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Article pp.17-23 du Vol.111 n°1 (2018)

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SANTÉ PUBLIQUE /PUBLIC HEALTH

Mise à jour des connaissances concernant quatre maladies délaissées en Haïti : mansonellose, tungose, lèpre, charbon

Update of knowledge on Neglected Diseases in Haiti: Mansonelliasis, Tungiasis, Leprosy, and Anthrax

C.P. Raccurt · J. Boncy · R.M.A. Jean-Baptiste · R. Honoré · L.L. Andrecy · P. Dély · L. Mondésir · M. Chatelier · A. Existe · P. Adrien

Reçu le 17 septembre 2017 ; accepté le 12 décembre 2017

© Société de pathologie exotique et Lavoisier SAS 2018

RésuméComme dans la plupart des pays pauvres de la pla- nète, les maladies infectieuses négligées sont nombreuses en Haïti où elles représentent un réel problème de santé publique avec des conséquences létales, surtout pour les enfants. Nous faisons le point des données accessibles pour quatre d’entre elles. Totalement délaissée depuis la découverte de sa pré- sence en Haïti en 1920, la filariose due àMansonella ozzardi persiste en foyers côtiers avec une prévalence élevée chez les adultes alors qu’un traitement efficace est disponible.

Connues depuis la période précolombienne dans l’île d’His- paniola, les lésions cutanées dues àTunga penetranspersis- tent dans les régions les plus reculées et difficiles d’accès où la population vit dans des conditions précaires et dans une très grande pauvreté. Nous rapportons les données d’enquêtes récentes qui montrent l’importance de cette ectoparasitose en Haïti où les taux de prévalence sont très élevés dans cer- taines communautés rurales isolées. Des cas de lèpre resurgis-

sent en Haïti alors qu’aucun programme de surveillance n’est effectif depuis 2004. Enfin, la maladie du charbon est endé- mique dans les régions d’élevage où des épidémies familiales resurgissent périodiquement en milieu rural. Le dépistage des personnes atteintes de ces maladies et leur prise en charge sont nécessaires pour une amélioration de la santé et une baisse de la mortalité en Haïti.

Mots clésMaladies négligées · Mansonellose · Tungose · Lèpre · Charbon · Haïti

AbstractHaiti, like most limited-resources countries in the world, faces numerous neglected infectious diseases. They represent a real public health issue with lethal consequences especially in children. We are reviewing here the available literature on four neglected infectious diseases, mansonellia- sis, tungiasis, leprosy and anthrax. Filariasis, due toManso- nella ozzardi, has been totally neglected since its discovery in 1920 in Haiti; it persists in coastal homes with a high prevalence in adults when an effective treatment is available.

The skin lesions caused by Tunga penetrans have existed since the pre-Columbian period in Haiti. They persist in the most retreated and hard-to-reach areas where the popu- lation lives in precarious conditions and in extreme poverty.

New available research data show the importance of the pro- blem with very high prevalence rates in some rural commu- nities far away from any healthcare center. Cases of leprosy are recently reemerging as no monitoring program has been in place since 2004. Finally, anthrax is still endemic; small epidemics resurfacing periodically in families in rural areas.

Screening of people for these diseases and managing the cases are necessary to improve health and reduce morbidity and mortality in Haiti.

Key wordsNeglected diseases · Mansonelliasis · Tungiasis · Leprosy · Anthrax · Haiti

C.P. Raccurt (*)

Département des maladies infectieuses,

Faculté des sciences de la santé, Université Quisqueya, 218 rue Jean-Paul II, Haut-Turgeau, Port-au-Prince, Haïti e-mail : raccurt@yahoo.fr

J. Boncy · A. Existe

Laboratoire national de santé publique,

52 angle Delmas 33 et rue Charbonnières, Port-au-Prince, Haïti R.M.A. Jean-Baptiste · L.L. Andrecy · P. Dély · L. Mondésir · P. Adrien

Direction dépidémiologie, de laboratoire et de recherches, 52 angle Delmas 33 et rue Charbonnières, Port-au-Prince, Haïti R. Honoré

Ministère de la Santé publique et de la Population, 1, Angles des rues Jacques Romain et Maïs Gaté, Delmas, Port-au-Prince, Haïti M. Chatelier

