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Colomb et le messianisme hispanique

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Academic year: 2021

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Colomb et le messianisme hispanique

Alain Milhou

To cite this version:

Alain Milhou. Colomb et le messianisme hispanique. Presses universitaires de la Méditerranée, 2007, Voix des Suds et des Orients, 978-2-84269-780-8. �hal-03170497�

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Alain Milhou

Colomb et le messianisme hispanique

Version française de Mayi Milhou-Binard revue par l’auteur

E.T.I.L.A.L

Collection Espagne médiévale et moderne N°10 2007

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Avant-propos

Ce livre est la version française de : Colón y su mentalidad mesiánica en el ambiente franciscanista español.- Publicaciones de la Casa-Museo de Colón y Seminario Americanista de la Universidad de Valladolid, 1983.- 479 p.- (Cuadernos Colombinos n° XI).

Ayant écrit cet ouvrage en espagnol, je n’avais aucunement l’intention de me traduire moi-même en français, ce qui est une opération particuliè- rement fastidieuse. Mais plusieurs historiens, hispanistes et américanistes, m’ont convaincu de l’opportunité d’une nouvelle édition en français à l’oc- casion du cinquième centenaire, d’autant que la version espagnole est prati- quement épuisée. Je tiens à remercier particulièrement Marianne Mahn-Lot, Marie-Cécile Bénassy, Jacqueline de Durand-Forest, Bartolomé Bennassar, Jean-Oierre Clément, Thomas Gomez, Frank Lestringant et Serge Gruzinski de m’avoir persuadé qu’il était dommage – ma modestie dût-elle en souf- frir – que mon étude ne soit connue en France que des spécialistes.

Restait à trouver un traducteur, capable de traduire le texte, mais aussi les citations de documents anciens. Ma mère, Mayi Milhou-Binard, qui est aussi mon ancien professeur d’espagnol, a accepté de le faire. Elle était toute désignée pour cela, vu que ses propres travaux sur l’iconographie des reta- bles basques la mettaient de plein pied avec le monde difficile des symboles que j’aborde dans la première partie du livre. La tâche était familialement partagée, puisque mon père a accepté d’affronter les difficultés du traite- ment de texte. Et je n’aurais garde d’oublier que mon épouse, Anne Milhou- Roudié, lors de l’élaboration de la version espagnole de l’ouvrage, m’avait signalé bon nombre de textes à l’occasion de ses propres recherches sur la spiritualité du XVIe siècle.

Dans le but de faciliter la consultation des écrits de Colomb qui sont cités dans le texte ou auxquels il est fait référence en notes, nous avons décidé, d’un commun accord avec l’éditeur, de reproduire, sauf cas exceptionnel dûment signalé, la traduction de Soledad Estorach et Michel Lequenne, aujourd’hui plus facilement accessible que celle de Cioranescu. On se doit cependant de rappeler au lecteur curieux l’importance de la version de Cioranescu pour ses notes érudites tout à fait remarquables. On regrette enfin de n’avoir pu citer la traduction que sont en train de préparer Jean- Pierre Clément et Jean-Marie Saint-Lu ; il est à prévoir que celle-ci fera date. Fallait-il aussi donner la référence des textes originaux espagnols de Colomb ? Cela aurait alourdi considérablement les notes, et n’aurait pas pré- senté un grand intérêt pour deux raisons. La première est que le spécialiste

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peut avoir recours à la première édition espagnole de l’ouvrage. D’autre part, Consuelo Varela est en train de préparer pour l’automne 1992 une nou- velle édition, avec des inédits, des Cartas y documentos completos de Colomb, qui sera une référence obligatoire pour tous les colombistes.

La version française de mon livre est véritablement une nouvelle édition.

Il ne s’agit pas d’une simple traduction de l’original. Celle-ci a été révisée par mes soins, ce qui m’a conduit à résumer certains passages, à modifier certaines appréciations, voire à ajouter certains développements.

Résumer certains passages ? Il s’agit essentiellement de ceux qui étaient consacrés, dans les chapitres II et III de la Deuxième Partie, aux mouvements millénaristes dans le monde ibérique du XVIe siècle. Or je suis revenu sur cette question dans plusieurs études, citées en bibliographie. J’ai aussi réduit les notes et certaines citations et supprimé un sous-chapitre, appartenant initialement au chapitre 1 de la Première Partie, consacré à la méditation sur la mort chez Colomb, ce thème n’offrant guère d’originalité sous sa plume.

Modifier certaines appréciations ? Le plus important des nuancements apportés concerne l’éventualité de l’appartenance de Christophe Colomb au tiers-ordre franciscain. Je restais, il y a dix ans, dans le doute; or je suis maintenant persuadé qu’il n’en faisait pas partie, même s’il était dans la mouvance de la spiritualité franciscaine.

Ajout de quelques développements ? J’ai tenu compte, la plupart du temps en notes, des apports nouveaux de la critique historique. J’ai ainsi constaté avec plaisir que Juan Pérez de Tudela, dans un livre publié la même année que le mien, insistait sur la vision planétaire et missionnaire du Découvreur. Mais j’ai dû faire face à une nouvelle offensive de la fraction de l’historiographie colombiste favorable à la thèse de l’origine juive de l’ami- ral de la Mer Océane. On comprend qu’il s’agit là d’un problème capital pour mon propos qui est celui de la religiosité et du messianisme qui ont porté la Découverte.

Sur la base de quelques indices fragiles, le grand essayiste Salvador de Madariaga avait été l’un des premiers, en 1940, à supposer que Colomb était un « nouveau-chrétien », descendant de juifs catalans ayant quitté l’Espa- gne pour Gênes au moment des pogroms de 1391. Dans un ouvrage tra- duit en français en 1973, le célèbre historien chasseur de nazis qu’est Simon Wiesenthal allait plus loin que Madariaga. Dans La voile de l’espoir, il présen- tait l’amiral comme un crypto-juif désireux de retrouver dans de nouvel- les terres les « tribus perdues d’Israël », ce qui serait le prélude aux temps messianiques. Dans un article publié en 1977, Juan Gil, un historien et lati- niste sévillan beaucoup plus rigoureux dans ses méthodes que Madariaga et Wiesenthal, n’hésitait pas à affirmer que Colomb avait été élevé dans son enfance dans la religion hébraïque. Il se fondait pour cela sur la croyance de Colomb dans la reconstruction de la « Maison Sainte » de Jérusalem.

Lorsqu’en 1981-82 j’élaborais la version espagnole de mon ouvrage, c’étaient

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AVANT-PROPOS 5

là les principales études que j’avais à réfuter dans le cadre de ma démonstra- tion de la pleine insertion du messianisme de Colomb dans le messianisme chrétien hispanique.

Or en 1986 Sarah Leibovici publiait un Christophe Colomb juif qui a eu une certaine résonance, notamment dans les médias. Il s’agit là d’un ouvrage fort intéressant pour comprendre l’esprit du « marranisme », c’est-à-dire du crypto-judaïsme obligé, en raison des persécutions, de s’exprimer de façon symbolique, et parfois amené, en raison de l’acculturation inévitable, à adopter des positions d’une certaine tolérance oecuménique. Mais l’étude de Sarah Leibovici me semble présenter deux défauts. Mue par une volonté légitime de défense et illustration de la judaïté, elle a tendance à annexer des personnages illustres dont l’origine juive est loin d’être prouvée, tels que Las Casas ou Le Greco. Quant à sa démonstration du prétendu marranisme de Colomb, ce n’est qu’une succession d’hypothèses bien fragiles : à peine l’une a-t-elle été présentée comme hypothèse, qu’elle est reprise quelques passages plus loin comme une certitude sur laquelle elle bâtit une nouvelle hypothèse.

