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Archéologie intérieure de Marie de l'incarnation : la notion de "corespondance" dans la relation de 1654

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ARCHEOLOGIE INTERIEURE DE MARIE DE

L'INCARNATION : LA NOTION DE

« CORRESPONDANCE » DANS LA RELATION DE 1654

Mémoire présenté

à la Faculté des études supérieures et postdoctorales de l'Université Laval dans le cadre du programme de maîtrise en Théologie

pour l'obtention du grade de Maître es Arts (M.A.)

FACULTE DE THEOLOGIE ET SCIENCES RELIGIEUSES UNIVERSITÉ LAVAL

QUÉBEC

2011

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La recherche entreprise ici, de type exploratoire et ancrée en théologie spirituelle, s'attache à l'usage singulier que Marie de l'Incarnation (1599-1672) fait des termes de « correspondance » et d'« incorrespondance » à l'intérieur du récit autobiographique adressé à son fils Claude (Relation de 1654). Des outils d'analyses langagières permettent d'explorer avec précision les diverses occurrences positives ou négatives de cette notion de « correspondance » ainsi que le contexte de leur usage. L'hypothèse du caractère central de l'attitude spirituelle de correspondance se confirme de plus en plus au fil des analyses. Marie de l'Incarnation la présente en effet comme « absolument requise » ou encore comme un appel reçu de Dieu. Le caractère dramatique conféré aux « incorrespondances » pointe lui aussi, comme a contrario, vers l'importance de la correspondance. Cette attitude spirituelle invite enfin à poser un autre regard sur la liberté, concept clé de la modernité.

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Écrire un mémoire est une longue aventure que l'on entreprend sans trop connaître la longueur du parcours ni les détails et détours que la route nous réserve. Lorsqu'on regarde le chemin parcouru, on ne voit pas seulement des défis accomplis et des épreuves franchies. On voit surtout une multitude de personnes qui ont soutenu la marche, l'ont encouragée et conseillée.

Mes remerciements vont d'abord à ma directrice madame Thérèse-Nadeau Lacour qui m'a habilement accompagné sur cette route du début jusqu'à la fin. Elle a su me soutenir et m'attirer vers le haut. Je lui dois beaucoup. Je suis aussi très reconnaissant envers monsieur Raymond Brodeur et les autres membres du CEMI de l'Université Laval qui ont également stimulé mon intérêt dans mes réflexions sur Marie Guyart de l'Incarnation et les autres Maîtres spirituels et fondateurs de la Nouvelle-France. Ma gratitude se tourne aussi vers nos chères Ursulines de Québec qui veillent sur l'héritage spirituel que nous a laissé leur fondatrice exceptionnelle. Elles aussi ont été généreuses dans leurs encouragements.

Je dois encore beaucoup à la Communauté de l'Emmanuel et à tous ceux qui m'ont permis de dégager temps et énergie pour entreprendre et mener à terme cette entreprise. Parents, amis, confrères, merci !

Merci enfin à Marie de l'Incarnation de s'être laissée audacieusement guider par la grâce et d'être venue sur cette terre étrangère partager le feu et la sagesse qui l'animaient. Que notre temps nous donne encore aujourd'hui de dignes porteurs de ce flambeau !

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AVANT-PROPOS VII TABLE DES MATIÈRES IX LISTE DES TABLEAUX XIII

INTRODUCTION 1 1. Marie Guyart de l'Incarnation 1

2. Contexte de la recherche 2

3. Problématique 4 3.1 La notion de correspondance et la question principale de ce mémoire 5

3.2 Hypothèse 5 3.3 Des sous-questions 6

4. Le corpus 6 4.1 Le corpus et sa pertinence pour la théologie spirituelle 6

4.2 Un écrit de relecture et de maturité 7 4.3 Non pas un traité doctrinal, mais un récit 9

4.4 Caractère intime de l'écrit 9 5. Méthodologie et plan du mémoire 11

5.1 Méthodologie 11

5.2 Plan 14 6. La spiritualité et la mystique au tournant du XVIe et du XVIIe siècle français : un contexte

d'effervescence spirituelle 15 PREMIER CHAPITRE : Une correspondance « absolument requise » 19

1. Le contexte et les états d'oraison qui précédent le chapitre X. Du 24 mars 1620 à l'année 1623,

les deuxième et troisième états d'oraison 20

1.1 Une créature nouvelle 20 1.2 Don d'oraison en lien avec le Verbe Incamé 22

1.3 Tendance à l'union avec Dieu 22 1.4 Premières remarques à partir de ce contexte 23

2. Quelques résultats des analyses langagières du chapitre X du quatrième état d'oraison 24

2.1 Découpage structurel du chapitre X et genre littéraire du texte 24

2.2 Les champs sémantiques significatifs 24

2.3 Les personnages 25 2.4 Propos et objet du chapitre X 27

2.5 Investigation du troisième paragraphe du chapitre X 28 3. Résultats de l'analyse plus approfondie de quelques éléments de la phrase où se trouve

mentionnée l'importance de la correspondance 30 3.1 La correspondance comme étant absolument requise 30

3.2 La correspondance lorsque Dieu appelle 31

3.3 La correspondance et la pureté 35 3.4 Les soubassements de la correspondance comme nécessité : tendance à l'union et

conscience de la disproportion 37 3.5 Correspondance et noblesse de la créature 39

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3.6 Correspondance et abandon 40 3.7 Correspondance et directeur spirituel 45

4. Première conclusion 50 DEUXIÈME CHAPITRE : Regard sur une seconde occurrence du mot correspondance :

Le petit discours du chapitre LXVI 55 1. Le contexte : le chapitre LXV et la pauvreté spirituelle et substantielle 55

2. Quelques résultats d'analyse 57 2.1 Un texte bien délimité 57 2.2 Genre littéraire particulier du chapitre LXVI 58

2.3 Propos du récit 59 2.4 Des champs sémantiques contrastés révélateurs 60

2.5 Les personnages 62 2.6 Une dramatique 63 2.7 Une multiplicité de récits 69

3. Progression de la recherche 76

3.1 La correspondance liée à l'appel à la nuptialité 76

3.2 Correspondre/.ar la tendance 77 3.3 Celui qui Vagit si puissamment 79 3.4 Correspondre à la tendance 81 3.5 Une conversion de la manière de correspondre : de l'activité à la passivité 84

3.6 Correspondance et conformation à l'image du Fils 85 3.7 Correspondre comme le sarment unit à la Vigne 86

4. Synthèse 87 4.1 Des confirmations et de nouvelles avancées 87

4.2 État de la question principale 88 TROISIÈME CHAPITRE : Autres occurrences et examen d'une objection 91

1. La correspondance : un double appel de Dieu 91 1.1 Le 25 janvier 1633 : premier appel explicite à la correspondance 91

1.2 Février 1639 : second appel à la correspondance 97

2. Le drame de ses incorrespondances 104 2.1 Regard sur les « incorrespondances » 104 2.2 Mise en lumière de certains champs sémantiques présents 107

2.3 Comment expliquer ces multiples confessions d'« incorrespondance »? 107

2.4 Des avancées pour la question principale 109

3. Examen d'une objection 111 3.1 Le peu d'occurrences de l'expression correspondance 111

3.2 Les champs sémantiques de Vappel et de la correspondance 112

3.3. Appel à la vie religieuse 116 3.4 Conclusion à propos de l'objection 123

CONCLUSION 125 1. Récapitulation de l'argumentation 125

2. Dépassement et ouverture. Correspondance, liberté et modernité 128

2.1 La correspondance : une entrave à la liberté ? 129 2.2 La liberté selon Marie de l'Incarnation 130 2.3 Correspondance et liberté : récapitulation 140

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2.4 Mystique et modernité 141 2.5 Ouverture : Et les autres maîtres spirituels du grand siècle des âmes? 142

Annexe I. Chapitre X (Quatrième état d'oraison) 145 Annexe IL Chapitre LXVI (Treizième état d'oraison) 147

Bibliographie 151 1. Corpus principal : 151 2. Corpus secondaire 151 2.1 Monographies 151 2.2 Collectifs 153 2.3 Articles 154 2.4 Dictionnaires et ouvrages de références 155

3. Ouvrages méthodologiques 156

3.1 Monographies 156 3.2 Articles 156

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PREMIER CHAPITRE

Tableau 1. Les acteurs principaux et secondaires du chapitre X 26 Tableau 2. Isomorphisme du troisième paragraphe du chapitre X 29

DEUXIÈME CHAPITRE

Tableau 3. Inclusion délimitant le petit discours du chapitre LXVI 58 Tableau 4. Dramatique du petit discours du chapitre LXVI 66 Tableau 5. Citations du Cantique des cantiques présentes dans le petit discours 72

TROISIÈME CHAPITRE

Tableau 6. Premier appel à la correspondance. Encadrement du récit 93 Tableau 7. Les occurrences négatives de la notion de correspondance

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1. Marie Guyart de l'Incarnation

C'est dans un contexte d'effervescence spirituelle postconciliaire1 qu'en 1599, naît Marie,

fille de Florent Guyart et de Jeanne Michelet. Son père est maître boulanger à Tours et Marie est la quatrième des huit enfants qui naîtront dans cette famille aisée de province2.

