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La construction des identités de genre à la renaissance à travers les discours didactiques, édifiants et polémiques imprimés à la Renaissance (1483-1594)

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Academic year: 2021

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HAL Id: tel-01541586

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Submitted on 19 Jun 2017

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travers les discours didactiques, édifiants et polémiques imprimés à la Renaissance (1483-1594)

Tatiana Clavier

To cite this version:

Tatiana Clavier. La construction des identités de genre à la renaissance à travers les discours didac- tiques, édifiants et polémiques imprimés à la Renaissance (1483-1594). Littératures. Université de Lyon, 2016. Français. �NNT : 2016LYSES068�. �tel-01541586�

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N°d’ordre NNT : 2016LYSES068

THÈSE de DOCTORAT DE L’UNIVERSITÉ DE LYON

Opérée au sein de

L’UNIVERSITÉ JEAN MONNET, SAINT-ETIENNE

Ecole Doctorale :

ED 484/3LA : Lettres, Langues, Linguistique & Arts

Discipline :

Langue et littérature françaises

Soutenue publiquement le 10/12/2016, par :

Tatiana CLAVIER

La construction des identités de genre à travers les discours didactiques, édifiants et polémiques imprimés à la

Renaissance (1483-1594)

Devant le jury composé de :

Jean-Claude ARNOULD, Professeur des Universités, Université de Rouen Président

Gary FERGUSON, Douglas Huntly Gordon Distinguished Professor of French, University of Virginia (USA)

Rapporteur

Sylvie STEINBERG, Directrice d’études en histoire moderne, EHESS Paris Examinatrice

Éliane VIENNOT, Professeure des Universités, Université Jean Monnet, Saint-Etienne Directrice de thèse

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THÈSE de DOCTORAT DE L’UNIVERSITÉ DE LYON

Opérée au sein de

L’UNIVERSITÉ JEAN MONNET, SAINT-ETIENNE

Ecole Doctorale :

ED 484/3LA : Lettres, Langues, Linguistique & Arts

Discipline :

Langue et littérature françaises

Soutenue publiquement le 10/12/2016, par :

Tatiana CLAVIER

La construction des identités de genre à travers les discours didactiques, édifiants et polémiques imprimés à la

Renaissance (1483-1594)

Devant le jury composé de :

Jean-Claude ARNOULD, Professeur des Universités, Université de Rouen Président

Gary FERGUSON, Douglas Huntly Gordon Distinguished Professor of French, University of Virginia (USA)

Rapporteur

Sylvie STEINBERG, Directrice d’études en histoire moderne, EHESS Paris Examinatrice

Éliane VIENNOT, Professeure des Universités, Université Jean Monnet, Saint-Etienne Directrice de thèse

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Remerciements

Je tiens en tout premier lieu à remercier ma directrice de recherches, Éliane Viennot pour le temps et l’attention qu’elle a consacrés à ce travail. Sans ses encouragements à poursuivre depuis mon premier travail de maîtrise sous sa direction, sans son exigence et sa bienveillance, cette thèse n’aurait jamais vu le jour.

Je remercie aussi les membres de mon jury, Gary Ferguson et Sylvie Steinberg qui ont accepté d’examiner mon travail et m’ont permis de l’interroger et de l’enrichir, comme l’a fait aussi Jean-Claude Arnould qui a en outre présidé ce jury avec brio et contribué à faire du jour de la soutenance un moment inoubliable.

Je suis reconnaissante envers la région Rhône-Alpes de m’avoir alloué une allocation doctorale entre 2006 et 2009 pour mener une recherche au sein de l’axe

« Genre et Culture » du cluster de recherche n° 13, « Culture, patrimoine et création ».

Ce soutien financier m’a permis de me consacrer entièrement à la recherche pendant mes trois premières années de thèse, et me lancer dans un projet dont je n’imaginais ni l’ampleur ni la façon dont il allait transformer mon existence…

Que soit ensuite vivement remerciée l’équipe du département Lettres de l’Université de La Rochelle qui m’a accueillie en tant qu’ATER pendant quatre ans, tout particulièrement Serge Linkès, maître de conférence en littérature française et Chantal Rahal, secrétaire du département, pour leur présence et leur aide ; ainsi que mes collègues du département Génie Civil de l’IUT de La Rochelle pour leur bienveillance et leurs encouragements à terminer ce travail. Je n’oublie pas l’aide précieuse dans la recherche documentaire que m’ont apportée, dans les services de prêts entre bibliothèques, Nadine Aurières à la bibliothèque universitaire de Toulouse II, Sandrine Bachelet à celle de La Rochelle, ainsi que Fabienne Vial-Bonacci à l’IHRIM de Saint- Etienne (UMR 5317).

Merci à mes proches, qui n’ont eu de cesse de m’encourager pendant ces longues années de travail sans me tenir rigueur de les avoir quelque peu délaissé.es. Je pense d’abord à ma mère, qui m’a ouvert la voie en faisant le choix alors difficile de la liberté et des études, et qui m’a transmis le goût de la culture, du savoir et de l’enseignement. Je pense ensuite à mon amie Diane, qui a épongé mes doutes et soutenu ma démarche depuis mes premiers désirs de recherche. Je pense aussi à François, Léa, Nicolas, Isabelle, Sophie, Florence, Corinne, Jean-Louis, Laurence, en plus de celles et ceux que j’oublie, dont la présence à mes côtés pendant la durée de ce travail a été réconfortante, stimulante et enrichissante.

Merci enfin à Loïc, qui m’a accompagnée quotidiennement et supportée dans tous les sens du terme, réconfortée lorsqu’il le fallait, soignée et alimentée pour que je me consacre entièrement à la rédaction de ce travail, et dont l’amour solide et profond m’a donné la confiance nécessaire à l’aboutissement de cette thèse.

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INTRODUCTION

En 2001, dix ans après la publication par Michelle Perrot et Georges Duby des cinq tomes de l’Histoire des femmes en Occident et trois ans après la parution d’Écrire l’histoire des femmes de Françoise Thébaud, j’ai consacré mon mémoire de maîtrise de Lettres à la préparation d’une édition critique des Enseignements qu’Anne de France avait rédigés pour sa fille vers 1505 – édition que j’ai finalement menée à bien avec ma directrice de recherche1. Ce travail m’a plongée dans l’étude des femmes au pouvoir entre la fin du Moyen Âge et le début du XVIe siècle, et dans celle de la littérature didactique à l’adresse des femmes de cette période. L’analyse des conseils que l’ex- régente avait transmis à sa fille unique avant son mariage m’a permis de repérer quelques-unes des stratégies qu’elle avait elle-même utilisées pour imposer le respect et évoluer dans le monde du pouvoir avec succès. Madame la Grande décrit en effet dans ses Enseignements le comportement exemplaire qu’une femme de ce milieu devait adopter pour ne laisser prise à aucune critique. Elle insiste sur la fragilité de la réputation des femmes et sur la menace qui pèse sur elles d’être discréditées au moindre faux pas. J’ai alors voulu comprendre les dangers qui guettaient les femmes de l’élite, et les raisons pour lesquelles les injonctions d’Anne de France étaient si insistantes sur la maîtrise absolue du corps, des gestes, et des paroles ; ce texte me semblait témoigner d’un contexte social tendu sur la question des rapports entre les femmes et les hommes.

Les textes didactiques adressés aux femmes au Moyen Âge avaient suscité quelques études qui donnaient les titres des plus connus et en indiquaient les principaux messages, mais la question méritait d’être approfondie. Dans mon mémoire de DEA, j’ai proposé une étude comparée des Enseignements d’Anne de France et de trois autres

« institutions » de femmes rédigées entre la fin du XIVe siècle et le début du suivant : Le Livre du chevalier de la Tour Landry (v. 1371-72), Le Ménagier de Paris rédigé par un bourgeois anonyme (v. 1393), Le Livre des Trois Vertus de Christine de Pizan (v. 1406).

