• Aucun résultat trouvé

Article pp.205-211 du Vol.111 n°4 (2018)

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "Article pp.205-211 du Vol.111 n°4 (2018)"

Copied!
7
0
0

Texte intégral

(1)

ENTOMOLOGIE MÉDICALE /MEDICAL ENTOMOLOGY

Les substrats sucrés contaminés par les intrants agricoles favorisent la prolifération du moustique Aedes albopictus (Diptera : Culicidae)

Sugar-Supplemented Substrates Contaminated by Agricultural Inputs Favor the Proliferation ofAedes albopictus (Diptera: Culicidae)

F. Darriet

Reçu le 14 mai 2018 ; accepté le 23 juillet 2018

© Société de pathologie exotique et Lavoisier SAS 2018

RésuméOriginaire des forêts tropicales d’Asie du Sud-Est, Aedes albopictus(Skuse) (Diptera : Culicidae) est un mous- tique doté d’une grande plasticité génétique qui lui a permis de s’adapter à des environnements très divers, dont les milieux urbains. Or nombreuses sont les villes aujourd’hui où les quartiers périurbains s’installent à proximité de terri- toires ruraux à vocation agricole. Lorsque les lieux de vie et de reproduction d’Ae. albopictus se situent en lisière de cultures dont les fleurs sont riches en nectar (à l’exemple des arbres fruitiers, du colza et du tournesol), les adultes mâles et femelles se nourrissent d’exsudats sucrés souvent souillés par des intrants chimiques (engrais et pesticides).

Nous avons mesuré dans cette étude de laboratoire, les impacts que généraient des solutions sucrées contaminées par un engrais NPK et/ou par les insecticides diflubenzuron et pyriproxyfen. Les résultats révèlent que lorsque les adul- tes d’Ae. albopictusabsorbent une solution sucrée contenant un engrais NPK, les nombres d’œufs pondus par les femelles s’en trouvent significativement augmentés. Quand une solu- tion sucrée est au contraire contaminée par les insecticides diflubenzuron ou pyriproxyfen, l’action des deux composés provoque une nette diminution des nombres d’œufs pondus mais aussi de ceux qui éclosent. Enfin, lorsque les réserves en sucre sont polluées à la fois par l’engrais et l’un ou l’autre des deux larvicides, l’effet stérilisant induit par les deux insecticides disparaît totalement, tant au niveau des nombres d’œufs pondus que des nombres d’œufs qui éclosent. Ces observations nous enseignent que l’utilisation pas toujours raisonnée des pesticides et des engrais en agriculture crée des situations écologiques nouvelles, favorables à la pullu- lation des moustiques.

Mots clésAedes albopictus· sucre · engrais NPK · insecticide · prolifération des moustiques · Pérols · Hérault · insectarium · laboratoire · Montpellier

Abstract Originating from South-East Asian tropical forests, Aedes albopictus (Skuse) (Diptera: Culicidae) is a mosquito of great genetic plasticity, which allowed it to adapt to a large variety of environments including the urban ones. Yet many a city nowadays comprises peri urban zones close to land devoted to farming. The sites whereAe. albo- pictus live and reproduce, located on the fringe of nectar- filled blossoming crops (orchards, colza and sunflower fields) are often polluted by chemical inputs such as fertili- zers and pesticides. In this laboratory study we have assessed the impact of sugar-supplemented solutions contaminated by NPK fertilizer and/or by diflubenzuron or pyriproxyfen insecticides on adults of Ae. albopictus mosquitoes. The results have shown that the females feeding on a sweetened solution containing NPK fertilizer laid a significantly greater number of eggs. However when the sweetened solutions contained diflubenzuron or pyriproxyfen insecticides, the actions of both combinations resulted in a noticeable reduc- tion of the numbers of eggs laid and the ones hatching.

Finally when the sweetened solutions had been jointly pol- luted by the fertilizer and either one of the larvicides, the sterilizing effect of the insecticides was completely oblitera- ted regarding both the numbers of eggs laid and the ones hatching. We are led to conclude that the somewhat incon- sistent use of pesticides and fertilizers in agriculture bring about new ecological systems favorable to the proliferation of mosquitoes.

