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Représentations des pratiques parentales, de la maltraitance et de la protection de la jeunesse : une comparaison entre parents québécois et colombiens

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Academic year: 2021

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Représentations des pratiques parentales, de la maltraitance

et de la protection de la jeunesse :

Une comparaison entre parents québécois et colombiens

Thèse

Alexandra Boilard

Doctorat en psychologie - recherche et intervention (orientation clinique)

Philosophiae doctor (Ph.D.)

Québec, Canada

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Résumé

Au Canada, l’immigration est en augmentation depuis les 25 dernières années. À Québec, entre 1999 et 2008, les Colombiens ont été les plus nombreux à s’établir en tant que réfugiés. Cette augmentation de la diversité de la population n’est pas sans conséquences pour les institutions de santé publique. C’est vrai en particulier pour la protection de la jeunesse dans laquelle les familles migrantes et réfugiées sont surreprésentées. Il est par ailleurs reconnu que le processus d’acculturation entraine une transformation des rôles parentaux. De plus, des recherches ont établi un lien entre l’endossement de certaines valeurs, notamment celles axées sur la famille (familismo) et les rôles sexuels (machismo) pour expliquer les pratiques de parents migrants « latinos » et le rapport qu’elles entretiennent avec les institutions. Cette étude comparative a pour objectif d’explorer, à partir de la parole des premiers concernés, c’est-à-dire les parents, les représentations de leurs pratiques parentales, de la maltraitance et de la protection de la jeunesse. Cette exploration a été réalisée auprès de deux populations de parents : des parents québécois et colombiens ayant migrés à Québec. Un devis mixte impliquant des focus groups a été mis en place. Au total, 49 participants (Québécois : 30, 5 focus groups et Colombiens : 19, 4 focus groups) ont été rencontrés et ont rempli trois questionnaires. Ceux-ci mesurent le familismo, le machismo et l’acculturation. Les scores moyens de familismo, de machismo et d’acculturation ont été intégrés à l’analyse thématique. Il apparait que Québécois et Colombiens se différencient peu quant aux pratiques parentales et aux représentations de la maltraitance et de la protection de la jeunesse. Cependant, la question du développement de l’autonomie et de la réussite des enfants sont deux thèmes majeurs pour lesquels il y a des différences. La place qu’occupe l’État québécois, par l’intermédiaire du système de protection de la jeunesse dans la résolution des conflits, suscite également des discours contrastés. La place que ces personnes prennent dans la société devrait avoir un impact sur le fonctionnement des institutions quant à l’intervention et à la diffusion de l’information par rapport au système de la protection de la jeunesse.

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Abstract

Immigration has been increasing for the past 25 years in Canada. Between 1999 and 2008, the largest group of refugees settling in the province of Quebec came from Colombia. This increase in population diversity is not without consequences for public health institutions. This is true in particular for the child welfare system in which migrant and refugee families are overrepresented. It is also recognized that the acculturation process causes a change in parental roles. Furthermore, research has established a link between the endorsement of certain values, such as family-orientation (familismo) and adherence to gender roles (machismo), to explain the practices of « latino » migrant parents and the way they represent their possible implication in public health institutions. This comparative study aims to explore three types of representations among parents: parenting practices, maltreatment and child welfare system. This exploration was conducted among two groups of parents in Quebec: Quebecers and Colombians who migrated to Quebec city. A mixed method design was privileged and included focus groups. A total of 49 participants (Quebecers: 30, 5 focus groups and Colombians: 19, 4 focus groups) took part in focus group discussions and each participant completed three questionnaires. These questionnaires measured familismo, machismo and acculturation. The mean scores of familismo, machismo and acculturation were integrated into the thematic analysis. It appears that Quebecers’ and Colombians’ representations of maltreatment and child welfare system, as well as parenting practices differ very little. However, differences between Colombians and Quebecers emerged concerning representations of the development of autonomy and the idealization of children's success. The role of the institution, and more precisely of the child welfare system, in familial conflict resolution also raises contrasting speech between the two groups. Considering the diversity of Quebec’s society, migrant parents’ representations should be taken into account when intervening among these families. Information concerning the functioning of the child welfare system should be disseminated among migrant parents to demystify the role of this system.

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Resumen

La inmigración en Canadá ha aumentando en los últimos 25 años. En Quebec, entre 1999 y 2008, se encontró que los Colombianos fueron la población más propensa a inmigrar en calidad de refugiados. Este aumento de la diversidad de la población ha tenido consecuencias en las instituciones de salud pública. En particular en el área de la protección de la juventud en donde están sobrerrepresentadas las familias migrantes y refugiadas. También se reconoce que el proceso de aculturación provoca un cambio en los roles parentales. Además, la investigación ha establecido un vínculo entre el respaldo de ciertos valores, entre ellos los valores orientados a la familia (familismo) y los roles de género (machismo) para explicar las prácticas de los padres migrantes « latino » y la forma en que hacen uso de las instituciones. Este estudio comparativo busca explorar, desde los padres, las representaciones de las prácticas de crianza hacia sus hijos, el abuso y la protección de la juventud. Esta exploración se llevó a cabo entre dos poblaciones de padres en Quebec : Quebequenses y Colombianos que emigraron a Quebec. Un método mixto de grupos focales (GF) se llevó a cabo. Un total de 49 participantes (Quebequenses: 30, 5 GF y Colombianos: 19, 4 GF) han respondido a tres cuestionarios diferentes que miden el familismo, el machismo y la aculturación. Los promedios de familismo, del machismo y la aculturación se integraron en el análisis temático. Los resultados sugieren que los Quebequenses y Colombianos no difieren mucho en las prácticas de crianza y las representaciones del abuso y de la protección de la juventud. Sin embargo, la cuestión del desarrollo de la autonomía y la idealización de éxito de los niños son dos grandes temas en donde se encontraron diferencias. El rol que el gobierno asume a través del sistema de la protección de la juventud en la resolución de conflictos de la familia también plantea un discurso contrastante. El lugar que los padres migrantes ocupan en la sociedad debería influenciar el funcionamiento de las instituciones en la intervención y la difusión de información del sistema de la protección de la juventud.

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Table des matières

Résumé ... iii

Abstract ... v

Resumen ... vii

Liste des tableaux ... xi

Liste des figures ... xiii

Remerciements ... xv

Introduction générale ... 1

Chapitre 1 : Problématique ... 3

1.1 La culture : un vaste concept ... 3

1.2 Contexte et développement de l’enfant ... 5

1.3 Un portrait chiffré de l’immigration ... 7

1.4 La culture latino, le cas des Colombiens : familismo et machismo ... 9

1.5 Le contact entre cultures ... 11

1.6 Contextualisation de la protection de la jeunesse et familles migrantes ... 17

1.7 Les études interculturelles sur les pratiques parentales et la maltraitance ... 22

1.8 Les études sur les représentations de l’État et de la protection de la jeunesse ... 26

1.9 La pertinence de l’étude ... 27

1.10 Les questions de recherche ... 28

Chapitre 2 : Méthodologie ... 31

2.1 Le devis de recherche ... 31

2.2 Les représentations sociales comme cadre théorique ... 32

2.3 Critères de sélection, recrutement et considérations éthiques ... 34

2.4 Méthode de collecte de données ... 38

2.5 Les participants à l’étude ... 42

2.6 Stratégies d’analyses ... 46

Chapitre 3 : Résultats ... 53

3.1 Résultats des données quantitatives : familismo, machismo et acculturation ... 53

3.2 Les représentations des pratiques parentales ... 57

3.3 Les représentations de la maltraitance ... 94

3.4 Les représentations de la protection de la jeunesse ... 101

3.5 Les vignettes ... 113

3.6 Analyses des co-occurrences ... 117

Chapitre 4 : Discussion ... 125

4.1 Les représentations des pratiques parentales ... 125

4.2 Les représentations de la maltraitance ... 137

4.3 Les représentations de la protection de la jeunesse ... 139

Chapitre 5 : Conclusion ... 153

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5.3 Pistes de recherche et d’intervention futures ... 157

