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La modification d'un traité par la pratique subséquente des parties : note sur l'affaire relative au régime fiscal des pensions versées aux fonctionnaires retraités de l'UNESCO résidant en France, sentence du 14 janvier 2003

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La modification d'un traité par la pratique subséquente des parties : note sur l'affaire relative au régime fiscal des pensions versées aux fonctionnaires retraités de l'UNESCO résidant en France, sentence

du 14 janvier 2003

KOLB, Robert

KOLB, Robert. La modification d'un traité par la pratique subséquente des parties : note sur l'affaire relative au régime fiscal des pensions versées aux fonctionnaires retraités de l'UNESCO résidant en France, sentence du 14 janvier 2003. Revue suisse de droit international et de droit européen , 2004, vol. 1, p. 9-32

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:25034

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SZIER 1/2004

La modification d'un traité par la pratique subséquente des parties

Note sur l'affaire relative au régime fiscal des pensions versées aux fonctionnaires retraités de l'UNESCO résidant en France ; sentence du 14 janvier 2003

par

RoBERT Ko:LB*

Sommaire

9

I. Introduction : présentation de la sentence et des aspects notables de celle-ci A. La sentence et son contexte

B. Le traitement des questions d'interprétation

C. La double titularité de droits : droits étatiques et droits individuels II. La question de la pratique subséquente des parties au traité

A. Le problème de la pratique subséquente

B. Le raisonnement du Tribunal et les positions des parties

C. Etat de la jurisprudence et de la pratique étatique sur la pratique subséquente

D. Analyse des éléments de "pratique » et de "fonctionnaires subalternes »

1. La qualité de la " pratique »

2. Les organes étatiques subalternes E. Bilan de la sentence du tribunal III. Conclusion

* Professeur de droit international aux Universités de Neuchâtel, de Berne et de Genève (Centre universitaire de droit international humanitaire)

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I. Introduction : présentation de la sentence et des aspects notables de celle-ci

A. La sentence et son contexte

Par une sentence rendue le 14 janvier 2003,1 un tribunal arbitral constitué ad hoc et composé des arbitres K. Mbaye,]. P. Quéneudec et N. Valticos, a tranché le litige qui opposait la France à l'UNESCO con- cernant le régime fiscal de certains anciens fonctionnaires de l'Or- ganisation ayant élu domicile en France après la cessation de leurs fonctions professionnelles. Le point de discorde entre la France et l'Organisation portait sur l'exemption fiscale des fonctionnaires telle que prévue par l'article 22 de l'Accord de siège conclu entre les par- ties le 2 juillet 1954. Selon la lettre b) de 1' article précité, les fonction- naires régis par les dispositions du Statut du personnel de l'Organi- sation << seront exonérés de tout impôt direct sur les traitements et émoluments qui leur seront versés par l'Organisation». Pour l'UNESCO, cette disposition est applicable aux anciens fonctionnaires ayant élu domicile en France ;2 pour la France, en revanche, cette disposition ne couvre que les fonctionnaires en activité, et ce d'autant plus que l'accord est censé fixer les obligations de l'Etat de siège et non celles d'un Etat résidant vis-à-vis d'anciens fonctionnaires3. Le Tribunal de- vait selon son compromis trancher la question de l'interprétation de cette disposition. Suivant les arbitres, leur compétence se réduisait ex- clusivement à cette question d'interprétation (et de modification) de la disposition, à l'exclusion de toute autre.4 Le litige se circonscrit ainsi à l'interprétation d'une disposition conventionnelle, précisément l'ar- ticle 22lit. b de l'Accord de siège. C'est cette tâche que va affronter le Tribunal en appliquant l'article 31 de la Convention de Vienne sur le droit des traités de 1969, relatif à l'interprétation des traités. Sa con- clusion sera que l'article 22 lit. b ne couvre pas les anciens fonction- naires et que dès lors la France demeure libre de les imposer. Il arrive à cette conclusion en s'inspirant d'une interprétation selon le sens

1 Pour le texte de la sentence, voir Revue générale de droit international public (RGDIP), vol. 107, 2003, p. 221 ss.

2 Cf. § 9 de la sentence.

3 Cf. § 11 de la sentence.

4 C'est la raison pour laquelle le Tribunal ne prendra pas position sur certaines conclusions subsidiaires de l'UNESCO : § 88 ss.

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SZIER 1/2004 LA MODIFICATION D'UN TRAITÉ 11

ordinaire des termes (dégagé à l'aide de dictionnaires)5, selon le con- texté et selon l'intention des parties7.

B. Le traitement des questions d'interprétation

Il y a, sur ces questions d'interprétation, une articulation juridique- ment intéressante dans la sentence. Le Tribunal, après s'être assuré du sens ordinaire et avoir affirmé que celui-ci était clair, entreprend une seconde recherche visant à s'assurer de la volonté réelle des par- ties. La Convention de Vienne de 1969 ne prévoit pas - et pour tout dire n'encourage pas - la recherche de la vraie volonté des parties si le texte selon son sens ordinaire paraît clair. La jurisprudence de la Cour internationale de Justice n'a pas manqué de le rappeler à plu- sieurs reprises, sans d'ailleurs toujours s'y tenir.8 Le Tribunal ne pré- tend cependant pas entreprendre une recherche de la volonté réelle des parties placée sur le même plan que l'interprétation selon le sens ordinaire (qui à ce moment ne serait plus prioritaire, contrairement aux prévisions de la Convention de 1969). Il affirme au contraire de- voir rechercher si les parties n'avaient pas entendu donner un sens spécial aux termes de la disposition, selon ce que prévoit l'article 31

§ 4 de la Convention de Vienne9En principe cette recherche n'est pas entreprise proprio mo tu par les juridictions : c'est à la partie in téres- sée que revient la charge d'évoquer et de prouver le sens spécial.l0 Il semble cependant qu'ici le Tribunal donne une place plus éminente à cette disposition : il ne s'agit plus d'une porte ouverte à la preuve d'un sens spécial invoqué par une partie mais bien d'une avenue choi- sie pour par le Tribunal lui-même pour s'assurer de la volonté réelle des parties. Cela ne correspond pas exactement au système objectif

5 Cf.§ 46 ss.

6 Cf. § 49: «Par ailleurs, si l'on se réfère au contexte de la disposition litigieuse, on constate que les autres dispositions de l'article 22 de l'Accord ne visent en réalité que les fonctionnaires en activité. Le début de l'article couvrant l'ensemble des para- graphes a) à h), toutes ses dispositions devraient donc s'appliquer aux anciens fonction- naires si ces derniers étaient visés par le mot' fonctionnaires'· Or, il apparaît que tel n'est pas le cas"·

7 Cf.§ 52 ss.

8 Voir par exemple Vladimir-Djuro DEGAN, L'interprétation des accords en droit interna- tional, La Haye 1963, p. 75 ss.

9 Art. 31 § 4: « Un terme sera entendu dans un sens particulier s'il est établi que telle était l'intention des parties».

1

°

Cour permanente de Justice internationale ( CPJI), affaire du Groënland Oriental, Recueil1933, série A/B, n° 53, p. 52.

