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Td corrigé HIMALAYA - Developpez.net pdf

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Texte intégral

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HIMALAYA

Tout ce qui est écrit dans ce roman est parfaitement authentique.

Nous l’avons vécu et déliré ensemble.

Nous l’avons enfanté à trois.

Elles & Moi

S.D.K. Jean-Claude Ridolce

et

D.K.S. allias

Dites

« Laya » «Aristide Doudingue»

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PREMIÈRE PARTIE

MOI !

A « Sissy » Mon fantôme intime.

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Chapitre Premier.

Une bouteille à la mer.

Nous étions dans la dernière décennie du siècle.

Ayant longuement médité sur ma stratégie et trituré mille fois le bordereau imposé alors pour cette petite annonce gratuite, j’étais décidé.

Après mûre réflexion, ce choix était assurément le meilleur vecteur possible pour mes projets amoureux. J’avais allègrement franchi le premier obstacle psychologique en cochant la petite case « Rencontres ».

En cet instant, ce simple geste était pour moi aussi fabuleux et porteur de conséquences que le premier pas de l’Homme sur la lune. Au milieu de six petits cadres imprimés soigneusement alignés à l’horizontale, d’une croix maladroite d’analphabète, j’avais tranché, matérialisant ainsi ma détermination.

Bien entendu, j’avais au préalable griffonné, raturé, gommé, des pages entières de brouillon avant de choisir le « style » le mieux adapté à mon objectif. Le processus, mine de rien, était complexe.

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Il fallait en effet que ce texte fût une sorte de réclame pour

« bien me vendre » et de par sa forme plus ou moins codée, un filtre pour un « recrutement judicieux ».

Mon premier élan, pour satisfaire ma marotte poétique, fut de présenter la chose par un savant cryptage versifié, incluant un message, voire un piège, derrière chaque métaphore, chaque ellipse. La belle qui dénouerait l’écheveau serait ainsi, indubitablement, la muse de mes rêves.

Je rédigeais, pour voir l’effet, un message poétisé dont l’ordonnancement alambiqué me paraissait approprié.

Tu es douceur, fringance, De cœur, de corps et d’âme, Mon dessein : une romance, Pour exulter « La » Femme, À la mode vieille France, Tendre, folle et poétique, Où l’esprit et le charnel,

Dans une symbiose romantique, Subliment l’idéal, l’éternel, Le libertaire et le sceptique, Régénérant nos quinquagénies, Par de paisibles Bucolies.

Puis je tentais de reporter cette allégorie méningée sur le bordereau standard mis à ma disposition.

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Le formulaire rétif s’opposa inévitablement à ce romantisme aussi désuet que tortueux. Ma sagacité ordinaire était en échec.

De mauvaise grâce, je revoyais ma copie. Je me mortifiais à la simple idée de pondre une œuvre commune pour un dessein aussi raffiné. Mon doux projet avait en effet pris cette tournure irréversible de l’obsession née d’un rêve pernicieux que l’état de veille n’arrive pas à chasser. Il fallait à tout prix singulariser mon appel.

Décidément, la mécanisation de notre siècle s’opposait à ma nature imaginative, ma formation classique, mes impulsions romanesques. Comment différencier mon hymne à l’Amour, dans cette moultitude de propositions à visées domestiques ou fornicatrices, qui soigneusement ordonnées par un logiciel de

« P.A.O », empliraient à pleines colonnes des pages entières de ce quotidien ?

Comment faire pour que ma « P.A. », aiguille dans une meule de foin, se muât en une sorte d’astre pilote, guidant irrésistiblement la douce vers moi, à l’instar des rois mages dirigés d’une main céleste vers la crèche ? Je regardais désespérément le petit bout de papier rêche et rabougri, déjà écorné et maculé de traces de doigts à force de le tournicoter.

Je comptais soigneusement le nombre de « Caractères, signes et espaces » disponibles, fixés comme impératif par la loi commerciale.

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Ou plus exactement huit lignes de trente-cinq caractères ! Le détail avait son importance.

Car, comment la mise en page normalisatrice allait-elle altérer plus encore mon élégie ? Elle serait fatalement dénaturée, au- delà des contraintes liées au nombre de lettres disponibles, par cette manie du colonage et de l’espacement proportionnel. Mes jolis mots allaient jouer à saute-mouton, c’était évident. Trois sur une ligne, douze sur la suivante.

Les concepts seraient coupés au mauvais endroit. C’était fatal.

Mes sous-entendus subtils se trouveraient en rupture de lien. Il serait impossible de lire entre les lignes, de recouper les ellipses, de débusquer l’adjectif essentiel.

Aucune expression, un tant soit peu littéraire, ne pouvait se libérer d’un tel carcan.

Il me fallait donc me résoudre à une expression vulgaire, indigne de mes sentiments sublimés et surtout des vertus rares qui forgeaient assurément la compagne de mes rêves.

Cependant, je m’y résolus, la mort dans l’âme.

Dubitatif, je jaugeais, évaluais, décortiquais mentalement le maudit bout de papier journal découpé, faisant office de bon

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d’insertion. Je vociférais de ne pouvoir multiplier les dents de ce râteau, graphisme perfide, prétendument placé là pour me servir de guide.

Ce document était infiniment trop étriqué, trop rigide, trop formel, pour transmettre la disposition et la nature de mon espoir.

Je dressais donc un inventaire méticuleux des annonces figurant dans les précédentes éditions. Il me fallait impérativement utiliser le mot juste, le moins galvaudé. Analyser, synthétiser, imaginer l’impact de chaque assertion, de chaque truc.

La majorité des « Offres » commençait par « H. » ou « J.H. ».

Il n’était évidemment pas question de perdre, ainsi, un si précieux espace, faisant, à l’évidence, double emploi avec l’intitulé même de la rubrique « Rencontres Hommes ». NON ! J’avais déjà épargné trois caractères. Mon affaire ne se présentait pas trop mal. J’observais ensuite que, presque chaque mot était séparé du précédent par un couple de virgule- espace, voire une triplette point-virgule-espace.

Comment pouvait-on être aussi dispendieux ? Une virgule étant un caractère modeste, nettement posé en partie basse de l’alignement, détachait suffisamment chaque mot de l’autre pour ne créer aucune ambiguïté.

Faisant un rapide calcul mental, huit mots en moyenne par ligne sur huit lignes... Mais oui ! J’allais encore gagner quelques précieux caractères sur la moyenne des annonceurs.

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Je jubilais. Mais mon euphorie s’arrêta là... lorsque je constatais que les autres avaient maîtrisé l’astuce suprême :

« L’abréviation ! ».

N’ayant aucune culture préalable de l’abrégé, j’entrepris donc une obligatoire recherche afin d’assimiler ces étranges amalgames de lettres. Sans être un travail titanesque, l’itinéraire imprévisible dans ce maquis de sigles vantards, impliquait néanmoins un effort soutenu. Il convenait d’abord de repérer les répétitions et d’en faire un rapprochement au travers de leur contexte.

Ainsi, je découvris « T.B.S. », « B.C.B.G. », « B.S.T.R », « B.M »,

« T.B.M ».... que j’essayais d’affecter logiquement à un groupe.

Les pistes qui s’offraient à moi s’évanouissaient systématiquement dans leur nature ésotérique.

Je décidais donc une petite incursion dans la rubrique voisine

« Rencontres Femmes ». J’y recherchais un parallèle. Le mystère s’épaississait encore. « RMI », « CES» on vous apprend ce que cela veut dire à l’ « ANPE »... CGSS, URSAFF etc...

peuvent se traduire à l’aide d’une quelconque plaquette émanant de l’Administration... Mais... T.B.M. ! ! !

Néanmoins, au fil de nombreuses heures d’investigation studieuse les choses s’éclaircissaient à mesure. T.B.M. était assurément un sésame libertin, puisque toujours associé à Homo, bi, ou couple libéré ainsi que dans les « P.A. » conclues par l’affirmation « Hygiène & Discrétion assurées ».

