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L’esprit missionnaire

Dans le document Colomb et le messianisme hispanique (Page 136-158)

Sur le terrain missionnaire Christophe Colomb est aussi un héritier des préoccupations des franciscains du Moyen Âge. L’intérêt porté par saint François à la conversion de ces musulmans que l’on n’avait jusque là com-battu que par les armes, est bien connu. Ses fils spirituels furent ceux qui s’illustrèrent le plus dans les missions asiatiques, dont l’apogée pourrait se situer en l308, année de la nomination de Frère Jean de Montecorvino comme archevêque de Khanbalik (Pékin). Il résidait déjà dans la capitale des Mon-gols, avec quelques compagnons franciscains, depuis l292. Au XVe siècle, ce furent aussi les Frères Mineurs, andalous particulièrement, qui commencè-rent l’évangélisation des Canaries et de l’Afrique noire. Or nous avons vu l’importance du rôle des religieux de la Rábida dans l’éveil de la conscience missionnaire du Découvreur.

§ – l : Missionnaires franciscains et marchands aventuriers

Marin, marchand, attaché aux franciscains, Colomb entre dans une typo-logie d’aventuriers médiévaux – laïcs, tertiaires ou frères convers – attentifs à la propagation de la foi jusqu’aux confins du monde. Marco Polo et ses oncles étaient des laïcs et des marchands, mais ils prirent au sérieux leur tâche d’an-nonciateurs de la Bonne Nouvelle et d’intermédiaires entre les Mongols et la Chrétienté; de même qu’un Lucalongo, compagnon de Montecorvino, ou un Guillaume de Modène, marchand qui fut martyrisé avec des franciscains évangélisateurs de l’Asie centralel. N’oublions pas que le grand Raymond Lulle, le théologien « docteur des missions » était un autodidacte qui ne dé-passa pas le stade de simple tertiaire et qui avait, parmi les multiples facettes de sa personnalité, un tempérament d’aventurier.

Par la suite, au XVe siècle, le courant de ces laïcs, tertiaires ou frères convers préoccupés de mission planétaire, demeura toujours vivace. Ruy González de Clavijo, ambassadeur d’Henri III de Castille auprès de Tamerlan (l403-l405), ne manquait pas de souligner les traces du christianisme survivant en Asie centrale et en Chine, après la rupture progressive des relations avec l’Ex-trême-Orient au XIVe siècle2. Eugène IV, l’un des papes du bas Moyen Âge les plus préoccupés d’unité, de croisade et de mission, prenait très au sérieux le

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rôle de ces laïcs qui pouvaient être des auxiliaires privilégiés pour la diffu-sion de la foi. Il demanda à Bertrand Mignarelli, un marchand siennois qui avait vécu en Syrie à la fin du XIVe siècle et avait été convoqué au Concile de Florence pour servir d’interprète auprès des envoyés coptes et éthiopiens (l441-l442), de rédiger un mémoire sur la croisade, prolongement de l’union avec les Églises orientales qui venait de se réaliser3. A la même époque, en l44l, arrivait à Florence le Vénitien Niccolò Conti, qui s’était converti à l’Islam mais avait à nouveau embrassé la foi chrétienne ; Eugène IV l’invita à lui parler de ses vingt-cinq ans de voyages au Cathay, dans l’Inde et l’Ethiopie, c’est-à-dire les « Trois Indes » de la géographie médiévale. L’entrevue eut une telle résonance que Pie II mentionne le Vénitien dans son Historia rerum ubi-que gestarum, annotée par Colomb. Sans doute aussi est-ce à lui que Toscanelli faisait allusion dans sa correspondance controversée ; c’est à lui aussi que se réfère sûrement Mossén Diego de Valera lorsqu’il parle « de ce que Poggio, secrétaire du pape Eugène, écrivit sur son ordre des choses que de nos jours Nicolas le Vénitien a vues aux Indes »4.