Enfance assez simple et plutôt pieuse, elle sera petit à petit plongée dans ce renouveau mystique qui transporte toute la France du XVIIe siècle. Elle en sera à la fois un fruit, mais

aussi une artisane. D'abord mère de famille, puis veuve dès 19 ans avec des accents de recluse, ensuite servante de maison pour sa sœur Claude, puis gérante de la grande entreprise de transport de son beau-frère, elle est déjà dans le monde favorisée par de grandes grâces mystiques telles le mariage spirituel et des visions trinitaires. Poursuivant sa route sur le chemin d'union à Dieu, elle entre chez les Ursulines de Tours le 25 janvier 1631. C'est là qu'elle prendra le nom de Marie de l'Incarnation, mais ce monastère ne sera pour elle qu'un passage, car au printemps 1639, elle quittera à jamais sa patrie pour devenir fondatrice et missionnaire en Canada afin d'y établir « une maison à Jésus et à Marie3. »

Cette ursuline missionnaire aux accents mystiques fait partie des grandes figures du XVIIe siècle français qui ont attiré l'attention de nombreux historiens, théologiens,

littéraires ou spirituels. Son fils Claude Martin, devenu moine dans l'ordre de saint Benoît, fut l'un des premiers à être saisi par l'étonnante profondeur et la sagesse spirituelle de sa mère, avec qui il a abondamment correspondu à partir du moment où un océan les séparait. Leurs échanges épistolaires et les confidences d'amis communs lui ont fait découvrir en sa mère une réelle maîtresse spirituelle. Après la mort de celle-ci en 1672, ne voulant garder ce trésor pour lui seul, il publia les écrits de sa mère.

1 Ce contexte d'effervescence spirituelle sera plus largement décrit subséquemment.

2 Guy-Marie Oury, Marie de l'Incarnation, Presses de l'Université Laval / Abbaye Saint-Pierre, Québec / Solesmes, 1973, p. 9.

3 Marie de l'Incarnation, Écrits spirituels et historiques (Québec), Québec, réédition Ursulines de Québec (d'après l'édition DDB, 1929 par Dom Jamet), 1985, 9e E.O., chap. XLI, p. 204. (N.B. Les références à cet ouvrage seront dorénavant abrégées par RI 654.)

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écrits de cette femme du XVIIe siècle purent d'eux-mêmes constater que l'estime de Dom

Claude n'était pas simple piété filiale, mais qu'il y avait bien là une maîtresse en spiritualité. Les confirmations quant à la qualité spirituelle de cette femme et de ses écrits se succèdent depuis les premières publications de Dom Claude Martin. Le Cardinal Charles Journet disait d'ailleurs à son propos : « Oui, elle peut bien être appelée "avec un docte personnage qui a eu longtemps la conduite de son âme : une seconde sainte Thérèse, ou plutôt la Thérèse du Canada". Bossuet parlera quant à lui de "la Thérèse de nos jours et du Nouveau Monde" 4 ». La réputation de Thérèse d'Avila n'est plus à faire en ce qui a trait à

sa compétence pour la théologie mystique, elle qui reçut même le titre de docteur de l'Église. Comparer Marie Guyart de l'Incarnation à la grande Thérèse révèle donc déjà beaucoup sur la stature mystique de cette femme de Tours.

2. Contexte de la recherche

Ce mémoire s'insère dans le domaine de la théologie spirituelle sous deux de ses champs d'étude : l'histoire de la spiritualité et la théologie de la vie spirituelle. Plus on se penche sur les écrits des grandes figures mystiques issues du christianisme, plus on est amené à faire la double constatation dont Charles André Bernard fait état dans son ouvrage Le Dieu des mystiques : « d'un côté une foncière concordance chez les mystiques chrétiens en ce qui regarde le contenu de leur message, de l'autre la multiplicité des points de vue que l'on peut prendre sur l'expérience mystique elle-même5. »

Le XVIIe siècle français n'échappe pas à ce constat. François de Sales, Bérulle, Lallemant,

Condren, Marie Guyart de l'Incarnation et bien d'autres convergent sur les points essentiels de leur théologie mystique et pourtant chacun a ses originalités, ses accents et ses insistances propres.

4 Cardinal Charles Journet, Préface, dans Marie de l'Incarnation, Correspondance, éd. Abbaye Saint-Pierre, par Guy-Marie Oury, Solesmes, 1971, p. VIII.

Charles-André Bernard, Le Dieu des Irfystiques, Tome I Les voies de l'intériorité, Cerf, coll. « Théologies », Paris, 1994, p. 7-8.

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étapes6 », nous dit Pinckaers. Plus loin, il ajoute également: « Elle porte nettement [...] la

marque de la personnalité de son auteur et se montre particulièrement attentive au déroulement de l'histoire intérieure . »

En raison de ce lien avec l'expérience, le langage spirituel employé par chaque mystique aura aussi ses spécificités: « il est plus personnel [...]. Chaque auteur a son style aisément reconnaissable et s'exprime volontiers à la première personne8. » La culture, l'époque, le

milieu, mais aussi l'expérience spirituelle de l'auteur contribuent à la particularisation langagière de ce dernier.

Dans ce sens, on peut d'une part remarquer que l'expérience spirituelle de Marie Guyart de l'Incarnation rejoint celle de nombreuses autres grandes figures de la mystique chrétienne, mais qu'elle a, d'autre part, des accents propres qu'on peut déceler dans ses écrits.

Or, pour dégager les particularités de la spiritualité de l'ursuline du XVIIe siècle, il y a un

travail d'investigation de ses écrits à faire. Ce travail d'investigation peut être comparé à celui de l'archéologue9. En effet, de même que ce dernier explore des lieux témoins d'une

vie passée, y fait des fouilles et dégage des particularités, ainsi le chercheur se penche sur les écrits de Marie Guyart de l'Incarnation qui sont comme autant de sites témoins et propres à révéler certaines particularités de la vie qui a animé Marie de l'Incarnation.

Plusieurs théologiens, historiens et littéraires ont déjà exploré ces écrits pour saisir le mystère et les particularités de la vie de cette femme du XVIIe siècle. Dom Albert Jamet et

Dom Guy-Marie Oury restent probablement les deux plus grandes figures de chercheur

6 Servais-Théodore Pinckaers, La vie selon l'Esprit, Essai de théologie spirituelle selon saint Paul et saint Thomas d'Aquin, Coll. AMATECA Manuel de Théologie catholique, tome XVII, 2, Ed. Saint-Paul, Luxembourg, 1996, p. 50.

1 Ibid. *Ibid.,p.5\.

9 Cette allégorie de l'archéologie pour décrire la recherche sur des textes a déjà été mise de l'avant par madame Thérèse Nadeau-Lacour dans Le temps de l'expérience chrétienne, perspectives spirituelles et éthiques, Montréal, Ed. Médiaspaul, 2002, p. 7,17-42.

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d'autre de l'Atlantique se sont cependant aussi intéressés à ses œuvres : on peut mentionner Henri Bremond, Charles-André Bernard, Pierre Gervais, Michel Roberge, Thérèse Nadeau-Lacour, Raymond Brodeur, Dominique Deslandres et bien d'autres encore. La vitalité du CEMI (Centre d'Études Marie-de-1'Incarnation) en lien avec l'Université Laval stimule la collaboration de plusieurs chercheurs pour explorer les « sites » laissés par Marie Guyart de l'Incarnation.

Un des écrits les plus riches et des plus investigués de Marie de l'Incarnation est sa Relation de 1654, autobiographie intégrant à la fois des éléments de sa vie intérieure et extérieure. Cet écrit intime destiné à son fils unique et nullement écrit pour être publié, est fort intéressant, tant dans sa forme que dans son contenu, car il dévoile certaines spécificités de la vie spirituelle de Marie de l'Incarnation. Ce texte étant d'une grande valeur, il fut déjà passablement exploré, mais il subsiste néanmoins de nombreuses particularités à dégager et à approfondir.

3. Problématique

L'exploration de la singularité de la doctrine mystique de l'ursuline est encore largement ouverte. Certaines des lignes de force qui articulent sa vie spirituelle sont, à n'en pas douter, à approfondir. Or, Marie de l'Incarnation suggère elle-même, comme en passant, l'une d'entre elles lorsqu'elle use du concept spirituel de « correspondance » dans sa Relation de 1654. Certains chercheurs ont déjà souligné l'usage de cette notion par Marie de l'Incarnation. C'est le cas de Michel Robert, qui en parle dans son ouvrage Vivre dans l'Esprit : Marie de l'Incarnation™ et plus récemment de Madame Nadeau-Lacour, qui en traite dans l'article Marie Guyart, une femme dans tous ses états : La gestation et l'affirmation d'une cc subjectivité mystique » . Le premier ouvrage n'y a cependant accordé

10 Robert Michel, Vivre dans l'Esprit : Marie de l'Incarnation, Bellarmin, Montréal, 1975, p. 61-65.

11 Thérèse Nadeau-Lacour, «Marie Guyart, une femme dans tous ses états : La gestation et l'affirmation d'une "subjectivité mystique" », dans Raymond Brodeur, Dominique Deslandres et Thérèse

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Nadeau-Thérèse Nadeau-Lacour a souligné l'importance de cette notion de « correspondance » dans l'œuvre de Marie de l'Incarnation, mais l'objet de cet article n'était pas d'approfondir celle-ci sous tous ces angles. Un travail d'approfondissement sur ce point restait donc à faire.

