LE ROI DE LA GLACE
(Théâtre)
suivi de
Le théâtre jeune public et l'adaptation dramatique de personnages historiques
(Essai)
Mémoire présenté
à la faculté des études supérieures de l'Université Laval
dans le cadre du programme de maîtrise en littérature, arts de la scène et de l'écran pour l'obtention du grade de Maître es arts (M.A.)
DEPARTEMENT DES LITTERATURES FACULTÉ DES LETTRES
UNIVERSITÉ LAVAL QUÉBEC
2010
RESUME
Adapter la vie d'un personnage historique à la scène impose des conditions de création particulières à l'auteur dramatique. Cela est d'autant plus vrai si l'œuvre s'adresse à un jeune public. La pièce Le roi de la glace, mettant en scène Frédéric Tudor, un marchand de glace américain ayant réellement vécu au cours du 18e siècle, est le produit de cette double
contrainte du personnage historique et du jeune public. La réflexion qui suit la pièce porte sur les pratiques de deux auteurs québécois qui ont écrit pour les enfants une pièce dont le personnage principal a réellement existé : Suzanne Lebeau pour sa pièce Petit Pierre et Jean-Rock Gaudreault pour sa pièce Pour ceux qui croient que la Terre est ronde.
Concilier la rigueur de la recherche scientifique avec le chaos de la création artistique semble de prime abord impossible. Pourtant, la réalisation de cette maîtrise en création m'en a prouvé le contraire. Comme le scientifique, le créateur cherche la beauté dans une certaine forme d'ordre. Comme l'artiste, le scientifique ne se satisfait pas de demi-vérités. Et tous deux sont à la merci de l'inspiration. En fait, ce qui unit le plus intimement le scientifique et l'artiste, c'est la recherche. La recherche de la connaissance. Celle du monde qui l'entoure pour le scientifique et celle du monde intérieur pour l'artiste.
Comme au théâtre, j'aurai appris que la recherche universitaire est une histoire de rencontres. J'aimerais d'abord remercier les auteurs Suzanne Lebeau et Jean-Rock Gaudreault pour leur générosité et leur talent. Sans eux, le présent mémoire n'aurait pas été possible.
Merci à mes parents qui m'ont toujours appuyé sans condition dans mes projets les plus insensés. Leur force tranquille et leur foi en leurs enfants me permettent de continuer à avancer librement dans la voie parfois ardue de la création artistique. Dire qu'ils croyaient que les nuits blanches étaient terminées! Merci, bien sûr, à Julie Massé qui doit, au quotidien, partager mes doutes, mes joies, mes craintes et mes insomnies. Si le scientifique est bien comme l'artiste, elle est ma Marie Curie. La plus précieuse et indispensable des partenaires.
Enfin, merci infiniment à Alain Beaulieu, mon directeur de mémoire. Ses conseils éclairés, sa présence sereine et son imagination vive m'ont permis de calmer mes angoisses et de structurer ma recherche et ma création. Ce qui n'est pas peu. Merci!
TABLE DES MATIERES
Résumé ii Avant-propos iii Table des matières iv Partie 1 Section création 5
Le roi de la glace 6
Acte 1 8 Acte 2 17 Acte 3 55 Partie 2 Section reflexive 68
Le théâtre jeune public et l'adaptation dramatique de personnages historiques 69
Introduction 70 Chapitre 1 Survol des notions de l'adaptation, du personnage historique et du
théâtre jeune public 74 1.1 L'adaptation 74 1.2 Le personnage historique 75
1.3 La dramaturgie jeune public 76 1.3.1 Développement du théâtre jeune public au Québec 76
1.3.2 Les spécificités de l'écriture dramatique pour les jeunes 78
Chapitre 2 Les pratiques d'auteur 82 2.1 Le questionnaire et la méthodologie 82
2.2 Pratique d'auteur : Jean-Rock Gaudreault 83 2.2.1 Pour ceux qui croient que la Terre est ronde : la pièce 83
2.2.2 Le processus créatif 84 2.3 Pratique d'auteur: Suzanne Lebeau 88
2.3.1 Petit Pierre: la pièce 88 2.3.2 Le processus créatif 89 Chapitre 3 Ma pratique par rapport à celles de Jean-Rock Gaudreault
et Suzanne Lebeau : Quelques observations de nature comparative 94
3.1 Objectif 94 3.2 Réflexion 94 3.2.1 Le sujet 94 3.2.2 L'adaptation - le fond 96 3.2.3 L'adaptation - la forme 99 3.2.4 Questions générales 101 Conclusion 107 Bibliographie 109 Annexe A Questions d'entrevue pour Suzanne Lebeau (Petit Pierre)
et Jean-Rock Gaudreault (Pour ceux qui croient que la Terre est ronde) 112
Le Roi de la Glace
Homme, 25 ans Femme, 30 ans Homme, 50 ans Homme, 25 ans
Frédéric
La mère, Effie, Une Interprète, Un gardien de prison, La Patronne Le Juge, Le Martiniquais, Une voix, Capitaine Moineau
William, le Banquier, Flock
Les Lieux
Rockwood, la maison d'été Walden Pond Un bateau Une île Une prisonL'appartement des Tudor L'appartement de Effie Le bureau du banquier
Note de production
Bien qu'elle n'ait pas été écrite dans cette optique, la pièce pourrait très bien être montée avec des marionnettes.
ACTE1
Scène 1
FRÉDÉRIC, WILLIAM, EFFIE et LE JUGE. Rockwood.
Frédéric entre doucement en scène, seul. Dans la pénombre, il pousse son invention : une machine qui fabrique de la glace. On n 'entend que le bruit des roues qui grincent. Il prend une grande inspiration et sourit.
Puis, les lumières s'allument complètement. C'est tout à coup la frénésie. Les personnages entrent et sortent de scène le temps d'une réplique. C'est l'heure du souper chez la famille
Tudor. LA MÈRE William! LE JUGE Oui, ma biche! LA MÈRE
Il faut sortir la nappe. LE JUGE
Tout de suite, ma biche. WILLIAM
Quelqu'un a vu mon papier et mon encrier? Père, avez-vous vu mon papier, je crois que mon inspiration va revenir, il faut que j'écrive.
LE JUGE Eh bien... LA MÈRE William! LE JUGE Je reviens.
LA MÈRE, ne remarquant pas son fils Frédéric? Frédéric?
FRÉDÉRIC Ici.
FRÉDÉRIC
Je veux vous montrer ma dernière invention. LA MÈRE
Je n'ai pas le temps, Frédéric. Il faut préparer le souper, la bonne est en congé ce soir, je dois tout faire.
FRÉDÉRIC
William, regarde, c'est une machine à fabriquer du froid. WILLIAM
C'est impossible, ça n'existe pas. FRÉDÉRIC
Mais oui, j'utilise de l'éther que je laisse évaporer et... WILLIAM
De l'éther! Mais, c'est explosif ça! FRÉDÉRIC
Ah oui? LA MÈRE
William! Va me chercher des légumes dans la glacière. (WILLIAM amorce son départ.) William!
LE JUGE et WILLIAM Oui!
LA MÈRE, à William
Non pas toi, (au Juge) toi. Je ne trouve plus nos assiettes en argent, les as-tu vu? LE JUGE, hésitant
Non. LA MÈRE
Dans ce cas, j'ai besoin de notre vaisselle de porcelaine. LE JUGE
D'accord. FRÉDÉRIC
LE JUGE Ah oui? LA MÈRE William! LE JUGE
Je reviens, mon gars. WILLIAM
Maman, on ne pourra pas manger de légumes ce soir. LA MÈRE
Pourquoi? WILLIAM
Ils étaient tellement pourris qu'ils se sont sauvés quand j'ai ouvert la glacière. LA MÈRE
Quoi! LE JUGE
On n'a plus de glace depuis un mois! LA MÈRE
Stop! Plus de glace? Dans ce cas, tous au restaurant! LE JUGE
Parfait, je commençais à avoir faim! WILLIAM
Il y a du papier dans ce restaurant?
WILLIAM, LE JUGE et LA MERE sortent. C'est le silence à nouveau. FREDERIC est seul avec son invention. LE JUGE revient.
LE JUGE
Tu viens Frédéric? Ton invention a l'air très intéressante. Tu me la montreras en revenant. FRÉDÉRIC
Merci Père. J'arrive.
LE JUGE sort. FREDERIC donne un coup de pied à sa machine qui se met à faire de drôles de bruits puis explose.
LE JUGE
Des factures, des factures, toujours des factures! LA MÈRE
On a sûrement encore des réserves? LE JUGE ouvre un coffre presque vide. LE JUGE
En trois mois, on a perdu la moitié de notre fortune. LA MÈRE
Quoi!?! LE JUGE
Chut, il ne faut pas que les garçons l'apprennent, ça pourrait les contrarier. LA MÈRE
Qu'est-ce que tu vas faire pour récupérer notre argent? LE JUGE
Il faudra peut-être vendre certaines choses, c'est tout. LA MÈRE
Mon argenterie! Tu n'as pas osé...?
FREDERIC entre et se cache pour écouter la conversation. LE JUGE, chuchotant à sa femme
Chuch! Je n'avais pas le choix. Il faut éviter les imprévus, c'est tout!
On frappe à la porte. Laporte s'ouvre. On découvre LE BANQUIER. Bruit de tonnerre. LE BANQUIER
Messieurs Dames. LA MÈRE Qui êtes-vous? LE BANQUIER
Mes amis m'appellent l'Étrangleur, mais vous... vous pouvez m'appeler monsieur May. Je travaille pour la Banque A. G. I. Ça vous dit quelque chose?