A partir du pontificat d’Eugène IV (l43l-l447), la grande affaire missionnaire de la Chrétienté – les relations avec l’Extrême-Orient étant rompues – furent les contacts avec le Prêtre-Jean, définitivement localisé en Ethiopie à partir du Concile de Florence et l’objet des espoirs de ceux qui mettaient leur confiance en son aide contre les mamelouks d’Egypte et les Turcs. C’est pourquoi les successeurs du pape Eugène, Nicolas V (l447-l455), Calixte III (l455-1458) et Pie II (l458-l464) n’hésitèrent pas à accorder leur confiance au semi-impos-teur Louis de Bologne, champion de l’alliance avec le Prêtre-Jean. Curieuse figure que celle de ce frère convers d’un couvent franciscain de Jérusalem, probablement peu lettré, qui, depuis l454 avait conçu le projet, approuvé par Nicolas V, de partir comme ambassadeur de la Chrétienté auprès des sou-verains chrétiens de l’Inde et de l’Ethiopie. En l456, il obtint de Calixte III des lettres qu’il devait porter, en compagnie de deux religieux éthiopiens, au Prêtre-Jean et au souverain turcoman Uzun-Hassan pour demander leur aide contre la puissance musulmane du Moyen-Orient. Il n’atteignit pas l’Ethiopie et de retour à Rome, il obtint de Pie II en l458, le titre de nonce apostolique en Orient. Après un nouveau voyage en Orient, au cours duquel il n’attei-gnit toujours pas l’Ethiopie. Il s’attribua le titre de « patriarche élu par toutes les nations d’Orient » ; il fit en l460-l46l, en compagnie d’envoyés de princes chrétiens orientaux, une tournée diplomatique auprès de la cour impériale et celle de Bourgogne. Elle éveilla un vif intérêt. Pie II, tout d’abord favorable-ment impressionné, lui concéda le patriarcat d’Antioche, mais ensuite, irrité par ses extravagances, le fit emprisonner. Cela ne l’empêcha pas de continuer à arborer son titre de patriarche, et le duc de Bourgogne, en l473, le chargea d’une ambassade auprès d’Uzun-Hassan5. Le cas de Louis de Bologne est très instructif : il révèle que depuis la coupure des relations avec l’Extrême-Orient et la catastrophe que représenta la prise de Constantinople, des aventuriers pouvaient concevoir des projets politico-missionnaires de niveau planétaire,

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et que, dans la situation d’assiégée où se trouvait la Chrétienté, ses chefs, pa-pes ou souverains, pouvaient leur prêter attention. La figure de Louis de Bolo-gne n’a-t-elle pas quelque ressemblance avec celle de Christophe Colomb ?

Nous pourrions parler aussi de cet aventurier de Vicence, Gian Battista della Volpe, qui réussit à intéresser les papes Paul II (l464-l471) et Sixte IV (1471-1484) au projet de mariage de l’héritière des empereurs de Constanti-nople avec le roi de Moscovie, leur faisant miroiter les avantages d’une al-liance avec les Russes et peut-être avec les Tartares, contre les Turcs6. Nous pourrions aussi parler à nouveau de Jaume Ferrer de Blanes, préoccupé de géographie et de richesses orientales, mais aussi de l’importance symbolique de Jérusalem et de la reprise des contacts avec les régions évangélisées, selon la tradition, par l’apôtre Thomas. Comme nous le verrons bientôt, cet huma-niste aventurier n’hésitait pas à exalter la figure apostolique de Christophe Colomb, l’opposant à celle des cardinaux de la curie romaine, dépourvus d’esprit missionnaire.

§ – 2 : Le rôle missionnaire de l'Église assumé par les laïcs ?