Références ... 163

Annexes ... 173

Annexe A : L’annonce de recrutement ... 173

Annexe C : Le questionnaire de données sociodémographiques ... 177

Annexe D : L’échelle de machismo : versions française et espagnole ... 178

Annexe E : L’échelle de familismo : versions française et espagnole ... 180

Annexe F : L’échelle d’acculturation : version espagnole ... 182

Annexe G : Le guide d’entrevue ... 183

Annexe H : Exemple d’analyses de fréquences et du nombre de cas du thème Discipline des enfants de l’arbre thématique ... 187

Annexe I : Schématisation des représentations sur les pratiques parentales, la maltraitance et la protection de la jeunesse ... 189

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Liste des tableaux

Tableau 1. Présentation des focus groups en fonction du nombre de participants, du genre, de l’appartenance à une profession de la relation et du nombre d’années depuis la

migration 44

Tableau 2. Présentation des focus groups en fonction du degré de scolarité complété et du salaire 45

Tableau 3. Légende des sept niveaux utilisés en fonction du degré de scolarité complété 46

Tableau 4. Légende des sept niveaux utilisés en fonction du salaire 46

Tableau 5. Moyennes des scores de familismo, de machismo et d’acculturation en fonction de l’origine culturelle 54

Tableau 6. Moyennes des scores de familismo, de machismo et d’acculturation en fonction de chaque focus group 55

Tableau 7. Nombre de participants en fonction de stratégies d’acculturation 56

Tableau 8. Résultats de familismo, de machismo en fonction de l’appartenance (ou non) à une profession de la relation 57

Tableau 9. Co-occurrences de codes pour la catégorie « pratiques parentales » 119

Tableau 10. Co-occurrences de codes pour la catégorie « maltraitance » 120

Tableau 11. Co-occurrences de codes pour la catégorie « protection de la jeunesse » 120

Tableau 12. Co-occurrences de codes pour l’ensemble de l’arbre thématique 121

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Liste des figures

Figure 1. Représentation du modèle d’acculturation 14

Figure 2. Acculturation, familismo et machismo : trois construits 26

Figure 3. Schématisation du déroulement d’une recherche convergente parallèle 32

Figure 4. Les différentes catégories de l’arbre thématique et le nombre de codes associés 48

Figure 5. Synthèse des catégories retenues suite aux analyses et le nombre de codes associés 50

Figure 6. Le continuum de sévérité des comportements maltraitants des parents 99

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Remerciements

L’accomplissement de cette thèse n’aurait pas été possible sans le soutien de plusieurs personnes significatives qui m’ont accompagné dans le long processus qu’est celui de réaliser un Doctorat en psychologie, Recherche et Intervention. Tout d’abord, je souhaite remercier, très chaleureusement, les parents que j’ai rencontrés dans le cadre de cette thèse. Non seulement vous avez répondu à mes nombreuses questions mais vous m’avez prêté main-forte pour le recrutement. Merci pour votre précieuse collaboration, muchas gracias a todos.

Je remercie mon directeur, Dr Yvan Leanza pour la confiance que vous m’avez témoignée tout au long de mon parcours doctoral. Je vous remercie d’avoir respecté mon désir de faire une thèse « différente », à ma couleur, et je vous en suis reconnaissante. Merci de m’avoir permis de construire mon identité en tant que chercheure et d’avoir soutenu le développement de mon autonomie. Je tiens également à remercier les membres de mon comité de thèse, Docteures Ghayda Hassan et Marie-Hélène Gagné. Je vous remercie pour vos commentaires constructifs et vos réflexions par rapport à l’avancement de cette thèse. Chère Camille, amie et ancienne stagiaire postdoctorale du laboratoire, merci pour ton soutien généreux pendant les premières années de mon doctorat. Je te remercie pour tout le temps offert et ton écoute attentive. Merci à mes collègues du laboratoire Psychologie et Cultures, plus particulièrement Rhéa et Thomas. Je remercie aussi les bénévoles du laboratoire pour votre coup de main concernant le recrutement et la transcription des entrevues. Un merci spécial à Natalia et Pablo pour votre aide dans la vérification de la traduction des documents en espagnol.

Je tiens à remercier affectueusement mon conjoint, Patrick. Je te remercie de m’avoir appuyé pendant toutes ces années d’études. Je te remercie de m’avoir obligé à me présenter à mon premier cours de psycho… Mille mercis pour partager avec moi ta curiosité scientifique, d’être une personne aussi passionnée, pour ta patience et pour tout l’amour que tu m’offres à chaque jour. Un merci spécial à Carole et Alain : merci pour votre support et vos encouragements.

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Infiniment merci à ma famille : maman, papa, Emman et Gab. À votre façon, vous m’avez appuyé pendant toutes ces années. Papa et maman, je vous remercie pour votre support inconditionnel. Maman, un merci spécial pour tous ces voyages partagés avec toi, de l’Afrique, à l’Amérique latine, à l’Europe de l’Est.

D’aussi longues études n’auraient pu s’accomplir sans la présence et le soutien de mes cher(s)s ami(e)s. Merci à mes amies du doctorat, je pense plus particulièrement à Anne-Sophie, Marie-Ève et Maude. Vous avez su rendre ces années plus qu’agréables. Ami(e)s de longue date, je vous remercie pour vos encouragements et vos folies. Je pense notamment à Anne-Marie et Jean-Sébastien, Gabrielle et Martin-Simon, Eliane et Jean-Thomas. Un clin d’œil à ma gang de biologistes préférés pour les nombreux 5 à 7 au Fou et pour les nombreux partys.

Pour terminer, j’aimerais remercier les organismes subventionnaires pour le soutien financier offert et d’avoir cru en mes compétences en tant que chercheure. Merci à la Fondation de l’Université Laval par l’intermédiaire du Programme de Bourse de leadership et développement durable et le Centre de recherche METISS.

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Introduction générale

Dans un contexte où les politiques sur l’immigration favorisent l’arrivée de plus en plus de migrants au Québec et que par ce fait, les contacts entre cultures font partie intégrante des vies de chacune et chacun, les recherches interculturelles en psychologie prennent de l’importance. Elles apportent une compréhension sur la diversité culturelle ainsi que sur le rôle de la culture sur le comportement humain permettant d’étudier de façon écologique son développement. Bien que cette rencontre avec l’Autre puisse être très riche, il ne faut pas oublier de considérer qu’elle peut aussi soulever des défis de taille, comme dans l’intervention ou encore dans l’adaptation des migrants à une nouvelle société. Dans le domaine de la maltraitance, les enfants migrants et réfugiés sont sous ou surreprésentés dans le système de protection de la jeunesse (Dufour, Hassan, & Lavergne, 2012; Lavergne, Dufour, Trocmé, & Larrivée, 2008; Tourigny & Bouchard, 1994). Ce constat met en lumière un problème complexe dont les causes sont reliées à la fois aux difficultés vécues par les familles ainsi qu’à la présence de discrimination et de préjugés, ce qui soulève des incompréhensions entre migrants et intervenants (Dufour et al., 2012). Ces incompréhensions surviennent en raison de divergence au niveau des représentations sur les pratiques parentales et la maltraitance, en fonction de ce qui a été valorisé par les normes sociales véhiculées dans un contexte particulier. De plus, ces incompréhensions teintent le rapport que les migrants entretiennent aux institutions québécoises de santé publique.

Cette recherche portera un regard approfondi sur les différences culturelles dans les représentations des pratiques parentales, de la maltraitance et de la protection de la jeunesse chez deux groupes de parents, des Québécois et des Colombiens ayant migré. Cet ensemble de connaissances permettra entre autres de mieux comprendre ce qui est considéré comme un geste maltraitant ou non en fonction du groupe culturel et de préciser les caractéristiques de l’intervention interculturelle. De plus, cela permettra d’apporter des explications supplémentaires au phénomène de surreprésentation des communautés culturelles en protection de la jeunesse. Cela amènera aussi à des recommandations pratiques pour les intervenants travaillant avec les familles colombiennes de la région de Québec.

