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Emer de Vattel et l'étude des relations internationales en Suisse

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Emer de Vattel et l'étude des relations internationales en Suisse

GUGGENHEIM, Paul

GUGGENHEIM, Paul. Emer de Vattel et l'étude des relations internationales en Suisse . Genève : Georg, 1956, 24 p.

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:147080

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EMER DE VATTEL

ET L'ÉTUDE

DES RELATIONS INTERNATIONALES EN SUISSE

PAR

PAUL GUGGENHEIM Professeur à la Faculté de droit

et à l'Institut universitaire de Hautes Etudes internationales

GENÈVE

LIBRAIRIE DE L'UNIVERSITÉ GEORG & Cie S. A.

1956

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EMER DE VATTEL

ET L'ÉTUDE

DES RELATIONS INTERNATIONALES EN . SUISSE

PAR

PAUL GUGGENHEIM Professeur à la Faculté de droit

et à l'Institut universitaire de Hautes Etudes internationales

GENÈVE

LIBRAIRIE DE L'UNIVERSITÉ GEORG & Cfe S. A.

1956

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Conférence faite à la séance d' ouvert,ure du semestre d'hiver, à l'Aula de l'Université, le jeudi 27 octobre r955

Droits de traduction, de reproduction et d'adaption réservés pour tous les pays, y compris l'U.R.S.S. Copyright by Georg S. A., Genève.

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les rapports entre Etats souverains, de l'existence enfin de ce que nous appelons le droit des gens ou le droit international public. C'est au XVIIe siècle que s'amorce et au XVIIIe siècle que s'opère définitivement ce qu'un des grands maîtres contem- porains du. droit des gens, Dionisio Anzilotti, a appelé «le passage du traitement fragmentaire de notre science à son traitement systématique» 1Il s'était alors constitué en Europe, par la création d'Etats relativement centralisés, seuls détenteurs du pouvoir politique dans leur territoire respectif, une structure politique solide et stable, favorable au développement d'un tel.

système juridique. Cela n'avait pas été le cas de la société politique du Moyen Age; celle-ci, en effet, bien qu'admettant - jusqu'à un certain point - l'unité morale du monde civilisé, avait été pourtant fermée à l'idée d'un ordre juridique autonom~

réglant les rapports interétatiques et établissant ainsi ce qui est licite et ce qui ne l'est pas dans les relations internationales 2

2. Grotius - tout en s'inspirant de ses prédécesseurs - a été le premier à définir l'objet de la nouvelle science. Dans le premier paragraphe du discours préliminaire de son ouvrage fondamental : Le droit de la gueri'e et de la paix, paru en 1625, il constate lui-même ce fait : «Un grand nombre d'auteurs ont entrepris de commenter ou d'abréger le droit civil, soit que l'on entende par là les lois romaines, ou bien celles de chaque pays

1 ANZILOTTI, C~urs de droit international, 1929 (Edition Gidel), p. 5.

2 Voir sur les précurseurs .de la théorie autonome du droit des gens, -KosTERS, Les fondements du droit des gens, Bibliothèque Visseriana, t. II, 1925, pp. 17 et ss. Cf. dans l'ancienne littérature l'étude toujours utile de RIVIER, Note sur la littérature du droit des gens avant la publi- cation du «jus belli ac pacis de Grotius" (1625), 1883.

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en particulier. Mais pour ce qui est du droit qui a lieu entre plusieurs peuples, ou. entre les conducteurs des Etats, et qui est, ou fondé sar la nature, ou établi par les lois divines, ou introduit par les coutumes accompagnées d'une convention tacite des hommes: il n'y a du moins personne qui l'ait expliqué dans toute son étendue et en forme de système 1»Et il continue:

« Cependant, il est de l'intérêt du genre humain, que chacun puisse s'instruire là-dessus dans quelque ouvrage de cette nature ... Il est d'autant plus nécessaire de travailler sur un sujet si vaste, qu'il y a eu autrefois et qu'il y a même encore aujour- d'hui des gens qui méprisent cette sorte de droit, comme un vain nom et une pure chimère 2»

Toutefois, malgré sa lucidité, Grotius µ'a pas réalisé ce programme. Il ne réussit pas à éliminer de son système un élément de confusion hérité de l'école espagnole, qui déjà avant lui s'était penchée sur les rapports juridiques entre Etats : il persista à admettre que les règles du droit de la nature '.et celles du droit des gens s'appliquent indistinctement aux indi- vidus et aux collectivités 8 • C'est à PUFENDORF, titulaire d'une chaire du droit de la nature et des gens à Heidelberg, plus tard historiographe du royaume de Suède, que revient le mérite d'avoir fait une distinction nette entre individus et personnes

1 GROTIUS, Le droit de la guerre et de la paix, t. I, Discours prélimi- naire, § l (traduction Barbeyrac, Amsterdam, 1729).

2 Discours préliminaire, § 2.

a Voir GROTIUS, op. cit., L. I, chap. I, § 14; L. II, chap. XV, §§ 5 et 12, L. II, chap. XXI, § 3. Grotius mentionne cependant des cas particuliers, dans lesquels des règles différentes du droit naturel. ou du droit des gens s'appliquent aux rapports entre individus et entre com- munautés. C'est ainsi qu'il distingue L. I, chap. III, § l entre la guerre publique «qui ne se fait de part et autre que par l'autorité d'une puis- sance civile (auctor eo qui jurisdictionem habet) "'"et la guerre privée ...

qui se fait de particulier à particulier, sans autorité publique"• ainsi que «la guerre mixte ... qui se fait d'un côté par l'autorité publique et de l'autre entre simples particuliers"· Cf. aussi LAUTERPACHT, The Grotian Tradition in International Law, British Year Book of Inter- national Law, 1946, pp. 24 ss. qui insiste sur le caractère progressif de cette absence de distinction. Grotius est ainsi resté prisonnier de sa conception du droit naturel comme fondement du droit des gens. Cf.

Ph. MEYLAN, Grotius et l'école du droit naturel, dans Hommage à Grotius, 1946, p. 59.