L’étude de ces quatre textes rédigés sur une période d’un peu plus d’un siècle, dont deux étaient écrits par des hommes, deux par des femmes, aux statuts sociaux différents, s’est révélée riche d’enseignements quant à la hiérarchie asymétrique entre les sexes mise en place pendant cette période clé. Elle a permis d’apporter quelques éléments de réponse à la question formulée par Joan Kelly en 1977 : « Did women have a

1 Anne de France, Enseignements à sa fille suivis de l’Histoire du siège de Brest, Tatiana Clavier et Éliane Viennot (éd.), Publications de l’Université de Saint-Étienne, « La Cité des Dames », 2006.

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Renaissance ?2 » En effet ces auteurs et autrices témoignaient du durcissement de l’ordre de genre qui s’est progressivement imposé à la Renaissance au détriment des femmes, et des vives réactions qu’il avait suscitées.

Ces textes ne représentaient pourtant qu’une infime partie de la masse des discours produits sur la question. J’ai donc voulu étendre mes investigations à d’autres textes de la Renaissance ayant pu diffuser des messages sur les rôles sexués et les relations entre les femmes et les hommes. Je me suis alors intéressée aux textes de défense et d’attaque des femmes auxquels les écrits pédagogiques faisaient écho, et sur lesquels plusieurs recherches avaient été conduites qui, pensais-je, allaient me mener à d’autres textes en lien avec eux, témoignant comme eux du débat qui semblait si prégnant dans la société renaissante, et que la critique nommait la Querelle des femmes.

Majoritairement pourtant, les travaux sur la Querelle des femmes l’abordaient comme un jeu d’auteurs s’exerçant à l’éloge et au blâme, et limitaient leurs investigations à un corpus restreint de textes attaquant ou défendant les femmes. Ainsi, en 1977, Marc Angenot prônait une lecture « rhétorique » des textes philogynes et misogynes, comme Évelyne Berriot-Salvadore en 1990 et Madeleine Lazard en 2001, qui qualifiait toujours les débats sur les femmes d’« escarmouches intellectuelles » au

« caractère conventionnel et ludique3 ». En 2003 encore, dans les remarques liminaires d’un chapitre de son ouvrage Argumentaires de l’une et l’autre espèce de femme intitulé

« Querelle(s) des femmes », Marie-Claude Malenfant soutenait cette thèse :

Le discours des “ennemis” et des “champions” des femmes à la Renaissance s’inscrit délibérément dans une pratique littéraire codifiée et déterminée par une forte tradition. Dans ce jeu des répliques entre “misogynes” et “gynecocratumènes”, les arguments déployés par l’un et l’autre camp traduisent “moins une pensée intime” que “le respect des règles” de ce jeu où la femme est objet du discours, sujet de dissertation, motif à partir duquel il est possible d’affiner sa pratique de l’éloquence4.

Cette lecture de la Querelle comme jeu rhétorique et non comme témoignage d’un conflit déclaré entre les sexes reposait non seulement sur une tradition née avec Émile Telle et son étude sur L’Œuvre de Marguerite d’Angoulême, reine de Navarre et la Querelle des femmes (1937), mais aussi sur la peur de l’anachronisme et le désir d’être pris au sérieux, qui semblaient exclure qu’on puisse parler de féminisme avant la

2 Joan Kelly, « Did women have a Renaissance ? », in Renate Bridenthal et Claudia Koonz (dir.), Becoming visible : Women in European History, Boston, Houghton Mifflin, 1977, p. 137-164.

3 Marc Angenot, Les Champions des femmes. Examen du discours sur la supériorité des femmes, 1400- 1800, Montréal, PU Québec, 1977 ; Évelyne Berriot-Salvadore, Les Femmes dans la société française de la Renaissance, Genève, Droz, 1990, p. 353 ; Madeleine Lazard, Les Avenues de fémynie, Paris, Fayard, 2001, p. 31.

4 Marie-Claude Malenfant, Argumentaires de l’une et l’autre espèce de femme. Le statut de l’exemplum dans les discours littéraires sur la femme (1500-1550), Québec, PU Laval, 2003, p. 219. Elle cite Évelyne Berriot-Salvadore, op. cit., p. 14 et 45, qui emploie le terme de « gynéco-cratumènes » avec lequel Hérodote désignait des peuples de Scythie temporairement gouvernés par les femmes.

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période contemporaine, au prétexte que le terme lui-même, formé au XIXe siècle, ne pouvait s’appliquer à des périodes antérieures. En 1997, dans son édition de L’Amie de court, Danielle Trudeau appelait à ne pas plaquer sur les textes du XVIe siècle une interprétation fondée sur la dichotomie féminisme/antiféminisme, et à voir dans les

« ouvrages démontrant la supériorité des femmes » la marque d’« une tradition philogyne plutôt que féministe5. Elle s’appuyait sur une distinction établie par Gérard da Silva entre le féminisme, révolutionnaire, et la philogynie, conservatrice, pour montrer que les champions des femmes ne cherchaient pas à agir sur le social mais à en

« reformuler les symboles6 ». Parallèlement, Marie-Claude Malenfant déclarait en 2003 tenir « à préciser que le terme “misogyne”, s’il est attesté dès le XVIe siècle, n’acquiert qu’au XIXe siècle les valeurs sociales qu’il a conservé depuis7 ».

En 1977 et 1978 pourtant, Maïté Albistur et Daniel Armogathe avaient accordé de longs développements de leur Histoire du féminisme et de leur anthologie Le Grief des dames à la fin du Moyen Âge et à la Renaissance, en traitant des implications politiques et idéologiques de ces textes, et des réalités sociales qui les sous-tendaient.

En 1980, Diane Bornstein avait poursuivi la démonstration à travers une nouvelle anthologie au titre explicite et choisi : The Feminist Controversy of the Renaissance.

Deux ans plus tard, Joan Kelly était revenue à la charge dans un article intitulé « Early feminist theory and the “Querelle des Femmes”, 1400-1789 », en s’élevant contre les interprétations exclusivement littéraires de cette controverse. Le féminisme et la misogynie, quels que soient les noms qu’on leur ait donné à l’époque, existaient bel et bien à la Renaissance, et leurs partisans ne s’affrontaient pas que « pour rire » ou pour démontrer leur maîtrise de la rhétorique.

De même, l’intérêt de ces textes pour l’histoire du genre – au sens de système organisant la domination des hommes sur les femmes – semble n’avoir été compris que depuis quelques années, et seulement par de rares critiques. Est ici en cause l’adoption tardive de l’approche de genre en France, pourtant théorisée depuis les années 1980 aux États-Unis. En 2007, dans la réédition augmentée de Écrire l’histoire des femmes, renommée Écrire l’histoire des femmes et du genre, le chapitre ajouté par Françoise Thébaud porte un titre interrogatif : « Le temps du genre et de la reconnaissance ? ».

Elle y explique les fortes résistances voire l’hostilité que rencontre l’histoire du genre en

5 Danielle Trudeau éd., L’Amie de court de Bertrand de La Borderie (1542), Paris, Champion, 1997, p. 82.

6 Sur la distinction entre philogynie et féminisme, Gérard da Silva écrivait : « la confusion est régulière entre ces deux options mais en fait elles s’excluent. L’une veut garder la Cité en l’état (et en reformuler les symboles), l’autre veut la transformer et que le changement social soit lié au symbolique » (De l’égalité à l’équité, Paris, L’Harmattan, 1995, p. 252).