LE JUGE
Monsieur May, j'allais justement vous écrire... Qu'est-ce qui nous vaut l'honneur de votre visite?
LE BANQUIER
Ma visite n'a rien d'honorable... pour vous. La banque m'envoie vous dire que, si vous ne remboursez pas vos dettes, nous allons saisir votre maison.
LA MÈRE Quoi!
LE BANQUIER
Les temps sont durs pour tout le monde, madame. Bonne journée. LE BANQUIER va pour partir, mais FRÉDÉRIC sort de sa cachette. FRÉDÉRIC
Attendez! LE JUGE Frédéric!?! FRÉDÉRIC
Saisir notre maison, ce n'est pas possible... Monsieur, vous ne pouvez pas nous faire ça! LE BANQUIER
Monsieur, je ne suis qu'un simple employé de banque. Un petit messager. Si j'étais le président, les choses seraient différentes. J'aurais entre autres de bien meilleures primes. Mais je ne serai jamais président, alors je dois continuer à annoncer les mauvaises nouvelles. (Au Juge.) Monsieur, vous êtes une célébrité au palais de justice, mais avec moi, vous ne pourrez pas vous cacher derrière les lois. Je suis au-dessus de ça. Vous allez payer, d'une manière ou d'une autre. C'est bien compris?
LE JUGE, étranglé par la honte Oui.
LE BANQUIER, voulant que le Juge répète Oui, monsieur May?
LE JUGE
Oui, monsieur May. LE BANQUIER
Mieux. On se reverra. Bonne journée quand même.
LE BANQUIER sort. LA MERE s'approche de son mari. Elle lui met la main sur l'épaule, mais il se défait d'elle et sort, humilié.
FRÉDÉRIC fait les cent pas.
FREDERIC, à William en coulisse Je veux vous aider!
VOIX DE WILLIAM On n'a pas besoin de ton aide. FRÉDÉRIC, à William en coulisse
Tu penses que j'en serais incapable? Je veux faire ma part. WILLIAM entre.
WILLIAM Tu es trop jeune. FRÉDÉRIC
Si je ne travaille pas comme tout le monde, on va perdre notre maison et on va devoir déménager dans un petit appartement, en ville. Notre famille ne sera plus jamais la même. WILLIAM
Qu'est-ce que tu comptes faire? FRÉDÉRIC
Du commerce. Je pourrais devenir un grand commerçant international! WILLIAM
Qu'est-ce que tu peux bien vendre? Tes jouets? FRÉDÉRIC
Je pourrais exporter jusqu'en Inde! WILLIAM
Si tu penses à tes inventions, on peut se passer de ton aide. Il n'y a rien dans la région. On ne produit pas de céréales, on ne produit pas de coton, ni de légumes. La neige recouvre les champs six mois par année!
FRÉDÉRIC, ayant soudain une illumination Mon frère, tu es un génie!
WILLIAM
FREDERIC
La neige, la glace. Voilà ce que je vais vendre! WILLIAM
Mais, y a déjà des gens qui vendent de la glace, ici. FRÉDÉRIC
Oui, mais moi, je vais l'offrir là où ils en ont le plus besoin. WILLIAM
C'est où, ça? FRÉDÉRIC Cherche. WILLIAM Je ne vois pas. FRÉDÉRIC Au sud. WILLIAM Au sud de la ville? FRÉDÉRIC
Non! Au sud du continent. WILLIAM
Quoi!?! FRÉDÉRIC
Oui. Dans les pays chauds où il n'y a jamais d'hiver, comme la Martinique ou Cuba. WILLIAM
Comment vas-tu faire pour transporter la glace aussi loin? FRÉDÉRIC
Je ne sais pas. WILLIAM
Comment vas-tu empêcher la glace de fondre? FRÉDÉRIC
Je ne sais pas. WILLIAM
Tu n'es pas un peu cinglé?
WILLIAM
Ça ne marchera jamais. FRÉDÉRIC
J'ai un plan qui ne peut pas rater. WILLIAM
Pourquoi? FRÉDÉRIC
Parce que tu fais partie du plan. WILLIAM
Oh non! Oh non non non non non non non! Tu ne vas pas m'entraîner dans une autre de tes histoires.
FRÉDÉRIC S'il te plaît! WILLIAM
N'essaie même pas de me convaincre. Pause.
FRÉDÉRIC, faussement détaché
Bon d'accord. Je pensais seulement à ton bonheur. WILLIAM
Sûrement. FRÉDÉRIC
À ton bonheur d'auteur. WILLIAM
Hum? FRÉDÉRIC
Évidemment, si tu avais accepté de venir avec moi, tu aurais pu profiter du voyage pour retrouver ton inspiration, mais il est trop tard maintenant.
WILLIAM Mon inspiration?
FREDERIC
J'imagine que ça aurait pu t'aider de voir des plages de sable blond à perte de vue, des oiseaux multicolores ou les peuples indigènes de la Martinique. Ah et puis qu'est-ce que je connais moi à la littérature? Après tout, je ne vais plus à l'université comme toi.
WILLIAM
Les habitants de la Martinique, on les appelle les Martiniquais. FRÉDÉRIC
Moi, j'aimerais beaucoup lire une histoire à propos des Martiniquais. WILLIAM, après quelques secondes d'hésitation
D'accord, je te suis. Mais seulement pour que m puisses profiter de mon génie littéraire. FRÉDÉRIC
Merci! Viens, on n'a pas de temps à perdre! Moi, je vais au port louer un bateau et toi, tu te charges de nous trouver un lac gelé où on pourra récolter notre glace.
FRÉDÉRIC et WILLIAM sortent.
Scène 4
FRÉDÉRIC, LE PASSANT, LA PASSANTE. Le port de Boston. Musique.
FRÉDÉRIC, sans chanter J'ai trouvé!
Je vais enfin devenir quelqu'un. J'ai trouvé!
La chance d'être le numéro un. J'ai trouvé!
Plus personne ne rira de moi. EFFIE entre sur scène.
FRÉDÉRIC, étranglé par la gêne Bon... bonjour Mademoiselle Effie. EFFIE
Bonjour. On se connaît? FRÉDÉRIC
Oui, je m'appelle Frédéric. Je suis le fils du juge Tudor, un ami de votre père. EFFIE
Ah oui, on s'est déjà croisés. FRÉDÉRIC
Trois fois! EFFIE
C'est vous qui avez quitté l'école pour travailler sur vos... inventions. FRÉDÉRIC
Et maintenant, je vais devenir marchand. Je vais vendre de la glace dans les Antilles. EFFIE
Dans les Antilles? À ce que je vois, vous n'avez pas changé. Toujours aussi rêveur! Eh bien, bonne chance, monsieur Tudor.
FREDERIC
Au revoir, mademoiselle Effie! J'ai trouvé!
Je vais enfin devenir quelqu'un. Et peut-être!
... Peut-être qu'un jour Effie voudra de moi.
Refrain FRÉDÉRIC Tout l'monde
LE PASSANT (puis, LE PASSANT et LA PASSANTE, lors des répétitions du refrain)
Tout l'monde ? FRÉDÉRIC
Tout l'monde veut être quelqu'un Personne
Personne
Personne veut n'être personne Tout l'monde
Tout l'monde
Tout l'monde veut être quelqu'un Personne n'veut être commun. LE PASSANT
Commun? Comme un quoi? Comme un dindon? LA PASSANTE
« Commun » pas « comme un »! LE PASSANT, comprenant
Ah! (Ne comprenant finalement pas.) Hein? FRÉDÉRIC
L'élève rêve d'être le maître Pour donner des leçons Avoir trois mois d'vacances Mais une tonne de corrections. L'élève rêve d'être le maître Faire semblant de tout connaître. Refrain
LA PASSANTE Non!
FRÉDÉRIC
Le fou rêve d'être le roi Pour avoir tous les droits Plusieurs ont fait le pas Et n'ont pas changé, ma foi. Le fou rêve d'être le roi Pour jongler avec les lois Refrain
Le passant ne dit rien, intimidé par le regard de la passante. FRÉDÉRIC
Moi, Frédéric Tudor J'aurai enfin ma place On me couvrira d'or Jusqu'à ce que j'étouffasse Moi, Frédéric Tudor Je serai le Roi de la glace.
Bis (en même temps que le refrain chanté par les deux passants) LES DEUX PASSANTS, en même temps que Frédéric
Tout l'monde Tout l'monde
Tout l'monde veut être quelqu'un Personne
Personne
Personne veut n'être personne Tout l'monde
Tout l'monde
Tout l'monde veut être quelqu'un Personne n'veut être commun. FRÉDÉRIC
Je serai le Roi de la glace! LE PASSANT
Comme un pingouin!
FREDERIC
Mesdames et messieurs, j'aimerais avoir votre attention! Je cherche à louer un navire pour aller en Martinique.
LE PASSANT Pour y vendre quoi? FRÉDÉRIC
De la glace!
LES DEUX PASSANTS, riants Ah ah ah !
FRÉDÉRIC
Ce n'est pas une plaisanterie. Je fais le serment devant vous que je vais un jour devenir très riche à vendre de la glace de chez nous à nos amis du Sud.
LA PASSANTE C'est ridicule. LE PASSANT C'est de la folie. LA PASSANTE
Il est jeune, ça lui passera. LE PASSANT
Vous allez vous perdre! FRÉDÉRIC
Vous savez quel est le meilleur moyen de ne pas se perdre? LE PASSANT
Non.