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morales en tant que destinataires de la règle juridique 1 • Mais Pufendorf, pas plus que Hobbes qui le premier avait établi cette distinction, ne sut tirer de cette constatation la conséquence qui s'imposait : pour lui les règles qui s'appliquent aux rapports internationaux sont toujours encore les mêmes que celles qui s'appliquent aux rapports individuels 2 En outre, son système comportait d'autres particularités qui le rendaient peu propre à être utilisé dans la pratique internationale : d'une part il nie la force obligatoire des conventions (expresses ou tacites), d'autre part le droit des gens n'est pour lui qu'un fragment du droit naturel. Ces conceptions ont réduit l'importance pratique de l'œuvre de Pufendorf, en qui on ne sait pas très bien s'il faut voir un jurisconsulte ou un esprit philosophique 3

3. Il était réservé à Christian WOLFF d'éliminer les points qui prêtaient encore à la critique dans l' œuvre de ses prédé- cesseurs. Ce maître du droit naturel, dont Vattel a été le disciple et dont l'œuvre est souvent encore méconnue, fut professeur de mathématiques et de philosophie à Halle, au milieu du XVIIIe siècle. Il nous intéresse ici par son ouvrage intitulé Institutions du.droit de la nature et des gens, paru en latin 4 • Il y expose, dans

1 Cf. HOBBES, Elementa philosophica; De cive, 1650, L. I, chap. XIV,

§ 4. PUFENDORF, Le droit de la nature et des gens, L. II, chap. III, § XXIII

(traduction Barbeyrac, Amsterdam, 1712). Voir sur l'importance de cette distinction pour la création du système contemporain du droit civil, GIERKE, Die Staats- und I<orporationslehre der Neuzeit, 1914, pp. 415 SS.

2 Voir la critique de cette conception dans la préface du Droit des gens ou principes de la loi naturelle (première édition, 1758). Cette critique a été assez générale à l'époque. Voir, par exemple, Ulric HuBER (1634-1694), en s'opposant à Hobbes, dans son ouvrage, De jure civitat-is, 1674, L. I, chap. IV, § 10, L. III, chap. VII, § 4, chap. XII, § 5, chap. 13, §§ 1 et 2. Cf. en outre REIBSTEIN, Deutsche Grotius I<ommen- tatoren, Zeitschrift für ausl. offentliches Recht und V olkerrecht, 1953, pp. 81 SS.

3 Voir au sujet de la nature juridique des traités L. II, chap. II,

§ xxm in fine. Voir l'appréciation critique de l'œuvre de Pufendorf par AVRIL dans Les fondateiws du droit international, 1904, pp. 375 ss.

4 Voir sur l'importance des ouvrages juridiques de WOLFF pour la création du système scientifique moderne des traités et manuels du droit privé et des codifications de ce dernier, VVIEACKER, P.rivatrechts- geschichte der Neuzeit, 1952, p. 193. Cf. aussi KoscHAIŒR, Europa und das romische Recht, 1953, p. 24r.

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la préface, les fondements de l'ordre juridique international, tels qu'ils furent ensuite enseignés communément, jusqu'à l'avènement de la doctrine positiviste. Voici comment il s'ex- prime 1 « Le seul point de vue, sous lequel on puisse considérer les différentes nations, c'est que ce sont autant de personnes particulières qui vivent dans l'état de la nature ... Or, ainsi considéré, ce droit des gens est commun à tous les peuples, de sorte qu'une nation qui agit contre ce qu'il prescrit, viole le droit commun de toutes les nations. Car, puisque les nations sont des personnes morales, et qu'ainsi elles ne sont astreintes qu'à certains droits et certaines obligations, qui dérivent en vertu du droit naturel, de l'association qu'elles ont faite, leur nature et leur essence diffèrent entièrement de la nature et de l'essence de chaque homme en particulier considérés comme autant d'individus physiques 2»

Le droit international, dont les nations étaient les seuls destinataires, se différenciait donc par son caractère du droit applicable dans les relations entre les individus.

Le système de Wolff continue, il est vrai, à être basé sur le droit naturel. Et ce droit naturel est «nécessaire» et obligatoire.

Mais il doit être complété - et cela vaut aussi bien pour cette civitas maxima que constituent les nations entre elles que pour la société étatique - par un droit «positif» qui l'assortit de sanctions et qui est en outre indispensable pour la poursuite,

i Quatrième partie. Voir aussi chapitre I. Cf. aussi son ouvrage:

jus gentium methodo scientifico pertractatum, §§ 1-26 (1749). D'ailleurs BARBEYRAC avait déjà indiqué la différence qui existe entre les individus et l'Etat comme sujet de droit et l'influence que cette différence peut avoir sur les droits et devoirs des individus et des Etats. Cf. traduction de Grotius (op. cit.) ad L. I, chap. I, § 14, note 3).

2 WOLFF a été suivi à ce sujet à partir du milieu du XVIII0 siècle.

Voir les références dans VON ÜMPTEDA, Literatur des gesamten, sowohl natüi'lichen als positiven Volker·rechts, vol. I, 1785, § 1, p. 5, 7 sub. b).

Certains auteurs ont cependant maintenu le point de vue que les Etats ne sont pas les seuls sujets du droit des gens. Ils défendent l'idée de l'existence d'une grande communauté du genre humain, dont tous les individus sont membres, c'est-à-dire des sujets de droit. Cf., par exemple, THOMASIUS, Fundamenta fiwis naturae et gentium, 1705, L. I, chap. V,

§ § 60, 66. CUMBERLAND, Traité philosophique des. lois naturelles (trad uc- tion Barbeyrac, 1744, chap. VII, § 2 ss.).

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par la cité, de ses buts. Ce droit positif, qui repose sur le consen- tement, a du reste sa base de validité en droit naturel, car c'est ce dernier qui donne force obligatoire à ce mode de création du droit. Wolff, en ce qui concerne le droit des gens positif - par opposition au droit des gens « naturel » ou « interne» - distingue trois catégories : un droit des gens volontaire, reposant ainsi que Vattel s'exprime, sur le consentement présumé des peuples et dont le contenu est pour Wolff un droit des gens naturel modifié et adapté aux besoins de la communauté internationale, un droit des gens conventionnel - reposant sur le consentement expresse des Etats, enfin un droit des gens coutumier - reposant sur leur consentement tacite. Grotius connaissait lui aussi un droit des gens« volontaire», mais donnait une autre signification à ce terme 1

Le rapport entre droit naturel et droit positif consacre cependant la primauté de ce dernier : la règle de droit positif contraire au droit naturel doit être tolérée ; il faut l'admettre pour l'unité du système de droit positif ; seul aussi le droit positif, ou la loi naturelle qui s'est faite loi positive, permet le recours au juge. Le législateur a seulement le devoir moral d'abroger ou d'amender la norme contraire au droit naturel.