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Le premier chapitre portera sur la problématique et fera une revue de la littérature sur le concept de culture, le portrait de la migration, le contact entre cultures, le contexte de la protection de la jeunesse, les études interculturelles réalisées sur les représentations des pratiques parentales, de la maltraitance et de la protection de la jeunesse et la pertinence de réaliser cette étude en lien avec les questions de recherche. Le deuxième chapitre présentera le devis de recherche, le cadre théorique sur les représentations sociales ainsi que la méthodologie. Seront présentés les résultats quantitatifs, qualitatifs et mixtes, issus des neuf focus groups réalisés auprès des parents québécois et colombiens dans le troisième chapitre. Les résultats seront présentés en fonction des trois catégories de représentations soit : les pratiques parentales, la maltraitance et la protection de la jeunesse. Le quatrième chapitre discutera les résultats obtenus à la lumière de la littérature et le modèle du Cycle de la menace de l’État : l’expérience du parent migrant sera présenté. Enfin, le cinquième chapitre est celui de la conclusion qui soulignera les limites, les forces de la présente étude et fera part des recommandations tant pour le domaine de la recherche que pour l’intervention auprès des familles migrantes colombiennes.

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Chapitre 1 : Problématique

1.1 La culture : un vaste concept

Il existe une pluralité de définitions touchant le concept de culture étant donné que chacun peut lui attribuer un sens qui lui est propre, en fonction de sa discipline. Avec les années, cela a eu pour conséquence que les chercheurs provenant de divers domaines ont créé un grand nombre de définitions qui se croisent et varient entre elles (Camilleri & Vinsonneau, 1996). Dans la présente section, des définitions sur le concept de culture seront abordées et l’approche qui marie à la fois psychologie et culture sera expliquée.

1.1.1 La culture et ses nombreuses définitions.

Une première définition de la culture que j’emprunte à la sociologie est celle de Rocher (1969) et se définit de la façon suivante:

Un ensemble lié de manières de penser, de sentir et d’agir plus ou moins formalisées qui, étant apprises et partagées par une pluralité de personnes, servant, d’une manière à la fois objective et symbolique à constituer ces personnes en une collectivité particulière et distincte. (p. 88)

Tout comme Rocher (1969), Lustig et Koester (1999) conçoivent la culture comme « un ensemble d’interprétations qui sont à la fois apprises et partagées. Cet ensemble d’interprétations est une source d’influence directe sur un groupe relativement large d’individus touchant les croyances, les valeurs et les normes » (traduction libre, pp. 30-33). Par ailleurs, ce duo de chercheurs conçoit la culture comme ayant un rôle actif sur le comportement d’un groupe d’individus. Camilleri et Cohen-Émerique (1989) proposent la définition suivante, à la fois plus complexe et englobante :

La culture est l’ensemble plus ou moins fortement lié des significations acquises les plus persistantes et les plus partagées que les membres d’un

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groupe, de par leur affiliation à ce groupe, […] et d’eux-mêmes, induisant […] des attitudes, des représentations et des comportements communs valorisés […]. (p. 27)

Dans son article, Jahoda (2012) critique le nombre de définitions utilisées par les chercheurs et disponibles dans la littérature pour définir le terme culture. Cet auteur pense qu’il faut plutôt mettre en évidence que la culture n’est pas une chose en soi, mais qu’elle est un construit social vague faisant référence à un ensemble complexe de phénomènes. Ainsi, il peut être plus pratique et simple d’utiliser ce terme sans le définir plutôt que de choisir une définition qui n’est pas exacte ou qui entre en contradiction avec une autre préalablement établie. Dans cette recherche, il semble que les définitions présentées peuvent apporter une certaine clarification, mais en restant conscient qu’il n’y a généralement pas de définition de la culture qui est acceptée à l’unanimité.

1.1.2 Une approche interculturelle : nouveaux pas pour la psychologie scientifique.

Camilleri et Vinsonneau (1996) constatent que la grande majorité des études réalisées en psychologie sur le comportement humain ne considèrent pas la composante culturelle. En ce qui a trait aux études anthropologiques, des chercheurs ajoutent que bien que celles-ci se préoccupent de l’aspect culturel, ils oublient de tenir compte de l’aspect psychologique du comportement humain. De plus, en considérant toutes les connaissances acquises au fil des dernières décennies, il est de plus en plus difficile de faire fi de la composante culturelle sur le comportement humain, tant au niveau individuel (p. ex. : perception, cognition, mémorisation, etc.) que collectif (p. ex. : coutumes, croyances, valeurs, etc.). À des niveaux différents, tous les comportements sont nécessairement influencés par la culture (Camilleri & Vinsonneau, 1996). Ainsi, lorsqu’un chercheur s’intéresse et prend en considération à la fois la culture et le comportement, les psychologues parlent d’une approche dite interculturelle et c’est donc dans cette même orientation théorique que s’insère cette recherche.

Actuellement, il existe trois principales approches en psychologie interculturelle :

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2) l’approche interculturelle comparée ou transculturelle; 3) l’approche culturelle.

La première approche vise à étudier les phénomènes qui se produisent lors du contact entre différentes cultures. La deuxième approche cherche à faire la part entre ce qui est spécifique à un groupe donné, et ce qui est commun à plusieurs groupes, voire universel. La dernière approche, plus près de l’anthropologie, cherche à étudier un phénomène dans son contexte culturel (Dasen & Jahoda, 1986).

À cet égard, la présente étude s’inscrit dans la seconde approche soit l’approche

interculturelle comparée puisqu’elle permet de faire l’observation du phénomène à l’étude - ici,

les pratiques parentales, la maltraitance et la protection de la jeunesse - à l’intérieur de son cadre socioculturel partagé par les membres - ici, la culture de chaque groupe de parents - d’une société donnée (Dasen & Jahoda, 1986).

1.2 Contexte et développement de l’enfant

Depuis les dernières décennies, les psychologues conçoivent qu’il est impossible de faire de la recherche sur le comportement humain sans prendre en considération le contexte. L’orientation des recherches scientifiques est devenue plus environnementale, en faisant appel par exemple au concept d’écosystème pour discuter du comportement (Camilleri & Vinsonneau, 1996). Kagitcibasi (1992) décrit également le besoin criant exprimé par les professionnels de la santé pour que les recherches explorent davantage la communauté et toutes les interactions possibles autour du développement de l’enfant , en donnant par exemple, plus de poids à la voix des parents.

1.2.1 Considération des parents.

Tenir compte du contexte dans lequel s’insère l’enfant ne signifie pas de s’intéresser uniquement aux facteurs socioéconomiques, comme l’ont déjà fait beaucoup d’études en développement de l’enfant. Bien que ces recherches apportent de l’information supplémentaire et

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même nécessaire aux connaissances sur les facteurs influençant le développement de l’enfant, il demeure que l’on peut observer beaucoup de variations à l’intérieur même d’une strate socioéconomique (Kagitcibasi, 1992). Ainsi, il est primordial d’aller plus en profondeur, en explorant par exemple les pratiques parentales1, les croyances et les valeurs qui s’insèrent en tant

qu’ensemble à l’intérieur d’une culture spécifique. Dans la même lignée, Agathonos-Georgopoulou (1992) met l’accent sur l’importance du contexte social chez les parents et les enfants, pour avoir une idée précise des différentes perspectives entourant la parentalité.

