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PRINCIPALEMENT TRAITÉ AU MASCULIN

B- LES CONNAISSANCES ACTUELLES SUR LES RAPPORTS DE SEXE ENTRE MOYEN ÂGE ET RENAISSANCE DE SEXE ENTRE MOYEN ÂGE ET RENAISSANCE

1. LES HÉRITAGES MÉDIÉVAUX : RAPPORTS DE SEXE ET DÉBUT DE LA QUERELLE DE LA QUERELLE

Les études sur les femmes au Moyen Âge, aujourd’hui très nombreuses, ont mis en valeur la situation estimable de bien des catégories de femmes en Occident jusqu’au tournant du XIIIe siècle, et vraisemblablement de l’ensemble des femmes si l’on prend en compte un critère aussi crucial que le statut juridique161. Il est certes exclu de parler pour cette période d’« égalité des sexes » autrement qu’entre guillemets : ni l’égalité en général, ni celle des sexes en particulier n’ont de sens dans l’ancienne société, d’abord parce qu’elle est entièrement pyramidale, ensuite parce que le groupe social y prime sur le sexe. Les siècles suivants ont toutefois été caractérisés par de telles dégradations des pouvoirs des femmes dans tous les domaines, que les spécialistes n’hésitent pas toujours

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Cette estimation n’a guère été combattue que dans les années 1970-1980, notamment par Georges Duby (cf. son Mâle Moyen Âge, 1988) ; mais l’historien est revenu à la fin de sa carrière sur ses analyses, s’avouant lui-même victime des textes misogynes : « Derrière l’écran que dressent devant les yeux de l’historien les invectives et le mépris des hommes, je les devine […] fortes, infiniment plus fortes que je n’imaginais » (Dames du XIIe siècle, Paris, Gallimard, 1995, tome II, p. 217-218). Sur les critiques de ses travaux de ce point de vue, voir le numéro de Clio, Histoire, femmes et sociétés consacré à « Georges Duby et l’histoire des femmes » (n° 8, 1998) ; et Annie Bleton-Ruget, Marcel Pacaut et Michel Rubellin (dir.), Georges Duby, regards croisés sur l’œuvre, Femmes et féodalité, PU de Lyon, 2000.

à user de telles formules, voire à parler d’« âge d’or » des femmes, pour mieux faire comprendre la très longue traversée du désert qui a suivi.

1a. La relative « égalité des sexes » du Moyen Âge central

Il est essentiel de rappeler d’abord que la féodalité est marquée par une réelle mixité du pouvoir, favorisée par la dilution de l’autorité politique centrale et la multiplication des familles dirigeantes. Les principautés indépendantes se transmettaient aux filles quand il n’y avait pas de garçons pour en hériter, et elles pouvaient être longuement confiées à leurs mères lorsque les héritiers étaient mineurs. La transmission des fiefs n’était ni patrilinéaire ni matrilinéaire mais « topolinéaire162 ». Les héritières, une fois mariées, conféraient à leurs époux les titres attachés à leur terre mais restaient propriétaires de leur héritage. Elles agissaient donc en tant que seigneures ou seigneuresses, voire comme ducissa163, et lorsqu’elles ne géraient pas elles-mêmes les terres et les biens qui leur étaient octroyés en dot ou en douaire à leur mariage ou qu’elles tenaient de leurs précédentes unions, leurs époux avaient besoin de leur consentement pour que les transactions décidées ne soient ensuite pas contestées.

Les plus puissantes animaient les cours, réglaient des conflits, défendaient leurs droits en justice, patronnaient des monastères, faisaient des donations, organisaient des alliances, négociaient avec les souverains. Les autres étaient régulièrement chargées d’assurer l’ensemble des tâches revenant à leurs époux quand ils devaient partir en guerre ou en croisade. Certaines n’hésitaient même pas à prendre les armes ou à partir elles aussi en croisade. Au sein du mariage, leur position s’était vue affermie par les stratégies matrimoniales des puissants, la recherche de fidèles les ayant poussés à donner leurs filles en mariage à leurs vassaux. Issues de strates plus élevées que leurs époux, chargées de maintenir l’alliance avec leur parentèle, les femmes étaient précieuses dans leur nouveau réseau familial, et le respect de leur personne était dans l’intérêt des groupes dirigeants. La main-mise de l’Église sur le mariage avait également contribué à cette consolidation. En faisant du consentement des époux la condition de la validité des unions – condition indispensable, pensaient ses responsables, pour garantir

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Voir Anita Guerreau-Jalabert, « Prohibitions canoniques et stratégies matrimoniales dans l’aristocratie médiévale de la France du Nord », in Pierre Bonte (dir.), Épouser au plus proche : inceste, prohibitions et stratégies matrimoniales autour de la Méditerranée, Paris, éd. de l’E.H.E.S.S., 1994, p. 293-321.

