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Activités navales et infrastructures maritimes: les éléments du pouvoir fatimide en Méditerranée orientale (969-1171)

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Depuis Ibn Khaldûn (m.1406) la marine fatimide a fait l’objet d’avis très contradictoires1. Considérée

comme la plus puissante des marines musulmanes par les uns, elle est au contraire décriée par les autres2. Dans les deux cas, les périodes

chronologiques envisagées ou la grille d’analyse utilisée par les auteurs ne permettent pas réellement d’avoir une vision d’ensemble. Face à cette divergence d’opinions, il est peut-être nécessaire de revenir sur quelques éléments du pouvoir naval fatimide ou plutôt sur certaines de ses manifestations les plus visibles, c’est-à-dire l’activité des flottes de combat et les infrastructures maritimes permettant ces activités, et de les replacer dans une période plus longue que celle abordée généralement.

La réflexion sur la notion de pouvoir entraîne la prise en compte d’au moins trois facteurs essentiels à l’exercice d’un pouvoir sur une zone géographique donnée ; des potentialités géographiques, une stratégie et des acteurs3. En 969, après environ

soixante ans passés en Ifriqiya, les Fatimides se lancèrent à l’assaut de l’Egypte et de la Syrie. Ce n’est pas sans difficultés qu’ils mirent la main sur un ensemble de villes côtières allant de l’ouest du delta du Nil à Lattaquié en Syrie, ces villes étant le plus souvent dotées de toutes les infrastructures nécessaires à la navigation, elles offraient ainsi toutes les potentialités pour l’exercice d’un pouvoir sur la Méditerranée orientale. Néanmoins, dans la stratégie fatimide, l’Egypte et la Syrie ne devaient constituer que des étapes sur la route de l’Iraq, ultime objectif d’une dynastie qui considérait les Abbassides comme des usurpateurs. Dès lors, les Fatimides tentèrent à maintes reprises de réaliser leur grand dessein sans jamais y parvenir. En proie à de multiples difficultés

dans la province du Bilâd al-Shâm (Syrie-Palestine) et en Egypte même, les Fatimides paraissent avoir peu à peu révisé leurs prétentions à la baisse et semblent s’être contentés de maintenir autant que possible leur influence sur ces deux provinces4. Le

changement d’objectif était clair, il ne s’agissait plus de conquérir des zones lointaines mais de tenter de se maintenir au pouvoir au Caire en exploitant au mieux les potentialités offertes par les zones côtières, sources de rentrées fiscales importantes. La stratégie devait donc se modifier en conséquence. La marine, qui pouvait apparaître au départ comme le simple auxiliaire, un acteur secondaire d’une conquête finale forcément terrestre, devint rapidement un élément majeur de la survie des Fatimides. Les autres acteurs du pouvoir fatimide qu’étaient les hommes envoyés par Le Caire, ou au moins soumis au contrôle de l’administration centrale, ne jouèrent pas toujours, dans les villes littorales, le rôle souhaité par les califes. Le contrôle des nombreux ports du Levant ne s’avéra donc pas aussi évident que prévu tant du fait de mouvements de révolte qu’à cause de la présence des Byzantins à quelques encablures des ports sous domination égyptienne5. Ainsi, les

Fatimides durent mettre en place des modes de gestion répondant avant tout à l’exigence de ne pas perdre si ce n’est le contrôle réel du moins la reconnaissance théorique par ces cités du pouvoir fatimide. Une reconnaissance qui permettait de récolter le numéraire indispensable au financement d’une armée toujours plus nombreuse et source principale de déstabilisation du régime fatimide. A partir de 1099, l’arrivée des Croisés bouleversa considérablement la donne. Les Fatimides durent alors lutter pied à pied pour tenter d’empêcher les

Activités navales et insfrastructures maritimes :

éléments du pouvoir fatimide en Méditerranée orientale

(969-1171)

David BRAMOULLÉ

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villes cotières syro-palestiniennes de passer sous domination franque. Cette lutte ne prit fin qu’avec la disparition des Fatimides en 1171.

