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Academic year: 2021

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Engraissement rituel

Christophe Serra-Mallol

To cite this version:

Christophe Serra-Mallol. Engraissement rituel. Dictionnaire des cultures alimentaires, 2012. �hal-

02985114�

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<TITRE>Engraissement rituel

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<TEXTE>

La pratique d’engraissement systématique et institutionnalisée de groupes humains a été relevée dans des sociétés où règne une forme d’anxiété alimentaire du fait de graves pénuries saisonnières : c’est le cas des Annang au Nigéria (Pollock 1995), des femmes sahariennes Maures et Tuareg (Garine 1979), ou des Masa du Cameroun (Garine 1996) qui font subir, au moment où s’annonce la période de pénurie saisonnière, une cure d’engraissement spectaculaire à certains jeunes gens, les guru walla. En faisant grossir certains de leurs membres au moment où c’est matériellement le plus difficile, ces sociétés substituent ainsi une prospérité symboliquement créée par l’homme à une situation de disette naturelle et régulière.

Nous nous intéressons ici à la pratique d’engraissement rituelle de sociétés du Pacifique insulaire, le ha’apori.

<IT1>Une pratique réservée à certains groupes sociaux

<IT2>Description générale

La pratique du ha’apori (littéralement « engraissement ») a été relevée par les premiers Européens en contact dans une bonne partie du Pacifique insulaire est : îles Manihiki- Rakahanga, Mangaia, Mangareva, Nauru, île de Pâques, Rurutu, Cook, et dans l’archipel de la Société. Elle aurait été inconnue à Tonga, en Nouvelle Zélande, aux Marquises et à Hawaii (Goldman 1970, Oliver 2002a).

La pratique du ha’apori était réservée aux classes les plus élevées de la société polynésienne ancienne, et à l’occasion de rites de passage. Ces pratiques étaient associées à la beauté physique et à la fertilité, et sont à analyser dans une optique culturelle, maintenir la cohésion de la société, aussi bien que biologique, accroître les chances de fertilité féminine et assurer la reproduction de la société (Serra Mallol 2008).

Lors de la période de récolte des fruits de l’arbre à pain (‘uru), les personnes soumises au ha’apori étaient enfermées à l’ombre dans des cases spéciales séparées du reste de la communauté, et nourries abondamment par les metua-pori (littéralement les « maîtres engraisseurs ») d’une préparation à base de popoi ou ‘opio, pâte élaborée à partir du fruit de l’arbre à pain, écrasé et mélangé à de la pulpe de fruits, auquel on ajoutait de l’eau pour lui donner une consistance semi-liquide. Tout mouvement, tout exercice étaient proscrits, à part le bain quotidien et les besoins naturels : elles mangeaient et dormaient autant qu’elles le pouvaient pendant deux mois. « A la fin de cette période on les libère mais ils sont tellement gras qu’ils peuvent à peine respirer et il leur faut plusieurs semaines avant de pouvoir marcher à quelque distance » (Morrison 1989).

Une fois « engraissées », les personnes soumises au ha’apori étaient présentées en public à leur chef traditionnel pour qu’il apprécie la rondeur et la blancheur de leurs corps.

La même cérémonie existait à Puka Puka, et à Mangareva, où elle concernait principalement les aînés des garçons de chaque famille qui, s’ils vomissaient leur nourriture par trop-plein, devaient manger de nouveau ce qu’ils avaient rejeté (Oliver 2002a).

<IT2>La pratique du ha’apori au dix-neuvième siècle

Moerenhout (1959) qui les observa encore en 1832 et Henry (2000) ont décrit les pratiques d’engraissement auxquelles étaient soumises les jeunes femmes. L’îlot de

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Version de pre-print de Serra Mallol Christophe, 2012, « Engraissement rituel », in Poulain Jean-Pierre

(dir.), 2012.

Dictionnaire des cultures alimentaires, Presses Universitaires de France, collection

Quadrige, Paris, pp. 458-461.

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Tetiaroa au large de Tahiti était un des lieux « d’engraissement » de la famille Pomare.

