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Les dévotions de Colomb et le mystère des sigles de sa signature

Dans le document Colomb et le messianisme hispanique (Page 54-88)

Grâce à Las Casas nous savons que Colomb était « extrêmement dévot du séraphique père saint François ». Mais, curieusement, cette dévotion ne se traduit par aucune attribution du nom du saint d’Assise à une terre nouvelle. Pourtant Colomb accordait une importance particulière à l’imposition de noms nouveaux, choisis d’après un véritable sens religieux et théologique1. En revanche, un saint apparaît au premier plan, et c’est saint Jean-Baptiste. Non seulement il baptise de ce nom l’île de Boriquen : île de saint Jean-Baptiste – aujourd’hui Porto Rico – mais il dédie au Précurseur, dans le Livre des Prophéties, un poème intitulé « Les Joies de saint Jean-Baptiste »2. Le thème est intéressant étant donné qu’il est lié au culte de Marie, dont les « joies » étaient habituellement chantées par les poètes. La dévotion de l’époque, attirée par les aspects sensibles de la religion, accordait une grande importance à la méditation des scènes, parfois imaginées à partir d’une faible base biblique, correspondant à la vie de la Vierge et de sa parenté, et à l’enfance du Christ. Ainsi dans ces deux vers du poète Colomb :

Et toi Vierge qui étais présente à la naissance d’un tel neveu,

le Découvreur s’inscrit dans une tradition très ancienne, popularisée par le dominicain Jacques de Voragine dans sa Légende dorée, qui apparaît, par exemple dans la Vita Christi du frère mineur valencien Eiximenis, écrite peu avant l404 et publiée, en adaptation castillane, en l4963.

§ – l : Dévotion à Saint François et à Saint Jean-Baptiste

Mais les dévots de la fin du XVe siècle ne se contentaient pas de méditer sur Jean-Baptiste enfant; ils accordaient au Précurseur une place très importante dans le mystère du Salut, en relation étroite avec la Vierge, le Christ, et la Trinité, ce qui me mène à penser que l’Y des sigles mystérieux de la signature de Colomb pourrait bien être l’initiale de Yoannes.

Prenant à la lettre la parole du Christ « parmi tous les enfants des femmes, il n’en est pas de plus grand que Jean (Lc, VII, 28) », un poète du Cancionero de Palacio écrivait :

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Parmi tous les hommes Toi, Saint Jean, tu es né tel Qu’aucun ne peut t’égaler [...] Lors de ta Sainte naissance un ange te donna ton nom. Ton renom fut si grand qu’il te fit l’égal

de la nature des anges [...] messager principal de la cour céleste4.

Mais la dévotion hyperbolique allait beaucoup plus loin. Se fondant sur une vieille tradition byzantine, illustrée tout particulièrement par saint Jean Chrysostome5, Francesc Eiximenis, dans sa Vita Christi, le mettait presque au rang de l’Immaculée :

Le huitième [ privilège de Saint Jean est ] que dans le sein de sa mère il fut lavé du péché originel, ce qui fut fait, selon les dires de certains docteurs, quand il fut sanctifié par la présence du Sauveur qui se trou-vait dans le sein sacré de la Glorieuse [ mère ] quand elle rendit visite à Elisabeth6.

Ce thème semble avoir connu une certaine fortune puisque nous le retrouvons dans un sermon, édité en 1599, d’ Alonso de la Cruz, franciscain comme Eiximenis7. Mais la ressemblance du Baptiste avec Marie n’était pas suffisante. Il fallait qu’il ressemblât à son cousin, le Christ. Dans la même

Vita Christi d’Eiximenis, nous lisons ce passage très révélateur du goût du bas Moyen Âge – ce sera aussi un goût de la Renaissance – pour le symbolisme religieux des lettres. Cela nous aide à comprendre cet esprit qui poussa Colomb à résumer sa religiosité en des sigles mystérieux :