Direction départementale de la santé de lArtibonite, Gonaïves, Haïti

DOI 10.3166/bspe-2018-0005

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Introduction

La plupart des maladies tropicales sont longtemps restées négligées, dans les pays du Sud, faute de moyens et surtout d’intérêt du fait de leur faible pathogénicité et de leur mor- talité réduite. Récemment, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a listé 17 maladies tropicales négligées comme cibles de traitements de masse et d’actions de prévention en vue de leur élimination : des résultats spectaculaires ont été obtenus pour certaines d’entre elles [41]

En Haïti, pays le plus pauvre de l’hémisphère occidental, les maladies transmissibles sont la première cause de morbi- dité [1,25], dont trois particulièrement délaissées puisque l’OMS ne les a même pas incluses dans sa liste (mansonel- lose, tungose et charbon). Certaines sont des problèmes de santé publique majeurs bien identifiés et font l’objet de pro- grammes de lutte depuis une ou deux décennies. C’est le cas de la filariose lymphatique due àWuchereria bancrofti[4] et des helminthoses intestinales transmises par le sol [8]. Ces endémies parasitaires largement répandues en Haïti ont béné- ficié depuis le début des années 2000 de campagnes annuelles de traitements de masse par l’albendazole dont l’impact sur la santé des populations traitées a été clairement positif [18].

Cependant d’autres maladies à transmission vectorielle représentent en Haïti un risque sanitaire important [5]. Parmi elles, les arboviroses sont en pleine recrudescence, comme la dengue [34], ou d’introduction récente : Chikungunyia, Zika, West Nile virus [14,17,27,40]. Le paludisme [10,11]

et la filariose due àMansonella ozzardi [30,31] persistent en Haïti. Les fièvres dues aux arbovirus et àPlasmodium falciparumou àMansonella ozzardisont généralement trai- tées de façon empirique sans que le diagnostic étiologique n’ait été formellement établi. En effet, les sérodiagnostics des arboviroses ne sont pas disponibles, pour l’instant, en Haïti. Quant au paludisme et à la mansonellose, les compé- tences pour en faire le diagnostic ne sont pas toujours au rendez-vous en milieu rural où ces maladies parasitaires sont les plus fréquentes…

Trois maladies tropicales sont très négligées en Haïti : la mansonellose, la tungose et le charbon qui ne font donc pas partie de la liste des 17 maladies négligées. Elles en ont néanmoins la plupart des caractéristiques, concernant des populations pauvres, exclues et peu visibles, sans poids poli- tique. Elles sont cause de stigmatisation, pour certaines, et intéressent peu la recherche. Pourtant des solutions efficaces et réalistes existent pour les trois.

La mansonellose, filariose peu pathogène due àM. ozzardi, est totalement ignorée des autorités sanitaires bien que sa pré- valence élevée dans certains foyers et son impact aient fait l’objet de dix années d’études en Haïti [28].

La tungose, dermatose due à la pénétration de Tunga penetransdans le derme, est fréquente dans des communau-

tés rurales reculées et enclavées. Des enquêtes récentes ont montré que cette ectoparasitose affecte une forte proportion des habitants qui y vivent dans des conditions de pauvreté extrême et d’insalubrité [15,20].

Bien qu’en forte régression dans le monde entier au cours de la dernière décennie, la lèpre semble être en recrudes- cence en Haïti depuis la disparition du Père Ollivier en 2004 qui avait mis en place un programme de dépistage et de lutte aux Gonaïves et dans l’Artibonite. La situation actuelle est mal connue, mais cette maladie fait partie des 17 maladies tropicales négligées contre lesquelles l’OMS recommande une action ciblée.

Quant au charbon, il persiste en Haïti atteignant égale- ment les enfants [16]. Cette enzootie est mal évaluée et la vaccination du bétail est faite en fonction des ressources financières disponibles.

Dans cet article, nous analysons les données disponibles concernant la situation actuelle de ces quatre maladies tropi- cales négligées évitables, dans le but d’attirer l’attention des autorités sanitaires et des bailleurs de fonds. Il est en effet nécessaire de pouvoir dépister les malades atteints de ces maladies parasitaires ou bactériennes grâce à la disponibilité de moyens diagnostiques performants pour assurer leur prise en charge avec des traitements spécifiques adaptés.

Méthodologie

Cette analyse a été réalisée en consultant la banque de don- nées PubMed de l’US National Library of Medicine, Natio- nal Institutes of Health : pour Mansonelliasis/Haiti, on trouve 13 articles scientifiques, trois pour Tungiasis/Haiti, 16 pour Leprosy/Haiti et 11 pour Anthrax/Haiti.

À ces articles s’ajoutent des informations trouvées sur Internet concernant chacune de ces maladies en Haïti et des données d’enquêtes menées dans ce pays mais non publiées.

