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Un roman… du septième type

Dans le document Td corrigé HIMALAYA - Developpez.net pdf (Page 191-200)

Ca y’est, j’ai fini hurla Laya triomphante ! Et toi, où en es-tu ?

Je sèche lamentablement sur le sixième chapitre. Je n’ai pas encore décidé quel contenu, et surtout quel style, j’allais lui donner, répondis-je.

Allez, donne-moi ce que tu as écrit, dit-elle.

Désolé, ma belle, ce serait contraire à notre convention. Nous avions dit, et nous en étions tous deux d’accord, que nous n’échangerions nos manuscrits, qu’à l’instant où le dernier d’entre nous aurait fini sa partie.

Combien as-tu écrit de page ?

Quatre-vingt-deux, répondit Laya, fière d’elle.

Je t’accorde que le but n’est pas de rivaliser avec le Bottin et que nous n’avions pas défini le volume, mais je n’ai écrit que quatre chapitres sur sept et j’en suis déjà presque au double.

Il te faudrait étoffer un peu, sinon notre bouquin sera complètement déséquilibré entre ta partie et la mienne.

Tu es en panne d’idées ? provoquai-je.

Bien sûr que non protesta-t’elle. Je n’ai pas transmis le quart de mon inspiration. Mais je n’ai pas ta rapidité de rédaction, voilà ! De plus, moi, j’écris à la main, et toi à l’ordi.

Tu n’as qu’à en faire autant, ma douce… depuis le temps que l’on en parle. Il faudrait être de ton temps.

Bon, je veux bien me remettre à l’ouvrage, dit Laya, mais je veux pouvoir terminer à peu près en même temps que toi. Je ne supporterai pas d’attendre des lustres pour savoir si nous sommes arrivés à nous rejoindre et à quelle sauce tu m'as assaisonnée.

Combien de pages penses-tu encore pondre pour finir ?

Une soixantaine, pour assurer l’équilibre avec les autres chapitres, répondis-je.

Quoi… soixante pages encore ! Combien vais-je mettre de temps pour rattraper mon retard sur toi. Au minimum le triple ! Ça, il n’en est pas question !!! A moins que…

Entendu. Je veux bien continuer… mais il faut que tu acceptes un handicap, sinon je ne marche pas !

Qu’entends-tu par handicap ? À quoi penses-tu exactement ? fis-je inquiet.

Comme ça, précisément, sur l’instant, je ne sais pas. Mais sur le principe je veux te fixer des contraintes d’écriture, pour que tu sois obligé d’y passer trois fois plus de temps que moi.

Et en pratique, comment vois-tu la chose ?

Tiens, tu n’as pas encore choisi le genre de ton prochain chapitre ?

Eh bien, inventes-en un nouveau. Tiens, par exemple, totalement en vers !

C’est amusant ton idée, mais cela risque fort de ressembler à une pièce de théâtre antique ou à un recueil de poésie ! Pas à un roman !

Débrouille-toi ! Contesta-t-elle, impérative.

Et à la réflexion ce n’est pas encore suffisant pour toi, tu versifies comme tu respires.

Attends. Voilà. Entièrement en vers structurés, avec autant de thèmes que de lettres dans l’alphabet. Puis prenant mon dictionnaire en main, elle dit, péremptoire :

Je choisis au hasard les sujets que tu devras traiter obligatoirement.

Bon, je vais te faire une fleur pour commencer… pour la lettre

« A » je te laisse ton sujet de prédilection… l’Amour.

Puis se ravisant instantanément. Oh que non ! Si je commence à te faciliter la tâche, c’est plus de jeu ! Non l’amour, ce sera seulement ton entrée en matière, une sorte de tour de chauffe, comme en « formule un ».

Allez… prend note, me dit-elle sur le ton le plus impératif qui soit.

Bien entendu, docile, j’obtempérais.

Feuilletant les pages, puis pointant son doigt au hasard du dictionnaire, elle lança « son » tirage au sort !

A : Acrostiche (bien, tu vois, le destin fait admirablement les choses, puisque de toutes manières tu aurais été contraint d’en placer un, attendu qu’il te faudra utiliser tous les styles poétiques pour varier.

Tu as toujours été chanceux ! commenta-t-elle.

B : Bramer - (à La saison de amours, je te vois venir !)

C : comme « Cythère » (j’aurais voulu le faire exprès que je n’aurais pas fait mieux ; L’amour, toujours l’amour. Petit gâté, va !)

D : comme « Divorce »… (Tiens l’Amour à l’envers… c’est encore de l’Amour !)

E : comme « Écluse » F : Faribole

G : comme Gaudriole. (je me demande bien comment tu vas illustrer ça ?)

H : Comme Handicap (là , mon Coco, tu vas trouver toi-même la nature du handicap poétique que tu vas t’imposer)

I : Inquisition (pour un athée, c’est un bon sujet, ironisa-t- elle) J : comme Jazzman (tu ne vas pas dire que tu n’as pas de la chance)

K : Krakatoa. (Là je t’ai gâté mon bébé ! )

L : Lécanore. (Là je ne sais même pas ce que c’est. J’en tire un autre. Tu vois je te fais encore un cadeau).

L comme « lettres », (ça te va ?)

C’est vraiment très généreux à toi, condescendis-je !

Attends, tu n’as pas bien compris on dirait ! Pas au sens de littérature mais de caractères typographiques !