Pour mieux illustrer l’importance de considérer le contexte, plusieurs travaux de recherche ont été réalisés dans ce sens et ont démontré que les valeurs dans une culture sont différentes de celles provenant d’autres cultures. C’est le cas de l’étude interculturelle réalisée par Kagitcibasi (1982) qui s’est intéressée à la valeur accordée à l’enfant par des parents provenant des États-Unis, de la Turquie, de l’Allemagne, de la Corée, de Taiwan, de la Thaïlande, des Philippines, de Singapour et d’Indonésie. « Être obéissant aux parents » est l’énoncé le plus valorisé par la majorité des parents provenant de pays « sous-développés » (et aussi de ceux provenant de strates socioéconomiques plus faibles) et « Être indépendant et autonome » est l’énoncé le moins valorisé par ces mêmes populations (Kagitcibasi, 1982). Par ailleurs, une étude plus récente (Senese, Bornstein, Haynes, Rossi, & Venuti, 2012) a comparé les croyances de mères dans le nord de l’Italie et de mères du centre des États-Unis sur les interactions sociales (i.e. comportements pour engager les enfants dans des échanges interpersonnels) et didactiques (i.e. efforts pour stimuler les enfants, en les engageant à comprendre leur environnement à l’extérieur de la dyade) avec leurs jeunes enfants de 20 mois. Les résultats illustrent que les mères italiennes s’engagent moins fréquemment que les mères américaines dans des comportements sociaux et didactiques. Les auteurs parlent donc de différences culturelles quant à la stimulation offerte par les parents, dès le jeune âge des enfants. Ces exemples montrent que dans des contextes culturellement différents, des parents peuvent avoir des conceptions différentes sur l’enfant. C’est pour cette raison que Kagitcibasi (1992) suggère qu’il faut considérer les représentations des parents pour explorer la grande diversité des modèles d’interactions parents/enfants afin de mieux saisir les conceptualisations culturelles du développement de l’enfant au sein du noyau familial.

1 Les pratiques parentales sont définies comme étant « toute pratique qui résulte d’un ensemble d’interactions entre parent(s) et

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1.3 Un portrait chiffré de l’immigration

Le Canada, tout comme les États-Unis ou l'Australie, fait partie des pays les plus désirés par les personnes souhaitant migrer en raison de son ouverture à l’immigration, mais surtout pour la qualité de vie. Une des principales raisons motivant le Canada à ouvrir ses frontières aux étrangers est de pallier au problème de dénatalité qui existe depuis déjà plusieurs décennies.

1.3.1 La situation au Canada et au Québec.

Grâce aux mesures prises par le gouvernement canadien, en 25 ans, le nombre de migrants a triplé au pays. En 2011, la province du Québec a accueilli 51 737 migrants, un nombre inférieur à celui de 2010, mais tout de même supérieur à l’année 2009. Les dernières statistiques obtenues démontrent que le mouvement migratoire ne s’essouffle pas, il y a une augmentation de 8% en comparaison avec les années précédentes (Ministère de l'Immigration et Communautés culturelles, 2012a). Le Recensement effectué en 2006 a dénombré près de 851 560 personnes migrantes, représentant un chiffre record dans l’histoire du Québec : 11,5 % de la population québécoise totale. De ce nombre, la grande majorité des migrants (86,9%) résident dans la région métropolitaine de Montréal. Les autres migrants se répartissent dans les autres régions, Québec (3,1%), Gatineau (2,7%) et Sherbrooke (1,2%). Parmi cette population, les groupes appartenant aux minorités visibles sont parmi les plus importants, dénombrant 28,7% d’Africains noirs et d’Haïtiens, 16,7% d’Arabes et 13,7% de Latinos (Ministère de l'Immigration et Communautés culturelles, 2012b).

Les migrants se répartissent en trois catégories distinctes selon la raison sous-tendant la migration : travailleurs qualifiés (67,6%), regroupement familial (20,9%) et réfugiés (9,9%) (Ministère de l'Immigration et Communautés culturelles, 2012c). La population migrante vivant au Québec est particulièrement jeune : elle est composée à 70% de personnes ayant moins de 35 ans. Concernant la scolarité, près de 45% d’entre eux détiennent un diplôme universitaire et près de 30% ont une Maitrise ou un Doctorat (contre environ 20% pour la population non-migrante) (Centre d'adaptation de la main d'oeuvre, 2010). Cependant, bien que ces personnes inscrites

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de développement économiques (OCDE) mentionne des pénuries de main-d’œuvre et incite sur le recrutement de travailleurs qualifiés (Vérificateur général du Québec, 2011), il y a un écart important entre la formation et l’emploi obtenu. Les deux tiers d’entre eux occupent un emploi qui nécessite au plus une formation collégiale ou une formation en apprentissage. Seuls 28% des migrants ont obtenu une reconnaissance de leur(s) diplôme(s), une fois arrivés au Canada (Statistique Canada, 2010).

Au Canada, le gouvernement adhère depuis 1969 à la convention de Genève et accueille plusieurs milliers de réfugiés chaque année. Selon le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, la définition d’un réfugié est :

[Toute personne] craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner. (Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), 1951)

Par ailleurs, le Canada accepte également des personnes réfugiées qui demandent un statut d’asile même si elles sont physiquement à l’intérieur de leurs pays. Il s’agit entre autres des ressortissants du Guatemala, du Salvador, de la République démocratique du Congo et de la Colombie.

1.3.2 Les migrants colombiens à Québec.

En 2012, dans la province de Québec, 20 013 personnes ont déclaré être originaires de la Colombie (Ministère de l'Immigration et Communautés culturelles, 2013). Entre 1999 et 2008, il s’agit des migrants qui ont été les plus nombreux à s’établir au Québec en tant que réfugiés en raison de l’une des crises humanitaires les plus graves et longues de l’histoire contemporaine.

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Parmi le nombre total de Colombiens accueillis au Québec, 10 936 étaient réfugiés, 7 545 étaient des travailleurs qualifiés (immigration économique) et 1 403 du regroupement familial. En effet, parmi les Colombiens qui obtiennent le droit de s’installer au Canada, la plupart d’entre eux (75%) sont admis en tant que réfugiés ou personnes à protéger (Arsenault, 2010). À Québec, les Colombiens représentent 8,8% de la population migrante totale, soit près de 1305 personnes. Une des caractéristiques de cette population est qu’elle est arrivée en masse dans les dernières années : 71% du nombre total de Colombiens se sont installées depuis 2001. La structure d’âge de cette population est contraire à celle que l’on peut généralement observer dans la population québécoise depuis les dernières décennies : elle est nettement plus jeune. En effet, il y a presque deux fois plus d’enfants (âgés de 15 ans et moins) et deux fois moins de personnes âgées de plus de 45 ans. Malgré que les migrants colombiens soient davantage scolarisés que la population québécoise (28,8% d’entre eux ont un grade universitaire en comparaison avec 16,5%), le revenu moyen de cette communauté est nettement inférieur à celui des Québécois d’origine, 18 331$ en comparaison à 32 074$ (Ministère de l'Immigration et Communautés culturelles, 2006). En effet, ces chiffres laissent nécessairement transparaitre la place de la pauvreté pour un grand nombre de ces familles puisque pour la majorité d’entre elles, cela signifie de devoir vivre avec un revenu près ou sous le seuil de pauvreté2.

1.4 La culture latino, le cas des Colombiens : familismo et machismo

Bien que le terme latino3 fasse référence à plusieurs groupes culturels distincts, il a été démontré à plusieurs reprises que ces groupes partagent un ensemble de valeurs, d’attitudes et de croyances. Tout d’abord, le familismo est une valeur4 omniprésente chez les Latinos et est utilisé

pour décrire le sens accordé aux obligations familiales, au respect pour les personnes plus âgées et à la responsabilité de prendre soin de tous les membres du noyau familial. Il s’agit de considérer la famille à la fois comme un support social et comme une source importante de fierté, de force, d’identité et d’aide (Valenzuela & Dornbusch, 1994). Cette valeur est celle qui a été démontrée comme étant au sommet de la hiérarchie d’une liste de valeurs à adopter chez un groupe de Latinos,

2 Selon les critères du Québec, le seuil de pauvreté est établi à 30 956$ pour une famille biparentale avec deux enfants

(Gouvernement du Québec, 2012).

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plusieurs nationalités confondues. D’ailleurs, les Colombiens sont souvent décrits dans la littérature comme ayant une orientation familiale d’interdépendance des membres et cette vision de la famille renvoie au modèle de sociétés interdépendantes5 (Claes, Ziba-Tanguay, & Benoît,

2008).