Le troisième privilège de saint Jean est que son nom lui fut donné par Dieu, ainsi qu’il paraît dans le premier chapitre de saint Luc, lequel nom commence par Y et finit en S, tout comme le nom de Ihesus, c’est pourquoi nous comprenons que saint Jean serait semblable à Ihesus Xpus à son entrée dans le monde, comme il paraît dans de nombreuses choses qui de lui sont dites semblables à Ihesus Xpus ; et il devait lui être ressemblant vu sa fin, puisqu’il devait être martyr ...8

Presque semblable à Marie et au Christ, Jean-Baptiste apparaît aussi rattaché à la Trinité. Dans le sermon déjà cité, Fray Alonso de la Cruz dit de lui :

le Baptiste, depuis le ventre de Sa mère fut ordonné pour cet office [d’apôtre] Là, la Très Sainte Trinité lui conféra vêture et insignes, c’est là qu’elle le fit tel qu’il convenait.

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À propos du Baptême du Christ où se manifeste la Trinité, il qualifie le Précurseur de « paranymphe de la Très Sainte Trinité » et à une autre occasion, dans un passage inspiré peut-être par saint Augustin :

Vous êtes, glorieux Jean, prodige de Sainteté, le marieur du fils du Père Eternel ,car vous leur prîtes les mains à lui et à son épouse et les joignî-tes ; vous êjoignî-tes un collatéral (legado a latere de la Très Sainte Trinité, comme le dit Jean l’Evangéliste : « Missus a Deo », compère du Père Eternel et de la Vierge, père spirituel de Dieu fait homme dans le bap-tême, prononcé de la bouche de l’Esprit Saint, sanctifié avant la nais-sance.9

Ici, plus qu’associé à la Trinité, le Baptiste apparaît associé à la « quater-nité », c’est-à-dire à la Triquater-nité complétée de la Vierge, épouse du Père, fécon-dée par l’Esprit Saint et mère du Fils. On nous objectera que ce texte est de l599, mais nous verrons comment dans l’iconographie de la fin du XVesiècle, on voit des exemples du Baptiste rattaché de manière privilégiée à la « qua-ternité ». De toute façon, Alonso de la Cruz ne faisait que recueillir une tradi-tion ancienne, qui remontait à la liturgie syriaque, selon laquelle Jean Baptiste était « le parrain et l’instrument » des noces divines célébrées dans le Jourdain entre l’Église et l’Époux10. Fray Alonso s’inscrivait aussi dans une tradition théologique ancienne quand il mettait en parallèle les deux Jean, le Baptiste et l’Évangéliste :

Dans le livre de l’Exode, l’histoire divine dit que lorsque Moïse fit le sacrifice propitiatoire, selon dessein et mandement de Dieu, le texte sacré précise que des deux côtés il y avait deux chérubins, qui se regar-daient l’un l’autre. La victime propitiatoire est le Christ [...]. Les deux chérubins sont ces deux glorieux saints, l’un comme achèvement de l’Ancien Testament fut le Baptiste, l’autre au début de l’Evangile et du Nouveau Testament fut l’Evangéliste, qui ont tous deux le Christ entre eux et se regardent l’un l’autre pour parler de lui de manière aussi haute et à l’unisson [...]. Conformément à ceci, Ézéchiel le prophète conte qu’il vit deux portes merveilleuses, l’une à l’Orient, l’autre à l’Occident, et toutes deux exactement semblables. Le Baptiste est la porte orientale, puisqu’il était présent à la naissance du Soleil divin de justice, le Christ. Et la porte occidentale est l’Évangéliste, puisque au moment où ce divin soleil de justice se couchait, lui se trouvait au pied de la croix11.

Si le jeu théologico-hiéroglyphique de Eiximenis permettait d’éclaircir le goût du temps pour le symbolisme des lettres, ce texte est magnifique pour comprendre le goût de la symétrie qui nourrissait la réflexion scripturaire et théologique. Nous approchons ici aussi d’une compréhension de l’atmosphère spirituelle dans laquelle s’inscrivent les sigles symboliques et symétriques dont usait Colomb.