3.1 La notion de correspondance et la question principale de ce mémoire

Lorsqu'on parcourt le texte de la Relation de 1654, la notion de correspondance et l'attitude spirituelle qu'elle désigne semblent à prime abord discrètes. Le mot ou son contraire, « incorrespondance », ne sont utilisés que quelques fois dans l'ouvrage. Cependant, en parlant de la vie intérieure dans la pureté, au chapitre X, dans le quatrième état d'oraison, Marie de l'Incarnation parle de la correspondance comme étant « absolument requise12 ». Alors que penser? Cette notion et l'attitude spirituelle qu'elle

désigne sont-elles primordiales ou secondaires dans la spiritualité de l'ursuline et dans l'œuvre de 1654? Le désir de résoudre cette ambiguïté suscite donc la question principale de la problématique de ce travail :

Quelle place Marie de l'Incarnation accorde-t-elle à l'attitude spirituelle désignée par la notion de correspondance employée dans sa Relation de 16541

3.2 Hypothèse

Notre hypothèse est que cette place est majeure et non périphérique comme pourrait le laisser croire les rares occurrences de la notion.

Lacour (dir.), Lecture inédite de la modernité aux origines de la Nouvelle- France. Marie Guyart de l'Incarnation, et les autres fondateurs religieux, Les Presses de l'Université Laval, Québec, 2010, p. 25-60. 12 RI654,4e E.O., chap. X, p. 94.

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La réponse à la question principale passera en fait par la résolution de sous-questions qui seront en quelque sorte les montants de l'échelle permettant d'atteindre une certaine hauteur de vue et fournissant la perspective nécessaire à la confirmation de l'hypothèse initiale postulant que l'attitude spirituelle désignée par la correspondance dans la Relation de 1654 est majeure pour Marie de l'Incarnation et a une importance capitale dans cet écrit. Ainsi, on pourra successivement se demander :

a) À quelle occasion emploie-t-elle la notion de correspondance dans la Relation de 16541 b) Que désigne la notion de correspondance dans la Relation de 16541

c) Avec quelles autres notions spirituelles la correspondance est-elle en lien? d) Parle-t-elle de la correspondance sous d'autres expressions?

4. Le corpus

4.1 Le corpus et sa pertinence pour la théologie spirituelle

La présente recherche prendra pour corpus principal la Relation de 1654 dans MARIE DE L'INCARNATION, Écrits spirituels et historiques (Québec), édition de 1929 par Dom .lamet, DDB, réédition Ursulines de Québec, Québec, 1985, 412 p. Le choix de ce corpus est des plus pertinents pour une étude sur la théologie mystique. Pour s'en convaincre, il faut relire la préface de Dom Albert Jamet13. Nous renvoyons d'ailleurs à

cette même préface pour plus d'information quant à la critique textuelle de ce corpus. Le sujet dont Marie de l'Incarnation dit traiter, dans ces nombreuses pages destinées à son fils, concerne en effet de près la théologie mystique. Dans une lettre adressée à celui-ci le 26 octobre 1653, elle rappelle elle-même son intention :

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encore de l'histoire extérieure, sçavoir des états où j'ay passé dans le siècle et dans la Religion, des Providences et conduites de Dieu sur moy, de mes actions, de mes emplois, comme je vous ay élevé, et généralement je fais un sommaire par lequel vous me pourrez entièrement connoître, car je parle des choses simplement et comme elles sont15.

Ce texte est de style autobiographique avec ceci de particulier que l'auteure y traite et « de ce qui s'est passé dans l'intérieur » et « de l'histoire extérieure », ainsi que « des Providences et conduites de Dieu » sur elle. Étant donné cette intention de Marie de l'Incarnation, cet écrit devient un corpus fort intéressant et propre à dévoiler de nombreux éléments précieux pour saisir les fondements de la dynamique spirituelle qui animait sa vie.

4.2 Un écrit de relecture et de maturité

Rappelons aussi que la Relation de 1654 est essentiellement un effort de relecture de sa propre histoire pour la raconter à son fils. Un sujet croyant fait mémoire d'événements et états intérieurs et extérieurs, passés pour la plupart, et tente de les décrire. Ce n'est donc pas ici une description à vif de ce qu'elle vit, comme le serait une lettre d'appel à l'aide au milieu d'une tourmente. C'est plutôt un exposé postérieur qui prend la forme d'un acte de mémoire et d'un récit. Racontant son histoire sainte à son fils contribue d'ailleurs probablement à mieux s'approprier les grâces spécifiques que Dieu lui a données. Il est bon de noter que de telles relectures de vie ne présentent pas seulement l'événement passé brut, mais elles en proposent souvent en même temps une nouvelle lecture, suggérée par le recul des années. Ces efforts de « re-lecture » portent l'avantage d'insister sur ce qui demeure et qui a marqué plus profondément, mais ils comportent aussi la limite des imprécisions de la mémoire.

14 Le français du XVIIe siècle, a des variantes par rapport au français moderne. Ce qui aujourd'hui serait considéré erreur d'orthographe ou de grammaire était à l'époque bon usage de la langue. Dans les citations subséquentes de ce mémoire, seront maintenue l'orthographe et la grammaire de l'édition critique de Dom Oury.

15 Cf.: Marie de l'Incarnation, « Lettre à son fils, 26 octobre 1653 », dans Correspondance, éd. Abbaye Saint-Pierre, par G.-M. Oury, Solesmes, 1971, p. 516. Ci-après, les références à cet ouvrage seront indiquées par: Correspondance.

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parlant. On peut parler de maturité humaine d'abord, car son expérience des diverses réalités de la vie est déjà très vaste au moment où elle écrit. Elle a connu le mariage, la maternité, elle a côtoyé des gens de commerce, les pauvres et soigné les malades. Elle a eu à gérer de grands biens matériels, des employés, mais elle a aussi connu la vie en communauté religieuse et elle a enseigné à de nombreuses jeunes filles ou novices. Lorsqu'elle écrit la Relation de 1654, elle est déjà au Canada au service de la mission depuis plus d'une dizaine d'années, mandatée de charges multiples dans lesquelles sont requis des talents de discernement, de gestion, de prise de décision, de relation humaine, d'adaptation à un environnement nouveau et à des cultures fort déconcertantes pour une européenne. Bref, cette gamme étendue d'expériences diverses fait d'elle une femme humainement mûre.

On peut également parler de maturité spirituelle, car Marie de l'Incarnation a déjà, à cette période, une longue route intérieure de parcourue. Au moment où elle écrit en 1654, elle a depuis longtemps vécu une rencontre personnelle avec le Seigneur et exploré le vaste continent de la vie intérieure. Elle a déjà connu de grandes grâces mystiques ainsi que de profondes purifications que les théoriciens de la vie spirituelle considèrent ne survenir que dans les états avancés du long parcours spirituel d'une âme : extases trinitaires, mariage mystique, nuits passives, etc. De plus, au moment où Marie de l'Incarnation écrit la Relation de 1654, elle possède une sérénité et une stabilité de fond dans son cœur, sérénité et stabilité de la maturité spirituelle.

À ce propos, Dom Jamet signale que Marie de l'Incarnation est à un moment de sa vie plus avancée mystiquement parlant, lorsqu'elle écrit sa Relation de 1654, que ne l'était Thérèse d'Avila lorsque cette dernière écrivait sa Vie: «En 1565, année où elle achève sa Vie, Thérèse n'est entrée dans la contemplation que depuis dix ans, et son itinéraire mystique n'atteindra son sommet avec la vision intellectuelle de la sainte Trinité et le mariage

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affirmer assurément que Marie de l'Incarnation n'est pas une simple novice dans les chemins de la vie mystique.

Marie de l'Incarnation bénéficie donc d'un recul qui lui permet de placer les divers événements et états intérieurs et extérieurs de sa vie dans une plus juste perspective. Cet acte de relecture d'une femme mature sera donc fort précieux pour cette étude de théologie spirituelle.

4.3 Non pas un traité doctrinal, mais un récit

Cet acte de relecture de maturité n'est cependant pas un traité doctrinal systématique sur la mystique comme Thérèse d'Avila a pu en écrire. Marie de l'Incarnation traite principalement de son histoire personnelle, simplement, mais ce faisant, elle se permet aussi des généralisations qui permettent d'entrevoir sa vision de la théologie spirituelle. On remarque d'ailleurs qu'en plus d'être autobiographe, elle ne peut s'empêcher d'être un peu maîtresse spirituelle à l'égard de son principal destinataire qui est encore à ses débuts en ce domaine. Un effort inductif reste cependant à faire pour clairement dégager les principes doctrinaux qui l'animent.