163 Karl-Ferdinand Werner, « Les femmes, le pouvoir et la transmission du pouvoir », in Georges Duby, Michel Rouche et Jean Heuchlin (dir.), La Femme au Moyen Âge, Maubeuge, la ville, 1990, p. 365-380 (cit. p. 368).

leur indissolubilité –, elle avait renforcé les capacités du maillon le plus faible de la chaine, l’épouse, au détriment de la puissance paternelle164.

Au sommet du pouvoir, les reines codirigeaient avec les chambellans l’administration du palais royal depuis le règne de Charles le Chauve (IXe siècle). Elles tenaient ainsi dans la gestion des affaires publiques une place officielle correspondant à une sorte de ministère de l’Intérieur, sans compter les missions diplomatiques qu’elles assumaient, ni le pouvoir qu’elles exerçaient dans les domaines culturel et religieux à travers le mécénat, la fondation et le financement des monastères. En outre, la généralisation de la règle de primogéniture à la fin du XIe siècle – l’héritage du trône par un seul héritier, l’aîné – avait entraîné la sécurisation du statut des mères et des épouses royales, de moins en moins menacées des répudiations si fréquentes au cours des siècles précédents.

Aux niveaux moins élevés de la société, les femmes s’occupaient également des affaires de « l’intérieur » mais leur existence n’y était pas réduite. Beaucoup de femmes exerçaient un métier, et elles pouvaient porter leurs griefs devant les tribunaux, même contre leurs maris. La grande mixité de la vie sociale et professionnelle est attestée par les nombreux noms de métiers au féminin recensés par Étienne Boileau vers 1268 dans son Livre des métiers, qui liste quinze professions strictement féminines et quatre-vingt mixtes165. Aux côtés des ferronnes, des maçonnes…, les prudes femmes exerçaient alors dans les « jurandes », ancêtres des conseils de prud’hommes. Des médeciennes et des miresses exerçaient leurs talents auprès des populations, voire les enseignaient comme la célèbre Trotula de Salerne, connue dans toute l’Europe166. Des écrivaines brillaient également dans les cours, à l’instar des trobairitz qui pratiquaient la lyrique amoureuse en langue occitane et de la plus fameuse poétesse du nord du royaume, Marie de France167. De nombreuses laïques cultivées participaient à la vie intellectuelle et culturelle par le biais du mécénat168. Célébrées par les artistes et écrivains, elles

164 René Metz, « Le statut de la femme en droit canonique médiéval », Recueils de la Société Jean Bodin pour l’histoire comparative des institutions, 12 (La Femme, II), Bruxelles, 1962, p. 59-113.

165

Cité par Armelle Le Bras-Chopard, Les Putains du diable. Le procès en sorcellerie des femmes, Paris, Plon, 2006, p. 141.

166 VoirMélanie Lipinska, Histoire des femmes médecins depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours, Librairie G. Jacques et Cie, 1900, p. 81-144.

167

Rita Lejeune, « La femme dans les littératures française et occitane du XIe au XIIIe siècle », in La Femme dans les civilisations des Xe-XIIIe siècles, actes du colloque tenu à Poitiers les 23-25 septembre 1976, tiré à part des Cahiers de civilisation médiévale, Poitiers, Université de Poitiers, publication du CESCM, vol. XX, n° 2-3, 1977, p. 111-126 ; et Madeleine Tyssens, « Voix de femme dans la lyrique d’oïl », in Femmes, mariages, lignages, XIIe-XIVe siècles. Mélanges offerts à Georges Duby, Bruxelles, De Bœck-Wesmael, 1992, p. 373-387.

168 Rita Lejeune compte par dizaines les femmes mécènes (op. cit., p. 115-118). Voir aussi Susan Groag Bell, « Medieval Women Books Owners : Arbiters of Lay Piety and Ambassadors of Culture » (1982), in

influençaient la sphère culturelle en commandant, outre la réalisation de psautiers et de livres d’heures, la rédaction et la traduction de textes profanes, historiques, romanesques, poétiques et didactiques169.