Ce n’est qu’en étant pleinement conscient de ce contexte politique et géographique que l’on peut réfléchir à la dynastie fatimide en tant que pouvoir méditerranéen. C’est également en fonction de ces évolutions d’objectifs et de stratégies que l’on peut tenter de réfléchir à la distinction entre deux notions proches mais distinctes, celle de puissance navale et celle de puissance maritime. La première reposant sur l’activité des flottes de combat, la capacité à les mettre en action, la seconde étant peut-être davan-tage fondée sur le contrôle effectif, réel de zones côtières, d’infrastructures maritimes grâce à la mise en place de troupes ou d’une administration. Cette distinction, qui peut sembler spécieuse à certains, paraît pourtant à même d’apporter des nuances aux jugements jusque là émis à propos de la marine fatimide.

Dans ce contexte singulier d’étirement de la façade littorale fatimide puis de forte contraction, il est intéressant de voir de quelle manière et dans quel contexte les Fatimides surent utiliser leurs flottes de guerre et comment ils parvinrent à mettre en place puis à maintenir un cadre administratif et militaire capable de gérer un réseau portuaire ancien et vaste, mais aussi instable (fig. 1).

Les sources

Il faut souligner le désintérêt général pour les choses de la mer de la part des auteurs musulmans, qu’ils soient historiens ou géographes. De plus, les

historiens de la période fatimide ne sont généralement connus que par des auteurs postérieurs qui ont souvent inséré des passages entiers de documents aujourd’hui disparus, sans toujours préciser quelle était leur contribution exacte6. Seule

une chronique écrite par un membre de l’administration fatimide et relative à l’année 1024 a été conservée7. L’aridité des sources rend donc

nécessaire la consultation d’ouvrages traitant de dynasties ou de territoires périphériques au domaine des Fatimides et avec lesquels ils eurent des contacts, ainsi que des textes écrits par des auteurs chrétiens, qu’ils soient Arabes, Byzantins ou Francs au moment des croisades8. Les opinions politiques et religieuses

des Fatimides ont également pu influencer dans des proportions difficiles à évaluer avec précisions, les récits des historiens postérieurs, selon qu’ils étaient shiites ou sunnites. Enfin, devant l’indigence des sources écrites concernant l’architecture portuaire, il est absolument nécessaire de faire appel à l’archéologie.

L’évolution du rapport de force entre les marines fatimide et chrétienne

Peut-être plus intéressant et révélateur de la puissance navale que le simple sort des armes dont l’histoire montre combien il peut être soumis aux éléments naturels si capricieux sur les rives de la Méditerranée, est l’aptitude d’une dynastie a lancer des flottes, des navires, des expéditions maritimes. Cela révèle peut-être de manière plus pertinente les capacités navales d’une dynastie, surtout dans le cas où la dynastie en question est confrontée à un contexte difficile. Les documents permettent de dégager trois grandes phases d’action de la marine fatimide.

969-1000

La première de ces périodes correspond à la phase de conquête, d’installation, et de stabilisation du pouvoir fatimide en Egypte et sur la côte syro-palestinienne. Au total, les textes mentionnent explicitement une dizaine de fois l’expédition de navires de guerre par les Fatimides entre 969 et 1000. Il faut insister sur les épisodes les plus tragiques de l’histoire navale fatimide pour mettre en évidence leur capacité à agir et à réagir. Signalons toutefois, que lorsqu’en 969, le général Jawhar quitta l’Ifriqiya et se lança à la conquête de l’Egypte pour le compte

Lattaquié Tripoli Beyrouth Sayda Tyr Acre Haifa Damas Césarée Mahuz Junieh Jbeil Jaf fa Ramlah Ascalon Mahuz Yubna Mahuz Azdud Mimash Arsuf Al-íArish Al-Farama Al-Fustat-Le Caire Damiette Tinnis Alexandrie Rashid NastarawBurullus

Figure 1. Ports et villes côtières fatimides en

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du calife al-Mu‘izz (953-975), les textes mentionnent clairement l’utilisation de navires. En effet, une intense activité de construction navale et de préparatifs est signalée lors des derniers mois de présence de l’armée fatimide en Ifriqiya. La flotte fatimide s’était d’ailleurs rassemblée à Tripoli qui servit de base navale pour l’attaque de l’Egypte9.

