• Aucun résultat trouvé

PRINCIPALEMENT TRAITÉ AU MASCULIN

C- UNE PRODUCTION TEXTUELLE CONSIDÉRABLE

1. LES TRADITIONS MÉDIÉVALES

Issue du rêve antique de former des « princes philosophes », la littérature visant à former les puissants en fonction d’idéaux religieux, sociaux ou politiques n’a fait que s’accroître et se diversifier à partir de la fin du Moyen Âge, au fur et à mesure que la haute clergie cherchait à étendre son influence sur les puissants. Quant à la question des identités de genre, elle y a pris une place de plus en plus grande dans le contexte des infléchissements masculinistes que les clercs tentaient d’imposer, et de l’émergence de la « Querelle des femmes ». Afin de donner une idée de l’ampleur de cette accumulation des discours ayant servi de cadre de pensée et de réservoir d’idées aux contemporains et contemporaines de notre période d’investigation, divers types d’écrits seront ici brièvement présentés. Seront d’abord évoqués les écrits dits « parénétiques » (du mot « parénèse » qui signifie « exhortation »). J’évoquerai ensuite les Vies exemplaires, puis les institutions des princes, les traités d’éducation mondaine et courtoise, les textes

éducatifs religieux et laïcs adressés spécifiquement aux femmes, et enfin les discours polémiques sur les relations entre les sexes.

1a. Les écrits parénétiques : discours moraux et conseils aux laïcs

Un travail de recherche concernant les sources didactiques au Moyen Âge a été effectué dès le début du XXe siècle, qui a montré la visée didactique de la plupart des écrits de cette période : ceux qui prenaient la plume, principalement des hommes d’Église, cherchaient à enseigner à leurs lecteurs les rudiments de la morale chrétienne299. En 1972, les auteurs de la Typologie des sources du Moyen Âge occidental distinguaient parmi ces textes plusieurs catégories : d’abord les traités relatifs à la première enfance, ensuite ceux consacrés aux « bonnes manières », puis les textes relatifs à l’éducation physique, et ceux abordant l’éducation ludique. Venaient ensuite les textes sur les différents métiers, puis les traités d’économie domestique. Une septième catégorie rassemblait l’éducation morale par les proverbes, les fables et les exempla, une autre les ouvrages consacrés à la formation civique et politique, une autre ceux qui traitaient de l’amour courtois et du mariage, une autre encore les textes pour la formation religieuse, et une dernière les traités de pédagogie adressée aux enfants ou à ceux qui avaient la charge de les éduquer. Le programme de recherche prévoyait en outre de classer à part les traités de pédagogie « différentielle » selon le sexe ou l’âge300, mais cette idée demeura à l’état de projet.

« Que de livres qui s’intitulent Instructio, Educatio, Disciplina, Eruditio, Speculum, Enseignement, Lehre, Doctrinal, Miroir, etc. qui sont destinés à l’information des hommes et des femmes, sans pourtant être proprement dits des ouvrages pédagogiques », écrivait Pierre Riché en 1982301. Le chercheur distinguait pour sa part les écrits sur les études et la vie scolaire, les ouvrages destinés à une formation spécialisée et les traités d’éducation proprement dits. Concernant les derniers, il notait la difficulté de repérer ceux qui s’adressent exclusivement aux enfants aussi clairement que le De instructione puerorum du dominicain Guillaume de Tournai

299 Gaston Paris, La Littérature française au Moyen Âge, tome I, section II : « Littérature didactique », p. 157-190, Paris, Hachette, 1905 ; Charles Langlois, La vie en France au Moyen Âge, T. IV, La Vie spirituelle ; Enseignements, méditations et controverses d’après des écrits en français à l’usage des laïcs, Paris, Hachette, 1928. Les œuvres à caractère didactique sont répertoriées dans Robert Bossuat, Manuel bibliographique de la littérature française du Moyen Âge, chap. 6 et 11, Paris, 1951, et les suppléments de 1955 et 1961.

300Typologie des sources du Moyen Âge occidental, fasc.1, Léopold Génicot (dir.), Turnhout, Brepols, 1972, p. 29.

301 Pierre Riché, « Sources pédagogiques et traités d’éducation », inLes Entrées dans la vie, Initiations et apprentissages, Nancy, PU de Nancy, 1982 (« Annales de l’Est », 5e série, n°1-2, 1982), p. 15-29 (cit. p. 16).