« Autrefois c’était une propriété de plaisance pour la famille Pomare qui s’y rendait de temps à autres pour s’y reposer et aussi pour se livrer au ha’apori (engraissement) qui était pratiqué par les membres féminins de la famille dans le but de s’embellir » (Henry 2000). Ernest Salmon (1982) évoque la jeunesse de la princesse Marau et de la future reine Pomare IV et rappelle : « elles firent ensemble leur cure d’embellissement à Tetiaora, îlots dépendants de la couronne. Cette cure consistait à rester confinées pendant un certain temps à l’abri du soleil et à s’astreindre à un régime alimentaire spécial afin de les mettre mieux en chair et de rendre leur teint plus clair, et cela pour en faire des Tapairu, princesses de beauté ».

Ces pratiques semblent disparaître au milieu du dix-neuvième siècle en Polynésie française, après la christianisation complète de la société et du Protectorat français progressivement instauré sur l’ensemble des archipels.

<IT1>Les interprétations du ha’apori

<IT2>Des interprétations fonctionnalistes

Les interprétations données à une telle pratique sont nombreuses. Oliver (2002a) fait l’hypothèse qu’il pourrait s’agir d’une pratique d’imitation des caractéristiques physiques des classes supérieures de la société polynésienne, qui du fait de leur statut mangeaient de la meilleure nourriture et en volume plus important, ou encore d’une survivance des pratiques encouragées à l’occasion des longs voyages océaniques où la nourriture emportée était nécessairement limitée, et pendant lesquels la survie dépendait essentiellement des réserves corporelles en graisse.

L’engraissement des corps serait ainsi à mettre en relation avec une représentation du

« bien porter » de la société tout entière. Il a été également noté l’importance du blanchiment de la peau, mais il semble évident que l’engraissement était plus important que le blanchiment.

Ces pratiques ont été également interprétées comme provenant des expériences de faim ou de disette provoquées par de mauvaises récoltes suite à des phénomènes climatiques défavorables ou à des guerres.

<IT2>Des interprétations symboliques : un rite de l’abondance

Mais le caractère systématique des pratiques d’engraissement relevées dans toute la Polynésie, tendent à nous faire penser qu’il s’agit d’un phénomène culturel bien plus lié à des représentations du corps issues de la religion polynésienne, et du culte ‘arioi en particulier (Serra Mallol 2010). Selon Muhlmann (1955), le ha’apori pourrait ainsi faire partie d’un rite de passage chez les ‘arioi, société symbolique pour qui le terme pori désignait les candidats-novices à l’engraissement et qui signifie « gros et bien portant ».

Une autre hypothèse est celle de Goldman (1970) selon lequel le symbole de l’abondance alimentaire à Manihiki-Rakahanga n’était pas matérialisé par des stocks importants comme en Nouvelle Zélande, mais par les enfants engraissés des familles

« de rang ». De fait, les pratiques d’engraissement seraient donc des pratiques symbolisant la fécondité et l’abondance de la nature, à l’image des « servantes sacrées » des Samoa, et celles des ‘arioi seraient en étroite relation avec la renaissance de la végétation, la fertilité et l’abondance (Babadzan 1993), comme le montre l’habitude pour les jeunes femmes engraissées à Nauru de se présenter à l’ensemble de la communauté seulement vêtues de chapelets de poissons du lagon, aliments hautement prisés chez les anciens habitants de Nauru (Pollock 1995).

Le lien entre les jeunes femmes destinées à pratiquer le rite de l’engraissement et les

‘arioi nous est fourni par Henry (2000) : « quelques unes des jeunes filles qui adhéraient

à la secte étaient les filles des hauts personnages du pays, elles étaient étroitement

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surveillées par la cheffesse ‘arioi et leur personne qui était sacrée était respectée de tous les membres de la secte ». Selon Oliver (2002a), le repos nécessaire que cite Henry était lié aux orgies et à la consommation abusive de ‘ava, une boisson rituelle. Il nous paraît plus crédible que ces périodes de « repos » étaient liées au retrait des ‘arioi à la fin de la saison d’abondance, Tetiaroa étant un des lieux où ils passaient la période de disette.

De même, le ha’apori des adolescents, et notamment des garçons, pouvait soit relever d’une cérémonie liée au début de la période de l’abondance, soit d’un rite de passage de l’enfance à l’âge adulte, ou encore d’une cérémonie particulière liée à un rite de passage

‘arioi. Il nous semble que la troisième hypothèse soit la bonne, sans que les deux premières ne soient à rejeter pour autant puisque incluses dans la troisième.