4.4 Caractère intime de l'écrit

Le fait que la Relation de 1654 n'ait pas été destinée à la publication comporte un avantage certain pour cette étude. En l'écrivant, Marie de l'Incarnation est allée très loin dans ses confidences. Cela nous permet aujourd'hui de pénétrer dans les demeures les plus intérieures de son « château », pour reprendre l'expression de Thérèse d'Avila. Les motivations profondes de son agir et de son pâtir, au-delà des apparences, sont ainsi

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dévoilées. Le caractère intime du texte permettra donc de se rapprocher encore davantage des fondements de sa vie mystique.

Il n'y avait en effet que très peu de lecteurs autorisés pour cet écrit. Le premier et principal destinataire était son « très-cher fils17», Dom Claude Martin, qui voulait de plus en plus que

sa mère lui «parle sans réserve18». C'est d'ailleurs suite à ses pressantes demandes que

Marie de l'Incarnation a finalement consenti, avec l'accord de son directeur spirituel, à lui raconter la conduite de Dieu sur elle, non sans avoir longuement résisté par ailleurs. Malgré sa répugnance à dévoiler des secrets si intérieurs, elle a entrepris cette rédaction pour son fils bien-aimé, mais aussi par désir de faire la volonté de Dieu. Elle raconte elle-même comment elle a perçu cette volonté divine :

Dans ce temps-là mon Supérieur et Directeur, qui est le R. Père Lallemant m'avoit dit que je demandasse à Notre Seigneur que s'il vouloit quelque chose de moy avant ma mort qui pût contribuer à sa gloire, il luy plut de me le faire connoître. Après avoir fait ma prière par obéissance, je n'eus que deux veues ; la première, de m'offrir en holocauste à la divine Majesté, pour être consumée en la façon qu'il le voudroit ordonner pour tout ce désolé pais: et l'autre, que j'eusse à rédiger par écrit la conduite qu'elle avoit tenue sur moy depuis qu'elle m'avoit appellee à la vie intérieure19.

Marie voulut vérifier la véracité de cette inspiration auprès de son directeur spirituel, qui ne se contenta pas de la confirmer, mais lui « commanda même de le faire . » S'étant engagée par vœux à toujours choisir le plus parfait quand la gloire de Dieu était en jeu21, elle

entreprit ce difficile travail de raconter l'indicible opération du Seigneur dans l'intime de son être. Elle répondit donc non seulement à cet appel par amour maternel, mais aussi par obéissance à la volonté divine, manifestée intérieurement et confirmée extérieurement par celui qui lui en tenait la place, comme elle aimait à le répéter.

17 Marie de l'Incarnation, « Lettre à son fils, 26 octobre 1653 », dans Correspondance, p. 514. 18 Ibid.

] 9Ibid, p. 515. 2 0Ibid, p. 516. 21 Ibid.

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En acheminant sa relation terminée à son fils, elle n'eut de cesse à lui répéter de prendre toutes les précautions afin que personnes d'autres que lui n'y jette les yeux. L'une de ses lettres évoquant ce point est brève mais se veut ferme22. Toutes les prévoyances qu'elle

exige de son fils sont proportionnelles au degré d'intimité des secrets intérieurs qu'elle lui dévoile. Cela demande bien sûr le respect des chercheurs devant cette ursuline qui tente de mettre des mots sur l'intime mystère de sa vie.

Les seules autres personnes auxquelles elle eut accordé le droit d'avoir ces écrits entre les mains étaient : son directeur spirituel, le père Jérôme Lallemant ; la « chère Mère saint Athanase, qui a été ma supérieure et en qui seule je pourrais avoir confiance23 » pour

éventuellement rédiger une copie du texte, dit-elle ; enfin sa nièce ursuline qu'elle chérit comme son fils.

5. Méthodologie et plan du mémoire

5.1 Méthodologie

En ce qui a trait à la méthodologie, ce mémoire s'inspire entre autres de certains éléments de méthode proposés par Charles-André Bernard :

Charles-André Bernard, « La théologie spirituelle comme discipline scientifique » dans Traité de théologie spirituelle, Cerf (coll. Théologies), 1986, p. 65-91.

22 « Mon très-cher et bien-aimé Fils. L'amour et l'affection que j'ay pour vous, et la consolation, que je ressens de ce que vous êtes à Dieu m'ont fait surmonter moy-même pour vous envoyer les écrits que vous avez désirés de moy. Je les ay faits avec répugnance, et les envoyé avec peine. [•••] je ne désire pas que qui ce soit en ait la communication et la connoissance que vous. [...] Et parce que l'on fait des visites dans les Maisons Religieuses, je vous prie d'écrire sur la couverture, Papiers de conscience, afin que personne n'y touche, et n'y jette les yeux sans scrupule [...]. Si vous veniez à tomber malade, et que vous fussiez en danger de mort, faites-les jetter au feu, ou plutost afin que je sois plus assurée, envoïez-les à ma nièce qui aura soin de me les faire tenir si je vous survis. Voilà bien des conditions, mais, mon très-cher fils, je suis délicate en ce point, et vous êtes assez éclairé pour voir que j'ai raison de l'être. Cette lettre est courte, afin qu'elle fasse plus d'impression sur vostre esprit, et que vous fassiez plus facilement réflexion sur la nécessité de la chose que (je) demande et espère de vous, Mon très-cher et bien-aimé Fils. » (Marie de l'Incarnation, « Lettre à son fils, 27 septembre 1654 », Correspondance, p. 548.)

(26)

Dans cet ouvrage, Charles-André Bernard souligne d'une part qu' « en tant que fondée sur l'expérience, la théologie spirituelle présente nécessairement un caractère empirique et descriptif [...]. Un tel travail ne doit pas être méprisé, car les expériences examinées, appartenant à des âmes saintes, possèdent authenticité et valeur exemplaire.24 » La mise en

évidence de cette expérience personnelle doit cependant être rapprochée de la Révélation objective. Ainsi, si la théologie spirituelle emploie d'une part la méthode descriptive et inductive, elle ne peut se passer d'autre part d'une certaine confrontation avec la Révélation transmise par les Écriture et la Tradition. L'Écriture, la Tradition et les expériences variées des saints et docteurs de l'Église, avec l'éclairage qu'ils apportent respectivement à la théologie spirituelle, seront donc aussi visitées tout au long de ce mémoire afin de mieux situer l'expérience particulière de Marie de l'Incarnation dans le panorama ecclésial. L'approche de Charles-André Bernard tente aussi de tenir compte du lien étroit entre l'expérience religieuse et le langage qu'emploie le sujet pour s'exprimer sur celle-ci .

Comme on l'a déjà mentionné, il s'agit ici d'une recherche de type exploratoire qui devrait permettre de répondre à la question principale de ce mémoire. Le mouvement général de cette exploration consistera d'abord à visiter l'ensemble de la Relation de 1654, un peu comme un archéologue explorerait un site ancien, pour y repérer toutes les occurrences de la notion de correspondance, tant dans sa forme nominale (correspondance), que dans sa forme verbale (correspondre), employées positivement ou négativement (ex.: incorrespondance).

Chaque occurrence sera ensuite examinée au moyen d'outils d'analyses langagières (rhétoriques ou narratives) à l'intérieur du contexte où Marie de l'Incarnation les a employées. La compréhension de ce que Marie de l'Incarnation désigne par l'expression correspondance se développera donc au fil de l'examen des diverses occurrences, entre autres en dégageant d'autres notions auxquelles Marie de l'Incarnation relie celle de correspondance. Le contexte de ces occurrences fournira aussi d'autres éléments pour déterminer l'importance que Marie de l'Incarnation accorde à l'attitude désignée par la

24 Charles-André Bernard, Traité de théologie spirituelle, Paris, Cerf (coll. Théologies), 1986, p. 83. 25 Ibid., p. 72.

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correspondance dans la Relation de 1654. Après cet examen des diverses occurrences, sera dégagé le champ sémantique du concept de correspondance, pour ensuite vérifier dans quelle proportion on le retrouve dans l'ensemble de la Relation de 1654. Cette dernière investigation contribuera encore une fois à mieux cerner le degré d'importance attribué à l'attitude spirituelle désignée par le terme correspondance dans la Relation de 1654.

Les outils méthodologiques et les techniques d'investigation langagière employées pour ce mémoire se sont de plus fortement inspirés des techniques mises de l'avant par madame Nadeau-Lacour dans :

Thérèse Nadeau-Lacour, Le temps de l'expérience chrétienne, perspectives spirituelles et éthiques, Montréal, Médiaspaul, 2003, 367 p.

Parmi les diverses méthodes qu'elle propose et exploite, ce sont surtout les méthodes d'analyses narratives et rhétoriques qu'elle emploie pour dégager les particularités langagières qui ont ici été utilisées. Grâce à celles-ci, on comprend comment un texte, son vocabulaire et sa structure dévoilent les particularités d'expériences mystiques singulières tout en fournissant également les postulats d'une réflexion théologique plus approfondie. Revisiter l'introduction de cet écrit de madame Nadeau-Lacour, mais aussi les sections de chapitre qui emploient ces méthodes ne sera donc pas inutile pour qui veut mieux

9__

s'approprier les outils d'investigation des textes que nous avons empruntés .

Enfin, certains autres éléments de méthode d'analyse rhétorique et structurelle ont été puisés dans des articles et ouvrages de Rolland Meynet :

MEYNET, Roland, «L'analyse Rhétorique», Nouvelle Revue Théologique 116 (1994), p.641-657.

