen sur l’intégration de la dimension de genre dans la résolution des conflits et la consolidation de la paix (2000)

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Qu'est-ce que la Résolution 1325 du conseil de sécurité de l'ONU ?

En octobre 2000, le Conseil de sécurité des Nations Unies ouvrit une discussion sur les femmes, la paix et la sécurité, qui se traduisit par l'adoption de la Résolution 1325 du Conseil de sécurité, le 31 octobre 2000. Entre autres choses, la résolution reconnaît qu'une compréhension des répercussions des conflits armés sur les femmes et les filles et des dispositions institutionnelles effectives pour garantir leur protection et leur participation pleine et entière aux processus de paix peuvent contribuer de manière significative à la paix et à la sécurité internationale. Les Nations Unies appellent toutes les parties impliquées dans les processus de conflit et de paix à adopter une perspective de genre. Cela signifie soutenir les initiatives locales des femmes en faveur de la paix et les processus autochtones de résolution de conflit. Le Groupe de travail sur les femmes, la paix et la sécurité, une organisation non-gouvernementale, s'efforce aujourd'hui de garantir la mise en œuvre et d'augmenter la visibilité de la Résolution 1325, ainsi que d'incorporer un plus grand nombre de femmes dans les questions de paix et de sécurité. La résolution complète est disponible dans la "boîte à outils" qui accompagne ce rapport ou en ligne à www.un.org/events/res_1325e.pdf.

5.3 D'où proviennent ces difficultés d'application et de mise en œuvre ?

Sans aucunement sous-estimer leur importance, ces lois, résolutions, conventions et engagements sont limités dans leur application. Les engagements internationaux sont difficiles à faire respecter en pratique, en raison d'interprétations limitées des droits humains, qui nient l'existence de diverses formes de violations sexospécifiques, comme nous l'avons vu au chapitre précédent. De même, il existe toute une gamme de justifications patriarcales, historiques et culturelles, visant à exclure les questions

sexospécifiques dans les approches sous l'angle des droits humains comme de la sécurité humaine. Cette omission se reflète dans le langage des lois internationales, qui placent l'accent sur les femmes et les filles isolément et non sur le genre et les relations de genre. De plus, de nombreux états doivent encore ratifier ces engagements internationaux. Enfin, malgré la disponibilité de cette information, la communication et le partage des informations relatives à ces lois et engagements au sein des organisations et entre les décideurs politiques et les organisations civiles s'avèrent insuffisants.

Le traitement du " genre " dans la Résolution 1325

La Résolution 1325 du Conseil de Sécurité des Nations Unies sur les femmes, la paix et la sécurité représente indéniablement une avancée vers l'élargissement des directives générales concernant les droits humains, et en particulier les droits humains des femmes, au niveau international.

Malheureusement, la Résolution n'indique guère ce qu'il faut entendre par " perspective de genre " et lorsque le terme " genre " apparaît, il est utilisé comme un terme interchangeable pour désigner " les femmes et les filles ". Elle évacue une grande partie des problèmes sexospécifiques soulevés par le conflit. Ces problèmes réclament de comprendre comment les déséquilibres de pouvoir entre hommes et femmes sont vécus au cours et à l'issue du conflit armé et comment ces inégalités peuvent être

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Même lorsque l'égalité des droits et de la sécurité est reconnue en théorie, l'inégalité demeure en pratique car les hommes et les femmes n'ont pas les mêmes possibilités de revendiquer ces droits, du fait d'un accès différencié aux ressources économiques, politiques et judiciaires. Des lois, résolutions, stratégies et interventions sont nécessaires à tous les niveaux, qui ciblent spécifiquement l'accès différencié aux ressources et aux possibilités d'agir.

Mettre en œuvre et institutionnaliser les approches en termes de genre sous l'angle de la sécurité humaine et des droits humains pour les traduire en politiques requiert l'engagement de moyens et l'élaboration de stratégies qui surmontent effectivement les discriminations fondées sur le sexe. La société civile, les organisations de femmes en particulier, peut jouer un rôle en faisant évoluer les consciences et garantir que les gouvernements et les O.N.G. aient à répondre de leurs actes.

Améliorer la mise en œuvre : l'audit en terme de genre

Une façon dont les femmes se mobilisent pour améliorer l'application de ces textes consiste à mener des "audits" auprès des états et des organisations multi- ou bi- latérales engagées dans les processus de reconstruction de l'après-conflit. International Alert, par exemple, a rassemblé des O.N.G. et des organisations de la société civile pour un "Audit des femmes pour la Paix" permanent. Il s'attache à contrôler et évaluer l'application des engagements nationaux et internationaux envers une gestion sensible à la problématique hommes-femmes des périodes de conflit et de reconstruction.

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