7 Op. cit., p. 219. Elle citait là le Dictionnaire historique de la langue française d’Alain Rey.

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France, et les nombreuses stratégies mises en place pour « la contourner ou la disqualifier8 ».

Si une partie du monde de la recherche – notamment en histoire – a donc fini par se rendre à l’évidence quant à l’intérêt de cette approche, son application à l’étude de la Renaissance, et notamment à l’immense controverse qui s’y déploie, n’a connu que récemment des développements énergiques. On verra dans la première partie de ce travail que la mobilisation du réseau des chercheurs et chercheuses spécialistes des

« femmes de l’Ancien Régime », initié en Amérique du nord et structuré en France au début du XXIe siècle par la SIEFAR (Société Internationale pour l'Étude des Femmes de l'Ancien Régime), a permis de remettre en question la définition de la philogynie comme une manipulation du symbolique sans intention d’action sur le social – si toutefois on pouvait déjà croire en la possibilité d’isoler le symbolique de ses effets sur le réel ; de montrer que l’opposition entre la culture philogyne et la culture misogyne qui s’affiche dans des textes de différentes natures à partir de la fin du Moyen Âge recouvre pour une grande part les luttes de pouvoir entre l’aristocratie et la clergie – la valeur accordée aux femmes étant en quelque sorte la « signature » de chaque groupe ; de montrer que la Querelle démarre avant l’époque de Christine de Pizan, parce qu’elle est liée à la construction des États modernes (c’était déjà l’hypothèse de Joan Kelly) et qu’elle se poursuit bien après les années 1630 (où les partisans de la thèse du jeu rhétorique voulaient la voir s’éteindre), parce qu’elle est liée à la mise en place du monopole masculin sur les fonctions supérieures (« emplois », haute fonction publique, gouvernement…). L’ambitieux programme de recherche initié par la SIEFAR en 2008, et qui a abouti aux quatre volumes publiés sous le titre générique Revisiter la « querelle des femmes ». Discours sur l’égalité/inégalité des sexes, de la Renaissance aux lendemains de la Révolution, a également permis d’appréhender les dimensions européennes de ce conflit, de mieux comprendre le rôle joué par certains courants de pensée ou certains textes, et d’enrayer la peur d’envisager la société d’Ancien Régime comme un terrain d’affrontement entre partisans et adversaires de l’égalité des sexes – quelques soient les acceptions qu’on ait pu donner à cette idée, ou les couleurs qu’elle ait pu prendre en fonction des contextes précis.

Mon travail de thèse, initié en 2006, s’inscrit dans le cadre de ce renouveau des recherches et prétend y participer. Pour contribuer à l’étude de la construction du gender system qui se renforce à l’aube des temps modernes, j’ai voulu montrer que de

8 Françoise Thébaud et Alain Corbin (préface), Écrire l’histoire des femmes et du genre, 2e édition revue et augmentée de Écrire l’histoire des femmes (1998), Lyon, ENS éd., 2007, p. 236.

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nombreux textes étaient imprégnés de cette question, la débattaient et s’en faisaient les témoins, bien au-delà des œuvres envisagées jusqu’alors, c’est-à-dire celles qui opposent directement les défenseurs des femmes et leurs détracteurs, les éloges et les critiques de l’amour et du mariage. Le but était de montrer à quel point le souci des identités et des rôles de genre était omniprésent dans la société renaissante, et à quel point il a irrigué différents genres (littéraires) et types de discours.

En 2002, les éditrices du volume Gender in Debate from the Early Middle Ages to the Renaissance, Thelma Fenster et Clare A. Lees, avaient appelé à élargir le corpus des textes concernés par la construction du genre, et à se pencher sur le livre imprimé comme nouveau support ayant permis de diffuser des idéaux en la matière. Si plusieurs travaux en langue anglaise s’étaient attelés à la tâche, à ma connaissance, il n’existait pas en France de travaux empruntant les approches sociologiques et politiques de l’histoire culturelle pour faire l’analyse genrée de la production, de la réception et des usages des premiers livres imprimés. Des listes d’ouvrages avaient bel et bien été dressées au cours du XXe siècle, mais souvent limitées à un thème, et sans que l’étude de leur diffusion ne soit menée. J’ai donc cherché à entreprendre l’inventaire des textes imprimés à la fin du XVe et au XVIe siècle qui visaient explicitement à former les hommes et les femmes ou à inciter les unes et les autres à se conformer à des rôles particuliers, de manière à mieux cerner ceux qui avaient pu être les plus diffusés, et donc les plus influents.

J’ai fait l’hypothèse que l’arrivée au pouvoir d’Anne de France, en 1483, avait pu jouer un rôle majeur dans le durcissement des positions des adversaires de l’égalité, et donc, en retour, dans la détermination de ses partisans. À la mort de Louis XI, en effet, la France semble – pour les hommes qui comptent – un pays où les gouvernements féminins ne sont plus qu’un lointain et mauvais souvenir. La question de l’héritage du trône par les filles de roi parait avoir été réglée une fois pour toute avec l’éviction des filles et petites-filles de Philippe le Bel, avec la théorisation politique qui en est issue (la « loi salique »), et avec la fin de la guerre de Cent ans qui a acté le renoncement des autres prétendants à la couronne française. Quant au dernier cas de régence féminine que le pays ait connu, il remonte au début du siècle, et il est identifié aux horreurs de la guerre civile. Or Anne de France est la fille aînée de Louis XI, elle prend la direction du royaume en dépit de toutes les traditions (elle n’est que sœur de roi et leur mère est toujours vivante), elle s’impose comme régente en écartant les princes qui prétendaient à cette fonction, elle bat militairement la coalition d’hommes qui mène contre elle la « guerre folle », et elle reste au pouvoir, quoique dans l’ombre, jusqu’à la

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mort de son frère Charles VIII. Après elle, avec Anne de Bretagne, Louise de Savoie et Catherine de Médicis pour les plus officielles, mais aussi avec les sœurs puissantes que sont les trois Marguerite, et encore avec les grandes favorites de François Ier et d’Henri II, Anne de Pisseleu puis Diane de Poitiers, la présence des femmes au pouvoir ou dans les allées du pouvoir se poursuit pendant l’ensemble du seizième siècle.

L’arrivée au pouvoir d’Henri IV marque en revanche la fin de cette période des grandes gouvernantes, et la victoire – en partie apparente, en tout cas provisoire – du camp des masculinistes. La loi salique parait confirmée, quoique ce ne soit pas elle qui ait convaincu les belligérants de laisser les armes, mais bien la conversion du roi à la religion catholique ; et le temps des femmes puissantes dans l’entourage des monarques parait terminé, vu les goûts du premier Bourbon.

Le début de cette période correspond en outre – à quelques années près – à l’entrée en scène de l’imprimerie, événement d’une importance majeure dans la vie politique et culturelle des peuples européens, source de ruptures et de modifications rapides dans des pratiques séculaires : abandon progressif du manuscrit, début du déclin du latin, élargissement rapide des publics, diversification des produits, mise en place de normes, importance croissante des enjeux commerciaux et du poids des fabricants, création de bibliothèques privées, essor de l’alphabétisation… Dans le contexte particulier d’un pays de nouveau « livré aux femmes », il a semblé intéressant d’étudier comment les contemporains s’étaient servis de cette innovation radicale, de cette capacité inédite de faire connaître leurs idées sur l’un des sujets les plus controversés depuis un bon siècle, et alors que les dirigeantes elles-mêmes appelaient des lettrés à se faire les champions des dames. Signalons à ce stade une imprécision sur le terminus ad quem de cette investigation. Contrairement à son terminus ad quo, fixé à l’année 1594 pour les raisons susdites, il ne peut être strictement respecté car la plupart des premiers incunables ne sont pas datés et les spécialistes ne proposent pour eux que des fourchettes. Il est donc possible que des éditions prises en compte soient antérieures à l’année 1483. L’incertitude est tout de même mince, puisque le premier texte imprimé en français en France, selon le grand spécialiste Frédéric Barbier, date de 1476. Il s’agit de la Légende dorée, qui fait partie du corpus des œuvres étudiées pour les discours qu’elles délivrent9.