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Désormais, c’était clair pour moi. Il s’agissait de nobles et fiers étalons qui se qualifiaient de « Très Bien Montés » ou plus modestement de « Bien Montés », (je reste cependant sur l’ambiguïté de dames s’affublant de ce même qualificatif... peut- être des hermaphrodites ?).

Bref. Sachant que « BCBG », veut dire « Bon Chic Bon Genre »,

« TBS » équivaut à « Très Bonne Situation », que « BSTR » affirme que l’on est « Bien Sous Tout Rapport », j’imaginais, horrifié, ma romantique proposition libellée sous cette forme ! Enfer et damnation !

Je repris donc mon exercice précédent consistant à émettre le message le plus fourni en la forme la plus réduite. Je recherchais, opiniâtre, systématiquement le synonyme le plus court, le mot à sens multiples, l’argument dans sa quintessence absolue.

Comme Pénélope, je défaisais. retissais. Je remodelais sans cesse mon texte, comptant chaque lettre, ainsi que pour un alexandrin bien ciselé, puis, terrorisé à l’avance, je tentais de l’inclure dans cette étrange grille, à la façon de mots croisés.

Comment le renouveau pourrait-il naître de cette prison pour mots ?

Enfin, j’étais parvenu à caser l’essentiel de mon message.

Dans une abnégation totale, je contrôlais l’hérétique résultat.

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Bien qu’ayant rigoureusement proscrit l’usage d’abréviation, paradoxalement mon annonce dérogeait d’emblée à ce formel principe.

« Métro »

En fait, ce n’était pas vraiment un abrégé, mais plutôt une appellation usuelle, dans cette île magnifique de « La Réunion ».

Métropolitain : tout compte fait, ce vocable situait assez correctement son homme. Il présumait bien de son origine, son faciès, sa couleur, sa culture, et, dans cette contrée de Paul et Virginie, d’une présomption de délicatesse et de respect de la femme, en opposition avec la réputation, un tantinet dominante, de la gent masculine locale.

« Métro » en cinq lettres... ce n’était pas si mal !

« 51 ans »

Fallait-il préciser ce point, qui me coûterait sept caractères (avec la virgule) ? Omettre ce détail impliquerait-il la charge supplémentaire d’une lourde pile de lettres dans la musette de mon facteur ?

La légende du « Métro... beau parti » aidant, il me fallait assurément éliminer des légions de jouvencelles en mal de belles noces et de mères célibataires en quête de papas de substitution.

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Réduire mon échantillon aux gentilles grand-mamans s’imposait donc. De toute manière, mon souhait étant de finir mes jours avec la douce inconnue, il était impératif que nous ayons un âge voisin. De plus, je n’ai jamais aimé les femmes sensiblement plus jeunes que moi.

Non décidément, il me fallait également investir dans ces sept lettres-ci.

« Veuf »

Fallait-il mentionner cette douloureuse particularité ?

C’était assurément un synonyme de « Libre » ... caractéristique prisée. Mais n’était-ce point également révélateur d’un certain état d’esprit, lequel pouvait signifier tout à la fois une disponibilité absolue pour la reconstruction d’une vie, comme potentiellement une incurable nostalgie de la défunte, qu’il faudrait combattre, voire une volonté sournoise d’investir la « remplaçante » de fantasmagoriques et morbides résurgences.

En fait, je ressentais moi-même tous les conflits potentiels, les états d’âme pervers, découlant de cette interrogation profonde.

La belle inconnue ne pouvait être qu’intelligente et perspicace...

par définition ! Quelle interprétation privilégierait-elle ? Aurait-elle la conscience et la détermination pour affronter pareilles subtilités floues et insidieuses ?

Il me faudrait expliciter ce trait dans la suite de l’annonce, mais je ne pouvais décemment pas éluder cet état particulier.

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Cinq jolis caractères encore défalqués !

« Athée »

Ah voilà encore quelque chose de véritablement capitale. Qu’il en coûtât ce qu’il en coûtât, l’omission sur ce point n’était pas permise non plus. C’était d’abord un problème d’honnêteté intellectuelle. Un vrai cas de conscience.

J’ai toujours été convaincu que toute opposition théologique ne pouvait, dans un couple, que conduire à une déchirante alternative, dont les deux termes sont en impasse.

En effet, un athée tient toujours sa conviction d’une réflexion individuelle et assise sur une décision solitaire, généralement prise à contre-courant de sa formation et de son environnement familial et social. À l’opposé, un croyant tient sa foi des autres et pour la conforter, doit en permanence la ressourcer dans un cadre collectif et institutionnel.

Contrairement au mystique qui a un besoin vital de prosélytisme, nul athée ne songe à partir en croisade pour tuer la foi des autres. Bien loin de lui, car il connaît la difficulté de vivre ici bas sans l’espoir d’une vie éternelle.

Si la tolérance laïque s’accommode aisément d’une cohabitation religieuse militante pour des amis ou simples relations (l’inverse n’étant pas forcément vrai, l’histoire et l’actualité nous le démontrent), on voit mal comment un amant loyal pourrait

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imposer l’abjuration à sa conjointe ou à l’inverse, pour lui, d’accepter une conversion de façade ?

Ainsi, à moins que les deux partenaires ne soient en fait que septiques, ou d’arriver à n’en jamais point parler, on n’imagine guère l’harmonie entre ces deux options philosophiques antagonistes.

Décidément, ce point-là exigeait bien l’investissement de quelques malheureuses lettres.

Trois maîtres « qualifiants », était-ce bien suffisant ?

Fallait-il maintenant préciser ma taille ? Et pourquoi pas mon poids et enchaîner sur l’ampleur exacte d’une tonsure envahissante, la joliesse de mes poignées d’amour, voire la qualité de ma denture ! ! !

Décidément non. Je ne désirais pas polluer ma si délicate annonce par d’aussi vils détails anthropométriques. Et si je le faisais pour ma propre description, par souci d’égalité, ne me faudrait-il pas aussi inclure des exigences de nature morphologique vis-à-vis des candidates ?

Pouah… cela tournerait au « casting » cette affaire-là !

Je décidais donc de faire l’impasse sur la plastique, qui fort opportunément, n’ayant qu’une importance déclinante chez les quinquagénaires, me permettait par contre coup d’économiser mon précieux capital.

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Devais-je en faire autant pour ma profession ? Ingénieur. Il me faudrait peut-être même préciser en quoi. De la folie dépensière. Pour aboutir à quoi ? Indubitablement à attirer toutes les vénales, les ambitieuses, en mal de promotion ou de stabilité sociales.

À l’inverse, devais-je par honnêteté, préciser « chômeur » ? À cinquante ans, compte tenu de la conjoncture, c’était me déclarer en arrêt de mort ou pour le moins, au ban de la société ! Non décidément. Je dépeindrais ces choses différemment, de manière plus subtile que dans ce curriculum vitae, réduit à son expression congrue.

« Franc »

Cet adjectif était-il bien indispensable ?

Cette fois encore, assurément. Je ne pouvais imaginer une union qui ne serait pas fondée sur une totale confiance. Or, il ne peut exister de confiance sans une franchise intégrale. Il me fallait donc absolument affirmer que je possédais cette qualité (à l’excès selon beaucoup), pour en exiger la réciprocité.

Mon décompte s’alourdissait.

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« Fidèle »

La question était la même que précédemment.

L’une des particularités de ce paradis tropical qu’est La Réunion est d’y connaître une floraison permanente. Les amours aussi.

Butiner chaque fleur, polliniser à tout âge et en toute saison y semble imposé par sa nature chaleureuse. Sa flore merveilleuse arbore des couleurs bigarrées et des senteurs aphrodisiaques.

Les jouvencelles comme les mamans tout pareillement. La tentation est donc en ce pays insoutenable. Céder à tant de charmes y devient quasi inévitable.

Bref, la précision était indispensable.

En dépit de cette sollicitation ambiante diabolique, je désirais ne me fixer que sur une seule corolle... L’affirmer solennellement d’emblée imposait à mes lectrices, en retour, cette même capacité de résistance. Ce même désir de symbiose exclusive.

