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La terre est à moi») et à poser en principe que

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EN DROIT MALGACHE

par

Xavier BLANC-JOUV AN

Professeur agrcge aux Facultes de Droit et de,ç Sciences economiques de l'Universite d'Aix-Marseille

1. Dans un pays à vocation essentiellement agricole, ou la tres grande majorité de la population vit dans les campagnes et ou les richesses de la terre constituent la première source du revenu natio- nal, il est normal que les problèmes de droit foncier présentent une importance toute particulière. Et cette importance se trouve encore accrue lorsqu'il s'agit d'un pays en voie de développement, c'est-à- dire d'un pays qui est actuellement à la recherche d'un nouvel équilibre économique et social. Les questions relatives à l'attribu- tion des terres et à leur condition juridique se posent alors avec acuité et elles appellent des solutions parfaitement adéquates.

Tous les économistes, depuis Ricardo, ont souligné combien un judicieux aménagement des droits fonciers pouvait être un facteur de croissance et tous les sociologues ont montré combien en dépen- dent aussi la cohesion et la stabilité du milieu social.

L'exemple de Madagascar est, à cet égard, particulièrement signi- ficatif. Il ne faut pas perdre de vue que plus de quatre-vingt pour cent du revenu national malgache provient aujourd'hui de l'agri- culture et que, pour l'avenir, c'est encore le relèvement de la pro-

ductivité agricole qui doit constituer au moins la

«

base de départ»

du développement économique (1) : or, il n'est pas douteux que cet objectif ne saurait être atteint sans que soit déterminé, d'une manière précise et satisfaisante, le statut des terres. La certitude et la sécurité des droits portant sur le sol, leur juste répartition entre

(1) Cf. R. GENDARME, L'Economie de Madagascar, p. 147.

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tous ceux qui participent à l'œuvre de production, leur subordina- tion nécessaire aux exigences de l'intérêt général conditionnent au premier chef l'essor des exploitations rurales et l'amélioration des rendements: ce sont donc autant d'impératifs qui s'imposent au législateur soucieux d'orienter la politique économique de la République Malgache. Il ne saurait y avoir de progrès, en ce domaine, sans définition préalable d'un cadre juridique adapté aux besoins locaux.

Encore convient-il de ne pas négliger non plus les preoccupations d'ordre social dans un pays ou plus des huit-dixièmes de la popu- lation active sont occupés à des travaux agricoles et voient dans la terre un élément essentiel de la richesse. A la différence des sociétés occidentales contemporaines, la société malgache est avant tout une société paysanne; loin d'y apparaÎtre comme un groupe mar- ginal, dominé, la masse rurale y occupe au contraire une place prépondérante et l'on peut dire que le genre de vie rural se confond avec le genre de vie traditionnel. On conçoit des lors que l'équilibre de la collectivité tout entière dépende dans une large mesure de la délimitation des droits fonciers et qu'il soit impossible d'établir cette délimitation sans tenir compte de l'incidence qu'elle peut avoir sur la structure et l'organisation de la société, surtout à un moment ou cette société, placée au lendemain de l'indépendance dans une situation radicalement nouvelle, se trouve en pleine transformation et en plein devenir.

2. Si l'étude des réalités économiques et sociales peut ainsi nous permettre de mesurer l'importance du problème foncier à Mada- g:1scar, elle ne saurait suffire en aucune façon à nous en faire connaÎtre les données exactes. Elle ne saurait, en tout cas, nous empêcher de tenir compte de ce facteur essentiel que constitue le facteur psychologique. Or il importe de faire, à cet égard et dès l'abord, une constatation fondamentale: c'est que le paysan mal- gache est profondément attaché à la terre qu'il cultive et que, parmi tous les droits fonciers, il fait une place à part au premier d'entre eux, le droit de propriété.

Sans doute ce sentiment de la propriété existe-t-il au sein du monde rural dans la plupart des sociétés, mais il est particulière- ment développé à Madagascar et il semble même qu'il appartienne au vieux fonds traditionnel malgache. Ce fait, bien sur, a quelque- fois été contesté et l'on a affirmé qu'il s'agissait d'un sentiment d'origine récente et d'importation étrangère: ce serait l'exemple des colons français, titulaires d'un véritable droit de propriété sur leurs concessions, qui aurait fait naÎtre chez les agriculteurs mal- gaches le désir de devenir à leur tour propriétaires. Cette analyse, pourtant, ne nous paraÎt guère correspondre à la réalité et nous

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croyons que le droit de propriété foncière possède il Madagascar des origines beaucoup plus anciennes. Certes, ces origines ne se laissent pas toujours déceler avec la même netteté et il convient ici de prendre en considération certaines différences ethniques:

on ne peut douter, par exemple, que le paysan Betsimisaraka de la côte est se sente plus étroitement lié il sa terre que le Sakalava de la côte ouest. Il faut aussi prendre en considération les divers modes d'exploitation du sol et ne pas s'étonner de trouver l'institution de la propriété plus répandue chez les agriculteurs des hauts-plateaux que chez les pasteurs de l'ouest ou du sud; encore sur ces hauts- plateaux est-il nécessaire de distinguer entre les rizières, auxquelles le paysan voue un respect presque religieux, et les fanety (terres de côteaux) auxquelles il est, en fait, beaucoup moins attaché. Enfin il importe de ne pas oublier que ce droit de propriété hérité des tra- ditions malgaches peut ne pas correspondre exactement au droit de propriété que nous connaissons et que nous ont légué les juris- consultes romains. Ce peut être, parfois, un droit il caractère plus collectif ou familial qu'individuel, ce peut être aussi un droit amputé de certains de ses attributs et notamment de la faculté de libre disposition. Mais il s'agit bien tout de même d'un droit qui se dis- tingue fondamentalement d'un simple droit d'usage et qui présente les caractéristiques essentielles du droit de propriété.

Ce droit a d'ailleurs reçu de la colonisation française il Mada- gascar une impulsion nouvelle et, depuis plus d'un demi siècle, le législateur aussi bien que l'administration n'ont pas manqué de favoriser son essor. Un domaine immense lui a été ouvert avec l'institution des concessions et des procédures diverses ont été créées pour lui donner, grâce il une constatation officielle de son existence, une assise plus solide. Sans doute le droit de propriété ainsi consacré et garanti ne correspondait-il pas exactement au droit d'origine coutumière: mais le paysan malgache y reconnaissait le lien étroit et durable qui l'attachait il la terre et lui donnait sur celle-ci des prérogatives assez étendues: aussi bien ne s'y est-il pas trompé et a-t-il été peu il peu fortifié dans l'idée que le meilleur moyen pour lui de sauvegarder ses intérêts était de devenir pro- prietaire du fonds qu'il cultivait.

Cette évolution explique que le droit de propriété imprègne aussi profondément la mentalité malgache contemporaine et que, par voie de conséquence, il semble appelé il jouer dans l'avenir un rôle de plus en plus important. Le législateur, en effet, n'a pas pu s'em- pêcher de tenir compte des sentiments réels et des aspirations du monde paysan lorsqu'il s'est agi récemment de définir les grandes orientations du droit foncier de demain. Au moment ou la question s'est posée de savoir s'il fallait désormais faciliter l'appropriation du sol et généraliser le régime de la propriété privée ou, au contraire,

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organiser simplement au profit des particuliers un système de loca- tion des terres domaniales, l'option a été délibérément prise en faveur de la première solution. Sans doute certaines réserves sur ce choix ont-elles été émises par ceux qui ont cru voir dans le dévelop- pement de la propriété un obstacle à la bonne exploitation du sol et un encouragement à la spéculation, un facteur aussi qui pourrait aider au morcellement, puis à la concentration des terres; mais il est finalement apparu que l'institution était maintenant trop solidement établie pour que l'on ne puisse pas songer à la favoriser de multiples manières. De plus en plus, le Malgache désire avoir la certitude que la terre à laquelle il donne ses soins, si elle n'est pas encore la sienne, le deviendra un jour: loin de se contenter d'un droit précaire et incomplet, il exige un droit fixe et stable, compor- tant des attributs bien définis. Et c'est ainsi que le problème des droits fonciers à Madagascar se présente avant tout comme le problème de la propriété foncière.

3. Mais il faut noter tout de suite que ce problème se pose dans la Grande Ile en des termes tout a fait particuliers, et cette originalité s'explique essentiellement par deux idées.