FRÉDÉRIC
C'est d'aller nulle part.
LE PASSANT, à LA PASSANTE Où on va, nous?
LA PASSANTE
Nulle p/... Tu poses trop de questions!
Les deux passants sortent alors que WIILIAM entre sur scène à la course.
FRÉDÉRIC Parfait! WILLIAM Non! FRÉDÉRIC Pourquoi? WILLIAM Elle fond!
Scène 5
FRÉDÉRIC et WILLIAM
On entend des bruits de glaces qui craquent. FRÉDÉRIC et WILLIAM entrent en courant. WILLIAM
C'est ici. Walden Pound. C'est le seul lac des environs où il reste encore de la glace. Mais elle fond à vue d'oeil. Il fait trop chaud à ce temps-ci de l'année.
FRÉDÉRIC
Il faut la récolter tout de suite! WILLIAM
Impossible. Les ouvriers arrivent seulement dans deux jours. FRÉDÉRIC
J'ai déjà loué le bateau. Il n'est pas question qu'on recule. WILLIAM
À moins que tu puisses demander à la nature de baisser la température ou ordonner au soleil d'arrêter de rayonner, dans deux jours, il n'y aura plus de glace nulle part.
FRÉDÉRIC
Il y a sûrement un moyen. WILLIAM
Moi, j'abandonne, je suis fatigué. J'ai passé la journée à courir. FRÉDÉRIC
Va te coucher, je vais trouver une solution. WILLIAM
Bonne nuit, Frédéric!
WILLIAM sort. Frédéric s'assoie, enlève son chapeau, se gratte la tête en réfléchissant. Il joue avec son chapeau quand tout à coup, il remarque son ombre sur le sol. Une idée
germe dans son esprit. FRÉDÉRIC
Ça peut peut-être marcher. Mes outils!
La lumière s'éteint et on entend des bruits de marteau, de scies, de petites explosions, etc.. Le temps passe.
Le soleil se lève. On retrouve FRÉDÉRIC endormi sur un grand rouleau de tissu. WILLIAM entre.
FRÉDÉRIC
Quoi! Quoi! Ah, William! J'ai trouvé une solution, mais j'ai besoin de toi. WILLIAM
Oh, oh. Pourquoi est-ce que je suis inquiet tout à coup? FRÉDÉRIC
Tiens un bout du rouleau. WILLIAM
Qu'est-ce que tu fais? FRÉDÉRIC
Il faut juste placer les bouts du rouleau dans la machine. J'ai récupéré l'éther de mon invention pour en faire des fusées
WILLIAM
Des fusées? C'est complètement fou!
WILLIAMs 'assoit sur la machine et on entend un bruit d'horloge. FRÉDÉRIC
Oh oh. WILLIAM Quoi? FRÉDÉRIC
Tu viens de déclencher les explosions. (Au ralenti.) A-tten-tionnnn!
FRÉDÉRIC et WILLIAM sont projetés par l'explosion avec le tissu dans les mains à l'autre extrémité de la scène. Le tissu se déroule durant leur vol au ralenti et quand ils atterrissent, un grand parasol couvre le lac.
FRÉDÉRIC Et voilà! WILLIAM
Où est-ce que je suis? Est-ce que je suis mort? FRÉDÉRIC
Comment est-ce qu'on se protège de la pluie? Avec un parapluie. Comment est-ce qu'on se protège du soleil? Avec un parasol.
WILLIAM
Mon dieu, j'ai vu ma vie défiler devant mes yeux. FRÉDÉRIC
Ce n'est pas ta vie que t'as vue défiler, c'est un vol d'outardes qu'on a croisé en haut. Allez! On n'a pas de temps à perdre. On a maintenant notre bateau et de la glace. C'est parti, mon frère! Je suis sûr que ça va marcher. Dans un mois, on sera en Martinique!
VOIX DU PIRATE. Une plage. Musique de tam-tam. On découvre la silhouette inquiétante du MARTINIQUAIS. MARTINIQUAIS
(Dialecte aborigène. Il semble fâché.) Temps.
FRÉDÉRIC, faisant semblant de comprendre Oui. Hum-hum.
MARTINIQUAIS
(Dialecte aborigène. Il semble fâché.) FRÉDÉRIC
Hum?
MARTINIQUAIS
(Dialecte aborigène. Il semble fâché.)
FRÉDÉRIC, faisant semblant de comprendre
Hum-hum... (Rapidement à l'interprète.) Je n'ai rien compris. INTERPRÈTE
Il dit qu'il est très très heureux de vous rencontrer. FRÉDÉRIC, perplexe
Très heureux? Ah... (Au MARTINIQUAIS) Mon cher ami, je suis ici pour vous offrir les meilleurs prix sur la glace au sud du Pôle Nord. Je vous garantis que vous ne trouverez pas de glace de meilleure qualité ailleurs. En fait, je vous garantis que vous ne trouverez pas de glace ailleurs tout court. Puisque vous êtes notre premier client, je vous offre deux cubes pour le prix d'un. Qu'est-ce que vous en dites? (A F INTERPRETE.) Vous pouvez traduire. INTERPRÈTE
(3 ou 4 mots en langue aborigène. Très court.) FRÉDÉRIC
C'est tout? INTERPRÈTE
MARTINIQUAIS (Dialecte aborigène.) INTERPRÈTE
Il voudrait voir la glace. WILLIAM
Bien sûr! Voilà.
FRÉDÉRIC dépose un petit morceau de glace dans les mains du MARTINIQUAIS. Ce dernier est surpris par le froid de la glace et jongle avec le cube.
MARTINIQUAIS Hou-hou-hou!!! FRÉDÉRIC
C'est pour rafraîchir les boissons. Ou pour conserver la nourriture plus longtemps. Nourriture, vous savez? (Il fait des signes de se mettre de la nourriture dans la bouche. Le MARTINIQUAIS se met le morceau de glace dans la bouche.) Non!
MARTINIQUAIS HOU!!!!
Le MARTINIQUAIS croque la glace et l'avale. Il se frappe le front, car il a le « cerveau gelé ». Il grogne. WILLIAM et FRÉDÉRIC ont peur pour leur vie, mais le MARTINIQUAIS se met à rire et serre les deux frères dans ses bras.
MARTINIQUAIS (Dialecte. Il est heureux.) FRÉDÉRIC
Oui, oui. C'est bien...
Le MARTINIQUAIS sort deux pièces d'argent et les donne à FRÉDÉRIC. FRÉDÉRIC
Ah! C'est mieux. (A William.) Ça marche! (FRÉDÉRIC donne un gros morceau de glace au MARTINIQUAIS.) Et voilà, mon ami!
MARTINIQUAIS Hou, hou, hou!
Le MARTINIQUAIS sort en jonglant avec le gros morceau de glace. L'INTERPRÈTE, traduisant sans émotion
Hou, hou, hou. Hou, hou, hou, hou.
FRÉDÉRIC
Je te l'avais dit qu'on réussirait. On va devenir riche. On va pouvoir rembourser toutes les dettes de la famille.
WILLIAM
Attendons la fin de la journée avant de nous réjouir. FRÉDÉRIC
Viens, je vois d'autres clients qui arrivent.
Chorégraphie sur un air rythmé qui illustre que le temps passe et que la bourse se remplit. FRÉDÉRIC
Tiens notre premier client qui revient. MARTINIQUAIS
(Dialecte aborigène. Il semble heureux.) L'INTERPRÈTE revient à son tour. FRÉDÉRIC
Ha ah! Moi aussi je suis heureux de vous revoir. MARTINIQUAIS
(Dialecte aborigène. Il semble heureux.) WILLIAM, à l'Interprète
Il veut encore de la glace? INTERPRÈTE
Pas vraiment. FRÉDÉRIC
Qu'est ce qu'on peut faire pour vous? Un petit shampoing? INTERPRÈTE
Il veut vous trancher la tête. FRÉDÉRIC
Ah...
MARTINIQUAIS
(Dialecte aborigène. Il semble fâché.)
INTERPRETE
Il dit que vous êtes des sorciers et que vous lui avez vendu de l'eau. WILLIAM
Frédéric, on le rembourse et on s'en va d'ici. FRÉDÉRIC
Le rembourser? Non, non, non, non, non. MARTINIQUAIS
(Dialecte aborigène. Il siffle et appelle d'autres clients frustrés.) WILLIAM
Bon, ce n'est pas qu'on s'ennuie ici, mais on est attendus pour souper. Au revoir! WILLIAM lance le sac d'argent au MARTINIQUAIS et s'enfuit avec son frère.
WILLIAM, FRÉDÉRIC et UNE VOIX Sur le bateau, un orage fait rage. FREDERIC
On a tout perdu. WILLIAM
Tu risques de te retrouver en prison à la minute où on va toucher terre. FRÉDÉRIC
Je peux toujours compter sur toi pour me remonter le moral. Je voulais prouver à papa que je suis capable de faire quelque chose de bien moi aussi. Qu'est-ce qu'il va penser de moi maintenant? Mais je vais continuer. De toute façon, qu'est-ce qui pourrait m'arriver de pire, aujourd'hui? Et qu'est-ce qui sent mauvais comme ça?
WILLIAM
Ne me regarde pas. J'ai pris mon bain et ça ne fait même pas deux mois. UNE VOIX
Pirates! On est attaqués par des pirates! Ils se cachent, coup de canon, puis ressortent. WILLIAM, en panique
Pirates! Des pirates nous attaquent. Je savais que je n'aurais pas dû t'écouter. Un canon.