Boum. Sept caractères en moins ! (mais très probablement aussi, grâce à eux, une réduction drastique de la majeure partie de mes prétendantes potentielles !)

« Romantique »

Je tenais à préciser ce trait suranné. Car, si aujourd'hui la majorité des femmes (et certains hommes) pensent avoir encore la fibre sentimentale, la confusion entre ces deux notions est

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désormais quasi totale. La première implique une volonté d'absolu, de pureté, de plénitude, de pérennité. La seconde ne tend qu'à vouloir combler un manque instantané d'affection ou parfois un trop-plein d'affectivité. Sublimer l'instant qui passe.

En jouir comme d'un spectacle grisant que l'on range ensuite au rayon des bons souvenirs ou du

« C’est toujours ça de pris ».

La mode chez les femmes étant à l’émancipation (pour ne pas dire à l'indépendance totale), ce mouvement à induit progressivement une désaffection, voire un net refus, de toute conjugalité (formelle ou non), prétendant séparer les deux types d'amour, et privilégier généralement le filial sur l'amour avec un grand "A".

Comme s’il existait une dualité naturelle chez la femme entre une nécessité affective liée à sa maternité et ses besoins amoureux. Comme si l'on prétendait pouvoir vivre en privilégiant le boire sur le manger.

À partir d'un certain âge, on voit même naître chez elles une sorte d'abnégation consistant à vouloir renoncer à ce besoin intime inhérent à leur nature, l’amour d’un homme !

Le romantisme inclut de manière exacerbée tous les sentiments à leur plus haut degré, imposant la permanence d'un crescendo.

Une éternelle surenchère de passion. Le romantisme est un état, une construction d'esprit. C'était mon credo.

Je voulais rentrer en Amour comme d'autres entrent en religion, avec une exigence de sacerdoce. Il me fallait l'affirmer.

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Je ne voulais pas partager ma vie avec une femme ne désirant échanger de relations sentimentales qu'en fonction de son planning où les contraintes professionnelles, sociales et domestiques seraient prioritaires et a fortiori de ne lui servir que d'exutoire sexuel à la petite semaine.

Le romantisme c'est un climat de tendresse, de fantaisie, de poésie, d'attentions, de dévotion. Le décor d'une vie enchantée, un conte de fée. Une sorte d'éden secret que l'on ne peut que créer à deux, à l'unisson. Une atmosphère édifiée de toute pièce dont la seule finalité est de se rendre mutuellement heureux… à l'infini.

Je savais que cette idée n'avait plus grande réalité pour la majorité des lectrices, mais il convenait impérativement de préciser ce travers de ma personnalité, même au prix coûteux de onze caractères.

« Idéaliste »

Encore un adjectif discriminant. Ma démarche se dessinait maintenant ouvertement, selon moi. L’empilement de ces filtres successifs démontrait déjà à mon inconnue que je n’avais que faire du quantitatif. Que je voulais parvenir à elle avec un choix unique. ELLE. Parce qu’elle était unique. Comme je l’étais moi même !

Ah ! Idéaliste... Quelle hécatombe allait provoquer ce mot là !

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Même le dictionnaire oublie ce qu’on lui doit. Cherchez-y une définition... Irréaliste, Utopiste, Chimérique. Pourtant sa matière, "l'idéal", est synonyme de générosité, d'altruisme, de noblesse d'âme. L'humain lui doit tout ce qu'il a de positif, mais sa pratique est ressentie comme une folie ! La langue française, comme toujours, l'a bien traduit. À l'instar de perfection et de perfectionniste, dans le vieux débat philosophique sur le "Mieux est-il ennemi du bien", le matérialisme du siècle a tranché. La facilité, l'accommodement, voire le dévoiement, l’emportent.

Ah ! Idéaliste… Que d’évocations et d’interprétations possibles...

De l’aimable poète désargenté, au Don Quichotte moderne. Du rêveur fantasque au mystique dépendant. Du philosophe anachronique au marginal intégral.

J’imaginais se former l’image de l’asocial, de l’atypique, du contestataire, voire de l’anarchiste ou du révolutionnaire !

Seule une idéaliste comme moi pourrait à l’évidence accepter cette étiquette repoussante, si fermement revendiquée. Ma dulcinée émergeait peu à peu en sortie de ce tamis machiavélique.

Mais ce filtre-là représentait quand même un gros investissement : Dix caractères.

Au diable l’avarice... pour cette fois ! Mais il me faudrait dorénavant être moins précis, plus globaliste, car au jeu du qualificatif explicite, tranchant, sélectif, il me faudrait assurément autant de place que dans ce roman.

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J’abordais donc le chapitre de mes principaux traits descriptifs.

En gros, je passe pour être un intellectuel, ce qui n’est pas totalement vrai. Mais impossible d’en expliquer les nuances en quelques mots. « Intello ». C’est plus court, mais là, complètement faux. Intelligent : Inadmissible et prétentieux ! Physiquement : R.A.S. (encore un sigle) comme on dit à l’armée.

Ni grand ni petit, ni gros ni maigre, ni beau ni moche... ni, ni, ni.

En résumé tout était standard et fonctionnait tant bien que mal.

La machinerie présentait une usure normale pour son utilisation et son manque d’entretien.

Je ferais donc l’impasse sur mon cerveau et sur son véhicule.

Mes goûts fondamentaux étaient plus faciles à cerner et surtout à regrouper. Cependant il était impensable de les énumérer tous. Chez moi, leur catalogue aurait pris tournure de litanie ou d’inventaire à la Prévert.

Néanmoins, en dépit de cette véritable braderie de mes réserves, il était impératif de mentionner ces points d’apparence futile.

Ma conviction sur ce point était nette et ferme. Une union se devait d’être totale, une osmose absolue. Ne pas partager les mêmes joies ou ressentir les mêmes sensations dans toutes leurs subtilités, ne pas communier dans tous les menus et grands plaisirs de la vie, était un non-sens en soi.

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Donc pas question d’imposer Bach à une fan de Rock, Boileau à une lectrice de « nous deux », Béjart à une pratiquante de techno, ni a fortiori, mais c’était plus improbable, quoi que ce soit de mes rares loisirs à une fanatique de foot, de PMU, ou de crapette.

Résumons. Musique (mais classique), jazz (mais pas tout), peinture (avec des restrictions), sculpture (avec des exceptions), ballets (avec des réserves), poésie (sauf celle des masturbés du spleen et de l’éthéré), philo (sauf celle des pédants), mais aussi, observation de la nature, technologie, génétique, cosmologie... en fait j’aimais tout, à l’exception notable des jeux et des sports.

En disant j’aime tout, précisons : pas en érudit, mais en amateur.

Celui qui aime. Pas en œnologue, ni en poivrot, mais en dégustateur. Pas en bâfreur, mais en gourmet. Et si en précisant trop j’allais tomber sur des spécialistes ? J’aurais l’air de quoi ? De toute manière il me faudrait pouvoir disposer d’une dizaine de ces annonces pour exprimer tout cela à l’état brut. Il me fallait impérativement condenser, comprimer, économiser.

Première tentative. Je réduisais tout ça comme des membres en mathématique, comme si je triturais de vulgaires fractions. Je visais l’essentiel, la tendance générale, le générique.

Musique, littérature, arts plastiques, expression corporelle. Ah ! quelle belle chose que la synthèse. Je comptais. C’était trop.

Encore trop. Toujours trop. Je regroupais encore.

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Voilà. J’étais au bout du condensé.

«Aimant arts classiques, sciences & nature»

Au-delà, le message ne passait plus. L’amalgame noyait la

substance. Ostensiblement j’étais passé du mot à la phrase. Six mots d’un coup, dont un verbe. De la folie !

Il me restait tant à écrire. Je n’avais encore rien décrit d’elle.

Rien de mes espérances. Rien de mes exigences.

