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personnages historiques

CHAPITRE 2 LES PRATIQUES D'AUTEUR

2.3 Pratique d'auteur : Suzanne Lebeau

2.3.1 Petit Pierre : la pièce

Créée en janvier 2002, Petit Pierre est une coproduction du Carrousel avec l'Espace Malraux/Scène nationale de Chambéry et de la Savoie, le Centre culturel de Villefranche- sur-Saône, l'Yonne-en-scène (France) et le Théâtre du Vieux-Terrebonne (Québec). La mise en scène est signée Gervais Gaudreault.

les deux Guerres mondiales en passant par la crise économique des années 1930, Petit Pierre a grandi dans la France rurale et a conçu, malgré son handicap, une impressionnante œuvre d'art naïf: un carrousel géant automatisé. Sur scène, deux femmes narrent en parallèle les événements de la petite histoire de Pierre et ceux de la grande Histoire du XXe siècle. Au centre de la scène, Petit Pierre bâtit son œuvre en silence.

2.3.2 Le processus créatif

Le sujet

Madame Lebeau a fait la connaissance de Pierre Avezard en consultant un livre sur la Fabuloserie, un centre consacré à l'art naïf où est conservé le carrousel d'Avezard. Elle affirme avoir trouvé dans la vie de l'artiste un exemple de ce que vivent beaucoup d'enfants, c'est-à-dire le sentiment de ne pas être conforme, mais aussi la possibilité de créer une œuvre complètement originale et personnelle. Pierre Avezard est décédé en 1992, madame Lebeau n'a donc pas eu l'occasion de le rencontrer. Par contre, elle a été accueillie à bras ouverts par le frère de l'artiste et par la conservatrice de la Fabuloserie. Elle a pu s'imprégner de l'environnement dans lequel l'artiste a vécu et apprendre à le connaître à travers ses proches.

Pour madame Lebeau, Petit Pierre n'était pas tant un sujet qui pouvait être traité en théâtre pour enfant qu'un personnage qui permettait la catharsis. Selon l'auteur, « tous les enfants, selon leur expérience à différents moments de leur vie, avec différentes intensités aussi, vont avoir rencontré ce sentiment extrêmement troublant de ne pas être conforme à ce que les adultes attendent d'eux. » Par ce qu'il a vécu, les enfants peuvent se projeter facilement dans la vie de cet homme.

Dans cette section consacrée à Suzanne Lebeau, les citations mises entre parenthèses sans aucune référence sont tirée de l'entrevue menée par Fauteur avec Mme Lebeau, le 17 avril 2009.

La pièce fait place à l'Histoire. Elle est présentée par une conteuse sur scène. Celle-ci accompagne le parcours de Petit Pierre, un homme qui, lui non plus, n'est pas une fabulation de l'imagination. Y avait-il là un désir de didactisme? Absolument pas. Madame Lebeau rejette vigoureusement l'idée qu'un tel objectif put être le sien. Ce n'est pas pour sa charge historique qu'elle a voulu écrire sur Petit Pierre, mais bien plus parce que l'homme était un personnage riche. « Un être humain, un véritable être humain qui, de par l'épaisseur de son humanité, communique quelque chose. »

L'adaptation - Le fond

Durant la création de la pièce, Suzanne Lebeau admet avoir senti une certaine responsabilité envers la vérité historique de son sujet. Elle précise qu'elle se sent peut-être responsable envers la vérité, peu importe la nature de celle-ci. Elle compare ainsi son expérience d'écriture de Petit Pierre à celle de sa dernière création. Dans Le bruit des os qui craquent (créée au Théâtre d'Aujourd'hui au printemps 2009), elle raconte une histoire purement inventée, mais qui s'appuie sur une réalité, celle des enfants soldats : « C'est une fiction, c'est totalement une fiction. Par contre, il y a une véritable responsabilité à partager l'émotion que j'avais vécue. Et c'est la même chose que je voulais partager avec Petit Pierre. Je voulais partager l'émotion que j'avais vécue quand j'ai rencontré le personnage. » Une vérité donc envers les faits, mais aussi envers ses rapports avec ses sujets.

Pour Mme Lebeau, cette exigence de vérité a provoqué certaines contraintes : « La principale contrainte, celle qui m'a le plus emmerdé, et qui m'a emmerdé très longtemps, ça a été le fait que Petit Pierre n'a jamais réellement parlé. » De fait, Suzanne Lebeau affirme avoir écrit plusieurs versions de la pièce dans lesquelles le personnage de Petit Pierre parlait. Ce n'est que lorsqu'elle a supprimé complètement la voix de Petit Pierre que le texte a pris son envol. Il s'agissait au départ d'un seul long monologue. C'est le metteur en scène Gervais Gaudreault qui a dit à l'auteure qu'il entendait deux voix dans le texte, celle de la petite et celle de la grande Histoire.

exemple). Par contre, ajoute-t-elle, il y a beaucoup de choses qu'elle a tues, beaucoup d'informations dont elle ne s'est pas servie. Elle affirme que cela fait partie du processus de création. Il y a une part de recherche objective, mais après l'auteur fait appel à son sens de l'empathie pour raconter l'histoire de son point de vue personnel : « Il y a une empathie, il y a une ligne, il y a un style, il y a quelque chose qui se dessine, qui est de la pure fiction. Oui, Petit Pierre a existé, mais le texte Petit Pierre, c'est mon texte. C'est ma manière à moi de raconter l'histoire de Petit Pierre, et c'est ma manière à moi de partager cette histoire-là avec le public. »