Il faut, dans cette question du marranisme, suivre les conseils de prudence de son plus grand historien, trop tôt disparu, Israël Revah.

Parmi tous les indices fournis par Sarah Leibovici, je n’en retiendrais per- sonnellement qu’un qui pose véritablement problème, et qui a déjà reçu en 1933 une tentative d’explication, passionnante mais contestable, de la part de Maurice David. On trouve, en effet, une sorte de monogramme, pratique- ment indéchiffrable, ornant le coin supérieur gauche de certaines lettres de Colomb adressées à son fils Diego. Selon Maurice David et Sarah Leibovici (p. 82), « il s’agirait des deux lettres beth et he par lesquelles débute tout écrit, toute missive de juif pratiquant (mais en hébreu, en raison du sens de l’écriture, elles se situent forcément à droite), leur signification étant bien connue : Be ezrat ha Chem, avec l’aide du Nom, ou Barouh ha Chem, béni soit le Nom, c’est-à-dire l’Eternel ». Si telle était la bonne interprétation de ce monogramme, la signature cryptique de Colomb (voir couverture) pour- rait être « Shaddaï / Shaddaï – Adonaï – Shaddaï », noms du Dieu d’Istaël (p. 80), et non pas « Sanctus / Sanctus – Ave – Sanctus » comme je le propose dans mon analyse de la dévotion trinitaire et mariale de Colomb. Il est vrai qu’une objection de taille vient immédiatement à l’esprit : Colomb même s’il avait été marrane, aurait-il couru le risque d’initier dans la religion juive son fils Diego, appelé aux plus hautes destinées dans l’Espagne des Rois Catholiques ?

En outre, Sarah Leibovici reproduit une lettre de l’archevêque de Grenade, Hernando de Talavera, à Isabelle la Catholique. Il y attaquait vio- lemment l’entreprise de Colomb, susceptible, accusait-il, d’être bénéfique aux juifs. Je consacre à cette lettre, que je considère comme apocryphe, une part importante d’une annexe intitulée : « Christophe Colomb fut-il accusé d’être converso ? ».

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Juan Gil revenait sur la question de la judaïté de Colomb dans le compte- rendu de mon ouvrage (Historiografía y Bibliografía Americanistas, XXVII, 1983, p. 154-156), ainsi que dans le premier tome de son beau livre sur les mythes et les utopies de la Découverte. Il cite à l’appui de sa thèse une let- tre de Colomb, publiée pour la première fois en 1984 par Consuelo Varela, où le Découvreur affirmait beaucoup plus nettement que dans les autres documents connus jusque là son espoir dans la reconstruction matérielle du Temple de Jérusalem. Cette nouveauté documentaire m’a logiquement amené à réécrire quelques pages du chapitre IV de la Deuxième Partie.

Il faut ajouter que la thèse juive a gagné des partisans, ces dernières années, en Espagne. Juan Gil et Consuelo Varela y ont puissamment contri- bué grâce à leur talent et aux moyens que leur a donnés l’organisme officiel du Quinto Centenario. J’ai moi-même apporté indirectement ma pierre à l’édi- fice en insistant sur les aspects messianiques de la mentalité du Découvreur ; je le sais par le témoignage de certains lecteurs espagnols que j’ai paradoxa- lement convaincus des obsessions prétendument hébraïques de Colomb ! Mais l’essentiel est ailleurs : si la thèse de la judaïté est actuellement à la mode chez nos voisins, c’est qu’elle correspond à un besoin profond des Espagnols d’aujourd’hui, et notamment des Andalous : la revendication d’une Espagne pluraliste, morte en 1492 et 1936 et actuellement en pleine renaissance. Il est de bon ton maintenant, à Séville ou à Grenade, de s’ima- giner, sur des bases réelles ou supposées, une ascendance juive ou maure, une sorte d’« impureté de sang » qui a une plus belle couleur que la limpieza de sangre des statuts racistes du XVIe siècle. Quel formidable pied-de-nez à l’histoire officielle si l’acteur de la plus grande entreprise espagnole était un marrane ! Cette nouvelle croyance permet aux « nouveaux Espagnols » (je reprends là une expression employée par Edwy Plenel dans son Voyage avec Colomb) de satisfaire leur mauvaise conscience après plusieurs siècles d’antisémitisme. Mais il n’est pas interdit de penser que la « marranité » de Colomb flatte aussi, subtilement, le nationalisme espagnol : Colomb ne serait pas tout à fait génois, mais descendant, comme le voulait Madariaga, de juifs catalans. Un peu Catalan, donc un peu Espagnol, mais de la péri- phérie, un peu juif, un peu Génois : il y a dans ce rapiéçage idéologique de quoi satisfaire délicieusement la mauvaise conscience, le rapprochement avec Israël et des nationalismes divers.

Il est intéressant de constater que mon livre n’a pas suscité chez les lec- teurs italiens que je connais les quelques critiques ou manipulations qu’il a pu subir en Espagne. Il est vrai que je ne mets pas en doute l’origine génoise de Colomb et que j’insiste sur tout ce que l’entreprise américaine doit au millénarisme de l’abbé calabrais Joachim de Fiore et à l’esprit missionnaire de François d’Assise. C’est précisément d’Italie du Sud qu’est venue, sous la plume d’une Basque espagnole qui y est établie, Juana Mary Arcelus Ulibarrena, une interprétation du messianisme de Colomb qui dépasse mes

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AVANT-PROPOS 7

conclusions, beaucoup plus nuancées. Dans un article publié en 1987, cette historienne n’hésite pas à faire du Découvreur un disciple du millénarisme joachimite. On est là, notons-le, à l’opposé de la thèse juive, puisque Joachim de Fiore rêvait à un troisième Testament, celui de l’Esprit, qui accomplirait le Nouveau, comme celui-ci avait accompli l’Ancien.

Mais cessons là ces remarques un peu ironiques sur l’Histoire fille du temps et des lieux. Ces polémiques sur la judaïté ou la sincérité chrétienne de Colomb ne doivent pas être considérées comme des querelles d’érudits sur fond de préoccupations nationales, idéologiques ou religieuses actuelles.

Le doute est légitime sur cette question car rien ne ressemblait plus au mes- sianisme juif que le messianisme chrétien qui se manifesta depuis les croisa- des jusqu’à la découverte de l’Amérique. Jérusalem exerçait une fascination aussi forte sur les croisés que sur les Hébreux : c’est là que devaient débuter, d’après les prophéties auxquelles croyaient les uns et les autres, les temps messianiques où le monde serait réduit à l’unité. La découverte des tribus perdues d’Israël, cachées depuis l’Exil, était pour les juifs, mais aussi pour les chrétiens, un signe annonciateur de l’accomplissement des Temps. Les chré- tiens complétaient cette croyance par une autre, parallèle à la première, sur la découverte de chrétientés cachées, notamment celle du Prêtre-Jean. Comme le disait Pie XI à l’adresse de Mussolini qui se plaisait à insister sur la roma- nité du catholicisme, nous les chrétiens, nous sommes spirituellement des sémites. Paradoxalement, malgré le décret d’expulsion du 31 mars, jamais cela n’a été aussi vrai qu’en 1492, année de triomphe pour la Chrétienté et de malheur pour leurs frères aînés et ennemis dans l’attente messianique : les juifs. Sans cette attente judéo-chrétienne il n’y aurait pas eu de découverte de l’Amérique.