Exigences : le mot était fort, léonin, brutal, mais proche de ma vision. Car j’avais une théorie, largement vérifiée par l’expérience. Contrairement à ce que l’on inculquait jadis aux jeunes tourtereaux, l’Amour ne vient pas avec le temps, à force de concessions. Les choses ne s’arrangent jamais sous la contrainte d’un serment, d’un sacrement, d’une institution. Le temps ne fait qu’exacerber les différences. Alors plus il y en a, plus c’est difficile, plus on en ajoute... plus c’est insurmontable.

Plus on a de points communs, plus la probabilité d’accord s’accroît, aurait dit Monsieur de La Palisse. Les petites annonces, par leur anonymat permettent cette approche froide, pragmatique et d’émettre cette vérité simple, chahutée par le premier regard, le premier frisson, le premier baiser.

Il me fallait affirmer tout cela avec la nature exacte de mon aspiration : J‘englobais le tout :

« Cherche compagne, même profil, mêmes options »

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Compagne. Quel symbole.

Car je voulais une femme pour cheminer à mes côtés sur le chemin de la vie. Pas une épouse, pas une copine, pas une amie.

Non une compagne. Jusqu’au bout du chemin.

Cela n’avait l’air de rien, écrit comme ça. Mais pour moi ce jeu devenait douloureux. Il en allait d’un tournant capital de ma vie.

Je ne voulais pas céder à la tentation de la facilité. Prendre la première venue au seul prétexte de rompre une solitude affective de plus en plus pesante.

En effet, il ne s’agissait rien moins pour moi que de remplacer ma chère compagne, physiquement disparue, mais toujours chérie par mon cœur et mon âme. Pour elle autant que pour moi, je me devais de trouver une remplaçante digne d’elle. Pas un placebo. Pas une vulgaire médication, mais un remède fulgurant.

Pas une concurrente, mais son Alter Ego. Pas sa substitution, mais sa continuité. Pas une répétition, mais une renaissance.

Il fallait que la nouvelle élue possédât en elle-même, toutes ces vertus rassemblées pour ne pas risquer une comparaison fatale, intrinsèquement injuste, mais presque inévitable.

Mais j’étais déjà serein en cet instant. Je sentais que la douloureuse décision de rompre mon veuvage et cet étrange décorticage sur lequel je peinais à ce moment aboutirait tôt.

Cette sensation n’avait déjà plus la forme d’un rêve permanent, d’un désir entretenu, ou d’une spéculation raisonnable.

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Je sentais la présence de ma future amante derrière le bordereau. Il me fallait achever mon ouvrage... et là, merveilleuse constatation, il me restait un solde conséquent de jolis caractères disponibles sur cette affreuse grille.

Je récupérais quelques doléances abandonnées de-ci, de-là, sur mes pages de brouillon. Je les sélectionnais, les permutais, les incorporais dans le râteau devenu magique.

Préférences : Menue, douce, tendre, gaie, câline, sensuelle.

Tout y était bien cette fois.

Nous étions quelques jours avant Noël.

Il ne me restait plus qu’à mettre la bouteille à la mer.

Enfin, la lettre dans l’enveloppe et celle-ci à la poste...

et attendre ma muse !

******************

******

**

(27)

Le Petit Papa Noël devait être bloqué dans les neiges septentrionales, ou allergique à la chaleur australe, ou désorienté par l’absence de cheminée des cases créoles, ou courroucé par mon peu de foi en lui ou simplement considéré trop vieux par lui pour avoir droit à mon cadeau.

Bref, j’avais passé les fêtes de fin d’année sans savoir si le nouveau millésime m’apporterait l’âme sœur dont je rêvais.

Néanmoins et à ma grande surprise, mon attente fébrile n’avait en rien altéré mes deux réveillons. Je crois que la confiance était en moi.

J’avais festoyé le mieux du monde en compagnie d’amis, dans deux caboulots aussi sympas qu’à la mode.

Des âmes bien intentionnées avaient eu la délicate attention de m’encadrer à table par de deux dames célibataires, pétillantes et avenantes.

Elles auraient pu au demeurant, valablement répondre à ma petite annonce, car possédant a priori les critères que j’avais définis. Bien évidemment, je me gardais de leur parler de mon expérience en cours. Bien que nullement superstitieux, j’avais en effet la sensation confuse qu’il n’était pas opportun de fausser le jeu du tirage au sort.

Je limitais ainsi mon approche à une galanterie décontractée, participais aux agapes avec enthousiasme et m’endiablais dans cette guillerette ambiance festive, mais sans autre velléité de séduction.

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Les jours qui suivirent, je distribuais mes bons vœux comme tout un chacun et enregistrais à la volée ceux des autres.

Comment pouvait-il se faire que tant de sincérité affirmée, prétendant vouloir la réalisation de tous mes souhaits, soit aussi inefficace ?

Mes vœux à moi... se résumaient à un seul désir. Je n’étais même pas gourmand. Je ne voulais qu’une toute petite lettre.

Mais tout de suite. Ce n’était pas grand-chose… Ô grand Dieu ! Mais les jours passaient. J’essayais de me convaincre que la Poste était à cette époque engloutie par un volume monstrueux de cartes, lettres et paquets, avec pleins de préposés partis pour de légitimes vacances et remplacés par de gentils C.E.S.

aussi submergés, qu’incompétents.

Car il fallait bien une raison à cet affreux retard. Il était impensable, considérant le tirage de ce quotidien, qu’une annonce aussi amoureusement « travaillée » n’ait pas touché sa cible du premier coup.

Je maudissais la poste, les fêtes de fin d’année, les vacanciers, tout le diable et son train, mais restais néanmoins placide, car j’étais intimement convaincu que ma lettre était en instance de distribution.

La première réponse me parvint une bonne dizaine de jours après la parution de ma petite annonce. Je pensais avoir été explicite. Ma déception était grande.

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Je parcourais le texte inscrit d'une écriture d'enfant sur une feuille détachée d'un cahier d'écolier…

Monsieur,

Mi, Eléonore. 33 ans. Deux petit marmailles, Beaucoup souffert comme toi,

Voudré rencontre aou.

Merci beaucou.

Tel: xx.xx.xx

Par courtoisie, mais sans illusion, je l'appelais donc. Notre conversation fut courte. Elle s'exprimait essentiellement en créole, dialecte que je ne possédais pas. Pour ne pas la froisser, je tentais de lui expliquer qu'elle était trop jeune pour moi. Elle protesta que mon âge l'indifférait, mais la révélation que j'étais chômeur lui suffit pour se convaincre qu'elle avait fait une erreur de lecture.

Le lendemain, seconde réponse. Lapidaire. Non datée. Non signée.

Monsieur,

Suite à votre annonce, j’ai envie de vous rencontrer.

Marie-xxxx. teléphone xx.xx.xx

Là encore notre conversation téléphonique confirmait une méprise.

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Le surlendemain, le troisième courrier était du même tonneau.

La prétendante se disait métisse créole-chinoise, travaillant aux cuisines d'un établissement hospitalier. A priori la "candidate"

était très loin du profil requis. Cependant la chaleur sympathique de notre conversation téléphonique m'incita à lui donner rendez-vous.

Son physique s'éloignait sensiblement non seulement des critères définis, mais aussi de l'image que l'on peut se faire d'une métisse chinoise. La loterie de l'hérédité l'avait dépourvue d'un quelconque trait asiatique. Sans être très dodue, elle n'était pas franchement svelte non plus. Sans être…

ceci et cela... elle avait faux à peu près partout. Ainsi, elle argumenta avec modestie autour de ses qualités ménagères, sa piété ainsi que de ses modiques, mais stables revenus.

Intrigué, je l'interrogeais sur son mode de sélection des petites annonces. Elle m'avoua alors très ingénument qu'elle avait fait ça au hasard, en arrêtant son doigt à l'intuition, après avoir parcouru la page les yeux fermés.

Je passais cependant deux heures très agréables en sa compagnie, car sa gentillesse candide et généreuse était réconfortante en soi.

