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Autres occurrences et examen d'une objection

3. Examen d'une objection

3.1 Le peu d'occurrences de l'expression correspondance

Jusqu'à maintenant, toutes les occurrences de la notion de correspondance, tant celles employées positivement que celles employées négativement, ont permis de confirmer l'hypothèse de la recherche entreprise. Pour Marie Guyart de l'Incarnation, l'attitude spirituelle qu'elle désigne par la notion de correspondance est fondamentale et occupe une place majeure dans la Relation de 1654.

Si la confirmation de l'hypothèse semble être de plus en plus établie, il demeure néanmoins une objection qui mérite d'être examinée. En effet, les occurrences, positives et négatives, du mot correspondance, tant le substantif que le verbe, n'apparaissent que douze fois dans l'ensemble de la Relation de 1654 : quatre occurrences positives et huit occurrences employées négativement. Ce peu d'occurrences est-il un argument suffisant pour ébranler l'hypothèse?

Afin de répondre à cette objection, rappelons encore une fois le caractère non équivoque des propos de l'ursuline : « lorsque Dieu appelle à ce genre de vie intérieure, la correspondance est absolument requise70 ». Il n'y a donc pas d'espace pour le doute. De

plus, comme on l'a constaté dans ce chapitre, elle parle de la correspondance comme d'un appel de Dieu et elle confesse encore l'importance de celle-ci dans le tout dernier chapitre, tout en avouant n'avoir pas toujours réussi à en vivre pleinement. Par conséquent, dire que cette attitude n'est pas importante pour Marie dans la Relation de 1654 ne correspondrait pas à sa pensée. Il faut donc chercher dans une autre direction la résolution de l'objection.

Si cette attitude est si importante pour elle et dans la Relation de 1654, ne devrait-on pas en trouver des traces ailleurs dans ce long écrit autobiographique de plus de soixante chapitres ? En parcourant à nouveau le texte entier avec cette question à l'esprit et en

travaillant à partir du champ sémantique de la correspondance on constate, en fait, que Marie de l'Incarnation parle abondamment de l'attitude spirituelle de correspondance dans l'ensemble de sa Relation de 1654, mais elle le fait sous le couvert d'autres concepts.

Avant d'aller plus loin sur cette piste, il est opportun de se remémorer ce que Marie de l'Incarnation désigne par la notion de correspondance. Dans le premier chapitre de ce mémoire, on a vu que Marie de l'Incarnation relie l'expression correspondance à celle de Y appel ou de l'initiative de Dieu. C'est en effet parce que Dieu appelle la créature à la vie spirituelle et à de hauts desseins, qui dépassent d'ailleurs ses pauvres capacités, que la correspondance est nécessaire. La « cor-respondance » est en quelque sorte la réponse libre la plus adaptée que la créature peut fournir à ce Dieu qui l'appelle à une vie et union si sublimes. La correspondance appartient donc à une dynamique de fond : appel de Dieu et réponse de la créature.

Or, la richesse de la langue française est telle qu'elle peut exprimer sous diverses expressions une même réalité de fond. Il s'avère ainsi pertinent d'explorer les champs sémantiques de l'appel (l'initiative de Dieu) et celui de la correspondance (la réponse de l'âme) qui apparaissent dans la Relation de 1654.

3.2 Les champs sémantiques de Vappel et de la correspondance

3.2.1 Le champ sémantique de l'appel ou de l'initiative de Dieu

Dans l'autobiographie de 1654, on s'aperçoit que les multiples appels que Dieu adresse à Marie de l'Incarnation ont pris diverses formes, tant extérieures qu'intérieures. On constate d'abord qu'elle emploie à plusieurs reprises le substantif « appel71 », ou l'expression

« appel intérieur72 » et encore le verbe « appeler73 », tout au long de sa relation.

71 Ibid., 1er E.O., chap. IV, p. 55; 10e E.O.; chap. XLIII, p. 215; etc. 72 Ibid., 1er E.O., chap. IV, p. 55.

73 R1654, 1er E.O., chap. IV, p. 55; 8e E.O., chap. XXXIV, p. 177; 11e E.O., chap. XLVI, p. 237; 12e E.O., chap. LV, p. 293; etc.

En d'autres endroits, les appels divins qui lui sont adressés sont exprimés par le verbe « demander74 ». Elle parle aussi de « lumières75 » et de connaissances qui lui inspirent76 des

attitudes ou des gestes à poser.