Avant d’entrer plus avant en matière, il fallait vérifier quelles études avaient déjà été menées sur le vaste sujet qui me préoccupait. La première partie de ce travail y a été

9 Voir Frédéric Barbier, « L’invention de l’imprimerie et l’économie des langues en Europe au XVe siècle », Histoire et Civilisation du Livre, IV, 2008, p. 21-46.

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consacrée. Elle propose un triple état des lieux : celui des études sur la question de la construction des identités de genre à la Renaissance, celui des connaissances actuelles en matière de rapports sociaux de sexe entre le Moyen Âge central et la fin du XVIe siècle, et celui de la production textuelle de l’époque sur la question.

L’une des plus grandes difficultés que j’ai eu à affronter dans cette recherche est la délimitation de ce, ou plutôt de ces corpus. Le travail en présente en effet deux, le second ne consistant qu’en une sélection opérée au sein du premier. Les études de discours, réalisées dans la troisième partie de la thèse, ont été conduites sur des œuvres repérées comme les plus susceptibles d’avoir influencé les contemporains – c’est-à-dire celles qui ont été les plus massivement diffusées. Cette enquête a été menée sur une production beaucoup plus vaste : quelques centaines de titres, que les informations aujourd’hui disponibles font apparaître comme ayant été moins diffusés que les premières ; c’est le corpus présenté à la fin de la première partie. Mais la délimitation de ce corpus là lui-même a soulevé d’immenses difficultés. En effet, un très grand nombre d’œuvres traitent à un moment ou à un autre la question des rapports entre les sexes, ou diffusent des modèles d’hommes ou de femmes, et sont susceptibles d’avoir transmis aux lecteurs et lectrices des idées, des messages, des modèles pouvant les influencer, soit pour des décisions concrètes, soit en formatant leur culture et leur imaginaire. Elles seraient donc à considérer, comme témoins (et actrices) de la mise en place du système de genre à la Renaissance pendant la période ainsi délimitée.

L’époque cherche par exemple dans l’histoire ce qu’elle a d’exemplaire, comme l’indique la prédilection pour la biographie à vocation morale, mais aussi ce qu’elle livre d’informations sur la fondation du royaume, si problématique depuis l’introduction de la loi salique, comme le montre la multiplication des Chroniques, Annales et autres Histoires de France « depuis Pharamond ». Voilà pourquoi une lecture genrée de cette importante production historiographique s’avèrerait utile. De même, les nombreux romans de chevalerie, et plus largement les narrations à succès, offraient au public des démonstrations exemplaires, étudiaient des « cas », mettaient en scène des modèles, donnaient des leçons. Auteurs, traducteurs, imprimeurs – et lecteurs – en étaient conscients. Guillaume Aubert destine sa traduction du douzième livre d’Amadis de Gaule aux gentilshommes et demoiselles « pour leur former un exemple et patron de chevalerie courtoisie et discrétion10 », et François de La Noue écrit que, sous le règne d’Henri II, les Amadis « servoyent de pedagogues, de jouet et d’entretien à beaucoup de

10 Cité par Frédéric Barbier, Histoire du livre en Occident, Paris, Armand Colin, 2012, p. 131.

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personnes11 ». De même, la plupart des textes poétiques mettaient en scène les relations entre les sexes, voire le conflit entre eux, et la participation des femmes à ces deux veines – narrative et poétique – dès le XVe siècle ouvre des perspectives passionnantes à des comparaisons sur les représentations de soi-même, de l’autre sexe et des relations souhaitables ou condamnables entre les deux, qui n’ont encore été que bien peu explorées.

Il était évidemment impossible d’interroger toute cette matière – y compris sous le seul angle des idées qu’on y trouve formulées. J’ai dû restreindre mon étude aux textes normatifs stricto sensu, c’est-à-dire qui se proposaient manifestement et explicitement de traiter ces questions. J’ai donc d’abord cherché quels étaient les discours « didactiques », c’est-à-dire les traités d’éducation, guides de bonne conduite, manuels de savoir vivre, institutions et bonnes mœurs adressés aux femmes et aux hommes, que les presses avaient diffusés. J’ai également exploré la production de textes

« édifiants », au sens où ils proposaient à leurs publics, à travers des exemples d’hommes et de femmes célèbres, des modèles à suivre et des contre-modèles à repousser. Je me suis également intéressée à la production « polémique », celle qui est ordinairement identifiée comme exprimant la Querelle des femmes, dans la mesure où la plupart des textes de controverse recèlent des discours sur les normes de genre. Et j’ai enfin examiné l’immense production des textes portant explicitement sur le mariage et sur l’amour, qu’ils visent à instruire, à inculquer des modèles ou à faire rire, car tous prennent position dans le débat qui fait rage. On verra dans la fin de la première partie de la thèse les sélections que j’ai encore dû opérer à l’intérieur de l’ensemble ainsi défini, et les critères qui m’ont conduite à classer en sept grandes catégories les 324 œuvres finalement retenues, toutes imprimées en français entre 1475 ? et 1594, quelle que soit l’époque où ces textes avaient été rédigés et, pour les traductions, quelle qu’en soit leur langue d’origine. Ces œuvres font l’objet d’une annexe présentant ces textes par ordre chronologique de leur publication, accompagnés de toutes les informations nécessaires (différences de titres, dates des rééditions, etc.).

La matière n’est en effet pas de celles qui se laissent appréhender facilement, y compris à partir des titres – qui peuvent changer d’une édition à l’autre, annoncer des sujets absents des ouvrages, ou des partis pris opposés à ceux qui y sont défendus, ou ne laisser voir aucun rapport avec le sujet parce qu’il était trop connu pour le public de l’époque… Ce sont pourtant d’abord les messages délivrés par les titres des œuvres qui

11 Discours politiques et militaires, VI, Bâle, 1587, p. 133, cité par Gustave Reynier, Le Roman sentimental avant l’Astrée, Genève, Slatkine Reprints, 1969 [1908], p. 157.

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m’ont intéressée – davantage que les genres (littéraires) qu’ils annonçaient. Ce sont eux qui m’ont permis de les sélectionner pour l’étude, parce qu’ils définissaient explicitement leur contenu et l’intention de leurs auteurs et diffuseurs. C’est pourquoi ce travail se présente comme s’intéressant aux « discours » plutôt qu’aux « textes » : pour insister sur le fait que les imprimés y sont envisagés comme produits d’une situation donnée (avec ses participants, auteurs, imprimeurs, libraires…), comme des « actions discursives » au sens foucaldien. Les genres textuels ne sont qu’une composante parmi d’autres de ce que Foucault nomme « les formations discursives », qui conditionnent la production et la distribution des discours, et qu’il définissait comme les règles fondant l’unité d’un ensemble d’énoncés socio-historiquement circonscrits.

On appellera discours un ensemble d’énoncés en tant qu’ils relèvent de la même formation discursive ; il ne forme pas une unité rhétorique ou formelle, indéfiniment répétable et dont on pourrait signaler (et expliquer le cas échéant) l’apparition ou l’utilisation dans l’histoire ; il est constitué d’un nombre limité d’énoncés pour lesquels on peut définir un ensemble de conditions d’existence12.