La première de ces idées nous ramène au fait capital du sous- développement. D'une façon générale, en effet, le sous-dévelop- pement ne se manifeste pas seulement par la prédominance de l'agriculture dans l'activité économique d'un pays; il se traduit également, au sein même du secteur agricole, par une mauvaise utilisation des terres disponibles, c'est-a-dire par une organisation anarchique et confuse de la propriété. Il n'est pas rare de voir d'immenses étendues rester complètement inexploitées ou, du moins, n'être exploitées que de façon partielle et intermittente:

cultivées pendant quelques années, elles sont ensuite abandonnées a l'élevage ou même délaissées après épuisement du sol. Il s'agit donc de terres qui ne sont pratiquement pas appropriées ou qui, en tout cas, ne le sont pas de façon évidente ni durable: la tendance toute naturelle de l'Etat est alors de les inclure dans son domaine privé et d'élargir sans cesse les frontières de celui-ci. A l'inverse, les parcelles qui sont le plus facilement cultivables et sur lesquelles vit une très forte densité de population font l'objet de véritables droits de propriété; mais ces droits sont souvent disputés ou contestés, par l'effet de la convoitise qui s'exerce sur eux, et ils restent toujours entourés d'une grande imprécision.

Madagascar n'échappe pas a cette règle des pays sous-développés et il est aisé de s'en rendre compte par quelques chiffres. Sur un territoire de 590.000 kilomètres carrés, le domaine agricole réel- lement exploité n'occupe aujourd'hui que 1.650.000 hectares, soit 2,8 pour cent environ de la superficie totale. C'est pourtant

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sur ce domaine que vit approximativement 85 pour cent de la population malgache, représentant plus de quatre millions et demi d'habitants; comme ceux-ci sont pratiquement tous des agricul- teurs et qu'il y a relativement peu de grandes exploitations, cela ne donne guère à chacun que 35 ares en moyenne à cultiver (1).

Tout le reste du pays reste, en fait, à l'abandon ou n'est utilisé que pour l'élevage. La majorité des terres qui le constituent ne sont donc pas appropriées ou ne le sont que d'une manière tres imparfaite;

il en résulte que beaucoup d'entre elles se trouvent intégrées au domaine privé de l'Etat et que toutes sont, en réalité, dans une situation juridique assez confuse, bien propre à encourager la stagnation économique.

Une telle confusion est d'ailleurs générale en ce qui concerne le statut foncier et elle se trouve encore accrue par un second phéno- mene que nous devons ici mettre en lumiere : c'est le phénomene de la colonisation. Dans tous les pays qui l'ont connue et dans tous les secteurs de l'ordre juridique, la colonisation a eu pour effet d'introduire une dualité de régimes: au droit ancien, traditionnel, que l'on a continué à appliquer dans une très large mesure est venu se juxtaposer un droit nouveau, directement importé du pays colo- nisateur. Plus spécialement à Madagascar et en ce qui concerne la propriété fonciere, cette dualité s'est toujours maintenue depuis 1896. D'une part, on a persisté à reconnaÎtre et à protéger la pro- priété ancestrale, issue du droit coutumier, malgré son inorgani- sation, son archaÏsme et son incertitude; d'autre part, on a institué une propriété de droit moderne, en tous points identique à celle que définit l'article 544 du Code civil français. Des procédures dis- tinctes ont même été creees pour constater ces deux types différents de propriété, dont la coexistence s'est ainsi trouvée assurée en dépit de nombreuses difficultés pratiques. Et elle s'est trouvée si bien assurée, d'ailleurs, qu'elle n'a pas encore pris fin de nos jours, plusieurs années apres la disparition du régime colonial.

Aujourd'hui, en effet, les caractéristiques que nous venons de rappeler et qui tiennent, soit au fait du sous-développement, soit au fait de la colonisation, subsistent toujours dans le droit de la propriété foncière. Mais nous nous trouvons précisément à ce tournant de l'histoire malgache ou elles vont commencer à s'es- tomper progressivement.

C'est d'abord parce qu'elle vient d'accéder à l'indépendance politique que la jeune République Malgache se doit maintenant de mettre un terme à la dualité des régimes juridiques existants et de promouvoir un droit unique pour l'ensemble du pays, en matière

(1) Ces chiffres se révèlent particulièrement éloquents si l'on songe que ie rcvcnu moyen annuel des terres est de l'ordre de 20.000 francs CFA par hectare.

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foncière comme en tous autres domaines. Il est certain que l'an- cienne juxtaposition du droit traditionnel et du droit moderne ne pourra plus, dans l'avenir, être maintenue et qu'il faudra peu à peu abandonner l'idée de terres soumises à des statuts différents:

c'est donc un véritable devoir qui s'impose aujourd'hui de faire évoluer le droit dans le sens de l'unification. Mais il ne faut pas se dissimuler que la tâche sera difficile et qu'elle devra entraÎner d'importantes réformes. Elle a déjà été, certes, partiellement entre- prise depuis trois ans et l'on a notamment fait disparaÎtre certaines discriminations jadis instituées par le législateur à raison de l'ori- gine raciale des titulaires de droits, suivant qu'ils étaient indigènes ou Français (2); mais il faudra aller encore plus loin et prévoir, sans aucun doute, l'établissement d'un régime unique de propriété.

C'est à ce moment là surtout que de graves problèmes surgiront et que de sérieux bouleversements devront se produire dans les structures actuelles.

Ce qui rend, à vrai dire, si malaisée la définition de ce futur régime unique de la propriété, c'est la conciliation nécessaire qu'il convient d'y réaliser entre des exigences quelque peu contradic- toires. Tout le monde est d'accord pour admettre qu'il importe, d'une part, d'assurer le respect des traditions et, d'autre part, de donner au droit foncier de Madagascar une physionomie plus moderne, mieux adaptée aux besoins nouveaux du pays. Mais il apparaÎt de plus en plus que, en cas de conflit, cette seconde pré- occupation doit l'emporter sur la première, et c'est ce que nous confirme déjà l'évolution intervenue depuis quelques années. Le législateur actuel ne se contente pas de chercher à unifier le droit malgache de la propriété, il veut encore essayer de mettre ce droit au service de l'économie afin de contribuer, pour sa part, à faire sortir la Grande Ile de son état de sous-développement. Nul ne doute que la réalisation de cette politique implique une meilleure organisation du secteur agricole, et le législateur ne méconnaÎt pas l'importance que peut revêtir, en cette matière, l'adoption de tel ou tel régime juridique. Aussi bien se montre-t-il soucieux de pro- mouvoir aujourd'hui toutes les réformes qui peuvent être néces- saires pour permettre au paysan malgache de mieux répondre aux exigences modernes de la croissance économique.

Ce ne sont pas seulement des réformes de détail, c'est en vérité un droit nouveau qui est maintenant en cours d'élaboration. Pour atteindre le but qu'il s'est fixé ,en effet, le législateur doit tout d'abord s'efforcer d'introduire un peu d'ordre et de sécurité dans

(2) Il faut noter d'ailleurs que ces discriminations n'étaient pas toutes arbitraires et qu'elles étaient souvent protectrices des intérêts de la population autochtone. C'était le cas, par exemple, pour l'institution du cadastre indigène: cf. infra, no 9.

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une situation qui était jusqu'ici beaucoup trop imprécise et incer- taine, et c'est à cette fin qu'il cherche à reconstruire tout le droit de la propriété foncière sur une base solide. Mais il veut surtout que cette base soit choisie de façon parfaitement adéquate et c'est pour cela qu'il attache une importance primordiale à l'impératif de la mise en valeur. Son désir est de faroriser une exploitation plus rationnelle et plus intensive de la terre, afin de rendre possibles le relèvement de la productivité et l'augmentation des revenus agricoles. Son objectif est donc de faire de la mise en valeur la clé de voute de tout le système, la notion fondamentale autour de laquelle doit désormais s'ordonner toute la règlementation de la propriété foncière.

4. Il serait d'ailleurs injuste et inexact de prétendre qu'il s'agit là d'une notion entit~rement nouvelle. On la retrouve déjà, en réalité, dans le très ancien droit malgache, ou l'on admettait souvent que la propriété des rizières se justifiait par le fait de leur aménagement, et l'on sait que le roi Andrianampoinimerina avait, dès le début du XIXesiècle, réparti le sol du royaume entre ses sujets afin que ceux-ci puissent en assurer l'exploitation et en tirer leur subsistance;

dans maintes coutumes aussi, on affirmait que la propriété ne devait pas être conçue comme un droit absolu, mais plutôt comme un ensemble de prérogatives exercées dans l'intérêt de la collectivité.