Marie de l'Incarnation dit également à plusieurs reprises avoir été interpellée par des

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« touches », qu'elle qualifie parfois de « divines », des « mouvements » qui sont tantôt « puissants80 » et tantôt subtils, et parfois fréquents81 et insistants. Elle emploie aussi

l'expression de « motions », celle de « divines impressions et opérations » qui, d'une façon ou d'une autre, deviennent des manières pour Dieu de l'interpeller spirituellement et de l'inviter à prendre une direction, à poser des actes, ou à laisser Dieu agir en elle.

Les appels que Dieu lui adresse prennent aussi les allures de doux « attraits » ou de charmes85 qui l'attirent ou s'imposent à elle. Elle dira dans ce sens: « l'attrait intérieur

m'appelait à la solitude86. » Elle emploie également l'expression de « trait87 », mais plus

encore celle de « tendance88 » qui revient fréquemment sous sa plume.

De plus, les appels de Dieu auxquels elle est invitée à correspondre prennent parfois les allures de pressions intérieures opérées par l'Esprit : « l'Esprit de Dieu me pressait que je me confessasse de toutes mes enfances. Comme j'ai dit ci-devant, il voulait de moi une

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pureté que je ne connaissais pas ».

74 Ibid., 13e E.O., chap. LVIII, p. 311. 75 Ibid., 2e E.O., chap. VII, p. 72.

16 Ibid, 10e E.O., chap. XLIII, p. 215 ; 12e E.O., chap. L, p. 261. 11 Ibid, 1er E.O., chap. II, p. 51. ; chap.III, p. 52; etc.

78 Ibid, 6e E.O., chap. XX, p. 128 ; T E.O., chap. XXII, p. 138 ; etc. 79 Ibid., T E.O., chap. XXVIII, p. 153 ; 13e E.O., chap. LXIII, p. 329 ; etc. 80 Ibid., 8e E.O., chap. XXXII, p. 170.

81 Ibid., chap. XXXVI, p. 181. 82 Ibid., 13e E.O., chap. LVIII, p. 311.

83 Ibid., chap. LXV, p. 342 ; chap. LXVII, p. 352. 84 Ibid., 1er E.O., chap. I, p. 47-48 ; chap.III, p. 52;

85 Ibid., 2e E.O., chap. VI, p. 69 ; 5e E.O., chap. XIII, p. 105. *6 Ibid, chap. VII, p. 72.

87 Ibid., 13e E.O., chap. LXVII, p. 356.

88 Ibid., 3e E.O., chap. IX, p. 87; 4e E.O., chap. X, p. 92-93; etc. 89 Ibid, 1er E.O., chap. V, p. 58.

Il y aurait encore beaucoup d'expressions qui pourraient être relevées, mais celles-ci suffisent pour notre propos. Ainsi, du début à la fin de la Relation de 1654, on constate que Marie de l'Incarnation parle avec abondance, en employant de nombreuses expressions, des divers appels auxquels Dieu l'invitait à répondre et correspondre.

3.2.2 Le champ sémantique de la correspondance

Si elle exprime par des formes si variées les appels de Dieu qui lui étaient adressés, les expressions désignant sa correspondance sont tout aussi diversifiées. Dès le début du premier état d'oraison, alors qu'elle évoque son enfance, elle rapporte un premier songe qui est à l'image de son profond désir de correspondre aux appels du Seigneur : « Lors, lui, le plus beau de tous les enfants des hommes, avec un visage plein d'une douceur et d'un attrait indicible, m'embrassant et me baisant amoureusement, me dit "Voulez-vous être à moi ? " Je lui répondis : "Oui." - Lors, ayant ouï mon consentement, nous le vîmes remonter au ciel90. » Ce « oui », est d'une certaine manière l'expression la plus simple de la

correspondance de la créature aux avances de ce Dieu qui l'appelle. Marie de l'Incarnation emploie cependant un vocabulaire bien plus riche pour signifier cette dynamique. On retrouve d'ailleurs dans ce même passage l'expression « consentement » qui qualifie cette part qui revient à la créature dans la correspondance.