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envisagé par la Convention de 1969 et constitue un léger développe- ment du droit envisagé déjà il y a une vingtaine d'années par un au- teur autrichien 11. Peut-être cette approche semblait-elle particulière- ment utile aux arbitres dans cette a±Iaire où la recherche préalable du sens ordinaire - y compris dans des dictionnaires - pouvait sembler un peu trop formaliste et rigide. Mis à part cet aspect, il ne semble pas que la question de l'interprétation de l'article 22lit. b appelle d'autres commentaires urgents, sauf à vouloir s'engager dans une critique ser- rée des méthodes herméneutiques du droit international, ce qui n'est pas notre ambition ici. On peut ajouter que l'école subjectiviste de l'interprétation, celle qui préconise la recherche de la vraie volonté des parties avant l'orientation à un texte clair,12 a des motifs de satis- faction avec l'énoncé de la présente sentence.

C. La double titularité de droits : droits étatiques et droits individuels

Un second aspect de la sentence qui mérite d'être relevé au passage sans réellement s'y arrêter - est le suivant :le Tribunal affirme que.

l'Accord de siège et en particulier l'exonération fiscale de l'article 22 lit. b ne crée pas uniquement des droits entre la France et l'UNESCO mais également des droits individuels dans le chef des fonctionnaires.

Au§ 82 de la sentence, le Tribunal reconnaît que les dispositions d'un traité peuvent créer des droits subjectifs dans le chef des particuliers.

Cependant, à son avis, cette qualification de l'Accord de siège ne mo- difie pas la situation juridique en l'espèce, car les droits que peuvent tenir les fonctionnaires dépendent bien de ce que leur ont voulu con- férer les parties par l'Accord, et cela ramène à l'interprétation préci- tée, effectuée par le Tribunal. On précisera qu'il ne s'agit pas ici di-

11 Voir Waldemar HuMMER, Ordinary v. Special Meaning, Oesterreichische Zeitschrift für 6ffentliches Recht und Volkerrecht (Oz6RV) = (AJPIL), vol. 26, 1975, p. 112: l'ar- ticle 31 § 4 est une porte ouverte pour concilier l'approche objective et textuelle avec celle subjective et historique préconisée par des auteurs comme H. Lauterpacht.

12 Ecole dont le plus éminent et connu défenseur était Sir Hersch Lauterpacht. Cf.

par exemple Hersch LAUTERPACHT, Les travaux préparatoires et l'interprétation des traités, Recueil des cours de l'Académie de droit international de La Haye (RCADI), vol. 48, 1934-II, p. 718-719. Voir aussi les prises de position de H. Lauterpacht lors des travaux de l'Insitut de droit international de 1950-1956: un bref aperçu d'ensemble en est donné par Ilmar TAMMELO, Treaty Interpretation and Practical Reason - Towards A General Theory of Legal Interpretation, Sydney 1967, p. 18 ss.

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SZ!ER 1/2004 lA MODIFICATION D'UN TRAJTÉ 13

rectement du problème des traités selfexecuting: 13 il ne s'agit pas de savoir si un traité qui énonce des droits individuels peut être directe- ment invoqué par des particuliers devant le juge interne. Il s'agit de sa- voir, déjà en amont, si un traité international confère ou non des droits individuels, sur le plan international. Cela peut être manifestement le cas quand tel est l'objet même du traité : on peut songer aux traités relatifs aux droits de l'homme. Dans d'autres cas, les droits et obliga- tions sont formulés comme devoirs des Etats (ou entités) contractants ; mais, comme il s'agit de positions juridiques vouées à bénéficier à des individus, rien n'empêche d'interpréter ces dispositions comme com- portant deux faisceaux de droits parallèles : l'un dirigé vers le plan inter-étatique, l'autre conférant des droits aux individus bénéficiaires.

Ceux-ci changènt dès lors de statut juridique :ils ne sont plus des bé- néficiaires médiats de l'accord, par le truchement de l'action des Etats, mais deviennent des bénéficiaires immédiats de ces accords. D'objets du traités, ils en deviennent des sujets. Par la somme de ces subjecti- vités dérivées, ils gagnent un statut nouveau aussi en droit internatio- nal général. Ils finissent par y apparaître comme sujet du droit inter- national, quoique mineurs et dérivés. Ce qu'il faut ici relever est la tendance croissante des juridictions internationales, sans doute dans le sillage du mouvement relatif aux droits de l'homme internationaux, d'accorder à une disposition ce double statut, contenant à la fois des droits inter-étatiques et parallèlement des droits individuels.

Dans un arrêt retentissant et contesté à son époque, la Cour perma- nente de Justice internationale avait déjà ouvert la voie en 1928, quand elle affirma, dans l'avis relatif à la Compétence des tribunaux de Dantzig, que l'accord en cause (Beamtenabkommen) créait directement des droits en faveur du personnel ferroviaire dantzikois :

" La réponse à cette question [de savoir si des droits individuels sont créés]

dépend de l'intention des parties contractantes .... [O]n ne saurait contester que l'objet même d'un accord international, dans l'intention des parties con- tractantes, puisse être l'adoption, par les parties, de règles déterminées, créant

13 Sur cette notion, voir, pour la Suisse, l'analyse du Tribunal fédéral: L. CAFLISCH,

La pratique suisse en matière de droit international public, Revue de droit suisse et de droit européen (RSDIE), vol. 8, 1998, p. 642-643. Voir aussi les passages didactiques in: An- nuaire suisse de droit international (ASDI), vol. 46, 1989, p. 215 ss, avis de droit de la Direction de droit international du Département helvétique des affaires étrangères.

Un cas particulièrement intéressant dans la pratique américaine est celui de l'affaire Trans World Airlines (Cour suprême des Etats-Unis d'Amérique), 1984, International Law Reports (ILR), vol. 101, p. 596: un individu ne peut pas plaider la caducité en vertu de la doctrine rebus sic stantibus à l'encontre d'un traité que l'Etat estime toujours applicable. La question des droits individuels se mélange ici avec une question de com- pétence pour affirmer la caducité.

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des droits et obligations pour des individus, et susceptibles d'être appliquées par les tribunaux nationaux. Que telle ait été l'intention, dans le cas présent, c'est ce que l'on peut établir en se référant aux termes du Beamtenabkommen ,14.

Cette jurisprudence a trouvé un autre écho hardi récemment, quand la Cour internationale de justice a affirmé, en l'affaire LaGrand (2001), que l'article 36 de la Convention de Vienne sur les relations consu- laires crée un droit non seulement de l'Etat (de voir ses ressortissants, poursuivis pour crimes dans un autre Etat, informés de leurs droits consulaires), mais également et parallèlement un droit de l'individu d'être ainsi informé.15 Selon la Cour, ces droits de l'Etat et de l'individu avaient été violés en l'espèce par les autoritês des Etats-Unis d'Amé- rique. On notera donc la tendance croissante à cette interprétation li- bérale, << paralléliste »,des droits conventionnels, tendance à laquelle le tribunal constitué entre la France et l'UNESCO vient ajouter un chaînon supplémentaire.

II. La question de la pratique subséquente des parties au traité

A. Le problème de la pratique subséquente

L'un des problèmes les plus intéressants dans l'arbitrage qui nous concerne relève de l'appréciation donnée à la pratique subséquente des parties au traité, à titre de modification de l'Accord.16 Etant parve- nu à la conclusion que le texte et la volonté initiale des parties n'entendaient pas inclure les anciens fonctionnaires dans le champ de l'article 22lit. b, le Tribunal se pose la question de savoir si par leur pratique subséquente les parties n'ont pas modifié l'Accord de siège.