Ainsi, elle me proposa d’emblée de me prêter sa voiture au prétexte que je n'en avais pas, de me tenir compagnie si je me trouvais dans l'ennui et au cas où j'aurais faim de me restaurer

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dans la cuisine de mon choix (française, créole ou chinoise), le tout manifestement dans la plus grande sincérité.

Lorsque je la quittais, j'avais encore plus la conviction que ce monde était décidément mal foutu, car je connaissais quelques amis vieux garçons en mal de compagnie, bien trop timides pour faire un brin de cour à des femmes de cette qualité… aussi rustiques, qu'admirables.

Je passais un week-end exécrable, en espérant toujours la missive de ma muse.

Le lundi suivant je ne fus pas déçu. Elles étaient là.

Ma lettre et en filigrane… ma dulcinée !

Grâce à un courrier de quatre pages manuscrites, je faisais sa connaissance.

D'emblée l'opération s'annonçait laborieuse. Son écriture était à la fois élégante et très proche de l'illisible. Un vrai labeur de petit Champollion. Il ne me fallut pas moins de quatre heures, au moins vingt lectures et une transcription sur ordinateur pour en venir à bout.

Le texte décrypté, au sens hiéroglyphique du terme, il me fallait ensuite en décoder le sens précis. La tâche en fût tout aussi industrieuse.

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Enfin, croyant avoir assimilé toutes les métaphores, les références helléniques et cinématographiques, la symbolique ainsi que toutes circonvolutions de style et de démarche intellectuelle que le message incluait, j'entrepris d'esquisser le profil de la belle au moyen de ce jeu de piste immatériel.

Je n'étais pas graphologue, pas plus que psychologue, mais ma profession d'analyste informaticien me permettait d'appliquer une méthodologie rigoureuse afin de débusquer, hiérarchiser et corréler au moyen d'une pure logique, tous les indices offerts à ma sagacité, par la douce inconnue.

Le second jour je peaufinais mes conclusions en relisant d'un trait le courrier de la belle et ce que je pensais pouvoir en déduire :

Bonjour,

Vous êtes veuf, donc véritablement libre !

Moi aussi, je suis vraiment libre, mais pas veuve.

Vous vous dites athée et idéaliste.

Je vous expliquerai ce que je crois depuis que j’ai revu ma copie et l’idéal pour moi aujourd’hui serait plutôt du côté d’ « EROS-PHILOS-AGAPE »

Mon grand rêve, mais accessible pour qui sait pourquoi il cherche ce qu’il cherche, j’en suis convaincue.

Enfin vous vous pensez romantique, franc et fidèle. C’est compatible.

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Je suis une incorrigible sentimentale (comme la plupart des femmes) la franchise est une de mes plus

belles qualités, pas toujours bien reçue par les autres.

Je sais jouer, mais pas mentir, et je suis fidèle, à moi d’abord, à mes amis ensuite, à l’homme que j’aime, toujours. Quand c’est fini, je le dis.

Vous aimez la nature. Je suis ravie.

J’aime la mer, la montagne, les prés, les fleurs et les vaches.

Le silence et le chant des oiseaux au petit matin.

Mais je déteste les randos, les marches d’endurance et les courses pour arriver le premier.

Et pour finir je suis « MENUE »

Plus toute jeune, mais pas vieille non plus.

Encore jolie.

SIMPLE ? : ça dépend ce que vous mettez là-dedans.

Je suis simple dans le quotidien, mais je sais aussi être sophistiquée quand c’est

nécessaire.

DOUCE ? : comme tout un chacun, selon les circonstances.

GAIE ? : pratiquement toujours, ma joie de vivre est intarissable.

SENSUELLE et CÂLINE ? :… ceci dépend de cela, la réponse est fonction de la rencontre.

Alors ?

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Vous aimez les arts classiques, les sciences.

Vous ne précisez pas lesquels, ce n’est pas grave, il y a sûrement moyen de s’entendre…

Je déteste tous les Louis, mais j’aime le baroque, l’empire, le rustique campagnard…

J’aime la musique classique, Bach, l’orgue surtout, Mozart et le violon, beaucoup Bizet et j’écoute sa CARMEN souvent.

Ainsi que SARDOU et la musique africaine (une vieille nostalgie) dont je ne me lasse jamais.

Je ne suis pas férue de sciences, je déteste les maths (sans doute parce que je n’y ai jamais rien compris), mais je sais plein de choses quand même et pas mal sur les sciences humaines en particulier.

Je suis une professionnelle des soins et une spécialiste de la relation.

Que cela ne vous fasse pas peur, c’est très compatible vous verrez, quelqu’un qui s’y connaît en relationnel ! Et bien voilà, moi je vous souhaiterai

- Pas trop grand, pas trop petit non plus - Pas trop gros, mais pas maigre non plus - Avec des cheveux (ça peut se négocier ! !) - Avec des dents (ça c’est important !)

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Normal quoi et en forme

Et surtout bien dans sa tête, dans ses bottes et côte vie, sans problème existentiels majeurs, juste ceux

acceptables et gérables, n’est-ce pas ?

Et enfin : que vous ayez envie de vivre une histoire dans la joie, la gaieté, j’allais dire l’insouciance... C’est-à-dire sans soucis, comme AKOUMA MATATA (le roi LION) et CARPEDIEN (et demain sera ce que vous en aurez fait).

(le cercle des poètes disparus)

Si j’ai retenu votre attention, si mon profil, mes options et mes souhaits collent aux vôtres je vous invite à m’appeler au xx-xx-xx après 18 h

D.KS.

D’où j’en déduisais, par une observation méticuleuse du texte, des supputations intuitives décortiquées par une logique stricte, l'interprétation des indices métaphoriques, l'analyse du style littéraire, de sa rythmique et sa présentation, des corrélations entre le fond et la forme, des centaines de recoupements entre la calligraphie et ses déviances et mille autres détails passés au crible :

- Métro - 45 ans - 1.55 Mt - 50 Kg

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- Allure sportive et BCBG

- Cheveux courts, coiffure bigarrée, - Yeux clairs

- Bronzée en permanence

- Origine citadine et famille bourgeoise

- École de commerce, sciences Po ou art déco.

- Littéraire

- Enfant espiègle, voire effrontée

- Élève brillante/assiduité relative/dissipée - Séductrice avec prestance

- Effervescente/inconstante - Très dynamique/impatiente - Charmeuse/non obséquieuse - Originale et classique à la fois - Spontanée et concise

- Sûre d’elle (ou dynamique de l’esbroufe) - Boulimique et bourreau de travail

- Indépendante

- Mère célibataire volontaire sur le tard ? - Éclectique/voire versatile

- Légèrement exhibitionniste (ou naturiste) - Épicurienne

- Fumeuse/whisky/champagne/nouvelle cuisine - Cultivée avec humour

- Noctambule

- Assez Parisianiste/philosophe ou polémiste de salon - Esotériste/mystique au sens large

- Profession libérale exotique (psy, astrologue, antiquaire, décoratrice, conseillère conjugale).

- Prénom banal/Surnom original ou sophistiqué

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Nanti de ce descriptif finement élaboré, mais que je sentais de plus, intuitivement proche de la réalité, je l'appelais pour prendre rendez-vous.

Nous le fixions au dimanche suivant, en début d'après-midi, dans le majestueux parc botanique, fierté de la ville.

Globalement conforme à mon portrait robot, je la découvrais.

Elle était effectivement menue. Haute comme trois pommes reinettes à genoux. Son visage entièrement masqué par l'immensité de son sourire. Blondinette, adorable, d'un pas aérien, elle s'approcha sans hésitation de moi. Comme nous étions encore proche du Premier de l'an, avant même de nous présenter, nous nous embrassions spontanément en nous souhaitant la bonne année. Trois secondes et demie plus tard, nous nous tutoyions, et nos mains se rejoignaient d'un même élan.

Notre premier contact (verbal) dura six heures. À part le sexe des anges et l’âge du Père Noël, il nous semblait avoir abordé tous les thèmes imaginables, polémiqué sur tous les sujets et jouté sur la métaphysique elle-même.