Colomb lui-même, conscient de l’importance de son rôle d’évangélisateur, ne manqua pas de manifester son regret de voir les plus hautes autorités ec-clésiastiques se désintéresser de leurs obligations missionnaires. C’est ce qui transparaît dans le prologue du premier journal. Face à l’exaltation des Rois Catholiques et de son propre personnage, qui apparaissent comme des pro-moteurs de la reprise des contacts avec l’Orient, il présente la papauté comme sourde aux appels du Grand Khan, prétendument favorable au christianis-me :

en suite des informations que j’avais données à vos Altesses des terres de l’Inde et d’un prince appelé Grand Khan – ce qui veut dire en notre langue Roi des Rois – et de ce que, maintes fois, lui et ses prédécesseurs avaient envoyé à Rome y demander des docteurs en notre Sainte Foi afin de s’en instruire, et parce que jamais le Saint Père n’y avait pourvu et qu’ainsi tant de peuples se perdaient tombant en idolâtrie et recevant parmi eux des sectes de perdition, Vos Altesses, comme catholiques chrétiens, Princes fidèles et propagateurs de la Sainte Foi Chrétienne, ennemis de la secte de Mahomet et de toutes les idolâtries et hérésies, pensèrent m’envoyer,moi, Cristóbal Colón [...] .

Ici, le reproche est presque explicite. Il réapparaît implicite dans la Relation du Quatrième Voyage :

Il y a de longs jours que l’empereur de Cathay demanda des savants pour l’instruire en la foi du Christ. Quel est celui qui s’offrira pour s’y rendre ? Si notre Seigneur me ramène en Espagne, je m’engage à l’y con-duire sain et sauf, au nom de Dieu7.

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Mais la critique la plus dure de la carence d’esprit missionnaire de la hiérarchie ecclésiastique apparaît dans une lettre du Découvreur qu’on peut dater de l498 :

elles ne sont point amies ni soucieuses de la réputation du haut état de Vos Altesses, ces personnes qui leur ont dit du mal d’une si noble entreprise; la dépense n’était pas si grande qu’on ne pût l’envisager, même s’il ne pouvait y avoir tout de suite du profit pour la compenser, car il était très grand le service que l’on rendait à Notre Seigneur en divulguant son Saint Nom en terres inconnues [...]. Et pour ce faire, les rentes d’un bon évêché ou archevêché eussent été bien venues, et je dis (il dit) que cela aurait dû être les meilleures rentes d’Espagne où il y en a tant. Mais aucun prélat, qui, bien que sachant qu’il y a ici des peuples en grand nombre, ne s’est décidé à envoyer des personnes instruites et avisées et amies du Christ pour essayer d’en faire des chrétiens ou de donner un commencement à la chose8.

Avant de mesurer la portée de ces critiques formulées par l’amiral, il nous faut situer l’attitude des plus hautes autorités de l’Église, au XVe siècle, face aux problèmes missionnaires. Les missions orientales, avec participation sur le terrain de dominicains et franciscains et le soutien constant de la papauté, n’étaient plus ce qu’elles avaient été dans la deuxième moitié du XIIIe siècle et la première moitié du XIVe. Les principales raisons de ce déclin étaient le petit nombre de missionnaires face à la masse immense des païens , l’affai-blissement démographique de l’Occident chrétien, causé par la peste noire du milieu du XIVe siècle, la chute de l’empire mongol, facteur d’unification de l’Asie et son remplacement, à la tête de la Chine, par la dynastie nationale et xénophobe des Ming (l368), les progrès de l’Islam en Asie Centrale, les destructions occasionnées par la conquête de Tamerlan, à la fin du XIVe siècle, tout comme le repliement sur les problèmes européens qu’entraîna le Grand Schisme d’Occident à la fin du XIVe siècle. Au début du XVe siècle, dans son

Libellus de notitia orbis, l’archevêque Jean III de Sultanieh, en Perse, décrivait des missions asiatiques encore florissantes, mais déplorait l’indifférence du siège apostolique concernant les appels des chrétiens du Cathay et insistait sur les conséquences désastreuses des invasions de Tamerlan9.