14 CPJI, Recueil1928, série B, no 15, p. 17-18. Voir les commentaires approbateurs de Hersch LAUTERPACHT, The Development of International Law by the International Court, Londres 1958, p. 173 ss. Pour une appréciation dans les canons du droit traditionnel, cf. Eric BECKETT, Decisions of the Permanent Court of International justice on Points of Law and Procedure of General Application, in : British Yearbook of International Law (BY!L), vol. 11, 1930, p. 4. Sur la conception de l'époque, voir Jean SPIROPOULOS, L'individu en droit inter- national, Paris 1928, et IDEM, L'individu et le droit international, RCADI, vol. 30, 1929-V, p. 195 ss. Schulium SEGAL, L'individu en droit international positif, Paris 1932.

15 Arrêt du 27 juin 2000, § 75 ss, voir www.icj-cij.org.

16 Voir les § 62 ss.

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La question est intéressante. On se souvient des controverses que sus- cita à la Conférence de Vienne l'insertion dans le Projet de la CDI sur le droit des traités d'un article 38 qui disposait que :

«Un traité peut être modifié par la pratique subséquente suivie par les parties dans l'application du traité lorsque celle-ci établit leur accord pour modifier les dispositions du traité».

Pour des raisons diverses, et assez hétéroclites d'ailleurs, la Confé- rence décida de supprimer cet article, 17 alors que la doctrine18 ne cessa depuis lors de mettre l'accent sur le fait que l'article 38 du Projet CDI reflétait le droit coutumier et que celui-ci n'était pas atteint par l'atti- tude de la Conférence aboutissant à supprimer ledit article de la Con- vention. L'un des motifs de suspicion envers l'article 38 tenait à l'appré- hension de voir des traités modifiés trop facilement, en fonction d'at- titudes et de comportements qualifiés après coup par le juge comme révélateurs d'un accord informel. La jurisprudence, aux yeux de quel- ques Etats, en avait donné de fâcheux exemples.19

B. Le raisonnement du Tribunal et les positions des parties

Il peut être utile à cette place de donner un aperçu du raisonne- ment suivi par le présent Tribunal, avant de mesurer son apport au regard de la jurisprudence en général et d'en donner une apprécia- tion critique.

Pour l'UNESCO, 20 la question de la pratique subséquente se pose en les termes suivants. L'administration fiscale française aurait de fait observé une certaine attitude pendant une quarantaine d'années en n'imposant pas les anciens fonctionnaires de l'Organisation et en n'opérant pas de redressements fiscaux. Quelles qu'aient été les direc- tives du Gouvernement, il faudrait constater que l'administration fis- cale a bien agi ete la sorte et on'il s'agirait là n'une nratioue nostérieure o - - - - - - - - --l. - - -o - ·- - r 1. r - -

pertinente. De plus, cette attitude de l'administration a pu faire naître des attentes légitimes des fonctionnaires (auxquels l'Accord concède

17 Pour une analyse, cf. Robert KoLB, La bonne foi en droit international public, Paris 2000, p. 297-298, avec des renvois.

18 Ainsi par exemple Wolfram KARL, Vertrag und spiitere Praxis im Volkerrecht, Berlin 1983, p. 295. Paul REUTER, Introduction au droit des traités, 2ème éd., Paris 1985, p. 132.

19 Voir infra, C.

20 Au§ 65.

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aussi directement des droits), attentes légitimes que le principe géné- ral de la bonne foi commanderait de protéger.

Pour la France, 21 la pratique de l'administration fiscale aurait été tout au plus une forme de tolérance ou de courtoisie. De plus, s'agissant de pratique subséquente conventionnelle, seules les positions des au- torités ayant compétence pour engager l'Etat seraient de nature à pouvoir être retenues : c'est-à-dire celles du Gouvernement. Or, à cet égard, il existerait des prises de position du Secrétaire d'Etat au bud- get en 1956 et de membres du Sénat en 1994, qui affirmèrent que les pensions des anciens fonctionnaires de l'UNESCO étaient bien sou- mises à l'impôt national. Si des redressements fiscaux n'ont pas eu lieu, c'est parce que l'UNESCO aurait refusé en 1988 et en 1991 de communiquer les montants versés à ses anciens fonctionnaires.

Suivant le Tribunal, 22 deux questions distinctes doivent être abor- dées.

La première a trait à la qualité des auteurs de la pratique :quels sont les organes compétents pour engager l'Etat? ; seulement les organes gouvernementaux ou aussi les organes subalternes ? La deuxième ques- tion a trait à la nécessité d'un accord des parties manifesté par la pra- tique subséquente :quelles doivent être les qualités de cet accord« col- latéral >>, modificatif?

La deuxième question appelle la réponse suivante :

<<Pour le Tribunal, l'interprétation [et donc à plus forte raison la modification]

supposée d'une disposition d'un accord, par les parties à cet accord et pou- vant résulter d'une <pratique ultérieure •, doit avoir pour source une position commune et sans équivoque des parties ,23 .

Il faut donc un accord non équivoque, bien que celui-ci ne soit pas lié à une forme quelconque.

La première question, plus délicate, amène le Tribunal a donner la réponse suivante. Le Tribunal part du constat que voici :

<< Cette observation [selon laquelle il faut un accord non équivoque des par- ties] pourrait, prima Jacie, faire croire que le Tribunal penche vers l'opinion selon laquelle ce sont les comportements des seules autorités susceptibles d'engager l'Etat sur le plan international qui peuvent révéler une telle inter- prétation. Il n'en est pas ainsi ,,24.

21 Au§ 66.

22 Aux § 67 ss.

23 Au§ 70.

24 Au§ 70.

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SZIER 1/2004 LA MODIFICATION D'UN TRAITÉ 17

Il énonce dès lors sa propre position :

« [L] a Cour [internationale de Justice] a eu à envisager le comportement d'or- ganes autres que ceux qui avaient compétence pour engager l'Etat sur le plan international pour la recherche d'une pratique valant interprétation d'un ac- cord25. Pour le Tribunal, le facteur déterminant, c'est l'expression non équi- voque de la position de l'Etat. Cette position peut résulter tout aussi bien de déclarations ou de conduite des autorités investies du treaty making power tout comme des organes administratifs chargés de l'application de l'accord. Mais dans l'un et dans l'autre cas, il est nécessaire que la position de l'Etat contrac- tant soit sans équivoque, surtout quand il s'agit d'un traité entraînant une obligation. En effet, pour qu'une obligation soit mise à la charge d'un Etat en application d'un aècord, il faut que cette obligation puisse être clairement déduite des termes de l'accord, tels qu'ils ont été rédigés ou tels qu'ils sont modifiés ou interprétés par les parties concernées ,,26.

En un mot, selon le Tribunal, la question deux domine la question un: l'aspect matériel (clarté de l'accord) l'emporte sur l'aspect per- sonnel (organe principal ou subalterne). Mais le Tribunal ajoute une réserve :

« [Q]uand il y a divergence entre le comportement de l'administration et ce- lui des autorités susceptibles d'exprimer la position d'un Etat, il faut préférer celui de ces dernières ,,27.

En l'espèce, le Tribunal estime qu'il n'y a pas eu pratique subsé- quente suffisamment nette, susceptible de constituer sans équivoque un nouvel accord modificatif sur la question du traitement fiscal des anciens fonctionnaires. Il se fonde pour cela aussi sur la position des autorités gouvernementales. Celles-ci ont << toujours '' soutenu l'im- posabilité des fonctionnaires, s'opposant ainsi aux <<errements" de l'administration fiscale. 28 Comment parler, confrontés à une telle divi- sion d'opinion, d'un accord sans équivoque? Ainsi le Tribunal est ame- né à conclure que le sens précédemment dégagé de l'article 22 lit. b n'a pas été modifié par la pratique subséquente.29

On notera que le Tribunal n'a pas donné de développements à l'as- pect des attentes légitimes des fonctionnaires qui, par l'inactivité de quarante ans des autorités administratives, devraient désormais pou- voir se fonder de bonne foi sur l'exemption d'imposition. C'est ce qui

25 Le Tribunal cite les affaires de la Souveraineté sur certaines parcelles frontalières (Cour internationale de Justice [CIJ], Recueil 1959, p. 227-230) ; du Temple de Préah Vihéar (CIJ, Recueil1962, p. 32-33) ; et de L'île Kasikili/Sedudu (CIJ, Recuei11999, p. 1075 ss).