L’avenir allait démontrer le contraire, puisque chacune de nos rencontres suivantes eut la même durée, avec pourtant un contenu différent.

Nos tête-à-tête avaient la forme la plus ambiguë qui soit. Bien que notre approche eut a priori pour finalité une liaison

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amoureuse, la nature exacte de celle-ci n’arrivait pas à se dessiner. Notre attirance était certes manifestement intellectuelle au premier chef, mais la sensualité n’en était pas absente. Nos corps s’attiraient sans tabou, mais se contentaient d’une proximité réservée.

Rapidement le doute m’envahit. En cherchant une compagne sortant de l’ordinaire j’avais rencontré une femme d’un type inconnu. Elle ne correspondait en rien à mes schémas. À mes yeux tout était complexe en elle. Incommensurable.

Indéfinissable. J’avais l’impression d’être l’un de ces papillons attirés par la lumière fascinante d’une lampe et qu’en voulant m’y ressourcer j’allais fatalement m’y consumer. En bref, je ne me sentais pas de taille à l’affronter en permanence dans le cadre de ce qu’elle qualifiait gentiment de « Match glacés ».

Foin de combats amoureux... Ad vitam aeternam.

Nos relations étant basées sur une franchise frisant la provocation, je lui déclarais tout de go qu’elle me faisait peur, et que je ne trouvais qu’un seul qualificatif à sa mesure

« HIMALAYESQUE ».

Je précisais de plus que je n’imaginais pas, dans ces conditions, tenter de la conquérir toute entière, Que gravir son mât de cocagne cérébral était déjà un exploit inaccessible, que selon mes pronostics, l’épopée consisterait fatalement, à l’instar des défis mythologiques, à devoir l’aborder sans savoir par quelle voie, ni connaître la nature des périls qu’il me faudrait

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surmonter, que je considérais de plus le prix d’une éventuelle victoire peu attrayant, car la récompense ne serait que de me retrouver au sommet, privé d’oxygène, certes la tête au soleil, mais les pieds dans la neige glacée. Et que, et que, et que ! En conclusion, je lui déclarais qu’après mûre réflexion, je renonçais à être son amant. À moins que ce ne fût de manière platonique et épisodique. Elle me rétorqua que tout cela lui convenait parfaitement, puisqu’elle était amoureuse de mon cerveau. Essentiellement !

Sur cette base limitée, nous reprîmes notre guérilla cérébrale de plus belle.

Entre temps, nous revenions de manière épistolaire sur quelques interrogations laissées en suspens (car il en demeurait toujours).

C’est ainsi, qu’ayant déclaré m’être exercé dans à peu près toutes les formes d’écriture, tant en prose, qu’en vers, j’avais dédaigné le roman, car je n’étais jamais parvenu à en déterminer les caractéristiques profondes. Elle me déclara vouloir réfléchir à la chose et me proposer des éléments de solution…

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ATTENTION

Ici tournant capital de ce roman.

À lire attentivement sous peine d’incompréhension garantie

pour les chapitres suivants

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Quelques jours après, la lettre que je recevais me laissait pantois. Après avoir comme de coutume décodé méticuleusement son écriture, j’avais relu trois fois la proposition délirante qui m’était faite.

Le challenge que Laya avait imaginé n’était ni plus ni moins que d’écrire un roman à deux, non pas de la manière ordinaire manne de tous les « Nègres », pas plus que d’une association à l’image d’un scénariste et d’un dialoguiste travaillant ensemble... Non ! Ce qu’elle voulait, c’était écrire un bouquin en deux parties dont nous rédigerions chacun une moitié. Jusque là encore rien de bien extraordinaire direz-vous ?

La difficulté gigantesque était fondée sur une unique précision, le thème, qui lui-même, était résumé simplement par son titre :

« Himalaya »

Autres contraintes : je partirais de la base, elle, descendrait du sommet et au hasard, nous devrions nous retrouver... quelque part. Bien entendu ce « quelque part » se devait d'être indéfini, sinon il n’y aurait plus de jeu ! Tout devait être laissé au bon vouloir et à la facétie du hasard, y compris et surtout l’intrigue.

Le défi consistait donc à quelque chose de similaire à l’envoi d’un message à un extra terrestre, en lançant pour cela un engin spatial dans une direction inconnue, sans connaître ni la date, ni le lieu de rencontre, pas plus que la langue grâce à laquelle il serait possible de communiquer.

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Il était évident à l’analyse que cette gageure posait aussi des entraves littéraires d’apparence insurmontable. Car, quel style allait bien pouvoir adopter la bougresse ?

Elle était capable de pondre un récit aussi bien dans un registre burlesque, que philosophique, voire tragique. Elle était capable de tout. Un vrai caméléon cette Laya…. "Laya" car à la suite d'un calembour tordu (" Hymne à Laya") elle avait adopté ce surnom… qui lui allait comme un charme.

Néanmoins, ce qui prédominait chez elle c’était l’humour ainsi qu’une certaine prédilection pour la métaphysique et la polémique. De plus elle avait insisté pour que l’intrigue restât aléatoire.

Il me fallait donc trouver un artifice pour que ce Bon Dieu de bouquin ait au moins une continuité de genre et de style et quelque probabilité que nos deux intrigues se rejoignissent au lieu et à l’instant fatidique.

Après des jours de malaxage neuronal douloureux, je me remémorais la phrase que j’avais émise initialement et qui me revenait maintenant comme un boomerang par l’effet de sa rouerie mentale.

« Tu es Himalayesque... »

Je détachais deux concepts clés.

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Le fait que dans l’HIMALAYA (comme ailleurs) toute montagne présente au moins quatre voies pour l’accès à son sommet, à savoir chaque point cardinal, et que chacun d’eux devait receler des écueils redoutables, vraisemblablement très différents et totalement imprévisibles.

Sans que ma solution soit totalement adéquate au plan théorique, je décidais d’explorer quatre voies littéraires distinctes, tant sur le style que le thème, (sorte d'assemblage de nouvelles, ou plus exactement de condensé de roman façon « Reader digest », mais qui auraient néanmoins une filiation), en espérant que l’une d’entre-elles parviendrait à une connexion vaguement en continuité avec celle développée par « chère Laya » !

Hep Laya !

Attend moi…

J’arrive !!!!

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Chapitre Deuxième

Et plus... Si affinités.

Non, pas toi... je t’aime trop... dit Laya en enlevant l’écharpe de laine rouge qu’elle venait de me nouer au cou l’instant précédent.

Elle émettait fréquemment ce genre de phrase sibylline. Elle était aussi coutumière de gestes pour le moins bizarres, mais je m’y étais habitué, tant bien que mal, depuis dix-huit mois que nous vivions ensemble.

Laya était la fantaisie même. Totalement imprévisible.

Désinvolte dans sa cohérence cachée. C’était en grande partie ce qui m’avait attiré vers elle, bien qu’elle eût mille autres charmes sublimes.

Quel jeu avait-elle encore imaginé autour de cette écharpe ? Celle-ci était du genre banal que l’on porte aux sports d’hiver…

alors que nous étions sous les tropiques au plus fort de l’été austral ! Pourquoi ? Nous étions nus, repus d’extase. Que pensait-elle pouvoir ajouter à cet instant de bonheur transcendantal, grâce à ce bout d’étoffe rouge carmin ?

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Pour quel motif y-avait-elle renoncé ? Pourquoi cette phrase aussi réconfortante qu’incompréhensible, alors que l’aguichante plaisanterie visait, semble-t-il, à exténuer ma libido ?

Elle n’était pourtant pas du genre à renoncer à une provocation érotique.

Sa fantaisie amoureuse était concrètement sans borne, ou plus exactement celle-ci avait pour limite celle de son imagination, c’est à dire très proche de l’infini. J’étais parvenu à élucider au fil des mois la plupart de ces énigmes fantasques. Souvent à retardement. Je notais mentalement cette nouvelle devinette en espérant trouver, par la suite, quelque indice dans les méandres de son comportement.