J’ai envisagé la controverse de sexe, si prégnante dans la société renaissante, comme la principale « condition d’existence » des discours dont j’ai voulu dresser l’inventaire. Une autre pensée, celle de Jauss, m’a aidée à appréhender cette matière :

« Toute œuvre suppose l’horizon d’une attente, c’est-à-dire d’un ensemble de règles préexistant pour orienter la compréhension du lecteur (du public) et lui permettre une réception appréciative13 ». J’ai ainsi considéré comme « discours normatifs » les textes dont les titres affichaient clairement une intention didactique, exemplaire, ou leurs liens avec les débats sur le genre de l’époque, car ils se proposaient explicitement de définir ce que devaient être « la femme », « l’homme », et les rapports femmes-hommes. Ou qui étaient connus pour le faire, comme les Lamentations de Mathéolus ou le Livre de Mathéolus… que les imprimeurs ont tout de même fini par gloser pour le rendre plus immédiatement transparent, surtout dans ses versions abrégées destinées au grand public : La malice des femmes, recueillie de Matheolus, voire tout simplement La malice des femmes, et même La grant Malice des femmes.

La description du corpus restreint, celui des œuvres les plus diffusées de chacune des sept catégories (pour autant qu’on puisse l’estimer avec les outils de recherche actuels) est l’objet de la seconde partie de la thèse. Les vingt textes retenus sont présentés dans leurs contextes de rédaction et de réception, à travers la manière dont ils étaient présentés au public, tant du point de vue des discours tenus par les

12 Michel Foucault, L’Archéologie du savoir, Paris, Gallimard, NRF, 1969, p. 153.

13 Hans Robert Jauss, « Littérature médiévale et théorie des genres », in Gérard Genette et al., Théorie des genres, Paris, Seuil, 1986, p. 37-76 (cit. p. 42).

(15)

différentes instances présentant les textes, que dans leur apparence matérielle. Il a semblé également important de s’y intéresser aux traditions dans lesquelles ils s’inscrivaient et aux sources utilisées par leurs auteurs, avant d’envisager les différents lectorats qu’ils visaient. Cette étude a été l’occasion de mesurer à quel point les types de discours porteurs de messages sur le genre qui ont irrigué la société française entre la fin du XVe siècle et la fin du suivant ont été divers, à quel point leurs auteurs ou traducteurs – voire imprimeurs – pouvaient avoir des objectifs différents ; mais aussi à quel point tous ont déployé des luxes d’efforts pour mettre en valeur ce qui leur importait de dire à leurs contemporains, ou à leurs contemporaines.

La troisième partie, enfin, s’est attaché à faire le tour – si ce n’est toujours la synthèse – des messages diffusés par ces œuvres, qu’il s’agisse des injonctions émises dans les œuvres s’attachant à la formation des individus et aux relations entre les sexes, ou des opinions des auteurs (ou de leurs porte-paroles), parfois rudes, parfois goguenardes, sur l’état de ces relations, en un temps où bien des hommes s’activaient à garder pour eux les fruits de la modernité, et où de nombreuses voix s’élevaient – d’hommes ou de femmes – pour contester cette injustice. Cette étude-là montre plus d’une fois l’existence d’une sorte de consensus, autour de certaines idées reçues, par- delà les positions si différentes des auteurs concernés, mais aussi le très haut niveau de confrontation entre partisans et adversaires de l’égalité, en même temps que l’extraordinaire complexité des messages diffusés, voire les contradictions intrinsèques des discours qui se voulaient les plus univoques.

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SOMMAIRE

PREMIÈRE PARTIE

LE GENRE À LA RENAISSANCE : TEXTES ET CONTEXTES……… 13

A- LES IDENTITÉS DE GENRE À LA RENAISSANCE : UN SUJET PEU ÉTUDIÉ ... 14

1. L’histoire des femmes : un sujet ancien, placé sous le signe de la Querelle ... 15

2. La place de la Renaissance dans l’histoire des femmes et du genre ... 27

3. L’histoire de l’éducation : un domaine principalement traité au masculin ... 38

4. L’histoire du livre et de la lecture : un champ de recherche récent et encore peu concerné par la construction des individus ... 54

B- LES CONNAISSANCES ACTUELLES SUR LES RAPPORTS DE SEXE ENTRE MOYEN ÂGE ET RENAISSANCE ... 72

1. Les héritages médiévaux : rapports de sexe et début de la Querelle ... 72

2. La dégradation de la situation des femmes et les avancées de l’idéal de la séparation des sphères (milieu du XIVe-XVe siècle) ... 81

3. Les résistances du terrain et le début de la Querelle des femmes ... 89

4. La radicalisation des positions (fin XVe-XVIe siècle) ... 94

C- UNE PRODUCTION TEXTUELLE CONSIDÉRABLE ... 116

1. Les traditions médiévales ... 116

2. La production des années 1470-1594 ... 133

D- PREMIÈRES LEÇONS GENRÉES DE L’ÉTAT DES LIEUX ... 153

1. Des ouvrages pédagogiques et édifiants relativement différenciés ... 153

2. Débats et polémiques autour des femmes, du mariage et de l’amour, un filon éditorial ? ... 167

DEUXIÈME PARTIE LES TEXTES LES PLUS DIFFUSÉS : ANATOMIE D'UN CORPUS………….195

A- TEXTES, AUTEURS, TRADUCTEURS, ÉDITEURS, CONTEXTES D’ÉCRITURE ... 196

1. « Institutions des princes et des grands » ... 197

2. « Traités de bonnes mœurs et civilité » ... 207

3. « Institutions des femmes » ... 215

4. « Recueils de modèles / Vies d’hommes et de femmes célèbres » ... 226

5. « Textes sur, pour ou contre les femmes » ... 234

6. « Textes sur, pour ou contre le mariage » ... 243

7. « Textes sur, pour ou contre l’amour » ... 252

B- DES TEXTES PRÉSENTÉS, OFFERTS, VANTÉS… INVITATIONS À LA LECTURE ET STRATÉGIES DE PROMOTION ... 264

1. Les dédicaces ... 264

2. Les prologues, préambules et justifications ... 277

3. Les contributions de lettrés ... 285

4. La mise en livre : pages de titres, tables et manchettes ... 290

5. Les illustrations ... 300

C- L’AUTORITÉ DES SOURCES : CITATIONS, TRADITIONS, EMPRUNTS ... 314

1. La tradition chrétienne ... 314

2. Les sources classiques ... 326

3. La tradition courtoise et anticourtoise, ses débats et sa postérité ... 334

4. La tradition didactique : instituteurs, humanistes et juristes ... 342

5. Modèles et emprunts directs : des œuvres abondamment copiées ... 348

(17)

D- L’ENGAGEMENT DES AUTEURS DANS LES PÉRITEXTES QUI LEUR

REVIENNENT ... 357

1. La posture énonciative ... 357

2. Les intentions visées ... 367

3. Le genre du lectorat visé ... 380

TROISIÈME PARTIE CONSTRUIRE LE GENRE, ENTRE INJONCTIONS, INTERDICTIONS, JUSTIFICATIONS… ET CONTRADICTIONS……… 395

A- CE QUE DOIT ÊTRE UN HOMME ... 396

1. La force et le courage ... 396

2. Le savoir et la maîtrise de la parole ... 402

3. La sagesse et les vertus ... 406

4. La chasteté masculine ... 416

5. Le bon père de famille ... 421

6. Le bon mari ... 426

7. L’honnête amoureux des dames et le « vrai amour » ... 435

B- CE QUE DOIT ÊTRE UNE FEMME ... 446

1. La chasteté féminine : vertu première et modèle de contenance ... 446

2. Conséquences et condamnations de la luxure et de la coquetterie ... 465

3. Obéissance et amour conjugal ... 482

4. Les domaines de compétence des femmes ... 494

C- MARIAGE, AMOUR, SEXUALITÉ : LA RENCONTRE DES SEXES SUR LES TERRAINS MINÉS DU GENRE ... 511

1. La dignité du mariage ... 511

2. Le choix complexe du mariage et des mariés ... 522

3. La sexualité conjugale et extra-conjugale ... 533

4. Luxure et fol amour ... 544

D- ARGUMENTS CONTRE-PRODUCTIFS, PEUR DU MONDE À L’ENVERS, ADVERSAIRES TROP ACTIFS : LA DIFFICILE DÉFENSE DE L’ORDRE DU GENRE ... 561