, «Les quatre temps de l'analyse rhétorique», L'analyse rhétorique, Paris, Cerf (coll. Initiations), 1989, p.301-307; 327-330.

, Una nuova introduzione ai vangeli sinottici, EDB (coll. Retorica biblica), 2002, 352 p.

26 Thérèse Nadeau-Lacour, Le temps de l'expérience chrétienne, perspectives spirituelles et éthiques, Montréal, Médiaspaul, 2003, p. 17-42; 129-163; p. 255-273.

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L'examen de l'hypothèse de départ et les réflexions théologiques élaborées au cours de ce mémoire tireront donc leurs postulats divers des fruits fournis par les méthodes d'analyses employées pour examiner le corpus principal de ce mémoire, à savoir La Relation de 1654.

5.2 Plan

Plus concrètement, le premier chapitre s'attardera à la première occurrence du mot correspondance et au chapitre X dans le quatrième état d'oraison où l'expression est pour la première fois employée positivement. Un examen plus détaillé du chapitre X est nécessaire, car celui-ci contient le passage qui est à l'origine de notre hypothèse. Marie de l'Incarnation y parle de la correspondance comme « absolument requise27 ».

Le second chapitre de ce mémoire traite exclusivement de la quatrième occurrence de la notion de correspondance employée positivement. Ce traitement particulier est justifié par le fait que cette quatrième occurrence apparaît dans le cadre d'un « petit discours » dont le genre est assez unique à l'intérieur de l'autobiographie de 1654. Le style récapitulatif de ce petit exposé de l'ursuline - une sorte de brève synthèse d'une large partie de son parcours spirituel vu sous l'angle de la pauvreté spirituelle et substantielle - pourra fournir des éléments très intéressants pour mieux comprendre ce que Marie de l'Incarnation entend par correspondance et aussi dégager d'autres éléments pour répondre à la question de la place de l'attitude désignée par la correspondance dans la Relation de 1654.

Le troisième chapitre s'attarde dans un premier temps aux deux dernières occurrences positives puis, dans un second temps, aux huit occurrences de l'expression employée négativement (incorrespondance, ne pas correspondre, etc.). De là encore s'enrichira, par effet de contraste, ce que cette expression désigne. Pourra aussi s'affiner la réponse à notre question principale : quelle place Marie de l'Incarnation accorde-t-elle à l'attitude spirituelle désignée par la notion de correspondance employée dans sa Relation de 1654? La troisième partie de ce dernier chapitre du mémoire cherchera à relever quelques

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expressions de la Relation de 1654 qui pourraient désigner la même attitude spirituelle, mais en d'autres termes. Ces résultats permettront encore une fois de mieux établir le champ sémantique de la correspondance et le degré d'importance de cette attitude selon Marie de l'Incarnation.

En conclusion, en plus d'une récapitulation de l'argumentation générale, sera proposée une réflexion sur la modernité et sur la conception de la liberté qu'implique la notion de correspondance.

Mais avant d'entreprendre l'exploration des écrits de l'ursuline sur cette notion de correspondance, il est opportun de compléter cette introduction par quelques remarques historiques sur le contexte spirituel au tournant du XVIe et du XVIIe siècle en France.

6. La spiritualité et la mystique au tournant du XVI

e

et du XVII

e

siècle

français : un contexte d'effervescence spirituelle

Puisque ce mémoire s'attardera sur certains traits spécifiques de la théologie spirituelle de Marie Guyart de l'Incarnation, il importe de mieux connaître le paysage spirituel français dans lequel sa physionomie spirituelle émerge.

Jusqu'à la fin du XVIe siècle, la France fut davantage aux prises avec des guerres de

religions qui la déchiraient qu'investie dans l'œuvre de renouveau spirituel désiré et amorcé par le Concile de Trente.

La conversion d'Henri IV au catholicisme, en 1593, puis Y Édit de Nantes de 1598, qui garantissait aux huguenots une certaine liberté de culte et quelques avantages politiques, apportèrent une certaine stabilité civile et religieuse à la France. Le pays eut alors le loisir d'entrer dans une nouvelle profondeur spirituelle postconciliaire.

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Ceci dit, il faut concéder, avec Brémond, que ce n'était pas le vide spirituel complet en France avant 1593. En effet, plusieurs des figures religieuses ou mystiques les plus importantes du XVIIe siècle français ont grandi et été formées dans la deuxième moitié du

XVIe siècle, où se trouvaient encore, malgré les abus et misères de tous ordres, de pieux

moines appelant de tout cœur la contre-réforme, et aussi des « Capucins, Jésuites, des Ordres nouveaux, frémissant de zèle et chez qui se rencontrent des hommes d'un mérite exceptionnel28. »

Il est vrai que, dans la France du XVIe siècle, le clergé séculier était plutôt mal en point et

peu formé. Il avait même parfois de sérieux problèmes de mœurs. Pendant toute une période, certains évêques se sont montrés trop préoccupés de questions politiques et faiblement animés du souci pastoral. De plus, certains d'entre eux étaient fréquemment absents de leur propre diocèse. Mais les échecs répétés à ramener les fidèles qui s'étaient tournés vers le calvinisme firent naître un désir de réforme et de conversion chez les évêques et les prêtres. Qui plus est, les fidèles eux-mêmes appelaient de leurs vœux des changements. Du côté des religieux, les Dominicains étaient éprouvés, plusieurs de leurs maisons ayant été ciblées et dévastées par les huguenots. Par ailleurs, quelques figures bénédictines se démarquaient, mais les Capucins et les Jésuites restaient les principales forces tentant d'amorcer un élan de conversion dans l'Église en France à la fin du XVIe

siècle. On vit ainsi l'érection sur le territoire de nombreux collèges jésuites alliant formation humaniste, théologique et spirituelle : Toulouse en 1562, Paris en 1564, Mauriac en 1560, etc. «Les Feuillants (des cisterciens réformées) de Jean de la Barrière

(1544-1600)29 » amorcèrent aussi un élan de pénitence et de conversion. Déjà donc à cette époque,

certains s'affairent à évangéliser la France et à former une élite à la prière. On cherchait à reconstituer le terreau spirituel qui tendait à disparaître.

Mais avant de voir ses propres grands maîtres spirituels émerger, se démarquer et répandre une théologie et des pratiques spirituelles portant la marque de leur originalité propre, la France catholique de la fin du XVIe et début du XVIIe siècle avait besoin de se nourrir

28 Henri Bremond, Histoire littéraire du sentiment religieux en France, Tome II, L'Invasion Mystique (1590-1690), Librairie Bloud et Gay, Paris, 1923, p. 2).

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d'auteurs étrangers dont les œuvres spirituelles étaient accessibles en traduction. En effet, la pauvreté spirituelle qui affligeait la France à cette époque la forçait à se tourner vers l'extérieur pour retrouver les authentiques ferments de la vie intérieure, prendre le chemin des réformes et donner un nouveau souffle à l'Église.

À cette époque, des traductions des Pères de l'Église circulaient, mais aussi des traductions d'auteurs modernes. Ainsi, à côté des œuvres de saint Augustin ou du Pseudo-Denys traduites du latin, on pouvait trouver des œuvres de Catherine de Sienne (1347-1380), Catherine de Gêne (1447-1510 ) ou Scupoli (1530-1610) traduites de l'italien ; de Louis de Grenade (1504-1588), Alphonse de Madrid (±1480- ±1535), Jean d'Avila (1499-1569), Ignace de Loyola (1491-1556) et Thérèse d'Avila (1515-1582) traduites de l'espagnol. D'autres traductions étaient faites d'auteurs nordiques, tels Tauler (±1300-1361), Denys le Chartreux (1402-1471) et Harphius (1400-1477). Par le truchement de la traduction, ces maîtres étrangers contribuèrent à l'émergence d'une nouvelle floraison spirituelle dans les cercles catholiques français30.

L'arrivée de certaines communautés féminines en France, dont les Ursulines (1592) et le Carmel (1604), favorisa aussi un renouveau d'intérêt pour la spiritualité. De plus, la vie mystique du début XVIIe n'a pas été simplement confinée à l'intérieur des murs des

couvents. Il y eut entre autres, à Paris, le fameux cercle de Mme Acarie, cousine de Bérulle, qui tendait à répandre la vie spirituelle et mystique au sein même d'une certaine noblesse parisienne qui avait soif de Dieu. Le capucin Benoît de Canfield (1563-1632), qui écrivit Exercice de la volonté de Dieu, soutint ce cercle et proposa un accès à la vie mystique pour tous. Dans le même sens, mais avec des accents moins abstraits, François de Sales (1567-1622) fut un pasteur d'âmes zélé et plein de bonté, ainsi qu'un fin pédagogue rendant accessible à tous la vie spirituelle. Véritable témoin de l'amour de Dieu, cet évêque touchait les cœurs et souhaitait faire passer ses ouailles de la tiédeur à la ferveur, d'une vie hors de soi à une vie en soi. Ses outils privilégiés? La prédication, la direction spirituelle, mais

30 Cf.: Auguste Saudreau, La spiritualité moderne- progrès de la doctrine dans les cinq derniers siècles, (coll. Bibliothèque catholique des sciences religieuses), Librairie Bloud et Gay, Mayenne, 1940, p. 54.