Keywords Aedes albopictus· sugar · NPK fertilizer · insecticide · mosquito proliferation · Pérols · Hérault · insectarium · laboratoire · Montpellier

F. Darriet (*)

Institut de recherche pour le développement (IRD), MIVEGEC (IRD, CNRS, Université de Montpellier) Maladies infectieuses et vecteurs, écologie, génétique, évolution et contrôle,

911 av. Agropolis, BP 64501, 34394 Montpellier, France e-mail : frederic.darriet@ird.fr

DOI 10.3166/bspe-2018-0042

(2)

Introduction

Depuis le milieu du 20e siècle, l’agriculture intensive consomme toujours plus d’engrais et de pesticides chimiques.

Cent quatre-vingts millions de tonnes d’engrais [10] et 2,4 millions de tonnes de pesticides [13] sont utilisés chaque année dans le monde. Les engrais de type NPK (N = azote, P = phosphore et K = potassium) sont des associations desti- nées à apporter aux plantes les compléments nutritifs néces- saires à leur croissance. Ils sont le plus souvent incorporés à même les sols, introduits dans les eaux d’irrigation ou bien encore appliqués sur les tiges et les feuilles du végétal. Qu’ils soient herbicides, fongicides, acaricides ou insecticides, les pesticides sont pulvérisés dans les champs pour protéger les cultures des plantes adventices et des ravageurs (champi- gnons, acariens et insectes).

Par ailleurs, avec l’avancée permanente du front urbain sur l’espace rural, il n’est pas rare d’assister à la construction de quartiers résidentiels qui empiètent sur les terres agri- coles. Cette cohabitation, parfois conflictuelle entre les rive- rains et les agriculteurs [21], génère des écosystèmes nou- veaux qui favorisent la prolifération des moustiques dont Aedes albopictus(Skuse) (Diptera : Culicidae) vecteur des virus de la dengue, du chikungunya et du Zika dans le monde [17]. Originaire des forêts humides du Sud-Est asia- tique,Ae. albopictusa été introduit sur le continent améri- cain en 1972, puis en Europe à partir de 1979 [17]. La colo- nisation rapide des espaces tempérés par cette espèce de moustique s’explique par le fait que les femelles pondent desœufs qui résistent au froid de l’hiver [26]. L’éclosion des œufs ne s’opère qu’au printemps suivant lorsque les conditions de température et d’ensoleillement deviennent de nouveau favorables [18]. Les femelles d’Ae. albopictus déposent leursœufs dans des collections d’eau de petite et de moyenne tailles (jarres, fûts, citernes, vases, soucoupes sous les pots de fleurs, boîtes de conserve, pneus, etc.) dis- séminées un peu partout dans les villes et leurs quartiers péri- phériques. Ces gîtes larvaires « hors sol » ont tous une ori- gine identique, ce sont des produits de fabrication humaine.

Les milieux domestiques abritent une multitude de ces col- lections d’eaux que les larves colonisent. L’attractivité toute particulière de beaucoup de ces contenants domestiques sur les femelles gravides à la recherche d’un lieu de ponte est en partie conditionnée par la présence d’engrais dans l’eau [6,7]. Lorsque ces lieux de vie et de reproduction des mous- tiques se trouvent à proximité de cultures riches en nectar (à l’exemple des plantes maraîchères et aromatiques, des ver- gers, du colza et du tournesol), les mâles et les femelles d’Ae.

albopictuspeuvent se nourrir de ces substances sucrées sans avoir à parcourir de grandes distances. Les nectars fabriqués par les plantes fournissent aux moustiques une alimentation riche en énergie, en acides aminés et en minéraux, indispen- sables à leurs activités de vol et d’accouplement [12,22].

