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Une correspondance « absolument requise »

4. Première conclusion

Ce premier chapitre s'est penché de façon toute particulière sur le chapitre X de la Relation de 1654, parce qu'il contient la première occurrence de la notion de correspondance. Voyons comment cette étude a permis de faire progresser la question principale de ce mémoire: Quelle place Marie de l'Incarnation accorde-t-elle à l'attitude spirituelle désignée par la notion de correspondance qu'elle emploie dans sa Relation de 1654?

L'analyse a insisté sur le fait que Marie de l'Incarnation désigne elle-même dans ce passage la correspondance comme une attitude spirituelle « absolument requise123 », lorsque Dieu

appelle sa créature à un genre de vie épurée. Dans ce chapitre X, Marie de l'Incarnation présente catégoriquement l'attitude spirituelle désignée par la notion de correspondance comme étant majeure et non périphérique. Les qualificatifs qu'elle emploie sont à ce niveau sans ambiguïté. De plus, des éléments d'analyse langagière, tels les coupures rhétoriques du dernier paragraphe et les verbes au présent incitent aussi à conclure qu'on est en présence de l'énonciation d'une règle spirituelle générale importante pour Marie de l'Incarnation.

Regard sur les sous-questions

Première sous-question : à quelle occasion emploie-t-elle la notion de correspondance dans la Relation de 1654! On constate que la première occurrence de l'expression survient après que Marie de l'Incarnation a parlé en détail de la puissante tendance à l'union au Bien-

122 Dans un sens semblable, Thérèse d'Avila dit : « Les personnes qui par la bonté de Dieu sont parvenues à ces troisièmes Demeures [...] ne peuvent rien faire de mieux que de s'exercer beaucoup à une obéissance prompte. Ne se trouveraient-elles pas dans la vie religieuse, qu'il leur serait d'un grand profit d'avoir, comme beaucoup d'autres, un directeur à qui elles pourraient s'adresser, afin de ne suivre en rien leur propre volonté, car d'ordinaire c'est là ce qui nous perd. » (Sainte Thérèse de Jésus, Œuvres complètes de Thérèse de Jésus, p. 860).

aimé, à « la possession de l'esprit de Jésus-Christ1 4. » Cette tendance l'animait de plus en

plus depuis qu'elle avait été saisie par Dieu dans son expérience du sang. Elle a été touchée, saisie, aimée, comme transformée en une créature nouvelle. Elle cherche maintenant à répondre à cette tendance de tout son être, encouragée par Dom Raymond. Le premier contexte général dans lequel elle parle de la correspondance est donc celui de cette tendance de tout son être vers « son souverain et unique Bien125 ».

Un autre élément important de ce contexte est cependant la prise de conscience pour Marie que Celui vers qui elle tend avec tant d'ardeur et d'amour est aussi comme une mer d'infinie pureté. Rien d'impur ne peut s'unir à lui. Mais la créature humaine, elle, est pleine d'impuretés et incapable de s'en défaire par elle-même. La douloureuse prise de conscience de cette disproportion, ontologique et épouvantable, entre ce Dieu vers qui elle tend et son néant de créature, fait aussi partie du contexte qui pousse Marie de l'Incarnation à énoncer la nécessité de correspondance pour arriver à l'union à Dieu.

Déjà, ce regard sur le contexte fournit un début de réponse à la seconde sous-question: avec quelles autres notions spirituelles la correspondance est-elle en lien? En effet, on a pu constater que la notion de correspondance est intimement liée à celle de tendance au souverain et unique Bien, mais aussi à celle de pureté.

Par ailleurs, Marie de l'Incarnation a également placé cette notion en lien avec celle de Y appel, (appel à l'union, appel à un genre de vie plus épuré). « Il est vrai que la créature ne peut rien de soi; mais lorsque Dieu l'appelle à ce genre de vie intérieure, la correspondance est absolument requise ». Cette notion d'appel de Dieu a d'ailleurs permis de constater que la « cor-respondance » est en quelque sorte la réponse la plus adaptée que la créature peut fournir à ce Dieu qui l'appelle à une vie et union si sublime, vie qui dépasse tant les seules capacités de la créature et de son néant. On a ainsi une

124 Ibid, 3e E.O., chap. IX, p. 87. 125 Ibid, 4e E.O., chap. X, p. 93. 126/£/.*., p. 93-94.

ébauche de réponse à la troisième sous-question qui s'interrogeait sur le sens désigné par la notion de correspondance dans la Relation de 1654.