L'idée de mise en valeur fut ensuite reprise par le colonisateur fran- çais dès les premières années de son installation à Madagascar, et on la rencontre à nouveau dans les deux premières lois relatives à la propriété foncière qui furent promulguées par la reine Ranava- lona III le 9 mars 1896, c'est-à-dire au temps du protectorat et, par conséquent, sous l'inspiration directe de l'administration française.

«Mon désir, affirmait la reine en présentant l'un de ces textes, est de développer notre pays afin de nous rapprocher des nations civilisées». Et elle ajoutait, dans le kabary qui accompagnait le second document: «De très grandes étendues de terrain sont incultes dans l'Île. C'est autant de perdu pour la richesse publique. Plus il y a de cultures, plus le pays est prospère. C'est pourquoi je désire que quiconque veut mettre en valeur des terres du domaine puisse le faire sans difficulté ». On voit ainsi que, dès cette époque, le législateur s'est préoccupé d'assurer une utilisation correcte des terres, et certaines institutions en témoignent (au moins dans leur principe), comme par exemple celle des concessions.

Si tel a bien été, dès l'origine, le but visé, les moyens utilisés pour y parvenir ont cependant varié de façon assez sensible. Pendant longtemps et tant qu'à duré la politique de colonisation, on a surtout cherché à favoriser la mise en valeur du sol par l'installation de colons, français ou créoles, et on a recouru à diverses techniques

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./(1 X. BLANC-JOUVAN

juridiques propres il assurer il ces colons une certitude et une sécu- rité totales dans l'exercice de leurs droits. C'est ce souci qui semble avoir inspiré une part importante de la règlementation alors en vigueur et l'on a pu dire que, dans de nombreux cas, le désir d'encourager la bonne exploitation des terres avait servi davantage de prétexte que de fondement véritable il l'intervention du légis- lateur. Or on ne peut nier que le problème se pose aujourd'hui, depuis la disparition du régime ancien et la proclamation de l'indé- pendance, dans des termes tout il fait différents. Nul ne conteste maintenant que la mise en valeur effective de toutes les parcelles disponibles doive être l'œuvre des Malgaches eux-mêmes et qu'elle ne doive plus être entravée par aucune considération d'ordre poli- tique: seules doivent compter les exigences économiques et sociales.

On sait que les cultures n'occupent guère actuellement qu'un tiers de la superficie utilisable et que de nombreuses terres (cinq ou six millions d'hectares environ) pourraient être peu il peu aménagées et mises en culture (3) ; bien plus, sur ce tiers même, les rendements restent souvent inférieurs il trente pour cent de ce qu'ils pourraient être en fait si l'on consentait il abandonner certaines pratiques agricoles devenues archaÏques (4) : seule la volonté d'augmenter ces chiffres doit donc servir de guide il l'action législative. Il faut bien comprendre que la question agraire ne se pose pas il Madagascar comme dans beaucoup d'autres pays ou se fait plus ou moins dure- ment sentir la pénurie de terres. Madagascar n'est pas un pays surpeuplé et la terre n'y fait pas défaut: le seul problème consiste il obtenir qu'elle y soit correctement exploitée. L'accroissement des surfaces cultivées et l'amélioration des techniques de faire-valoir constituent donc les véritables remèdes il la situation actuelle.

Ils vont d'abord dans le sens de l'intérêt général et de l'essor économique de la nation puisqu'ils doivent normalement conduire il une augmentation de la production agricole. Ils vont aussi dans le sens de l'intérêt particulier puisqu'ils doivent permettre il chacun d'élever son niveau de vie. Or c'est seulement en plaçant l'idée de mise en valeur au cœur de la nouvelle législation malgache et en faisant d'elle le véritable fondement du droit de propriété foncière que ce double objectif pourra être atteint.

(3) Dans la region de la Basse-Betsiboka, il apparaÎt que 10Ü.OOOhectares seulement sont cultivés sur plus de 500.000; dans la zone de Morondava, 56.000 hectares sont en culture sur 420.000; dans la plaine de l'Alaotra même, on estime la surface récupérable à 100.000 hectares.

(4) Il faut rappeler par exemple que, en ce qui concerne le riz, le rendement moyen de l'Ile est de 1.450 kg par hectare alors qu'il dépasse 4.000 kg en Camargue. Une enquête récemment faite dans l'Ankaizinana montre que 48.000 hectares, qui font vivre actuellement 18.000 personnes, pourraient en faire subsister 135.000 par simple modi- fication des techniques et notamment par emploi de la herse ou de la charrue.

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5. Ainsi nous apparaÜ.l'importance de l'évolution récente qui tend à faire consacrer par la loi l'exigence d'une mise en culture effective des terres. Mais l'examen des réalités et celui des textes nous révelent que cette exigence peut, en fait, être imposée et sanctionnée de plusieurs façons.

Il est d'abord certain que l'exploitation du sol peut constituer une véritable condition de son appropriation. Pour obtenir que la mise en valeur soit réellement assurée, il n'est pas de meilleur moyen que de lui subordonner toute reconnaissance nouvelle d'un droit de propriété. Ce systeme ne pourrait pas être appliqué, bien sur, dans un pays ou la tres grande majorité des terres sont déjà appro- priées de façon certaine, mais il peut, au contraire, parfaitement être introduit dans un pays comme Madagascar, ou le probleme de l'accession des particuliers à la propriété se pose avec acuité. La tendance actuelle du législateur malgache est donc de faciliter cette accession sous la condition expresse de la mise en valeur. On a estimé que la perspective de devenir propriétaire ou la certitude de l'être déjà devait servir d'aiguillon pour inciter le paysan mal- gache à améliorer ses techniques de culture et à entreprendre des travaux de défrichement, et c'est ainsi qu'on a fait du critere de bonne exploitation la base d'une nouvelle répartition du sol, à la fois plus équitable et plus rationnelle.

Mais cette répartition ne saurait toutefois affecter les droits existants et déjà reconnus. Il y a de nombreuses terres qui ne peu- vent plus aujourd'hui faire l'objet d'une attribution quelconque. Le législateur a cependant compris qu'il serait tres dangereux de laisser leurs propriétaires entierement libres de les exploiter à leur guise ou même de les laisser à l'abandon. C'est pourquoi il a décidé d'imposer à ces propriétaires certaines obligations bien précises au nom de l'intérêt général. Et l'on retrouve ici encore l'exigence de la mise en valeur, non plus comme une condition de l'acquisition du droit de propriété, mais plutôt comme une condition de sa conservation;

elle conduit alors tout naturellement à limiter l'exercice normal de ce droit, d'une façon qui peut d'ailleurs être assez sérieuse.

Ainsi, il est manifeste que le législateur n'a pas seulement voulu recourir à l'idée de mise en valeur pour organiser la juste répartition des terres, mais encore, de façon plus générale, pour veiller à leur bonne utilisation; il ne l'a pas seulement invoqué pour définir les modes d'acces à la propriété, mais encore pour apporter des restrictions à l'exercice de ce droit de propriété. C'est donc sous ce double aspect que nous allons l'examiner maintenant pour essayer de mieux saisir l'importance qu'elle revêt et la place qu'elle occupe dans la nouvelle législation fonciere de la République Malgache.

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42 x. BLANC-JOUVAN

1. - L'accession â la propriete foncière

6. Il est aujourd'hui admis, en droit malgache, que l'accession des particuliers à la propriété foncière doit être largement favorisée dans la mesure ou elle vient consacrer une mise en valeur déjà effective de la terre. C'est dans cette mise en valeur que le droit de propriété trouve ainsi sa véritable justification: la reconnaissance de ce droit apparaÎt comme une sorte de récompense pour le passé en même temps qu'une promesse pour l'avenir.

Mais la question se pose de savoir quels sont les fonds qui peuvent de cette manière faire l'objet d'une accession à la propriété. Il est bien certain qu'on ne saurait y inclure toute une catégorie de terres: celles qui sont déjà appropriées en vertu d'un titre régulier et officiel. Seulement on s'aperçoit vite que ces terres, si elles sont relativement nombreuses (elles recouvrent à peu près sept millions d'hectares), englobent d'immenses étendues stériles et, en tout cas, ne constituent pas la majeure partie du sol national. Il existe donc une multitude de parcelles qui ne font l'objet d'aucun droit officiellement reconnu: c'est à leur sujet qu'il convient de se deman- der dans quelle mesure il est possible d'opérer une sorte de « redis- tribution)) sur la base de la mise en valeur.