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aussi l'écriture. Par son Introduction à la vie dévote (1608), et son Traité de l'amour de Dieu (1616), il rendit accessible la vie mystique aux gens du monde.

Bérulle (1575-1629) et les grandes figures qui le suivront, tels Condren (1588-1641), Jean Eudes (1601-1680), Monsieur Olier (1608-1657), continuèrent cette entreprise de «re-spiritualisation » du clergé, et plus généralement aussi de l'âme des français. Fondations nouvelles, missions, traités de vie spirituelle sont autant d'éléments qui revitalisèrent le pays. En plus de leurs collèges déjà évoqués, les Jésuites contribuèrent également au renouveau spirituel français par leurs offices de direction spirituelle, leurs écrits et par la préparation de missionnaires pour l'étranger. Certains formateurs se démarquèrent d'ailleurs comme maîtres de spiritualité tel le fameux Louis Lallemant (1588-1635), instructeur du troisième an Jésuite. Peut enfin être évoquée l'immense œuvre d'éducation et de charité qui se déploya autour de Monsieur Vincent (1581-1608). Bouleversé par la grande pauvreté spirituelle et matérielle de nombreux Français, il fonda la Congrégation de la Mission pour les prêtres, puis les Filles de la Charité. Son action caritative et évangélisatrice des campagnes fut portée par une mystique qui prit forme dans sa rencontre du Christ et des pauvres.

Si ce XVIIe siècle français rencontrera plus tard, dans sa seconde moitié, des débats

profonds autour du jansénisme et du quiétisme qui refroidirent certaines ardeurs mystiques, il reste indéniable qu'il commença néanmoins dans un réel élan de renouveau spirituel et de fraîcheur, porté par de nombreuses et grandes figures qui inspireront à divers historiens de la spiritualité de qualifier cette période de « grand siècle des âmes . »

C'est donc dans ce contexte que Marie de l'Incarnation et ses écrits surgissent. Approfondissons donc maintenant sans plus tarder cette notion de correspondance afin de découvrir quelle place l'ursuline lui accorde dans sa Relation de 1654.

31 Bernard Peyrous, Histoire de la ..., p. 172, qui commente l'expression de Daniel ROPS, Histoire de l'Église du Christ, tome VII, Le Grand siècle des âmes, Librairie Arthème Fayard, Éd. Bernard Grasset,

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Une correspondance « absolument requise »

Quelle place Marie de l'Incarnation accorde-t-elle à l'attitude spirituelle désignée par la notion de correspondance qu'elle emploie dans sa Relation de 1654? À cette interrogation, qui est aussi la question principale de notre recherche, Marie de l'Incarnation semble répondre directement et définitivement au début du quatrième état d'oraison, au chapitre X de la Relation de 1654 : « lorsque Dieu l'appelle à ce genre de vie intérieure, la correspondance est absolument requise1 ». Le premier chapitre de notre étude sera donc

entièrement consacré à cette affirmation, à sa signification dans le contexte immédiat où Marie de l'Incarnation l'emploie. On s'attardera aussi sur certains liens que le concept de correspondance y tisse avec d'autres éléments propres au langage mystique employé par Marie de l'Incarnation.

Les analyses de ce premier chapitre prennent donc à leur compte les sous-questions évoquées dans l'introduction : a) À quelle occasion Marie de l'Incarnation emploie-t-elle la notion de correspondance dans la Relation de 16541 b) Que désigne la notion de correspondance dans la Relation de 16541 c) Avec quelles autres notions spirituelles la correspondance est-elle en lien?

Pour ce faire, ce chapitre se divisera en trois parties. La première aura pour objet de faire un bref rappel des états d'oraison qui précèdent le quatrième état d'oraison, état dans lequel Marie de l'Incarnation use pour la première fois du concept de correspondance. Ce rappel permettra de mieux comprendre le contexte qui prépare le chapitre X qui nous intéresse ici plus spécifiquement. La seconde partie présente ensuite les principaux résultats des analyses langagières (structurelles et rhétoriques principalement) de ce chapitre X qui permettront déjà d'entrevoir certaines thématiques en lien avec la correspondance. La troisième partie de ce premier chapitre est entièrement consacrée à une analyse précise et

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pointue de l'énoncé déterminant pour cette recherche dans lequel Marie de l'Incarnation affirme la nécessité de la correspondance. Cet examen permettra déjà de dégager d'autres notions spirituelles avec lesquelles la correspondance comme nécessité est mise en relation. Enfin, une quatrième partie assez brève conclura ce premier chapitre en dressant un premier état de l'avancement des réponses aux sous-questions et à la question principale.

1. Le contexte et les états d'oraison qui précédent le chapitre X. Du

24 mars 1620 à Tannée 1623, les deuxième et troisième états d'oraison

Au chapitre X du 4e état d'oraison, Marie de l'Incarnation parle de ce qui lui arrive dans sa

relation avec Dieu alors qu'elle a environ 23 ans2. À ce moment, Marie Guyart3 est déjà

veuve. Elle a aussi vécu ce qu'elle considère être sa conversion.

1.1 Une créature nouvelle

C'est dans le deuxième état d'oraison, qu'elle fait le récit de l'expérience spirituelle par laquelle Dieu pris l'initiative dans sa vie spirituelle et la transforma en une créature nouvelle. Ce fut pour elle une expérience fondatrice ou plutôt transformatrice de sorte que, même plus de vingt ans après l'événement, Marie la décrit et date de façon précise : « sa divine Majesté voulut enfin elle-même me faire ce coup de grâce : me tirer de mes ignorances et me mettre en la voie où elle me voulait faire miséricorde : ce qui arriva la veille de l'Incarnation de Notre-Seigneur, l'an 1620, le 24e de mars4. » Alors qu'elle

marchait dans la rue méditant un passage biblique, elle est « arrêtée subitement, intérieurement et extérieurement5 », et voit toutes ses « fautes, péchés et imperfections [...]

2 RI654, 4e E.O., chap. XI, p. 95.

3 On peut souligner ici que la narratrice est Marie en 1654, d'où Marie de l'Incarnation pour le nom de la narratrice et elle parle d'elle-même lorsqu'elle n'était pas encore religieuse. Elle n'était que Marie Guyart à 23 ans, elle ne portait pas encore son nom de religion.

4 R1654, T E.O., chap.VI, p. 67. 5 Ibid, p. 68.

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en clair et en détail6 ». Au même moment, elle se voit plongée dans du sang, celui du Fils

de Dieu et elle a connaissance qu'il a versé ce Sang précieux pour elle personnellement. Cette expérience la pousse à faire une confession générale à un père Feuillant, Dom François de Saint-Bernard qui fut d'abord étonné de l'approche de cette étrange pénitente.

Marie est restée plus d'un an animée par cette « impression du Sang7 ». Dieu semble avoir

pris les commandes de sa vie. «Je n'avais pas besoin de méditer ce que j'avais à faire :

a

l'Esprit qui me conduisait m'enseignait tout cela et me réduisait où il voulait . » Elle bénéficie alors aussi de don particulier d'oraison : « en faisant, quelque ouvrage paisible, mon esprit portant toujours occupation, mon cœur parlait sans cesse à Dieu. Et moi-même je m'étonnais de ce que mon cœur parlait ainsi, sans que je le fisse parler par mon action propre, mais poussée par une puissance qui m'était supérieure, qui l'agissait continuellement9. »

Dans le vocabulaire thérésien10, l'état intérieur de Marie de l'Incarnation en ce deuxième

état d'oraison correspond aux quatrièmes demeures où « Dieu prend les commandes plus ou moins en direct. On est entré dans un nouveau monde, qui est le sien, où il est le maître". » Comme le souligne ajuste titre Dom Oury, c'est cette expérience de l'initiative de Dieu qui « lui donna entrée [sic] dans la vie mystique proprement dite1 . »

Après avoir réglé les affaires de son défunt mari, Marie retourne habiter avec son père, comme en solitude, travaillant manuellement et s'occupant aussi de son fils Claude. Mais

6 RI 654, 2e E.O., chap. VI, p. 68. 7 _*_>«/, chap. VII, p. 72.

8 Ibid. 9 Ibid., p. 73.

10 Après sa conversion, Marie de l'Incarnation eut l'occasion de lire des écrits spirituels de Thérèse d'Avila (1515-1582). Elle s'appuie d'ailleurs sur celle-ci dans son «Entretien sur l'Épouse des Cantiques» (Cf.: Marie de l'Incarnation, Écrits spirituels et historiques (Tours), Québec, réédition Ursulines de Québec,

p. 408.) Afin de mieux distinguer le vocabulaire thérésien et les grandes lignes de l'itinéraire spirituel de l'âme vers l'union à Dieu, on peut consulter avec profit le tableau synthétique sur la spiritualité thérésienne fait par le père Marie-Eugène de l'Enfant-Jésus dans Je veux voir Dieu, Lille, Ed. Du Carmel, 1957, p. 5-6. 11 Bernard Peyrous, L'itinéraire de la vie spirituelle : Comment vivre avec Dieu? Paris, Éd. de l'Emmanuel, 2004, 2e Éd. Revue, p. 106.