Marie de l'Incarnation recourt également abondamment au verbe « suivre » ou à la notion d'« obéissance » pour manifester sa correspondance aux initiatives de Dieu sur elle. Quelques exemples suffiront pour confirmer ce points : « je suivais son trait dans l'oraison et lui obéissais pour suivre les vertus dont il faisait naître les occasions91 » ; « je suivais cet

appel intérieur, ne sachant autre chose sinon que c'étaient de bons mouvements que la parole de Dieu produisait en mon âme et qui me poussaient de l'aller de plus en plus entendre et à la pratique de la vertu »; « [j]e sentais mon esprit et mon cœur dans une grande obéissance et soumission à Dieu et je suivais toutes ses pentes93. »

90 Ibid, chap. I, p. 46-47. 9X Ibid, chap. II, p. 50.

92 Ibid., 1er E.O., chap. IV, p. 50. 93Ibid., T E.O., chap. VII, p. 72.

Très souvent, la correspondance prendra la forme de verbes d'action en lien avec l'inspiration ou motion qu'elle a eue. Ainsi, afin de correspondre à des touches, lumières ou grâces, elle se retire pour prier94, elle se confesse95, elle fait des vœux96, elle s'abaisse et fait

pénitence97, elle s'offre en victime pour les petites sauvages qu'elle aime tant, elle parle

avec grande privauté à la divine Majesté98, elle loue le Seigneur99, elle s'enflamme de désir

pour lui, elle aime en retour100, etc. La liste pourrait être encore très longue, car Marie de

l'Incarnation raconte la plupart des événements de sa vie (choix, gestes, actions et passions) comme étant en lien avec la conduite de Dieu sur elle. Elle les présente comme des réponses aux initiatives de Dieu.

Ailleurs, elle met de l'avant la notion de « fidélité à suivre101 » la volonté de la divine

Bonté sur elle. Correspondre à la grâce et être fidèle sont deux attitudes spirituelles très semblables. D'ailleurs dans le chapitre X dans lequel elle énonçait la nécessité de la

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correspondance, elle soulignait également « combien il importe d'être fidèle . » Cette attitude est capitale selon elle, car le Verbe lui a signifié qu'il est « vraiment l'Époux de l'âme fidèle103. » Fidélité aux grâces, correspondance et mariage spirituel sont ainsi trois

réalités intimement liées entre elles. Mais les appels de Dieu sont souvent trop élevés pour la créature, ce qui pousse Marie de l'Incarnation à implorer fréquemment l'aide de Dieu lui-même pour correspondre : « Divin Esprit, dirigez-moi dans les voies de mon divin Époux104. » Tout au long de la Relation de 1654, en considérant également les vastes

champs sémantiques de l'appel et de la correspondance, on constate que l'Esprit Saint prend une part de plus en plus grande dans la correspondance effective de Marie de l'Incarnation aux appels du Père et du Fils : « Elle le veut suivre d'une manière que ce même Esprit lui fait concevoir. Elle dit avec l'Épouse : Tirez-moi, et nous courrons à

94 Ibid, 4e E.O., chap. XI, p. 97.

95Ibid, 2e E.O., chap. VI, p. 70 ; chap. VII, p. 72. 96 Ibid, 12e E.O., chap. L, p. 261.

97 Ibid, 4e E.O., chap. XII, p. 99. 98 Ibid.

" i b i d , T E.O., chap. XXVII, p. 153-153. 100 Ibid, 8e E.O., chap. XXXII, p. 169. 101 Ibid, 2e E.O., chap. VII, p. 74. 102 Ibid., 4e E.O., chap. X, p. 93. 103 Ibid, T E.O., chap. XXII, p. 138. 104 Ibid., 13e E.O., chap. LVII, p. 352.

l'odeur de vos onguents105. Toutes les puissances de l'âme ne veulent et n'appètent1 rien

que d'être dans Jésus, par l'Esprit de Jésus, et de le suivre dans sa vie et dans son esprit . » Lorsqu'elle parvint à l'état d'épouse du Verbe, l'âme expérimente qu'elle n'atteint pas cette privauté ni ne l'entretient par sa propre puissance. « [L]e Saint-Esprit est le moteur qui la fait agir de la sorte avec le Verbe108. »

Ce regard à partir des champs sémantiques permet ainsi de faire un constat : même si le mot correspondance ne revient pas continuellement sous la plume de Marie de l'Incarnation, l'attitude qu'il désigne revient quant à lui sous le couvert d'autres expressions qui en sont souvent comme des modalités. L'objection du peu d'occurrences s'estompe donc. Mais, afin de montrer encore mieux comment, par la diversité du vocabulaire, la dynamique appel-correspondance est profondément inscrite dans la Relation de 1654, il est intéressant de s'arrêter sur le récit de sa vocation religieuse.

3.3. Appel à la vie religieuse

Le chapitre XIII du cinquième état d'oraison et les chapitres XXIX et XXX du septième état d'oraison sont les extraits traitant de sa vocation religieuse. Ils seront ici étudiés de plus près, afin de mettre en évidence la dynamique spirituelle appel de Dieu - correspondance de l'âme, présente sous divers aspects. Il est à noter que le mot correspondance n'apparaît dans aucun de ces trois chapitres.