On pourrait être tenté de croire, au premier abord, que ces terres, non appropriées en vertu d'un titre, ne sont pas appropriées du tout et que, par conséquent, elles constituent des terres disponibles.

Mais ce serait là une conception extrêmement dangereuse parce qu'elle conduirait à méconnaÎtre complètement les droits qui exis- tent déjà sur certaines d'entre elles, droits qui, pour être assez flous et n'être pas constatés par des titres, n'en doivent pas moins être respectés. En fait, il y a de nombreuses terres qui sont déjà appro- priées selon la coutume et que l'on appelle terres ancestrales (tanin- drazana) : ce sont généralement celles qui sont déjà exploitées et cultivées. Le problème est de savoir dans quelle mesure le droit qui porte sur elles peut aujourd'hui être reconnu et protégé comme un véritable droit de propriété. Le législateur a du résoudre ce problème en précisant comment devrait être rapportée la preuve de ces droits ancestraux, et, dans cette réglementation déjà, on voit poindre l'idée de mise en valeur.

Mais cette idée est encore beaucoup plus nette lorsqu'on se trouve en présence de terres qui ne sont pas encore occupées, sur lesquelles personne ne prétend avoir de droit quelconque et qui sont à proprement parler des terres nouvelles (terres défrichées ou récem- ment aménagées, par exemple, ou simplement terres jusqu'ici délaissées). L'Etat veut favoriser l'accès des particuliers à la pro-

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priété de ces parcelles disponibles: à cette fin, il a créé divers modes d'acquisition de la propriété qu'il a tous fondés sur la nécessité d'une bonne exploitation.

Ainsi cette exigence de la mise en valeur se retrouve-t-elle éga- lement dans tous les cas ou un particulier cherche à accéder à la propriété d'une terre, mais il faut noter qu'elle s'y retrouve à des degrés divers suivant la voie dans laquelle l'intéressé décide de s'engager. Elle conserve une place assez effacée lorsque le requérant appuie sa demande sur la preuve d'un droit ancestral déjà existant;

elle joue au contraire un rôle beaucoup plus important lorsqu'il prétend acquérir un droit de propriété entièrement nouveau.

A. - La preuve d'un droit de propriete ancestral

7. Sans doute peut-il paraÎtre quelque peu excessif de parler d'une véritable accession à la propriété lorsqu'une personne prétend être déjà titulaire, sur la terre qu'elle occupe, d'un droit de propriété ancestral. Ce qu'elle demande, au fond, ce n'est pas autre chose que la reconnaissance ou la consécration officielle de son droit; mais, n'ayant pas de titre à faire valoir, elle est bien obligée de s'en remettre à une décision de l'autorité. Cette décision n'aura, certes, qu'un caractère déclaratif et non attributif: mais c'est bien par elle et par elle seule que l'intéressé pourra réellement se trouver confirmé dans la pleine propriété de sa terre, avec toutes les consé- quences juridiques que cette pleine propriété comporte.

Si paradoxal que cela puisse sembler à première vue, il est pour- tant indéniable que l'appel à l'idée de mise en valeur se justifie à plusieurs égards.

Il se justifie d'abord par le fait que, dans le droit traditionnel malgache, le fondement normal de la propriété foncière individuelle réside déjà en partie dans la mise en valeur. Cela est surtout vrai pour les rizières, qui requièrent un très gros travail de défrichement, de nivellement, de construction de digues, etc... Mais cela est aussi vrai pour les autres terres: on estime tout à fait légitime que celui qui a procédé aux travaux d'aménagement et de mise en culture soit considéré comme le véritable propriétaire du fonds. Déjà à ce stade, c'est donc le fait de la bonne exploitation qui justifie l'appropriation.

Mais ce n'est pas tout. Car la propriété ancestrale ne peut être reconnue sans conditions ni restrictions par le droit moderne, et cela se conçoit aisément. Cette propriété revêt en vérité des formes très diverses qui la distinguent plus ou moins nettement de la notion classique et romaine de propriété. Les prérogatives qu'elle confere varient avec les régions et les coutumes; parfois même,

Annales Malgaches. - Droit.

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44 X. BLANC-JOUYAN

elle présente certains traits communs avec un simple droit d'usage et l'on tend alors à dire (certes à tort) que la terre n'est pas vrai- ment appropriée; bien plus, elle n'a pas toujours le caractere indi- viduel et elle est souvent accordée à des collectivités. En toute hypothese, elle est confuse et incertaine. Même dans la mesure ou le législateur contemporain accepte de la consacrer, il faut au moins que certaines conditions soient remplies et notamment des conditions de preuve.

C'est là, en vérité, que réside la difficulté essentielle du probleme.

Cette difficulté s'est d'ailleurs présentée à Madagascar des l'instant oÙ le droit moderne est venu se juxtaposer au droit traditionnel, c'est-à-dire des les premieres années de la présence française, et elle ne s'est nullement atténuée aujourd'hui; sans doute peut-on même dire qu'elle s'est aggravée, car il apparaÎt de plus en plus malaisé, à mesure que le temps passe, de faire la démonstration d'un droit ancestral de propriété. Le législateur a donc du intervenir pour préciser les moyens de preuve qui pourraient être admis en ce cas, et il s'est fondé à nouveau, pour ce faire, sur l'idée de mise en valeur. Il l'a fait, certes, de façon implicite et quelque peu détour- née, mais indiscutable: dans la plupart des hypothêses, c'est par l'occupation et la mise en culture et par elles seules que pourra être établie l'existence d'un droit traditionnel de propriété. Ainsi conçue et ainsi prouvée, la propriété ancestrale apparaÎt elle-même comme bien plutôt fondée sur la mise en valeur effective (et quand même assez ancienne) de la terre que sur l'héritage des ancêtres.

Telle est l'idée fondamentale de la reglementation édictée en la matiere. Mais il ne faudrait pas en déduire que cette reglementation est toujours restée identique à elle-même depuis 1896; elle s'est au contraire considérablement transformée, et il n'est pas sans intérêt de retracer le chemin parcouru avant d'examiner ensuite avec plus d'attention la situation actuelle.

8. L'évolution a commencé des le 9 mars 1896, date ou fut pro- mulguée une loi qui avait pour but de reglementer la propriété fonciere. La reine proclamait, dans le discours de présentation qui accompagnait ce texte, son désir de consacrer le droit traditionnel (écrit ou coutumier) tout en essayant de lui donner plus de certitude et de netteté. Aussi bien commençait-elle par reprendre la vieille

formule d'Andrianampoinimerina

(<<

La terre est à moi») et à poser en principe que

«

le sol du royaume appartient à l'Etat» (art. 1er).

Mais elle apportait immédiatement à ce principe deux exceptions.

La première était conçue en termes volontairement larges et résultait de l'article 2 de la loi: «Les habitants continueront à jouir des parcelles sur lesquelles ils ont bâti et de celles qu'ils ont eu l'habitude de cultiver jusqu'à ce jour». Ce n'était, certes, qu'un

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droit de jouissance tres vague et tres précaire qui leur était ainsi reconnu; mais ce droit pouvait acquérir plus de stabilité par l'effet de la procédure d'immatriculation que créait le même texte de loi, dans ses articles 3 à 6. Cette procédure pouvait aboutir à la déli- vrance de titres de propriété définitifs et inattaquables, et c'était là la deuxieme exception, la plus importante, au principe de la propriété de l'Etat. Ceux qui avaient des droits réels d'origine ancestrale pouvaient ainsi en obtenir assez facilement la consécra- tion officielle: la seule preuve qu'ils eussent à fournir était celle d'une mise en culture habituelle, c'est-à-dire déjà, en fait, d'une mise en valeur.

Mais certains estimerent bientôt que cette loi était trop libérale et qu'elle pouvait donner lieu à de nombreux abus de la part des indigenes; ils penserent notamment que les conditions requises pour l'octroi d'un titre de propriété n'étaient pas assez séveres et que trop de demandes injustifiées pouvaient ainsi être présentées.