C’est pourquoi je voudrais que les lecteurs retiennent de ce livre, même s’ils n’en sortent pas convaincus du profond christianisme de Colomb, l’orientation essentielle que j’ai voulu lui donner : non pas une étude posi- tiviste et pointilliste d’un certain nombre d’énigmes posées par la person- nalité du Découvreur, mais un tableau, dans la longue durée, des croyances, des dévotions, des espérances et des manipulations idéologiques qui, à tra- vers le cas exemplaire de Christophe Colomb, ont permis la Découverte. La Découverte, c’est-à-dire l’élargissement du monde, mais aussi la naissance de l’impérialisme européen, fruits à la fois magnifique et pervers d’une Terre promise qui toujours se dérobe.

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Liste des Abréviations

A.E.A. : Anuario de Estudios Americanos, Séville.

A.G.I. : Archivo General de Indias, Séville.

A.H.N. : Archivo Histórico Nacional, Madrid.

B.A.C. : Biblioteca de Autores Cristianos.- Madrid, La Editorial Católica.

B.A.E. : Biblioteca de Autores Españoles.- Madrid, Ediciones Atlas.

B.N.M. : Biblioteca Nacional de Madrid.

B.N.P. : Bibliothèque Nationale de Paris.

B.V.H.M. : Biblioteca de Visionarios, Heterodoxos y Marginados. Madrid, Editora Nacional.

C.S.I.C. : Consejo Superior de Investigaciones Científicas.

D.A.C.L. : Dictionnaire d’Archéologie Chrétienne et de Liturgie.- Paris, Letouzey, 1924-1953.- 15 vol.

D.B. : Dictionnaire de la Bible. – Publié sous la direction de F. Vigouroux.- Paris, Letouzey, 1926-1928.- 5 vol.

D.B.S. : Dictionnaire de la Bible. Supplément.- Publié sous la direction de L.

Pirot. Paris, Letouzey, 1928-1979.- 9 vol. parus en 1979.

D.G.B.A.A.B. : Dirección General de Bellas Artes, Archivos y Bibliotecas, Madrid.

D.H.G.E. : Dictionnaire d’Histoire et de Géographie Ecclésiastiques.- Paris, 1912-1967.- 16 vol. parus en 1967.

D.S.A.M. : Dictionnaire de Spiritualité, d’Ascétique et de Mystique.- Publié sous la direction de M. Miller, s.j..- Paris, Beauchesne, 1932-1979.- 10 vol.

parus en 1979.

D.T.C. : Dictionnaire de Théologie Catholique.- Publié sous la direction de A.

Vacant, E. Mangenot et E. Amann.- Paris, Letouzey, 1899-1957.- 25 vol. (+ 3 vol. de tables publiés de 1951 à 1958).

E.E.H.A. : Escuela de Estudios Hispano-Americanos, Séville.

fol. : folio.

leg. : legajo (liasse)

Lequenne : Christophe Colomb.- La Découverte de l’Amérique, I. Journal de Bord. 1492-1493, II. Relations de voyages. 1493-1504, III. Ecrits et Documents.

1492-1506 .- Traduit par Soledad Estorach et Michel Lequenne, Introduction historique de Michel Lequenne, Cartes de Jacques Péron.- Paris, Editions La Découverte, 1991.- 3 vol.

N.B.A.E. : Nueva Biblioteca de Autores Españoles.- Madrid, Casa edito- rial Bailly-Ballière.

Raccolta : Raccolta di documenti e studi, publicati dalla R. Commissione Colombian pel quarto centenario della scoperta dell’America.- Parte I, vol. I- II-III : Scritti di Cristoforo Colombo, publicati ed illustrati da Cesare de Lollis.- Roma, Ministerio della Pubblica Istruzione, 1892-94.- (Les écrits de Colomb

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AVANT-PROPOS 9

sont transcrits dans les deux premiers volumes, le troisième rassemblant des fac-similé. La Raccolta comprend cinq autres parties, divisées en plusieurs volumes, consacrées à des documents sur Colomb et sa famille, notamment les sources italiennes, et à des monographies et bibliographies, aujourd’hui dépassées)

R.A.H. : Real Academia de la Historia, Madrid.

R.I. : Revista de Indias, Madrid.

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Introduction

Nombreux ont été à ce jour les travaux destinés à situer l’entreprise de Christophe Colomb dans le cadre d’une typologie des projets et des voyages de découverte. Loin d’ôter son mérite au Découvreur, ces études permettent de mieux comprendre son projet d’atteindre les Indes par l’Ouest. Ce qu’il y a de génial chez le Génois c’est sa perméabilité aux suggestions de l’épo- que sur la possibilité d’une route occidentale, entre-aperçue par des hom- mes comme le Cardinal d’Ailly – dans son célèbre ouvrage l’Imago Mundi amplement annoté par Christophe Colomb – le Florentin Toscanelli, le cha- noine portugais Fernando Martins, le flamand Ferdinand van Olmen – le Fernão Dulmo de Terceira des chroniques lusitaniennes et castillanes –, les Allemands Martin Béhaïm et Hieronymus Müntzer et l’Espagnol Martin Alonso Pinzón.

Son génie réside aussi dans cette opiniâtreté avec laquelle il défendit devant la cour du Portugal et celle d’Espagne un projet qui, sans être à pro- prement parler le sien originellement, finit par le devenir, grâce à la foi avec laquelle il le soutint et l’accumulation des preuves théoriques et pratiques qu’il apporta pour l’illustrer. Il réside enfin dans l’ampleur planétaire de sa vision de découvreur qui sut recueillir la tradition des découvertes atlanti- ques, celle des marchands et missionnaires à travers l’Orient asiatique, celle des légendes médiévales sur des terres inconnues ainsi que l’universalisme eschatologique et messianique de la croisade médiévale. Son « négoce », son « entreprise » – je me sers ici de deux mots-clés du vocabulaire de Colomb – ne se réduisait pas à la découverte de l’Inde ultra-gangétique, elle embrassait aussi l’extension de la Chrétienté aux limites du monde : l’obten- tion de l’alliance du Grand Khan de Cathay, afin de soustraire à l’influence musulmane les peuples « sans secte », c’est-à-dire, selon les croyances de l’époque, les peuples de religion « non organisée ». Cette alliance devait aussi permettre d’abattre l’Islam et de recouvrer Jérusalem, signe visible de l’unité du monde. Aucun de ces éléments n’était nouveau, mais ce fut Christophe Colomb qui sut mieux que personne les assembler pour donner corps au projet de plus grande portée que l’Histoire ait connu, bien que sa réalisation fût bien différente de son rêve.

Si la compréhension de la portée du projet de découverte de Christophe Colomb passe par une confrontation systématique avec les projets et les entreprises de découverte du bas Moyen Âge, je crois qu’il convient aussi de faire appel à une comparaison systématique dans le domaine religieux.