Cette théorie avait le grand avantage de limiter les principes rigides du droit naturel au «for intérieur», d'en faire donc une question de conscience. Il laïcisait le système du droit inter- national en le ramenant en fait au consentement présumé des nations, à la coutume et aux conventions. Wolff et ses disciples se trouvent ainsi à l'extrême limite des auteurs qui reconnaissent le droit naturel comme fondement du droit des gens. En admet- tant la validité de ce dernier - coutume et conventions - indépendammept de sa conformité avec le droit naturel, Wolff et à sa suite Vattel' se rapprochent des systèmes pour lesquels le droit international public est un système de droit positif,

1 Cf. en ce qui concerne la manière de voir de WOLFF sa préface de ] us gentium methodo scienti fica pertractatum, édition de la Fondation Carnegie, 1934, t. II, p. 6. Sur la différence du fus volontarium entre Wolff et Grotius, KosTERS, op. cit., pp. 73 ss.

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c'est-à-dire un ordre juridique constitué par les règles découlant du comportement effectif des Etats 1

Un tel système était parfaitement en mesure de fournir le fondement théorique des relations juridiques internationales dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle. Tout en continuant à admettre l'existence d'un droit naturel comme règle indi- viduelle de conduite - l'existence de lois dérivant de la nature des choses, de la nature humaine, et accessibles à la raison ne fut guère contestée en principe jusqu'à l'avènement au XIXe 'siècle de l'école historique - , il ouvrait largement la porte à l'examen des relations internationales et permettait de tenir compte de la pratique interétatique.

4. Si je me suis arrêté au système de Wolff, c'est qu'il a été repris tel quel par Vattel. Vattel a trouvé en Wolff un maître qu'il a suivi consciencieusement et même aveuglement. On a souvent surestimé les modifications de détail qu'il a apportées.

C'est ainsi que la doctrine du droit des gens fait grand cas du fait que Wolff voit le fondement du droit des gens« volontaire»

dans une civitas maxima, donc dans une société parfaite soumise aux mêmes critères que la société étatique, tandis que Vattel, suivant ici probablement un autre maître du droit naturel, Thomasius, n'admet que l'existence d'une société imparfaite qu'il caractérise de la manière suivante : « Il suffit donc ... que les nations se conforment à ce qu'on exige d'elles dans la société . naturelle et générale, établie entre tous les hommes 2» Nous avons là l'écho d'une des querelles doctrinales de l'époque.

Pourtant, la civitas maxima de Wolff, tout comme la société

1 Cette primauté pratique du droit des gens sur les principes du droit naturel est d'ailleurs typique pour toute l'école du droit naturel du XVII• et du XVIII• siècle. Cf. THIEME, N atiirliches Privatrecht und Spatscholastik, Savigny-Zeitschrift, German. A bteilung, 1953, p. 252, en particulier en ce qui concerne l'auteur espagnol F. VASQUEZ. Le même principe est valable dans une large mesure pour Grotius. Cf. J. BASDE-

VANT, dans Les fondateurs du droit international, op. cit., p. 236. Cf.

aussi ci-dessous, p. 19.

~Préface p. XXVI, Droit des gens, Ed. Robert et Gauthier, Lyon, 1802. Voir au sujet de la conception de I'imperfecta civitas dans Thoma- sius, GIERKE, op. cit., p. 536, note 176. ·

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des nations de Vattel, a seulement le sens d'une norme fonda- mentale formelle, d'une règle de création de droit, d'une base de validité de l'ordre juridique, au même titre que la norme fondamentale hypothétique de Kelsen 1 Cette différence dans la construction du fondement du droit des gens a d'autant moins d'importance que le point de départ des deux auteurs est identique. L'idée d'un droit <<volontaire» à côté d'un droit

« nécessaire » leur est commune.

Mais c'est aussi chez Wolff que Vattel est allé puiser les observations sociologiques dont il parsème son ouvrage, par exemple, l'importance d'un équilibre politique entre les puis- sances pour l'existence du droit des gens. Lorsqu'il déclare

«qu'on entend par là une disposition des choses au moyen de laquelle aucune puissance ne se trouve en état de prédominer absolument ou de faire la loi aux autres », lorsqu'il se demande comment maintenir cette égalité, lorsqu'il constate que «le commerce, l'industrie, les vertus militaires le feront bientôt disparaître et que le droit d'héritage, même en faveur des femmes et de leurs descendants, établi avec tant d'absurdité pour les souverainetés, mais établi enfin, bouleversa notre système» 2,

Vattel n'exprime pas seulement des vérités de tous les âges sur l'équilibre politique ; il reproduit, développe et concrétise la pensée de Wolff. Aussi bien Vattel avait-il à l'origine conçu son traité comme une simple traduction de celui de Wolff.

5. Emer de Vattel naquit à Couvet dans la principauté de Neuchâtel le 25 avril 1714 3 Il appartenait à une famille aris-

· 1 KELSEN, Das Problem der Souveranitat und die Theorie des Volkei'-

rechts, 1928, p. 253. Cf. aussi KELSEN, Théorie pure dit droit, 1953 (tra- duction H. Thévenaz), p. u6.

2 L. III, §§ 47 s. Vattel s'est également inspiré à ce sujet de Wolff.

Cf. Jus gentium methodo scienti ficae pertractatum, § § 642 ss. Cf. sur les origines de la notion de l'égalité politique comme fondement socio- logique du droit international public contemporain, Nvs, La théorie de l'équilibre européen, Revue de di'oit international et de législation comparée, I 893, pp. 34 ss. Les Origines du droit international, I 894, pp. 165 ss. Cf. en général, A. STERN, Das politische Gleichgewicht, Archiv für Politik und Geschichte, 1925, pp. 29 ss.