26 Aux§ 73-74.

27 Au§ 74.

2S Aux§ 74, 76.

29 Au§ 77.

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avait été plaidé (sans insister beaucoup) par l'UNESC0.30 Il ne ressort pas clairement si le Tribunal a implicitement considéré que cet argu- ment sortait du cadre de sa compétence. Toujours est-il que l'arbitre nommé par l'UNESCO, M. Nicolas Valticos, a repris cet aspect dans son opinion individuelle annexée à la sentence. Il y explique être d'accord avec la solution en << droit strict>> donnée par le Tribunal, mais suggère à la France de tenir compte, quasiment en équité, du long délai de non-imposition qui a créé la confiance légitime des an- ciens fonctionnaires, et pour certains d'entre eux aura même déter- miné le choix de rester en France.31

Le résultat général des raisonnements du Tribunal est donc: (1) des fonctionnaires subalternes peuvent concourir à la modification d'un traité par leur pratique subséquente ; (2) cette modification sup- pose en tout cas un accord clair et non équivoque.

C. Etat de la jurisprudence et de la pratique étatique sur la pratique subséquente

Quel est l'état de la jurisprudence sur la question de la modification informelle d'un traité par la pratique subséquente, et comment la pré- sente sentence s'insère-t-elle dans ce flux jurisprudentiel?

La jurisprudence des tribunaux et cours internationaux a admis avec une certaine libéralité la possibilité de modifier informellement un traité par la pratique subséquente. Dans les affaires des Emprunts serbes et des Emprunts brésiliens ( 1929), il s'était agi de savoir si la pratique de remboursement d'emprunts en francs-papier plutôt qu'en francs-or,

30 Voir par exemple le§ 89 de la Réplique de mars 2002, manuscript mis à disposition par C. Dominicé.

31 << Cette période [de non-imposition] a néanmoins pu, pendant un certain temps,

donner l'apparence de constituer un consentement tacite du gouvernement français à la formule de la non-imposition de la retraite des fonctionnaires quittant le service de l'Unesco et créer les impressions qui, par le suite, se sont révélées fausses. Dans ces con- ditions, ne saurait-on envisager, une fois que l'affaire est maintenant nettement résolue par le Tribunal arbitral sur le plan strictement juridique, que les Parties se concertent pour en tirer les conséquences appropriées, ce qui pourrait raisonnablement, légitime- ment même, consister - en vue de réparer les retards et les malentendus survenus, autant que les attentes déçues, et plus généralement de panser les plaies supportées - en une ou diverses formules visant à accorder certaines dispenses aux fonctionnaires retraités qui ont manifestement souffert de l'état d'expectative optimiste puis d'espé- rances perdues dans lequel ils se sont trouvés du fait des délais parfois considérables survenus dans l'intervention des services fiscaux ... ''·

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SZIER 1/2004 LA MODIFICATION D'UN TRAITÉ 19

ainsi que stipulé, avait modifié l'accord. Tout en refusant en l'espèce une telle modification, la Cour a estimé utile d'ajouter que

«si l'on doit tenir compte de la manière d'agir ultérieure des Parties, c'est, non pas pour vérifîer quels étaient les termes des contrats d'emprunt, mais bien pour rechercher si les Parties, par leur attitude, ont modifié ou affaibli leurs droits ,32 .

Dans l'affaire relative à la Sentence arbitrale du Roi d'Espagne du 23 dé- cembre 1906 (1960) la régularité de la nomination de l'arbitre avait été contestée. La Cour estima qu'en raison de son comportement ulté- rieur le Nicaragua ne pouvait plus contester la validité de la décision rendue. La Cour ne s'est pas ici inspirée du modèle de l'accord tacite, mais plutôt des comportements de fait des Etats en cause, mesurés à l'aune de l'acquiescement et de l' estoppeP3 Il est possible d'y voir une modification du traité par une pratique ultérieure quelque peu détachée de lui : l'attitude des Etats crée une position juridique sub- jective dans les rapports inter se qui a pour effet d'empêcher de reven- diquer l'application du traité dans son acception originale.34 Dans l'affaire du Temple de Pré ah Vihéar (1962) la conduite ultérieure, mesu- rée aux mêmes principes d'acquiescement et d'estoppel, fut censée avoir modifié le cours d'un tracé de frontière par rapport à celui prévu par un Traité datant de 1904.35 Quand le Siam fit valoir que l'abstention prolongée de sa part n'émanait que d'autorités subalternes et ne pou- vait lui être imputé, la Cour répliqua sèchement :

«Si les autorités siamoises n'ont montré les cartes qu'à des fonctionnaires subalternes, elles ont nettement agi à leur propres risques et cela ne saurait appuyer les prétentions de la Thaïlande sur le plan international ,,36 .

L'affaire relative à la Souveraineté sur certaines parcelles frontalières ( 1959) pose des problèmes similaires : les Pays-Bas firent valoir que les par- celles frontalières disputées leur revenaient de droit, contrairement aux stipulations d'un Traité de 1843, parce que des autorités locales y auraient entrepris des actes de puissance publique avec la tolérance de la Belgique (incorporation des parcelles dans le cadastre néer-

32 Mfaire des Emprunts serbes, CPJI, Recueil, série A, n° 20, p. 38. Cfr. aussi l'affaire des Emprunts brésiliens, CPJI, Recueil, série A, n° 21, p. 119-120.

33 CIJ, Recueill960, p. 206-207.

34 En ce sens KARL, op. cit. (note 18), p. 233.

35 Cl.J, Recueil 1962, p. 34. Annuaire de la Commission du droit international (Ann.CDI), 1964-II, p. 61, para. 25: «Dans l'affaire du Temple, par exemple, la ligne frontière utilisée en pratique n'étant pas compatible avec le sens naturel et ordinaire des termes du traité, la pratique ultérieure a eu pour effet de modifier le traité''·

36 Cl.J, Recueil1962, p. 25.

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landais, perception d'un impôt foncier, déroulement d'un procès lo- cal). Il s'agissait d'actes de fonctionnaires locaux et subalternes. Etant donné que la Belgique continuait à affirmer sa souveraineté sur ces parcelles manifestement sans connaître le détail des empiétements mentionnés (rendus d'autant plus opaques par le système des enclaves dans la région), la Cour a estimé que le régime frontalier issu du Traité de 1843 n'a pas été modifié.37

L'affaire de la Namibie (1971) relève de la pratique constitutionnelle.

A la question de savoir si l'abstention de membres permanents du Con- seil de sécurité peut suffire aux conditions de l'article 27, paragraphe 3, de la Charte des Nations Unies qui parle de <vote affirmatif>, la Cour répond ainsi :

«La procédure suivie par le Conseil de Sécurité [l'abstention ne faisant pas obstacle à l'adoption d'une résolution], ( ... ) a été généralement acceptée par les Membres des Nations Unies et constitue la preuve d'une pratique générale de l'Organisation ,,38.