Le Grand Schisme une fois terminé, le pape Eugène IV voulut renouer avec l’esprit des missions médiévales, mais en orientant ses efforts vers la réunion des Églises orientales avec Rome et l’établissement des contacts avec l’Ethiopie. De fait, après la promulgation, à Florence, le 6 juillet l439, du décret d’union avec l’Église grecque, nombreuses furent les Églises orien-tales – arménienne, syrienne, chaldéenne, copte et même éthiopienne – qui acceptèrent les principes de l’union de Florence, mais l’unification ne dura que peu d’annéesl0. L’ enthousiasme de l’Église romaine pour ce retour – très éphémère – de la famille orthodoxe et la découverte de la chrétienté du Prê-tre-Jean ne doit pas occulter la rupture définitive avec les noyaux chrétiens

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de l’Inde, de l’Asie centrale et de la Chine. Malgré les nouvelles pleines d’es-poirs propagées par le secrétaire d’Eugène IV, qui les avait glanées auprès de Niccolò Conti, le christianisme avait pratiquement disparu de Chine et les nombreux empereurs Ming n’étaient pas animés de la même tolérance que leurs prédécesseurs mongols.

Cependant, les informations procédant de Nicolas le Vénitien, que Colomb connaissait à travers l’Historia rerum.... de Pie II, la lettre de Toscanelli11, et peut-être aussi à travers la chronique de Diego de Valera, le confirmaient dans la croyance erronée de la permanence de l’attitude bienveillante du Grand Khan. Il l’avait déjà appris en lisant Marco Polo et Jean de Mandeville. Tous ces éléments, vrais et fabuleux, expliquent sa position relativement critique vis-à-vis du rôle de la papauté dans la propagation de la foi.

Il serait injuste de reprocher aux papes du XVe siècle de n’avoir pas répon-du à l’appel des chrétiens répon-du Cathay et répon-du Grand Khan. Jean de Sultanieh se référait déjà à une réalité moribonde et les nouvelles exagérément optimistes de Niccolò Conti ne pouvaient être confirmées que par des pseudo-envoyés des chrétientés orientales, relativement nombreux au cours du siècle12. Ce-pendant il est significatif qu’en matière de mission, les pontifes du XVème siècle perdent l’initiative, hormis Eugène IV. Sur le front du Moyen-Orient et de l’Ethiopie, la figure la plus importante des années 1450-1470 n’est pas le pape, mais le frère convers franciscain Louis de Bologne. En ce qui con-cerne le front occidental de la mission,celui de l’Afrique des Portugais, le Père de Witte arrive à la conclusion qu’« il n’y eut pas de politique religieuse du siège apostolique dans l’histoire de l’expansion portugaise. Le rôle de Rome se limita à intervenir toutes les fois qu’on la sollicitait pour un motif qui lui semblait juste »13. On sait que le cas portugais devait servir de modèle aux souverains espagnols, véritables chefs spirituels, en même temps que tempo-rels des royaumes des Indes. Face à la prise en charge par l’Etat de la politique missionnaire, concrètement par les couronnes de Portugal et de Castille, la pa-pauté ne devait pas recouvrer l’initiative en ce domaine, jusqu’en 1622, avec la création par Grégoire XV de la congrégation De propaganda fide, qui n’affecta d’ailleurs pas les patronages ibériques sur l’Amérique.

Au XVe siècle, dans le domaine missionnaire comme sur d’autres terrains religieux, le rôle des laïcs et de l’Etat moderne croît dans la même mesure que décline celui de la hiérarchie ecclésiastique. C’est à la lumière de ce phéno-mène qu’il faut lire les critiques de Colomb, jointes à l’exaltation de sa propre figure et de celle des Rois Catholiques. Ceux-ci n’hésitaient d’ailleurs pas à donner des leçons de religion au Souverain Pontife, sans atteindre toutefois les outrances du gallicanisme. Certes, les papes de la seconde moitié du XVe

siècle étaient encore préoccupés par le sort de Jérusalem, l’organisation de la croisade, l’union avec les Églises orientales et même par les missions, mais outre que l’initiative leur échappait, leur prestige moral était en baisse à un point tel que la critique, même par les laïcs, des tares de la curie pontificale était devenue un lieu commun.

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Mais en formulant ses critiques, Colomb est loin de faire un procès à l’« or-do saceror-dotum » et à l’institution papale. S’adressant en février 1502 au pape Alexandre VI, celui-là même qui fut la cible des anathèmes prophétiques de Savonarole, Colomb s’exprimait ainsi :

dès mon retour je n’aurai pas de repos jusqu’à ce que je sois venu au-près de Votre Sainteté avec le récit et la description de tout ce qui est grandiose et exaltant pour la gloire et l’accroissement de la sainte foi chrétienne14.