3 Cf. sur Vattel et le droft des gens : MALLARMÉ, dans Les fondateu1's du droit international, 1904, pp. 481 SS. STAUB, Die volkerrechtliclten

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tocratique aussi bien du côté de son père, pasteur, que de sa mère, dame Marie de Montmollin, fille d'un conseiller d'Etat et trésorier général de S.M. le roi de Prusse dans la principauté.

La famille vivait dans des conditions modestes. Vattel fit ses humanités et sa philosophie à l'Université de Bâle avec l'intention d'embrasser la carrière de son père. Il se rendit à Genève en 1733 pour y étudier spécialement la théologie et la métaphysique.

Il y fut probablement l'élève de Burlamaqui, qui dès 1723 occupa à l'Académie la chaire de droit civil et de droit naturel. Certains croient qu'il a subi son influence. C'est du moins l'avis exprimé par M. Gagnebin, dans sa thèse sur Burlamaqui 1, et par le professeur Philippe Meylan, de l'Université de Lausanne, dans sa monographie sur Barbeyrac 2

C'est à Genève que Vattel se détourna définitivement de la théologie pour se porter vers la philosophie. Il s'attacha spé- cialement à l'étude des systèmes de Leibnitz et de Wolff. Il se rendit à Berlin en 1742 dans l'espoir de s'y voir confier des fonctions diplomatiques par Frédéric II auquel il avait dédié son premier ouvrage consacré à la défense du système de Leib- nitz. Cette attente fut déçue et c'est au service de la Saxe que Vattel entra, grâce à ses relations avec le comte de Brühl, premier ministre de !'Electeur, qui l'honorait de sa confiance.

Il fut nommé ministre résidant de Saxe auprès la République sérénissime de Berne, situation peu importante et irréguliè- rement rétribuée. C'est de 1749 à 1758, durant les neuf ans que durèrent ses fonctions, que Vattel rédigea son traité sur le droit des gens. Sa mission - qui ne fut pas exempte de déceptions - il faut lire là-dessus les belles pages que le professeur Béguelin

Lelwen Vattels im L-ichte der naturrechtlichen Doktrin, 1922. A. DE LAPRADELLE, Introduction à l'édition du Droit des gens, faite sous les auspices de la Fondation Carnegie, 1916. Les "lettres intimes» de Vattel ont été publiées par Virgile Rossel dans La Bibliothèque universelle et Revue suisse de 1902, pp. 36 et ss. Cf. aussi l'étude admirablement documentée de BÉGUELIN, En souvenir de Vattel, Recueil des Travaux de la Faculté de droit de l'Université de Neuchâtel, 1929, pp. 125 ss.

1 B. GAGNEBIN, Burlamaqui et le droit naturel, 1944, pp. 245 ss.

2 Ph. MEYLAN, jean Barbeyrac, 1937, p. 187.

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a consacrées à Vattel, dans le Recueil des travaux de la Faculté de droit de Neuchâtel de 1929 - lui en laissaient le loisir. C'est en 1758, en pleine guerre de sept ans, que l'ouvrage parut. A la suite de cette publication, l'Electeur de Saxe, Auguste III, rap- pela Vattel à Dresde pour utiliser ses lumières dans la conduite des affaires diplomatiques. Cependant, sa santé affaiblie obligea Vattel à rentrer en 1766 à Neuchâtel. Il y mourut prématuré- ment, le 28 décembre 1768, à l'âge de 53 ans, d'une hydropisie de poitrine. Ce n'est qu'à l'âge de 50 ans que sa situation de fortune lui avait permis de se marier. Il laissait un fils et une veuve, Marianne de Chesnes, originaire d'une famille de réfugiés huguenots.

6. Vattel a publié, outre son Droit des gens ou Principes de la loi natitrelle appliquée à la conditite et aux affaires des nations et des souverains, un certain nombre d'études qui témoignent de son goût pour l'esthétique, la littérature et la philosophie ; dans cette dernière discipline, il était surtout attiré par les systèmes de Leibnitz et de Wolff. Mais ces ouvrages n'ont jamais attiré l'attention que d'un cercle limité et on les oublia vite : ils n'intéressent à l'heure actuelle que les spécialistes de l'histoire du droit naturel, mais ils sont toujours accessibles dans les bibliothèques publiques et universitaires, ces institutions qui ne sont trop souvent que les cimetières de l'esprit 1

L'importance et l'actualité de l'œuvre de Vattel résident ex- clusivement dans son Droit des gens, qu'il a élaboré avec un soin particulier, comme il le dit lui-même dans une lettre adressée le 8 novembre 1755 à· un ami : « Je souhaite de faire un bon ouvrage, et tous les conseils capables de m'y aider trouveront en moi un_ esprit docile et un cœur reconnaissant... Je le travaille avec grand soin. Il m'occupe beaucoup et je me flatte qu'il sera goûté. Mais àussi il déplaira aux flatteurs du despotisme 2n

Vattel admet franchement ce qu'il doit à Wolff, mais il trace

1 Voir la liste des ouvrages et écrits publiés par VATTEL, telle qu'elle est indiquée par MALLARMÉ, op. cit., pp. 486 ss.

a A Formey. Cf. BÉGUELIN, op. cit., p. 125.

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des limites à cette dépendance. Dans une lettre du 17 février 1757, un an avant la publication de l'ouvrage, il écrit: « ... j'ai profité de l'œuvre de Wolff, mais ... mon livre est tout différent du sien 1» Et dans une autre communication adressée au même ami il ajoute : «Je profite beaucoup des principes de Wolff, mais je ne ferai pas mention de lui au titre de l'ouvrage 2» 7. L'ouvrage suscita immédiatement de l'intérêt, car l'au- teur y présentait le droit des gens sous une forme nouvelle, inusitée. Au lieu d'une analyse abstraite, à la démarche lourde, on trouvait un exposé clair, lumineux, immédiatement acces- sible. A cet égard, l'ouvrage de Vattel se distinguait avantageu- sement de celui de Wolff et même de Guerre et Paix de Grotius auquel on a pu reprocher avec quelque raison l'impression touffue que produit sa lecture, sa composition souvent hâtive et surtout cc ces références multiples - pas toujours à propos - à l'histoire, à la littérature, aux instituts, à la loi de Moïse, aux écrits d'Hérodote et de Pline, qui dépassent un peu la mesure» 3

Des critiques aussi sévères pouvaient être adressées à Pufendorf, et jusqu'à un certain point à BYNKERSHOEK, dont la contribution au droit des gens ne saurait guère pourtant être surestimée.