La mansonellose en Haïti

Cette filariose due à Mansonella ozzardi, exclusivement néotropicale, est répandue en petits foyers sur le continent américain du sud du Mexique au nord de l’Argentine et dans certaines îles de la Caraïbe [19,28]. Cette filaire strictement néotropicale vit à l’état adulte chez l’homme dans la cavité abdominale et dans le mésentère. Les microfilaires sont retrouvées dans le sang capillaire aussi bien de jour que de nuit, mais aussi dans le derme. Elles poursuivent leur déve- loppement chez deux types de diptères nématocères hémato- phages : les simulies dans le bassin amazonien, et les culi- coïdes dans la Caraïbe, au Mexique et en Amérique du Sud [19] Les sujets porteurs de microfilaires présentent souvent une forte éosinophilie, des réactions de type allergique,

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souffrent de prurit, de douleurs osseuses et articulaires, de paresthésies, de céphalées, d’accès fébriles [23]. Récem- ment, des lésions oculaires ont été rapportées au Brésil chez des sujets porteurs de microfilairesM. ozzardi[9,12,39]. Elle a été signalée pour la première fois en Haïti par la mission Rockefeller en 1920 [29], mais sa présence a ensuite été rapidement oubliée. Ce n’est que 54 ans plus tard, en 1974, que sa présence a été « redécouverte » en Haïti sur des gout- tes épaisses prélevées dans le cadre du contrôle du paludisme [33].Mansonella ozzardise maintient en Haïti jusqu’à nos jours dans de petits foyers côtiers. Les deux principaux foyers sont situés dans le nord (entre Port-de-Paix et Cap haïtien et le long de la vallée de la rivière du Limbé) et dans le sud où de nombreux cas se concentrent le long de la côte entre Jérémie et Petit-Trou-de-Nippes, incluant la presqu’île des Baradères et les îles Cayemittes. De petits foyers plus circonscrits existent à Cabaret, Gressier et Léogane, au fond du golfe de la Gonâve, autour de Miragoane et sur la côte des Nippes, depuis Petit-Goâve jusqu’à Anse-à-Veau, autour de Saint-Louis-du-Sud, sur le pourtour de l’île de la Gonâve, et enfin sur l’île à Vache. Les foyers connus d’Haïti sont repor- tés sur la carte de la figure 1.

Une première étude épidémiologique réalisée en 1978 à Bayeux, village de pêcheurs situé à proximité de la man- grove sur la côte nord d’Haïti, à l’ouest du Cap haïtien, avait montré une prévalence de 16 % chez les 1 165 villageois examinés [32]. Une nouvelle enquête communautaire, réali-

sée en 2013 auprès de 462 habitants de Corail et de ses envi- rons, sur la côte septentrionale de la presqu’île sud-ouest, entre Pestel et Jérémie, a montré une prévalence identique (16,5 %) et, comme à Bayeux, une atteinte prédominante des adultes [31]. À Bayeux, les sujets porteurs de microfilaires M. ozzardi présentaient une éosinophilie élevée, des épiso- des fébriles à répétition, et souffraient de céphalées, de dou- leurs diffuses, et surtout de démangeaisons chroniques fré- quentes [23].

Cette filariose signalée en Haïti depuis presque un siècle, oubliée, puis redécouverte est restée complètement négligée par les autorités sanitaires, alors que le traitement par iver- mectine a donné d’excellents résultats tant à la Trinité (Tri- nidad) [7,13] que dans le bassin amazonien [3]. Étant donné la bonne efficacité de ce traitement, il serait temps que les porteurs de microfilaires soient systématiquement dépistés dans les foyers répertoriés, et traités par ivermectine, surtout dans les régions marécageuses colonisées par la mangrove où prolifèrent ses deux principaux vecteurs en Haïti :Culi- coides furens[21] etC. barbosai[22].

La tungose en Haïti

Cette ectoparasitose due àTunga penetrans, une puce ayant comme réservoir les porcs et/ou des chiens, qui se développe dans les sols secs et sablonneux en région tropicale, est

Fig. 1 Répartition des foyers de mansonellose en Haïti. Chaque point représente un cas /Distribution of mansonelliasis foci in Haiti.