Ecrire pour les enfants ou pour les adultes, ce n'est qu'une question de point de vue sur le sujet. Il n'y a donc pas de différence objective entre raconter la vie d'un personnage historique pour un public d'enfants ou d'adultes. Madame Lebeau affirme d'ailleurs ne jamais se censurer parce qu'elle écrit pour les enfants. En fait, elle ne se dit jamais que tel

ou tel sujet n'est pas pour les enfants. « J'ai jamais fait de compromis. J'aurais pu en faire au niveau des faits historiques [...] parce que les faits historiques... c'est tout un siècle! C'est un siècle avec des événements historiques très chargés et qu'on connaît bien parce que c'est une histoire récente, beaucoup mieux documentée. »

Par rapport à la part d'Histoire dans son texte, elle fait le constat suivant. Les enfants de 9 à 12 ans avec qui elle a travaillé lors de la création de Petit Pierre étaient avides d'histoire, avec un petit « h » et un grand « H ». Ils posaient énormément de questions et s'intéressaient à l'histoire du siècle tellement que madame Lebeau avait de la difficulté à quitter les classes.

La recherche pour la création de la pièce a été très agréable pour Suzanne Lebeau car elle se passionnait pour l'art naïf avant même de connaître Pierre Avezard. Elle a donc effectué beaucoup de recherche sur l'art brut, mais elle avoue l'avoir fait plutôt par intérêt personnel que pour enrichir le spectacle. Sur le personnage de Petit Pierre, c'est à travers ses

rencontres avec les gens qui l'ont côtoyé qu'elle a appris à le connaître (son frère, Caroline Bourbonnais de La Fabuloserie et Laurent Danchin, un spécialiste de l'art naïf).

L'adaptation - La forme

Pierre Avezard, le personnage principal, a imposé une forme à la pièce de Suzanne Lebeau simplement du fait qu'il ne parle pas. « Je suis tombé totalement dans le récit. Il ne parlait pas. Il n'avait jamais parlé. Et je me rendais compte qu'à chaque fois que j'essayais de le faire parler c'était faux. » Madame Lebeau mentionne aussi que la beauté de l'histoire de Petit Pierre, c'est qu'il a vécu de loin tous les grands bouleversements du XXe siècle. La pièce gagnait en perspective d'intégrer le personnage dans le cours de l'histoire mondiale.

Même si elle a été longue à accepter, la forme du récit s'est imposée. Madame Lebeau avait peur que les enfants ne soient pas intéressés par un long récit. Bien sûr, les enfants ne connaissent pas toutes les références historiques, mais ils comprennent quand même instinctivement ce qu'est une guerre, par exemple. Le manège de Petit Pierre, par les représentations qu'il contient, est en quelque sorte un condensé du siècle. Cela aussi a influencé la forme du récit. La construction du manège coïncidait avec les événements historiques alors que son auteur les incorporait et les interprétait artistiquement.

Le personnage a aussi influencé le ton aux accents poétiques utilisé par l'auteur. Il est né en France, au début du siècle. Déjà, souligne l'auteure, nous sommes dans une autre culture, une autre manière de penser, de voir le monde. « Il y a beaucoup de choix esthétiques qui se sont faits de manière involontaire, mais en respectant la dynamique imposée par le personnage. »

Questions générales

La principale difficulté rencontrée par madame Lebeau lors de la création de sa pièce a été de retrouver la vérité de Petit Pierre. Mais, dit-elle, c'est une situation qui lui arrive souvent, particulièrement lorsqu'elle aborde des thèmes réalistes. Elle donne l'exemple de

« Donc, le défi que j'avais, c'était de ne pas trahir tout ce que j'avais reçu, de l'organiser à ma manière, dans mon style, avec mes images, sans trahir ce que j'avais reçu. » Pour Petit Pierre, il ne fallait pas qu'elle trahisse la vérité de son personnage, de son rapport au monde, de ses handicaps. Les détails, comme sa façon de marcher, de s'habiller, sont moins importants, car, souligne-t-elle, « ce qui est important au théâtre, c'est l'émotion ».

La réaction des diffuseurs et des enseignants n'a été ni plus ni moins bonne pour cette pièce inspirée d'un personnage réel que pour ses pièces complètement inventées. Pour être plus précis, elle mentionne avoir quelques fois entendu des commentaires quant au degré trop élevé de complexité de la pièce pour les enfants (particulièrement les références historiques). Madame Lebeau est toutefois d'un avis contraire. Elle est convaincue que l'Histoire passionne les jeunes. Évidemment, cela demande des professeurs et des accompagnateurs plus de travail pour qu'eux-mêmes se familiarisent avec l'Histoire afin de pouvoir répondre aux questions des enfants.

Est-ce qu'un auteur peut faire entendre sa voix à travers une histoire réelle? Bien sûr que oui, croit madame Lebeau, et même précise-t-elle, « si on ne peut pas faire entendre sa voix, on a raté. On ne l'a pas "pris", le personnage historique. On est resté trop poli, trop timide. Non, je pense que le seul moyen de faire vraiment revivre quelqu'un c'est de se l'approprier complètement ». Elle poursuit en affirmant que, de toute façon, à part peut-être dans les livres d'histoire (et encore), l'objectivité pure et dure n'existe pas. Elle n'est en tout cas pas intéressante, particulièrement dans un contexte artistique.

Si c'était à refaire, Suzanne Lebeau couperait dans son texte. C'est la seule chose qu'elle ferait différemment. Elle se décrit d'ailleurs comme une « bonne coupeuse », en général. Cela dit, elle aimerait réécrire à partir d'un personnage historique, n'importe quand. Par contre, il faudrait qu'elle soit « allumée ».

CHAPITRE 3 MA PRATIQUE PAR RAPPORT A CELLES DE JEAN-

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