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• S • • S • A • S •

X M Y

Il est important de noter que de semblables constructions théologiques se concrétisaient dans des oeuvres d’art. Réau signale que le Baptiste et l’Evangéliste, mis en parallèle par les théologiens, apparaissent fréquemment groupés sur les tympans des portails, les retables sculptés et les tableaux d’autel, où ils se font pendant sur les panneaux des tryptiques. Un bon exemple en est la Madone entourée des deux Jean, de Botticelli, que conserve le Musée de Berlin12. Pourrions-nous maintenant hasarder l’hypothèse suivante : X M Y de la dernière ligne des sigles de Colomb pourrait se lire comme Xpoforus – Maria – Yoannes – (le Baptiste) ? Christophe – le Saint, ou Colomb lui-même ? – prendrait alors la place de l’Evangéliste, à côté de Marie. Nous ne savons pas si Colomb était au courant de la tradition du parallèle établi entre les deux Jean. Mais s’il le savait, il devait lui être agréable de s’identifier avec la figure de Jean l’Evangéliste, qualifié de « porte occidentale » et occupant une place symétrique à celle du Baptiste. Est-ce que ce ne fut pas le Découvreur lui-même qui ouvrit les portes de l’Occident inconnu ?

Le culte de Jean-Baptiste était général dans toute l’Europe à la fin du XVe

siècle, mais avait un succès tout spécial dans quelques villes italiennes, comme Gênes. Les Génois qui vénéraient le Baptiste comme saint patron de leur ville, se flattaient de posséder deux reliques du saint : son chef et les cendres de son corps13. Concernant son culte dans l’Espagne de la fin du XVe siècle, je me contenterai de souligner que le fait pour les Rois Catholiques d’avoir donné le nom de Jean à l’héritier dans lequel ils avaient placé tant d’espérances, semble avoir contribué au renforcement des tendances messianiques de ceux qui célébraient l’ordre nouveau de Ferdinand et Isabelle. Voici ce qu’écrivait le chroniqueur Hernando del Pulgar, immédiatement après la naissance du prince :

Voyez l’évangile que l’on dit le jour de la Saint Jean; la transposition est telle qu’une naissance ne semble être que le moule de l’autre. Elisabeth là-bas, la nôtre ici, l’autre en ces jours-là, celle-ci ces jours-ci. Je n’en écris pas davantage, messire, sur ce sujet car il me semble bien que d’autres auront compris la concordance et la diront et l’écriront mieux que moi. Il suffit que nous puissions dire « quia repulit Deus taber-naculum Enrici, et tribum Alfonsi non elegit, sed eligit tribum Elizabet quam dilexit14.

Ceci n’était point simple jeu rhétorique, si l’on tient compte de l’importance énorme de l’onomastique, tout particulièrement celle des souverains, à cette époque15. Soulignons la relation dialectique, dans l’Espagne du prince don

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Juan, entre le culte de saint Jean-Baptiste et les expériences messianiques placées en la personne du prince. Colomb appela la cinquième île découverte, l’île Jeanne, en l’honneur du royal héritier, après avoir hiérarchiquement honoré le Sauveur (San Salvador), l’Immaculée Conception (Concepción), Ferdinand (la Fernandina), et Isabelle (la Isabela). Il donna enfin le nom de Jean-Baptiste à l’île de Porto-Rico.