La littérature médiévale témoigne également de la puissance relative des femmes, voire de leur vénération, notamment celle qui mit en avant la corteisie et la fin’amors, amour raffiné fondé sur le mérite et l’estime entre une domina et son vassal, un clerc ou un chevalier élu parmi des prétendants testés. Bien que quelques historiens, dans la seconde partie du XXe siècle, aient soutenu la thèse selon laquelle l’amour courtois n’aurait été qu’un modèle littéraire et imaginaire, les travaux les plus récents ont mis en évidence que les textes le mettant en scène sont dus à la présence des femmes dans la vie intellectuelle et artistique de l’époque et à leur importance dans la vie affective des hommes170. Ils ont également montré l’utilité politique que représentait, pour l’aristocratie, la mise en avant de cet idéal des relations entre les sexes, à la fois pour la « gestion des pulsions sexuelles en milieu mixte de culture guerrière171 » et pour la distinction de l’aristocratie, tant vis-à-vis du pouvoir royal de plus en plus soumis au contrôle de l’Église, que vis-à-vis de la clergie.

De son côté, l’Église appuyait depuis le haut Moyen Âge sa vaste entreprise de christianisation sur les femmes qui convertissaient leurs familles et leurs proches172, fondaient des monastères, et lui apportaient leur soutien en temps de crise173. En dehors des quelques exemples qui ont pu faire parler d’un véritable mouvement féministe dans le monde religieux – la réapparition des diaconesses à la fin du XIe siècle174 et la fondation par Robert d’Arbrissel de la communauté religieuse mixte de Fontevraud en 1101, dirigée par une abbesse dès 1115 –, l’Église assurait généralement aux femmes qui travaillaient à sa gloire et à sa fortune une vie spirituelle, intellectuelle et affective

Mary Erler et Maryanne Kowaleski (dir.), Women and power in the Middle Ages, Georgia UP, 1988, p. 149-187 ; et June Hall McCash (dir.), The Cultural Patronage of Medieval Women, Georgia UP, 1996.

169 Joan M. Ferrante, To the glory of her sex : women’s roles in the composition of medieval texts, Bloomington, Indianapolis, Indiana UP, 1997.

170 Voir Albrecht Classen (dir.), Discourses on Love, Marriage, and Transgression in Medieval and Early Modern Literature, Tempe, Arizona Center for Medieval and Renaissance Studies, vol. 278, 2004 (notamment la considérable introduction d’Albrecht Classen et l’article de Virginie Greene, « The Knight, the Woman, and the Historian : Georges Duby and Courtly Love », p. 43-64).

171 Éliane Viennot, La France, les femmes et le pouvoir, vol. 1. L’invention de la loi salique (Ve-XVIe

siècle), Paris, Perrin, 2006, p. 154. Voir aussi partie I. Fondations (Ve-Xe siècle), p. 24-101.

172 Voir Dom Jean Leclercq, « Rôle et pouvoir des épouses au Moyen Âge », inLa Femme au Moyen Âge,

op. cit., 1990, p. 87-98 ; et Jean Delumeau (dir.), La Religion de ma mère. Le rôle des femmes dans la transmission de la foi, Paris, éd. du Cerf, 1992.

173 Comme Agnès de Poitou, Béatrice et Mathilde de Toscane pendant la querelle des Investitures qui opposa la papauté au saint Empire germanique entre 1075 et 1122.

174 Elles furent supprimées à nouveau 200 ans plus tard. Voir Suzanne Wemple, « Les Traditions romaine, germanique et chrétienne », inHistoire des femmes en Occident, t. II, op. cit., 1991, p. 185-216 (p. 210).

qui leur procurait liberté et puissance175. Les couvents étaient des lieux d’étude et de savoir où de nombreux manuscrits étaient copiés176. De grandes savantes y étaient formées dont l’histoire n’a retenu que quelques figures, comme Hildegarde de Bingen, abbesse, naturaliste et biologiste, ou comme Héloïse, qui enseignait le grec, l’hébreu et l’Écriture à ses moniales du Paraclet et que Pierre le Vénérable nommait révérencieusement « femme philosophique177 ». Comme les monastères masculins, les couvents féminins possédaient des terres qu’ils exploitaient, ce qui connectait leurs membres au réseau social, économique et politique où les abbesses bénéficiaient d’un grand pouvoir. En plus d’administrer leurs ordres, de gérer leurs domaines, elles échangeaient en effet avec les autorités locales et siégeaient dans des tribunaux ecclésiastiques.

