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personnages historiques

CHAPITRE 2 LES PRATIQUES D'AUTEUR

2.1 Le questionnaire et la méthodologie

J'ai rencontré madame Lebeau le 17 avril 2009 dans les locaux du Carrousel à Montréal. Pour des raisons pratiques, je n'ai pu rencontrer monsieur Gaudreault, mais je lui ai fait parvenir une copie du questionnaire utilisé lors de l'entrevue avec madame Lebeau. J'ai reçu ses réflexions le 11 mai 2009. Ce questionnaire commun permettra de faciliter les comparaisons entre les deux auteurs bien que l'objectif de cet essai ne soit pas d'analyser leurs approches, mais bien d'en rendre compte et de m'en nourrir pour mon travail de création.

Pour bâtir le questionnaire, je me suis référé au manuel d'André Lamoureux (2000) Recherche et méthodologie en sciences humaines. J'ai divisé l'enquête en quatre sections :

Le sujet

Je voulais d'abord connaître les raisons qui ont poussé ces deux auteurs à choisir de raconter ces histoires. D'où leur est venue l'idée et pourquoi avoir décidé d'en faire une pièce pour enfants? J'ai aussi questionné les auteurs à propos d'une éventuelle ambition didactique.

portant sur la forme (choix des personnages, ton, niveau de langage, etc.) et celles portant sur le fond (responsabilité envers la vérité historique, contraintes et libertés prises, recherche, etc.).

Questions générales

Enfin, j'ai aussi posé des questions d'ordre plus général sur la création d'une pièce mettant en scène un personnage ayant déjà existé : Quels ont été les principaux défis? Comment faire entendre sa voix à travers celle d'un personnage historique? Que feraient-ils de différent?

Le questionnaire complet se trouve en Annexe A.

2.2 Pratique d'auteur : Jean-Rock Gaudreault

2.2.1 Pour ceux qui croient que la Terre est ronde : la pièce

Pour ceux qui croient que la Terre est ronde a été créé le 20 septembre 2005 dans une mise en scène de Jacinthe Potvin par la compagnie Mathieu, François et les autres en coproduction avec le Théâtre les gens d'en bas (Bic) et Les Coups de Théâtre (Montréal).

La pièce se base sur un incident peu connu de la vie de Christophe Colomb. En 1502, au retour de son quatrième et ultime voyage en Amérique, le vieil Amiral s'échoue sur les côtes de la Jamaïque. Hernando, son fils de 13 ans, se trouve aussi à bord du bateau. C'est l'occasion pour les deux hommes de se découvrir. Hernando, d'abord admiratif envers l'explorateur, perd brutalement ses illusions lorsqu'il trouve le journal de bord de ce dernier. Il y apprend toutes les atrocités que son père a commises dans le passé et décide de le confronter.

2.2.2 Le processus créatif

Le sujet

De son propre aveu, Jean-Rock Gaudreault est un passionné d'histoire. C'est en lisant sur le quatrième voyage de Christophe Colomb qu'il a appris l'existence de ce naufrage sur les côtes de la Jamaïque en compagnie de son fils. Le sujet rejoignait son désir d'écrire un texte sur l'américanité. Il a vu dans l'incident du naufrage de Colomb, un « épisode signifiant, rempli de potentiel dramatique »4.

Depuis quelques années déjà, il voulait créer une pièce historique dédiée au jeune public. Il a choisi de raconter cette histoire aux enfants, car il y voyait un fort potentiel symbolique. À travers l'histoire d'Hernando et de sa relation avec son célèbre père se posait la question de l'émancipation des enfants. Selon l'auteur, l'enfant doit s'affranchir du « passé » de ses parents pour s'imaginer un avenir qui lui est propre. Mais, comme le souligne Gaudreault, encore faut-il qu'on lui permette de découvrir ce passé.