L : Liberté (que voilà un beau thème philosophique !!!)

M : Mille-pattes (voilà qui est amusant)

N : Notes (de musique, il va sans dire, m’infligea-t-elle) O : Orage (je vois déjà venir la métaphore conjugale)

Alors là, tu as de la veine, tu vas encore pouvoir prendre ton pied ! ! !

P : Poésie ! (Allez j’avoue, j’ai triché, mon doigt a glissé un peu) Q : Quolibet (te moquer du monde… ça ! c’est encore un bon truc pour toi !)

R : Raillerie (quand on connait ta facilité à faire des pamphlets, des satires et ton art de la dérision, c’est encore un cadeau maison… commenta-t-elle).

S : Stalactite T : Tempête U : Utopie V : Veuf

X : Xylophone.

Y : Yole Z : Zinc

Tu ne veux pas compliquer encore plus en m’obligeant à panacher le tout, en utilisant par exemple l’intégralité des formes poétiques ? lui répondis-je sous forme de boutade.

Aussi décontractée qu’il est possible, Laya me répondit : je n’y avais pas pensé, mais je retiens l’idée. Oui. Fais ça aussi !

Ah, autre chose. Je ne veux pas me faire avoir.

Je te connais mon lapin. Tu ne vas pas me jouer les marchands de tapis là-dessus, me faire ça à l’économie, à l’avare. Tu ne me sors pas un petit quatrain ridicule par sujet. Une stance unique, à la pingre.

Voyons… disons, six quatrains en moyenne, multiplié par vingt-six lettres, ça nous fait... ça nous fait... oui, quelque chose comme un gros millier de vers. Arrondissons au millier supérieur pour faire bonne mesure. Voilà je veux deux mille vers. Pas moins ! Puis elle s’en alla en sautillant, comme une gamine jouant à la marelle. En fredonnant.

J’avais jusqu’ici relevé le défi extravagant de ce livre et je m’en étais tiré plus facilement que je ne le craignais.

Je n’avais jamais renoncé face à un défi lancé par Laya. Je tenais à conserver à ses yeux mon invincibilité.

Ça, c’était non seulement mon côté mégalo naturel, mais je craignais toujours que Laya ne se lassât de moi si je ne parvenais

pas à toujours et sans cesse, à l’étonner, l’émerveiller, la subjuguer.

Sa soif de fantaisie, de variété, de dépassement était inextinguible. Elle était, elle-même, un vrai bouillon de culture.

Une machine à inventer, à créer.

Je n’imaginais même pas prendre le risque de la décevoir, fut-ce sur l’un de ces paris insensés dont elle avait le secret.

D’un autre côté, je n’avais pas la moindre idée de ce que j’allais pouvoir mettre dans ce nouveau chapitre. Ni le thème, ni l’intrigue, ni le genre. C’était, sans le vouloir (bien au contraire) une sorte de cadeau qu’elle me faisait là. Un roman d’un septième type. Ni autobiographique, ni policier, ni de sciences fiction, ni d’aventure, ni historique, ni philosophique… mais tout à la fois !

Inventer un nouveau genre, était-ce vraiment possible ?

Ce qui me dérangeait le plus c’était d’y devoir traiter toutes les formes poétiques. Elles étaient tellement nombreuses et surtout tellement formelles. Ceci était parfaitement antinomique avec la structure d’un roman dont, l’expression est libre par définition et vocation.

D’un autre côté le fait de s’être limitée à l’alphabet réduisait l’exploit à 26 thèmes. Je m’étais vraiment donné des verges pour me faire battre...

Deux mille vers, elle y allait fort. Par chance elle n’avait pas précisé qu’ils devaient tous figurer dans un même chapitre.

Grâce aux trois contes et comptines du chapitre précédent, j’en possédait déjà plus de mille.

Certes, compter comme vers les répétitions formant l’astuce du mille-pattes, était des plus spécieux, mais les exigences de dernières minutes de Laya, n’étaient pas des plus fair-play, non plus. Et comme disait ma Grand-Maman : à malin… malin et demi !

La tâche était ainsi moins difficile, mais pour autant, loin d’être anodine. Mais ce qui était dit… était dit !

Je m’exécutais.

Pour l’amour de ma belle, Et relever son challenge, Vers ses neiges éternelles, Je ferai donc le saut de l’ange.

J’irai sur le toit du monde, Au mépris de cent périls, Franchissant l’air et l’onde, En manœuvres habiles, J’ourdirai de vils plans.

En fourbe Machiavel,

À pieds, en jet ou monoplan, Je foncerai vers elle., J’atteindrai ses cimes, Pour répondre au défi,

En deux mille rimes, Ainsi que je le fis, La plume chevaleresque.

Pour décliner en prose, Sous forme romanesque, De délirantes choses…

Mais,

Versifier sur l’amour, M’est chose trop facile, Car hier et toujours, En vassal fier, docile, Lui ai voué ma vie,

Sans que mes sentiments, N’aient été assouvis, Que je meure si je mens, J’ai été fol amant,

Et le suis tant encore ! A l’image d’un sarment, Que le feu dévore,

Toutes flammes éteintes, Consumant sa braise, L’Amour, de son étreinte, Réinvente ma genèse.

C’était un vrai présent Que cette prime lettre, Un cadeau bienfaisant, Qui ne voulait pas l’être,

Dans le document Td corrigé HIMALAYA - Developpez.net pdf (Page 191-200)

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