Parmi les ordres religieux, les chartreux avaient une dévotion spéciale envers saint Jean Baptiste, à côté de saint Bruno, parce que Jean était le patron des ascètes16. Mais les franciscains l’avaient aussi en grande vénération, car la pensée analogique, si puissante en matière de dévotion, les portait à comparer de façon plus ou moins explicite saint François et saint Jean. De manière directe, d’abord : le nom de baptême de François était Jean, et ses goûts érémitiques, ses pauvres vêtements pouvaient faire penser à l’ermite du Jourdain. De manière indirecte, surtout : l. par l’intermédiaire du Christ. Nous avons déjà parlé du Baptiste comme image du Christ. Or, pour les franciscains, le « poverello », est « Cristo totus concrucifixus et configuratus »17 ; 2. par l’intermédiaire d’Élie. Pour un courant exégétique important, dont se fait l’écho le franciscain Eiximenis dans sa Vita Christi, le Baptiste passait pour l’image et même pour la réincarnation d’Élie, selon les versets de Luc « il ramènera de nombreux fils d’Israël au Seigneur, leur Dieu. Lui-même le précédera avec l’esprit et la puissance d’Élie » (I, l6-l7). De même pour les franciscains influencés par le joachimisme, François était la réincarnation d’Élie. Cette interprétation se fondait sur une des multiples concordances que tirait l’abbé calabrais Joachim de Fiore dans son exégèse des trois âges du monde. Chacun de ces trois âges avait son précurseur : Moïse étant le héraut du premier âge, le Baptiste celui du second, et un religieux qui devait être la réincarnation d’Élie, celui du troisième, à savoir de l’âge millénaire de l’Ésprit et de « l’Évangile éternel »18. Cette interprétation alla jusqu’à influencer l’iconographie franciscaine, avec le thème, inspiré de la légende du prophète Élie, du saint emporté au ciel dans un char de feu. Semblables croyances en la réincarnation d’Élie, aussi bien dans la personne de saint Jean-Baptiste, que dans celle de saint François, devaient être en relation avec la légende du retour d’Énoch et d’Élie à l’époque des bouleversements provoqués par l’avènement de l’Antéchrist. En résumé, nous pourrions dessiner le schéma suivant, afin de rendre plus claire la parenté analogique entre saint François et le Baptiste :

Elie

le Christ

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§ – 2 : Dévotion à Saint Christophe – Xpo Ferens. Les saints porteurs du Christ

L’importance accordée par Colomb à son prénom, avec sa signature

XpoFerens, est amplement connue ; connues aussi les gloses qu’en font son fils Hernando et Bartolomé de Las Casas : Christum ferens (Las Casas ou

Christophorus (Hernando Colomb veut dire porteur du Christ pour porter la foi aux Indes (Hernando et Las Casas), « comme l’on dit que saint Christophe obtint ce nom parce qu’il faisait passer le Christ à travers la profondeur des eaux, bravant de grands périls, c’est pourquoi il fut appelé Christophe » (Hernando Colomb). En revanche, malgré les suggestions de son nom de famille, il n’y a point trace dans les écrits du Découvreur de l’exégèse Colomb

-Colonus qui apparaît aussi bien chez Hernando Colomb que chez Las Casas, pas plus que Colomb – Colombe de Noé – Colombe de l’Esprit Saint, qui apparaît dans la biographie écrite par son fils20.

En ce qui concerne la manifestation écrite de la prise de conscience par Colomb lui-même du symbolisme de son nom, il semble qu’elle ait été plus tardive que ne le pensent habituellement les historiens. La première signature Xpo Ferens, accompagnant les sigles mystérieux déjà employés par lui,se trouve sur deux documents que Pérez de Tudela a définitivement datés de mai-juin l50l. L’apparition de cette signature que Colomb continuera à employer jusqu’à sa mort, coïncide avec l’apogée de ses préoccupations au sujet de Jérusalem et la dernière phase de sa vie, époque où il se considère comme un juste persécuté et où s’accentuent ses tendances mystiques. De sorte qu’à l’interprétation habituelle du Xpo Ferens, fondée sur la glose d’Hernando Colomb et de Las Casas, il faudrait ajouter, sans exclure la première, d’autres interprétations fondées sur la situation personnelle de l’amiral et sur les dévotions de l’époque.

Le saint Christophe géant, portant le Christ sur ses épaules, popularisé par la Légende dorée, avait un grand succès en Espagne, tout particulièrement à Valence où l’on publia, en l498, une Obra allaors del benaventurat lo senyor Sant Cristófol. Or, saint Christophe qui était connu comme saint protecteur des voyageurs et des pèlerins, était habituellement invoqué par les pèlerins castillans, qui demandaient l’aumône afin de subvenir aux frais de leur voyage en Terre Sainte. Un « mystère » valencien sur le saint, du milieu du XVIe siècle, prenait fin avec une chanson en castillan, dans laquelle on sollicitait des aumônes pour « ces pauvres pèlerins qui vont à Jérusalem »21. La dévotion à saint Christophe était également en relation :

- avec la conversion des gentils, notamment orientaux. En effet, selon la tradition, recueillie par Pie II dans son Historia Rerum, annotée par Colomb22, Christophe était un païen de Cilicie qui avait été martyrisé pour avoir renoncé aux idoles. Dans l’incunable valencien cité, on compare saint Christophe à une « lanterne dans l’obscure caverne des païens aveugles ».