1. La puissance des femmes et la peur du renversement des pouvoirs ... 561

2. La faiblesse des hommes et la peur de la confusion des sexes ... 583

3. La présence des contestataires ... 594

E- MISES EN SCÈNE DU CONFLIT, TRAITEMENTS DISTANCIÉS : LE GENRE MIS À NU ... 606

1. L’indifférence de Dieu : le cas Voragine ... 606

2. Une matière à rire ... 609

3. Une affaire d’opinion: le cas Marconville ... 612

4. Le cas Castiglione, ou comment gérer le conflit des sexes ... 614

CONCLUSION ... 617

ANNEXES ... 623

BIBLIOGRAPHIE ... 685

INDEX NOMINUM ... 619

TABLE DES MATIÈRES ... 733

(18)

PREMIÈRE PARTIE

LE GENRE À LA RENAISSANCE :

TEXTES ET CONTEXTES

(19)

La construction des identités de genre à la Renaissance est un sujet qui n’a pas encore été étudié en France. Ayant choisi de le traiter tel qu’il se dévoile à travers les livres imprimés, depuis l’ouverture des premières presses jusqu’à la fin du XVIe siècle, soit durant un bon siècle, il m’a d’abord paru nécessaire de faire le tour des connaissances aujourd’hui à notre portée pour traiter un tel sujet, et de dresser un premier corpus des ouvrages les plus diffusés, susceptibles d’avoir influencé considérablement ce processus.

Le premier chapitre est un état des lieux des recherches que j’ai consultées pour conduire la mienne, et qui se sont intéressées à l’histoire des femmes et du genre, celle de l’éducation et celle du livre imprimé à la Renaissance. Dans un deuxième temps, il m’a semblé indispensable de faire le point des connaissances actuelles sur les rapports de sexes entre le Moyen Âge et la fin du XVIe siècle, pour mieux comprendre le contexte à la fois social, politique et intellectuel dans lequel ces textes s’inséraient, et la teneur des messages qu’ils délivrent. Le troisième chapitre présente l’immense production textuelle liée aux relations entre les sexes et aux idéaux forgés pour l’un et l’autre, celle correspondant à la période choisie donnant lieu à une annexe spécifique listant les nombreux textes imprimés identifiés comme intéressant ma recherche. Enfin, le dernier chapitre organise ce vaste corpus en fonction des catégories qui m’ont semblé les plus aptes à permettre l’étude des plus diffusés, afin de montrer ainsi ce que ces éditions nous apprennent de la participation des premiers imprimés à la construction genrée des individus.

A- LES IDENTITÉS DE GENRE À LA RENAISSANCE : UN SUJET PEU ÉTUDIÉ

Poser cette recherche, c’est d’abord expliquer son intérêt dans un champ de recherche encore mal exploré, dans une période mal connue de ce point de vue. Dans ce premier chapitre, il s’agira d’abord de montrer que l’histoire des femmes, fort ancienne, a beaucoup été utilisée par les partisans de l’égalité entre les sexes et par leurs adversaires depuis la Renaissance, mais que l’histoire du genre, bien plus récente, ne s’est que très peu intéressée à cette période. Nous verrons ensuite que les nombreux travaux sur l’histoire de l’éducation se sont majoritairement centrés sur celle des hommes. En troisième lieu seront examinés les apports de l’histoire du livre et de l’édition à notre question, ainsi que les outils que cette discipline fournit au champ littéraire et à l’histoire du genre à la période des premiers imprimés.

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1. L’HISTOIRE DES FEMMES : UN SUJET ANCIEN PLACÉ SOUS LE SIGNE DE LA QUERELLE

L’histoire des femmes est souvent considérée comme un phénomène de la fin du XXe siècle. En réalité, elle date sans doute de l’Antiquité grecque, où elle a émergé comme produit de la conscience que les récits historiques ne faisaient le plus souvent place qu’aux hommes. Homère lista les femmes de l’entourage d’Ulysse dans l’Odyssée, Hésiode rédigea ses Éhées en l’honneur des femmes, Artémon de Magnésie, Apollonios le stoïcien et d’autres, anonymes, dressèrent des catalogues de femmes illustres, avant que Plutarque n’écrivît ses Vertueux faits des femmes, dont la matière fut sans doute rassemblée pendant qu’il travaillait à ses Vies d’hommes illustres (Ier s.).

Pour ce qui concerne l’Occident moderne, elle a massivement ressurgi à la fin du Moyen Âge, dans le contexte de la Querelle des femmes, comme appui à de nombreuses démonstrations sur les capacités ou les incapacités des femmes. Cette Querelle s’étant maintenue jusqu’aux premières décennies du XXe siècle14, l’histoire des femmes est demeurée centrale dans les discours des « partisans des femmes », toujours confrontés à la nécessité de prouver le bien-fondé de leurs certitudes ou leurs revendications, et toujours tentés de le faire en alléguant des exemples de faits avérés (ou considérés tels par leurs contemporains). Si des changements d’approche l’ont affectée au cours des siècles, notamment une plus grande « scientificité » des recherches dès les derniers siècles de l’Ancien Régime, ils n’ont pas mécaniquement entrainé un changement de perspective sur les objets étudiés, d’autant que les historiens ont très massivement continué de pratiquer une histoire des hommes, et que le déficit de recherches sur les femmes a continué d’entretenir la nécessité de conduire sur elles des investigations spécifiques.

1a. La « préhistoire de l’histoire des femmes » en Occident

L’œuvre fondatrice en la matière est le De mulieribus claris (1361-62), rédigé par Boccace à la demande d’Andrea Acciaiuoli, une femme de l’entourage de la reine Jeanne Ire de Naples – dont le règne fut aussi long que contesté. Son très large et très long succès est attesté par les nombreux manuscrits latins conservés en Europe et par les

14 Voir, pour une récente synthèse de ce sujet, Éliane Viennot, « Revisiter la “querelle des femmes” : mais de quoi parle-t-on ? », in Éliane Viennot (dir.), Revisiter la « querelle des femmes ». Discours sur l’égalité/inégalité des sexes. Vol.1, de 1750 aux lendemains de la Révolution, Saint-Étienne, Publications de l’Université de Saint-Étienne, coll. « L’École du genre », 2012, p. 7-29.

(21)

multiples traductions et adaptations qui en ont été faites15. En France, il a été traduit dès 1401, imprimé en 1493 par Antoine Vérard (De la louenge et vertu des nobles et cleres dames), réimprimé en 1538 (Le plaisant livre de noble homme Jehan Bocace poete florentin, auquel il traicte des faictz et gestes des illustres et cleres dames) avant d’être traduit à nouveau en 1551, cette fois à partir d’une nouvelle version italienne (Des dames de renom).