Mon propos consiste à situer Christophe Colomb dans le cadre d’une typo-

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logie de la religiosité de l’époque, profondément marquée par l’influence des ordres mendiants, particulièrement des franciscains ; par la dévotion mariale ; par la problématique parfois surprenante des relations entre pau- vreté, richesse et salut ; par les séquelles du Grand Schisme d’Occident et la décadence morale de la papauté, à laquelle s’ajoute depuis Eugène IV, une tentative de renforcement de l’absolutisme romain, marquée aussi par l’ac- croissement du rôle des laïcs dans l’Église, depuis les monarques jusqu’aux humbles tertiaires ; par la psychose obsidionale de la puissance turco-musul- mane ; par la permanence des rêves asiatiques, en dépit de la cessation des contacts avec l’Orient lointain, à partir de la seconde moitié du XIVe siècle ; et enfin, marquée par les courants messianiques et millénaristes.

Une connaissance approfondie des manifestations religieuses de l’épo- que – traités théologiques, livres de prières, pratiques religieuses, iconogra- phie – permet de comprendre les contradictions apparentes de la religiosité et de l’éthique du Découvreur. Faute de quoi il n’est que trop facile depuis notre XXe siècle de taxer Colomb d’hypocrisie, exactement de la même manière qu’il est aisé de le traiter d’illuminé ou de faussaire quand on envi- sage ses projets de découverte, si l’on n’évalue pas comme il se doit l’atmos- phère qui régnait à l’époque1.

Si faire comparaître Christophe Colomb devant un tribunal d’éthique du XXe siècle ressortit à un anachronisme grossier, il est une tentation anachro- nique plus subtile concernant l’estimation de sa religiosité : c’est de porter un jugement de valeur à partir des interrogations postérieures de l’époque de la Réforme et de la Contre-Réforme.

C’est une évidence sur laquelle il convient d’insister fortement, à la suite d’historiens tels que Febvre, Delumeau, Rapp et Bataillon : les problèmes d’orthodoxie, de critique de la hiérarchie ecclésiastique, du rôle des laïcs, du monarque providentiel, ne pouvaient se poser à la fin du XVe siècle comme ils devaient se poser au milieu du XVIe siècle, après la rupture définitive entre Rome et les dissidences protestantes. La critique par Savonarole de la Babylone romaine, les croyances nationales et religieuses du rôle mes- sianique de Charles VIII de France ou de Ferdinand le Catholique, le thème colombien du laïc providentiel – incarné par les Rois Catholiques et le Découvreur lui-même – son intérêt de « laïc nullement docte en let- tres »2, pour l’interprétation des Saintes Ecritures, doivent être étudiés en eux-mêmes et dans le cadre de la conjoncture de l’époque, non dans une perspective téléologique, en fonction des développements ultérieurs de la Réforme et de la Contre-Réforme.

Une autre règle que je suivrai pour essayer de comprendre la religiosité de Christophe Colomb et des cercles espagnols avec lesquels il se trouva en contact, sera d’avoir recours à des comparaisons fréquentes avec l’his- toire d’autres pays européens. Cela me semble nécessaire pour contribuer à la critique du schéma monté par Américo Castro, d’une Espagne radicale-

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INTRODUCTION 13

ment différente du reste de l’Europe occidentale par l’influence des Maures, des juifs et des conversos. Comme nous le verrons, le messianisme hispani- que, loin d’avoir des relations privilégiées avec l’héritage juif, ne fut qu’une variante, toutefois puissante et relativement tardive, du messianisme euro- péen. Pour ce qui est de Colomb, nous verrons, grâce à cette étude du mes- sianisme hispanique situé à l’intérieur des courants messianiques européens, que les traits politico-religieux attribués par Salvador de Madariaga à la pré- tendue origine juive de Christophe Colomb, peuvent se trouver de manière quasi identique chez d’autres visionnaires européens ou espagnols qui n’ont rien à voir avec le judaïsme.

Sources privilégiées d’une étude sur la religiosité de Christophe Colomb doivent être les livres de prières et autres ouvrages pieux de l’époque.

Mais ici nous butons sur une difficulté. Que savons-nous des lectures de Christophe Colomb ? Par les exemplaires conservés à la Bibliothèque Colombine, et annotés de sa propre main, nous savons qu’il lut très atten- tivement l’Historia rerum ubique gestarum du pape humaniste Pie II, l’Imago Mundi, le Tractatus de legibus et sectis et autres traités du Cardinal Pierre d’Ailly, une édition latine des voyages de Marco Polo, une édition italienne de la Naturalis historia de Pline, les Vies parallèles de Plutarque et une édi- tion de l478 de la Géographie de Ptolémée3. En dehors de ceci, il possédait un Albert le Grand, un manuscrit des tragédies de Sénèque, notamment de la Médée dont il tira un des joyaux de son Livre des Prophéties4 et deux livres qui ont disparu : l’Almanach perpétuel d’Abraham Zacuto et une édition des récits fabuleux des voyages asiatiques de l’Anglais Jean de Mandeville5. Nous savons également qu’il avait lu les Commentaires de Jules César. Dans une phrase digne d’un discours humaniste sur les armes et les lettres, Colomb exprime son désir de se rendre auprès du pape avec « un écrit en la forme de commentaire à la façon de César »6.

Jusqu’ici ce sont toutes des lectures profanes, bien que dans des œuvres comme celles de Pie II et de d’Ailly se compénètrent histoire, cosmographie, cosmologie et théologie. Mais il est certain que Colomb avait une connais- sance approfondie de la Bible, d’après ce que l’on peut constater dans les citations de différents livres des deux testaments qui apparaissent dans son Livre des Prophéties. Il est probable que pour cette fameuse compilation desti- née à recueillir les paroles et prophéties sur « le recouvrement de Jérusalem, l’invention et la conversion des îles de l’Inde et de tous les gens et nations »7, il a utilisé une concordance biblique et a dû se faire aider par son fidèle con- fident et « père spirituel », le chartreux Gaspar Gorricio. Mais il n’avait nul besoin d’aide pour écrire des lettres aussi riches de culture biblique que la Lettre à la nourrice du prince Don Juan, de fin l500, ou la Relation du Quatrième Voyage. De tels documents montrent la profonde connaissance des deux Testaments qu’avait notre pieux laïc. Nous sommes sûrs aussi qu’il avait coutume de prier en lisant des livres d’heures. Ces derniers devaient lui