C'est pourquoi, sans songer à abroger le texte de 1896 - et il faut préciser tout de suite que ce texte est aujourd'hui encore en vi- gueur (5), - ils jugerent utile de le préciser: tel fut justement l'objet du décret du 28 septembre 1926, reglementant le domaine à Madagascar. Mais il n'est pas douteux que ce décret, à l'inverse de la loi ancienne, contenait plusieurs dispositions extrêmement rigoureuses. Il n'innovait guere, certes, en reprenant l'idée que les terres non exploitées devaient revenir à l'Etat et en instituant à cet effet une présomption de domanialité : aux termes de son ar- ticle 29, l'Etat était ainsi présumé propriétaire de tous les terrains non bâtis ni enclos qui, à ce jour, n'étaient pas encore appropriés par des particuliers en vertu de titres réguliers d'immatriculation ou de concession (6). Le décret n'innovait pas davantage en affir- mant que cette présomption n'était pas irréfragable et qu'il était possible de la combattre en apportant la preuve d'un droit de pro- priété. Mais il convient de noter que cette preuve était déjà rendue tres malaisée par le seul fait qu'une période de trente années s'était écoulée depuis les débuts de la colonisation: car il ne suffisait pas, bien sur, pour revendiquer une terre ancestrale, d'établir une mise en culture présente et actuelle: une telle preuve eut seulement permis à l'occupant d'invoquer un droit de jouissance paisible, d'ailleurs protégé et garanti par l'Etat, mais non de faire perdre au terrain son caractere domanial (art. 30) (7). Pour arriver à ce

(5) Cf. infra, nO 9.

(6) Après le décret du 25 aoilt 1929, il a fallu assimiler au titre d'immatriculation le titre cadastral, auquel étaient reconnues en fait la même valeur et la même force.

(7) Un arrêté est d'ailleurs spécialement intervenu, le 12 aotlt 1927, pour réglementer le droit d'usage des autochtones et pour régulariser leur situation à l'égard des terrains domaniaux qu'ils occupaient sans titre.

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46 X. BLANC-.JOUVAN

résultat en l'absence de titre officiel, il fallait en fait établir que l'on avait sur la terre un droit de propriété antérieur à la loi du 9 mars 1896; il fallait donc démontrer que, dès avant cette date, on avait effectué des constructions ou entrepris une mise en cul- ture habituelle. Or il était évidemment de plus en plus difficile, à mesure que les années s'écoulaient, d'opérer cette démonstration et les requérants risquaient de se heurter à une impossibilité de fait. Tout au moins le législateur eut-il pu leur venir en aide en mettant à leur disposition des moyens de preuve appropriés et adaptés à la situation ou ils se trouvaient. Mais c'est justement sur ce point que les rédacteurs du décret de 1926 ont introduit une règle particulièrement sévère: ils ont interdit de façon absolue, dans l'alinéa 2 in fine de l'article 29, le recours à la preuve testi- moniale. On comprend, certes, que le législateur ait éprouvé une très grande méfiance à l'égard d'un tel mode de preuve employé dans de pareilles circonstances, mais on comprend aussi que les populations aient éprouvé une grande amertume à se voir brusque- ment privées du seul moyen qui se trouvait, en pratique, à leur disposition pour établir leur droit (8). Si fragile fUt-elle, la preuve par témoins n'en était pas moins, dans bien des hypothèses et à raison du fait que la population était en majorité illettrée, la seule possible et la seule concevable. Rares étaient donc ceux qui pou- vaient recourir à un mode de preuve plus perfectionné et notam- ment à un document écrit pour soutenir leurs prétentions - ceux qui, par conséquent, pouvaient faire échec à la présomption de domanialité. Les autres, même ceux qui pouvaient démontrer qu'ils mettaient actuellement la terre en valeur, n'avaient qu'à se contenter du droit de jouissance précaire que leur reconnaissait l'article 30. Ainsi le décret nouveau devait-il normalement conduire à dépouiller un certain nombre de personnes des droits ancestraux dont elles étaient réellement titulaires en les mettant tout simple- ment dans l'impossibilité d'en apporter la preuve.

Il convient, certes, de ne pas exagérer les méfaits de cette dispo- sition contenue dans l'article 29. D'abord, il faut reconnaÎtre que sa rigueur se trouvait tempérée par d'autres articles du même décret du 28 septembre 1926, qui instituaient des modes particuliers d'accession à la propriété (art. 31 et 51) (9). Mais c'étaient là des remèdes insuffisants, parce qu'ils nécessitaient l'intervention active de l'Etat et la mise en mouvement d'une procédure longue et compliquée; bien plus, leur fondement véritable n'était pas le

(8) Peut-être une solution moyenne et plus sage eut-elle consisté à se contenter, non pas du témoignage d'un individu, mais plutôt de celui du représentant d'une collectivité traditionnelle, par exemple du Fokon'olona.

(9) Cf. infra, no 13.

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respect des droits ancestraux, mais le seul fait de la mise en va- leur. En réalité, il s'agisait simplement de procédés permettant l'acquisition de droits de propriété nouveaux et non de techniques tendant à faire consacrer une propriété ancestrale déjà existante.

Aussi bien, en présence de ces textes, pouvait-on continuer à pré- tendre que la propriété de droit traditionnel était méconnue par le législateur.

Une seconde réserve s'impose cependant sur la nocivité de l'ar- ticle 29. Force est bien de constater que ce texte, dont les conse- quences auraient pu être catastrophiques pour les autochtones s'il avait été interprété à la lettre, a presque toujours été appliqué en fait de façon assez libérale par l'administration et par la juris- prudence, notamment à l'occasion des opérations cadastrales qui furent entreprises quelques années plus tard en vertu du décret du 25 aout 1929. Il a notamment été admis que les rizieres et, plus généralement, tous les fonds aménagés devaient être considérés comme des terrains enclos et, par conséquent, échapper à la pré- somption instituée au profit de l'Etat; surtout, une circulaire du 15 décembre 1927 est venue préciser que les tribunaux n'étaient pas tenus de prononcer d'office la domanialité et que la présomp- tion de l'article 29, n'étant pas d'ordre public, devait être expres- sément invoquée par l'Etat (10). Il semble donc qu'il y ait eu, en fin de compte, assez peu de cas dans lesquels on ait assisté à de véri- tables spoliations. Cela s'est produit toutefois, et il est arrivé que l'Etat ait remis à des particuliers, à titre de concessions, des terres qu'il considérait comme faisant partie de son domaine privé et qui étaient, en réalité, déjà appropriées selon le droit traditionnel: il en résultait alors que les paysans qui gardaient trop d'attachement à leur terre ancestrale pour pouvoir l'abandonner se trouvaient du jour;:au lendemain transformés en simple métayers et obligés d'of- frir aux nouveaux maÎtres du sol une redevance correspondant à un tiers au moins de leur récolte; quant à ceux qui ne voulaient pas consentir à ce sacrifice, ils n'avaient d'autre ressource que de quitter leur ancien domaine.

Ces quelques abus ont suffi à déclencher un tres fort mouvement d'opinion contre le régime instauré en 1926. Le législateur, pourtant, n'a pas cru devoir intervenir pendant une période de trente ans et son silence s'explique aisément par l'embarras ou il se trouvait.

Car il faut bien reconnaÎtre que le probIeme était extrêmement complexe et que, même dans la mesure ou l'on cherchait à assurer la protection de la propriété ancestrale, on se heurtait en fait à de nombreuses et considérables difficultés pratiques lorsqu'il s'agissait

(10) V. aussi, en ce sens, un arrêt rendu par la Cour d'appel de Tananarive le 15 novembre 1934 (no 113).

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48 X. BLANC-JOUVAN

de prouver et de délimiter avec précision des droits coutumiers dont la caractéristique était justement d'être touffus et contestés.

Il en est donc résulté que, pendant longtemps, le domaine privé de l'Etat est demeuré très important et que la propriété de droit traditionnel a continué à ne pas recevoir la pleine consécration qu'elle méritait.