En plus de la force évidente du symbole que représente la relation père-fils entre Christophe Colomb et Hernando, Gaudreault mentionne une autre raison qui a pu motiver la création de cette pièce. Que doit retirer un public d'enfants d'une pièce de théâtre? Cette question interpelle l'auteur. Les créateurs en théâtre jeunes publics ont, depuis les années 1980, surtout exploré les besoins, les désirs et le quotidien des enfants (Beauchamp, 2001). On a voulu s'éloigner des pièces didactiques et moralisatrices des décennies précédentes (Legault, 1996). Sous cet angle, Gaudreault s'inscrit à contre-courant. Pour ceux qui croient que la Terre est ronde est loin d'être une pièce moralisatrice, mais l'auteur mentionne qu'il avait bel et bien à l'esprit le désir de transmettre des connaissances. Ce qui, selon lui, peut paraître suspect dans le milieu du théâtre jeune public (TJ) actuel. «J'avais une volonté de rendre la connaissance acceptable en TJ. » Il souligne qu'une nuance doit

4

Les citations de Jean-Rock Gaudreault reproduites dans cette section sont toutes extraites du questionnaire généreusement complété par M. Gaudreault au printemps 2009.

valoriser la connaissance intellectuelle est suspecte. »

L ' a d a p t a t i o n - L e f o n d

Avant d'écrire P o u r ceux qui croient que la Terre est ronde, Jean-Rock Gaudreault s'est beaucoup renseigné. Il affirme avoir baigné deux ans dans ses recherches sur l'explorateur et sa société. Il a lu plusieurs ouvrages sur l'époque, dont le journal de bord de Colomb. En plus de ses recherches littéraires, il a même effectué une recherche iconographique. Joignant l'utile à l'agréable, il s'est rendu, lors d'un voyage à Saint-Domingue (République dominicaine), là où se trouve la tombe de l'Amiral.

Gaudreault soutient que l'Histoire ne doit pas être considérée comme une science exacte. Bien sûr, il faut vérifier la validité de ses informations, les confronter. Il faut aussi varier ses sources, mais selon lui, la question de la fiabilité des sources d'informations historiques en création dramatique est plus ou moins pertinente. Cela ne représente pas vraiment un problème, selon l'auteur. L'inexactitude de la discipline historique permet au créateur d'interpréter, de laisser libre cours à son imagination.

Cela dit, Gaudreault reste tout de m ê m e conscient de la nature « réelle » de ses personnages. Il affirme d'ailleurs avoir senti une certaine forme de responsabilité envers la vérité historique. Il s'est permis quelques approximations historiques, mais il précise qu'il devait savoir avec quels détails il prenait des libertés. Par exemple, il a devancé la date de publication de la cosmologie de Copernic. Il estime aussi qu'il a probablement abordé la psychologie de la relation père-fils d'une façon un peu trop moderne. Puisqu'il n'y a aucun écrit relatant ce qui se passa entre Colomb et son fils sur l'île, la nature de leur relation est complètement inventée : « Tout le dialogue entre les deux personnages, la découverte du journal de bord par le fils, leur confrontation sont également imaginaires. » Cependant, Gaudreault affirme que malgré les libertés qu'il a prises, il s'est astreint à rester fidèle au

contexte, à l'époque. De plus, précise-t-il, la contrainte en théâtre, qu'elle soit relative au thème ou au financement, est stimulante.

En ce qui concerne les sujets abordés, le propos de la pièce ou ses thèmes, l'adaptation d'un personnage historique pour la scène est-elle différente lorsqu'elle s'adresse aux enfants plutôt qu'aux adultes? Gaudreault croit que non. Il précise que ce n'est pas parce que les enfants s'y perdraient, mais plutôt parce que « les adultes contemporains n'ont plus de culture générale ». En d'autres termes, peu importe qui est dans la salle, nous avons affaire à des gens qui, soit par leur jeune âge ou soit par leur inculture, ne sont pas familiers avec l'Histoire. Gaudreault ajoute, au sujet des spectateurs adultes : « On ne peut pas tabler sur leurs connaissances de base. Je parie que 80 % des enseignants qui accompagnaient leurs élèves ne savaient presque rien sur le déroulement des voyages de Colomb (sauf les références cinématographiques). »

L'adaptation - La forme

Pour Jean-Rock Gaudreault, il est clair que l'aspect historique du sujet de sa pièce en a préfiguré la forme. Les signes de cette influence sont d'abord visibles dans le développement du personnage principal. L'auteur fait valoir que le personnage de Colomb « existe » déjà dans l'imaginaire collectif. Il doit donc faire évoluer son personnage à l'intérieur des limites de cette image ou, du moins, il doit en tenir compte. Pour le personnage d'Hernando, la contrainte était moins forte. Il avait plus de latitude puisqu'on connaît peu de chose sur le fils de Colomb. Gaudreault souligne qu'il devait quand même le faire vivre de manière convaincante et crédible.