Each dot is a case [33]

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endémique depuis toujours en Haïti. Lors de son premier voyage en 1492, Christophe Colomb en débarquant à Hispa- niola, l’actuelle Haïti, remarqua chez les Indiens des lésions caractéristiques provoquées par la pénétration sous la peau des puces femelles fécondées, notamment au niveau de la plante des pieds et des orteils, provoquant des lésions connues sous le nom de chiques [37]. Cette affection est fréquente chez les personnes marchant pieds nus, en parti- culier les enfants. La chique se localise, dans la majorité des cas, au niveau des pieds et essentiellement au niveau du sil- lon péri-unguéal ou sous-unguéal ou au niveau des plis inter- digitaux. Cette lésion est généralement très douloureuse pou- vant entraîner une gêne à la marche, surtout en cas de surinfection. Elle peut être une porte d’entrée pour le tétanos, complication dramatique en l’absence de vaccination. Les cas compliqués se présentent avec une hyperkératose et une surinfection (pustules, ulcérations, nécroses), puis l’ap- parition de lymphangite, d’adénites, enfin une atteinte géné- rale avec septicémie pouvant entraîner la mort.

De récentes enquêtes menées au cours de la dernière décennie en Haïti ont montré la persistance de cette ectopa- rasitose dans des foyers ruraux d’accès difficile et très encla- vés, situés à plusieurs heures de marche du premier centre de santé. Une enquête menée dans le Plateau central en 2005 auprès de la population [15] a montré que, sur 177 patients, 132 étaient atteints de tungose, soit 74,6 % : 85 étaient de sexe masculin (64,4 %), 47 de sexe féminin (35,6 %), et 23 étaient des enfants (17,4 %). Chez 45 patients, les lésions étaient surinfectées (34,1 %). Une deuxième enquête a été menée en mai-juillet 2009 dans quatre communautés rura- les : deux situées dans le département de l’ouest –Belle Fontaine (commune rurale de Croix-des-Bouquets) et Vallue (commune rurale de Petit-Goâve)–et deux situées dans le département du Centre–Cerca Carvajal près de la frontière dominicaine (arrondissement de Hinche) et Savanette (arrondissement de Lascahobas) [20]. Sur 383 personnes, 119 présentaient des lésions caractéristiques, soit une préva- lence de 31,1 %. Cependant, la prévalence variait considéra- blement d’une communauté à l’autre, passant de 10,6 % à 81,8 % ! Dans ces quatre communautés, les enfants âgés de 1 à 10 ans représentaient le groupe le plus infecté : 44, soit 37 % des cas dépistés. Comme le montre le tableau 1, la population de sexe féminin était la plus touchée (58 %),

mais cette différence n’est pas statistiquement significative.

Une troisième enquête a été menée en mars 2014 à Médor (6e section communale de Petite Rivière de l’Artibonite), dans l’Artibonite, où 1 125 cas de tungose dont 127 décès probablement dus à des surinfections avaient été dénombrés entre 2007 et 2014. Selon les soignants de la zone, cette ectoparasitose est présente dans presque toutes les localités de Médor (Marinette, Morne Georges, Haut Platon, Nan Fachèt, Sigala, Binot, Kaplesi, Zoranje et Vye Zoranje, Maugé, Bwajou) et atteint aussi bien les enfants que les adultes. Les habitants de cette zone rurale marchent le plus souvent pieds nus. L’enquête menée en 2014 dans cette même zone rurale de l’Artibonite a recensé 178 patients atteints de tungose. Ils se répartissaient en 78 de sexe mas- culin (44 %) et 100 de sexe féminin (56 %), et en 64 enfants âgés de moins de 13 ans (36 %). Comme le montre la figure 2, sur 29 localités de provenance des cas recensés au cours de l’enquête, quatre concentraient 69,2 % des cas : Capsin (51 cas), Zorange (30 cas), Simonnette (27 cas) et Maurant (15 cas).

Ces données montrent la persistance de la tungose en Haïti dans des communautés rurales isolées et d’accès diffi- cile où les habitants vivent dans une très grande pauvreté et dans de mauvaises conditions d’hygiène, dans de petites maisonnettes au sol en terre battue, et marchent le plus sou- vent pieds nus. Des prévalences très élevées ont été obser- vées dans certaines communautés. Les enfants représentent environ un tiers des cas. Comme il est habituel, la très grande majorité des lésions siègent au niveau des pieds et sont surin- fectées dans la moitié des cas. Cette ectoparasitose invali- dante provoque une gêne à la marche. En Haïti, les gens atteints sont stigmatisés et répugnent à se rendre dans des centres de santé qui sont souvent situés à plusieurs heures de marche. Une prise en charge de ces cas est pourtant néces- saire : formation d’agents de santé dans les régions touchées allant au contact des patients pour les dépister et les soigner, information des personnels de santé et conscientisation des populations concernées, désinfection des sols des maisons et de l’environnement péri-domiciliaire et traitement des ani- maux domestiques atteints, notamment les chiens, distribu- tion de chaussures pour protéger les habitants de l’infection, enfin campagnes de vaccination antitétanique dans les zones les plus touchées, etc.