FRÉDÉRIC Attention! WILLIAM
Vite les canots de secours.
Canon. Un grand bruit de bois qui se brise. FRÉDÉRIC
Hey! Mon bateau! WILLIAM
Frédéric, cache-toi! FRÉDÉRIC, aux pirates
WILLIAM Frédéric! FRÉDÉRIC
Il n'y a pas de « Frédéric ». (Aux pirates!) Je vais vous poursuivre. Mon père est juge! WILLIAM
Ce sont des pirates, Frédéric, ils ont sûrement de meilleurs avocats que toi. FRÉDÉRIC, aux pirates
Il n'est pas question que je me laisse intimider par des voleurs poilus. VOIX D'UN PIRATE
À l'abordage!
FRÉDÉRIC, en passant sa main devant son nez pour chasser l'haleine fétide du pirate qui s'est rendue jusqu 'à lui
Ah! Et qui puent de la bouche! WILLIAM
Au secours!
WILLIAM se cache. FRÉDÉRIC reste debout, figé. FRÉDÉRIC
On est des gens civilisés. On va négocier. Tout se négocie. (7/ se repeigne puis, souriant :) Messieurs les pirates, bienvenue à bord! (A William.) Tu vois tout va bien. (Coup de canon.) Oh oh...
FRÉDÉRIC, WILLIAM, GARDIEN et LE JUGE. En prison. Frédéric est couché sur le sol. 11 parle en dormant.
FRÉDÉRIC
Hi hi. Ça chatouille. William, arrête de me chatouiller. Hi hi. William? (Frédéric se retourne et découvre un gros rat derrière lui.) Ah! Où suis-je? C'est vrai, en prison, à cause de mes dettes. (Au gardien.) Hey! Si j'ai réussi à échapper aux pirates, ce n'est pas pour rester enfermé! Comment voulez-vous que je gagne l'argent qui me permettra de payer mes dettes si vous me gardez en prison? J'ai des droits. J'ai des amis haut placés. Et j'ai peur des rats!!! (William arrive.) Ah! William, enfin. Sors-moi d'ici. J'ai eu une idée géniale. WILLIAM
La dernière fois que tu as eu une idée géniale, tu t'es retrouvé en prison. FRÉDÉRIC
J'ai fait les choses à l'envers. Il me faut une deuxième chance. WILLIAM
Ça va coûter très cher à la famille de te faire libérer. FRÉDÉRIC
Je sais.
Le JUGE entre, précédé d'un GARDIEN. FRÉDÉRIC
Papa? Qu'est-ce que tu fais ici? GARDIEN
Vous sortez aujourd'hui, jeune homme. LE JUGE
On rentre à la maison, les garçons. FRÉDÉRIC
Je suis désolé papa, je ne pensais pas que/ LE JUGE
Justement. Il fallait y penser. Ta mère est bouleversée... et j'ai eu très peur pour toi. Le JUGE sort.
WILLIAM
Papa a dû payer une grosse somme pour te sortir de prison. Maintenant, c'est vrai que la famille n'a plus un sou. À cause de toi.
GARDIEN
J'espère que vous savez que vous êtes chanceux d'avoir un père comme le vôtre. FRÉDÉRIC
Vous ne savez pas comment...
Le GARDIEN lui remet son carnet de notes. Découragé, FRÉDÉRIC ouvre son carnet. Il tourne les pages puis son regard est attiré par une ligne. Il la lit à haute voix.
FRÉDÉRIC
« Celui qui cède au premier obstacle, sans répliquer, et ne croit plus au succès, n'a jamais été, n'est pas et ne sera jamais un héros à la guerre, en amour ou en affaires. » Il y a un héros en chacun de nous. Il faut maintenant que je retourne au front, et il n'y a absolument rien qui va pouvoir m'arrêter. (Le rat sort de la cellule et lui bloque le chemin.). Ah! William, on repart pour le Sud! (Le rat lui court après et FRÉDÉRIC se sauve.) Aaaah!!!
MARTINIQUAIS
(Dialecte. Il a toujours l'air aussi fâché.) WILLIAM
J'espère que tu as un bon plan, parce que Monsieur Sourire ne se gênera pas pour nous trancher la tête cette fois-ci.
FRÉDÉRIC
Fais-moi confiance. MARTINIQUAIS
(Dialecte. Il a toujours l'air aussi fâché.) FRÉDÉRIC, au Martiniquais
Une minute mon ami. WILLIAM
On leur a déjà construit une glacière pour que leur glace ne fonde plus. Qu'est-ce qu'on peut faire de plus?
Musique.
FRÉDÉRIC
Quand c'est la canicule Et qu'le soleil nous brûle Je rêve d'une trempette
J'suis rouge comme une crevette Dis-moi
Qu'est-ce qu'y faut qu'je fasse? Mets-y de la glace.
FRÉDÉRIC
C'est simple. Il faut juste leur faire découvrir les joies de la glace. WILLIAM
Les joies de la glace? FRÉDÉRIC
Oui!
FREDERIC
Quand j'suis tanné de suer
Quand je rêve à l'hiver (WILLIAM)
À un grand verre de bière... d'épinette! (WILLIAM) Dis-moi (WILLIAM)
Qu'est-ce qu'y faut qu'je fasse? (WILLIAM) Mets-y de la glace.
MARTINIQUAIS Mè da da la gla? FRÉDÉRIC
C'est c'qu'ils font à Paris Du moins, c'est c'qu'on m'a dit Après un cassoulet
Y a rien de mieux ici
Donnez-m'en s'il vous plaît. Qu'un délicieux sorbet. WILLIAM
C'est c'qu'ils font à Venise Voguant sur les canaux Ou à la Tour de Pise Oh si amoroso Grâce à sa gelato Juliette eut Roméo
FREDERIC ET WILLIAM Quand c'est la canicule Et qu'le soleil nous brûle Je rêve d'une trempette
J'suis rouge comme une crevette Dis-moi
Qu'est-ce qu'y faut qu'je fasse? Mè da da la gla! (MARTINIQUAIS) WILLIAM
Si vous allez un jour Où l'on vénère les vaches D'Agra à New Delhi Vous tomberez en amour D'une glace à la pistache Qu'on nomme ici kulfi FRÉDÉRIC
Et à dos de chameau A midi au pays
Que vous n'avez plus d'eau C'est un sharbets qu'il faut FRÉDÉRIC ET WILLIAM Quand c'est la canicule Et qu'le soleil nous brûle Je rêve d'une trempette
J'suis rouge comme une crevette Dis-moi
Qu'est-ce qu'y faut qu'je fasse? Mè da da la gla! (MARTINIQUAIS) WILLIAM
Qu'est-ce qu'y faut qu'je fasse? Mets-y de la glace. FRÉDÉRIC Sorbet Kulfi Sharbet Gelato Crème glacée Lait frappé FRÉDÉRIC ET WILLIAM Qu'est-ce qu'y faut qu'je fasse? Mets-y de la glace.
MARTINIQUAIS Mè da da la gla!
La chanson se termine et le Martiniquais leur remet de l'argent. FRÉDÉRIC et WILLIAM embarquent sur leur bateau.
WILLIAM
Frédéric, tu es un génie! Excuse-moi d'avoir douté de toi. Ça fonctionne! FRÉDÉRIC
Je te l'avais dit. On a maintenant assez d'argent pour rembourser mes dettes et payer mon superbe nouveau bateau. Enfin, tout va bien aller pour moi.
Le bateau subit un grand choc. UNE VOIX
FREDERIC
Je parle vraiment trop vite.
FRÉDÉRIC, pour lui-même, en écrivant dans son carnet
Au fond, la prison m'offre quelques semaines d'un repos bien mérité. Un lit, un évier et... un nouvel ami. (Au rat.) Tu veux un morceau de pain? Demain, en sortant d'ici, j'irai à notre chère maison d'été pour présenter mes nouveaux projets à mon père. Il sera sûrement content de voir que je n'ai pas perdu de temps pendant que j'étais ici. (Apercevant Effie à travers une fenêtre.) Mais c'est Mademoiselle Effie!
EFFIE traverse la scène. FRÉDÉRIC la regarde amoureusement. Elle voit FRÉDÉRIC. EFFIE
Monsieur Frédéric?
FRÉDÉRIC se déguise rapidement. FRÉDÉRIC, changeant sa voix
Pardon, mais il n'y a pas de Frédéric ici, mademoiselle. EFFIE
Pourtant, vous avez le même regard courageux. FRÉDÉRIC, de sa vraie voix
Ah, vous trouvez? (Se reprenant rapidement avec sa fausse voix) Je veux dire, ah, vous trouvez?
EFFIE Oui.
FRÉDÉRIC
Je l'ai peut-être vu passer, ce Frédéric. Comment est-il? EFFIE
C'est un homme direct... FRÉDÉRIC Oui. EFFIE Franc... FRÉDÉRIC Oui.
EFFIE Déterminé...
FRÉDÉRIC, qui aime s'entendre complimenté Continuez, continuez.
EFFIE
Mais qui peut être aussi têtu, insensible et égocentrique. FRÉDÉRIC
Ah, bon... Eh bien, si je le vois, je vous ferez signe. D'une manière ou d'une autre. EFFIE
Merci monsieur.
EFFIE quitte FRÉDÉRIC et sort de scène. FRÉDÉRIC, au rat
Qu'est-ce que m regardes toi? C'est moi qui l'ai vue en premier. Un jour, elle m'aimera. Quand je serai devenu quelqu'un. Tiens. Finis mon pain, je n'ai plus faim.