Il faut ainsi bien distinguer la femme, dénigrée car dangereuse pour la discipline des religieux, et les femmes avec lesquelles les dirigeants de l’Église avaient des contacts privilégiés : parentes, abbesses ou gouvernantes en qui ils trouvaient des alliées178 et à qui ils s’adressaient dans des termes élogieux empruntés à la courtoisie179. Enfin, il ne faut pas oublier que la majorité des clercs séculiers eurent longtemps épouse et enfants. L’entreprise visant à séparer laïcs et religieux sur ce plan était loin d’être réalisée à la fin du XIIe siècle180. Le stock de discours misogynes dont l’Église disposait depuis l’Antiquité tardive et qui lui avait permis de construire un appareil entièrement masculin181 continuait d’être essentiellement utilisé en direction de ses propres ouailles182.

175

Voir Jacques Verger, « Les reines et le savoir. Reines et princesses fondatrices ou protectrices d’universités ou de collèges au Moyen Âge », inReines et princesses au Moyen Âge, Montpellier, Presses de l’Université Paul Valéry, « Cahiers du CRISSIMA », 2001, p. 103-112.

176 Danielle Régnier-Bohler, « Voix littéraires, voix mystiques », inHistoire des femmes en Occident, t. II, op. cit, 1991, p. 443-504 (cit. p. 463).

177 Georges Duby, Dames du XIIe siècle, Paris, Gallimard, 1995, tome I, p. 77.

178 C’est ce que rappelle Marie-Thérèse d’Alverny dans « Comment les théologiens et les philosophes voient la femme », in La Femme dans les civilisations des Xe-XIIIe siècles, op. cit, 1977, p. 15-39.

179 Voir Jacques Dalarun, « La Madeleine dans l’Ouest de la France », in “Dieu changea de sexe, pour ainsi dire” : la religion faite femme (XIe-XVe siècle), Paris, Fayard, 2008, p. 58. Voir aussi Reto R. Bezzola, Les Origines et la formation de la littérature courtoise en Occident (500-1200), Paris, Honoré Champion, 1960, t. II, p. 366-391 et 464-466.

180 Dom Jean Leclercq a montré que les textes des moines comme Bernard de Clairvaux, Hugues de St Victor et d’autres donnent une vision positive de l’amour conjugal qui n’exclue pas l’aspect charnel et sensuel, dans Le Mariage vu par les moines au XIIe siècle, Paris, éd. du Cerf, 1982.

181

Alcuin Blamires donne un aperçu de cet arsenal dans son anthologie, Woman Defamed and Woman Defended : an anthology of medieval texts, Oxford, Clarendon Press, 1992.

182 Sur cette littérature, voir David Townsend et Andrew Taylor (dir.), The Tongue of the Fathers : Gender and Ideology in Twelfth-Century Latin, Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 1998 ; et l’ouvrage plus ancien de Jean-Marie Aubert, La femme. Antiféminisme et christianisme, Paris, Le Cerf/Desclée, 1975.

1b. La montée en puissance de la clergie

De longue date identifiée par les historiens comme le début des temps difficiles pour les femmes occidentales, la fin du Moyen Âge a fait l’objet de nombreuses études décrivant la dégradation de leurs positions sans que ce processus s’accompagne d’explications. Dès le début des années 1980, néanmoins, la construction des États modernes et les transferts de pouvoir qui y sont liées ont été pointés du doigt, notamment par Joan Kelly, dans son article sur la Querelle des femmes. Un peu plus tard, Jo Ann McNamara a montré qu’une reconstruction des relations de genre avait commencé de s’effectuer dès le XIIe siècle car de nouvelles professions, créées par l’Église comme par le développement des villes et des gouvernements laïcs, requéraient « new identities that had to be gendered as well as classed183

».

Plus récemment, Éliane Viennot a proposé de reconsidérer le rôle central, dans cette transformation, d’un groupe social parfaitement identifié dans la société française dès la fin du XIIe siècle, la clergie. Elle a rappelé comment ces « hommes nouveaux », venus de toutes les classes sociales excepté la grande noblesse, sortis des universités nouvellement créées par les États pour répondre à ses besoins en fonctionnaires (conjointement avec l’Église qui jusque là assurait seule la formation des lettrés), avaient rapidement investi, voire monopolisé la haute administration, la fonction publique, la justice, l’entourage des rois, et bien entendu l’enseignement supérieur – tous domaines où les emplois se multipliaient à mesure que se construisaient les États modernes, et où leur « expertise » faisait merveille. Tous domaines, également, d’où ils ont piloté la création des nouvelles instances de gestion et de centralisation de l’État, l’ouverture de nouvelles universités, la réintroduction du droit romain, la « réformation des coutumes », les nouvelles relations entre le pouvoir royal et les pouvoirs locaux, forgeant à la fois les outils de ces évolutions et les commentaires les justifiant184.