Dans cette affaire, le problème des autorités subalternes ne se posait pas, puisque c'est la pratique des Etats représentés comme membres permanents au Conseil de sécurité qui faisait l'objet de l'analyse.

Divers arbitrages ont également consacré la valeur dérogatoire de la pratique ultérieure. Dans l'arbitrage de Taba (Egypte c. Israël, 1988),39 la pratique subséquente touchait à l'acceptation d'un tracé de fron- tière qui ne correspondait pas aux termes du Traité de 1906 selon le- quel les piliers de démarcation devaient être visibles d'un poste à l'autre. Le tribunal n'eut pas à se prononcer sur les mérites de cette pratique, car il ne constata aucune contradiction entre le Traité et la conduite subséquente. Mais le tribunal a dit qu'en cas de contradic- tion la pratique subséquente aurait prévalu. La pratique en question émanait dans ce cas des Commissions de démarcations mixtes entre les parties au litige, qui ne sont pas des organes subalternes. Une ap- plication particulièrement nette de la pratique subséquente déroga- toire a été faite par le Tribunal de réclamation irano-américain dans

37 CI], Recueil1959, p. 227-230.

38 CIJ, Recueil 1971, p. 22. Constantin STAVROPOULOS, The Practice of Voluntary Abstention by Permanent Nlembers of the Security Cou neil under Article 2 7 paragraph 3 of the Charter of the United Nations, Americanjournal of International Law (AJIL), vol. 61, 1967, p. 737 ss.

39 Voir dans ILR, vol. 80, p. 224 ss, p. 297-298, § 209-211; ou dans Recueil des sen- tences arbitrales (RSA), vol. XX, p. 56-57,§ 209-211, les deux versions étant en anglais.

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SZIER 1/2004 LA MODIFICATION D'UN TRAITÉ 21

l'affaire de la Houston Contracting Company (1988)40. Il en va de même pour une série de sentences relevant de juridictions étatiquesY

Une affaire arbitrale importante est celle de l'Interprétation de l'accord aérien franco-américain (1963). Par accord du 27 mars 1946la France avait accordé aux Etats-Unis d'Amérique des droits aériens aux fins d'une exploitation commerciale. Les droits accordés portaient sur un corridor de routes couvrant les Etats-Unis, Paris, l'Egypte, le Proche- Orientjusqu'aux Indes. La mise en œuvre de cet accord se caractérisa par une extension du rayon desservi par les compagnies américaines (Turquie, Téhéran) sans que les services aéronautiques français ne s'opposent de manière significative. Quand en 1962 le Directeur des Transports aériens français refusa de régulariser les plans de vol de la Pan American Airways, un différend opposa les parties au Traité. Ce différend fut soumis à l'arbitrage. Les arbitres désignés furent R. Ago, P. Reuter etH. De Vries.42 Le Tribunal commença par constater que la desserte de la Turquie et de Téhéran par la compagnie américaine était incompatible avec le texte du Traité tel que conclu en 1946.43 Le Tribunal considéra ensuite si la pratique suivie par les autorités fran- çaises (subalternes) pouvait s'analyser comme modifiant le traité ini- tial.44 Le Tribunal conclut en sens affirmatif. Il estime que doivent être pris en compte non seulement des expressions de volonté tacite, mais tout comportement actif et surtout passif. Il applique ici le principe de l'acquiescement normatif:

«Ce qu'on a surtout en vue ce sont les cas où un consentement ouvert ou implicite a été donné à une certaine prétention ou à l'exercice d'une certaine activité, ou des cas où une attitude - soit-il ou non correct de la décrire comme une forme de consentement tacite - a certainement des effets équivalents à un consentement proprement dit quant à la situation de droit qui en résulte

40 Iran/US Claims Tribunal Reports, vol. 20, p. 56-7, 57:<< The Tribunal therefore concludes th at the contractual provisions of Clause 42 of the General Conditions were not observed by the Parties in practice and, given this past conduct, it would be inequitable to allow th ose provisions to be accepted as a bar to payment of the remaining daims for extra work "· L'action était celle des autorités compétentes en la matière.

41 Voir notamment KARL, op. cii. (note 18), p. 240 ss. Voir désormais aussi l'arrêt de la Cour constitutionnelle allemande du 22 novembre 2001, 2 BvE 6/99, www.bverfg.de/

entscheidungen, n° 2 ss, 19, relatif à une prétendue modification du Traité constitutif de l'OTAN, que la Cour constitutionnelle nie.

42 Texte de la sentence dans RGDIP, vol. 69, 1965, p. 189 ss. Texte anglais dans ILR, vol. 38, p. 182 ss.

43 RGDIP, vol. 69, 1965, p. 229 ss, p. 235-236.

44 Ibid., p. 249 : << Une telle conduite peut en effet entrer en ligne de compte non pas simplement comme un moyen utile aux fins de l'interprétation de l'Accord, mais comme quelque chose de plus : à savoir, comme source possible d'une modification postérieure découlant de certains actes ou de certaines attitudes et touchant la situation juridique des Parties ... "·

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entre les Parties. Le Tribunal se réfère notamment à des hypothèses telles que les suivantes: la Partie intéressée n'a pas soulevé en fait une objection qu'elle aurait eu la possibilité de soulever, ou elle a laissé tomber ou n'a pas renouvelé au moment où l'occasion s'en était présentée [cette objection] ( ... ) ou tout en objectant en principe elle a consenti en fait à la poursuite de l'action à l'égard de laquelle elle a exprimé l'objection, ou encore elle a donné un consente- ment implicite, résultant du consentement exprimé à propos d'une situation liée à 1' objet de la contestation >> 45.

On notera que le tribunal ne dit pas qu'il y a eu un accord subsé- quent; il dit qu'il y a eu des attitudes qui ont un << effet équivalent>> à un consentement proprement dit et qui font droit entre les parties.

C'est donc bien le principe de l'acquiescement normatif (qui tacet con- sentire videtur si loqui potuisset ac debuisset)46 que le tribunal applique et non une doctrine de volonté tacite donnant lieu à un pacte.

La pratique diplomatique aussi montre que la modification d'un traité par une pratique subséquente peut reposer sur une attitude uni- latérale d'un Etat qui crée chez l'autre une confiance légitime, plutôt que sur un pacte proprement dit. C'est le cas d'un avis de la Direction du droit international public du Ministère des affaires étrangères suisse, très similaire au cas qui nous occupe ici. Il avait trait à une Convention germano-suisse sur l'assistance des indigents. Depuis sa conclusion elle avait fait l'objet d'échanges de vues périodiques entre les parties con-·

tractantes en vue de fixer par écrit et d'unifier la pratique de leurs organes subalternes. Or, l'Office compétent allemand s'était longtemps abstenu de faire valoir un droit de remboursement contrairement à ce que prévoyait le Cinquième échange de vue faisant bloc avec la Con- vention. Est-ce que cette attitude pouvait modifier le traité au titre d'une pratique subséquente? La Direction fait appel aux principes d'acquiescement et d'estoppel fondés sur la bonne foi.47 Si une con- fiance légitime a été créée par les attitudes adoptées, le traité doit être considéré comme ayant été modifié sur le point en question.48 La Di-

45 Ibid., p. 249-250.

46 Sur ce principe dérivé de la bonne foi en tant que protection de la confiance légitime, cf. KoLB, op. cii. (note 17), p. 339 ss.