FRÉDÉRIC
Papa? Maman? C'est Frédéric! WILLIAM
Frédéric? FRÉDÉRIC Salut William! WILLIAM
Je pensais que tu étais encore en prison. FRÉDÉRIC
Eh non! (FRÉDÉRIC ouvre les bras pour embrasser son frère, mais WILLIAM passe à côté de lui en ignorant l'invitation.) Tu n'es pas content de me voir sorti?
WILLIAM
Oui. Oui, bien sûr. Ça va nous faire une paire de bras de plus. On refuse l'aide de personne. FRÉDÉRIC
William, j'ai une nouvelle idée pour la compagnie. WILLIAM
Ce n'est pas le moment.
WILLIAM sort. LA MÈRE entre avec une valise. FRÉDÉRIC
Ah, maman! LA MÈRE
Salut Frédéric, je pensais que tu étais encore en prison. FRÉDÉRIC
Ben non, je suis là. Vous partez en voyage? LA MÈRE
Pas vraiment, non. FRÉDÉRIC
Où allez-vous avec vos valises?
WILLIAM
Le banquier a pris notre maison d'été. LA MÈRE
On n'avait plus les moyens. LE JUGE
Mais ta mère nous a trouvé un bel appartement en ville. FRÉDÉRIC
Mais, c'est la maison familiale! On ne peut pas la laisser partir comme ça, sans se battre! LE JUGE
On n'a plus les moyens de se battre. FRÉDÉRIC
Mais j'ai une nouvelle idée! LE JUGE
Ni les moyens de rêver.
WILLIAM et LA MÈRE sortent. FRÉDÉRIC
Attends papa, on ne va pas abandonner comme ça! LE JUGE
On n'abandonne pas, mais... FRÉDÉRIC
Écoute, j'ai eu l'idée de vendre notre glace ici, dans notre propre pays, en Louisiane. On va transporter la glace en train. Mais on va d'abord donner aux gens les moyens de conserver la glace avec des glacières portatives. On va aussi donner des cours aux serveurs dans les restaurants pour leur montrer comment utiliser la glace, on va aussi/
LE JUGE Frédéric! FRÉDÉRIC
Je veux que la famille redevienne comme avant. Dans notre maison. LE JUGE
On a réfléchi à toutes les solutions possibles. C'est sans issue. FRÉDÉRIC
Quand tout ce qui est possible a été fait, il faut tenter l'impossible.
fatigué. FRÉDÉRIC
Il faut que je reparte. LE JUGE
Reste avec nous, Frédéric. S'il te plaît. FRÉDÉRIC
Je vais trouver une solution. Après nous allons tous pouvoir être ensemble. Donne-moi juste un an.
LE JUGE
On ne peut plus attendre. LE JUGE sort.
FRÉDÉRIC
Si seulement j'avais quelqu'un pour me prêter un peu d'argent, je pourrais réaliser mon nouveau plan et racheter notre maison d'été. Peut-être même avoir une place dans une encyclopédie un jour à côté des grands inventeurs, des grands banquiers... des... des grands banquiers... (Il a soudainement une idée.) Mais oui, c'est ça! J'aurais dû y penser plus tôt!
Scène 12
FRÉDÉRIC et LE BANQUIER. Le bureau du banquier.
Le Banquier lit le dossier de FRÉDÉRIC. Il lève de temps en temps les yeux au-dessus des feuilles pour regarder FRÉDÉRIC, puis replonge dans sa lecture. Tension.
LE BANQUIER Non!
FRÉDÉRIC
Mais c'est une excellente idée! LE BANQUIER
Non.
LA PATRONNE, hors scène MONSIEUR MAY!
Le Banquier sursaute. LE BANQUIER Oui, madame.
LA PA TRONNE entre avec un dossier. LA PATRONNE
Vous savez ce que c'est? LE BANQUIER
Ce sont les calculs que j'ai faits pour vous la semaine dernière. LA PATRONNE
Non. Ce sont les calculs que vous allez me refaire entièrement. LE BANQUIER
Quoi! Je veux dire : ah? LA PATRONNE
Vous êtes de loin le plus incompétent de mes employés. LE BANQUIER
Je pensais que/ LA PATRONNE
Vous n'êtes pas payé pour penser. Vous m'entendez?
LA PATRONNE Vous n'êtes qu'un pion. LE BANQUIER Oui, madame.
Elle remarque la présence de FRÉDÉRIC. LE BANQUIER
M. Tudor, un client. LA PATRONNE
Un client! (A Frédéric, très mielleuse.) Bonjour monsieur Tudor. M. May, notre charmant représentant, répondra à toutes vos questions avec plaisir. (Au BANQUIER, froide, en déposant le dossier sur le bureau.) Pour ce soir.
Elle sort.
LE BANQUIER
Je ne peux pas prendre de risque. Vous l'avez vu, je ne suis qu'un petit employé ici. Je suis celui qui apporte les mauvaises nouvelles.
FRÉDÉRIC
Pour une fois, vous n'avez pas envie d'apporter une bonne nouvelle? LE BANQUIER
Là n'est pas la question. Il y a une hiérarchie ici. J'ai des patrons et mes patrons ont des patrons et les patrons de mes patrons ont un patron (Il se dirige vers un portrait.) : le baron James Henry Alfred Montgomery Smith Gagnon. Le plus grand des plus grands.
FRÉDÉRIC
Justement, moi je vous offre la possibilité de voler de vos propres ailes comme James Henry...
LE BANQUIER
BARON James Henry Alfred Montgomery Smith Gagnon. FRÉDÉRIC
Et dans 10 ans, quelqu'un, comme vous aujourd'hui, aura votre portrait accroché dans son bureau et vous regardera avec envie.
LE BANQUIER Comme le Baron?
FREDERIC
Vous n'avez jamais senti que vous étiez meilleur que ce que les autres pensent de vous? LE BANQUIER
Je ne sais pas. FRÉDÉRIC
Vous vous souvenez des nombreuses fois où on vous a forcé à faire quelque chose que vous saviez être une erreur?
LE BANQUIER
Je ne voulais pas menacer votre père. FRÉDÉRIC
Voilà.
LE BANQUIER
J'ai été forcé, je savais que ce n'était pas bien. FRÉDÉRIC
Je vous offre l'occasion de faire à votre tête, je vous offre la possibilité d'être enfin vous-même.
LE BANQUIER Je ne sais pas. FRÉDÉRIC
Il est temps de vous faire confiance, monsieur... le baron. LE BANQUIER
Monsieur Tudor, nous avons un accord. Vous allez pouvoir vendre votre glace en Louisiane. Plus jamais je ne me laisserai marcher sur les pieds!
LA PATRONNE, hors scène MONSIEUR MAY!
LE BANQUIER Oui, madame, j'arrive!
FRÉDÉRIC, lisant une lettre Monsieur Tudor,
Depuis que vous vous êtes installé en Louisiane, il y a un an, pour agrandir votre entreprise, de nombreux événements se sont passés ici, en Martinique. Bla-bla-bla. Les habitants ont adopté la glace et en achètent beaucoup. Bla-bla-bla. Bonne chance en Louisiane, votre dévoué employé. (Pour lui-même.) Excellente nouvelle. Enfin, on commence à vendre notre glace en Martinique. (Lisant.) P.-S. Nous n'avons plus de glace, pouvez-vous nous envoyer une cargaison au plus vite? (Pour lui-même.) Quoi!!! Mais on est en plein été! Comment je vais faire pour trouver de la glace en plein été? Attendre trois mois que l'hiver arrive? Impossible. Fabriquer de la glace artificiellement? Impossible. Aller chercher de la glace dans les montagnes? Impossible. Non, il n'y a vraiment aucune solution... à moins que... non, c'est impossible... et puis, pourquoi pas? Quand tout ce qui est possible a été fait, il faut tenter l'impossible. (A William, qui est en coulisse.) William, trouve-moi un bateau et un équipage, je pars cueillir de la glace là où il y en a.
Scène 14
FRÉDÉRIC, FLOCK et CAPITAINE MOINEAU. En mer, sur le bateau. CAPITAINE MOINEAU
Hissez la grande voile, bande de fainéants! Tournez le gouvernail à bâbord! (Le bateau subit un grand choc à droite.) L'autre bâbord, bande de crevettes à cocktail! (Le bateau subit un autre grand choc à gauche.)
FLOCK
Quand est-ce qu'on arrive, capitaine? CAPITAINE MOINEAU
Aucune idée. Monsieur Frédéric ne veut pas nous dire où on va. Tout ce que je sais c'est qu'on se dirige vers le Nord depuis trois semaines et qu'il fait tellement froid que les ours polaires portent des mitaines.
FLOCK
Moi j'ai trouvé un moyen pour me réchauffer. Je danse la gigue de la loutre hystérique. Vous voulez que je vous montre?
CAPITAINE MOINEAU Non, ça va.
FLOCK
Oui, oui, regardez. (Il fait toute sorte de mouvements désordonnés.) Essayez, ça réchauffe. CAPITAINE MOINEAU
Arrête ça, tu fais tanguer le bateau. FLOCK
J'ai déjà moins froid. CAPITAINE MOINEAU Arrête!
Le Capitaine lui donne un coup de chapeau derrière la tête. FLOCK
Je suis un peu étourdi, par exemple. CAPITAINE MOINEAU
C'est bien vrai que tu es étourdi, et pas juste quand tu danses. FRÉDÉRIC arrive par l'arrière du bateau.