L’étude de Coohey (2001) a, entre autres, trouvé un plus haut niveau de familismo chez des mères migrantes latinos en comparaison avec des mères américaines originaires des États-Unis. Dans le cadre de son mémoire, Labonté (2010), s’est intéressée aux familles migrantes (d’Amérique du Sud, d’Afrique et d’Europe de l’Est) ayant un statut de réfugié. Cette recherche qualitative a mis en évidence que la majorité de ces familles accordent aussi une importance à l’épanouissement de la famille. La solidarité, l’entraide, le soutien tant matériel que psychologique vont être sollicités et mobilisés par ces parents pour remplir leurs responsabilités parentales. Ces résultats mettent donc en lumière l’importance du familismo, tel que décrit par Valenzuela et Dornbusch (1994), qui s’inscrit dans le modèle de société interdépendantes (Claes et al., 2008). De plus, Marin (1993) souligne que l’adhérence au familismo peut varier à l’intérieur des groupes culturels (entre populations latinos et entre latinos/américains d’origine), d’où la pertinence dans le cadre de cette thèse, d’utiliser le concept de familismo tant pour les Québécois que les Colombiens.

Une autre caractéristique de la population latino retrouvée dans la littérature est celle du concept machismo. Cette notion met l’accent sur la rigidité des rôles sexuels, la discrimination sexuelle, l’agressivité, la dominance et l’acquisition d’un style parental autoritaire. Certains croient qu’il s’agit d’une définition très stéréotypée, mais d’autres ont également trouvé la présence d’attitudes positives qui s’insèrent dans ce concept, dont le courage, la force, le respect de soi, le pouvoir, l’indépendance et la protection du noyau familial (Caughy & Franzini, 2005; Deyoung & Zigler, 1994; Ferrari, 2002). Celui-ci a été traditionnellement lié aux hommes latinos, toutefois des traits de personnalité et des comportements similaires ont également été observés chez une population de femmes (Torres, 1998). Malgré le fait que toutes ces recherches (Caughy & Franzini,

5 Le modèle de société interdépendantes est décrit comme la valorisation du groupe « où l’individu est considéré comme le membre

d’une collectivité dans laquelle les dimensions communautaires, le soutien mutuel, la proximité, le respect de l’autorité parentale et l’allégeance à la famille sont valorisés ». (p. 8) À l’inverse, la société québécoise valorise l’individualisme et s’inscrit dans le modèle de sociétés indépendantes, valorisant le développement de l’autonomie et l’atteinte d’objectifs personnels.

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2005; Coohey, 2001; Deyoung & Zigler, 1994; Ferrari, 2002; Labonté, 2010) ne s’intéressent pas nécessairement aux familles migrantes colombiennes et aux notions de familismo et de machismo de façon spécifique, elles montrent tout de même l’importance de ces deux concepts pour des participants provenant entre autres d’Amérique du Sud ou ayant un statut de réfugié. D’ailleurs, le concept de machismo a déjà été utilisé dans le cadre d’une recherche comparative avec deux populations de parents d’origines distinctes (États-Unis et Guyane). Les résultats montrent que les parents provenant de la Guyane ont des scores significativement plus élevés que ceux des États-Unis et ce, peu importe le genre des parents. De plus, les auteurs soulignent l’intérêt d’utiliser ce concept, dans des recherches futures, qui ne s’intéressent pas nécessairement aux populations hispaniques/latino-américaines (Deyoung & Zigler, 1994). Les travaux de recherche sur le machismo mettent aussi en lumière que l’adhérence à cette valeur a le potentiel d’influencer négativement les comportements de demande d’aide, tant dans la recherche d’aide que dans le processus de soins (évaluation et traitement). Certains comportements attribués au machismo sont aussi reconnus comme étant davantage résistants au changement [thérapeutique] (Cuéllar, Arnold, & Gonzalez, 1995).

1.5 Le contact entre cultures

Les contacts entre cultures ont toujours été présents dans l’histoire. Aujourd’hui, malgré un nombre grandissant de situations où les groupes culturels se rencontrent, les différences sont souvent perçues comme étrangères alors que les différences qui sont déjà inscrites dans les mœurs et coutumes sont perçues comme acceptables et normales (Camilleri & Vinsonneau, 1996). Le fait d’étudier le contact entre cultures permet d’approfondir la réflexion sur le type de relation qui peut possiblement émerger de ce contact. Cohen-Émerique (1984) parle de choc culturel pour désigner la situation conflictuelle entre deux individus culturellement distincts qui entrent en interaction sociale. Ce choc est remarquable autant chez la personne migrante que celle provenant de la société d’accueil puisque les deux parties sont engagées à interagir. Kleinman (1980) parle plutôt de clashs

culturels. Ceux-ci sont reconnus comme étant centraux dans le processus de demande d’aide où

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Du point de vue de la personne migrante, la réaction qu’elle aura face à cette nouvelle relation avec l’Autre, dépendra, à la base, de son projet migratoire (Camilleri & Vinsonneau, 1996). Plus la société d’où vient le migrant est différente de la société d’accueil, plus le choc culturel risque d’être grand (Cohen-Émerique, 1984). À cela s’ajoute ce qui est lié au projet en soi, ainsi plus celui-ci est perçu comme précipité par une situation politique ou environnementale (p. ex. : le cas des réfugiés), plus la distance entre les cultures risque d’être perçue comme grande. Cela a pour conséquence que l’individu vivra probablement ce processus comme une crise ou un choc culturel (Camilleri & Cohen-Émerique, 1989). Par ailleurs, c’est en considérant la source du projet migratoire qu’il est possible de mesurer l’impact sur le processus d’adaptation de l’individu de façon générale et plus précisément sur l’adaptation aux divers rôles, dont celui d’être parent. Ainsi, si le parent migrant perçoit qu’il contrôle le processus de migration, il est probable qu’il s’adapte mieux à la fois à la société d’accueil et à son rôle de parent.

1.5.1 Le processus d’acculturation : définitions.

L’acculturation est un processus qui prend naissance lors du contact entre cultures. Ce concept a été introduit par l’anthropologie américaine pour mieux définir les transformations culturelles qui se produisent lorsque deux groupes culturellement différents se rencontrent. L’acculturation a été décrite par Redfield, Linton et Herskovits (1936) comme « l’ensemble des phénomènes résultant du contact direct et continu entre des groupes d’individus de cultures différentes, avec des changements subséquents dans les types de cultures originaux de l’un ou des deux groupes ». (traduction de Camilleri, 1989, p. 29)

Le phénomène des migrations, qui sont plus nombreuses que jamais, a permis de mieux comprendre le contact entre cultures. De nouvelles terminologies ont été mises de l’avant pour décrire ce qui est observable. C’est ainsi qu’a pris naissance, entre autres, l’expression sociétés

pluriculturelles pour nommer les sociétés où des personnes de diverses cultures vivent ensemble

(Berry, 1997). Cependant, il est commun de remarquer que les rapports formés entre les groupes culturels ne sont pas neutres : une situation de rapport de forces nait entre les groupes culturels. C’est en raison de cette idée d’inégalité que sont nés les termes de minorité, de groupes ethniques et de dominance. Or, l’équipe de Redfield et al. (1936) a défini l’acculturation comme une rencontre entre deux (ou plusieurs) groupes culturels, amenant des changements équivalents dans

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chaque groupe. Certains chercheurs ont constaté le contraire puisque la tendance est que l’un des groupes domine généralement l’autre, de façon numérique, économique, sociale ou politique (Berry, 1997; Sabatier & Berry, 1994).

1.5.1.1 Les différentes stratégies d’acculturation.

Dans toutes les sociétés pluriculturelles, les groupes culturels et les membres qui constituent ces groupes, se retrouvent inévitablement dans des situations où un groupe en vient à dominer l’autre. Peu importe la situation dans laquelle l’individu se retrouve, il est confronté à une question fondamentale : comment s’adapter? Des stratégies acculturatives sont utilisées par les groupes et les individus pour gérer les rencontres avec l’Autre. Il est proposé par Berry (1997) quatre stratégies acculturatives (voir Figure 1). Du point de vue du groupe non-dominant, quand les individus ne souhaitent pas maintenir leur identité culturelle et recherchent des contacts avec des individus de l’autre culture, la stratégie Assimilation est privilégiée. Au contraire, lorsque les individus veulent conserver leur culture d’origine et souhaitent éviter toutes les formes de contact avec les individus appartenant à la culture dominante, ceux-ci utilisent la stratégie Séparation. Lorsqu’il y a un intérêt pour maintenir sa propre culture d’origine tout en ayant des contacts avec les individus appartenant à l’autre culture, la stratégie Intégration est mise de l’avant. Finalement, lorsqu’un individu décide de rejeter sa propre culture et ne souhaite pas entrer en contact avec les autres membres du groupe culturel, la stratégie Marginalisation est prônée.