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remettre en mémoire des passages des psaumes, du Livre de Job ou d’autres livres bibliques dont se nourrissait de plus en plus sa prose. Mais quels livres de théologie ou de dévotion pouvait-il avoir lus ? Ce serait une erreur que de s’étonner de l’abondance d’autorités en matière de théologie aux- quelles il fait référence dans le Livre des Prophéties. Citons, en suivant l’ordre dans lequel ils apparaissent dans ce document : saint Thomas d’Aquin, Jean Gerson, saint Augustin, saint Isidore de Séville, Nicolas de Lyre, l’abbé cala- brais Joachim de Fiore, Alfonso de Madrigal, (El Tostado), le cardinal d’Ailly, saint Grégoire le Grand, saint Jean Chrysostome9. Évidemment une partie de ces sources proviennent des citations que Pierre d’Ailly et Pie II faisaient dans leurs œuvres lues par Colomb, d’autres, par le truchement du Père Gorricio. Mais, que pouvons-nous affirmer d’autres lectures éventuelles de Christophe Colomb ? Du Triomphe de Marie (Saragosse, l495 ou du Livre de l’Antéchrist (Saragosse, l496 et Burgos, l497 de Martín Martínez Ampiés, des Fioretti de saint François (Séville, l492), de la Vita Christi de Francesc Eiximenis (Grenade, l496 ou celle de Ludolphe de Saxe, traduite en cata- lan par Joan Roiç de Corella (Valence, l495-l500), du Liber Conceptione Beatae Virginis Mariae de Raymond Lulle (Séville 1491 et de l’Officium Beatae Mariae Virginis secundum usum Ecclesiae Romae (Saragosse, l497), pour nous en tenir à des œuvres très représentatives de la dévotion à l’époque de la Découverte, imprimées en Espagne10. Nous ferons appel à ces œuvres et à d’autres, pour pénétrer plus profondément dans l’étude de la religiosité de Colomb, bien que nous n’ayons pas la certitude qu’il les ait connues. Mais en matière de culture religieuse et de dévotion, à la fin du Moyen Âge, il faut tenir compte de l’influence prépondérante des prédicateurs des ordres mendiants. Leur parole suffisait à populariser le culte de l’Immaculée Conception, ou la reli- giosité familière et quelque peu maniérée de la Vita Christi de Ludolphe le Chartreux ou des vérités théologiques de plus grande abstraction intel- lectuelle sur la Trinité et la grâce. La culture religieuse d’une Jeanne d’Arc, pauvre jeune fille inculte, ne peut se comprendre que si l’on n’a présent à l’esprit ce rôle de diffuseurs populaires de la théologie la plus abstraite que furent les Mendiants et tout particulièrement les franciscains11.

* * *

Je ferai fréquemment référence, tout au long de ce travail, aux œuvres d’un contemporain de Colomb, Martín Martínez de Ampiés12. Étant donné qu’Ampiés est peu connu, il me semble opportun de tracer le portrait de ce personnage, portrait qui d’ailleurs servira d’échantillon anticipé du climat spirituel de l’époque.

Martín Martínez de Ampiés (ou Dampiés) était « gentilhomme, natif de la ville de Sos », comme il appert du prologue d’un des livres qu’il tradui- sit13. Dans un des commentaires qui interrompt sa traduction du Voyage en

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INTRODUCTION 15

Terre Sainte, de Breidenbach, il dit clairement son orgueil d’être né dans une ville au riche passé très ancien et qui fut le berceau du Roi Catholique14. Le Dictionnaire de Latassa précise que Martín Martínez Dampiés (ou de Ampiez, Ampiés ou Ampredes) naquit effectivement à Sos, où « exista sa maison, gen-

tilhommière d’ancienne noblesse », « avant le milieu du XVe siècle » et qu’il fut élevé à Sádaba. Comme il appartenait à l’aristocratie aragonaise, son nom figure sur la liste des députés du royaume d’Aragon, l’an l480. Mais, d’après le généalogiste García Carraffa, ce fut un certain Pedro Martínez de Ampiedes qui assista aux Etats Généraux d’Aragon de 1495l5. Je suppose que ce Pedro devait être parent de notre Martín.

Les goûts aristocratiques de Martín Martínez de Ampiés sont patents dans son éloge du cheval qui apparaît dans le prologue de sa traduction du Livre de l’Art Vérérinaire du catalan Manuel Dieç :

Les chevaux permettent de faire des conquêtes, et de protéger les roy- aumes et les terres contre les tyrans. C’est ainsi qu’Alexandre, qui était grand cavalier, put conquérir la Monarchie de la Terre [...] C’est pour- quoi, ayant reçu un livre traitant d’art vétérinaire, écrit par le noble che- valier Mossén Manuel Diaz, je jugeai bon de le traduire de la langue catalane en celle de notre Espagne... 16

Cet aristocrate, orgueilleux d’être aragonais, connaisseur de la culture catalane, se montrait aussi orgueilleux d’être espagnol, d’être le sujet du « roi don Fernando, puissant seigneur des Espagnes ». Du point de vue lexical, cet emploi qu’il fait sien de « notre Espagne », « les Espagnes », « nos Espagnes », est particulièrement significatif. Ce faisant, il rejoint de nombreux intellec- tuels au service de la propagande des Rois Catholiques17. Il exalte ce pays qui n’avait jamais dépendu de l’Empire, ce qui devient une version espa- gnole de l’adage des légistes français : « Rex est imperator in regno suo » ; il exalte ce pays qui avait repoussé les Maures sans avoir besoin de l’aide de la Chrétienté, selon ses affirmations dans lesquelles il renouvelle la péremp- toire affirmation de Rodrigo Jiménez de Rada, le fameux archevêque tolédan, protagoniste de la bataille de Las Navas de Tolosa : « Soli Hispani »18. C’est ainsi qu’il répond, dans un commentaire ajouté à sa traduction du Voyage en Terre Sainte, à l’Allemand Breidenbach, qui déplorait la perte de l’idée de croisade et la discorde qui régnait entre les princes chrétiens :

Lorsque quelqu’un, dans ses œuvres, veut faire de semblables remon- trances qui sont adressées à plusieurs, il doit donner des louanges à qui, par droit, il ne peut les enlever. Je le dis pour notre Espagne, car si la Terre Sainte a subi de nombreuses tribulations pour la foi du Christ et les rois qui s’y sont rendus, ont gagné de la gloire, on ne peut repro- cher à nos anciens princes de l’avoir perdue, car, sans le secours des susdites générations ils ont reconquis leurs terres après les avoir per-

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16 Alain Milhou

dues et qu’elles furent passées aux mains des Maures infidèles et des païens [...] Les deux Espagnes (qui répondent aujourd’hui au nom de Castille et Aragon furent séparées du royaume romain, ou de l’empire des Césars, et possédées par le très haut lignage et noble génération royale des Goths, dont l’empire dura avec grand renom jusqu’aux jours du roi don Rodrigue, et fut tellement étendu qu’il domina de mer à mer ; et même au-delà, sur de nombreuses cités, villes et terres au cœur même des royaumes maures d’Afrique ; et de l’autre côté, au-delà des montagnes de nos Pyrénées la terre du Languedoc leur appartint […]

Que les autres rois et peuples chrétiens les aient secourus, je ne me souviens pas l’avoir lu, ou alors très peu et ils ne firent presque rien en leur faveur. D’après les histoires, je pourrais porter des preuves en leur grande défaveur et de nombreux historiens savent comment don Pedro, roi d’Aragon, fils du roi don Jaime de bonne et digne mémoire, qui reconquit Valence aux dépens des Maures, passa en Berbérie avec une grande flotte,et là il livra des batailles et des combats contre les infidèles, et de là il manda une ambassade demandant le secours de la croisade, ou des indulgences au Saint Père ou Pape Martin, d’origine française, et à cause de mauvais conseillers il ne l’accorda point contre les Maures [...]. Cependant, très peu de temps après, il l’accorda contre lui, au roi de France, et ils s’en vinrent lui causer de grands dommages en Catalogne, et Dieu, qui dans les pires dangers n’oublie jamais les siens, donna de telles forces à ce roi catholique si chrétien qu’il fut vain- queur, au grand détriment, dommage et déshonneur des Français et de leurs protecteurs19. J’arrête ici de parler des rois d’Aragon, car si nous passons à ceux de Castille, nous trouverons bien des actes fort dignes et qui ont laissé de grands souvenirs, qu’ils ont exécutés con- tre les infidèles [...]. Quand le grand roi du Maroc envoya un défi aux rois d’Espagne, seuls le roi don Alphonse de Castille, le Grand, le roi d’Aragon et le roi de Navarre se trouvèrent réunis et la bataille eut lieu au col de Muradal20 [...]. Jamais secours de la Chrétienté ne leur vint ici, bien que les Maures, aussi bien d’Asie que d’Afrique ne cessassent de piller leurs terres. On pourra bien trouver que les Espagnes vinrent au secours d’autres nations, cependant, elles ne furent secourues d’aucune.