FLOCK
Quand est-ce qu'on arrive? CAPITAINE MOINEAU
Ouais, il va falloir nous dire parce que moi, je ne continue plus. FRÉDÉRIC
En fait, nous sommes rendus. FLOCK
Il n'y a rien ici. FRÉDÉRIC Au contraire.
CAPITAINE MOINEAU
Il n'y a que de l'eau, un bateau et un idiot. FLOCK
Où ça, où ça? FRÉDÉRIC
Il y a aussi des icebergs! CAPITAINE MOINEAU
Je ne vous le fais pas dire et ça commence à être difficile de les éviter. FRÉDÉRIC
Mais on ne veut pas les éviter. CAPITAINE MOINEAU Hein?
FRÉDÉRIC
J'aimerais que vous accostiez sur un de ces icebergs. CAPITAINE MOINEAU
Quoi! Ça ne va pas là-dedans!?! FLOCK
FREDERIC
Je veux accoster sur un iceberg pour charger de la glace dans le bateau et la rapporter en Martinique.
CAPITAINE MOINEAU Vous êtes complètement fou! FLOCK
Vous êtes complètement fou! CAPITAINE MOINEAU
Les icebergs sont bien trop dangereux. FLOCK
Les icebergs sont/
CAPITAINE MOINEA U donne un coup de chapeau à FLOCK pour le faire taire. CAPITAINE MOINEAU
Même le plus titanesque des bateaux du monde risque de faire naufrage s'il touche ces icebergs. Ça arrivera un jour ou l'autre.
FRÉDÉRIC
Je double votre salaire si vous m'aidez à charger la glace. Qu'est-ce que vous en dites? Le matelot se remet à faire sa danse.
FRÉDÉRIC
Est-ce qu'il dit oui ou non, là? CAPITAINE MOINEAU
Pour moi, en tout cas, c'est non! (Le matelot arrête sa danse.) C'est un projet complètement cinglé!
FRÉDÉRIC
Je triple votre salaire. CAPITAINE MOINEAU
Et justement, comme je suis complètement cinglé, j'accepte. Tous à vos postes, bandes de calmars frits! On a un iceberg à aborder!
FLOCK
Oui, mais moi, j'ai toujours froid. FRÉDÉRIC
Moi non plus, je n'arrive pas à me réchauffer.
Scène 15
FRÉDÉRIC, LA MÈRE. L'appartement des Tudor. FRÉDÉRIC
Papa! Maman! Je suis revenu! J'ai plein de bonnes nouvelles pour vous. Allô! Vous êtes là? (LA MÈRE entre.) Ah, maman! Je suis content de te voir. On n'a plus besoin de s'inquiéter avec l'argent. Papa! J'ai acheté une maison pour toute la famille, maman. Une grande maison sur le bord de l'océan. Plus grande encore que notre ancienne maison d'été. Toute blanche avec une grande galerie qui donne sur la plage. Papa! On va enfin pouvoir vivre comme avant. Papa n'est pas là?
LA MÈRE
Tu n'as pas reçu ma lettre? FRÉDÉRIC
Comme j'allais vous voir bientôt, je ne l'ai pas ouverte. C'est incroyable! Notre glace se rend partout aux États-Unis. Papa?
LA MÈRE Ouvre la lettre.
FRÉDÉRIC ouvre la lettre puis, en la lisant, son enthousiasme se transforme en abattement.
FRÉDÉRIC Mort? LA MÈRE
Il y a un mois. Sans souffrir, dans son lit, après avoir conté une blague. Comme il l'a toujours souhaité.
FRÉDÉRIC
Il y a un mois? Mais pourquoi je ne l'ai pas su avant? LA MÈRE
Tu travaillais. Comme d'habitude. FRÉDÉRIC
Mais c'est pour vous que je travaillais! LA MÈRE, lui tend une valise
Tiens. Voilà ses vêtements. Je ne peux plus les garder avec moi. LA MÈRE sort.
FRÉDÉRIC ouvre la valise. Il en sort un chapeau haut-de-forme. Il le place sur un porte-manteau. Il fait de même avec le veston du JUGE.
FRÉDÉRIC, aux vêtements de son père
Un mois. Un petit mois. Vous êtes parti trop tôt. J'aurais tellement aimé vous rendre fier de moi.
Le fantôme du juge apparaît en enfilant le chapeau et le veston. LE JUGE
Mais je suis fier de toi, mon fils. FRÉDÉRIC
William a étudié à l'université. Il a écrit des livres. C'est un homme important aujourd'hui. Moi, qu'est-ce que je fais? Je vends de l'eau gelée.
LE JUGE
Mais c'est très bien aussi. FRÉDÉRIC
Vous avez participé à la création d'un pays. Comment est-ce que je pourrai un jour me comparer à cela?
LE JUGE
Toi aussi m es un créateur, Frédéric. Là où il n'y avait rien avant toi, maintenant, il y a ta compagnie, ton commerce. Tu sauves des vies dans les hôpitaux. Tu as créé des emplois, de nouvelles expériences pour les gens, du bonheur chez tes clients, de l'argent aussi.
FRÉDÉRIC
De l'argent, oui. Ça, j'en ai gagné. Mais vous, je vous ai perdu. Vous nous avez quittés en emportant avec vous tout ce qui rendait ma vie agréable. J'ai voulu sauver notre famille en travaillant, mais en travaillant, je me suis sauvé de notre famille. Au fond, il y a longtemps que je vous ai perdu.
LE JUGE
On ne contrôle pas ce que l'on perd, mais on contrôle ce que l'on peut gagner. À toi de faire les bons choix.
FRÉDÉRIC
Ce n'est pas juste, pourquoi ceux qu'on aime finissent toujours par nous quitter? Si vous aviez vécu un peu plus longtemps, on aurait accompli des choses merveilleuses ensemble.
LE JUGE
On part toujours trop tôt.
FREDERIC Le grand Mozart Est mort petit Laissant son art Inaccompli Des symphonies Un concerto Même le divorce De Figaro Ses mélodies Jamais écrites Sa maladie Les a détruites
Refrain (FRÉDÉRIC et LE JUGE) Ce sont toujours les meilleurs Qui partent en premier Alors parfois j'ai très peur De partir le dernier
Ce sont toujours les meilleurs Qui partent en premier Alors quand sonnera l'heure Personne Non, personne N'osera se vanter LE JUGE Imaginez Ce que Molière Ce grand auteur Aurait pu faire Il aurait ri De l'Amérique De ses lubies Et de ses tics Imaginez Si par bonheur Il n'était mort Dans son décor
Refrain (FRÉDÉRIC et LE JUGE)
Tous ces gens qui Passent dans nos vies Comme du gravier Dans nos souliers Tous ces gens qui N'ont rien a faire Sauf nous pousser Vers la misère Il faudra bien S'y résigner Ne sont pas près De nous quitter
Refrain (FREDERIC et LE JUGE) FRÉDÉRIC
Oui mais papa Tu n'es plus là Que faire sans toi Moi, je ne sais pas LE JUGE
Je n's'rai pas loin Mon cher enfant FRÉDÉRIC Rien ne sera Plus comme avant LE JUGE
Maintenant tu dois Suivre ta voie FRÉDÉRIC Reste avec moi Pourquoi partir LE JUGE Écoute-moi Bien maintenant Je serai là Toujours présent Dans ton avenir
Y a tes souvenirs
Refrain (FRÉDÉRIC et LE JUGE) Ce sont toujours les meilleurs Qui partent en premier Alors parfois j'ai très peur De partir le dernier
Ce sont toujours les meilleurs Qui partent en premier
Alors quand sonnera l'heure Personne
Non, personne N'osera se vanter
LE JUGE donne son veston et son chapeau à son fils, le serre dans ses bras et quitte la scène.
Scène 17
FRÉDÉRIC et WILLIAM. La maison de FRÉDÉRIC. WILLIAM
Tiens. (Il lui tend une encyclopédie.) C'est l'encyclopédie que papa t'a donnée. FRÉDÉRIC
Merci, je l'avais oubliée. WILLIAM
Peut-être que tu voudras l'offrir à quelqu'un, un jour. FRÉDÉRIC
William, tu es un génie! WILLIAM
Ah non, chaque fois que tu dis ça, tu m'entraînes dans des plans débiles... FRÉDÉRIC
Ma maison est vide, William. WILLIAM
Tu n'as qu'à t'acheter de nouveaux meubles. FRÉDÉRIC
Non, m ne comprends pas. C'est une maison familiale et il n'y a pas de famille dedans. Papa est décédé. La vie est courte. J'ai trop perdu de temps. J'ai travaillé toute ma vie pour devenir le numéro un. Le roi de la glace. Mais il n'y a qu'une seule place en première position, et je suis fatigué d'être seul. Maintenant, il faut que je fasse ce que j'aurais dû faire il y a longtemps. Et je vais avoir besoin de toi.
WILLIAM
Je le savais que ça finirait comme ça. Où m vas? FRÉDÉRIC
Voir le Baron. WILLIAM Qui?
FRÉDÉRIC
Mon banquier. Il se prend pour un noble. Laisse tomber, c'est une longue histoire. Je reviens et je t'explique tout.
FREDERIC sort. WILLIAM
Un Baron? Je commence à penser que Frédéric a trop mangé de glace. Le cerveau est en train de lui geler.
FRÉDÉRIC, au Banquier en coulisse
Je sais monsieur May, c'est un projet fou, mais croyez-moi, je ne suis pas fou. Seulement très déterminé. Pensez à ma proposition, monsieur le Baron.