Plutôt que critique de la papauté, Colomb se montre plus papiste que le pape, comme l’observe finement Manuel Alvar, dans son commentaire du prologue du Journal, après avoir souligné la profonde hispanisation du Découvreur :

Avec ou sans intérêt, avec ou sans sincérité – mais qui peut juger la con-science du prochain ? – Colomb réussit à connaître quelque chose qui, à cette époque et pendant longtemps, devait caractériser les Espagnols : être plus papiste que le pape. Cela mérite bien la peine que nous nous arrêtions sur ce fait. La reddition des tours de l’Alhambra ne manque pas d’être un symbole. Les souverains ont fait tomber l’orgueilleuse hérésie et ont réussi ce que plusieurs pontifes n’ont point fait : avoir un zèle évangélique qui dépasse l’humaine contingence15.

En revanche, dans l’épître qu’il adressait au Découvreur le 5 août 1495, c’est-à-dire à la même époque que les philippiques adressées par Savonarole contre la papauté, Jaume Ferrer de Blanes en arrivait à la dévalorisation de l’« ordo sacerdotum », opposant à la curie romaine la figure d’un apôtre laïc dont le rôle messianique devait accélérer la venue de ces temps caractérisés par « un seul troupeau et un seul pasteur » :

[...] très vite, vous serez, par la Grâce Divine, dans le sinus magnus, près duquel le glorieux Thomas laissa son saint corps, et s’accomplira ce que dit la vérité suprême, que le monde entier devra être sous l’autorité d’un seul pasteur et d’une seule loi; ce qui serait certainement impos-sible si, en ces contrées, les peuples dépourvus de vêtements et encore plus dépourvus de doctrine n’étaient pas informés de notre Sainte Foi ; et il est certain qu’en ceci que je vais dire je ne pense pas me tromper; car la fonction que vous occupez, messire, vous donne titre d’apôtre et ambassadeur de Dieu, envoyé par son jugement divin afin de faire connaître son Saint Nom en des contrées où la Vérité est inconnue. Il ne serait pas éloigné de raison ni du précepte divin qu’un Apôtre ou Cardinal de Rome prenne part à vos glorieux travaux en ces contrées ; mais la lourdeur et le poids de leurs grands manteaux et la douceur de leur vie délicate leur ôte l’envie de suivre un tel chemin. Une chose est très certaine : c’est que pour cette même cause et pour la même fonction le prince de la milice apostolique vint à Rome avec le vase

COLOMBETLEMESSIANISMEHISPANIQUE 141 d’élection, pieds nus, la tunique déchirée, maigre et ne se nourrissant bien souvent que d’un pain de mauvaise saveur16.

Si la critique de Colomb restait dans le cadre de l’orthodoxie, celle de Fer-rer, associée à l’exaltation du laïc providentiel, peut nous paraître quelque peu suspecte. Mais gare à ne pas mesurer l’orthodoxie d’un chrétien d’avant le Concile de Trente en termes de cléricalisme. A une époque où le schisme protestant et la réaction catholique ne polarisaient pas encore les oppositions, le fait de présenter un laïc comme modèle en matière religieuse était avant tout un signe du malaise de la Chrétienté face aux tares de sa haute hiérarchie. De manière plus générale, la religion des laïcs pieux du XVe siècle, profondé-ment cléricale dans la mesure où elle était un succédané de la spiritualité des ordres religieux, ne l’était pas par d’autres aspects. La critique de l’indignité du clergé et même de la papauté était un lieu commun. Les découvreurs et les conquistadors pouvaient se passer de chapelains comme les Polo dans leurs voyages asiatiques, les expéditions maritimes portugaises ou celle de Colomb à son premier voyage17. Cette absence de chapelain obligeait les membres de l’expédition à assumer seuls, avec foi et sérieux, des pratiques normalement

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