(1272). Ainsi le Chastoiement d’un père à son fils (début du XIIIe s.), qui s’inscrit dans la tradition des textes écrits par des parents pour leurs enfants302, développe une suite d’anecdotes et d’exempla empruntée à la Disciplina clericalis de Pierre Alphonse (vers 1110). De même, les multiples « contenances de table », ancêtres des traités de civilité qui avaient pour but d’apprendre aux enfants les usages et la conduite à suivre en société, donnaient aussi souvent des conseils adaptés aux différents âges et circonstances de la vie303. Ainsi la première version du Facetus (XIIe s.) est-elle diffusée en complément des distiques attribués à Caton l’Ancien – les Disticha Catonis, traduits dès le Xe siècle et connus sous le nom de Catonnet comme le livre scolaire par excellence, à la base de l’apprentissage de la lecture jusqu’au XVIe siècle. Mais la seconde version du Facetus (XIIIe s.), traduit dans la seconde moitié du XIVe siècle et accompagné d’un art d’aimer ovidien, est une règle de vie laïque qui s’adresse à de jeunes adultes.

Une difficulté semblable se présente lorsqu’on aborde les ouvrages religieux, parmi lesquels il faut distinguer les textes destinés à la formation des ecclésiastiques, les catéchismes qui transmettaient les fondements de la foi aux enfants – comme la Disputatio per interrogationes et responsiones (VIIIe s.) longtemps attribuée à Alcuin –, et ceux qui s’adressaient aux laïcs adultes – par exemple le De virtutibus et vitiis ou Traité sur les vices et vertus (v. 800) qu’Alcuin écrivit pour Guy de Bretagne ou encore le De institutione laïcali (828-829) que Jonas d’Orléans dédia au comte Matfrid. En outre, certains textes écrits pour de jeunes destinataires étaient également utilisés par les adultes, comme l’Elucidarium ou Lucidaire d’Honorius d’Autun (v. 1100) ou la Lumière as lais. D’autres semblent avoir été utilisés par le bas clergé comme par les fidèles, comme le De comtemptus mundi du futur pape Innocent III, et la Summa de vitiis et virtutibus à l’usage des prédicateurs de Guillaume Peyraut († v. 1271), l’un des textes les plus diffusés au Moyen Âge. C’est aussi le cas de ceux qui, suivant les directives du concile de Latran IV (1215), furent écrits directement en français, tel le Manuel des péchés (v. 1270) d’un Anglo-normand anonyme304. En 1279, lorsque Philippe III commanda un ouvrage d’instruction morale et religieuse pour ses sujets, le

302 Appartiennent à cette tradition le Manuel de Dhuoda (843) écrit par une grande aristocrate pour son fils, le Doctrinal pueril adressé par le catalan Ramon Lull à son fils et traduit en français dès la fin du XIIIe siècle, et le De anima et dilectione Dei et proximi et aliarum rerum de forma vitae honestae écrit par le milanais Albertanus de Brescia pour ses fils en 1238, traduit dans plusieurs langues et imprimé en français en 1504.

303 Voir Marie-Geneviève Grossel, « La table comme pierre de touche de la courtoisie : à propos d’ensenhamens et chastoiements », in Banquets et manières de table au Moyen Âge, Aix-en-Provence, CUERMA, 1996, p. 179-195.

304 William de Waddington, à qui on a attribué l’ouvrage, n’a sans doute écrit que quelques suppléments au texte.

dominicain Laurent d’Orléans rédigea la Somme le Roi ou Livre des vices et des vertus. Et moins d’un siècle plus tard, le Doctrinal aux simples gens ou Doctrinal de sapience, exposé clair et détaillé de la doctrine chrétienne attribué à l’archevêque Guy de Roye (avant 1370) était officiellement approuvé par plusieurs maîtres parisiens.

Les pédagogues s’appuyaient en outre sur des livres de proverbes païens ou chrétiens qui s’adressaient aussi à un large public. C’est le cas des Dicta et gesta antiquorum philosophorum ou Dits moraux des philosophes (traduits par Guillaume de Tignonville v. 1402), dont beaucoup étaient attribués à Sénèque, le modèle du moraliste, comme le furent aussi pendant longtemps les Formulae honestae vitae de Martin de Braga (VIe s.). Ce développement sur les quatre vertus morales connut un très large succès, rappelant celui des opuscules religieux tels le Credo, les articles de la foi, les listes de péchés, de vertus… aussi innombrables dans les manuscrits du XIIIe et XIVe siècles que les recueils d’autorités compilant les passages de la Bible, les écrits des Pères et les Dits des anciens. Le Livre des Sentences de Pierre Lombard (v. 1150), qui inspira les traités dévots jusqu’à la fin du Moyen Âge, est le prototype de cette littérature des Sententiae dont le succès ne fut pas moins immense que celui des milliers d’exempla accumulés pendant tout le Moyen Âge dans des recueils divers comme le Dialogus miraculorum de Césaire de Heisterbach (1219-1223), les Sermones vulgares ou ad status de Jacques de Vitry, ou le recueil de sujets de prédication d’Étienne de Bourbon intitulé De diversis materiis praedicabilibus (entre 1250 et 1261)305.