FRÉDÉRIC fait toutes sortes de révérences. EFFIE entre sur scène à ce moment. Il fige en la voyant. Il fait un pas vers elle, mais se retire aussitôt.
FRÉDÉRIC, pour lui-même
Celui qui cède au premier obstacle ne sera jamais un héros à la guerre, en amour ou en affaires. (7/ cueille une fleur, puis à EFFIE.) Mademoiselle Effie!
EFFIE
Monsieur le rêveur? FRÉDÉRIC
Mademoiselle Effie, j'aurais dû faire ça il y a longtemps. Voulez-vous m'épouser? FRÉDÉRIC tend lafleur à EFFIE, qu 'elle refuse.
EFFIE
Pardon? Mais, ça fait une éternité qu'on ne s'est vus. Je suis peut-être déjà mariée. FRÉDÉRIC
C'est vrai. L'êtes-vous? EFFIE
Non.
FRÉDÉRIC
Merveilleux! Voulez-vous m'épouser? EFFIE
Attendez... FRÉDÉRIC
D'accord. Je comprends, les conventions vous empêchent de dire oui tout de suite. Discutons alors. Où alliez-vous de ce pas?
EFFIE
Au marché, acheter une pomme. FRÉDÉRIC
EFFIE
C'est mon fruit préféré. FRÉDÉRIC
Mon frère m'attend, je dois y aller. Nous nous reverrons à notre prochain rendez-vous!
EFFIE
Quel rendez-vous? FRÉDÉRIC
À nos noces, bien sûr!
EFFIE
C'est ridicule. FRÉDÉRIC
C'est vrai, il faudrait se voir au moins une fois avant le mariage.
EFFIE
Bonne journée, monsieur! Troublée, elle quitte la scène. FRÉDÉRIC, pour lui-même William!
FRÉDÉRIC sort de scène à son tour.
W1ILIAM
Qu'est-ce qu'il fait?
FRÉDÉRIC entre avec lafleur, un globe terrestre sous le bras. FRÉDÉRIC
William! WIILIAM
Enfin. Où étais-tu? FRÉDÉRIC
Je tente un dernier grand coup. Si ça marche, nous n'aurons plus jamais de problème, si ça ne marche pas... je retourne dormir avec le rat en prison.
WIILIAM
Qu'est-ce que tu dis? FRÉDÉRIC
Je dis que j'ai tout investi dans un grand voyage. WIILIAM
Quoi!?!
FRÉDÉRIC, pointant sur le globe
On est ici, à Boston. Je voudrais qu'avant la fin de l'année, les eaux de nos lacs se mêlent aux flots du Gange.
WIILIAM
Le Gange, mais ce fleuve-là est en... En Inde! FRÉDÉRIC
Oui, mon frère. Je vais transporter notre glace jusqu'ici, à Calcutta. WIILIAM
Mais c'est à l'autre bout du monde! FRÉDÉRIC
Oui. Et il fait très chaud à l'autre bout du monde. Le Roi de la glace va étendre son royaume jusqu'au pays des tigres sauvages!
WIILIAM
FREDERIC
Je comprends. Je ne te demande pas de me suivre. WIILIAM, inquiet
Tu ne vas pas aller en Inde? FRÉDÉRIC
Pourquoi pas? C'est la plus grande aventure de toute ma vie. WIILIAM
C'est trop dangereux. Reste ici, avec nous, avec la famille. FRÉDÉRIC
Mais c'est ma compagnie. WIILIAM
Tu as raison, ça n'a toujours été que ça...
WILLIAM sort. FRÉDÉRIC, seul, regarde le globe terrestre puis lafleur. Il hésite.
Gange.
CAPITAINE MOINEAU
Sortez les rames, bande de bigorneaux! FLOCK
Quand est-ce qu'on arrive, Capitaine? CAPITAINE MOINEAU
Traverser les océans jusqu'en Inde, c'était déjà pas mal. Mais remonter ce fleuve, ça ne sera pas de la tarte.
FLOCK
Ne parlez pas de tarte, capitaine, j'ai tellement faim. CAPITAINE MOINEAU
On ne peut pas mettre pied à terre, la jungle indienne est bien trop dangereuse. Un tigre rugit.
FLOCK
Vous aussi vous avez faim, mon capitaine, j'entends votre estomac. CAPITAINE MOINEAU
Ce n'était pas mon estomac. FLOCK
Qu'est-ce que c'était alors? CAPITAINE MOINEAU
Qu'on me pende par les narines si je me trompe, mais je crois qu'on a affaire à un grand tigre affamé.
Le tigre rugit à nouveau. FLOCK
Ah!!!!
Flock se cache puis le CAPITAINE reçoit une noix de coco. CAPITAINE MOINEAU
Mais qu'est-ce que c'est que ça à présent! On entend des singes qui commencent à crier.
CAPITAINE MOINEAU
Nom d'une palourde enrhumée, c'est une attaque de macaques! FLOCK
Quoi?
CAPITAINE MOINEAU Les singes! Tous aux abris!
Ils reçoivent plusieurs noix de coco par la tête. CAPITAINE MOINEAU
Les singes, ils sont peureux, mais encore plus dangereux que les tigres! FLOCK
J'ai une idée.
CAPITAINE MOINEAU Non!
FLOCK se lève et fait la danse de la loutre hystérique. Les tirs de noix de coco cessent et les singes s'enfuient.
CAPITAINE MOINEAU
Mon cher Flock, tu t'es comporté en vrai marin. Je suis fier de toi. FLOCK
Merci capitaine.
FLOCK fait une accolade au CAPITAINE, qui n'est visiblement pas à l'aise avec cette démonstration d'affection.
CAPITAINE MOINEAU
Oui bon, on ne va pas s'éterniser. On a de la glace à livrer à ces Indiens. Maintenant que le danger est écarté, fonçons droit devant!
On entend le bruit d'une chute. FLOCK
Qu'est-ce qu'on entend capitaine? CAPITAINE MOINEAU
On dirait de l'eau qui tombe. FLOCK
Peut-être que quelqu'un se fait couler un bain?
FLOCK La pluie?
CAPITAINE MOINEAU Il n'y a pas un nuage.
CAPITAINE MOINEAU et FLOCK Une chute! ! ! Aaaahhh! ! !
On bascule vers la maison d'EFFIE. Quelqu 'un frappe à sa porte. EFFIE va ouvrir. EFFIE
Monsieur Tudor... FRÉDÉRIC
Mademoiselle Effie, puisque je n'avais pas de réponses aux vingt-six lettres que je vous ai envoyées, j'ai décidé d'enfreindre les règles de la bienséance et de vous rendre visite. Pardonnez mon audace.
EFFIE
J'ai bien reçu toutes vos lettres. Une par semaine depuis plus de six mois. FRÉDÉRIC
Les avez-vous lues? EFFIE
J'ai un horaire très chargé, monsieur. FRÉDÉRIC
J'aurais parié que vous étiez curieuse... EFFIE
Pourquoi insistez-vous? FRÉDÉRIC
Toute ma vie, j'ai réservé mes énergies à mes projets personnels. EFFIE
Seriez-vous égoïste? FRÉDÉRIC
EFFIE
C'est de la vanité, donc. FRÉDÉRIC
Non. De la solitude. Dès la première fois où mon regard a croisé le vôtre, je vous ai aimée. Aucune glace ne pourrait résister à la chaleur de vos yeux. Devant vous, je me liquéfie. EFFIE
Pourquoi avoir attendu toutes ces années? FRÉDÉRIC
Vous êtes la dernière reine de ce pays, je croyais que vous méritiez un roi. EFFIE
Le roi de la glace? FRÉDÉRIC
Oui. (Temps.) Je m'en vais, mais avant de partir, j'ai un cadeau pour vous. Il va chercher un petit arbre à l'extérieur.
EFFIE
Qu'est-ce que c'est? FRÉDÉRIC
Un pommier. Lors de notre dernière rencontre, vous m'avez dit que la pomme... EFFIE
Était mon fruit préféré.
f r
FREDERIC
Vous pourrez maintenant en manger sans quitter votre jardin. Il va pour sortir.
EFFIE
J'ai lu vos lettres! Merci. Si vous m'invitiez à sortir, je ne refuserais pas. FRÉDÉRIC
J'ai déjà réservé une table pour ce soir.
En sortant ses gants, une lettre tombe de la poche de FRÉDÉRCI. EFFIE la ramasse. EFFIE
Vous savez, ce n'est pas parce que vous êtes le roi de la glace que vous êtes quelqu'un de fascinant.
EFFIE
Non. Ce n'est pas parce que vous êtes le numéro un, mais parce que vous êtes unique. FRÉDÉRIC
Merci. EFFIE
Une lettre en provenance de l'Inde? Vous ne l'ouvrez pas? FRÉDÉRIC
Je savais que vous étiez curieuse. EFFIE
Mais l'Inde! FRÉDÉRIC
J'ai organisé un voyage de glace là-bas. EFFIE
Quoi! FRÉDÉRIC
On doit me dire dans cette lettre si l'opération a fonctionné ou non. EFFIE
Vous l'avez sur vous depuis tantôt et vous ne l'avez pas ouverte? FRÉDÉRIC
J'avais plus important à faire. Mais maintenant, si vous permettez, je vais l'ouvrir. Si jamais j'ai échoué, je risque fort de me retrouver à nouveau en prison.