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Figure 1. Représentation du modèle d’acculturation, tel que décrit par Berry

(1997).

Les individus ou encore les groupes peuvent adopter des attitudes qui varient en fonction de ce qu’ils préfèrent parmi ces quatre types de stratégies acculturatives. Les attitudes, les comportements individuels et collectifs peuvent aussi être influencés par ces stratégies (Berry, 1997). Les groupes culturels dominants et non-dominants, les politiques nationales et les programmes gouvernementaux peuvent être analysés en termes de stratégies acculturatives. Par exemple, certaines politiques sont sans aucun doute assimilationnistes, en désirant que tous les migrants et les groupes culturels agissent exactement comme la société dominante ; d’autres privilégieront l’intégrationnisme en acceptant tous les groupes et leur bagage culturel (Berry, 1990b). Au Québec, Bérubé (2004) exprime que la stratégie utilisée par les politiques est celle d’une société assimilationniste. Bien que ce soit une assimilation atténuée, il semble que cette stratégie soit le fait autant des membres de la société d’accueil que de la population migrante. Dans la sphère publique, il y a une préférence pour l’identification à la culture québécoise tandis que dans la sphère privée et communautaire, l’identification à la culture d’origine est acceptée et respectée. Cependant, les résultats de Bourhis, Barrette et Moriconi (2008) suite à une étude réalisée à Montréal auprès d’étudiants universitaires illustrent plutôt que les stratégies adoptées (par la culture dominante) peuvent varier s’il s’agit d’un migrant valorisé ou dévalorisé (p. ex. : un

Est‐ce que l’individu maintient son identité  culturelle?  Est ‐ce  que  l’individu  tente  d’entr etenir   des  relation s  avec  des  personnes  d’un   autre  groupe  culturel?   Intégration Assimilation  Marginalisation  Séparation  Oui Oui  Non  Non 

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migrant valorisé est un migrant français tandis qu’un migrant arabe musulman est dévalorisé). Ainsi, l’intégrationnisme est privilégié envers les migrants valorisés et à l’inverse, l’assimilationnisme et le ségrégationnisme sont deux stratégies adoptées envers les migrants dévalorisés.

1.5.1.2 Liens entre stratégies d’acculturation et adaptation.

Dans ce domaine d’études, des travaux avec plusieurs groupes culturels différents ont montré que les stratégies acculturatives peuvent être liées à une adaptation à long terme (Berry, 1997). Celle-ci est liée aux stratégies mais aussi aux processus dynamiques qui sont impliqués dans la façon dont les individus vont composer avec l’acculturation. En effet, la stratégie

Intégration est reconnue comme étant celle menant à une meilleure adaptation alors que le

contraire est observable pour la stratégie Marginalisation (Berry, 1990a; Berry & Sam, 1996). Les auteurs interprètent ces résultats comme si la stratégie Intégration était liée à des facteurs de protection, tels une volonté de s’adapter, tout en ayant des attitudes positives, une absence de préjugés ou d’expériences de discrimination et une implication dans des communautés culturelles, autre que la sienne. À l’opposé, la stratégie Marginalisation est plutôt un signe de rejet par la société dominante combinée avec la perte de sa propre culture, ayant pour conséquence le développement de sentiments d’hostilité et une diminution du support social.

1.5.2 Choc à l’intérieur du système familial : bouleversement des rôles parentaux.

De façon générale, la migration est plus souvent qu’autrement vue comme un facteur de vulnérabilité pour le noyau familial. Les conditions de migration et d’intégration à une nouvelle société, une nouvelle culture peuvent avoir un impact sur la mise en place des rôles parentaux (Laaroussi & Bessong Messé, 2008) à l’intérieur du système familial en raison d’un changement de vie, de normes et de valeurs à adopter (Morland, Duncan, Hoebing, Kirschke, & Schmidt, 2005). Bien que la société d’accueil, comme celle du Québec, n’a pas émis un code de conduite, elle a nécessairement des attentes envers les pratiques parentales qui sont mises de l’avant et valorisées pour « être un bon parent ». Cette imprécision et parfois même cette méconnaissance de ce qui est normalement attendu peut désorienter le parent migrant qui n’a pas été socialisé de cette façon. Bien que le concept de parentalité ait été démontré comme universel, le contenu et le

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l’éducation et les techniques disciplinaires peuvent varier d’une culture à une autre (Berry, Poortinga, Segal, & Dasen, 1992; Laaroussi & Bessong Messé, 2008; Padilla, 1980; Saulnier, 2004).

1.5.2.1 Mise en contexte de la complexité des rôles parentaux.

Dans la littérature, il y a présence de deux courants de pensée pour comprendre les rôles parentaux à travers une expérience de migration. En premier lieu, en situation de migration, les rôles parentaux sont nécessairement transformés, enrichis et parfois même complexifiés avec la venue de nouvelles normes culturelles à intégrer et à respecter (Laaroussi & Bessong Messé, 2008; Potocky-Tripodi, 2002). Les parents sont donc confrontés à un défi supplémentaire, car en plus de s’adapter à leur nouvel environnement, ils doivent assimiler de nouveaux rôles parentaux (Morland et al., 2005). C’est souvent pendant ce processus de changement et d’actualisation des rôles parentaux que naissent des problèmes dus à l’incompréhension entre les parents migrants et les représentations des institutions de la société d’accueil. Non seulement l’expérience de la migration engendre une source importante de malentendus, mais selon Potocky-Tripodi (2002), cela peut produire des changements à l’intérieur des rôles parentaux qui rendent les enfants vulnérables, voire à risque. La transformation des rôles parentaux liés au phénomène d’acculturation, pouvant donc entrainer une escalade de violence et de conflits intrafamiliaux.

En second lieu, d’autres chercheurs dans le domaine (Duval, 1992; Legault, 2000; Saulnier, 2004) mettent plutôt en parallèle la complexité de la parentalité chez les migrants en lien avec des problèmes d’intégration. L’accès aux ressources est un défi important pour la population migrante, mais plus particulièrement pour les familles. Il peut s’agir entre autres d’obtenir un emploi, d’avoir un logement salubre et d’avoir des revenus suffisants pour subvenir aux besoins familiaux, par exemple. Ainsi, à ces difficultés s’additionne celle d’intégrer une nouvelle conception du rôle de parent pour correspondre aux normes valorisées dans la nouvelle société, ce qui fragilise d’autant plus le système familial.

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Le processus de la migration peut être éprouvant physiquement, socialement, psychologiquement et émotionnellement pour les membres des familles (Ward, 1996). Le phénomène d’acculturation qui en suit peut se traduire comme une source de pressions additionnelles pour les parents puisqu’ils expérimentent en même temps que leurs enfants un changement de normes culturelles. Ce changement amène un bouleversement du système familial et plus précisément, une fragilisation des relations entre parents et enfants (Dettlaff & Johnson, 2011). Les familles migrantes vivent donc de grandes périodes d’instabilité, à plusieurs niveaux, de nombreux changements et des séparations, amenant une période d’adaptation considérable, souvent liée à un stress important (Maiter, Alaggia, & Trocmé, 2004; Tourigny & Bouchard, 1994).

En plus des raisons précédemment abordées expliquant l’enjeu entourant les rôles parentaux, la relation parents/enfants peut également être effritée par un désir d’adaptation et d’acculturation (Fontes, 2002; Maiter et al., 2004). Les parents et les enfants se retrouvent souvent à des niveaux acculturatifs différents, créant une tension significative. Il n’est pas rare de constater que les parents veulent continuer d’adhérer aux normes sociales de leur pays tandis que les enfants intègrent plus rapidement celles de la culture majoritaire (Fontes, 2002). Les résultats de l’étude réalisée au Québec par Tourigny et Bouchard (1990) chez des familles haïtiennes, prises en charge par la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ), illustrent que les enfants adoptant des valeurs canadiennes françaises, tout en rejetant leur culture d’origine, génèrent d’importants conflits familiaux.