- en relation aussi avec la conversion des juifs, tout au moins à Valence. D’après une tradition recueillie par le chroniqueur valencien Escolano, une

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statue du saint serait apparue, le 9 juin l39l, dans la synagogue de la ville, provoquant la conversion de sept mille juifs et la transformation de l’édifice en monastère consacré à saint Christophe23.

- en relation, enfin, selon Réau, avec la découverte des trésors cachés24, Pélerinage à Jérusalem, conversion des gentils et des juifs et même découverte des trésors cachés, voilà des thèmes messianiques qui devaient plaire au Colomb du Livre des Prophéties.

Ce qui devait lui plaire aussi, à une époque où il se considérait comme un juste persécuté, c’était le thème de saint Christophe « le seul qui ait reçu le nom de Christ », intercesseur et secours contre « les mal intentionnés », « les angoisses, les malheurs, les tribulations, les machinations mauvaises et

perverses, les conspirations insidieuses, les mensonges, les faux-témoignages, les stratagèmes cachés ou déclarés et tous les préjudices que les ennemis de la vérité ourdissent en pensée et en oeuvres, contre l’honneur ». C’est ainsi qu’apparaissent les vertus protectrices du saint, dans une prière incluse dans un Officium de Passione Domini nostri Jhesu Xpi de l49825 :

Sancte Christofore, martyr Dei preciose, rogo te, per nomen Xpi creato-ris tui, et per illud prerogativum quod tibi contulit, quoniam nomen suum tibi soli composuit, te deprecor in nomine Patris et Filii et Spiri-tus Sancti et per gratiam quam accepisti ut, erga Deum et sanctam eius genitricem, michi famulo tuo N. (se plaçait ici le nom de celui qui priait)

sis propicius peccatori, quatinus tuo pio interventu facias me vincere omnes qui cogitant michi mala, et per illud leve onus quod est Xpus, quod transmarinum flumen in humeris tuis feliciter portare meruisti, alleviare dignare presentes meas angustias, paupertates, tribulationes, malas et perversas machinationes, fraudulentas conspirationes, men-dacia, falsa testimonia, occulta sive aperta consilia, et alia quae con-tra honorem meum, cogitando vel conspirando, veritatis emuli michi servo tuo inferre conant [...].

Saint Christophe, Christoforus, est un Christum ferens en tant qu’il a, outre le privilège de porter l’Enfant Jésus sur ses épaules, cet autre privilège unique de porter le nom de Christ, et il est un modèle et une aide pour tous ceux dont la vie ressemble à celle du « juste persécuté » des Psaumes, préfiguration du Christ de la Passion. De manière significative, la prière citée est incluse dans un « office de la passion », entre une prière à saint François, le saint de l’Imitation du Christ, et une autre adressée à tous les saints martyrs. Celui qui choisit et ordonna les prières de cet office, probablement un franciscain26, semble avoir considéré saint Christophe comme le prototype de ceux qui, souffrant le martyre, imitent Jésus-Christ jusque dans leur chair, et il semble aussi qu’il le rapprochait du modèle du pauvre d’Assise, en qui « Jésus-Christ renouvela les stigmates sacrés de sa passion ». Saint François était aussi, d’une certaine manière, un saint « Christophore », de telle sorte qu’à travers sa dévotion à saint Christophe, Colomb pouvait lui rendre hommage, de la

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même façon qu’il pouvait, comme nous l’avons vu, rendre un culte semblable au Baptiste et à saint François.

Colomb s’auto-nomma Xpoferens à partir de l50l ; cette appellation pouvait être le fruit – outre la conscience de son rôle missionnaire – de sa conviction d’être un juste persécuté, imitateur du Christ. Un imitateur du Christ, qui, d’une certaine façon, avait reçu, en plus, avec son nom de baptême, le stigmate

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