FRÉDÉRIC ouvre la lettre. Apparaît au même moment le CAPITAINE MOINEAU et FLOCK à l'autre bout de la scène. Ils réciteront la lettre.
FRÉDÉRIC, lisant Monsieur Tudor...
CAPITAINE MOINEAU
Monsieur Tudor. Après un très long voyage en mer et une périlleuse remontée du fleuve Gange, moi le Capitaine Moineau/
FLOCK
CAPITAINE MOINEAU
Et mon merveilleux assistant, Flock. (Réalisant, il frappe FLOCK avec son chapeau.) Flétan séché! FLOCK Aïe! FRÉDÉRIC Flétan séché? CAPITAINE MOINEAU
Nous avons le regret de vous annoncer que votre glace a complètement disparu. FRÉDÉRIC
Misère! EFFIE
Avez-vous bien lu?
CAPITAINE MOINEAU
Je répète, nous avons le regret de vous annoncer que votre glace a complètement disparu. En effet, une fois arrivé à Calcutta, ses habitants ont acheté toute votre glace en moins d'une heure! Il faudra envoyer de nouvelles cargaisons. Vous êtes un héros ici!
FRÉDÉRIC
Ça a marché! Ça a marché! Mademoiselle Effie, que diriez-vous d'un voyage en Inde? EFFIE
Oui, je le veux!
Tableau final en musique avec tous les personnages. Reprise de la chanson « Mets-y de la glace » sur un rythme indien, cette fois, et accompagnée d'une danse à la Bollywood. Cette danse devra inclure quelque pas de la danse de la loutre. Quelques lignes des chansons « Tout le monde veut être quelqu 'un » et « Ce sont toujours les meilleurs qui partent en premier » devront aussi être incluses dans le tableau final afin de bien boucler le parcours
PARTIE 2 SECTION REFLEXIVE
personnages historiques
INTRODUCTION
C'est un lieu commun d'affirmer que le processus d'écriture dramatique consiste en une longue suite de choix créatifs. Qui sera le personnage principal? Comment s'appellera-t-il? Quels seront ses qualités et ses défauts? Quelle sera sa quête? Par quels moyens arteindra-t-il son objectif? Quel point de vue narratif adopter? Quel style utarteindra-t-iliser? Doit-on aborder le sujet sous l'angle du drame ou de la comédie? Et ainsi de suite. L'auteur de fiction fait appel à son imagination pour trouver des réponses à toutes ces questions. Il n'est contraint que par les limites de sa créativité.
Mais qu'en est-il du dramaturge qui désire faire revivre sur scène un personnage ayant déjà existé? À première vue, le personnage historique impose de nombreuses contraintes de création. Après tout, les détails de sa vie se trouvent dans les livres d'histoire. Pour plusieurs d'entre nous, la vie de ces personnages historiques nous est même déjà familière! Par exemple, nous savons tous, à tout le moins vaguement, qui a découvert l'Amérique, dans quel luxe vivait le Roi Soleil ou quel hasard donna à Newton la théorie de la gravitation universelle. Ainsi, nous avons tendance à croire que l'auteur de théâtre ou de roman historique qui veut rendre compte de façon réaliste de la vie d'un personnage réel sur scène se devrait d'être fidèle à l'Histoire.
Le débat perdure depuis trois siècles en littérature sur la nature même de ce genre littéraire : hybride (pour certains contre nature) entre la fiction et le réel. Diderot1 affirmait, en 1782 :
« Le roman historique est un mauvais genre : vous trompez l'ignorant, vous dégoûtez l'homme instruit, vous gâtez l'histoire par la fiction et la fiction par l'histoire. » Le rapport entre le réel et le fictif semble donc conflictuel ou, à tout le moins, constitue une contrainte majeure pour le romancier ou le dramaturge qui veut éviter de se faire réprimander par les historiens à propos d'éventuelles inexactitudes historiques relevées dans leurs œuvres.
Dans son Essai sur les règnes de Claude et de Néron et sur les moeurs et les écrits de Sénèque (Diderot, 1782:268)
Sorcières de Salem de Miller. Plus près de nous, la dramaturgie québécoise présente aussi quelques textes qui puisent dans l'Histoire la matière première de leur récit. En 2001, le Théâtre du Nouveau-Monde créa Monsieur Bovary, une pièce de Robert Lalonde inspirée de la vie et l'œuvre du romancier français Gustave Flaubert. En 1992, au Caveau Théâtre de Trois-Pistoles, on monta la pièce Sophie et Léon de Victor-Lévy Beaulieu. L'oeuvre fait le récit de la relation houleuse entre Léon Tolstoï et sa femme, Sophie. Un dernier exemple : la pièce Rêve d'une nuit d'hôpital, de Normand Chaurette, à propos du poète Emile Nelligan, créée en 1980 au Théâtre de Quat'Sous. Robert Lepage utilise lui aussi régulièrement des personnages historiques comme matériaux de base lors de ses créations. L'Histoire a donc toujours été pour les dramaturges une source importante d'inspiration. Et elle continue de l'être. À preuve, au moment d'écrire ces lignes le Théâtre Jean Duceppe annonce la création au printemps 2010 de la pièce Une partie avec l'Empereur de Stéphane Brulotte à propos des derniers jours de Napoléon sur l'île d'Elbe.
Notons toutefois qu'en théâtre jeune public, les sujets historiques sont beaucoup plus rares. En fait, pour les besoins de cette étude, je n'ai recensé que deux textes québécois pour la jeunesse ayant pour protagoniste un personnage réel. Ont été exclus de cette recherche les textes produits en dehors des espaces de représentations institutionnels ou scolaires (comme les musées, les parcs ou les sites historiques). J'ai épluché les répertoires en ligne du Centre des auteurs dramatiques (CEAD) et de l'Association québécoise des auteurs dramatiques (AQAD). Leurs outils de recherche ne permettaient pas d'isoler les pièces ayant un caractère historique. J'ai dû dépouiller, un à un, tous les textes pour enfants que j'obtenais. Pour m'assurer de ne pas omettre de titres, quelques intervenants2 du milieu du théâtre
jeune public ont été contactés et interrogés à propos de l'existence de pièces à saveur historique.
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Isabelle Cauchy du Petit Théâtre de Sherbrooke, Carol Cassistat du Gros Mécano, Louise Allaire des Gros Becs, Hélène Blanchard du Théâtre des Confettis et Marie-Josée Bastien, auteur de La Librairie, comédienne, metteur en scène et professeur au Conservatoire d'art dramatique de Québec.
Sous toute réserve, il n'existerait donc que deux pièces qui répondent aux critères énumérés plus haut. Ce sont : Pour ceux qui croient que la Terre est ronde de Jean-Rock Gaudreault et Petit Pierre de Suzanne Lebeau. La pièce de madame Lebeau raconte l'histoire de Pierre Avezard, surnommé Petit Pierre ( 1909-1992), un homme à moitié aveugle, presque sourd et muet qui a traversé le XXe siècle en créant une oeuvre d'art bien particulière : un immense carrousel fait de matière récupérée. La pièce de Jean-Rock Gaudreault présente un épisode peu connu de la découverte de l'Amérique, soit celle du naufrage de Christophe Colomb, lors de son quatrième voyage, sur une petite île en compagnie d'Hernando, son deuxième fils.
Je propose dans ce mémoire d'explorer les pratiques de Jean-Rock Gaudreault et de Suzanne Lebeau quant à l'adaptation de personnages réels (historiques) dans des textes dramaturgiques destinés au jeune public et de les mettre en lien avec mon propre travail de création.
Il n'est donc pas question dans cette section reflexive du mémoire d'établir des règles, d'obtenir un consensus ni même de dégager des constantes après l'analyse des méthodes de création des deux auteurs interrogés. Puisque chaque acte créatif est singulier, puisque chaque œuvre est unique et que chaque auteur travaille selon ses propres critères et objectifs, il m'apparaît plus pertinent de rendre simplement compte des processus créatifs qui ont mené à la création de Petit Pierre et de Pour ceux qui croient que la Terre est ronde. L'inventaire de ceux-ci viendra nourrir ma propre réflexion et mon travail de création.
J'ai rencontré madame Lebeau et correspondu avec monsieur Gaudreault afin de recueillir leurs points de vue et leurs opinions à propos de leur création respective. Je rendrai compte de ces entretiens en deux chapitres distincts. Ceux-ci seront suivis d'une section où j'exposerai quelques observations de nature comparative entre leurs deux pratiques ainsi que ma propre démarche créative et mes réflexions entourant l'écriture de ma pièce Le Roi de la Glace.
l'écriture dramatique pour jeune public. J'ai choisi d'aborder le théâtre historique sous l'angle du personnage parce que ma création, ainsi que celles de madame Lebeau et de monsieur Gaudreault, explore spécifiquement le parcours d'un personnage ayant déjà existé à une époque précise du passé. Certaines œuvres historiques (romans ou théâtre) racontent plutôt les aventures d'un personnage fictif dans une époque et un environnement réels.
Mon intérêt pour ce sujet découle de la réflexion suscitée par les problèmes concrets rencontrés lors de la recherche et de la rédaction de la pièce Le Roi de la Glace. L'Histoire est un puits inépuisable de récits fascinants qui ne demandent qu'à être racontés sur scène. Je souhaite que la présentation des expériences de Suzanne Lebeau et de Jean-Rock Gaudreault permettra d'enrichir le travail des dramaturges qui croient que l'Histoire n'appartient pas seulement aux historiens, qu'elle peut passer des manuels aux textes de théâtre, des salles de classe aux salles de spectacle.