1.6 Contextualisation de la protection de la jeunesse et familles migrantes

Afin de comprendre l’intérêt d’étudier à la fois les conceptions des parents migrants et québécois sur les thèmes des pratiques parentales et de la maltraitance, il faut également s’attarder au contexte législatif de la protection de la jeunesse.

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Au Québec, la Loi 125 nommée Loi de la protection de la jeunesse (LPJ) « s’applique aux enfants6 qui vivent des situations compromettant ou pouvant mettre en péril leur sécurité ou leur

développement. Il s’agit d’enfants que l’on considère en grande difficulté et en besoin de protection. » (Ministère de la Santé et des Services sociaux, 2008, p. 7). La LPJ définit le degré de violence ou de négligence associé à l’atteinte du développement sain de l’enfant. Ainsi, lorsqu’il y a certitude qu’il s’agit d’une situation portant atteinte au développement, la DPJ et son équipe interviennent auprès de la famille concernée dans le but de « mettre fin à la situation qui compromet la sécurité ou le développement de l’enfant et éviter qu’elle ne se reproduise, et ce, dans l’intérêt de l’enfant et dans le respect de ses droits » (Ministère de la Santé et des Services sociaux, 2008, p. 7). La volonté de l’État est certes légitime et se doit d’exister, toutefois selon certains auteurs (p. ex. : Chiasson-Lavoie & Roc, 2000), l’application de la LPJ auprès d’une clientèle migrante peut parfois être questionnable, notamment lorsque l’on s’intéresse aux statistiques qui montrent une disproportion des communautés culturelles et migrantes dans le système de la protection de la jeunesse (pour plus de détails, voir section 1.6.2). De toute évidence, cette loi, comme c’est le cas pour les autres lois, est construite à partir de normes sociales et culturelles, québécoises, pouvant être différentes de celles auxquelles sont habitués les migrants nouvellement arrivés (Chiasson-Lavoie & Roc, 2000). Par exemple, la non-fréquentation scolaire peut représenter un motif de signalement au Québec alors que cette situation peut ne pas être considérée comme une atteinte au développement de l’enfant dans d’autres pays. Tout cela considéré, la vision valorisée par la société d’origine du migrant par rapport à certaines pratiques parentales peut aller à l’encontre de celle de la société d’accueil, entrainant des conflits de valeurs plus ou moins problématiques (Bérubé, 2004; Segal, 1992).

1.6.1 Un bref portrait de la maltraitance.

Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), la maltraitance de l’enfant se définit de la façon suivante :

Toutes les formes de mauvais traitements physiques ou affectifs, de sévices sexuels, de négligence ou de traitement négligent, ou d’exploitation

6 Selon la LPJ, le terme « enfant » désigne une personne de moins de 18 ans. Les adolescents sont donc, eux aussi, visés par cette

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commerciale ou autre, entrainant un préjudice réel ou potentiel pour la santé de l’enfant, sa survie, son développement ou sa dignité dans le contexte d’une relation de responsabilité, de confiance ou de pouvoir. (Krug, Dahlberg, Mercy, Zwi, & Lozano-Ascencio, 2002, p. 65)

L’Étude canadienne sur l’incidence des signalements de cas de violence et de négligence (ECI) envers les enfants de 2008 démontre qu’au Canada, 85 440 enfants âgés entre 0 et 17 ans ont été déclarés comme maltraités suite à une évaluation des services de protection de la jeunesse. Dans 18% des situations, il y a un cumul de deux formes de maltraitance et plus (Trocmé et al., 2008). Ce rapport mentionne qu’il est difficile de comparer la prévalence de la maltraitance avec les dernières années en raison de changements importants quant à la méthodologie, bien que les chiffres témoignent d’une hausse de la prévalence de la maltraitance, de façon générale, à l’exception des cas d’abus physiques. Il faut également comprendre que ces chiffres ne représentent que la pointe de l’iceberg puisqu’ils ne prennent pas en considération les cas inconnus ou non signalés tout comme les cas considérés comme étant insuffisamment graves pour entrainer une atteinte au développement de l’enfant ou devant une situation où la sécurité de l’enfant est mise en péril (Trocmé et al., 2008). L’ECI classe les mauvais traitements selon différentes catégories : violence physique, abus sexuels, négligence, violence psychologique et exposition à la violence conjugale. Les résultats montrent que les deux catégories ayant les plus haut taux de mauvais traitements sont l’exposition à la violence conjugale et la négligence (Trocmé et al., 2008).

Les résultats d’une recherche récente auprès de 2800 jeunes québécois issus de la population générale et âgés entre 0 et 17 ans sont tout autant alarmants. Les formes de victimisation sont multiples et peuvent déborder de la relation parent-enfant, incluant une gamme d’expériences de victimisation présentes dans différents contextes de vie et par une diversité d’agresseurs potentiels. Sur une durée d’un an, 76% des jeunes rapportent avoir déjà vécu une expérience de victimisation (61% dans la dernière année). Dans cet échantillon, 13% mentionnent avoir été victimes de comportements maltraitants, par exemple l’abus physique (7% dans la dernière année), 8% de victimisation sexuelle, par exemple l’harcèlement sexuel verbal (5% dans la dernière année) et 8% de polyvictimisation, c’est-à-dire qu’ils ont vécu une expérience de victimisation dans plus d’un domaine. La forme de maltraitance la plus communément rapportée est l’abus psychologique.

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Les statistiques montrent que la maltraitance et la victimisation sexuelle sont disproportionnés parmi les enfants polyvictimisés et ce pour tous les âges (Cyr et al., 2013).

1.6.2 La disproportion des communautés culturelles et migrantes.

Au Québec, comme c’est le cas dans d’autres provinces ou pays (notamment aux États-Unis), il y a une représentation disproportionnée des minorités culturelles, principalement celles issues de la migration, dans le système de la protection de la jeunesse (Lavergne et al., 2008; Tourigny & Bouchard, 1994). Comme l’expriment Lavergne, Dufour et Couture (2014), tous les groupes ne sont pas touchés de façon équivalente. Cette disproportion implique la sur- et la sous-représentation de certains groupes culturels aux différentes étapes du système de la protection de la jeunesse. La disproportion a des conséquences négatives pour les enfants et leurs familles, dont celle « de faire l’objet d’un contrôle social accru non justifié ou au contraire d’une intervention inappropriée qui mènerait à tolérer des comportements parentaux dangereux au nom de la culture » (Lavergne et al., 2014, p. 18).

La majorité des études canadiennes et américaines trouvent que les taux de signalement sont plus élevés pour les familles issues des minorités culturelles (Tourigny & Bouchard, 1994) et que ces enfants ne seraient pas traités de la même façon que des enfants « blancs » (Ards, Myers Jr, Malkis, Sugrue, & Zhou, 2003), pour reprendre la terminologie des auteurs, subissant entre autres, une évaluation et un traitement différents (Lu et al., 2004). Une étude réalisée au Canada (Lavergne et al., 2008) illustre que les enfants provenant des minorités culturelles et ceux d’origine autochtone sont pris en charge par les services de la protection 1,77 fois plus souvent que des enfants issus de la population générale. Les résultats indiquent que les enfants autochtones, noirs et latinos sont surreprésentés dans le système canadien de la protection de la jeunesse. Les auteurs concluent que cela reflète nécessairement la présence d’un biais racial dans l’identification de ce qu’est la maltraitance. Dans cet exemple, l’équipe de chercheurs a trouvé que la population migrante (en comparaison avec la société d’accueil) accorde un sens différent à la définition d’un abus physique, expliquant l’augmentation de cas rapportés à la DPJ (Lavergne et al., 2008). D’autres auteurs arrivent à des conclusions différentes. Les résultats montrent que ce sont seulement les enfants autochtones et noirs qui seraient surreprésentés dans le système [américain] de la protection de la jeunesse, plus précisément à l’étape du placement (Hill, 2006). Concernant

