Book
Reference
L'Unesco au mont Blanc
DEBARBIEUX, Bernard
Abstract
C'est officiel : l'alpinisme fait partie du patrimoine culturel immatériel de l'humanité. Qui a porté ce projet ? Qui a-t-il fallu convaincre ? Avec quels arguments, et quels concepts ? De son coté, le massif du Mont-Blanc attend toujours aux portes du patrimoine mondial une inscription dont il est question depuis plus de vingt-cinq ans. L'universitaire Bernard Debarbieux a été un témoin privilégié de ces deux aventures. Il en retrace les étapes, éclairant à l'occasion des questions vertigineuses : qu'est-ce que l'alpinisme ? En quoi le mont Blanc est-il doté d'une valeur universelle et exceptionnelle ?
DEBARBIEUX, Bernard. L'Unesco au mont Blanc. Chamonix : Guérin, 2020
Available at:
http://archive-ouverte.unige.ch/unige:130712
Disclaimer: layout of this document may differ from the published version.
1 / 1
Bernard Debarbieux -‐ L’Unesco au mont Blanc
Introduction
Depuis près de vingt-‐cinq ans, on parle beaucoup de l’Unesco au pied du mont Blanc. L’histoire a commencé au milieu des années 1990, quand quelques militants de la mouvance écologiste ont proposé d’inscrire le massif du Mont-‐
Blanc sur la Liste du patrimoine mondial. Elle s’est enrichie avec quelques guides et amateurs de haute montagne qui ont imaginé, dès la fin des années 2000, d’inscrire l’alpinisme sur la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité. Depuis lors, le nom de l’organisation a été à l’honneur dans quantité de réunions publiques, de rapports, d’articles de presse et de procès-‐verbaux d’assemblées diverses et variées. Pourtant, il est peu probable que les habitants de Chamonix, de Courmayeur ou de Martigny se soient soudainement pris de passion pour le multilatéralisme ; il s’agit plutôt de symbole pour les uns, de levier d’action pour les autres et pour beaucoup, d’une façon de renouveler la réflexion sur la gestion du massif du Mont-‐Blanc et l’une de ses activités emblématiques, l’alpinisme.
Une dizaine d’années plus tard – c’est au bas mot ce qu’il faut prévoir pour toute demande de candidature –, le second de ces deux projets d’inscription vient d’aboutir. L’annonce solennelle vient d’être faite, à Bogota, lors de la séance annuelle du comité de l’Unesco chargé du patrimoine culturel
immatériel. Et demain ou après-‐demain, ce sera peut-‐être le tour du massif du Mont-‐Blanc d’être inscrit au patrimoine mondial.
Les deux projets, chacun avec sa chronologie et ses aléas, se sont entremêlés, tantôt concurrencés, tantôt épaulés. Ce livre raconte ces deux histoires et leurs croisements. Il s’intéresse plus spécialement aux efforts que les porteurs de projets ont dû faire pour convaincre du bien-‐fondé de leur projet ; il raconte aussi le travail considérable que ces mêmes porteurs de projets et ceux qui les ont accompagnés ont dû réaliser pour présenter le site et la pratique
conformément à ce que l’on appelle à l’Unesco, un « bien » du patrimoine mondial et un « élément » du patrimoine culturel immatériel. Derrière
l’histoire de deux projets d’inscription sur une des Listes du patrimoine conçues et entretenues par l’Unesco, il y a donc un récit de diverses façons de parler de patrimoine dans la région du mont Blanc, de composer avec des mots, des concepts, des catégories par lesquels procède la patrimonialisation.
Le titre de ce livre suggère que l’Unesco est venu au mont Blanc. Rien de tel ne s’est produit. L’organisation compte bien peu de fonctionnaires, et ils ne
viennent qu’exceptionnellement rencontrer ceux qui portent des projets d’inscription sur une de ses listes. À ma connaissance, aucun d’entre eux n’est venu dans la région dans cette perspective ; pour skier, randonner, voire gravir un sommet, sans doute, mais c’est une autre histoire. Si quelques dizaines d’habitants de la région ont consacré du temps et de l’énergie à concevoir et discuter des dossiers d’inscription, c’est un peu pour faire venir l’Unesco à domicile ; pour pouvoir dire que le mont Blanc ou l’alpinisme ont été
« reconnus » par l’Unesco et s’en prévaloir ensuite. C’est sur ce mode que l’on peut dire que l’Unesco s’est, à son corps défendant, invitée dans les débats locaux. Pour quel bénéfice ? Ce livre cherchera des réponses en combinant plusieurs récits : le récit de l’entrée de l’organisation dans le débat local ; le récit de l’adaptation du lieu à cette irruption ; le récit de l’entrée, acquise ou espérée, du mont Blanc et de l’alpinisme sur les listes de l’organisation ; et le récit des ajustements des acteurs de ces inscriptions aux vocabulaires des uns et des autres quand il s’agit de parler d’un massif de haute montagne, d’une pratique de cette même haute montagne, et plus généralement, de biens et d’éléments du patrimoine.
Voici le cadre posé. Reste à annoncer comment ce livre va s’y prendre. Il
commence par présenter les protagonistes, un peu à la façon d’un scénario de fiction qui camperait les personnages avant de nourrir l’intrigue qui les lie tous ensemble. Il rend compte ensuite du travail qu’il a fallu faire pour que le massif du Mont-‐Blanc puisse devenir un « bien » du patrimoine mondial, et l’alpinisme un « élément » du patrimoine culturel immatériel, autrement dit des
composantes du patrimoine de l’humanité au sens où les organes de l’Unesco l’entendent. Chacun des chapitres se focalisera alors sur une notion, un
concept ou un ensemble de notions et de concepts avec lesquels les protagonistes de ces deux histoires ont dû composer pour envisager ou négocier une inscription. Il s’agit successivement :
• du « patrimoine », parce qu’il a bien fallu que tout le monde s’entende à peu près sur ce qui fait patrimoine, au moins dans ce contexte ;
• de la « communauté » des alpinistes, car faire la preuve de l’existence d’une communauté est une condition préalable à une inscription sur la Liste du patrimoine culturel immatériel ;
• des échelles en fonction desquelles le massif et l’alpinisme ont dû être présentés pour entrer dans une liste de portée mondiale ;
• et enfin de deux couples de notions aussi centrales que controversées dans le vocabulaire et les procédures de patrimonialisation à l’Unesco : nature/culture et matériel/immatériel.
La toute dernière section de ce livre tire les leçons de cette analyse, et
proposera une réflexion sur le travail de « domestication » constitutif de tout
processus de patrimonialisation.