Parlons de notre roi don Fernando, seigneur puissant des Espagnes [...]

Ce roi juste, très chrétien, après avoir donné paix et repos à toutes les Espagnes, ne disons pas à ses vassaux, puisqu’il est manifeste auprès de toutes les personnes de notre temps que sa royale et illustre personne conquit la terre de Grenade au prix de grands et nombreux périls [...].

Et doña Isabel, son épouse, reine et maîtresse plus que femme, dépassa le courage des Romaines et des Grecques du passé, sa personne royale se comportant dans les guerres non point avec piété et courage féminin, mais avec la dignité requise par sa haute naissance [...]. Donc puisque les souverains d’Espagne exécutent des prouesses si grandes, il ne sied point de les passer sous silence et qu’elles soient ignorées quand il s’agit de reproches à tous adressés. Et puisque le Doyen [Breidenbach]

admoneste les rois de la Chrétienté pour qu’ils retournent leurs lances

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INTRODUCTION 17 contre les Infidèles, ne pourrait-il pas proclamer qu’on laisse notre roi don Fernando poursuivre son entreprise qui lui tient à cœur contre cette perfide engeance ; car, selon les forces de son pouvoir et l’attachement à la religion et à la foi chrétienne, il peut réaliser chez les Africains, en quelques jours, des exploits tels qu’on les attribuerait davantage à puis- sance divine qu’à sa-voir ou forces des mortels21.

Ce texte est admirable pour comprendre une des raisons du messianisme espagnol de l’époque des Rois Catholiques et du XVIe siècle, à savoir la frus- tration éprouvée par des Espagnols cultivés parce que l’Espagne n’avait pu, étant donné l’histoire interne de la Reconquête, suivre le modèle de la France, la sœur ennemie, dont la primauté dans la Chrétienté s’était concrétisée par la croisade de Jérusalem. De cette frustration peuvent découler deux attitu- des : soit, chez un homme comme Ampiés, la revendication d’une histoire différente, indépendante par rapport au reste de l’Europe, une histoire per- çue comme une récupération de l’héritage wisigoth, avec sa projection vers l’Afrique du Nord ; soit, dans la trajectoire de la politique méditerranéenne catalane, inaugurée par Jacques le Conquérant, l’adoption du modèle impé- rialiste français ou germanique, ayant comme but idéal, suprême justifica- tion de l’impérialisme, la reconquête de la Terre Sainte avec l’obtention de la couronne de Jérusalem et la « Monarchie du monde ».

En tout état de cause, dans les deux attitudes, apparaît la rancœur envers la France, considérée comme usurpatrice du titre de « fille aînée de l’Église », tandis que les Espagnols deviennent le nouveau peuple élu : « Dieu, qui jamais n’oublie les siens », comme disait Ampiés.

Fidèle vassal de Ferdinand le Catholique, Ampiés terminait la rédaction de sa version du Livre de l’Antéchrist en l493 tandis qu’il participait aux opé- rations militaires de la reprise de Perpignan22. Il continua à prêter ses servi- ces au royaume et au roi. Dans l’encyclopédie de Carraffa, il apparaît qu’ en l502, un Martín de Ampiedes (serait-ce le même ? était présent en tant que gentilhomme au serment de la princesse doña Juana et figurait aux Cortès qui eurent lieu à Monzón, au milieu de l’année l5l0 (il avait déjà été figuré sur la liste des députés de l’Aragon en l480 et un certain Pedro Martínez de Ampiedes, sans doute un de ses parents, avait participé aux Cortès de l495)23. En l5ll-l2, don Fernando envoya à Londres un Martín de Ampiés, chargé d’une délicate mission diplomatique auprès d’Henry VIII. Ce der- nier renseignement a été tiré de l’étude consacrée par Demetrio Ramos au

« facteur », Juan de Ampiés (ou Martínez de Ampiés), un des fonctionnai- res coloniaux des plus remarquables de l’équipe fernandine, fondateur de la cité vénézuélienne de Coro et probablement le fils de notre Martín Martínez de Ampiés24. Nous serions, de ce fait, en présence d’une dynastie de nobles aragonais – Martín, Pedro et Juan -, fidèles serviteurs du premier monarque

« des Espagnes » unifiées.

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18 Alain Milhou

Le Dictionnaire de Latassa nous donne encore d’autres renseignements sur Martín. Il mentionne une lettre, de sa main, datée de Sangüesa, du 6 décembre 1512, où il rend compte au roi de sa participation à l’expédition de Navarre et demande l’autorisation de se rendre à la Cour ; ce dictionnaire signale également qu’il fut témoin, l’an 1513, à une sentence arbitrale que rendit le souverain ; il indique enfin qu’il mourut à Uncastillo, sans que l’on sache la date de son décès, et il ajoute que le chroniqueur Lucio Marineo Sículo loua ses mérites littéraires et militaires.

Martín Martínez de Ampiés était, en effet, le prototype de l’aristocrate de la Renaissance, qui faisait fraterniser les armes et les lettres. Significatif est à cet égard son prologue à la traduction du Voyage en Terre Sainte, déjà cité, adressé au vice-roi de Catalogne.

Par conséquent, comme je considère que notre vie ne doit pas s’écouler dans le silence, aussi bien dans les guerres quand c’est leur temps, qu’en période de paix où le loisir domine, j’ai choisi comme délasse- ment de traduire un livre écrit en latin, dans la langue vulgaire ; ce livre s’intitule Voyage en Terre Sainte25.

Significatif aussi son magnifique éloge de l’imprimerie – mais, est-il de lui, ou de l’éditeur Pablo Hurus ? – qui apparaît dans le colophon de sa tra- duction du Livre de l’Art Vétérinaire.

Que jouissent les lecteurs de notre époque et ceux des temps à venir de ce bien si grand qu’est l’art de l’imprimerie, car il semble une merveille par Dieu révélée pour que les aveugles de l’ignorance soient éclairés, car nombreux étaient ceux qui auparavant marchaient hésitants dans les ténèbres par manque de livres, non instruits en la doctrine des com- portements vertueux et mal enseignés en la très sainte Ecriture sacrée, laquelle, bien connue,se révèle aussi bénéfique que nécessaire.Ils peu- vent maintenant, sans grande difficulté, et à peu de frais, en bénéficier autant que l’esprit de chacun peut en prendre26.