47 RSDIE, vol. 8, 1998, p. 630-3, 632: <<La solution du problème nous amène [la Direction] à examiner la notion juridique d'acquiescement, étroitement liée au principe de la bonne foi. Du point de vue juridique, <l'acquiescement> intervient là où il y a eu silence face à une prétention juridique, à condition que ce silence se produise dans des circonstances qui suggèrent que cette passivité ne peut, de bonne foi, être comprise que comme équivalant à un acquiescement tacite». L'estoppel est analysé selon les mêmes modalités ( << une partie répond des expectatives qu'elle a fait naître dans l'esprit d'une autre partie» ; il a pour<< but de protéger la bonne foi »), ibid., p. 632.

48 Ibid., p. 633: <<Ainsi les rapports de confiance qui ont pu se nouer au cours de la mise en œuvre de la Convention, et qui relèvent des principes précités [bonne foi, ac- quiescement, estoppel], doivent être pris en compte ... ».

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SZIER 1/2004 LA MODIFICATION D'UN TRAITÉ

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rection parvint toutefois à la conclusion que cette condition n'était pas remplie en l'espèce. L'analyse repose ici sur des ressorts essentiel- lement objectifs : c'est la confiance issue de la bonne foi qui commande la transformation des obligations telles que contenues dans le texte. De plus, le fait qu'il s'agisse de fonctionnaires subalternes n'a pour la Di- rection aucun poids juridique :

<< En déléguant à des autorités subalternes la mise en œuvre d'importants

aspects de la convention, les Parties contractantes ont admis que le comporte- ment des ces autorités leur est imputable >> 49

Comme cette revue de pratique le montre, la question de la pra- tique de fonctionnaires subalternes s'est souvent posée.

D. Analyse des éléments de« pratique» et de

« fonctionnaires subalternes »

Il convient désormais de commenter les deux branches du raison- nement relatives à la pratique subséquente : celle sur la qualité de la pratique et celle sur la qualité des organes de l'Etat l'accomplissant.

1. La qualité de la « pratique »

L'explication la plus fréquente quant à l'élément opérant la modi- fication du traité est celle de l'accord subséquent, de l'accord tacite.

Il faut que les actes de pratique subséquents à la conclusion du trai- té soient tels qu'ils manifestent, ou puissent être construits en droit comme manifestant un accord tacite. Cet accord tacite est dégagé, en quelque sorte, par un travail d'orfèvrerie juridique. Mais il faut en tout cas que l'opérateur s'assure que les parties étaient bien d'accord pour accorder à leur attitude la valeur d'un élément transformant leurs obligations conventionnelles. Il y a là une espèce de parallélisme des formes :le traité lie comme acte juridique conjoint ; pour le modifier ou le terminer il faut un acte du même type, à savoir un autre acte juridique conjoint. L'article 38 du Projet de la CDI contenait déjà cette indication <<volontariste » en parlant d'une attitude << qui établit un accord>>. La même explication prédomina pratiquement au point de l'unanimité à la Conférence de Vienne lorsque cet article 38 fut dis-

49 Ibid., p. 633.

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cuté.50 De plus, la doctrine s'en inspire51 et la pratique juridictionnelle - l'affaire présente en est un témoignage supplémentaire - continue à en faire état, même si elle recourt aussi aux concepts d'acquiescement et d' estoppel dont la relation avec l'accord tacite devra être encore discutée.

Il y a des cas où la « pratique subséquente » se manifeste en effet comme un accord subséquent entre les parties. A un acte juridique succède ainsi un autre. Dans ce cas, la notion de continuité qui est le propre de la pratique, y compris dans le droit coutumier, vient à man- quer. L'accord ultérieur se réalise instantanément dans le temps ; à un actus répond un contrarius actus; la modification du traité tend ici à être formelle dans le sens qu'il y a succession d'accords (effectivement voulus) dans le temps. La situation à laquelle la jurisprudence précité s'est trouvée confrontée ne correspond cependant que rarement à cette situation bien nette et bien encadrée. Les situations qui se sont exposées au regard judiciaire (ou à tout autre opérateur) relevaient davantage de situations peu définies où à une attitude plus ou moins accentuée, dilatée dans le temps, répondait un silence plus ou moins parfait, dont la qualification exacte prêtait à doute. Certes, rien n'empêche le juriste, dans le travail d'orfèvrerie créative dont il a déjà été question, de trans- former ces attitudes amorphes en accord tacite, par la voie de cette pierre philosophale qu'est l'instrumentaire juridique. Mais quelle dif- férence entre un tel accord tacite où une volonté délinée des parties fait défaut, où le plus souvent aucune volonté n'aurajamais été cristal- lisée (sauf par l'imputation dujuge), et les cas où l'accord exprès ou tacite correspond à une volonté réelle des parties.52 On le voit: cet

50 Cfr. Annuaire de la Commission du droit international (Ann.CDI), 1964-I, p. 297, para. 23 [Tunkin] ; ibid., p. 298, para. 38 [de Luna]. Ann.CDI, 1966-I (2ème partie), p. 243, para. 24 [Tunkin] ; ibid., p. 244, para. 31 [Briggs] ; ibid., p. 245, para. 59 [Reuter] ; ibid., p. 295, para. 76 [Bartos]. Ann.CDI, 1966-II, p. 257, para. 1. Conférence, (première session), p. 226, para. 66 [Martinez Caro] ; ibid, p. 229, para. 22-3 [Maresca] ; ibid, p. 230, para. 35 [Alvarez]; ibid., p. 231, para. 49 [Chea Den].

51 Cfr. Mustafa Kami! YASSEEN, L'interprétation des traités d'après la Convention de Vienne sur le àroù àes iraiiés, RCADI, vol. 151, 1976-III, p. 48-49. Charles RûüSSEAü, Drûit interna- tional public, Paris 1970, t. I, p. 207. Clive PARRY, The Law ofTreaties, in: Max Sorensen (édit.), Manual of Public International Law, Londres/New York/Toronto 1968, p. 229-230.

Francesco CAPOTORTI, L'extinction et la suspension des traités, RCADI, vol. 134, 1971-III, p. 496. Harvard Draft on the Law of Treaties, AJIL, vol. 29, 1935, p. 1163.

52 Cf. KoLB, op. cit. (note 17), p. 307: <<Cela tient au fait qu'on ne saurait le plus souvent qu'artificiellement assimiler !'acte juridique, produit d'une projection volontaire réalisée instantanément, et une pratique étalée dans le temps, assurant sa croissance par une accumulation de faits et d'attitudes. Que d'autonomie, de pétition souveraine, d'unité, de pouvoir, de concentration, de simultanéité et de précision dans l'un; que d'hétéro- nomie, d'interaction, de sélectivité, d'éparpillement, d'alternance et d'approximation dans l'autre. Alors que dans la pratique la multiplication désordonnée de faits produit

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SZIER 1/2004 LA MODIFICATION D'UN TRAlTÉ 25

accord tacite issu d'une pratique subséquente juridiquement transcen- dée n'est en somme dans la grande majorité des cas qu'une fiction commode. Ce n'est pas dire qu'il faille la condamner. Le droit travaille souvent avec des fictions. Mais on peut s'interroger sur l'utilité de celle- ci. On a nettement l'impression que cette fiction-ci n'est maintenue que pour sauver le dogme de la création volontariste du droit interna- tional et par conséquent pour rassurer les Etats sur l'absence de velléi- tés agressives du juge face à la souveraineté de l'Etat :je ne ferai qu'ap- pliquer votre volonté (quoique je l'interpréterai à ma guise), je ne vous tiendrai pas pour obligés en dehors d'un telle volonté. Ce souci peut être légitime pour le juge international dont la position institu- tionnelle est notoirement faible et dont la compétence dépend du bon vouloir des justiciables. 53 Mais l'homme de doctrine peut sans doute prendre un peu plus de distance et envisager plus directement la réa- lité de la démarche judiciaire par rapport aux voiles lénifiants tendus par le juge pour bercer dans leurs certitudes de pouvoir les Etats. C'est d'autant plus vrai que la doctrine volontariste adoucit elle-même la rigueur de son accord tacite en admettant que l'acceptation d'une partie peut être << déduite de la réaction ou de l'absence de réaction de cette partie à l'égard de cette pratique »54.