(36)

elle quitte bientôt sa retraite pour les tracas des affaires de son beau-frère et « rendre une charitable assistance » à sa sœur.

1.2 Don d'oraison en lien avec le Verbe Incarné

Dans le deuxième état d'oraison, elle parle aussi d'un nouveau don d'oraison. Alors que le premier portait davantage sur la passion de Jésus, le second don concerne l'ensemble des mystères de l'humanité de Jésus, de sa naissance à sa mort. Elle le perçoit comme le centre de sa vie, lui qui est « la Voie, la Vérité et la Vie14». La forte dévotion envers le Verbe

Incarné qui traversera toute la vie de Marie Guyart commence à se dessiner encore plus clairement15.

Après qu'elle se soit un temps confessée fidèlement à Dom François de Saint-Bernard, celui-ci quittant la ville16, elle est confiée à Dom Raymond de Saint-Bernard qui devient

son premier véritable directeur spirituel. Homme spirituel et expérimenté qu'elle estimera beaucoup17, il l'invite à s'« abandonner entièrement à la conduite de l'Esprit de Dieu qui

jusqu'alors avait dirigé18» son âme.

1.3 Tendance à l'union avec Dieu

Dans le troisième état d'oraison, Marie de l'Incarnation raconte comment elle avait été saisie par l'amour de Dieu manifesté en Jésus crucifié : « C'est l'amour qui vous a réduit en cet état. Si vous n'étiez pas Amour, vous n'eussiez pas souffert de la sorte ! (...) Ah! non,

13 R1654, T E.O., chap. VIII, p. 75. uIbid, p. 76.

15 Dom Jamet souligne : « A cette date, 1621, Marie n'avait encore pu faire aucune lecture qui l'orientât de ce côté. De plus, elle n'avait pas de directeur. C'est donc par une voie très personnelle et indépendante, par la seule inspiration du Saint-Esprit, qu'elle est allée à la dévotion au Verbe Incarné, qui devait être la dévotion de son siècle, en France. » (RI654, note 11, p. 83.)

16 Dom François de Saint-Bernard quitte Tours au printemps 1621. (Cf. G.-M. Oury, Marie de l'Incarnation, p. 63.)

« Ce fut Dieu qui me fit la miséricorde de m'adresser ce sien serviteur, qui était homme grandement spirituel, et expérimenté en la conduite des âmes. » (R1654,2e E.O., chap. VIII, p. 79.)

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si vous n'étiez Amour, vous n'auriez fait ces choses si grandes pour mon amour! 19» Elle

90

expérimente aussi à cette occasion une « tendance » qui la pousse à s'unir à Dieu en Jésus-Christ :

Hors de là, mon cœur était en une tendance21 continuelle à sa bonté, pour qu'il

m'accordât la possession de son esprit, car je ne concevais rien de bon, de beau ni de souhaitable, que d'être en possession de l'esprit de Jésus-Christ. Les paroles [sont impuissantes], mais la tendance de l'âme dit et conçoit choses très grandes et immenses de l'Esprit de Jésus. Elle le veut suivre d'une manière que ce même Esprit lui fait concevoir. Elle dit avec l'Epouse : Tirez-moi, et nous courrons à l'odeur de vos onguents. (Ct 1,3) Toutes les puissances de l'âme ne veulent et n'appètent rien que d'être dans Jésus, par l'esprit de Jésus, et de le suivre dans sa vie et dans son esprit2.

Bien qu'elle expérimente cette forte tendance à l'union avec Dieu, Marie Guyart se reconnaît en même temps « très indigne de la possession où elle aspire23. » Elle dit donc

être aussi habitée par une vive conscience de sa bassesse suivant l'Esprit qui la pousse à aimer les abaissements et tout ce qui lui procure plus d'humilité24.

1.4 Premières remarques à partir de ce contexte

On peut déjà retenir de ce bref rappel de la période de 1620 à 1623 que Marie Guyart telle que décrite au chapitre X du quatrième état d'oraison est déjà à ce moment entrée dans la vie proprement mystique depuis l'événement de la veille de la fête de l'Incarnation 1620. La Tourangelle a déjà connu d'une manière expérientielle tout l'amour que Dieu a pour elle en particulier et elle aspire à s'unir à lui par une forte tendance qui l'habite. Son directeur spirituel l'a aussi sommé de suivre l'Esprit qui semble l'avoir conduite jusque-là. Un signe qui témoigne de son avancement plutôt considérable dans la vie mystique à ce stade est

19 R1654, 3e E.O., chap. IX, p. 86-87.

20 Ce concept de tendance est majeur dans la Relation de 1654. Il fera l'objet de développement ultérieur. 21 C'est nous qui soulignons par le caractère gras. Prendre note que tous les mots mis en caractère gras dans les diverses citations de ce chapitre le sont par initiative de notre part afin de mettre en évidence certains concepts.

22 Ibid., p. 87. 21 Ibid, p. 87. 24 Ibid., p. 87-88.

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qu'elle vit déjà dans une certaine passivité laissant à Dieu la conduite de son âme . Tout se passe désormais pour elle comme si vivre consistait à s'ajuster (et à se laisser ajuster) à cette tendance à l'union au Verbe Incarné. C'est donc dans ces circonstances que Marie de l'Incarnation parlera ensuite pour la première fois, dans l'état d'oraison qui suit, de la correspondance comme nécessité.

2. Quelques résultats des analyses langagières du chapitre X du

quatrième état d'oraison

Comme on vient de l'évoquer, c'est à l'article X que Marie de l'Incarnation utilise pour la première fois la notion de correspondance. Afin de mieux saisir le sens et l'importance qu'elle lui donne, certains résultats d'analyse langagière seront ici exposés pour permettre dans un premier temps de repérer les thèmes principaux et l'objet premier de ce chapitre X de la Relation de 1654.

2.1 Découpage structurel du chapitre X et genre littéraire du texte

Le chapitre X est bien découpé en trois paragraphes26. Ce texte emprunte d'abord le genre

du récit, avec de nombreux verbes au passé dans le premier paragraphe. Ces verbes au temps passé cèdent cependant la place à des verbes au temps présent pour les deux autres paragraphes. Par ailleurs, les généralisations qu'insère Marie de l'Incarnation à partir de la moitié du texte font, d'une certaine manière, basculer le genre littéraire. Le texte passe d'un style narratif à un style doctrinal : une sorte d'énonciation de principes spirituels.

2.2 Les champs sémantiques significatifs

La mise en évidence des champs sémantiques principaux permet de pointer des lieux de sens majeurs du texte. Or, deux champs sémantiques sont particulièrement présents. Dans

25 La passivité n'est pas encore étendue à toutes les facultés de l'âme, mais déjà à la partie inférieure. « Cette partie se laisse conduire et réduire où l'Esprit la veut mener » (Ibid., p. 87.)

(39)

le premier paragraphe, c'est principalement le champ sémantique de la jouissance ou de la délectation qui se démarque: « présence et compagnie [...] si suaves27», «les sens

remplis de l'exubérance », « l'expérience de sa douceur29 », « comme un onguent

répandu3 », «joie en savourant vos mamelles31 », «jubilations plus suaves que toute

suavité32. »

Le second champ sémantique principal qui prend le pas à partir du deuxième paragraphe est celui du pur et de Yimpur. Alors que le premier paragraphe ne comptait que deux occurrences relatives à ce champ sémantique, le second paragraphe en comporte neuf. L'inflation est manifeste. Le pur et l'impur font partie de la thématique centrale du chapitre X qui inaugure le quatrième état d'oraison.

D'autres champs sémantiques présents sont ceux de la « tendance » et de l'union ou communion avec Jésus-Christ, avec Dieu34. On retrouve aussi le champ sémantique de

l'appel35, de la « conduite36 ».

2.3 Les personnages

Dans ce chapitre X, peuvent être distingués des acteurs principaux et des acteurs secondaires. Dieu et l'âme constituent les acteurs principaux comme le montre le tableau suivant. 27 R1654,4e E.O., chap. X, p. 91. 28 R1654, 4e E.O., chap. X, p. 92. 29 Ibid. 30 Ibid., (Cf.: Ct\, 2-3) 31 Ibid., (Cf.: C t l , 2-3) 32 Ibid, p. 92. 33 Ibid., p. 92-93. 34 Cf.: Ibid.

35 Cf.: Ibid., p. 92 et 94. (N.B. : Une réflexion sur ce champ sémantique de l'appel en lien avec la notion de correspondance sera apportée à la section 3.2 de ce premier chapitre du mémoire.)

36 « où l'on la veut mener », « suivre que le chemin » « la conduite d'un directeur », « sa conduite », etc. (Ibid, p. 92-94).

(40)

Les acteurs principaux et secondaires du chapitre X3 7

1. Les acteurs principaux

a) Catégories d'acteurs qui peuvent être regroupés sous le nom « Dieu » :

« La divine Majesté », « Notre-Seigneur », « Dieu-Homme », « Jésus-Christ », « Dieu », « Celui à qui elle tend », « son souverain et unique Bien », « l'Esprit de Dieu [...] censeur inexorable », « la divine Providence ».

b) Catégories d'acteurs qui peuvent être regroupés autour de la notion « d'âme » :

« Je » désignant tantôt : a) Marie Guyart, en 1623 où se produit ce changement d'état d'oraison b) Marie de l'Incarnation en 1654 au moment où elle écrit c) Marie en 1634 et aux autres moments où elle a eu à former les novices.