1b. Les Vies exemplaires

Depuis l’Antiquité, les Vies des hommes et des femmes célèbres avaient également une fonction didactique. Elles étaient conçues comme « exemplaires », à la fois au sens d’« exceptionnelles », donc dignes d’être admirées, et au sens de « modèles », donc susceptibles d’être imitées. Ainsi, tout au long du Moyen Âge, les Vies des saints et des saintes contribuèrent largement au didactisme religieux et moral en popularisant les portraits de maintes figures remarquables. L’ouvrage le plus fameux est la Légende dorée, écrit vers 1255 par Jacques de Voragine. Bréviaire pour les laïcs proposant la lecture de la vie d’un saint (ou un groupe de saints) par jour de l’année, cet ouvrage de vulgarisation de la science religieuse fut le livre du peuple par excellence,

305

Voir Frederic C. Tubach, Index exemplorum, Folkore Fellows, Académie finoise de sciences, 1969 ; Claude Bremond, Jacques Le Goff et Jean-Claude Schmitt, L’Exemplum, « Typologie des sources du Moyen Âge, 40 », Turnhout, Belgium, 1982 ; Jean-Claude Schmitt, Prêcher d’exemples, récits de prédicateurs du Moyen Âge, Paris, Stock, 1985 ; Marie-Anne Polo de Beaulieu, « Didactisme ou persuasion, les recueils d’exempla au Moyen Âge », Éducation, apprentissages, initiation au Moyen Âge, « Cahiers du CRISSIMA », 1993, p. 23-43.

du XIIIe au XVIe siècle. On en compte plus de mille manuscrits conservés en Europe, et près de soixante-quinze éditions antérieures à 1500.

L’hagiographie étant la seule à échapper à la condamnation de la littérature religieuse vernaculaire par le concile de Paris en 1210, quelques Vies individuelles, de saints, saintes ou d’ancêtres prestigieux connurent également le succès aux côtés des recueils de Vies exemplaires. C’est le cas de la Vita Christi de Ludolphe le Chartreux (XIVe s.) et de l’Imitation de Jésus-Christ de Thomas a Kempis (XVe siècle), largement diffusées dans les milieux laïcs. C’est aussi le cas de la Vie de Saint Louis, que sa fille Blanche de France commanda à son confesseur Guillaume de Saint-Pathus (v. 1303), et de ses rédactions ultérieures : les Saintes paroles et bons faits du roi Saint Louis de Jean de Joinville (vers 1309) commandées par Jeanne Ire de Navarre et dédiées à son fils Louis X, et Le Livre des faits de monseigneur Saint Louis (anonyme, date incertaine), commandé par le cardinal Charles de Bourbon († 1488) pour une duchesse de Bourbon306. Ces versions nous indiquent que la vie exemplaire du saint roi s’adressait principalement aux grands de ce monde et relevait du genre hagiographique autant que de l’histoire.

Au XVe siècle, l’éducation des grands s’appuie de plus en plus sur les exemples du passé comme dans Le Livre des faits et bonnes mœurs de Charles V le sage (1407), que Christine de Pizan dédie à Charles VI et aux princes du sang. L’autrice constitue un répertoire de faits édifiants qui fait office de guide pour les princes et les gouvernants, le texte apologétique se faisant ainsi manuel éducatif307. Le retour à l’Antiquité fait aussi de l’histoire une magistra vitae, qui recueille la mémoire de l’expérience humaine. En quête d’exemplarité, les humanistes pillent dans les galeries d’illustres de Plutarque, Xénophon, Suétone, Tite-Live, Pausanias, Tacite et surtout Valère Maxime – dont la traduction partielle et commentée des Facta et dicta memorabilia, commencée par Simon de Hesdin en 1375-1377 à la demande de Charles V et continuée par Nicolas de Gonesse en 1400-1401 pour le duc de Berry, connut un immense succès308. C’est aussi ce que fait Boccace dans De Casibus virorum illustrium (1355-60, révisé vers 1373-74) qu’il offre à son protecteur Mainardo Cavalcanti avant de dédier De Claris mulieribus (v. 1362) à la comtesse Andrea Acciaiuoli. Ces deux textes eurent une très large diffusion manuscrite en latin et dans plusieurs traductions françaises. Celles du De

306 Il pourrait s’agir de Catherine d’Armagnac, mariée au duc Jean II entre 1484 et 1487.

307

Jean Devaux, « De la biographie au miroir du prince : le Livre des fais et bonnes meurs du sage roy Charles V de Christine de Pizan », in Le Prince en son « miroir ». Littérature et politique sous les premiers Valois, Le Moyen Âge, tome CXVI, 2010/3-4, p. 591-604.