Ampiés faisait partie de l’équipe d’humanistes aragonais que le fameux éditeur Pablo Hurus, Allemand de Constance établi à Saragosse, sut réunir autour de lui pour publier des traductions ornées de gravures d’une qualité exceptionnelle. Ampiés publia chez Pablo Hurus, en l495, sa traduction du Livre de l’Art Vétérinaire du Catalan Manuel Dieç ou Diaz ; en l496 sa ver- sion du Livre de l’Antéchrist, suivie d’autres traités, et en l498 sa traduction du Voyage en Terre Sainte de l’Allemand Bernard de Breidenbach. Ce dernier livre était accompagné de nombreux commentaires – nous en avons déjà noté un, particulièrement intéressant – d’Ampiés, qui fit précéder l’œuvre d’un Traité de Rome de sa propre mouture. Ainsi, Martín de Ampiés ne se

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INTRODUCTION 19

contentait pas d’être traducteur. Il publia encore deux autres œuvres origi- nales : un Triomphe de Marie (chez Pablo Hurus, l495 et un « carmen elegia- cum », qui figure dans l’édition des œuvres de Sedulio, publiées également à Saragosse, en l50027.

Comme de nombreux esprits de la fin du XVe siècle, humanistes ou non, Ampiés se montre particulièrement préoccupé d’eschatologie ; ce qui n’est

pas étonnant si l’on considère que les grandes terreurs médiévales connais- sent, autour de l’an l500, surtout à cause de la terreur obsidionale des Turcs, un extraordinaire regain.28 L’exaltation de la grandeur de l’Espagne s’allie chez Ampiés à un profond pessimisme face à l’avenir de la Chrétienté.

Rédigeant le prologue de son Livre de l’Antéchrist au moment de la guerre de Perpignan, il voit dans les guerres fratricides européennes le signe de l’avènement de la fin du monde :

L’Antéchrist sera ordonné en XXXV parties ou chapitres qui seront moralisés, pour le profit et le bien des âmes, et que personne n’aille s’étonner si pendant la guerre on traite de ce sujet, car l’époque donne la matière, puisque selon le Christ dans ses Évangiles, quand les royaumes se dresseront contre les Royaumes et les gens contre les gens, ce sera le signe qu’il va venir et ne point tarder et cela est le secret de sa divine sagesse. Après la venue de l’ennemi nommé plus haut, la fin du monde viendra par le feu29.

Ce Livre de l’Antéchrist, publié à Saragosse en l496, devait obtenir un cer- tain succès, puisqu’il fut réédité l’année suivante avec les mêmes xylogra- phies, à Burgos. Ce n’est qu’une version espagnole d’un thème qui a une lointaine origine médiévale. Le Libellus de Antichristo, d’Adson, de la fin du Xe siècle ne faisait que systématiser une tradition qui remontait à saint Irénée,

à la fin du deuxième siècle30. Le thème connut un regain d’intérêt à travers toute l’Europe, à la fin du XVe siècle et au début du XVIe siècle31. La version d’Ampiés, bien que peu originale, acquiert une signification particulièrement intéressante si l’on tient compte de la conjoncture à l’époque de sa publica- tion : expulsion des judéo-espagnols, crainte du péril turc, découvertes des Portugais et de Colomb. Au cours des temps eschatologiques proches va s’engager un combat planétaire entre le christianisme et l’Antéchrist aidé par le judaïsme et l’Islam, les deux « sectes de perdition » du prologue du Journal de bord de Colomb32, avec un grand point d’interrogation : l’attitude des peu- ples inconnus d’Asie et d’Afrique.

Les juifs obstinés, pensant que l’Antéchrist sera leur Dieu,restaureront le temple de Jérusalem. Ce méchant ennemi de la foi affirmera qu’il n’y a point d’autre Christ que lui et il dira être le Messie attendu de la loi [...] La science de ce monde est folie devant Dieu : comment sera celle des juifs qui sont déjà honnis de tout le monde et qui sont chassés de royaume en royaume ?. Ils penseront avoir enfin trouvé une demeure

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20 Alain Milhou

pour longtemps quand ils auront seulement enfermé leurs âmes dans un château maudit, et ce, en un bref espace de temps.

Quand aux musulmans, tous suivront aussi l’Antéchrist.

Il ne sera nullement étonnant qu’en ces temps-là il y ait des Maures en Afrique qui soient disciples de l’Antéchrist ; parce que déjà leur secte mahométane tout entière se vautre et s’égare dans des plaisirs mon- dains et la luxure, car ils peuvent avoir plusieurs femmes. Ils ne sont point reconnaissants au Dieu Tout-puissant du bien qu’il leur donne, et ne donnent ni décimes ni prémices, qui sont des droits dûs par loi ancienne et approuvés par notre Sainte Mère l’Église33.

Les deux passages cités ont une relation directe avec l’affrontement poli- tique et doctrinal entre chrétiens espagnols, juifs et musulmans de l’épo- que. En revanche, les peuples inconnus d’Afrique et d’Asie qui viendront en aide de l’Antéchrist, apparaissent sous les traits traditionnels des légen- des médiévales dont la source se trouve dans le Livre de Daniel (les trois rois d’Egypte, Afrique et Ethiopie ), dans l’Apocalypse (les tribus de Gog et Magog), ou dans l’Antiquité classique ( les Amazones)34.

Bien qu’il exalte la figure du roi Ferdinand dans le Voyage en Terre Sainte, Ampiés ne fait pas allusion, dans son Livre de l’Antéchrist, à la tradition de

l’empereur eschatologique reconquérant de Jérusalem, dont l’hégémonie doit précéder l’avènement de l’Antéchrist. Pareille tradition lui aurait per- mis de se lancer dans une exaltation messianique du Roi Catholique qui apparaît dans d’autres textes de l’époque. L’Antéchrist d’Ampiés ne s’ins- crit pas dans une trajectoire de messianisme ou de millénarisme politico- religieux, mais dans une tradition que l’on pourrait qualifier de sacerdotale, d’appel à la conversion personnelle par l’évocation de terreurs eschatolo- giques. La mort du « Fils de Perdition » sera l’œuvre du pouvoir divin, par l’intermédiaire de saint Michel (voir planche 1) et les contradicteurs de la doctrine de l’Antéchrist seront Elie et Enoch. « Vêtu de tissu de sac, pauvre et grossier »35, Elie apparaît comme une réincarnation, aussi bien du pro- phète de l’Ancien Testament que de Saint Jean-Baptiste et de saint François.

Ampiés ne le dit pas explicitement, mais nous verrons que cette filiation était commune dans les mentalités de ce temps. Martyrisés par ordre du « Fils de Perdition », Elie et Enoch ressusciteront, et après la mort de l’Antéchrist, ils

« réformeront le monde entier et l’on connaîtra un seul Dieu et un seul pas- teur »36.