Mais l’affaire en resta là. J’oubliais presque cette historiette.

Or, quelques semaines après, alors que ma belle était partie courir les magasins, je renversais par maladresse, fouinant dans un débarras, une petite valise d’allure insignifiante, qui s’ouvrit d’elle-même dans sa chute. Je n’avais pas l’habitude de fouiller dans ses affaires personnelles, bien que nous ayons établi au début de notre idylle que nous n’aurions jamais de secret l’un pour l’autre.

Mais là, ma curiosité fut la plus forte. S’étalaient devant moi trois écharpes rouges de même facture que celle mise autour de mon cou précédemment et centre de l'énigme presque oubliée.

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Les cache-nez, soigneusement repassés et pliés, étaient légers, confectionnés dans une laine métissée de mohair, s’achevant à chaque extrémité par une frange rectiligne.

Sur le sol s’étalait également un passeport, ouvert par hasard sur une photo de jeune femme ressemblant fort à ma compagne, mais qui se distinguait pourtant de Laya, telle que je l’avais admirée dans sa beauté juvénile en feuilletant son album de famille.

Le document m’indiqua qu’il s’agissait de Laetitia de Terruel, née trente-deux ans au paravent. Ce patronyme m’était inconnu.

Mais je fis immédiatement la relation en compulsant le livret de famille qui accompagnait le passeport.

Laya était veuve d’un certain Pierre-Xavier de Terruel, et Laetitia était sa fille.

Ma dulcinée ne m’avait jamais parlé de cette période obligatoirement prépondérante de sa vie. Elle disait avoir toujours été célibataire et n’avoir mis au monde aucun enfant.

La personnalité radicalement indépendante de Laya permettait logiquement d’admettre l’hypothèse. Je l’avais acceptée ainsi qu’une évidence, car elle semblait infiniment plus femme que mère et rien ne laissait soupçonner qu’elle put avoir une quelconque frustration liée à une absence de maternité.

Mon monde s’effondrait. Je n’avais aucun secret pour elle.

Fidèle à la petite annonce qui nous avait mis en relation, c’est en

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totale franchise que j’avais détaillé par le menu, chaque phase de ma vie mouvementée. Je ne lui cachais jamais rien.

À l’opposé, il se révélait en cet instant qu’elle avait occulté la période majeure de sa vie. Or, une trentaine d’années ne pouvait s’oublier ainsi et le fait d’être maman encore moins.

Je remis soigneusement les objets ainsi que la valise dans leur position initiale. Je décidais aussi de taire ma découverte et de faire en sorte que rien ne transparaisse de cette déception dans mon attitude à venir.

À son retour, je lui sautais au cou et lui fis les quelques minauderies dont nous avions coutume après chaque séparation, même si celles-ci étaient de durée s météorique. Car notre vie était rythmée par mille petites démonstrations de tendresse, alternées de longs moments de béatitude romantique.

Nous étions l'un de ces couples atypiques où l’amour semble éluder les contraintes de la vie sociale. Après avoir erré dans plusieurs métiers techniques nous avions décidé lors de notre rencontre de partager et vivre notre violon d’Ingres : l’écriture.

Elle comme journaliste pigiste, moi comme écrivaillon et scénariste. Nos nouvelles professions nous offraient le privilège de pouvoir exercer à la maison, sans réelle contrainte d’horaire.

Nos idées et nos actes entraient en totale fusion, à plein temps.

Nos frasques intimes s’intégraient également à notre prose et nombre de gestes ou répliques de mes personnages étaient testés et affinés au préalable sur notre propre terrain.

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La confusion romanesque culminait ainsi à son comble. Nous évoluions dans un monde quasi-irréel, virtuel, comme on dirait maintenant. Certains nous prenaient carrément pour des fous, d’autres nous enviaient secrètement.

C’était en particulier le cas de Georges LAMART, Commissaire de Police de son état et de sa charmante épouse, Lise, figurant parmi mes vieux amis.

De-temps-à-autre, nous nous recevions mutuellement à dîner ou pour une partie de campagne, généralement avec deux ou trois autres couples amis, quinquagénaires comme nous.

Ils figuraient tous parmi ces soixante-huitards anoblis par une réussite sociale qu’ils avaient dénigrée de toute l’ardeur de leur jeunesse exaltée. Il nous amusait, Laya et moi, de les entendre discourir sur les fléaux politiques, la précarité de leur statut de cadres brimés, les vicissitudes et les aléas de leur carrière, pour au final faire l’apologie de notre mode de vie hors des sentiers battus. Hors de leur enfer.

J’avais retrouvé Georges assez récemment. Nous nous étions perdus de vue depuis la Fac. Il faisait à l’époque très brillamment son droit tandis que je potachais en lettres, voie que j’abandonnais au profit de l’informatique naissante.

Nous nous défoulions alors deux ou trois fois par semaine dans une petite troupe théâtrale, loufoque, irrévérencieuse et pour

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tout dire contestataire, ce qui était bienséant à l’époque, pour tout fils à papa qui souhaitait tenir son rang.

Le cher commissaire avait été promu « principal » concomitamment à sa mutation à La Réunion, deux ans au paravent. Nous ne parlions que très rarement de travail lors de nos petites réunions. Sans être formellement interdit, ce sujet était un peu tabou.

Cependant ce jour-là, le hasard, inspiré, fit que Georges évoqua sa dernière enquête en métropole. C’était, selon lui, son plus grand fiasco professionnel, mais il se réconfortait du fait que d’autres limiers réputés avaient été aussi lamentables que lui sur cette enquête.

Je venais de faire subitement le rapprochement le plus odieux et le plus insupportable de ma vie.

L’affaire avait défrayé la chronique pendant des années.

L’égorgeuse au foulard Rouge !

C’est ainsi qu’elle avait été baptisée par tous les médias.

Georges résumait brièvement les faits et ce que la presse en disait alors. Pas moins de douze crimes en trois ans, répartis dans toutes les régions de France. Tous exécutés selon une mise en scène sauvage, digne des atrocités nazies.

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Des hommes de trente à cinquante ans, notables provinciaux, égorgés au rasoir sabre, la plaie recouverte d’une écharpe rouge, le sexe tranché et logé dans la bouche !

Aucune concordance totale n’avait jamais pu être établie de manière indubitable entre tous les crimes portant cette singulière et macabre signature.

Quelques points communs entre les victimes étaient évidents : Mêmes tranches d’âge, mêmes statuts social élevé, mêmes statures sportives, mêmes lieux d’assassinat : une chambre d’hôtel de passes et la présence d’une mystérieuse « Dame » les accompagnant, disparaissant comme par enchantement son forfait accompli.

Un vrai casse-tête chinois. Au-delà de ces observations, rien ne permettait de définir un rapport, fut-il ténu, entre les assassinés. Aucun lien familial détecté, aucune amitié connue, aucune profession analogue, aucun lieu de résidence similaire, aucun poste identique, aucune carrière semblable, aucun détail physique ressemblant, aucun profil psychologique comparable...

Tout avait été passé au peigne fin. Leur enfance, leurs études, leur pratique religieuse, leur adolescence, leur service militaire, leurs fréquentations à tous les âges, leur carrière professionnelle, leurs goûts, leurs loisirs ainsi que leurs travers les plus intimes.

La vie de ces défunts-là ressemblait pour les enquêteurs à une interminable litanie de certitudes. Cependant ils ne pouvaient en

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tirer le moindre indice, la moindre hypothèse, le moindre petit bout de fil conducteur.

Tant qu’à la femme au foulard rouge, on n’en savait presque rien.

Son âge, son genre, sa race, son habillement et même sa corpulence variaient selon les témoins.

Tout portait à croire qu’il s’agissait d’une congrégation de justicières exécutant une épuration programmée. Mais personne n’osait en évoquer la conjecture.