Dans cette étude de laboratoire, nous avons nourri des adultes mâles et femelles d’Ae. albopictusavec des solutions sucrées contenant un engrais et/ou les insecticides diflubenzu- ron ou pyriproxyfen ; la finalité de cette expérience étant de mesurer les impacts induits par l’absorption de tels mélanges sur la fécondité des femelles et la fertilité de leurs pontes. Le diflubenzuron est un inhibiteur de croissance des insectes de la famille des benzoylphénylurées qui agit sur l’étape de poly- mérisation de la chitine. La larve meurt, le tégument ne pou- vant pas résister à la turgescence des organes au moment de la mue suivante [20]. Le pyriproxyfen est un analogue d’hor- mone juvénile qui se caractérise par une action quasi sélective sur les nymphes. Son action provoque un déséquilibre pro- fond du système hormonal de l’insecte qui se traduit par une inhibition du développement, des troubles de comportement ainsi que par une baisse de la fertilité des adultes [15]. Ces deux insecticides sont utilisés dans la lutte contre les mousti- ques ainsi qu’en agriculture pour réduire les populations de ravageurs sur des cultures aussi variées que les arbres fruitiers, les cultures florales et légumières [1].

Matériel et méthodes Le matériel biologique

La souche d’Ae. albopictus utilisée dans cette étude a été récoltée dans la commune de Pérols située au sud-est de Montpellier, Hérault (France), puis mis en élevage à l’insecta- rium du Vectopôle de l’Institut de recherche pour le dévelop- pement (IRD) de Montpellier. La souche Pérols d’Ae. albopic- tus a été maintenue en élevage dans nos insectariums de septembre 2014 à juin 2017 à une température de 27 ± 2 °C;

une humidité relative de 80 % et une photopériode de 14 h de jour et 10 h de nuit.

Le sucre, l’engrais et les insecticides utilisés

Le sucre de canne liquide (SC) contenait 825 g de saccharose par litre de sirop. L’engrais NPK liquide (Algoflash®) se composait de 5 % d’azote (N) total dont 3,1 % d’azote nitrique (NO3-

) et 1,9 % d’azote ammoniacal (NH4+

), de 4 % de phosphore (P) sous la forme d’anhydride phospho- rique (P2O5) et de 6 % de potassium (K) sous la forme d’oxyde de potassium (K2O). Les insecticides diflubenzuron et pyriproxyfen ont été choisis pour cette étude car ils appar- tiennent tous les deux au groupe des inhibiteurs de crois- sance des insectes (ICI). Ces deux substances agissant essen- tiellement sur les larves et les nymphes [4,23], il a été possible de faire pondre les femelles sans avoir à enregistrer des taux de mortalité élevés. Le diflubenzuron (Dimilin®) se présentait sous la forme de granulés (GR) à 2 % (20 g/kg) et

(3)

le pyriproxyfen (Admiral®) sous la forme d’une émulsion de type aqueux (EW) à 10 % (100 g/l).

Les différents substrats sucrés évalués

Toutes les solutions sucrées (SC) ont été confectionnées à raison de 100 g de saccharose (10 %) par litre d’eau. Cette concentration en sucre est celle utilisée dans les élevages des moustiques pour maintenir en vie les adultes mâles et femelles [5]. La concentration de 17-14-20 mg de NPK par litre d’eau correspond à la quantité en engrais s’étant révélée la plus attractive sur les femelles d’Aedes aegypti à la recherche d’un lieu de ponte [6]. Les concentrations de 0,25 mg/l de diflubenzuron (Dif) et de 0,05 mg/l de pyriproxyfen (Pyr) sont celles qui sont habituellement appliquées sur le terrain pour lutter contre les larves et les nymphes des moustiques [28,29].

La fonction du sucre de canne étant de simuler les nectars et autres substances sucrées fabriqués par les plantes, celui-ci a été incorporé dans tous les substrats évalués. Le sucre a donc été testé seul (SC), en association avec l’engrais NPK (SC+NPK) ou bien mélangé avec les larvicides diflubenzuron (SC+Dif) ou pyriproxyfen (SC+Pyr). Les combinaisons regroupant à la fois le sucre, l’engrais NPK et l’un ou l’autre des deux larvicides (SC+NPK+Dif et SC+NPK+Pyr) ont éga- lement été testées sur les adultes d’Ae. albopictus.