Or les clercs n’étaient pas seulement soudés par de longues années de formation et de vie estudiantine communes, par la maîtrise du latin et de l’art de la rhétorique, par les activités professionnelles qu’ils partageaient, par les intérêts qu’ils défendaient. Ils l’étaient aussi par la misogynie qu’ils avaient apprise dans les textes dont ils avaient été nourris (les Pères de l’Église, Aristote), qu’ils avaient pratiquée dans leurs longues années de célibat, et qui justifiait leur monopole dans l’accès aux diplômes et aux professions prestigieuses qui y étaient couplées. D’où la floraison, dès le XIIIe siècle, de

183 Jo Ann McNamara, « The Herrenfrage : The Restructuring of the Gender System, 1050-1150 »,

Medieval Masculinities : Regarding Men in the Middle Ages, éd. Clare A. Lees, Medieval Cultures 7, Minneapolis, Minnesota UP, 1994, p. 3-29 (cit. p. 4).

184 Éliane Viennot, La France, les Femmes et le Pouvoir…, op. cit., vol. 1, chap. 8 (« L’irrésistible ascension des clercs »).

discours misogynes virulents, non plus seulement destinés aux religieux comme c’était le plus souvent le cas auparavant mais à l’adresse des laïcs masculins, afin de dénigrer le respect des femmes qui fondait souvent leurs stratégies matrimoniales et leur vie de couple ; afin de contrer, aussi, l’influence de la culture des nobles, cette « courtoisie » éminemment philogyne si ce n’est féministe. Ces discours s’adressaient également aux clercs de plus en plus tentés par le mariage, afin de les doter eux aussi d’un idéal des relations entre les sexes qui ne soit pas celui du respect et de l’égalité. Leurs auteurs combattaient ouvertement les théoriciens faisant l’éloge du mariage, à travers des œuvres qui mettaient en évidence les tourments de la vie conjugale. L’influence grandissante de la clergie s’est ainsi accompagnée dès le milieu du XIIIe siècle d’une dégradation progressive des droits et de la situation des femmes ainsi que d’une inflation de discours misogynes et misogames.

La détérioration du statut juridique des femmes a d’abord concerné leurs droits à la propriété et à la succession : elles qui avaient la libre disposition de leurs biens ne se sont progressivement vu accorder que l’usufruit de leur douaire et de la dot qui venait compenser leur renonciation à l’héritage paternel. Elle a ensuite touché à leur représentation dans les cours de justice : de plus en plus considérées comme simples d’esprit, elles ont progressivement été décrétées non responsables de leurs actes et non crédibles dans leurs témoignages185. Parallèlement, des restrictions de l’autonomie des femmes ont commencé à toucher certains secteurs d’activité : là où elles avaient pouvoir et liberté, elles ont de plus en plus été mises sous contrôle. Les travaux italiens sur la question montrent que les conditions du travail féminin se sont aggravées notablement entre le XIIIe et le XIVe siècle186. Les travailleuses ont de plus en plus été reléguées dans les emplois les moins qualifiés des corporations mixtes, avant qu’une interdiction d’exercice pour les femmes touche un nombre croissant de métiers, dont la médecine, désormais réservée aux diplômés de l’Université187.

Une détérioration du pouvoir politique s’est également fait sentir, surtout en France, avec les différents coups de force qui ont conduit à l’élimination de plusieurs héritières potentielles de la couronne : d’abord Jeanne de France, fille demeurée unique

185 Voir Merry E. Wiesner, Women and Gender in Early Modern Europe, Cambridge UP, 1993, p. 30-34.

186 Simonetta Cavaciocchi (dir.), La donna nell’economia, secc. XIII-XVIII, Fondazione istituto internazionale di storia economica « F. Datini » Prato, Florence, Le Monnier, 1990 ; Angela Groppi (dir.),

Il lavoro delle donne, Rome-Bari, Laterza, 1996.

187

« À partir de l’ouverture des facultés, c’est l’histoire d’une exclusion, qui va durer près de sept siècles, au point que beaucoup s’imaginent que les médecins féminins sont apparus dans le dernier quart du XIXe

siècle » écrit Josette Dall’Ava-Santucci, inDes Sorcières aux mandarines. Histoire des femmes médecins, Calmann-Lévy, 2004, p. 8. Sur l’exclusion progressive des femmes de la médecine, voir aussi Monica H.

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