Dans les affaires précitées, que ce soit les affaires des Emprunts serbes et brésiliens, l'affaire de la Sentence arbitrale du Roi d'Espagne, l'affaire du Temple de Préah Vihéar, l'affaire de la Souveraineté sur certaines parcelles frontalières, l'affaire de l'Accord aérien et d'autres encore, ce n'est pas la doctrine de l'accord tacite, mais les principes d'acquiescement ou d'es- top pel qui ont été effectivement appliqués. Ce qui est remarquable est qu'il s'agit d'un processus exogène au traité. La pratique, c'est-à-dire le jeu des attitudes et des abstentions, des pétitions et des silences, infiniment entrelacés, vient produire une lierre, une mousse autour du traité. Ce lierre, cette mousse finit par rendre invisible la disposition originale du traité. Il n'y a pas tant modification du traité qu'adjonction d'une couche supplémentaire au dessus de lui par voie du droit inter- national général qui attribue certains effets au jeu des prétentions et

la croissance d'une situation qualifiée après coup par le droit (procédé existentiel), à l'in- verse, l'expression de volonté précède les faits et leur imprime le sceau de son empire (processus essentiel). C'est de la négation de cette tension idéalement irréductible entre l'acte et le processus, que découle la fiction d'une assimilation des deux, entreprise pour sauver le dogme volontariste''·

53 Cf. Humphrey WALDOCK, General Course on Public International Law, RCADI, vol.

106, 1962-II, p. 104 ss. Hersch LAUTERPACHT, The Development of International Law by the International Court, Londres 1958, p. 75 ss. Julius STONE, Fictional Elements in Treaty Inter- pretation, in :Julius Stone, Of Law and Nations - Between Power Politics and Human Hopes, New York 1974, p. 194 ss.

54 Ann.CDI, 1966-II, p. 107, para. 18, Sixième Rapport.

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du silence. Comme le dit bien]. P. Cot, << le jeu des prétentions affir- mées et tolérées ou des attitudes qui ne provoquent aucune réaction tissent autour du traité un nouveau réseau d'obligations »55Le com- portement, qualifié par des principes généraux de droit dérivés de la bonne foi (acquiescement/estoppel), modifie la situation juridique et, greffé sur le traité, en commande la<< modification » pour le moins inter partes. La modification du traité devient dès lors un aspect de la protection de la confiance légitime et donc du principe général de la bonne foi. Une pratique effective, selon son intensité, sa durée et son degré de cohérence, peut créer une confiance légitime en sa conti- nuité. Cette pratique doit l'emporter sur la stabilité et l'autorité du texte pour faire place à la stabilité et la constance encore plus primor- diale des comportements effectifs non récusés. 56 A force d'aller au fond des choses, on s'aperçoit que la matière est régie dans la grande majo- rité des cas davantage par certains principes de droit que par l' expres- sion d'une volonté. 57

Le Tribunal de l'affaire UNESCO c. France s'est tenu à une explica- tion traditionnelle de l'élément modificatif du traité. Il n'a cependant pas parlé d'accord tacite, mais a préféré exposer l'élément clé dans la formule <<accord non équivoque». Il y a là sans doute une construc- tion conventionnelle, un acte juridique venant se substituer à un autre.

Dès lors, il n'est pas'certain que l'accord non équivoque n'équivaille pas à l'accord tacite, tout en corsant peut-être même encore ses condi- tions pour ce qui est de la clarté et de la netteté de la « pratique » re- quise. Il n'y a rien à en redire, si on est bien conscient qu'il s'agit là d'une construction fictionnelle.

Il semble cependant que le Tribunal n'a pas assez apprécié l'argu- ment de la bonne foi (comme confiance légitime) avancé pourtant par l'UNESCO, dont les intérêts étaient défendus entre autres par un jurisconsulte suisse. Le Tribunal semble l'avoir traité comme vague ar-

gument d'équité, ce dont témoigne l'opinion individuelle de 1 'arbitre N. Valticos. On ne se libère guère de l'impression que des arbitres, de tradition française, guère accoutumés à ce principe de bonne foi comme protection de la confiance légitime, n'aient pas su en appré- cier les aspects proprement juridiques. Ce n'est pas une doctrine

55 Jean-Pierre COT, La conduite subséquente des parties à un traité, RGDIP, vol. 70, 1966, p. 656.

56 Analysent la pratique subséquente sous l'aspect de la confiance, parmi tant d'autres: Jiirg-Paul MüLLER, Vertrauensschutz im Volkerrecht, Cologne/Berlin 1971, p. 172 ss, 188 ss. KARL, op. cit. (note 18), particulièrement p. 269 ss, et aussi p. 156-157, 327, 337. LAUTERPACHT, op. cit. (note 53), p. 170 ss. Pour plus de renvois, voir KoLB, op. cit.

(note 17), p. 308.

57 En même sens CoT, op. cit. (note 55), p. 633.

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d'équité ; c'est une doctrine de droit. A cet égard, les droits germani- ques paraissent plus avancés dans le raffinement de la pensée juridique que la construction bien traditionnelle française, faisant appel à l'éter- nel pacte tacite et non-équivoque. Ces droits germaniques contiennent tous un tel principe de bonne foi, qu'ils situent même au rang consti- tutionnel. Il n'est dès lors pas étonnant de voir le traitement de la pra- tique subséquente donnée par la Direction helvétique du droit inter- national en l'affaire des indigents57bis différer tellement de l'approche traditionnelle choisie par le Tribunal dans le litige UNESCO c. France.

2. Les organes étatiques subalternes

La solution donnée par le Tribunal quant à la pertinence des actes des fonctionnaires subalternes pour formuler une pratique (un ac- cord) dérogatoire correspond à la jurisprudence la mieux établie et ne s'expose pas à la critique. On peut s'autoriser à cette place à s'interroger sur la construction juridique apte à légitimer ce choix bien établi. Là-dessus, les juridictions n'ont jamais été très explicites, mais après tout leur tâche n'est pas de faire œuvre de doctrine. Deux expli- cations viennent immédiatement à l'esprit.

Primo, on pourrait appliquer analogiquement la théorie de l'unité de l'Etat qui domine le domaine de la responsabilité internationale. Ce principe signifie que le droit international laisse à l'Etat un pouvoir d'auto-organisation (autonomie constitutionnelle). L'Etat peut attri- buer les tâches publiques à n'importe quel organe interne, supérieur ou subordonné, central ou décentralisé, formel ou par délégation, etc.