Très rapidement des navires en provenance de Tinnîs, Damiette et d’autres points de la côte remontèrent le Nil pour aider les troupes fatimides qui assiégeaient alors Fustât, capitale de l’Egypte10.

A partir du moment où Jawhar s’assura la main mise sur l’Egypte, une activité navale conséquente se développa. Les Fatimides se trouvaient alors dans une dynamique d’expansion territoriale et dans une logique de consolidation de leur pouvoir en Egypte et en Syrie. Cette logique s’appuya donc assez normalement sur la marine contre plusieurs opposants différents. Al-Maqrîzî rapporte d’ailleurs que durant le règne d’al-Mu‘izz et des ses fils de nombreux navires furent mis en chantier11. Ainsi, dès

972, alors que la situation n’était pas totalement stabilisée en Egypte et que le calife demeurait encore en Ifriqiya, Jawhar envoya quarante navires (marâkib) sur le Nil afin de mater une rébellion dans la province du Sa‘îd en Haute Egypte. Au même moment, les sources signalent quinze navires arrivant d’Ifriqiya pour aller délivrer des troupes fatimides assiégées à Jaffa. Treize des bâtiments et leurs équipages paraissent avoir été détruits et les deux autres furent capturés par une flotte byzantine12. Pourtant, dès l’été 973, les Fatimides

prirent sept navires aux Carmâtes venus attaquer Tinnîs13. Le calife al-Mu‘izz, en Egypte depuis mai,

est même signalé dans un exercice typiquement fatimide, la revue de la flotte sur le Nil, près du Caire14. Après cette date, si les actions navales

fatimides ne sont pas explicitement citées, elles sont sous-entendues par les textes qui mentionnent nombre d’expéditions de troupes vers les côtes syro-palestiniennes.

De 993 et jusqu’en l’an mil environ, plusieurs actions maritimes sont de nouveau clairement citées. Il s’agissait toujours pour les Fatimides de prendre pied en Syrie, notamment en Syrie du Nord, ou de réprimer quelques révoltes urbaines. Dans une telle situation, les flottes des deux puissances ennemies furent mobilisées et les navires fatimides furent actifs durant deux étés consécutifs (juin 993 et juillet 994)15. Cependant, les Fatimides semblent avoir

connu de grandes difficultés car les faubourgs de

Tripoli furent pillés deux années de suite et de nombreux prisonniers se retrouvèrent sur les ponts des navires chrétiens. Une défaite du général fatimide Manjûtakîn en Syrie du nord décida le calife al-‘Azîz (976-996) d’aller lui-même se battre. La marine fut mise à contribution car le calife donna l’ordre à son vizir de mettre en chantier une flotte qui devait se rendre jusqu’à Tripoli avec tout le matériel nécessaire. Le vizir ‘Isâ Ibn Nestûrus fit effectuer tous les préparatifs dans l’arsenal de Fustât, mais le jour du lancement de la flotte, un incendie ravagea seize navires. La suite du texte semble indiquer qu’il s’agissait là de l’ensemble de la flotte. Une nouvelle escadre fut immédiatement mise en construction à l’aide des poutres de plusieurs bâtiments officiels. Indice mettant en évidence que la dynastie n’avait pas de bois disponible à ce moment là. Vingt-quatre navires purent ainsi être équipés et prirent la mer pour assister Manjûtakîn devant Tortose. Mais le mauvais temps drossa les navires à la côte et les détruisit complètement ainsi que l’équipage, dont les survivants regagnèrent le rivage à la nage et furent faits prisonniers16. Les disparitions consécutives de

