PH01.A13.Final
Essai (10 points)
La valeur de la philosophie provient-elle de son inutilité ?
Rédigez un essai : exposez d’abord votre propre position, examinez ensuite deux à quatre objections possibles, auxquelles vous répondez dans la foulée.
Structure : position, obj1/rep1, obj2/rep2 … Texte avec questions (10 points)
« On trouverait peut-être au temps présent cinq ou six cerveaux pour entrevoir que la physique elle aussi n’est qu’une interprétation et une adaptation de l’univers (une adaptation à nous-mêmes si j’ose dire) et non une explication de l’univers. […] Qu’on me pardonne mes habitudes de vieux philologue, si je ne puis renoncer au malin plaisir de mettre le doigt sur les interprétations erronées. Mais ce « mécanisme des lois dans la nature », dont vous autres physiciens vous parlez avec tant d’orgueil, ce mécanisme ne subsiste que grâce à votre art d’interpréter, grâce à votre mauvaise « philologie », — ce n’est pas un état de fait, ce n’est pas un « texte », ce n’est, au contraire, qu’un arrangement naïvement humanitaire, une entorse faites au sens, par quoi vous allez au-devant des instincts démocratiques de l’âme moderne ! « Partout égalité devant la loi, — en cela la nature ne s’en tire pas à meilleur compte que nous. » Plaisante pensée de derrière la tête, où se cache encore une fois l’inimitié populacière qui en veut à tout ce qui est privilégié et souverain ! Mais c’est aussi un second athéisme plus délié. « Ni dieu, ni maître » — vous aussi, vous voulez qu’il en soit ainsi, et c’est pourquoi vous vous écriez : « Vivent les lois de la nature ! » — n’est-ce pas ? Mais, je le répète, c’est là de l’interprétation, et non du texte. Quelqu’un pourrait venir, qui, armé de l’intention opposée et de tout autres artifices d’interprétation, déchiffrerait au contraire dans cette même nature, en parlant des mêmes phénomènes, le triomphe brutal et impitoyable de volontés tyranniques ; ce nouvel interprète vous révèlerait la « volonté de puissance » dans sa réalité universelle et dans sa force absolue, au point que presque tous les mots deviendraient inutilisables, et même le mot « tyrannie » semblerait un euphémisme ou une litote, une métaphore vraiment trop humaine. Ce philologue finirait cependant par affirmer au sujet de ce monde cela même que vous en affirmez, à savoir qu’il a un cours nécessaire et prévisible, non parce qu’il est soumis à des lois, mais parce que les lois y font totalement défaut et que toute force, à chaque instant, va jusqu’au bout de ses conséquences. Et si ce n’est encore là qu’une interprétation, vous allez bien entendu me faire cette objection – eh bien ! tant mieux ! »
Nietzsche, Par delà bien et mal, 1886 (1) Qui est Nietzsche ? Dans quel contexte écrit-il par delà bien et mal ? (2 points)
(2) En quoi la physique moderne est-elle « populacière » selon Nietzsche ? Quels sont ses différents arguments ? (2 points)
(3) Pourquoi « la volonté de puissance » ferait-elle selon Nietzsche une meilleure physique ? Cette physique de la volonté de puissance peut-elle se démontrer ? (2 points)
(4) Si tout n’est qu’interprétation, que reste-t-il de l’exigence de vérité ? Dès lors, à quoi bon écrire ? Quel peut être l’intérêt du travail de Nietzsche ? Le texte manie l’injure et l’invective, pourquoi ? (2 points)
(5) Sur quoi nos interprétations du monde sont-elles fondées en définitives ? En quoi cet extrait illustre-t-il l’exigence d’une « philosophie du soupçon » ? Pourquoi peut-on dire que cette « philosophie du soupçon » anticipe sur les développements du 20e siècle ? (2 points)