3.3.1 Un appel et ses retardements

Au début de la Relation de 1654, Marie confie qu'elle avait songé à la vie religieuse avant de se marier. Cependant, ses parents, qui ne prenaient pas son désir très au sérieux et qui ne l'estimaient pas faite pour cet état, décidèrent plutôt de la marier à Claude Martin, ce qu'elle fit simplement, sans trop se questionner. Le mariage ne dura qu'un an et demi, car

105 Ct 1,3.

106 «Appéter, souhaiter, désirer vivement » (RI654, 3e E.O., chap. IX, p. 87, note c.) 107 Ibid, 3e E.O., chap. IX, p. 87.

son époux Claude fut brusquement emporté par la mort. Au chapitre XIII du cinquième état d'oraison, elle parle à nouveau de son attrait pour la vie religieuse. En effet, après qu'elle eut réglé les affaires de son mari et qu'elle se soit retirée chez son père, « ayant goûté les biens de l'esprit et connu la vanité des choses du monde109 », Marie se sentit à nouveau

« appelée à la religion110 ». Elle dit cependant, en parlant de son jeune fils qui naquit entre

temps :

Mais j'avais encore un autre lien qui ne me le permettait pas, et qui, au jugement de mon directeur, était pour ce temps voulu de Dieu; qu'il croyait néanmoins que la divine Majesté me ferait cette grâce en son temps. Ainsi je portais ce joug nécessaire par acquiescement aux ordres de Dieu, qui cependant tenait mon cœur en un cloître et mon corps dans le monde1 ' '.

Il est intéressant de remarquer que l'appel de Marie de l'Incarnation à la vie religieuse passa par un attrait envers les « biens de l'esprit ». Elle constate cependant qu'il y a un obstacle majeur à la réalisation de cet appel : elle a maintenant un petit enfant. Il lui semble donc impossible de pouvoir correspondre pour l'instant à cet appel. Son directeur spirituel l'aide à voir clair en cette affaire, lui indiquant que telle est la volonté de Dieu pour le moment, mais que Dieu finira probablement par lui donner l'objet de son désir. L'appel à la vie religieuse contient donc pour elle un second appel : celui d'accepter d'attendre dans la patience le jour que la Providence choisira pour concrétiser sa vocation à la vie religieuse. Il lui faut encore un peu supporter la vie du monde et ses ambiguïtés.

Sous d'autres expressions, Marie de l'Incarnation parle donc de l'attitude qu'elle désignait ailleurs par la notion de correspondance. Elle apporte en effet à Dieu l'humble réponse qu'elle peut pour l'instant offrir à son appel : une attente mais qui n'éteint pas le désir. Dans ce passage, la correspondance à l'appel reçu pour la vie religieuse est teintée d'abandon dans la patience : elle offre son « acquiescement aux ordres de Dieu112. » Cette

109 Ibid., 5e E.O., chap. XIII, p. 104. 110 Ibid.

t uIbid. U2Ibid.

expression d'« acquiescement » reviendra souvent sous sa plume pour signifier sa correspondance .

3.3.2 « Faire ce qui était en elle pour gagner son cœur »

Un désir ardent que possède Marie de l'Incarnation et qui la pousse entre autres à la vie religieuse, est l'aspiration à « posséder l'esprit de Jésus-Christ114 ». Elle le désirait pour

vivre cette communion intime à Jésus-Christ. Elle voyait par ailleurs que cet esprit était particulièrement propre à être trouvé dans les conseils évangéliques - pauvreté, chasteté, obéissance - qui identifient celui qui en vit à Jésus-Christ qui s'est fait pauvre, chaste, obéissant. Elle percevait que la vie religieuse offrait un contexte idéal pour vivre ces conseils. Elle voyait aussi que Dieu seul pouvait vraiment communiquer l'esprit profond de ceux-ci. Or, si elle devait attendre de Dieu la réalisation de ses desseins, « elle voulait néanmoins faire ce qui était en elle pour gagner son cœur et ses amours115 », dit-elle. La

jeune femme vivant encore dans le monde prit alors quelques résolutions qui lui étaient accessibles : « Donc ayant fait le vœu de chasteté, je me sentis puissamment inspirée de faire celui d'obéissance et de pauvreté, en la façon que l'état présent auquel j'étais le permettait. Mon directeur, m'ayant examinée foncièrement, me le permit116 ».