Le rite de passage au premier niveau ‘arioi était en effet précédé d’une cure d’engraissement, comme l’indique Rodriguez (1995). Comme pour l’engraissement des jeunes présenté plus haut, une fois l’engraissement terminé les novices s’enduisaient le corps d’huile de noix de coco, revêtaient des couronnes de feuilles de palme tressées, et s’enveloppaient dans des couches de tapa colorés. Le groupe se dirigeait alors vers la maison de leur chef coutumier ari’i, et un des novices entrait dans cette maison pour se présenter, et présenter le reste du groupe ainsi que leur communauté ‘arioi d’origine.

Les tissus de tapa étaient ensuite offerts au ari’i en signe d’allégeance. Le public était nombreux à l’occasion, et exprimait son admiration de la rondeur des corps et de la blancheur des peaux.

<IT2>Un rite d’un culte polynésien de l’abondance

Rite de passage du culte de l’abondance, le ha’apori permettait de se préparer à l’arrivée de l’abondance pour les ‘arioi actifs, et constituait une initiation pour les prétendants. Il existait chez les anciens Tahitiens un mois de l’année (marama ha’apori) où les chefs ‘arioi choisissaient les individus admis à entrer dans la confrérie : l’engraissage aurait donc précédé l’entrée chez les ‘arioi, en constituant un rite de passage pour l’admission au premier grade. De la même façon, l’engraissement aurait été pratiqué pour l’admission au quatrième grade ‘arioi, hua (Babadzan 1993).

La réclusion et le gavage propres au rite ‘arioi, qui correspondent à des rites initiatiques dans les société mélanésiennes, représenteraient une simulation de la féminité, une période de séparation « féminine » préalable à l’agrégation dans la société ‘arioi (Muhlmann 1955), à l’image de la réclusion des femmes après leur accouchement dans le fare hua où elles sont comme les novices ‘arioi nourries par d’autres qu’elles-mêmes (Morrison 1989, Henry 2000), hua signifiant la germination, l’œuf, ou les glandes génitales à la fois masculine ou féminine. Le quatrième grade ‘arioi pourrait être celui du développement, du ‘arioi en devenir à l’image de l’œuf, et donc constitué le grade intermédiaire entre les trois premiers et les trois suivants, nécessitant ainsi une initiation et un rite de passage particuliers, le dernier grade étant « hors classe ».

Notre analyse est donc ici différente de celle de J.F. Baré (1987) quand il généralise la pratique de ce rite à la totalité de la population, même si la coutume d’engraisser les nouveaux-nés à l’aide de popoi a été relevée par D. Oliver (2002b). Rien ne permet d’inférer cette pratique périodiquement à toute la population, mais bien plutôt réservée à certaines personnes en des périodes bien déterminées de leur existence, en rapport étroit avec les cycles écologiques et la quantité de production vivrière disponible selon Goldman (1970), qui précise que ces pratiques coïncidaient avec des transformations (naissance, baptême, maturité, mariage) des passages, débuts ou fins d’événements (naissances, mort), religieux, sociaux ou politiques.

<IT1>Conclusion

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Systématisées et réservées à une minorité, les pratiques d’engraissement renforcent et illustrent le statut social de ceux qui s’y adonnent, au point de tracer une ligne de démarcation entre « sur-nourris » et les autres, visible morphologiquement (Serra Mallol 2008) : dans ces sociétés, les corpulences fortes constituent ainsi un trait physique survalorisé. L’engraissement humain rituel, systématique, volontaire et prolongé, a fait l’objet d’un culte au sein des sociétés qui l’ont utilisé : symbole du bien- porter de la société entière et de la maîtrise symbolique du cycle végétatif, garant de l’abondance sans cesse renouvelée, comme dans l’engraissement des bouviers Masa. Il constitue un élément central d’un culte de fertilité, notamment de l’ancien culte tahitien de l’abondance, et de la compréhension du rapport particulier au corps des Tahitiens que l’on retrouve jusqu’à aujourd’hui.

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<SIGNATURE>Christophe S ERRA M ALLOL

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