Mais cette exhibition de connaissances littéraires, ce fatras de citations, correspondaient au goût de l'époque. Machiavel et Hobbes n'ont pas procédé différemment.

L'ouvrage· de Vattel était destiné aux hommes d'Etats et aux diplomates, en un mot aux professionnels des affaires étran- gères. Il ne devait pas seulement leur« dire ii le droit ; l'ambition de Vattel allait plus loin: il se flattait d'exercer une influence sur les hommes d'Etat et de les amener à respecter ce droit international dont trop souvent ils font fi. Il le dit clairement dans sa préface : « Le droit des gens est la loi des souverains.

1 A Formey. Cf. BÉGUELIN, op. cit., p. 125.

2 A Fonney, le 8 novembre 1855. BÉGUELIN, op. cit., p. 125.

3 M. BoURQUIN, Grotius est-il le père du droit des gens? dans Grandes Figures et grandes Œuvres jiwidiques, J\Umoires publiés par la Faculté de

droit de Genève, 1948, n° 6, p. 85.

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C'est pour eux principalement, et pour leurs ministres qu'on doit l'écrire. Il intéresse véritablement tous les hommes, et l'étude de ses maximes convient, dans un pays libre, à tous les citoyens; mais il importerait peu d'en instruire seulement les particuliers, qui ne sont point appelés au conseil des nations, et qui n'en déterminent point les démarches. Si les conducteurs des peuples, si tous ceux qui sont employés dans les affaires publiques, daignaient faire une étude sérieuse d'une science qui devrait être leur loi et leur boussole, quels fruits ne pourrait- on pas attendre d'un bon traité du droit des gens? Mais une funeste expérience ne prouve que trop combien peu de ceux qui sont à la tête des affaires se mettent en peine du droit, là où ils espèrent trouver leurs avantages ... C'est principalement dans la vue de faire goûter cet ouvrage à ceux de qui il importe le plus qu'il soit lu et goûté, que j'ai quelquefois joint des exem- ples aux maximes ... »: Et, dans le corps de l'ouvrage, on trouve cette pensée pleine de sagesse et de sérénité : « Se flatter que des hommes, et surtout des hommes puissants voudront suivre la rigueur des lois naturelles, ce serait s'abuser grossièrement ; perdre tout espoir de faire impression sur quelques-uns d'entre eux, c'est désespérer du genre humain 1»

8. L'accueil que le public cultivé et la critique littéraire ont fait au traité a été aussi varié que déconcertant. En général, l'appréciation des milieux professionnels a été peu favorable.

Elle fut même parfois franchement mauvaise. Bentham, le grand protagoniste de la codification et le premier auteur qui ait suggéré de remplacer le terme de droit des gens par celui, inusité à l'époque, de cc droit international», dit de l'ouvrage de Vattel que c'est cc l'œuvre d'une vieille fille» et que les notioris qui y sont utilisées sont tautologiques 2 Le baron Henri Louis d'Ompteda lui reproche en 1785, dans sa Littérature du droit des gens naturel et positif, de n'être rien qu'un fidèle satellite de

1 L. II, chap. I, § I.

2 BENTHAM, Principles of International Law. 1789. Cf. aussi MAL- LARMÉ, op. cit., pp. 579 ss.

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Wolff 1 Vattel n'est pas mieux jugé par Kaltenborn. Celui-ci, dans la remarquable étude historiographique qu'il fit paraître en r847, y caractérise le traité de Vattel «comme étant très faible», et, bien qu'admettant que le caractère abstrait de

\i\Tolff s'y trouve un peu modéré, il met en doute sa valeur pratique 2 Au XIXe siècle, tous les auteurs représentatifs du droit international ou presque furent très sévères à l'égard de Vattel. Font cependant exception deux jurisconsultes qui furent chargés à certains moments de missions diplomatiques, notre compatriote Alphonse RIVIER 3, et Robert VON MOHL. Ce der- nier a relevé avec raison, dans sa belle Histoire de la littératiwe de la science politique, l'abîme existant entre l'attitude négative adoptée par la doctrine et la place de premier ordre que l'ouvrage de Vattel a occupée dans la pratique internationale 4 Mais au XXe siècle encore le traité de Vattel a suscité une réaction négative d'autant moins négligeable qu'elle provient d'un auteur d'envergure, de l'érudit professeur van Vollenhoven de l'Uni- versité de Leyde, éditeur de l'œuvre de Grotius et auteur de diverses sentences internationales remarquables et témoignant d'une complète objectivité. Le professeur van Vollenhoven reproche à Vattel de se servir de notions ambiguës et de conférer à la conception de la souveraineté étatique une importance exagérée ; pour lui, l'auteur neuchâtelois n'a été qu'un vulgari- sateur à l'usage d'une élite. Et comparant Vattel à Grotius, van Vollenhoven oppose ainsi les deux auteurs: «La différence existant entre le vieil ouvrage de de Groot et le plus récent de Vattel s'exprime nettement dans les prénoms des deux auteurs:

celui du Hollandais - Hugues - se tient debout sur ses pieds carrément, l'autre - Eméric - est le nom d'un maître de bal- let 5» Le professeur Béguelin a pensé bien faire en commentant

1 Literatur des gesainten, sowohl natürlichen als positiven V olkerrechts, 1785, p. 345.

2 c. VON KALTENBORN, Kritik des VOlke1·rechts, 1847, pp. 79, 81.

3 Cf. HoLTZENDORFF, Handbuch des Volkerrechts, t. I, p. 450.

4 Geschichte und Literatur der Staatswissenschaften, 1855, t. I, p. 386.

5 Les trois phases du droit des gens (édition allemande : Die drei Stufen des Volkerrechts, 1919, pp. 27 ss.). Cf. aussi VAN DER VLUIGT, Recueil de l'Académie de droit international, 1925, II, p. 467.