308 Pour le lien entre la noblesse et l’histoire, voir Les princes et l’histoire du XIVe au XVIIIe siècle, Chantal Grell, Werner Paravicini et Jürgen Voss (dir.), Bouvier Verlag, 1998 ; L’Histoire au temps de la Renaissance, Marie Thérèse Jones-Davies (dir.), Paris, Klincksieck, 1995.

Casibus, réalisées par Laurent de Premierfait en 1400 puis en 1409 (la seconde, considérablement amplifiée, ayant été présentée au duc de Berry) et celles du De Claris (anonymes, dès 1401309) étaient présentes dans les bibliothèques des grands et des grandes, auprès desquels ils jouissaient d’une grande faveur, à tel point que Georges Chastellain en offrit une continuation à Marguerite d’Anjou en 1463. Son propre Temple de Boccace figure également dans les bibliothèques de nombreux princes et princesses de la Renaissance. Les Vies antiques s’adressaient donc particulièrement à la noblesse, à l’instar des nombreux traités éthiques destinés aux gouvernants et à l’ensemble de la classe noble.

1c. Les Institutions des princes

Le genre de ces livres, qu’on appelle aussi communément les « miroirs des princes », prend ses origines dans le rôle des clercs, conseillers des princes et de la haute noblesse depuis le haut Moyen Âge. Cherchant à influencer les pouvoirs laïques en fonction des objectifs de l’Église, ils théorisaient les devoirs du prince et exposaient la science du gouvernement dans une optique à la fois politique et normative310. Leurs modèles anciens étaient La République de Platon, La Politique d’Aristote, la Cyropédie de Xénophon, le De Officiis de Cicéron et l’Ancien Testament ; des textes qui liaient la supériorité politique à la supériorité morale. Le Liber exhortationis, envoyé au duc Éric de Frioul par Paulin d’Aquilée (av. 799) et le De institutione regia, dédié à Pépin Ier

d’Aquitaine par l’évêque Jonas d’Orléans (831), figurent parmi les plus anciens miroirs des princes. Ensuite, c’est surtout après la réforme grégorienne et le concile de Latran (1215) que les specula principis se multiplièrent. Cette littérature parénétique destinée aux princes excède le genre du « miroir » – au sens strict de l’objet qui reflète celui qui s’y mire, et donc prend conscience de lui et se corrige311. Souvent composite dans sa

309 Voir Henri Hauvette, « Les plus anciennes traductions françaises de Boccace, Traités historiques et moraux » (1909), in Études sur Boccace, Torino, Bottega d’Erasmo, 1968, p. 151-294 ; Lionello Sozzi, « Boccaccio in francia nel cinquecento », dans Il Boccaccio nella cultura francese, Carlo Pellegrini (dir.), Firenze, L. S. Olschki, 1971, p. 211-356 ; et Carla Bozzolo, Manuscrits des traductions françaises d’œuvres de Boccace, XVe siècle, Padoue, 1973.

310 Voir Michel Senellart, Les Arts de gouverner, Du regimen médiéval au concept de gouvernement, Paris, PUF, 1995 ; et Jean-Philippe Genêt, « L’Évolution du genre des Miroirs des princes en Occident au Moyen Âge » in S. Cassagnes-Brouquet, A. Chauou, D. Pichot et L. Rousselot (dir.), Religion et mentalités au Moyen Âge. Mélanges en l’honneur d’Hervé Martin, PU de Rennes, 2003, p. 531-541.