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la sous-représentation des communautés culturelles, les résultats indiquent que ce sont les enfants asiatiques qui seraient considérés comme « absents » des données de la protection de la jeunesse et ce, peu importe l’étape du système, du signalement aux mesures de placement (Magruder & Shaw, 2008). Dans le contexte québécois, une étude montréalaise auprès de 3918 enfants (Lavergne, Dufour, Sarmiento, & Descôteaux, 2009) a relevé que les enfants noirs sont surreprésentés. Ils sont deux fois plus susceptibles de faire l’objet d’un signalement. Les enfants des autres groupes culturels sont quant à eux sous-représentés dans le système de la protection de la jeunesse tant pour le signalement que pour les services de protection. Or, les enfants blancs, quelle que soit leurs origines, font plus souvent l’objet d’un placement que les enfants noirs ou ceux issus des autres groupes culturels. Ces résultats appuient l’existence d’une disproportion et que l’ampleur de celle-ci peut varier en fonction de chacune des étapes de prise de décision et des groupes culturels à l’étude (Dufour et al., 2012).

Différentes raisons ont été mises de l’avant pour expliquer la disproportion observée dans le système de la protection de la jeunesse. Cependant, les résultats sont parfois contradictoires et reposent souvent sur des méthodologies quantitatives. Les principales raisons possibles pour expliquer cette réalité sont : 1) des conditions socioéconomiques difficiles (Rivaux et al., 2008); 2) des différences importantes au niveau des valeurs et des pratiques parentales (Lavergne et al., 2008) et 3) des biais ou caractéristiques jouant un rôle dans l’identification et le signalement des situations de maltraitance (Dettlaff & Rycraft, 2008; Elliott & Urquiza, 2006).

En parallèle aux conclusions de l’équipe de Lavergne et collaborateurs (2008), les recherches en psychiatrie et en psychologie interculturelle montrent que les parents utilisent leurs propres référents culturels pour expliquer et comprendre leurs comportements (Chiasson-Lavoie & Roc, 2000; Kleinman, 1980; Weiss, 1997) tout comme pour juger de l’adéquation de ces comportements envers leurs enfants (Chiasson-Lavoie & Roc, 2000). Ainsi, la définition de la maltraitance est - en partie - une construction sociale, issue d’un contexte moral, culturel et légal (Hassan & Rousseau, 2007) et est le produit d’une interaction complexe entre les caractéristiques des parents et les conditions sociales et culturelles dans lesquelles le système familial évolue. Il est donc primordial de s’intéresser aux pratiques parentales et à la définition de ce qu’est un

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comportement maltraitant pour le parent pour être en mesure de travailler et d’évaluer adéquatement une famille migrante (Gershoff, 2002).

1.7 Les études interculturelles sur les pratiques parentales et la maltraitance

Un certain nombre d’études en psychologie interculturelle se sont intéressées aux représentations des pratiques parentales et de la maltraitance, de façon générale, chez plusieurs populations migrantes distinctes pour mieux comprendre le rôle que joue la culture. La valeur accordée à l’enfant et les pratiques parentales sont centrales et doivent être étudiées à l’intérieur de chaque culture pour avoir un portrait juste de ces représentations (Caughy & Franzini, 2005; Gershoff, 2002).

Maiter et collaborateurs (2004) ont suggéré qu’à l’intérieur de chaque culture, les pratiques parentales varient sur un continuum ; de l’utilisation de techniques disciplinaires pour des comportements appropriés à extrêmement inappropriés, en incluant tout ce qui se rattache aux questions d’abus, de négligence et de maltraitance, de façon plus générale. Plusieurs études comparatives menées dans plusieurs groupes culturels distincts illustrent comment un même comportement disciplinaire peut être désapprouvé, ou considéré comme abusif, violent dans un contexte culturel particulier alors qu’il peut être vu comme acceptable dans un tout autre contexte (Corral-Verdugo, Frías-Armenta, Romero, & Muñoz, 1995; Fontes, 2002; Frias-Armenta & McCloskey, 1998). Par exemple, l’étude de Shor (2006) illustre qu’il est acceptable pour des parents en Russie d’utiliser un objet pour frapper physiquement un enfant âgé entre 5 et 12 ans. Il est à noter que bien que ces comportements puissent être jugés comme acceptables par les membres d’un groupe culturel spécifique, ils peuvent avoir des conséquences néfastes sur le développement de l’enfant. Cependant, les interprétations qu’un parent ou encore qu’un intervenant possède quant à ce qui est sain ou malsain varieront en fonction des représentations qu’il en a (Kagitcibasi, 1992; Korbin, 2002).

Dans la littérature, il y a de grandes variations dans les résultats obtenus quant aux pratiques parentales entre des groupes culturels et à l’intérieur même d’un groupe culturel. Il faut rester prudent quant à l’interprétation de ces résultats, pour ne pas tenter d’universaliser les

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représentations ou encore les comportements observés (Dettlaff & Rycraft, 2008; Gershoff, 2002). Par exemple, Ferrari (2002) a demandé à des parents de deux populations distinctes de coter la sévérité de vignettes sur des comportements maltraitants. L’auteure trouve que les parents afro-américains cotent plus sévèrement la maltraitance que les parents latino-afro-américains. Une étude mixte (Maiter et al., 2004) réalisée en Ontario, au Canada, s’est intéressée aux différentes conceptions des pratiques parentales qu’ont les parents migrants provenant d’Asie du Sud. Ils ont conclu que le jugement de ces parents ne diffère pas des autres populations. Les résultats montrent que la discipline physique persistante et excessive ainsi que les comportements parentaux sont jugés comme inappropriés puisqu’ils ont des conséquences émotionnelles néfastes sur les enfants. Une étude qualitative (Hassan & Rousseau, 2009) effectuée à Montréal s’est aussi intéressée aux différences dans les représentations qu’ont les parents migrants et les adolescents (latinos et maghrébins) sur la maltraitance et sur la punition corporelle. Les parents maghrébins conçoivent la punition physique légère (p. ex. : la fessée) comme une pratique acceptable seulement si le geste posé est expliqué à l’enfant. Quant aux parents latinos, ils sont plutôt en désaccord avec la punition corporelle. Cependant, une recherche réalisée avec des mères mexicaines (vivant toujours au Mexique) trouve que les comportements coercitifs pour discipliner les enfants ne sont pas perçus négativement. Au contraire, ces mères percevaient des bénéfices à l’utilisation de ce type de stratégie pour l’éducation de leurs enfants (Corral-Verdugo et al., 1995).

1.7.1 Le concept de dysnormativité.

L’équipe de chercheurs de Larrivée, Tourigny et Bouchard (2007) a implanté la notion théorique de dysnormativité pour mettre l’accent sur l’écart existant entre les normes du groupe culturel majoritaire, qui « condamnent » l’utilisation de la punition physique, et celles des groupes culturels minoritaires qui « approuvent » le recours à ce type de discipline. La dysnormativité représente l’écart présent entre les normes de la culture majoritaire et celles des communautés culturelles minoritaires, plaçant les familles migrantes à l’extérieur de ce qui est admis comme socialement acceptable. Cette situation peut devenir problématique si elle est perçue négativement par la société d’accueil, qui proscrit et dévalorise le geste ou encore les valeurs culturelles d’origine du parent migrant (Hassan & Rousseau, 2009). Certains auteurs pensent également que c’est en raison de cette dysnormativité que les enfants issus des minorités culturelles sont surreprésentés

Figure

Figure  1. Représentation du modèle d’acculturation, tel que décrit par Berry  (1997)
Figure 2. Acculturation, familismo et machismo : trois construits inter-reliés (Steidel et Contreras,  2003)
Figure 3. Schématisation du déroulement d’une recherche utilisant un modèle mixte simultané  QUAL + quan (Morse & Niehaus, 2009)
Figure 5. Synthèse des catégories retenues suite aux analyses et le nombre de codes associés.
+2

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