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cette plaisanterie d'assez mauvais goût: «Vattel est assurément innocent de son prénom ; ce prénom eut-il été d'un danseur aussi bien qu'il fut celui d'Eméric Crucé; en réalité il s'appelait Emer, nom assez fréquent autrefois (Imier, Imer, Emer) dans une région qui avait fait honorer et vénérer le sanctuaire et les reliques de saint Imier 1»

9. Cependant, si l'on juge l'ouvrage de Vattel à son succès, au nombre de ses lecteurs, à celui des éditions et des traductions, si on le juge aussi à l'autorité dont il a joui dans la pratique diplomatique et consulaire, le tableau change radicalement.

Seul Grotius a joui d'un succès plus considérable. Quelques mois avant la déclaration d'indépendance des Etats-Unis, Benjamin Franklin écrivait au Genevois Dumas qui lui avait envoyé la troisième édition française de l'œuvre de Vattel, parue à Amsterdam en 1775: «L'ouvrage arrive au bon moment.

Un Etat en création a besoin de consulter fréquemment la loi des nations 2» Lorsque au mois d'avril 1795 le gouvernement britannique eut publié un ordre en conseil, «tendant à mettre à la raison la France révolutionnaire au moyen d'un blocus de famine», c'est en invoquant l'autorité de Vattel qu'il entendit plus tard justifier cette mesure devant l'opinion américaine.

Et c'est à Vattel aussi que se référa le secrétaire d'Etat américain pour défendre la thèse américaine 3 L'autorité de Vattel fut très souvent invoquée devant les tribunaux d'arbitrage, surtout au cours de la première moitié du XIXe siècle, époque à laquelle le recours à ce mode de régler les différends internationaux devint de plus en plus fréquent 4Mais encore dans la deuxième

1 op. cit., p. 67.

2 Cf. REEVES, La coinmunauté internationale, Recueil des Cours de l'Académie de droit international, 1924, II, p. 37. Le même, The Influence of the Law of Nations upon International Law in the United States, American Journal of International Law, 1907, pp. 547 ss. Cf. aussi Nussbaum, A concise History of the Law of Nations, 2e éd. 1954, pp. 161 ss.

3 WHEATON, Histoire du progrès du droit des gens, éd. 1865, t. II, p. 175.

'Voir les références dans le Recueil des arbitrages internationaux de Lapradelle-Politis, t. I, 1905 ; t. II, 1912, t. III, 1954.

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moitié du XIX0 et même au XX0 siècle, la jurisprudence arbi- trale continue à se référer à Vattel; M. Max Huber, dans la sentence qu'il a rendue le 4 avril 1928 dans l'affaire de ,l'île de Palmas - entre les Etats-Unis d'Amérique et les Pays-Bas - a cité son compatriote à l'appui de la théorie de la prescription libératoire en tant que titre juridique à la souveraineté territoriale 1

Un auteur américain s'est plu à rechercher dans la seule jurisprudence américaine, et uniquement pour les années allant de 1789 à 1820, quels auteurs de droit international étaient le plus souvent mentionnés 2 Vattel vient en tête de liste et de loin ! Dans les plaidoiries et mémoires des parties l'auteur neuchâtelois est mentionné quatre-vingt-douze fois;

vient ensuite Bynkershoek, qui est cité vingt-cinq fois, tandis que Grotius ne vient qu'en quatrième lieu, avec seize citations.

L'auteur anglais Rutherforth, disciple de Pufendorf, recueille dix-huit citations, alors que Pufendorf et Burlamaqui sont ex-aequo avec chacun neuf citations! Quant aux décisions judiciaires elles-mêmes, c'est aussi à Vattel que revient la palme:

son autorité est invoquée à trente-huit reprises, celle de Bynker- shoek seize fois seulement ; Grotius figure en troisième place avec onze mentions. Enfin, les viennent ensuite: Rutherforth cinq fois ; Pufendorf et Burlamaqui, ex-aequo : quatre citations.

IO. Quelle est la raison de cette diversité d'appréciation ? Tout d'abord, il n'y a pas lieu de prendre au tragique les appré- ciations extrêmement désavantageuses dont Vattel a été l'objet.

On sait - et cela ne vaut pas seulement pour les ouvrages juridiques - que l'importance d'un ouvrage est trop souvent surestimée, ou bien sous-estimée par ceux qui l'examinent dans le silence de leur cabinet de travail ou en font la critique. C'est d'ailleurs en général le sort des grandes œuvres juridiques qu'elles ne fassent autorité qu'après un certain temps. Cette diversité

1 Recueil des sentences arbitrales des Nations Unies, t. II, p. 840.

2 E. DICKINSON, Changing Conception and the Doctrins of Incorpo- ration, American ]oui•nal of International Law, 1932, p. 259, note 132.

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de jugement est certainement due en partie au fait que les points de ·vue étaient différents. En effet, la contribution de Vattel au progrès du droit international a été modeste. Il n'est pas question de l'égaler aux grands fondateurs, aux Grotius, aux Pufendorf, aux Wolff. Le théoricien pouvait donc être déçu et dans sa déception ignorer les autres qualités de l'ouvrage. Aussi bien la forme était-elle inusitée pour l'époque où l'on attendait d'un ouvrage savant qu'il se distinguât par son ton rébarbatif et la longueur de ses exposés et de ses citations. Le praticien au contraire - à qui du reste était destiné l'ouvrage - devait se tourner volontiers ·Vers un traité clair, lumineux, à la forme attrayante et même élégante, d'un emploi facile, et d'un contenu actuel. Il en voyait son travail énormément facilité. On était loin des exposés ennuyeux qui à l'époque devaient forcément accompagner une dissertation de cet ordre, et dont la scène de l'écolier dans le Faust donne un exemple fameux.

· Toutefois, la forme de l'exposition ne suffit pas à expliquer l'appréciation si diverse de l' œuvre. Il faut prendre en considé- ration deux autres facteurs. j'ai déjà dit que Vattel avait suivi Wolff en ce qui concerne la doctrine; mais, laissant de côté la philosophie du droit naturel au sens propre et mettant l'accent sur le droit des gens positif (volontaire, conventionnel et cou- tumier), il l'a concrétisée 1 Vattel a réussi comme aucun de ses prédécesseurs à décrire et à interpréter l'ordre juridique international de son époque. D'autre part, en ce qui concerne la philosophie de droit naturel, Vattel professait des idées qui la rendaient absolument anodine. Avant de publier son droit des gens, il avait répondu à une question posée par l'Académie de Dijon en 1742 et où il s'agissait de savoir si la loi naturelle pouvait porter la société à la perfection sans le secours des lois politiques. La réponse est catégorique : «Dans l'état actuel où se trouve le genre humain, la loi naturelle ne peut porter la société à la perfection sans le secours des lois politiques. » C'est-à-dire que l'homme, dans son ignorance et sa faiblesse,

i Cf. ci-dessus, p. 8.