C’était là le classique « unum ovile et unus pastor », mais aucun milléna- risme ne transparaît dans l’œuvre d’Ampiés : aucune élucubration sur une quelconque Jérusalem terrestre. Ampiés n’est pas un millénariste égaltaire, même pas un millénariste « nationaliste ». Bien que l’on trouve quelques traits de messianisme national dans son éloge de l’Espagne, la figure de Ferdinand comme empereur eschatologique est totalement absente de son

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INTRODUCTION 21

1. L’Antéchrist précipité aux enfers

L’Antéchrist, terrassé par l’archange saint Michel, est précipté aux enfers. Si la gravure est terrifiante, la figure de l’Antéchrist lui-même est humaine. C’est pourquoi il réussit à tromper les hommes, en se faisant passer pour le Messie. La légende de l’Antéchrist, très ancienne, préoccupa profondément les esprits des XVe et XVIe siècles. Cette xylogra- phie illustre les chapitres 43 et 44 de la version du Libro del Anticristo composé par Martín Martínez de Ampiés (éd. de Burgos, 1497, Cliché de la B.N.M.)

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22 Alain Milhou

œuvre. Mieux encore, si la fin du monde lui apparaît comme imminente, il s’en tient à l’orthodoxie la plus irréprochable, sans tomber dans les élucubra- tions si fréquentes à cette époque, spécialement chez les humanistes italiens et allemands, sur la fixation d’une date précise pour les derniers jours du monde. Il n’y a pas non plus semblable recherche suspecte ni millénarisme dans les deux traités publiés à la suite de l’Antéchrist, traités représentatifs, comme le premier, de ce courant caractéristique aussi bien de la première Renaissance que du bas Moyen Âge, d’appel à la conversion par l’évocation des bouleversements religieux et cosmologiques qui doivent accompagner la fin du monde. Il s’agit du Livre du Jugement dernier avec les quinze signes qui doivent apparaître avant le jour du jugement, illustré, comme le Livre de l’Antéchrist, de xylographies terrifiantes qui présentent le plus grand intérêt pour comprendre la perception qu’eut Colomb des non moins terrifiantes tempêtes qu’il dut essuyer au cours de son quatrième voyage (voir pl. 9 à 11).

Vient ensuite, avec la Déclaration du Sermon de San Vicente, l’inévitable réfé- rence au plus fameux des prédicateurs apocalyptiques du bas Moyen Âge, le Valencien Vincent Ferrier, qui eut tant d’influence pendant presque tout le XVIe siècle, comme en témoignent les peintures de Joan de Joanes37.

La traduction en espagnol de la version latine des Epîtres de Rabbi Samuel envoyées à Rabbi Isaac, docteur et maître de la Synagogue, appartient aussi à l’en- semble des traités qui suivent le Livre de l’Antéchrist. Il n’est pas prouvé que cette traduction soit de Martínez de Ampiés ; mais même si elle n’est pas de lui, ce fidèle collaborateur de l’éditeur Pablo Hurus ne pouvait être étranger à la publication de cette œuvre à côté de ses propres traités.

L’Épître de Rabbi Samuel, œuvre d’un juif converti qui condamnait l’aveu- glement de ses ex-coreligionnaires, obtint un énorme succès au début des Temps Modernes, alimentant un antijudaïsme et un antisémitisme qui ne se limitaient pas à l’Espagne des Rois Catholiques38. La Bibliothèque Nationale de Paris ne compte pas moins de treize éditions latines différentes de l’œu- vre, entre l486 et l538 (plus une de l592), trois éditions en allemand (deux de l524, une de l536 et deux en italien (de l477 et de l58l). Quant à l’Espagne des Rois Catholiques, elle connut au moins quatre éditions en langue vulgaire de cet opuscule :

l en l496, chez Pablo Hurus, avec les autres traités d’Ampiés,

2 en l497, à Burgos, chez Fadrique de Bâle, comme réédition des traités publiés l’année précédente par Ampiés et Pablo Hurus,

3 vers l496, probablement chez le même Hurus, une édition séparée, sui- vie de la « lettre qu’envoya Ponce Pilate à l’empereur Tibère César sur la mort du Christ »39,

4 une édition séparée de l5ll, à Valladolid40.

Mais outre ces versions imprimées, circulaient en Espagne avant et après l’installation de l’imprimerie, des exemplaires manuscrits, en latin, en cata- lan et en castillan des Épitres et de la réponse de Rabi Isaac. Au moins, à deux

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INTRODUCTION 23

reprises, et la chose est significative, le texte était inclus dans les compila- tions de textes eschatologiques qui recueillaient l’héritage des franciscains joachimites41. Colomb lui-même, qui dans son Livre des Prophéties, rédigé en l50l-02, reproduit trois chapitres des Épîtres de Rabi Samuel, eut entre ses mains une version manuscrite de l’opuscule et non la version d’Ampiés, étant donné que la traduction qu’il cite diffère de celle qui apparaît dans la miscellanée de ce dernier42. Salvador de Madariaga, pour illustrer la thèse d’un Colomb converso, posait la question suivante à propos de la présence des extraits de l’Epître de Rabi Samuel dans le Livre des Prophéties : « Que fait ici cette lettre ? N’est-ce pas encore un de ces retours aux juifs, que l’on cons- tate souvent chez Colomb ? »43. En réalité, nous venons de voir, par la diffu- sion du traité en Espagne et dans le reste de l’Europe, que l’intérêt porté par les chrétiens du temps à la situation des juifs dans l’histoire du salut, leur désir de chercher dans les écrits hébreux les témoignages, affirmés ou sup- posés, d’exaltation des vérités chrétiennes, tout comme l’association qu’ils établissaient entre conversion des juifs et temps eschatologiques, étaient des traits typiques de la spiritualité de l’époque. Cet intérêt était loin de se limi- ter aux cercles des conversos. Nous avons la confirmation de cette tendance dans le développement de la kabbale chrétienne de la Renaissance44.

L’intérêt porté à Jérusalem, qui se révèle clairement dans le renouveau des pèlerinages en Terre Sainte et dans les désirs de croisade à la fin du XVe siècle, se manifeste dans l’œuvre de traducteur et commentateur d’Ampiés, avec la publication du Voyage en Terre Sainte de Breidenbach, en l498, soit douze ans après la première édition latine (Mayence, l486). Cette publica- tion, particulièrement soignée, avec huit vues panoramiques, dont celle de Jérusalem (voir pl. 6) et rien moins que quatre-vingts gravures qui repré- sentent des groupes de personnes, des édifices, des animaux plus ou moins fabuleux, des alphabets, des scènes de l’Évangile, est un des chefs-d’œuvre de l’époque des incunables. C’est la première en Espagne d’une longue série d’éditions de récits de pèlerins qui visitèrent la Terre Sainte, livres qui furent très souvent réédités et diffusés au cours du XVIe siècle. Dévot de Jérusalem, mais dévot aussi du Saint-Siège de Rome, Martínez de Ampiés faisait précé- der sa traduction commentée d’un Traité de Rome en hommage à l’ancienne

« maîtresse du monde », aujourd’hui « tête » de la Chrétienté. C’est ainsi qu’il expliquait au Vice-Roi de Catalogne la raison de ce préambule :

Les pèlerins, illustre et très noble seigneur, qui décident de se rendre au Saint-Sépulcre du Christ, sont forcés d’aller à Rome pour y pren- dre l’autorisation du Saint Père [...]. S’ils ne le font pas, ils encourent une peine d’excommunication. C’est là une démarche obligatoire et fort raisonnable, que toutes les actions dans le domaine divin ou hu- main, prennent leur commencement et leur fondement à leur source.

Or, comme Jésus, notre Rédempteur, a choisi d’avoir son vicaire en la souveraine et insigne ville de Rome, comme dispensateur de ses tré-

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