Cette liste de 104 portraits féminins empruntés à la mythologie et à la littérature gréco-latine semble avoir été élaborée dans une perspective moraliste et didactique. Ces

« claires femmes » sont en effet jugées telles pour leurs défauts autant que pour leurs qualités. La culture cléricale de Boccace, toutefois, y pèse lourd : plus de la moitié des histoires est au désavantage des héroïnes et l’ouvrage est criblé d’accusations traditionnelles contre le « sexe faible ». Pourtant, dans le prologue de l’édition Vérard, réalisée pour Anne de Bretagne, le « translateur » du texte signale à la reine son utilité pour contrer les attaques misogynes : il a réalisé cette tâche « affin que vous, ma tresredoubtée dame, ayez matière de répliquer et alléguer les nobles et célébrables vertuz qui ont esté par cy devant ou [au] sexe féminin ». Après avoir fait la louange de sa dédicataire, il exprime son espoir que son « trescélébrable nom volitera de plus en plus par les bouches des hommes, par sur [par-dessus] la fameuse et treschière mémoire de toutes les dames illustres, clères et nobles du temps passé16 ».

De la même façon, les femmes célèbres de Boccace ont été réutilisées par de nombreux auteurs à la Renaissance, de façon positive ou négative, soit dans des recueils présentant des notices à la suite les unes des autres, soit dans des discours (traités, pamphlets) où leurs faits et gestes, résumés, servaient d’exemples soutenant la démonstration recherchée. Marie-Claude Malenfant a étudié ces diverses fonctionnalités des exempla féminins17 et Adrian Armstrong a montré que

les discours des catalogues de femmes vertueuses se prêtent à diverses appropriations sélectives : tantôt à la récupération misogyne, tantôt à un féminisme bien plus radical qu’auraient jamais pu imaginer les [premiers] auteurs18.

15 Voir Vittorio Zaccaria, Tutte le opere di Giovanni Boccaccio, vol. X, De mulieribus claris, 1970, p. 455 et sq ; Lionello Sozzi, « Boccaccio in Francia nel cinquecento », in Carlo Pellegrini (dir.), Il Boccaccio nella cultura francese, Florence, 1971, p. 211-356.

16 Cité dans Antoine Dufour, Vies des femmes célèbres, éd. Gustave Jeanneau, Genève, Droz, 1970, p.

174 et 177.

17 Marie-Claude Malenfant, Argumentaires de l’une et l’autre espèce de femme. Le statut de l’exemplum dans les discours littéraires sur la femme (1500-1550), Québec, PU Laval, 2003.

18 Adrian Armstrong, « L’active et la passive : deux modèles de vertu féminine dans Le Jugement poetic de l’honneur femenin de Jean Bouchet », in Jennifer Britnell et Ann Moss (dir.), Female Saints and Sinners : Saintes et Mondaines (France 1450-1650), Durham, Durham Modern Languages Series, 2002, p. 195.

(22)

Ce sont néanmoins surtout les auteurs et autrices philogynes de la Renaissance qui se sont attachés à réorganiser la matière boccacienne, dans des architectures textuelles généralement plus complexes, insérant les notices dans des argumentaires parfois déployés au sein de cadres allégoriques recherchés.

La première et la plus importante est Christine de Pizan. Après s’être opposée à des intellectuels parisiens en suscitant la querelle du Roman de la Rose vers 1401-1402 et en se positionnant en faveur de l’accès des femmes au savoir et au droit de s’exprimer en public19, elle se mit en scène en 1405 dans la Cité des dames en tant qu’autrice et héroïne bâtisseuse de l’allégorique forteresse, édifiée pour protéger les femmes de leurs ennemis et de leurs détracteurs. Pour elle, les femmes exemplaires étaient à la fois les pierres fondatrices de la cité et ses habitantes. Quant aux lectrices, elles étaient invitées à rejoindre ce « nouvel royaume de femenie », et à introduire leurs propres héroïnes dignes de mémoire : « celles [parmi vous] qui amez gloire, vertu et loz, povez estre hebergees, tant les passees dames, comme les presentes et celles a avenir20 ».

Margarete Zimmermann a montré que l’espace imaginaire de cette cité

« livresque » permettait aux lectrices de dialoguer avec l’ensemble des femmes de toutes les époques de l’histoire : et parce qu’elle constitue un « immense lieu de mémoire, une manière d’archives de la culture féminine », et parce qu’elle est un

« modèle orienté vers l’avenir », une « utopie morale21 ». Christine de Pizan a inventé en effet l’usage systématique des femmes fortes – déesses, souveraines, guerrières, saintes, créatrices, savantes… – pour appuyer un discours destiné à endiguer la détérioration du statut et de la dignité des femmes, voire à les améliorer22. Conséquemment, elle a opéré un réaménagement considérable du legs boccacien23, retranchant du lot vingt-cinq portraits négatifs et y ajoutant une centaine de figures positives pour prouver que l’exclusion des femmes du judiciaire, de la science et de la politique ne répondait pas à une quelconque incapacité (livre I), réfuter les préjugés du courant antimatrimonial (livre II), et confirmer la protection du ciel en conviant la

19 Voir Éric Hicks éd., Le Débat sur le Roman de la Rose, Paris, Champion, 1977 (rééd. Genève, Slatkine, 1996).

20 Christine de Pizan, Le Livre de la Cité des Dames/La Città delle dame, éd. Earl Jeffrey Richards, Luni Editrice, 1998, p. 496.

21 Margarete Zimmermann, « Utopie et lieu de la mémoire féminine : La Cité des dames », in Éric Hicks, Diego Gonzalez et Philippe Simon (dir.), Au Champ des escriptures, IIIe Colloque international sur Christine de Pizan (Lausanne, 18-22 juillet 1998), Paris, Champion, 2000, p. 561-578.

22 Voir Rosalind Brown-Grant, Christine de Pizan and the Moral Defence of Women, Reading beyond gender, Cambridge UP, 1999 ; et Patrizia Caraffi (dir.), Christine de Pizan, Una città per sé, Rome, Carocci ed., 2003.

23 Maureen Quilligan offre une analyse complète et approfondie des modifications opérées par Christine de Pizan sur le texte de Boccace pour en ôter toute misogynie dans The Allegory of Female Authority, Christine de Pizan’s Cité des Dames, Cornell UP, 1991.

(23)

Vierge Marie à gouverner la cité avec sa suite d’illustres saintes, exemples de force et de courage (livre III).

1b. L’histoire des femmes au temps des dernières dirigeantes du royaume

De la fin du XVe siècle au milieu du XVIIe siècle, les reines, régentes, maîtresses royales et autres « gouvernantes » se succédèrent au pouvoir dans un pays désormais doté de la prétendue « loi salique », occasion de revitaliser l’arsenal misogyne fourni par les traditions antique, judéo-chrétienne et médiévale24. Dans les premières réécritures de l’histoire, destinées à établir que les Valois avaient accédé au trône en vertu de cette « loi », la mauvaiseté fondamentale des femmes fut invoquée, incarnée dès la fondation du royaume par quelques reines de la dynastie mérovingienne, pour justifier à la fois l’exhérédation des filles de rois de la couronne et les efforts des hommes pour les écarter de la chose publique.

Face à la radicalisation et à la généralisation de cette offensive, les dirigeantes de la Renaissance les plus conscientes des enjeux allumèrent des contre-feux25. Anne de France, Anne de Bretagne, Louise de Savoie, Marguerite de Navarre, Marguerite de Bourbon, Anne de Ferrare, Catherine de Médicis…, mais aussi d’autres protectrices de la grande noblesse commandèrent ou se virent offrir des Vies de femmes illustres ou des declamatio qui mettaient en valeur le rôle positif des héroïnes de l’histoire et de la légende, et, indirectement, le leur. De nombreux textes réutilisèrent alors les matières boccacienne et christinienne et employèrent la rhétorique de l’exemplarité pour contrer les propos misogynes et leur opposer l’apologie des dames. On les trouvera présentés dans le dernier chapitre de cette première partie, notamment dans la section des

« Recueils de modèles, Vies d’hommes et/ou de femmes illustres » (D 1d) et celle des

« Débats et polémiques autour des femmes, du mariage et de l’amour » (D 2a).