Le nourrissage des adules mâles et femelles d’Ae. albopictus

Le nourrissage des moustiques adultes d’élevage avec les six différentes solutions sucrées a nécessité le suivi d’autant de cages d’élevage contenant, chacune, une centaine de mâles et de femelles. Les réservoirs sucrés introduits dans une cage ont consisté en deux gobelets de 200 ml contenant chacun 50 ml de substrat de nourrissage. Les parois intérieures des gobelets étaient tapissées d’une bande de papier filtre blanc de 0,20 m × 0,05 m. Cette bande de papier filtre étant en partie immergée dans le substrat, les adultes absorbent le sucre et les autres substances qui lui sont associées sur sa partie émergée. Les mâles et les femelles d’Ae. albopictus sont restés en contact avec leur substrat respectif pendant 48 heures. À l’issue des deux jours de contact, les femelles sont nourries avec du sang de lapin.

Le suivi de la fécondité des femelles d’Ae. albopictus et de la fertilité de leursœufs

Vingt quatre heures après la prise du repas de sang, cin- quante femelles gorgées sont isolées, individuellement, dans autant de gobelets recouverts d’un voile moustiquaire soit, pour chaque substrat étudié, l’équivalent de 50 répliques d’une femelle. Comme pour la confection des réservoirs sucrés, les parois intérieures des gobelets de pontes sont

tapissées d’une bande de papier filtre. Les gobelets contien- nent chacun 50 ml d’eau osmosée. Les femelles moustiques sont restées à l’intérieur des gobelets pendant 48 heures.

Afin de recréer un environnement humide favorable à l’ovi- position, les gîtes de pontes sont placés dans des cuvettes en plastique (L : 0,50 m ; l : 0,35 m ; H: 0,075 m), recouvertes chacune, d’une autre cuvette de la même taille (Fig. 1).

Après que les femelles gravides ont déposé leursœufs sur les bandes de papier, ces derniers ont été dénombrés puis replacés dans leur gobelet de ponte pour y éclore.

L’analyse statistique des résultats

Les graphiques et les comparaisons statistiques de cette étude ont été réalisés avec le logiciel Statistica V10 [25]. Après avoir vérifié que les valeurs collectées pour chaque substrat testé ne présentaient pas une distribution gaussienne, les nom- bres d’œufs pondus et d’œufs éclos ont été comparés avec le test de Kruskal-Wallis. Les différences relevées entre les moyennes d’œufs pondus et éclos sont considérées comme statistiquement significatives quand p < 0,05.

Résultats

Impact des différents substrats sucrés sur les moyennes d’œufs pondus

Les pourcentages de mortalité des femelles d’Ae. albopictus (de 2 à 12 %) n’ont pas montré de différences significatives (p> 0,1) et, ce, quelle que soit la composition des substrats ingérés. Cet effet létal faible sur les adultes s’explique par le spectre d’action larvicide du diflubenzuron et nymphicide du pyriproxyfen. Les femelles qui se sont nourries de la solution contenant le sucre et l’engrais (SC+NPK) ont pondu plus d’œufs que les femelles qui se sont alimentées de la solution sucrée seule (SC) (p= 0,0006) (Fig. 2). Ajouter les insecti- cides diflubenzuron ou pyriproxyfen au sucre (SC+Dif et SC +Pyri) divise au contraire par 1,5 à 1,9 les moyennes d’œufs pondus par rapport à SC (p< 0,005). Les combinaisons SC +NPK+Dif et SC+NPK+Pyri induisent de nouveau des moyennes d’œufs pondus comparables à SC (p= 1,0). Cette dernière observation révèle que l’engrais NPK inhibe les effets stérilisants générés par le diflubenzuron et le pyripro- xyfen sur les adultes de moustiques. L’analyse statistique entre les substrats SC+Dif et SC+Pyri et entre SC+NPK +Dif et SC+NPK+Pyri ne révèle pas de différence significa- tive (p = 1,0). Le diflubenzuron et le pyriproxyfen induisent donc des activités insecticides qui sont semblables d’une molécule à l’autre.