Tableau 1 Répartition selon le sexe des cas de tungose dans quatre communautés haïtiennes /Distribution according to sex of tungia- sis cases in four Haitian communities [17].

Belle Fontaine Cerca Carvajal Savanette Vallue Total

Sexe masculin 10 11 23 6 50

Sexe féminin 9 25 25 10 69

Total 19 36 48 16 119

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La lèpre en Haïti

La lèpre, ou maladie de Hansen, causée parMycobacterium leprae, est connue depuis la plus haute Antiquité. Le bacille se multiplie très lentement dans l’organisme humain : la période d’incubation de la maladie est d’environ cinq ans.

Les symptômes peuvent n’apparaître qu’au bout de 20 ans.

Cette mycobactérie se développe dans la peau, les nerfs péri- phériques, les muqueuses des voies respiratoires supérieures et les yeux. La lèpre n’est pas très contagieuse. Elle est trans- mise par des gouttelettes d’origine buccale ou nasale, lors de contacts étroits et répétés avec un sujet infecté et non traité.

Selon l’OMS, l’élimination de la lèpre à l’échelle planétaire a été atteinte en 2 000 lorsque le taux de prévalence mondial a été inférieur à 1 cas pour 10 000 personnes. La polychimio- thérapie a permis de guérir près de 16 millions de patients au cours des 20 dernières années : le taux de prévalence de la maladie a baissé de 99 %, passant de 21,1 cas pour 10 000 habitants en 1983 à 0,24 cas pour 10 000 habitants en 2014. Aujourd’hui, à l’exception de quelques petits pays (dont Haïti), la lèpre est considérée éliminée par l’OMS.

La situation actuelle de la lèpre en Haïti est mal connue.

Les données sont anciennes : de 1977 à 1999, un plus grand nombre de cas de formes paucibacillaires que de formes multibacillaires avaient été enregistrés (Tableau 2) [6]. Or, entre 2000 et 2004, le département de l’Artibonite avait atteint le seuil d’élimination avec moins d’un cas pour 10 000 habitants. Depuis la mort du Père Ollivier en 2004, le dépistage systématique ne se fait plus dans ce départe- ment. Dans le département de l’Ouest, la destruction par- tielle du centre de référence de la lèpre, l’hôpital Cardinal

Léger, à Léogane, lors du tremblement de terre du 12 janvier 2010, a freiné les activités. En 2012, sur 242 patients hospi- talisés dans les locaux restaurés, un tiers était des lépreux et seulement six interventions chirurgicales ont concerné des lépreux sur les 100 réalisées. Actuellement, de nouveaux cas continuent à se manifester. En juin 2014, sur 100 patients vus à la clinique de dermatologie des Gonaïves, 21 cas sus- pects dont 19 se sont révélés positifs ont été dépistés (don- nées non publiées) ! Une jeune fille âgée de 16 ans a été vue à Petit Goâve en juillet 2015 [36]. Le type de lèpre des 19 patients des Gonaïves et de la jeune fille de Petit Goâve n’a pas été précisé. Or, les antibiotiques contre la lèpre ne sont plus disponibles, en Haïti, et aucun système de surveil- lance ni d’enregistrement des nouveaux cas n’existe à notre connaissance… Une remise à l’honneur de cette maladie négligée s’impose : la mise en place d’un programme de formation des personnels de santé au dépistage de la lèpre, de surveillance effective et de traitement des cas dépistés est une nécessité en vue de l’élimination de cette maladie dans le pays, à l’instar de ce qui a été obtenu dans la plupart des autres pays dans le Monde.

La maladie du charbon en Haïti

La maladie du charbon, également appelée fièvre charbon- neuse, est une anthropozoonose due àBacillus anthracis, qui atteint les herbivores, et accessoirement les humains.

L’homme est contaminé le plus souvent suite à la manipula- tion de la viande d’un animal mort du charbon. Cette mala- die se manifeste généralement sous la forme cutanée : appa- rition d’une plaie noirâtre sur la peau, inflammation et fièvre et se guérit facilement. On peut aussi contracter la forme digestive en ingérant une viande contaminée, surtout si celle-ci est mal cuite. Ce sont des cas beaucoup moins fré- quents. Il existe aussi la forme respiratoire, beaucoup plus dangereuse et souvent fatale, et d’autres formes graves, comme une atteinte oculaire pouvant entraîner la cécité.