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ne peut atteindre à la connaissance de la loi naturelle et ne peut l'appliquer sans une autorité publique qui codifie cette dernière et la sanctionne. La loi naturelle s'exprime ainsi par la loi politique - (ou civile) 1Tout conflit entre ces deux formes du droit est donc pratiquement écarté. Vattel est le représentant typique d'une doctrine du droit naturel de tendance conser- vatrice, pour laquelle le droit naturel réside dans des régions supérieures, transcendantes, de sorte qu'inatteignable à l'expé- rience juridique positive, il n'oblige que in fora interna, qu'en conscience 2 Cette doctrine qui se caractérise par le dédou- blement du droit en une idée, qui est le droit naturel, et une pratique qui est le droit positif, a eu des conséquences lointaines.

Dans son traité, comme je l'ai déjà expliqué, Vattel reste fidèle à cette conception du droit naturel : le droit des gens nécessaire, ou droit des gens naturel fondé sur la nature des choses, est immuable, mais de nature interne. Il ne lie que la conscience. Bien que les nations ne puissent rien y changer et que les coutumes et traités qui sont contraires au droit des gens interne, soient «illégitimes», ils seront valables dans le cadre du droit externe 3 C'est particulièrement le cas si ce dernier est «parfait», c'est-à-dire s'il produit le droit de contrainte 4 • Vattel déclare formellement: «Il est donc nécessaire, en beau- coup d'occasions, que les nations souffrent certaines choses, bien qu'injustes et condamnables en elles-mêmes, parce qu'elles ne pourraient s'y opposer par la force, sans violer la liberté de quelqu'une et sans détruire les fondements de leur société naturellement 5»

Théoriquement, cette solution se justifie du fait que le droit des gens positif, nous l'avons vu, repose en entier sur le consen- tement des nations : consentement présumé, expresse ou tacite.

1 Le loisir philosophique ou pièce diverse de philosophie, de morale et d'amusement, Genève, 1747, p. 89.

2 Cf. KELSEN, The Natural-Law Doctrine be/ore the Tribunal of Science, Mélanges Ketaro-Tanaka, 1954, pp. 63 ss.

s Préliminaires, § § 7-9.

'Préliminaires, § 17.

5 Préliminaires, § 21.

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En fait cela revient à définir l'ordre juridique international par les règles effectivement appliquées dans les relations entre Etats. On se rend compte que seul un tel systè~e pouvait satisfaire aux besoins pratiques des relations internationales.

Ainsi Vattel a pris clairement position dans une controverse qui a agité l'histoire du droit dès la fin de l'antiquité : fallait-il reconnaître une validité -iuelconque à la règle positive contraire au droit naturel ? Dans une formule lapidaire saint Augustin s'était prononcé pour la négative: Lex iniitsta non est lex 1 • Cette doctrine trouva sa consécration dans le Décret de Gratien, cette fameuse codification de droit canonique de la première moitié du

xne

siècle, où on trouve l'affirmation que le droit naturel est supérieur au droit humain, écrit ou non écrit, et la constatation que ce dernier est nul en cas de conflit 2 Depuis Suarez et Grotius, la doctrine a cherché à assouplir cette position dogmatique et on peut bien dire que Vattel - suivant aussi en cela Wolff - a marqué une étape importante dans cette évo- lution.

rr. Vattel avait énoncé deux lois générales: premièrement que chaque nation doit contribuer au bonheur et à la perfection des autres 3 ; secondement que chaque nation doit être laissée dans la paisible jouissance de la liberté qu'elle tient de la nature, les nations étant libres et indépendantes les unes des autres,

1 De libero arbitrio 1, 5, 1 I. Cf. KosTERS, Le droit des gens chez saint Augustin, Revue de droit international et de législation comparée, 1933, pp. 31 ss., 58. Dans les conséquences pratiques, saint Augustin - comme d'ailleurs tous les Pères de l'Eglise et la doctrine canonique - faisaient de grandes concessions, afin de faire respecter le droit civil des ordres j uridi-

. ques étatiques en formation respective, surtout en ce qui concerne la pro-

priété, l'esclavage et la guerre. Voir à ce sujet l'étude suggestive de E.REIB- STEIN, Die An/ange des neueren Natitr- und Volkerrechts, 1949, pp. 86 ss.

Cf. aussi pp. 54 et ss. (au sujet de saint Ambroise). Voir également ci dessus, p. 8.

2 Voir à ce sujet différentes études dans les Studia Gratiana parues récemment, en particulier Daria COMPOSTA, Il diritto naturale in Gra- ziano, t. II, 1954, pp. 151 ss. Cf. aussi en principe sur la relation du droit de l'église avec le droit civil, A. BECK, Christentum und nachklassische Rechtsentwicklung, Atti del Congresso internazionale di diritto romano (Roma), 1935, t. II, pp. 113 ss.

3 Préliminaires, § 13.

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puisque aussi bien les hommes sont libres et indépendants 1 Ces deux principes, admis déjà par Grotius et par Hobbes, ont leur fondement dans la philosophie morale du XVIIe siècle 2 Etant donné sa théorie du droit naturel, c'était en s'inspirant plus de la seconde que de la première de ces règles que Vattel devait définir les principes applicables à la conduite des nations.