(4)

Fig 1 Dispositif expérimental utilisé pendant létude pour faire pondre les femelles dAedes albopictusà lintérieur de leur gobelet de ponte. Pendant les 48 heures que dure loviposition des femelles, les gobelets de ponte sont enfermés dans lespace contenu entre les deux cuvettes posées lune sur lautre /The experimental device used during the study to enable the females ofAedes albopictus to lay their eggs inside the cup. The cups are enclosed in the space in-between the two trays placed on top of one another, for the 48-hour period the oviposition lasts.

Fig 2 Moyennes d’œufs pondus après que les femelles dAedes albopictusse sont nourries de solution sucrée seule (SC), ou bien addi- tionnée dengrais NPK (SC+NPK), de diflubenzuron (SC+Dif) ou de pyriproxyfen (SC+Pyri). Les solutions SC+NPK+Dif et SC+NPK +Pyri combinent à la fois le sucre, lengrais NPK, le diflubenzuron ou le pyriproxyfen /Averages of eggs laid after the females ofAedes albopictushave fed on sugar-supplemented solution (CS) only, or supplemented with NPK fertilizer (CS+NPK), diflubenzuron (CS+Dif), or pyriproxyfen (CS+ Pyri). CS+NPK+Dif and CS+NPK+Pyri combine sugar, NPK fertilizer, diflubenzuron or pyriproxyfen all together.

(5)

Impact des différents substrats sucrés sur les moyennes d’œufs éclos

SC+NPK n’induit pas de différence significative par rapport à SC (P = 0,12) (Fig. 3). Les combinaisons SC+Dif et SC +Pyri divisent, respectivement, par 1,6 et 2,2 les moyennes d’œufs éclos par rapport à SC (p< 0,005). Les associations SC+NPK+Dif et SC+NPK+Pyri révèlent de nouveau des moyennes d’œufs éclos comparables à SC (p> 0,05). En plus d’inhiber les effets stérilisants du diflubenzuron et du pyriproxyfen sur les adultes d’Ae. albopictus, l’ingestion de l’engrais rétablit un niveau de fertilité desœufs comparable au sucre seul (SC). Les substrats SC+Dif et SC+Pyri ne montrent pas de différence significative entre eux ; il en est de même pour les milieux SC+NPK+Dif et SC+NPK+Pyri (p= 1,0).

Discussion

Les résultats de cette étude révèlent que lorsque les adultes d’Ae. albopictusabsorbent une solution sucrée contenant un

engrais NPK, les nombres d’œufs pondus par les femelles s’en trouvent significativement augmentés. Quand une solu- tion sucrée est au contraire contaminée par les insecticides diflubenzuron ou pyriproxyfen, l’action des deux composés provoque une nette diminution des nombres d’œufs pondus et qui éclosent. Enfin, lorsque les réserves en sucre sont souillées à la fois par l’engrais et l’un ou l’autre des deux larvicides, l’effet stérilisant induit par les insecticides dispa- rait, tant au niveau des nombres d’œufs pondus que des nom- bres d’œufs éclos. Pour ce qui est de l’augmentation du nom- bre d’œufs pondus par les femelles ayant absorbé du NPK, cette observation peut s’expliquer par la cinétique même de l’azote, du phosphore et du potassium à l’intérieur de l’in- secte. L’azote est l’atome le plus abondant dans la chimie du vivant après le carbone. Le phosphore est assimilé par les cellules pour la synthèse des acides nucléiques et des phos- pholipides, alors que le potassium est plus spécifiquement impliqué dans la synthèse des protéines [19]. En plus du sucre riche en carbone et à forte valeur énergétique, l’inges- tion simultanée de l’azote, du phosphore et du potassium par les femelles de moustiques apporterait au moment de leur cycle gonotrophique, un apport en sels minéraux qui aurait

Fig 3 Moyennes d’œufs éclos issus de pontes de femelles dAedes albopictusnourries avec une solution sucrée seule (SC), ou bien additionnée dengrais NPK (SC+NPK), de diflubenzuron (SC+Dif) ou de pyriproxyfen (SC+Pyri). Les solutions SC+NPK+Dif et SC +NPK+Pyri combinent à la fois le sucre, lengrais NPK, le diflubenzuron ou le pyriproxyfen /Averages of eggs hatched from the eggs laid by the females ofAedes albopictusfed on sugar-supplemented solution only (CS), or supplemented with NPK fertilizer (CS+ NPK), diflubenzuron (CS+Dif), or pyriproxyfen (CS+ Pyri). CS+NPK+Dif and CS+NPK+Pyri combine sugar, NPK fertilizer, diflubenzuron or pyriproxyfen all together.