On avait vérifié toute supposition, de la plus logique à la plus farfelue et mise sur les nerfs la police scientifique, laquelle avait examiné selon les techniques les plus sophistiquées, des milliers d’empreintes en tout genre, des tâches de toute nature, des poils, des résidus, des traces de toute substance. Les médecins légistes avaient déployé le plus grand zèle de leur carrière. Les psychologues et psychiatres de tout poil en avaient fait autant. De plus, pour transcender la conscience professionnelle on avait fait appel à des groupes cynophiles, des radiesthésistes et même, secrètement, à des grands voyants et autres marabouts.

Les Brigades financières et du grand banditisme avaient été mises également sur le coup. Quelques-uns parmi les macchabées ayant eu de leur vivant des activités troubles avec des éléments qui ne l'étaient pas moins car appartenant à quelque Mafia ou groupe subversif. Mais pour autant, aucun lien ne semblait exister entre les victimes.

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Enfin, on avait mobilisé l’élite informatique de la P.J. afin d’élaborer des statistiques croisées en tout domaine, allant du nom des rues et des hôtels où s’étaient produits les faits, à d’éventuelles similitudes morphologiques, ou leurs habitudes vestimentaires, alimentaires ou autres ainsi que les configurations lunaires. Échec total ! Rien. Absolument rien.

« Laya » écoutait, paisible, cette synthèse, un petit sourire en coin, sans piper mot, ce qui n’était guère conforme à sa volubilité coutumière. Je l’observais pour tenter de détecter le moindre sentiment de répulsion, un quelconque rictus de dégoût ou de peur, ainsi qu’il est naturel face à l’évocation d’une telle barbarie.

Nos invités étaient horrifiés. Mais elle était résolument calme, presque narquoise. Par intermittence, elle me jetait de petites œillades interrogatives, que je percevais comme une bravade.

Ceci confortait malheureusement ma suspicion grandissante. Je tentais de cacher celle-ci en copiant mon attitude sur sa propre réaction.

Sur sollicitation de l’assemblée, Georges se décida à nous conter

« Son » affaire.

Après un refus catégorique au nom du secret professionnel et de l’instruction toujours en cours, il s’était ravisé considérant qu’aucun nouveau crime du genre n’avait été commis depuis plus de trois ans. Certes le délai de prescription était loin d’être atteint, mais on pouvait désormais spéculer que, soit la tueuse

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était morte, soit que ses pulsions meurtrières étaient définitivement assouvies. En l’absence de nouveaux assassinats, il était donc peu probable qu’un nouvel indice déterminant apparaisse, permettant de relancer valablement l'enquête déterminant apparaisse, permettant de relancer valablement l'enquête.

J’observais en silence que Laya avait débarqué sur l’île précisément il y a trois ans. Mes doutes se faisaient de plus en plus oppressants.

Instantanément mon ami Georges était redevenu le

« principal LAMART ». Du ton détaché qui sied à un vieux briscard de la police, il avait entrepris sa narration par un tonitruant « mon client à moi était un drôle de loustic ».

Avec l’aisance d’un tribun populaire il poursuivit : Élevé dans la rue, fils d’alcoolique, orphelin de mère à dix ans, fréquentations douteuses dès sa prime adolescence... Bref... du Zola en cinémascope, revu et corrigé par José Giovanni !

Après quelques petits séjours en prison pour divers larcins et attaques à main armée, il s’était assez vite acheté (en apparence) une conduite respectable. Il était devenu passablement aisé en développant une petite affaire de récupération de ferraille. Puis, il avait épousé une fille de la grande bourgeoisie locale, en rachetant au passage l’entreprise familiale d’extraction de carrières, au bord de la faillite.

D’une grande générosité avec la piétaille politique locale, il s’était peu à peu hissé en haut de la hiérarchie communale, et

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même au-delà, de manière occulte, selon la rumeur. Cette même rumeur prétendait que grâce à des passe-droits, il avait ainsi enlevé certains marchés publics, notamment pour l’empierrement de la voirie et le terrassement, car il avait également investi ce secteur entre temps.

Tout ça pour dire que notre lascar n’était pas vraiment blanc- blanc. Néanmoins avec juste un certif en poche, il s’était très bien débrouillé. Il avait fondé une petite famille qui avait tous les aspects de la tranquillité. Réputé bon père, bon mari, certains croyaient même à la sincérité de sa religion. Seul petit défaut connu, il allait de temps en temps au claque. Mais cette vétille est parfaitement admise dans toutes les villes de province. Il faut dire que sa rombière devait le laisser souvent sur sa faim. Mignonne mais pince-sec, un poil grenouille de bénitier. L’archétype de la bourgeoise provinciale... Sanctuaire et tabernacle quoi !

Lui était plutôt athlétique. Ça devait le démanger un peu aux entournures ! Aussi, on n’a pas été autrement étonné dans le canton quand on l’a retrouvé égorgé dans un hôtel borgne.

Ah ! Si... j’oubliais un truc marrant.

Notre homme s’appelait « Jules Ladoumègue», comme le champion de marathon. Enfin tout le monde l’appelait : « Monsieur Jules » dans le secteur, et ses intimes simplement « Juju ». Je vous dis ça pour l’anecdote car il avait fait une trouvaille.

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Il patronnait un marathon local et un club d’athlétisme qui, mine de rien, portaient ainsi son nom.

Tout ça pour dire qu’il s’y entendait pour lustrer son image. Pas cultivé, mais super finaud, le gars.

Toute la France était sens dessus dessous avec cette affaire d’égorgeuse au foulard rouge. Tous les cinq à six semaines on avait droit à un nouvel épisode. A chaque fois dans une nouvelle région. On avait bien tenté de prévoir le point d’impact suivant, mais son itinéraire échappait à toute logique. Dans les commissariats on faisait les paris sur celui qui récupérerait le bâton (Mer…) le prochain coup.

Tout le monde s'attendait à y avoir droit à son tour, mais quand il est arrivé chez moi, à Béziers, ça nous a quand même filé un coup de froid. On était plutôt Pépère dans le coin.

Quand je me pointais sur les lieux, tout était conforme à la légende. Le papier peint « cra-cra » des murs était maculé de sang. Faut dire que du sang il y en avait partout.

Elle avait dû être carrément douchée avec, la douce tueuse.

C’était à chaque fois pareille. Pourtant on n’avait jamais retrouvé la moindre trace d’hémoglobine au-delà de la chambre, permettant de savoir comment elle s’éclipsait après ses petites séances d’équarrissage.

Pour un mystère, c'était un mystère. Pas la moindre petite trace de rien, à part le cadavre et son sang, bien sûr !

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Tout était passé au crible. Pas un millimètre carré de sol ou de plafond qui n'ait été passé au microscope et à tout un tas d'instruments super-sophistiqués des experts "scientifs".

C'est comme ça qu’on les appelle chez nous. Rien que des cracks.

Des gars qui sont en mesure de te dire le sexe, l'espèce, et l'âge d'un insecte à partir d'une vielle chiure.

On ne s'imagine même pas tout ce qu'ils sont capables de déduire du moindre grain de poussière.

Tiens, une fois, ils nous ont permis de trouver l'auteur d'un crime où on pataugeait lamentablement grâce à quelques milligrammes de glaise comportant des résidus de pollen de je ne sais plus quel type de fougère qu'on ne trouve paraît-il que dans un certain type de forêt. Avec ça, ils ont démontré que le cadavre avait été transporté sur plusieurs dizaines de kilomètres et expliqué toute la mise en scène à partir de la disposition de certains petits osselets qui n'étaient pas en bonne position, et je ne sais plus quoi du genre encore.

Après, on avait quatre suspects. D'après le service scientifique qui avait analysé un minuscule fragment de gomme colorée sous les ongles du mort, celui-ci ne pouvait provenir que du Pérou, pour une histoire d'hévéa qui ne pousse que là-bas.

On avait un seul suspect qui était allé dans ce pays. Petite perquise chez lui. Il en avait ramené un vêtement en toile caoutchoutée de même couleur. Comparaison. Aveux sans même devoir le cuisiner. C.Q.F.D.

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