Le corollaire en est qu'il ne saurait échapper à la responsabilité inter- nationale en alléguant que la personne à laquelle il a librement attri- bué ces tâches ne constitue pas un organe de l'Etat. 58 Vers le dehors, l'Etat constitue une unité. Dès lors, les actes et les omissions de tout organe de l'Etat, supérieur ou subalterne, constituent des actes attri- buables à l'Etat aux fins de la responsabilité internationale.59 Il y a une autre raison à cela: s'il n'en était pas ainsi, un Etat pourrait échapper à la responsabilité internationale en déléguant certaines tâches à des organes subordonnés. On ne voit pas pourquoi les principes régissant la création du droit, ou au moins la pertinence des actes et omissions aux fins de l'application de la doctrine de la confiance légitime, ne

57bis Voir le passage indiqué à la note 47.

58 Voir Luigi CoNDORELLI, L'imputation à l'Etat d'un fait internationalement illicite, RCADI, vol. 189, 1984-VI, p. 24 ss.

59 Voir James CRAWFORD, The International Law Commission's Articles on State Responsi- bility, Cambridge 2002, p. 91 ss.

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devraient pas être les mêmes. Sources et responsabilité se tiennent l'une l'autre : celui qui doit répondre de la violation du droit doit aussi être capable de concourir à sa création ; et vice versa.

Secundo, il est aussi possible de faire appel à la négligence des organes supérieurs de l'Etat. Les fonctionnaires subalternes n'agissent pas dans le vide. Leur action constante est connue ou doit être connue des or- ganes supérieurs de l'Etat, qui doivent exercer leur devoir de contrôle et de vigilance. Dès lors, tous les actes d'un organe compétent (éven- tuellement même incompétent) peuvent être retenus, pour autant que ces actes étaient connus ou auraient dü être connus des organes supé- rieurs de l'Etat, que ces actes ont fondé une confiance légitime chez autrui, et que les organes supérieurs en question se soient tus de ma- nière prolongée face à l'attitude constante des organes inférieurs.60 Cette solution a été retenue par la Cour internationale de Justice dans l'affaire précitée du Temple de Préah Vihéar quand elle a refusé l'argu- ment des fonctionnaires subalternes avancé par le Siam. Elle a aussi trouvé une place moins directe dans l'opinion individuelle de l'arbitre Valticos, quand il suggère à l'appui de sa solution équitable de prise en compte du grand délai de passivité des autorités administratives françaises, la faute que cela manifesterait dans le chef des organes gouvernementaux.

La différence entre les deux doctrines n'est peut-être qu'infime. La première (unité de l'Etat) mène à une responsabilité automatique, objective, pour les actes des fonctionnaires subalternes ; la seconde nécessite dans chaque cas la preuve d'une faute, mais celle-ci pourra pratiquement toujours être admise en cas de silence prolongé.

Il n'est peut-être pas inutile à cette place de faire noter qu'un prob- lème analogue se pose en matière de droit coutumier (dont au fond la pratique subséquente comprise comme processus dans le temps n'est qu'une catégorie particulière). Qui peut concourir à la formulation de la pratique de l'Etat? La question n'a reçu que peu de réponses jusqu'ici. Au XIXe siècle, la coutume n'était guère développée dans les manuels. On se bornait à dire qu'il s'agissait d'une expression de volonté tacite et de donner quelques exemples de coutumes, notam- ment dans le droit des la guerre.61 La première étude d'envergure de la coutume date de 1907.62 De plus, le droit coutumier du XIXe siècle n'était guère<< démocratique>> mais s'inspirait lourdement de la pra-

60 Voir Alfred VERDRoss/Bruno SIMMA, Universelles Volkerrecht, 3èrne éd., Berlin 1984, p. 506-507.

61 Voir par exemple Jean-Louis KLüBER, Droit des gens moderne de l'Europe, Paris 1861,

§ 3 ; Pasquale FI ORE, Il diritto internazionale codificato, 2ème éd., Turin 1898, p. 57-58, 263.

62 Arrigo CAVAGLIERI, La consuetudine giuridica internazionale, Padoue 1907.

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tique des grandes Puissances, notamment réunies en Congrès. 53 Par la suite, au début du

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siècle, sous la chape du positivisme, une doctrine restrictive eut cours. Selon cette doctrine, soutenue notamment par K. Strupp, 64 seuls les organes gouvernementaux des Etats ayant com- pétence pour conclure des traités suivant leur droit interne pouvaient concourir à la formation de normes coutumières. Pour ces positivistes, toutes les sources du droit international se ramenaient à une :l'accord.

Les traités sont des accords exprès, la coutume est un accord tacite, d'autres sources autonomes n'existent pas. Dès lors, la formation d'une coutume équivaut à la conclusion d'un traité ; et pour conclure un traité il faut s'assurer que la personne agissante soit revêtue du treaty- making power selon son droit interne (il y a là de plus un élément dua- liste) .65 Par la suite, l'opinion s'est rapidement établie que tout organe gouvernemental (y compris législatif) peut concourir à établir la cou- tume internationale, dès que cet acte a une incidence sur les relations internationales. Ainsi, enl'affaire du Lotus, 66 la Cour permanente de Justice internationale a pris en compte la législation interne des Etats en la matière du litige. Après la seconde guerre mondiale, lorsque le droit international s'est ouvert à d'autres sujets que des Etats, on a admis de plus en plus aussi la pratique de ces autres sujets du droit international, notamment les organisations internationales et parfois même les individus.67 La doctrine moderne, quant à elle, insiste le

63 Cf. Wilhelm GREWE, TheEpochs of International Law, Berlin/New York 2000, p. 512 ss.

Voir aussi l'art. 110 du Code de droit international de Bluntschli : << Lorsque les états rassemblés en congrès général européen sont d'accord sur certaines dispositions, celles- ci deviennent obligatoires pour tous les états européens>> (Johann Caspar BLUNTSCHLI, Le droit international codifié, Paris 1870, p. 101).

64 Karl STRUPP, Les règles générales du droit de la paix, RCADI, vol. 47, 1934-I, p. 313-315.

Sur cette position, cf. Michael AKEHURST, Custom as a Source of International Law, BYIL, vol. 47, 1974/5, p. 8-10; Max S0RENSEN, Les sources du droit international, Copenhague 1946, p. 85 ss.

65 Ce raisonnement sous-tendant cette doctrine a très bien été perçu par Gaetano MoRELLI, Nozioni di diritto internazionale, 7ème éd., Padoue 1967, p. 27. Voir aussi Maurice MENDELSoN, The Formation of Customary International Law, RCADI, vol. 272, 1998, p. 199.

66 CPJI, Recueill927, série A, no 10.

67 Voir déjà Lazare KoPELMANAS, Custom as a Means of the Creation of International Law, BYIL, vol. 18, 1937, p. 149 ss. Pour les organisations internationales, cf. Karel WoLFKE, Custom in Present International Law, 2. éd., Dordrecht/Boston/Londres 1993, p. 79 ss.

Charles RoussEAU, Droit international public, Paris 1970, vol. I, p. 340-341. Julio BARBERJS, Formaciôn del derecho internacional, Buenos Aires 1994, p. 102. MENDELSoN, op. cit. (note 65), p. 201. Pour les particuliers: voir déjà Paul FAUCHILLE, Traité de droit international public, vol. I/1, Paris 1922, p. 42.Julio BARBERJS, op. cit., p. 105. WoLFKE, op. cit., p. 58. Contra par exemple Mark VILLIGER, Customary International Law and Treaties, Dordrecht/Bos- ton/Lancaster 1985, p. 4. Voir déjà Costantino lANNACCoNE, Le fonti del diritto internazionale, Portomaggiore 1925, p. 89, qui parle de sujets de droit international, surtout l'Etat, et qui par cela montre déjà une flexibilité peu habituelle pour son temps.

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