(6)

la capacité de dynamiser la synthèse des protéines et des acides nucléiques. En plus de leur action sur la biologie du moustique, les engrais génèrent aussi une cascade d’effets sur les environnements aquatiques. Les fertilisants se sont révélés attractifs pour les femelles de moustiques à la recher- che d’un lieu de ponte [6,7,16,30]. Dans les régions de monoculture intensive, les engrais attirent donc les mousti- ques à l’endroit précis où sont appliquées d’importantes quantités de pesticides. La pression de sélection est grande et les mécanismes de résistance présents chez les moustiques se retrouvent sélectionnés d’autant plus rapidement que la fréquence des fumures minérales et des traitements insecti- cides est soutenue. Si l’azote, le phosphore et le potassium apportés par l’engrais ne sont pas directement assimilés par les larves de moustiques, ces trois minéraux favorisent néan- moins le développement des bactéries, des algues et des champignons [7,14]. Les larves de moustiques exploitent cette biomasse additionnelle pour croître et proliférer. Dans les gîtes larvaires souillés par les engrais, les taux de survie des moustiques sont 2 à 3 fois supérieurs à ceux des collec- tions d’eau qui n’en contiennent pas. De même la vitesse de croissance des larves s’avère 2 à 4 fois plus rapide dans les eaux polluées avec du NPK que dans des eaux qui en sont dépourvues [8,9]. Au regard des actions que génèrent les fertilisants sur le cycle de vie des moustiques, il est raison- nable de penser que ces intrants affectent aussi la biologie de nombreux autres insectes. Une étude récente réalisée sur la cicadelle brune du rizNilaparvata lugens(Hemiptera : Del- phacidae) a révélé que les capacités de nuisance de ce rava- geur étaient directement corrélées avec l’intensité des fumu- res azotées [24]. Pour ce qui est de l’abeille domestiqueApis mellifera(Hymenoptera : Apidae), des chercheurs explique- raient la surmortalité du pollinisateur par l’action synergique de certains insecticides avec le champignon parasiteNosema cerenae(Dissociodihaplophasida : Nosematidae). Différen- tes études montrent en effet que les abeilles parasitées par ce champignon succombent à des doses infimes des insectici- des fipronil (phénylpyrazoles) et thiaclopride (néonicotinoï- des), ce qui n’est pas le cas des abeilles non infectées [2,27].

Nosema cerenaeétant, comme tous les champignons para- sites, très dépendant des ressources alimentaires que lui four- nit son hôte, il ne serait pas impossible que ce dernier exploite l’azote, le phosphore et le potassium délivrés par les engrais pour croître et proliférer. Une hypothèse qui méri- terait d’être vérifiée, surtout dans les régions d’agriculture intensive où les engrais chimiques peuvent être pulvérisés directement sur le feuillage des végétaux [11].

À la lumière de toutes ces observations, il ne fait aucun doute que l’utilisation pas toujours raisonnée des pesticides et des engrais en agriculture crée des situations écologiques nouvelles, favorables à la pullulation des moustiques. La croissance qui caractérise les villes aujourd’hui incite de sur- croît les citadins à s’installer proche des surfaces agricoles

recevant engrais et pesticides. Agriculture intensive d’un côté, quartiers urbains et résidentiels qui ne cessent de s’étendre de l’autre, le mariage est idéal pour maintenir et même favoriser la pullulation du moustiqueAe. albopictus.

Un coup du sort ironique, surtout quand on sait que partout dans le monde, les services de lutte antivectorielle dépensent des sommes colossales pour limiter la pullulation de ce moustique classé aujourd’hui, comme l’une des cent espèces les plus envahissantes au monde [3].