C'est seulement à une époque relativement récente, à la veille de la disparition du régime colonial, que plusieurs modifications importantes ont été apportées au système existant en vue d'amé-

liorer la situation des populations autochtones. Un décret assez libéral du 28 février 1956 fut en effet promulgué à Madagascar, qui abrogeait l'alinéa second du fameux article 29 du décret du 28 sep- tembre 1926 et le remplaçait par un texte nouveau. En vertu de ce texte, ceux qui prétendaient être titulaires d'un droit ancestral n'avaient plus à démontrer que leur propriété était antérieure à la loi du 9 mars 1896 et ils étaient seulement tenus d'établir «une occupation de bonne foi, paisible et continue» ainsi qu'« une mise en valeur rationnelle permanente depuis plus de trente ans ». Peu importait la date à laquelle cette occupation et cette mise en valeur avaient commencé: il suffisait que le demandeur fUt en mesure de prouver qu'elles remontaient au moins à trente ans pour pouvoir faire échec à la présomption de domanialité instituée au bénéfice de l'Etat. Bien plus, cette preuve pouvait être faite par tous moyens et rien n'interdisait plus maintenant de recourir à des témoignages.

La réforme était importante, au moins dans son principe, parce qu'elle marquait l'introduction d'une véritable prescription tren- tenaire dans le droit foncier malgache. Comme toutes les prescrip- tions, celle-ci avait, certes, un caractère quelque peu équivoque:

elle tenait à la fois du mode de preuve et du mode d'acquisition de la propriété. Il n'est pourtant pas douteux que, dans l'esprit des rédacteurs du décret, elle constituait surtout un moyen de remédier à la trop grande rigueur qui avait jusque là présidé à l'établissement des droits ancestraux; elle constituait donc purement et simple- ment un moyen de consacrer la propriété d'origine traditionnelle.

Comment aurait-on pu, d'ailleurs, l'analyser autrement puisqu'elle était reconnue au bénéfice des «personnes exerçant des droits réels selon la coutume» et qu'elle ne conduisait pas à la délivrance d'un titre? En fait, cette occupation trentenaire - qui supposait bien, elle aussi, une mise en valeur de la terre - servait à faire présumer de façon irréfragable l'existence d'un droit ancestral de propriété.

Cette réforme de 1956 n'a d'ailleurs guère eu le temps de s'ap- pliquer puisqu'elle a été suivie à peu de distance de l'avènement de la République Malgache. Ainsi a pris fin la période coloniale.

Toute cette période, on le voit, a été marquée par une certaine

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méfiance à l'égard des droits ancestraux, méfiance qui s'expliquait en partie par le souci louable et avoué de n'asseoir la propriété foncière que sur des bases solides et stables, de ne pas reconnaÎtre des droits trop flous ou trop incertains et d'empêcher les reven- dications infondées, mais aussi par le désir plus secret et moins désintéressé d'accroÎtre au maximum le domaine privé de l'Etat afin de pouvoir ensuite redistribuer les terres qui le composaient par voie de concession et, de cette manière, favoriser la colonisation de la Grande Ile. Plus récemment sans doute, il semble qu'une autre considération soit encore intervenue pour inciter le législateur à ne pas consacrer trop largement les droits ancestraux: c'est la crainte que ces droits ne soient mal utilisés et qu'ils ne contribuent davantage, par leur archaÏsme et leur incertitude, par les restric- tions qu'ils comportent et les contraintes qu'ils imposent, à la stagnation économique du pays qu'à sa mise en valeur. Or cette crainte n'a fait que s'accroÎtre au cours de ces dernières années et c'est elle qui domine aujourd'hui toute la question des droits fonciers traditionnels.

9. Au moment ou le problème s'est posé, pour le législateur mal- gache, d'édifier une réglementation nouvelle du droit de propriéte, il a fallu en vérité faire face à deux impératifs également pressants:

assurer le respect de la tradition, d'une part, et donc reconnaÎtre de façon plus complète les droits ancestraux; encourager le progrès économique, d'autre part, et par consequent procéder à une véri- table réorganisation de la propriété sur la base de la mise en valeur.

Certains ont pensé que ces deux impératifs étaient inconciliables et qu'il importait de résoudre le conflit en faisant triompher l'un sur l'autre. L'opinion s'est parfois fait jour que la proclamation de l'indépendance devait nécessairement s'accompagner d'un abandon au moins partiel du droit moderne en même temps que d'un retour au droit traditionnel, et c'est ainsi qu'on a proposé de supprimer la présomption de domanialite pour permettre une reconnaissance plus totale des droits d'origine coutumière: c'est alors à l'Etat qu'aurait incombé la tâche de prouver son droit de propriete sur une terre pour pouvoir l'incorporer à son domaine privé (11). Mais cette solution eut sans doute mis en péril le développement agricole du pays et la bonne exploitation des terres. Ceux qui se souciaient le plus, en revanche, de ce développement et de cette bonne exploi- tation proposaient de donner à la présomption de domanialité une

(11) C'est bien en fait une solution de ce genre qui avait été adoptée en A.E.F. eten A.D.F. par le décret du 20 mai 1955, supprimant l'ancienne présomption de vacance instituée au bénéfice de l'Etat par le décret du 15 novembre 1935. Cette présomption avait été accusée de favoriser la main-mise abusive de l'Etat sur les terres, et elle fut abolie au nom du respect des droits coutumiers.

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;;0 X. BLANC-JOUVAN

importance encore accrue afin de favoriser une nouvelle répartition du sol: mais une telle réforme eut pratiquement signifié la fin de la propriété ancestrale et ce n'est pas au moment de l'avenement de la nouvelle République Malgache qu'un tel bouleversement paraissait possible ni même souhaitable.

C'est donc vers une solution de compromis que le législateur s'est finalement - et très sagement - orienté. Il a considéré avec raison que l'existence de la propriété ancestrale n'était pas néces- sairement, comme on l'a quelquefois laissé croire, un obstacle à une mise en culture rationnelle de la terre, mais qu'elle pouvait au contraire, si elle était contenue dans de justes limites, constituer un instrument au service du développement économique. Il a donc décidé de persister à reconnaÎtre la propriété ancestrale tout en soumettant sa preuve à des conditions assez rigoureuses, inspirées de l'idée de mise en valeur.

Le principe se trouve aujourd'hui consacré dans le Préambule

même de la Constitution qui déclare nettement:

«

L'Etat reconnaÎt

le droit de propriété ancestrale dument établi». Et l'article 11 de la loi du 15 février 1960, relative au domaine privé national, précise

de son côté:

«

L'Etat est présumé propriétaire de tous les terrains

non immatriculés ou non cadastrés ou non appropriés en vertu de titres réguliers de concession ou selon les règles du droit commun public ou privé ».

En vertu de cette disposition, l'Etat continue donc à bénéficier d'une présomption de propriété. Mais cette présomption peut être combattue, soit par ceux qui possèdent déjà un titre officiel de proprieté, soit par ceux qui justifient d'une appropriation « selon les règles du droit commun public ou privé ». Or ce droit commun privé ne peut être que le droit découlant de la loi locale du 9 mars 1896, puisque cette loi est toujours applicable: c'est donc que la propriete ancestrale reconnue par le législateur de 1896 se trouve à nouveau consacrée par le législateur de 1960, et qu'elle est au- jourd'hui opposable à l'Etat dans les mêmes conditions qu'elle l'était au lendemain de l'installation de l'administration française à Madagascar, avant la promulgation des décrets, maintenant abrogés, de 1926 et de 1956. Il en résulte que la preuve de cette propriété est entièrement libre, mais que le seul recul du temps suffit à la rendre de nos jours extrêmement difficile. La situation des particuliers se trouve ainsi améliorée par rapport à ce qu'elle était après 1926, puisqu'il est à nouveau possible de recourir à des témoignages comme à tous autres moyens de preuve, mais elle est tout de même moins favorable qu'après 1956, puisque rien ne correspond plus aujourd'hui à la prescription trentenaire qui avait été instituée

pour venir en aide aux titulaires de droits traditionnels.

.

En réalité, il apparaÎt que, dans le système actuel, tous ceux

(19)

(administrateurs et juges) qui sont chargés de l'application de la loi disposent d'une assez grande latitude dans la détermination des modes de preuve utilisables et admissibles. Ce qu'ils rechercheront le plus souvent en pratique, conformément à ce qu'exige la loi locale du 9 mars 1896, c'est la mise en culture habituelle, effective et suffisamment ancienne du sol: c'est là-dessus qu'ils s'appuieront pour reconnaÎtre l'existence de droits ancestraux. Et s'il leur parait impossible de procéder à cette reconnaissance, ils se borneront il faire application de l'article 54 de la loi du 15 février 1960, modifié par l'ordonnance du 20 septembre 1962, suivant lequel les parti- culiers qui ne sont pas propriétaires continueront, à titre précaire,

«

de jouir des droits d'usage traditionnels et de la possibilité de

faire des cultures vivrières saisonnières, nécessaires à la subsistance de leur famille».