« L'âme », « l'esprit humain », « la créature ».

2. Les acteurs secondaires

a) Le « directeur spirituel »

b) Les novices de Tours

Tableau 1 : Les acteurs principaux et secondaires du chapitre X

Ces indications sur les acteurs dévoilent que le propos de ce chapitre X concerne principalement une interaction entre Dieu et l'âme. Dieu est évoqué en tant que Seigneur, Maître, Bien désiré, Providence, etc. Quant à l'âme, Marie parle tantôt d'elle-même, tantôt de l'âme de façon générique, en tant que créée par Dieu; elle désigne donc aussi par là les autres personnes en relation avec Dieu. Ce dernier point conférera à son discours une portée

37 Toutes les expressions entre guillemets dans ce tableau sont tirées du chapitre X. (R1654,4e E.O., chap. X, p. 91-94.)

(41)

non seulement personnelle mais aussi quasi universelle, comme il sera montré plus loin. Pour mieux cerner la relation entre ces personnages principaux, il faut maintenant s'arrêter sur le propos particulier de ce chapitre.

2.4 Propos et objet du chapitre X

Le chapitre X traite du passage du troisième au quatrième état d'oraison. Le premier paragraphe, avec ses nombreux verbes au passé, rapporte des caractéristiques de l'état d'oraison précédent, où l'âme, plongée dans les mystères de l'Humanité Sainte de Jésus, est remplie de consolations, particulièrement dans sa partie sensitive. Cependant, la description de ce décor de délectation est cependant, par deux fois, perturbée par des verbes au présent qui créent comme des « turbulences » dans le texte. Ces turbulences annoncent le passage à un nouvel état : « Dieu fait expérimenter à l'âme qu'il la veut tirer du soutien de ce qui est corporel, pour la mettre dans un état plus détaché, et dans une pureté par où elle n'a pas encore passé38 ». Marie de l'Incarnation parle alors de l'abandon de l'âme qui ne sait où on

la conduit, mais qui ne veut « rien suivre que le chemin que Celui à qui elle tend avec tant d'ardeur lui fera tenir39. »

Cette expérience lui permet d'entrer « dans un état comme de lumière40. » Cette lumière fait

basculer dans un nouvel état d'oraison et opère un retournement de situation. Elle voit ainsi Dieu comme une mer de pureté à laquelle rien d'impur ne peut s'unir. Malgré le désir de faire l'inimaginable pour anéantir toute impureté en elle, elle constate toute la disproportion abyssale qu'il y a entre la pureté de Dieu et celle de l'esprit humain. Cette lumière effraie l'âme qui entrevoit toutes les impuretés qu'elle a à purger, elle qui a par ailleurs une tendance si forte à l'union avec « son souverain et unique Bien41 ». Alors

Marie de l'Incarnation confesse « l'importance de la pureté de cœur en toutes les opérations intérieures et extérieures qui est requise42 ».

38 Ibid, p. 92. 39 Ibid, p. 93. 40 Ibid.

41 Ibid. 42 Ibid.

(42)

2.5 Investigation du troisième paragraphe du chapitre X

Le troisième paragraphe (celui qui contient la première occurrence de la notion de correspondance) semble ensuite prendre les allures d'un commentaire doctrinal développant la prise de conscience issue de l'expérience spirituelle décrite au second paragraphe. Elle concluait ce dernier en disant: « Je frémis quand j ' y pense, et combien il importe d'être fidèle43. » C'est ici la femme mûre de 54 ans qui frémit et qui souligne

l'importance d'être fidèle. Alors suit le troisième paragraphe qui parle de la correspondance comme étant « absolument requise44 ». Nous le citons ici en entier :

Il est vrai que la créature ne peut rien de soi; mais lorsque Dieu l'appelle à ce genre de vie intérieure, la correspondance est absolument requise avec l'abandon de tout soi-même à la divine Providence, supposée la conduite d'un directeur, duquel elle doit suivre les ordres à l'aveugle, pourvu que ce soit un homme de bien : ce qui est bien aisé à reconnaître, car Notre-Seigneur en pourvoit lui-même ces âmes-là qui se sont ainsi abandonnées de bon cœur à sa conduite. Ah ! mon Dieu, que je voudrais publier bien haut, si j'en étais capable, l'importance de ce point. Il conduit l'âme à la vraie simplicité qui fait les saints. J'ai voulu quelquefois inculquer à des novices, avec qui j'avais à converser, ce point, afin de les rendre simples et candides, ne voyant rien qui les pût avancer ni disposer davantage à de grandes grâces, et enfin dans les voies de Dieu45.

L'expression « Ah ! mon Dieu », au milieu du paragraphe, est une figure rhétorique qui altère le rythme du discours au milieu de ce paragraphe et qui introduit une insistance étonnante sur ce qu'elle vient d'énoncer dans la première phrase. Cette insistance est renforcée par l'isomorphisme présent dans cette seconde section du paragraphe:

43 R1654, 4e E.O., chap. X, p. 93. 44 Ibid., p. 94.

(43)

Isomorphisme du troisième paragraphe du chapitre X « Ah ! mon Dieu,

que je voudrais J'ai voulu quelquefois

publier bien haut, si j'en étais capable, inculquer à des novices, avec qui j'avais à converser,

l'importance de ce point. ce point,

Il conduit l'âme afin de les rendre à la vraie simplicité simples et candides,

qui fait les saints. ne voyant rien qui les pût avancer ni disposer davantage à de grandes grâces, et enfin dans les voies de Dieu46. »

Tableau 2 : Isomorphisme du troisième paragraphe du chapitre X

Après avoir mis la correspondance en lien avec l'abandon à la Providence et la conduite du directeur spirituel, elle dévoile donc dans cet isomorphisme son désir de « publier bien haut [...] l'importance de ce point47 » propre à conduire « l'âme à la vraie simplicité qui fait

les saints48 », dit-elle. Que désigne effectivement ce point! L'obéissance au directeur

spirituel? La nécessité de correspondre! Ou les deux combinées, incluant même l'attitude spirituelle de l'abandon? Pour l'instant, faute d'avoir suffisamment d'éléments pour trancher, cette question doit rester ouverte.

Cependant, l'isomorphisme et la rupture rhétorique mentionnés plus haut permettent déjà d'isoler la longue phrase qui évoque la correspondance comme « absolument requise4 ».

Cette longue énonciation sera ici analysée afin de mieux cerner la correspondance dans son interaction avec les autres notions spirituelles et pour découvrir la place que Marie de l'Incarnation accorde à l'attitude spirituelle que désigne cette notion.

46 Ibid, p. 94. "Ibid.

48

(44)

3. Résultats de l'analyse plus approfondie de quelques éléments de la

phrase où se trouve mentionnée l'importance de la correspondance

3.1 La correspondance comme étant absolument requise

Un premier constat : cette phrase est longue et complexe.

Il est vrai que la créature ne peut rien de soi; mais lorsque Dieu l'appelle à ce genre de vie intérieure, la correspondance est absolument requise avec l'abandon de tout soi-même à la divine Providence, supposée la conduite d'un directeur, duquel elle doit suivre les ordres à l'aveugle, pourvu que ce soit un homme de bien : ce qui est bien aisé à reconnaître, car Notre-Seigneur en pourvoit lui-même ces âmes-là qui se sont ainsi abandonnées de bon cœur à sa conduite50.

Ici, Marie de l'Incarnation ne fait plus la simple narration d'événements passés. Les verbes au temps présent en sont un signe. De plus, elle ne parle pas seulement de la vie intérieure qui fut la sienne, mais ce qu'elle énonce semble valoir pour toute créature que Dieu « appelle à ce genre de vie intérieure51 »; elle procède ainsi à une généralisation, sorte de

règle spirituelle, énoncée au présent : « Il est vrai que la créature ne peut rien de soi; mais lorsque Dieu l'appelle à ce genre de vie intérieure, la correspondance est absolument requise52 ».

La présente recherche porte précisément sur cette portion de phrase. Ce fragment touche directement le cœur de la problématique de ce mémoire. Par son expression « absolument requise», Marie de l'Incarnation semble donner un caractère radical et indiscutable à l'attitude que désigne la notion de correspondance. L'adverbe est catégorique et ne laisse pas de place à l'exception. Cet élément de type rhétorique fournit ainsi un premier argument non négligeable en faveur de l'hypothèse de ce mémoire. Pour être plus précis, l'importance que Marie de l'Incarnation accorde ici à la correspondance est en fait l'un des

50 Ibid. 51 Ibid. 52 Ibid.

Figure

Tableau 1 : Les acteurs principaux et secondaires du chapitre X
Tableau 2 : Isomorphisme du troisième paragraphe du chapitre X
Tableau 3 : Inclusion délimitant le petit discours du chapitre LXVI
Tableau 4. Dramatique du petit discours du Chapitre LXVI
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