Ainsi, l'analyse du chapitre X de la Relation de 1654 a non seulement permis d'affirmer que Marie de l'Incarnation y parle de la correspondance comme absolument requise, mais elle a aussi donné de comprendre pourquoi cette attitude spirituelle est absolument nécessaire selon elle.

La correspondance est nécessaire : 1) en raison du sublime appel de Dieu et du néant de la créature qui pourtant sent la nécessité de répondre à cet appel; 2) en raison de cette disproportion foncière entre sa pureté et l'impureté de l'âme; 3) en raison de cette tendance aimante et persistante à l'union à Dieu qui l'habite. La correspondance apparaît ainsi pour Marie de l'Incarnation comme un moyen (le seul proportionné) qui est donné à la créature pour atteindre sa fin surnaturelle. Ce moyen devra lui être donné au sens où, placée devant la nécessité intérieure de répondre à l'appel et tentant pour cela de correspondre, la créature fera la douloureuse expérience de son incapacité; il faut donc que la correspondance soit reçue par elle comme un don de celui qui l'appelle et attend sa réponse. La question de la part qui revient à la créature sera développée plus loin.

Enfin, Marie de l'Incarnation met la notion de correspondance en lien avec deux autres notions spirituelles : celle de l'abandon et celle du directeur spirituel. Ces deux éléments viennent en fait préciser la modalité de l'attitude spirituelle de correspondance. Par eux, elle explique comment, concrètement, elle doit correspondre. « Avec l'abandon de tout soi-

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même à la divine Providence » d'abord. Si l'appel de Dieu invite et attend une réponse et une correspondance de la créature, cette dernière ne doit pas penser que tout dépend d'elle seule. La créature doit certes consentir aux appels, avec la grâce, mais elle doit rester en même temps patiente et se garder d'être curieuse sur les détours que voudra bien emprunter la Providence pour la réalisation de cet appel. L'abandon, appuyé sur la foi en la puissance et en la Bonté de Dieu, laisse à Dieu le chemin libre et empêche l'attitude spirituelle de correspondance de glisser dans un certain volontarisme qui serait stérile et néfaste.

Rappelons également que l'abandon, comme la correspondance, sont profondément relationnels, c'est-à-dire qu'ils invitent la créature à converser amoureusement avec son Créateur lorsque la réalisation de ses appels semble tarder.

Marie de l'Incarnation souligne enfin que la correspondance, « absolument requise avec l'abandon de tout-soi-même à la divine Providence128 », suppose la présence et conduite

d'un directeur spirituel. Cet apparent intrus dans la dynamique à deux n'est pas, comme on a pu le montrer, un obstacle, mais une aide à la relation et à l'évolution de cette relation entre le Créateur et sa créature. C'est la conviction profonde de Marie de l'Incarnation. Si elle n'avait pas rencontré à temps son premier directeur spirituel, Dom Raymond de Saint- Bernard, elle pense bien qu'elle se serait rendue propre à rien, errant dans les voies spirituelles, faute d'expérience. Le directeur spirituel n'est pas là pour contrecarrer le travail intérieur de l'Esprit Saint, mais pour le confirmer ou pour protéger l'âme des écueils et des nombreuses illusions possibles dans ce domaine129. Étant lui-même habité par

l'Esprit de Jésus-Christ et mandaté par son Église, il garantit une certaine objectivité et un caractère ecclésial aux grâces subjectives vécues.

En somme, l'analyse du chapitre X contenant la première occurrence de la notion correspondance confirme l'hypothèse de départ selon laquelle l'attitude spirituelle que Marie de l'Incarnation désigne par cette expression est pour elle une attitude majeure pour le progrès dans la vie spirituelle et l'atteinte de l'union à Dieu. Elle a permis de montrer plusieurs liens organiques que cette attitude entretient avec d'autres réalités de la vie spirituelle. Reste à porter notre attention vers les autres occurrences de la notion de correspondance présentes dans la Relation de 1654, afin de vérifier si elles confirmeront aussi l'hypothèse de départ.

128 Ibid, p. 94.

129 Certains directeurs de Marie de l'Incarnation n'ont pas toujours su bien discerner les projets de Dieu sur elle, ce qui l'a parfois fait souffrir, mais son abandon confiant et dialogué au Seigneur a malgré tout permis la réalisation des desseins de Dieu.

Regard sur une seconde occurrence du mot correspondance :