La première conclusion qu'il en tire est le principe de la souve- raineté étatique. On le lui a reproché. A mon avis à tort. Au contraire ce qu'on peut dire de Machiavel - que Vattel ne mentionne pas, à l'instar de Grotius 3 et de Hobbes - , cela ne signifie pas pour lui reconnaître la loi du plus fort. Tout simplement, il reconnaît comme souverain tout Etat qui se gouverne lui-même, sans être aucunement dans la dépendance d'un Etat étranger 4 Une définition analogue a été donnée par le juge Anzilotti dans l'opinion indiviauelle qu'il a rédigée dans l'affaire de l'Union douanière austro-allemande 6D'ailleurs la doctrine de Vattel relative à la souveraineté est favorable aux Etats petits et moyens, car elle se double de la théorie de l'égalité des nations : cc La puissance ou la faiblesse ne pro- duisent, à cet égard, aucune différence. Un nain est aussi bien un homme qu'un géant: une petite république n'est pas moin.s un Etat souverain que le plus puissant royaume 6» cc Par suite nécessaire de cette égalité, ce qui est permis à une nation, l'est aussi à toute autre et ce qui n'est pas permis à l'une ne l'est pas non plus à l'autre 7»

12. L'œuvre de Vattel fait le tour de toutes les questions du droit des gens connues et discutées à son époque. Son manque d'originalité doctrinale est largement compensé par une certaine

I Préliminaires, § 15.

2 GIERKE, op. cit., pp. 447 SS.

9 Cf. LAUTERPACHT, The Grotian Tradition in Inte·rnational Law, op. cit., pp. 30 ss.

4 L. 1, ch. 1, § 4.

6 Cour permanente de Justice internationale, Série A/B no 41, p. 57.

6 Préliminaires, § 18.

7 Préliminaires, § 19.

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sagesse, un grand bon sens, une vue claire et nette des problèmes.

Certaines de ses formules ont fait l'admiration de ses contem- porains et de la postérité. Par exemple, sa maxime générale pour l'interprétation des traités : « Il n'est pas permis d'interpréter ce qui n'a pas besoin d'interprétation 1» De même sa définition du déni de justice:« Le principe ne doit donc intervenir que dans le cas d'une injustice évidente et palpable, ou enfin d'une dis- tinction odieuse, faite au préjudice des sujets ou des étrangers en général 2»

13. Conformément aux habitudes de l'époque, Vattel a dépassé les limites du droit des gens proprement dit pour traiter certains sujets relevant du droit public général. Cela s'explique facilement du fait que le XVIIIe siècle n'avait pas encore fait sienne la conception de l'Etat souverain, centre de tous les pouvoirs, seul détenteur de la souveraineté à l'inté- rieur de ses frontières et limité à l'extérieur par les seules règles du droit international. La doctrine de l'Etat monopole du pouvoir venait d'être enseignée par Hobbes, mais elle était encore loin de dominer les esprits. En incorporant à son ouvrage sur le droit des gens des considérations sur le statut des gouvernants, Vattel ne faisait que se conformer aux conceptions courantes et suivre les traces de Grotius et de Pufendorf. Ses idées dans ce domaine sont celles d'un libéral et d'un protestant éclairé 3, ami de la monarchie constitutionnelle et hostile à la théorie absolutiste selon laquelle l'Etat est le patrimoine du prince.

«Ce prétendu droit de propriété», s'écrie Vattel, «qu'on attribue aux princes est une chimère enfantée par un abus. L'Etat n'est, ni ne peut être un patrimoine; puisque le patrimoine est fait pour le bien du maître, au lieu que le prince n'est établi que pour le bien de l'Etat » 4

1 L. II, chap. XVII, § 263. Voir au sujet des critiques qui ont été formulées à l'égard de cette règle, GUGGENHEIM, Traité de droit inter- . national public, t. I, 1954, p. 132, note 5.

2 L. II, chap. VII, § 84.

3 Cf. Ph. MEYLAN, Jean Barbeyrac, op. cit., pp. 187 ss.

4 L. I, chap. V, § 6I.

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. Pour Vattel donc, qui reprend là l'idée médiévale de la souveraineté populaire, l'autorité du prince n'est qu'un pouvoir délégué. En outre, le prince l'exerce au profit de ses sujets, en vue de leur salut et de leur bien. Ainsi, la royauté est une charge publique. Mais écoutons Vattel : «Une troupe de làches courti- sans persuade sans peine un monarque orgueilleux, que la Nation est faite pour lui, et non pas lui pour la Nation. Il regarde bientôt le royaume comme un patrimoine qui lui est propre, et le peuple comme un troupeau de bétail, dont il doit tirer ses richesses, et duquel il peut disposer pour remplir ses vues et satisfaire ses passions ... 1» «Ce n'est point pour avilir la dignité du plus grand monarque que de lui attribuer ce caractère représentatif;

au contraire, rien ne la relève avec plus d'éclat: par là le monar- que réunit dans sa personne toute la majesté qui appartient au corps entier de la Nation 2» Jusqu'alors - le Contrat Social devait paraître en 1762 à Amsterdam - personne n'avait tenu de langage aussi net 3

14. Il est temps de conclure. Si Vattel n'a pas pleinement réussi à établir la synthèse entre les théories wolffiennes et les faits positifs de la vie internationale - les deux éléments restent chez lui malgré tout dissociés-, c'est qu'il vivait à une époque où la science historique commençait seulement à se libérer de la tutelle de la théologie et du droit naturel. L'essai de Voltaire sur les mœurs et l'esprit des nations, abrégé de l'histoire universelle, avait paru en 1754 et ces perspectives

1 L. I, chap. IV, § 39.

2 L. I, chap. IV, § 40. Toutefois, Vattel n'a pas toujours suivi clai- rement cette ligne. Dans L. I, chap. IV, § 49, il admet que «si le prince est revêtu de la souveraineté pleine, absolue et illimitée », il est au-dessus des lois, qui tiennent de lui seul toutes les forces, et il peut s'en dispenser lui-même, toutes les fois que la justice et l'équité le lui permettent.

Et dans L. I, chap. XII, § 139, il déclare: «Il n'est rien sur la terre de plus auguste et de plus sacré qu'un souverain.» Cf. aussi L. I, chap. XII

§ 132, L. I, chap. IV, p. 50.

3 Voir sur l'importance de Vattel pour l'évolution du droit consti- tutionnel au XVIIIe siècle, G. }ELLINEK, Allgemeine Staatslehre, 3e éd.

1914, 513 et s., et de son influence sur la rédaction de la Déclaration du droit des gens que l'abbé Grégoire a soumise à deux reprises (1793 et 1795) à la Convention, DE LAPRADELLE, op. cit., pp. 37 et SS.

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