deux flottes et de plusieurs équipages auraient pu sonner le glas, au moins pour un temps assez long, de toute entreprise navale. Pourtant, les Fatimides durent rapidement armer une nouvelle flotte et trouver de nouveaux équipages puisque vingt navires fatimides prirent la mer, pour réprimer la révolte de la ville de Tyr en juin 998. Un des bateaux grecs appelés à l’aide par les rebelles fut même capturé17.

Après quoi, plusieurs villes côtières fatimides furent attaquées mais, finalement, une trêve de dix années fut signée entre l’empereur et le calife al-Hâkim (996-1021)18.

La régularité avec laquelle les Fatimides armèrent des navires et les expédièrent vers les côtes syro-palestiniennes malgré les difficultés d’approvision-nement en bois, la disparition de flottes entières et même de leurs équipages, met bien en relief toute la détermination et la capacité navale de la dynastie dès son arrivée en Egypte, à un moment où même la sécurité des ports de Syrie n’était pas assurée. L’intense activité navale relevée en trente ans contraste avec celle qui suit.

1000-1099

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comparativement qu’assez peu (sept fois) l’activité navale fatimide. Ce calme ne permet cependant pas de parler d’un affaiblissement de la marine fatimide19.

La trêve de 1014 prit fin en 1021-1022 car des navires quittèrent l’Egypte avec des chevaux et des hommes pour se rendre à Tripoli afin de faire face à la reprise des hostilités contre les Byzantins20.

L’année suivante, plusieurs bâtiments participent aux festivités organisées chaque année sur le Nil lors de la crue estivale. Cependant, des troubles éclatèrent et, à l’été 1024, des navires de guerre neufs (marâkib

harbî jadîd) sont signalés. Des navires de transport et

de guerre quittèrent al-Fustât avec à leur bord des troupes. Cette flotte prit la direction de Tyr, Tripoli et d’autres points de la côte qui ne sont pas précisés, mais dont on sait qu’ils étaient assiégés par les tribus bédouines de Syrie intérieure et de Palestine, alors engagées dans un mouvement de révolte qui fut anéanti en 102721. Après quoi, les textes ne

mentionnent pas clairement de manifestation de la flotte fatimide jusqu’en 1054. Il est vrai qu’entre 1024 et 1054, les sources font état de la signature d’au moins quatre trêves avec les Byzantins22. La

situation de calme relatif entre les deux ennemis explique donc partiellement l’absence d’activité navale fatimide. Cependant, en 1055, la remise en cause d’un accord passé entre le calife al-Mustansir (1036-1094) et l’empereur quant à une livraison de grains, provoqua une confrontation navale qui se solda par la défaite des galères musulmanes (shîniyyîn al-muslimîn), la capture du général fatimide Ibn Mulham et de nombre de ses hommes qui assiégeaient Lattaquié et Apamée en rétorsion à l’annulation du convoi de grains promis23. Tripoli et

d’autres points de la côte furent attaqués par les Byzantins. Après cette débâcle fatimide, tout porte à croire qu’une trêve fut conclue et les navires de guerre durent être mis en cale sèche car les textes demeurent silencieux24.