Liens d’intérêts L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts.

Références

1. ACTA (2010) Index phytosanitaire ACTA 2011. Paris. 900 p 2. Aufauvre J, Biron DG, Vidau C, et al (2012) Parasite-insecticide

interactions: a case study of Nosema ceranae and fipronil synergy on honeybee. Sci Rep 2:326. doi: 10.1038/srep00326 3. Boudjelas S, Browne M, De Poorter M, Lowe S (2007). 100 espè-

ces exotiques envahissantes parmi les plus néfastes au monde : une sélection de la Global invasive species database. 12 p 4. Darriet F, Corbel V (2006) Laboratory evaluation of pyriproxyfen

and spinosad, alone and combination, against Aedes aegypti.

J Med Entomol 43:11904

5. Darriet F (2007) Moustiquaires imprégnées et résistance des moustiques aux insecticides. IRD Editions, Collection Didacti- ques, Paris. 116 p

6. Darriet F, Corbel V (2008) Influence des engrais de type NPK sur loviposition dAedes aegypti. Parasite 15:8992

7. Darriet F, Zumbo B, Corbel V, Chandre F (2010) Influence des matières végétales et des engrais NPK sur la biologie dAedes aegypti(Diptera : Culicidae). Parasite 17:14954

8. Darriet F, Rossignol M, Chandre F (2012) The combination of NPK fertilizer and deltamethrin insecticide favors the prolifera- tion of pyrethroid-resistantAnopheles gambiae(Diptera: Culici- dae). Parasite 19:15964

9. Darriet F (2018) Synergistic effect of fertilizer and plant material combinations on the development of Aedes aegypti (Diptera:

Culicidae) andAnopheles gambiae(Diptera: Culicidae) Mosqui- toes. J Med Entomol 55:496500. doi: 10.1093/jme/tjx231 10. FAO (2012) Current world fertilizer trends and outlook to 2016.

Food and Agriculture Organization of the United Nations, Rome.

11. Fernández V, Brown PH (2013) From plant surface to plant meta- bolism: the uncertain fate of foliar-applied nutrients. Front Plant Sci 4:289 doi: 10.3389/fpls.2013.00289.

12. Gouagna LC, Kerampran R, Lebon C, et al (2014) Sugar-source preference, sugar intake and relative nutritional benefits inAno- pheles arabiensismales. Acta Trop 132:S7079. doi: 10.1016/

j.actatropica.2013.09.022

13. Grube A, Donaldson D, Kiely T, Wu L (2011) Pesticide industry sales and usage: 2006 and 2007 market estimates. Environmental Protection Agency, Washington, DC. 41 p

14. Hao XH, Hu RG, Wu JS, et al (2010) Effects of long-term ferti- lization on paddy soils organic nitrogen, microbial biomass, and microbial functional diversity [article en chinois]. J Appl Ecol 21:1477–84

15. Ishaaya I, Horowitz AR (1992) Novel phenoxy hormone analog (pyriproxyfen) suppresses embryogenesis and adult emergence of sweet potato whitefly. J Econ Entomol 85:21137

(7)

16. Kibuthu TW, Njenga SM, Mbugua AK, Muturi E (2016) Agri- cultural chemicals: life changer for mosquito vectors in agricul- tural landscapes? Parasit Vectors 9: 500. doi: 10.1186/

s13071-016-1788-7

17. Kraemer MU, Sinka ME, Duda KA, et al (2015) The global dis- tribution of the arbovirus vectors Aedes aegyptiandAe albopic- tus. Elife 4:e08347. doi:10.7554/eLife.08347

18. Lacour G, Chanaud L, Lambert G, Hance T (2015) Seasonal Synchronization of Diapause Phases in Aedes albopictus(Dip- tera: Culicidae). PLoS One 10 e0145311.doi:10.1371/journal pone.0145311