Après la dernière guerre civile, pendant laquelle la plupart des féministes se turent, l’arrivée au pouvoir de Henri IV – qui avait postulé au trône de France au nom de la loi salique – favorisa une nouvelle combativité des partisans des femmes, qui s’appuyèrent à nouveau sur l’histoire des reines26. Cette tendance s’exacerba à nouveau

24 Voir Éliane Viennot, La France, les femmes et le pouvoir, vol. 1. L’invention de la loi salique (Ve-XVIe siècle), Paris, Perrin, 2006, ch. 10 et suiv.

25 Voir par exemple Éliane Viennot, « Comment contrecarrer la loi salique ? Trois commanditaires de livres d’histoire au XVIe siècle : Anne de France, Louise de Savoie et Catherine de Médicis », in Sylvie Steinberg et Jean-Claude Arnould (dir.), Les Femmes et l’écriture de l’histoire 1400-1800, PU de Rouen et du Havre, 2008, p. 73-87.

26 Voir Éliane Viennot, La France, les femmes et le pouvoir. Les résistances de la société (XVIIe-XVIIIe siècle), vol. 2, Paris, Perrin, 2008, chap. 2, « La contre-attaque des féministes ».

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sous la régence de Marie de Médicis, qui débuta en 1610. Florentin Du Ruau, par exemple, chercha à montrer que les femmes étaient aussi capables que les hommes pour diriger le pays dans le Tableau historial des regences en 1615. Mais en 1617, lorsque Louis XIII exila sa mère, deux textes misogynes parurent, qui connurent un grand succès. La Cacogynie ou méchanceté des femmes de Ferville fut rééditée au moins quatre fois jusqu’en 1650, et l’Alphabet de l’imperfection et malice des femmes, du franciscain Alexis Trousset, connut (sous le pseudonyme de Jacques Olivier) dix-huit rééditions jusqu’en 1648. À cette nouvelle liste de vices « féminins », plusieurs opposants répondirent par des listes de vertus, comme le « sieur Vigoureux, capitaine du chasteau de Brye-Comte-Robert » comme il se nommait, avec La defense des femmes, contre l’alphabet de leur pretendue malice et imperfection en 1617, et en 1618 le chevalier de l’Escale (Adam Scaliger) avec son Champion des femmes, qui soustient qu’elles sont plus nobles, plus parfaites et en tout plus vertueuses que les hommes.

Enfin, deux « Boucliers » parurent après le retour à la cour de Marie de Médicis : le Bouclier des femmes du Sieur de Gaillar (1620) et le Bouclier des dames de Louis Le Bermen (1621), qui reconduisaient une nouvelle fois des listes de femmes célèbres.

Autant de phénomènes qui se reproduisirent sous la régence d’Anne d’Autriche, au pouvoir entre 1643 et la fin de la Fronde. C’est contre elle que furent publiées les dernières rééditions de la Cacophonie et de l’Alphabet. La plupart des livres féministes ou philogynes de la période furent dédiés (entièrement ou partiellement) à la régente ou à d’autres grandes dames, comme la Grande Mademoiselle. Ils étaient nourris d’une histoire des femmes qui s’affichait jusque dans leurs titres : Les Femmes illustres ou les Harangues héroïques de Madeleine de Scudéry, 1642 ; Le Triomphe des dames de François de Soucy, sieur de Gerzan, 1646 ; La Gallerie des femmes fortes de Pierre Le Moyne, 1647 ; L’Isthoire et les portraits des impératrices, des reynes et des illustres princesses de l’auguste maison d’Austriche qui ont porté le nom d’Anne de Jean Puget de La Serre, 1648 ; le Panegyrique des dames de Gabriel Gilbert, 1650, etc.27

1c. L’histoire des femmes à la fin de l’Ancien Régime : répétitions et débuts des approches scientifiques

Si la deuxième moitié du XVIIe siècle a vu se développer des argumentaires plus axés sur le raisonnement que sur l’histoire, comme le fameux traité de Poullain de La

27 Ian Maclean a dénombré une trentaine d’écrits de ce genre publiés entre 1640 et 1647 (Woman triumphant, Feminism in french literature, 1610-1652, Oxford UP, 1977, p. 76-78. Voir les chapitres 2 et 3 : « The Traditional Querelle des Femmes in the Seventeenth Century », p. 25-63 et « The New Feminism and the Femme Forte », 1630-1650, p. 64-87).

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Barre De l’égalité des deux sexes, discours physique et moral où l’on voit l’importance de se défaire des préjugez (1673) – voie sur laquelle Marie de Gournay l’avait précédé de longue date avec son Égalité des hommes et des femmes (1622) –, les catalogues de femmes illustres continuèrent à se multiplier, dont plusieurs furent désormais le fait d’autrices, comme Marguerite Buffet avec son Traitté sur les Eloges des Illustres Sçavantes Anciennes et Modernes (1668). D’autres auteurs s’attachèrent de même à des catégories particulières d’héroïnes, comme François de Chassipol avec son Histoire des Amazones en 1678 – quête qui devait avoir une longue postérité, comme en témoignent le Traité historique sur les Amazones… de Pierre Petit (1718) ou l’Histoire des amazones anciennes et modernes de Claude-Marie Guyon (1740).

Ce sont pourtant les femmes de lettres, à la fois de mieux en mieux représentées dans la société et toujours objets de polémiques ardentes, qui furent au centre de l’histoire des femmes de la fin de l’Ancien Régime, à travers des ouvrages destinés à conserver la mémoire des illustres, oubliées ou non, comme l’Histoire des femmes philosophes de Gilles Ménage, publiée en latin et dédiée à la grande helléniste Anne Lefebvre Dacier en 1690. En 1755, Étienne-André Philippe de Prétot, constata et soutint vigoureusement la présence des femmes sur la scène littéraire et intellectuelle dans son court essai Le Triomphe des dames, ou le nouvel empire littéraire. Plusieurs anthologies critiques de la littérature féminine parurent, dont les plus connues sont l’Histoire littéraire des femmes françoises, ou lettres historiques et critiques contenant un précis de la vie et une analyse raisonnée des ouvrages des femmes qui se sont distinguées dans la littérature françoise de l’Abbé Joseph de La Porte et Jean-François de La Croix, en 1769 ; Le Parnasse des dames ou choix de pièces de quelques femmes célèbres en littérature d’Edme-Louis Billardon de Sauvigny en 1772-1773 ; et la Collection des meilleurs ouvrages françois, composés par des femmes, dédié aux femmes françaises, dont Louise de Kéralio publia, de 1776 à 1789, quinze des trente-six volumes prévus.

Dans le même temps, certains catalogues de femmes illustres continuaient d’afficher leur ancrage dans l’histoire, tels l’Apologie des dames appuyée sur l’histoire de Mme Galien (1736), les Vies des femmes illustres de la France d’Aublet de Maubuy (1762), les Anecdotes des reines et régentes de France de Jean-François Dreux du Radier (1764)… quand d’autres ouvrages développaient études et réflexions, à l’instar de l’Essai sur le Caractère, les Mœurs et l’Esprit des femmes dans les différents siècles de l’académicien Antoine-Léonard Thomas (1772). Des ouvrages auxquels répondaient toujours, directement ou indirectement, les adversaires de l’égalité des sexes, comme Diderot avec son essai « Sur les femmes » (1772), qui récusait les thèses de Thomas au

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