Ainsi retrouve-t-on, même en ce qui concerne le droit de pro- priété ancestrale, l'idée de mise en valeur. Sans doute cette idée

persistera-t-elle à jouer son rôle jusqu'au 1

er

janvier 1965, date à

laquelle, en vertu de l'article 81 de la loi du 15 février 1960, la loi locale du 9 mars 1896 sera abrogée. D'ici là, il est probable que des textes seront intervenus pour établir un régime nouveau et unique de la propriété (aussi bien de statut traditionnel que de statut moderne) et pour préciser ainsi les conditions dans lesquelles les parties seront désormais admises à prouver leurs droits ancestraux.

10. Lorsque la preuve de ces droits ancestraux est ainsi rapportée, la reconnaissance de propriété peut s'opérer sans délivrance d'aucun titre. C'est même là la situation normale, celle qui se présente lorsque le détenteur de la terre n'a pas pris l'initiative de la procédure et qu'il s'est tout simplement contenté de faire échec à la présomption de domanialité invoquée par l'Etat. Mais rien n'interdit, bien sur, une fois que le droit de propriété a été reconnu, de le faire officiel- lement et définitivement constater par un titre: cela offre même le très grand avantage de conférer à ce droit plus de stabilité et plus de sécurité.

Il existait jadis, en droit malgache, deux procédures distinctes qui avaient été instituées à cette fin. L'une avait été creee parla

loi locale du 9 mars 1896, puis précisée par divers décrets et fina- lement par celui du 4 février 1911 : c'était la procédure de l'imma- triculation, largement inspirée de l'Act Torrens. Elle était ouverte il tous les propriétaires sans distinction d'origine, mais elle avait pour effet de placer la propriété sous l'empire du droit moderne.

L'autre fut instituée par le décret du 25 aout 1929, et c'était la procédure du cadastre. Elle avait un caractère collectif - c'est-à- dire qu'elle était engagée pour tout un secteur territorial déterminé sur l'initiative de l'administration -, elle était réservée aux seuls

(20)

52 X. BLANC-JOUVAN

indigenes et les terres qui en étaient l'objet restaient soumises au droit traditionnel. Mais dans tous les cas, le titre finalement délivré, titre foncier ou titre cadastral, avait la même valeur et la même force: il donnait toujours à la propriété un caractere définitif et inviolable. En 1956, 2.504.145 hectares de terres se trouvaient ainsi immatriculés et 1.887.691 étaient cadastrés.

Le législateur moderne, soucieux de préparer les voies à l'unifi- cation du droit et de faire disparaÎtre toutes les traces des anciennes discriminations raciales, n'a pas pu maintenir cette dualité de procédures. Par l'article 82 de la loi du 15 février 1960, il a supprimé la procédure du cadastre; il n'a donc maintenu que la seule procé- dure de l'immatriculation, qu'il a d'ailleurs quelque peu remaniée dans une ordonnance du 3 octobre 1960, elle-même modifiée par une nouvelle ordonnance du 19 septembre 1962, Les propriétaires ont toujours la possibilité de faire constater une fois pour toutes leur droit ancestral en demandant la délivrance d'un titre foncier:

ce faisant, ils font passer leur terre du statut de droit traditionnel au statut de droit moderne. C'est donc là un pas important vers l'institution d'un régime unique de la propriété. Mais il reste que cette immatriculation n'est nullement obligatoire et que de nom- breux propriétaires hésitent à y recourir par crainte d'une procédure qui leur paraÎt longue, coûteuse et compliquée. Beaucoup d'entre eux s'en tiennent à un simple droit de propriété que ne vient cons- tater aucun titre officiel.

11. Même sans aller jusqu'à l'obtention d'un titre, la seule preuve de la propriété ancestrale souleve déjà, nous l'avons vu, suffisam- ment de difficultés, Il est remarquable que le législateur de l'époque récente ne se soit pas montré, sur ce point, plus libéral que l'ancien législateur colonial. Cela prouve bien qu'en fait, il ne s'est pas départi, lui non plus, d'une certaine méfiance à l'égard de la pro- priété ancestrale et qu'il n'a voulu la reconnaÎtre que dans la mesure ou cela lui paraissait compatible avec les besoins actuels de l'économie malgache et l'impératif de la mise en valeur. Mais dans cette mesure là, il a admis qu'il serait injuste et contraire à la tradition de ne pas donner à cette propriété une consécration véritable. S'il est théoriquement vrai que l'attribution et la trans- mission de la propriété ancestrale s'operent en dehors de toute exigence d'une bonne exploitation, il faut noter qu'en pratique on en revient souvent à cette exigence par le biais de la preuve:

la mise en culture effective de la terre est ainsi prise en considération pour faire présumer l'existence d'un droit d'origine traditionnelle.

Il demeure toutefois que l'idée de mise en valeur apparaÎt ici d'une façon assez estompée, et c'est ce qui explique la relative sévérité du législateur. Mais on la retrouve au contraire beaucoup plus

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marquée dans d'autres dispositions de la loi du 15 février 1960, car il est certain que le législateur n'a pu se montrer aussi rigoureux en ce qui concerne la preuve de la propriété ancestrale que parce qu'il a prévu, à côté et à titre de compensation, d'autres modes d'accession à la propriété: et c'est ainsi que l'on rencontre, dans le droit malgache contemporain, diverses procedures tendant, non plus à consacrer un droit déjà existant, mais à permettre l'acqui- sition d'un droit nouveau de propriété.

B.

- L'acquisition d'un droit nouveau de propriete

12. L'acquisition de la propriété peut se réaliser, certes, en droit malgache, par les modes du droit commun, tels que les succes- sions, les testaments, les régimes matrimoniaux, les contrats, etc.

Mais tous ces modes supposent une terre déjà appropriée par des particuliers et ils s'analysent en un simple transfert de droit. Pour que l'on puisse parler, au contraire, de l'acquisition d'un droit nouveau, il faut que l'on se trouve en presence d'une terre non encore appropriée par des personnes privees, comme il en existe des millions d'hectares à Madagascar.

Ce serait pourtant une erreur de croire que de telles terres n'appar- tiennent à personne et qu'on peut les acquérir par des modes originaires, tels que l'occupation: il est en fait admis que les fonds non appropriés par des particuliers le sont au moins par l'Etat.

C'est là une idée qui trouve son origine dans le vieux droit tradi- tionnel malgache et dans la conception du domaine éminent dont se prévalait jadis la monarchie hova sur tout le sol du royaume;

elle a ensuite été reprise par l'article 91 du Code des 305 articles, puis confirmée en maintes occasions par le législateur français (qui y voyait une réplique exacte de la règle contenue dans l'arti- cle 713 de notre Code civil) et elle se trouve exprimée en dernier lieu dans l'article 4-10 de la loi du 15 février 1960, incorporant au domaine privé de l'Etat les terres considerées comme vacantes et sans maÎtre (12). La portée de cette disposition se trouve d'ailleurs

(12) Il faut d'ailleurs noter que certaines difficultés peuvent s'élever en ce qui concerne la nature exacte du droit appartenant à l'Etat sur ces terres vacantes et sans maÎtre.

L'hésitation venait jadis de ce que le décret du 28 septemhre 1926 contenait, à côté de l'article 21 -1°,rangeant ces terres parmi celles que l'Etat acquérait immédiatement en vertu de son droit de souveraineté, un article 21-180 qui semblait les considérer comme des biens al'quis à l'Etat par prescription, trente ans après leur appréhension. La même contradiction se retrouve aujourd'hui entre l'article 4-10 et l'article 14-190 de la loi du 15 février 1960. Mais il apparait que la controverse est maintenant dépourvue de tout interêt pratique.

II faut, en outre, noter ici au passage que l'artiele 81 de la loi du 15 février 1960 est venu expressément abroger l'article 12 du décret du 4 avril 1957, qui avait ôté la pro- priété de ces terres à l'Etat (lequel était alors l'Etat français) pour la remettre aux provinces. En vertu de l'article Il de la loi du 15 février 1960, il n'est pas douteux que la propriété de ces terres appartient aujourd'hui à l'Etat Malgache.