311 Dans Le Miroir. Naissance d’un genre littéraire (Paris, Les Belles Lettres, 1995), Einar Már Jónsson souligne que speculum n’est jamais employé aux XIIe et XIIIe siècles dans le sens que les historiens modernes des « miroirs aux princes » lui donnent. Voir aussi Herbert Grabes, The Mutable Glass. The Mirror-Imagery in Titles and Texts of the Middle Ages and English Renaissance, trad. Gordon Collier, Cambridge UP, 1982.

forme, elle délivre une sorte de synthèse du savoir, religieux, politique, juridique… une connaissance encyclopédique considérée pour certains comme nécessaire aux princes312. Ainsi, le Policraticus (1159) que Jean de Salisbury dédia à Thomas Becket, chancelier du roi Henri II d’Angleterre, est l’un des premiers textes de philosophie politique. Hélinand de Froidmont lui fit de larges emprunts dans le De bono regimine principis offert à Philippe Auguste (v. 1200), dans lequel Vincent de Beauvais puisa à son tour pour écrire son De morali principis institutione (vers 1260-1262) à la demande de Louis IX. Ce dernier fut écrit pour compléter le Speculum majus (1247-1259), somme du savoir de l’époque, divisée en trois parties (doctrinale, historiale et morale), maintes fois traduite et adaptée313. Sur le modèle de saint Thomas d’Aquin, qui dédia à Hugues III de Chypre le De Regno ou De Regimine principum (vers 1271-73), son disciple Gilles de Rome écrivit ensuite un autre De Regimine principum pour le jeune Philippe IV le Bel (vers 1279) : un texte traduit par Henri de Gauchy dès 1282 à la demande du même souverain sous le titre Le livre du gouvernement des rois, puis cinq autres fois. Son extraordinaire succès se mesure aussi aux fausses attributions à Gilles de Rome de textes aux titres et aux contenus ressemblants, notamment le traité de Thomas d’Aquin, le De eruditione principum de Guillaume Peyraut (traduit en 1372 pour Charles V), ou le Liber de informatione principum314. Ce dernier, rédigé par un dominicain anonyme à l’intention du jeune Louis X vers 1300, fut traduit en 1379 par Jean Golein à l’intention de Charles V, puis pour Charles VIII à la fin du XVe siècle. De la même manière, Le Livre du corps de policie (1404) de Christine de Pizan s’inspire du Policraticus315.

Les épouses et les enfants, fils et filles, avaient une place obligée dans les institutions adressées aux gouvernants, car la bonne éducation était affaire de prestige comme de légitimité pour les grandes familles princières. Le texte de Gilles de Rome comme le Liber de informatione principum reprennent, dans leur structure tripartite, l’optique aristotélicienne qui lie l’éthique aux sciences économique et politique : le bon gouvernement de soi précède celui de la famille et celui du peuple. Dans le De eruditione principum, Guillaume Peyraut aborde la question de la vie conjugale – et de

312 Pour une définition récente de ces textes, voir Le Prince au miroir de la littérature politique de l’Antiquité aux Lumières, Frédérique Lachaud et Lydwine Scordia (dir.), PU Rouen et Le Havre, 2007, introduction.

313 Selon Jacques Le Goff, ces travaux sont le résultat d’une sorte d’académie politique dominicaine constituée autour du roi à la demande d’Humbert de Romans (Saint Louis, Paris, Gallimard, 1996, p. 407-408).

314 Voir Noëlle-Laetitia Perret, Les Traductions françaises du De regimine principum de Gilles de Rome : parcours matériel, culturel et intellectuel d’un discours sur l’éducation, Leiden, Brill, 2011.

315 Voir Jacques Krynen, Idéal du prince et pouvoir royal en France à la fin du Moyen Âge (1380-1440) : étude de la littérature politique du temps, Paris, Picard, 1981.

la bonne conduite de l’épouse – dans les chapitres consacrés aux garçons adolescents, comme le fait Vincent de Beauvais dans De eruditione filiorum nobilium (v. 1247-1250). Cet ouvrage, écrit pour l’éducation des enfants de Louis IX et de Marguerite de Provence à laquelle il est dédié, accorde cinquante-et-un chapitres aux enfants des princes (puerorum nobilium), dont les dix derniers seulement concernent les filles. Pour Paulette Leclercq, il donne une vision « virocentrée » des rapports femmes-hommes en adoptant le point de vue du mari et du père, pour qui la femme doit être d’abord un corps à garder, donc en insistant sur la virginité et la chasteté316. On retrouve la même dissymétrie dans le De eruditione principum de Guillaume Peyraut où quarante-neuf chapitres sont consacrés aux garçons et dix-neuf aux filles, et dans le texte de Gilles de Rome où, sur les vingt-et-un chapitres dédiés à l’éducation des enfants, les trois derniers seulement sont réservés aux filles – ils incitent à la clôture, au silence et à fuir l’oisiveté.

Très majoritairement adressés à des hommes, les institutions des princes visaient

Documents relatifs