La structure narrative elle-même a aussi été influencée par le déroulement des événements historiques. Colomb a lui-même pris en note la chronologie de son naufrage. Gaudreault s'en est donc tenu aux faits décrits dans le journal de bord de l'amiral. Il ne pouvait pas, sans tomber dans la fiction, faire mourir ses personnages sur l'île puisqu'ils en ont été évacués. D'autre part, même si on ne les voit jamais sur scène, les indigènes sont des personnages importants de la pièce. À travers les yeux d'Hernando, on perçoit l'évolution

Sur le plan de la langue, Gaudreault révèle qu'il a confronté son niveau de langage à celui du journal de bord de Colomb. Il s'agit d'un « langage soutenu, mais écrit par un navigateur qui aimait le concret ». Le texte est donc de facture réaliste, mais on y perçoit des pointes de lyrisme. Gaudreault explique que « Colomb était parfois lyrique lorsqu'il tentait d'établir sa cosmologie. Sa religiosité le rendait également assez porté sur les métaphores ». Encore une fois, sous cet aspect, l'auteur a tenté de s'approcher le plus de la vérité historique. Le vouvoiement du fils envers son père s'inscrit aussi dans cette démarche. Toutefois, Gaudreault assure que le rythme qu'il a donné à la pièce est le sien. Rien d'autre que son imagination ne lui a dicté quoi que ce soit en ce domaine.

Questions générales

Pour Jean-Rock Gaudreault, il n'y a pas de différence entre écrire à partir d'un fait historique et créer une histoire complètement imaginée. Les défis sont les mêmes : développer les personnages et la ligne dramatique. Gaudreault résume ainsi : « Bref, élaborer une bonne histoire, captivante et émouvante. » L'auteur croit d'ailleurs qu'un dramaturge peut faire entendre sa voix à travers un personnage réel. Il précise toutefois qu'il faut « tenir en compte l'inculture généralisée de notre époque. Donc, il faut vulgariser ou sinon tomber dans l'élitisme. »

Avec quelques années de recul par rapport à Pour ceux qui croient que la terre est ronde, Gaudreault croit que si c'était à refaire, il écrirait sa pièce différemment. D'abord, tout en gardant le contexte historique, il ne s'astreindrait pas à respecter la vraisemblance. En d'autres termes, il prendrait plus de libertés avec l'Histoire. Il insufflerait aussi plus d'humour dans son texte. À son avis, il avait « sous-estimé la tendance actuelle du TJ au divertissement ». En somme, il croit que, sans tomber dans le divertissement pur et simple, il serait plus séducteur.

S'il envisage de faire autrement, c'est en partie à cause de l'accueil donné à sa pièce. Même si le texte a été sélectionné aux Masques (en 2007) et au prix du Gouverneur général (en 2005), son auteur est déçu de la réaction de certains diffuseurs et enseignants. Pour une part des enseignants, l'aspect historique de la pièce était une plus value. Par contre, d'autres enseignants hésitèrent surtout à cause des mots moins usuels que l'auteur a utilisés. Gaudreault s'étonne de cette réaction : « Étrangement, la réaction de plusieurs des enseignants est de nous reprocher d'user de mots "rares" au lieu de profiter de l'occasion pour les enseigner à leurs élèves. »

Toutefois, ce sont les diffuseurs qui ont le plus surpris l'auteur : « [S]'ils sont les premiers à nous inciter à prendre ce genre de risques et à innover, ce sont également les plus conservateurs. » Gaudreault considère sa pièce comme un pari original, mais s'étonne de la « frilosité » des diffuseurs : « Au fond, on veut un type de pièce qui va émouvoir avec des mots connus, un contexte connu, d'un genre pas trop exotique. Cette expérience m'a permis de constater qu'en dehors des grandes déclarations sur la nécessité du risque en art, la plupart des acteurs du milieu sont très conservateurs. »

Malgré cette désillusion, aimerait-il réécrire une pièce historique pour les enfants? « Je vais le faire sous peu. »

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