Ainsi, la réponse à l'appel à la vie religieuse qui cachait pour Marie un appel plus profond à entrer en une plus grande communion à l'esprit de Jésus-Christ par l'embrassement de conseils évangéliques, ne se contente pas de la seule attente passive. Marie choisit de mettre déjà en œuvre des moyens à sa portée pour aller à la rencontre de Celui qui pourra opérer pleinement la réalisation de ses appels. Ce réflexe de prompte correspondance, selon ses pauvres moyens, était présent très tôt chez elle. Elle mentionne dès le premier état d'oraison: «je tâchais de prendre les moyens que je connaissais117». Dans ce

chapitre XIII, l'ajout des vœux privés d'obéissance et de pauvreté à celui de chasteté

113 Ibid, 8e E.O., chap. XXXV, p. 179 ; 12e E.O., chap. LI, p. 263. 114 Ibid., 5e E.O., chap. XIII, p. 104.

115 Ibid, p. 106. U6 Ibid., p. 107.

qu'elle avait déjà fait devient ainsi un premier pas vers la complète correspondance à l'appel à vivre pleinement des conseils évangéliques. Ce que la créature peut faire pour correspondre reste malgré tout bien limité; ce qui explique ce qu'elle écrit immédiatement après : « mais tout le reste dépendait de Dieu, car sa créature est trop imbécile pour avancer un pas de soi en une affaire de telle importance : ce qu'elle peut est son consentement, obéissance et abandon de soi, acquiesçant à tout ce que sa divine Majesté veut faire

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d'elle . » Acquiescement, « consentement, obéissance et abandon de soi », voilà la part de la créature dans la correspondance. Ces expressions reviennent à plusieurs reprises dans sa Relation de 1654. Marie de l'Incarnation exprime souvent sa correspondance par ces mots. Pour le reste, tout dépend de Dieu, dit-elle. Encore une fois, Marie signifie qu'elle compte sur Dieu lui-même afin de pouvoir correspondre à ses appels. Il est intéressant de retrouver dans ce récit du chapitre XIII les principaux éléments mentionnés dans la règle spirituelle qu'elle énonçait au quatrième état d'oraison : l'appel, la correspondance, l'abandon, la conduite du directeur, la conscience de l'impuissance de la créature... Tous les éléments sont là.

3.3.3 Le discernement pour les Ursulines

Dans le septième état d'oraison, aux chapitres XXIX et XXX, Marie de l'Incarnation raconte une autre étape dans son discernement vocationnel où est bien présente la dynamique appel-correspondance, bien qu'elle n'emploie pas directement l'expression correspondance.

A l'intérieur de ce passage, elle relate l'éveil, le discernement puis la réalisation de son appel à entrer chez les Ursulines. Elle avait alors environ 30 ans. Depuis qu'elle eut « les premières et fortes impressions de quitter le monde ce fut d'être Urseline119, parce qu'elles

étaient instituées pour aider les âmes120 ». Or, Marie avait de « puissantes inclinations121 » à

œuvrer pour le salut des âmes. Ces termes, « puissantes inclinations », pointent ici vers

118 Ibid, 5e E.O., chap. XIII, p. 107. 119 Écrit ainsi dans le texte original. 120 RI654, 7e E.O., chap. XXIX, p. 156. 121 Ibid.

l'expression d'un appel. Au moment où elle éprouve ce premier mouvement à entrer chez

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les Ursulines, celles-ci ne sont cependant pas encore établies à Tours . Elle ne sait d'ailleurs pas où elles se trouvent, elle a simplement entendu parler de ces religieuses dévouées aux âmes par l'enseignement.

Ces religieuses n'étant pas à Tours, Marie de l'Incarnation ne croyait pas devoir faire des recherches pour aller les rejoindre ailleurs. Elle songeait alors plutôt à entrer dans l'un ou l'autre des ordres présents à Tours. Les opportunités et intérêts de pieuses personnes de son entourage l'orientaient vers les Feuillantines ou les Carmélites, deux ordres qu'elle-même estimait. Elle attendait simplement ce que la Providence du Seigneur choisirait pour mettre concrètement en œuvre son appel à entrer en religion. Il fallait en effet qu'une place se libère quelque part, et qu'un moyen soit trouvé pour fournir la dot qui était habituellement requise à l'époque pour l'entrée en religion.

Son directeur spirituel, un père feuillant, croyait à son appel à la vie religieuse et cherchait des moyens de le mettre en œuvre. Les Ursulines s'établirent cependant à Tours avant que