19. Madigan M, Martinko J (2012) Biologie des micro-organismes.

11e édition, Pearson Education Éditions, Paris. 1088 p

20. Matsumura F (2010) Studies on the action mechanism of benzoy- lurea insecticides to inhibit the process of chitin synthesis in insects: a review on the status of research activities in the past, the present and the future prospects. Pestic Biochem Phys 97:133-9. doi.org/10.1016/j.pestbp.2009.10.001

21. Melot R, Torre A (2012) Introduction : Conflits dusage dans les espaces ruraux et périurbains. Économie rurale. 332:4-8 22. Nayar JK, Sauerman DM (1975) The effects of nutrition on sur-

vival and fecundity in Florida mosquitoes Part 1. Utilization of sugar for survival. J Med Entomol 12: 928

23. Pocquet N, Darriet F, Zumbo B, et al (2014) Insecticide resis- tance in disease vectors from Mayotte: an opportunity for inte- grated vector management. Parasit Vectors 7:299. doi:

10.1186/1756-3305-7-299

24. Rashid MM, Ahmed N, Jahan M, et al (2017) Higher fertilizer Inputs increase fitness traits of brown planthopper in rice. Sci Rep 7:4719. doi: 10.1038/s41598-017-05023-7.

25. Statistica (2011) Windows statistical software, version 10, Stat- Soft France, Maisons-Alfort (www.statsoft.com)

26. Thomas SM, Obermayr U, Fischer D, et al (2012) Low- temperature threshold for egg survival of a post-diapause and non-diapause European aedine strain,Aedes albopictus(Diptera:

Culicidae). Parasit Vectors 5:100. doi: 10.1186/1756-3305-5-100 27. Vidau C, Diogon M, Aufauvre J, et al (2011) Exposure to suble- thal doses of fipronil and thiacloprid highly increases mortality of honeybees previously infected byNosema ceranae. PLoS One 6:

e21550 doi: 10.1371/journal.pone.0021550

28. WHO (2001) Report of the fourth WHOPES working group mee- ting, review of IR3535, KBR3023, (RS))-Methoprene 20% EC, Pyriproxyfen 0.5% GR, Lambda-cyhalothrin 2.5% CS. Document WHO/CDS/WHOPES/2001.2 Geneva. 102 p

29. WHO (2006) Report of the ninth WHOPES working group mee- ting, review of Dimilin® GR and DT, Vectobac® DT, AquaK- othrine®, Aqua Reslin Super®. Document WHO/CDS/NTD/

WHOPES/2006.2 Geneva. 100 p

30. Young GB, Golladay S, Covich A, Blackmore M (2014) Nutrient enrichment affects immature mosquito abundance and species composition in field-based mesocosms in the coastal plain of Georgia. Environ Entomol 43:18. doi: 10.1603/EN13023

Références

Documents relatifs

Ainsi, des études ont montré une diminu- tion du risque de SEP chez les personnes nées dans les régions de haute prévalence de SEP (les régions situées loin des tropiques ou

Acalypha indica L., utilisé dans le cadre d ’ une médecine tra- ditionnelle par les plantes, est susceptible d ’ induire un acci- dent hémolytique grave chez des sujets

À l ’ hybridation, le Tableau 1 résume le marquage nucléaire des cellules tumorales avec la sonde EBER pour nos 13 cas, en tenant compte du score de positivité sus évoqué.... Il y

Cette étude a été réalisée dans le cadre d ’ un projet de recherche intitulé « Identification des étiologies virales et bactériennes des infections respiratoires basses

Il s ’ agit d ’ une étude rétrospective menée de janvier 2000 à décembre 2014, portant sur tous les cas de lèpre notifiés sur l ’ ensemble des six districts sanitaires du Togo

Dans Tableau 1 Répartition des cas importés selon la nationalité des patients et l ’ espèce plasmodiale dans la région Marrakech-Safi, Maroc, 1996 – 2016 / Distribution

Ce n ’ est que pour notre étude que les deux types de tests ont été systématiquement Tableau 1 Résultats des tests de diagnostic rapide (TDR) et des gouttes épaisses (GE) chez

Résumé L ’ objectif de cette étude était d ’ évaluer la dyna- mique de l ’ excrétion ovulaire de Schistosoma haematobium (Sh) après la mise à échelle du « traitement de