En Haïti, la maladie du charbon sévit depuis longtemps [24] et a gagné du terrain ces dernières années. Confinée au nord et au sud jusqu’en 1986, elle est devenue endémique dans tout le pays [35], notamment dans l’Artibonite [38] où sa fréquence a été multipliée par 17 en dix ans, entre 1992 et Fig. 2 Répartition géographique des 178 cas de tungose vus

dans les communautés rurales de Médor dans lArtibonite en mars 2014 /Geographical distribution of the 178 cases of tungiasis cases identified in the Médor rural communities (Artibonite) in March 2014

Tableau 2 Incidence de la lèpre en Haïti de 1977 à 1999 /Inci- dence of leprosy in Haïti from 1977 to 1999 [6].

Âge Formes

multibacillaires

Formes paucibacillaires

Total

< 15 ans 85 412 497

15 ans 357 1 306 1 663

0-65 ans 442 1 718 2 160

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2002 [26]. Chaque année, dans les années 2000, des centai- nes de têtes de bétail en mouraient, entraînant des pertes économiques pour les communautés paysannes.

Aujourd’hui, grâce aux efforts conjugués du ministère de l’Agriculture et des Ressources naturelles, des Organisations internationales (ex. FAO), des Organisations non gouverne- mentales (ex. Vétérimed) et des éleveurs-paysans, le charbon est en nette régression. Cependant, de janvier 2012 à avril 2013, 6 cas de charbon ophtalmique ont été soignés au Cen- tre ophtalmologique Brenda des Cayes, dans le sud du pays, sans que l’on ait des précisions sur l’origine géographique des cas, et en 2014, des cas humains ont été rapportés dans différentes localités notamment à Corail, 8esection commu- nale de Petit-Goâve, où six bœufs sont morts du charbon et neuf personnes ont contracté la maladie, selon les paysans de la région…Un cas récent de charbon ophtalmique en Haïti vient d’être publié [42]. La vaccination du bétail coordonnée par l’ONG Vétérimed a donné des résultats prometteurs qu’il faut renforcer pour arriver à l’éradication de cette maladie en Haïti dans un avenir prochain.

Recommandations

En Haïti, comme dans d’autres pays d’Amérique latine et des Caraïbes, les maladies infectieuses négligées persistent et affectent principalement des populations isolées qui vivent dans des conditions socio-économiques de très grande pau- vreté [2]. On prête très peu d’attention à ces maladies qui ne sont pas considérées comme des priorités politiques. Or qua- tre d’entre elles pourraient être relativement facilement contrôlées, si la volonté politique et les moyens financiers étaient au rendez-vous.

La filariose due àM. ozzardi, limitée à des foyers circon- scrits le long des côtes haïtiennes, pourrait être éliminée en traitant systématiquement par ivermectine les habitants por- teurs de microfilaires, comme cela a été fait à la Trinité [7,13]. Il importe donc de procéder à des dépistages systé- matiques dans les foyers côtiers.

La tungose devrait régresser par la mise en place dans les foyers connus d’équipes formées au traitement sur place des populations atteintes, à la désinfection des sols des habi- tations contaminées, au dépistage et au traitement dans les villages concernés des chiens et des animaux domestiques porteurs de puces-chiques. Une distribution gratuite de chaussures aux populations les plus démunies, comme cela a été fait dans un passé récent, serait un complément utile pour lutter contre la tungose en Haïti.

Pour la lèpre, la reprise du dépistage systématique des nouveaux cas, notamment dans les écoles, sur l’ensemble du territoire est une nécessité en vue de leur traitement avant l’apparition des complications.

Enfin, pour la maladie du charbon, la poursuite de la vac- cination des animaux, la conscientisation des éleveurs- paysans sur les risques sanitaires liés à la manipulation de viandes contaminées, le renforcement des contrôles sanitai- res des viandes dans les abattoirs et sur les marchés, le dépis- tage et le traitement des cas humains dans les zones d’éle- vage sont autant d’actions à promouvoir ou à renforcer et à réglementer en vue d’éliminer progressivement le charbon d’Haïti.

Ces mesures de bon sens ne nécessitent pas des moyens financiers considérables. Elles dépendent avant tout d’une volonté politique et d’une détermination des acteurs de la santé en Haïti.

Liens d’intérêtLes auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt.

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