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54 X. BLANC-JOUVAN

considérablement accrue par l'existence d'une présomption de vacance qui constitue donc, en pratique, une présomption de doma- nialité et en vertu de laquelle toutes les terres appartiennent à l'Etat lorsqu'il n'est pas possible de faire la preuve d'un droit de propriété portant sur elles.

Il n'y a, dès lors, pas lieu de s'étonner de l'importance considé- rable que possède aujourd'hui le domaine privé national. Mais ce domaine, l'Etat n'entend nullement le conserver jalousement pour lui: il cherche au contraire à en faire une sorte de redistribution entre toutes les personnes susceptibles de l'exploiter. Lorsqu'Andria- nampoinimerina proclamait que le sol du royaume lui appartenait, c'était déjà en vue de le répartir entre ses diverses tribus. De nos jours encore, c'est donc sur les terres issues du domaine privé de l'Etat que les particuliers vont acquérir (et faire constater par des titres) des droits nouveaux de propriété.

.,~.On peut toujours dire, certes, qu'il y a transfert de droit de l'Etat à une personne privée, mais il faut bien reconnaître quand même que c'est un transfert d'un type assez original, et c'est ce qui explique l'existence de modes spéciaux d'acquisition de la propriété.

,,,),Cette idée d'une redistribution des terres entre les particuliers est déjà une idée assez ancienne, mais dont les techniques de mise en œuvre ont sensiblement évolué. Pendant longtemps, le législateur ne s'est guère soucié que de favoriser la colonisation et il s'est contenté d'instituer un système de concessions. Par la suite, il a fait une place de plus en plus large à l'impératif de mise en valeur et il a ainsi cree, pour y mieux répondre, plusieurs procédures destinées soit à compenser partiellement l'impossibilité ou se trouvaient certains autochtones de prouver leurs droits ancestraux, soit à permettre purement et simplement l'acquisition de terres nouvelles, non encore appropriées. Plus que jamais, c'est cette idée qui prévaut aujourd'hui et qui vient de trouver sa consécration dans la loi du 15 février 1960, modifiée par l'ordonnance du 20 sep- tembre 1962. Le législateur a tenu compte de la très grande force que possède chez le paysan malgache le sentiment psychologique de la propriété et il a pensé que la meilleure façon d'encourager la bonne exploitation du sol malgache était, non pas de mettre simple- ment les terres à la disposition des particuliers, mais encore de considérer ceux-ci comme de véritables propriétaires. Il a donc admis que, dans tous les cas, l'attribution de la propriété devait venir sanctionner une mise en valeur déjà réalisée; mais dans certaines hypothèses, cette attribution sera prononcée au bénéfice d'un simple occupant qui demandera la transformation d'une situa- tion de fait en une situation de droit; dans d'autres hypothèses, au contraire, elle viendra donner un caractere définitif et inatta- quable au droit fragile et résoluble qu'une personne tient déjà

(23)

de l'administration. Ce sont là deux situations différentes, que nous devons successivement examiner.

13. L'article 11, alinéa 2, de la loi du 15 février 1960 déclare en termes formels que la présomption de domanialité « n'est pas oppo- sable aux personnes et aux collectivités qui occupent des terrains sur lesquels elles exercent des droits de jouissance individuels ou collectifs qui pourront être constatés et sanctionnés par la déli- vrance d'un titre domanial conformément à la présente loi)J.

Dans certains cas, ces droits ne seront sanctionnés qu'en tant que droits de jouissance, et c'est le cas lorsque leur titulaire est une collectivité. La loi n'a pas voulu favoriser la constitution de propriétés collectives; elle n'a donc reconnu aux groupements d'habitants (commune ou collectivité traditionnelle possédant la personnalité morale: articles 31 et suivants) que la faculté d'obtenir un titre de jouissance: on parle alors de dotations faites à des collectivités. Ces dotations ont succédé aux anciennes réserves indigènes qui avaient été conçues en 1926 comme la contrepartie des périmètres de colonisation; n'étant pas faites en pleine pro- priété, elles ne nous intéressent pas directement ici et nous nous contenterons de signaler leur existence.

Il résulte, en revanche, de l'article Il qu'une telle attribution en pleine propriété est permise au bénéfice des particuliers qui auront effectivement entrepris des cultures sur certaines terres du domaine privé de l'Etat. Ceux qui étaient simplement jusqu'ici, pour une raison ou pour une autre, des occupants de fait pourront ainsi demander la reconnaissance à leur profit d'un véritable droit de propriété sur la base de la mise en valeur.

L'idée se retrouve déjà dans le très ancien droit malgache, et il faut ici rappeler la vieille conception du sola pangalin dray aman - dreny (terre défrichée par le coup de bêche des père et mère) (13).

Elle a surtout été développée par le législateur français à l'occasion du décret du 28 septembre 1926. Les rédacteurs de ce décret ont voulu tempérer l'extrême sévérité dont ils témoignaient en ce qui concernait la preuve des droits ancestraux par l'octroi aux autoch- tones de plusieurs modes nouveaux d'acquisition de la propriété.

Le but visé était de permettre à ceux qui ne pouvaient pas faire la démonstration exigée par l'article 29 de devenir quand même propriétaires en démontrant qu'ils avaient mis la terre en valeur, soit pendant une période de vingt ans (art. 31), soit même pendant une période plus courte, s'il s'agissait d'une parcelle incluse dans une réserve indigène (art. 51). Cela supposait, bien sur, la mise en mou- vement d'une procédure assez longue, et beaucoup de paysans

(13) Cf. E. THÉBAULT, Traite de droit civil malgache, t. II, p.212.

(24)

5fi X. BLANC-JOUVAN

reculaient devant cet exces de complications, risquant ainsi de se laisser injustement dépouiller de leur terre; mais le titre qui leur était finalement délivré avait un caractere de certitude et de sécu- rité qui lui conférait une tres grande valeur. Sauf immatriculation, d'ailleurs, la propriété ainsi attribuée restait placée sous l'empire du droit traditionnel, avec quelques réserves spécialement prévues par la loi (obligation de remembrement, inaliénabilité et insaisissa- bilité temporaires, etc.).

Pendant les trente années qui ont suivi leur promulgation, ces textes de 1926 - et notamment l'article 51 - n'ont en fait reçu que de tres rares applications pratiques. Ils sont pourtant restés inchangés et une seule réforme est intervenue, par décret du 28 février 1956, en vue de réduire de vingt à dix ans la durée de la mise en valeur normalement requise pour l'obtention d'un titre de propriété. L'institution n'en a pas pour autant connu un regain de faveur et le nombre de procédures réellement engagées est resté extrêmement faible.

Le législateur moderne ne s'est pourtant pas découragé et il a repris dans la loi du 15 février 1960 des dispositions assez semblables à celles qui étaient déjà en vigueur.

D'abord, la loi prévoit que les dotations faites aux collectivités pourront être divisées en lots à vocation édilitaire, urbaine, agricole ou pastorale et que ces lots pourront être répartis entre les différents membres de la collectivité. Lorsque ceux-ci auront mis en valeur la parcelle qui leur est confiée, ils pourront, en application de l'ar- ticle 42 de la loi, demander à l'administration la délivrance d'un titre de propriété. C'est là une disposition extrêmement importante, car elle donne une idée de ce que pourrait être, en fin de compte, le destin de ces terres affectées à des collectivités si elles étaient toutes mises à la disposition des individus: on en arriverait finalement il une généralisation de la propriété individuelle, et c'est peut-être, au fond, ce que le législateur a entendu favoriser. L'article 43 vient d'ailleurs préciser que la propriété ainsi attribuée ne sera pas frappée d'inaliénabilité, mais qu'un droit de préemption sera seulement reconnu, en cas de vente, au profit de la collectivité.

La même évolution vers l'extension de la propriété individuelle se trouve également consacrée par un autre texte de la loi du 15 février 1960, qui prévoit au bénéfice de certains particuliers l'attribution de terres n'ayant jamais fait l'objet d'une dotation quelconque. Une distinction doit être faite à cet égard entre les terrains ruraux et les terrains urbains.

Pour les premiers, l'article 18 (dont la rédaction aurait sans doute

pu être quelque peu allégée) exige la preuve d'une

«emprise person- nelle réelle, évidente et permanente sur le sol, se traduisant soit par des constructions, soit par une mise en valeur effective, sérieuse

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