A partir de 1065 et jusqu’en 1072, le contexte de guerre civile entre les troupes noires et les troupes turques contribua à ruiner complètement le calife al-Mustansir. La situation ne paraissait par conséquent pas propice à l’existence d’une force navale. Pourtant, en 1068-1069, trente deux galères de combat (‘ushâriyât) qui, d’après le texte, faisaient partie de la force maritime (min al-quwat al-bahriyya), furent envoyées vers une destination inconnue. Al-Maqrîzî semble indiquer que cette force maritime se composait de davantage de navires encore et que ces bâtiment

s’éloignèrent avec à leurs bords des richesses s’élevant à plusieurs milliers de dinars25. La présence d’une telle

flotte à un moment où les finances de l’Etat avaient été réduites à leur plus bas niveau depuis des années, et alors que les troupes n’étaient plus payées depuis longtemps, met en évidence qu’une marine conséquente était entretenue et pouvait prendre la mer à tout moment. Cette flotte semble avoir été renforcée par l’arrivée du général Badr al-Jamâlî en Egypte en 1073. Ce dernier était gouverneur d’Acre et le calife fit appel à lui pour rétablir la situation. Souhaitant profiter de l’effet de surprise, Badr ne fit aucun état des avertissements et décida de prendre la mer dès décembre 1073. Sa flotte se composait d’assez de bateaux pour que les sources mentionnent cent navires et dix mille hommes26. S’il est évident que l’armée de

Badr dut être plus réduite, même de moitié, cela laisse quand même envisager une escadre de cinquante navires arrivant à Damiette où les troupes débarquèrent, c’est-à-dire bien plus que toutes les flottes fatimides évoquées jusque là. En dépit du retour au calme en Egypte et de ce qui peut apparaître comme un renforcement de la marine fatimide, les textes ne mentionnent pas clairement d’action navale après cette date de 1073. Pourtant, les troupes fatimides de Badr furent envoyées à plusieurs reprises sur le littoral syro-palestinien pour reprendre en mains les villes côtières de Tripoli, Jbeyl (fig. 2), Sayda, Tyr et Acre (fig. 3) qui avaient profité des troubles en Egypte et des difficultés de la dynastie pour rejeter la tutelle égyptienne27. Si la flotte fatimide n’est pas

évoquée dans ces opérations, la stratégie classique des Fatimides qui consistait à faire partir une armée par voie de terre et une flotte transportant du matériel militaire et des troupes laisse supposer que la marine fut utilisée dans ces actions. Comment interpréter pourtant les difficultés avec lesquelles les Fatimides reprirent le contrôle des villes côtières ? Faut-il y voir l’absence d’utilisation de la flotte dans un effort concerté avec les troupes terrestres ? En fait, les textes mentionnent clairement que l’échec des diverses actions fatimides contre ces villes fut provoqué par l’abandon du siège terrestre sous la menace d’une avancée des troupes seljoukides appelées à l’aide par les rebelles.

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1099-1171

La dernière période s’étend de 1099 à la fin du règne fatimide en 1171. Elle contraste pour le moins fortement avec la précédente puisque la marine fatimide fut engagée au moins à vingt huit reprises contre les Croisés. Deux phases sont à distinguer qui permettent de mettre en évidence la capacité navale fatimide.

La première de ces phases s’étend du début de la présence croisée en Syrie à la perte de la dernière base navale fatimide en Palestine en 1153. La marine fatimide connaît une sorte d’hyper activité bien compréhensible du fait de l’avancée progressive et inéluctable des troupes croisées. Encore une fois, il ne s’agit pas de compter les points entre les deux adversaires mais de constater comment les Fatimides réagirent « navalement » à la présence et à la progression d’une force maritime bien supérieure en navires, équipages… 28.

Si l’on part du principe évident que le nombre de bases navales à disposition d’une puissance constitue un des éléments majeurs de l’exercice d’un pouvoir naval et maritime, alors l’avancée franque représenta pour les Fatimides une véritable catastrophe. Entre 1099 et 1110, huit des dix ports fatimides de la côte syro-palestinienne passèrent sous domination franque, limitant à chaque fois un peu plus le champ d’action de la flotte fatimide. Pourtant la marine égyptienne est active presque chaque année entre ces deux dates29. En 1105, une flotte fatimide

de vingt cinq navires faisant voile vers Tyr et Sayda est détruite par une tempête30.

Mais en 1108, les navires fatimides défont la marine vénitienne qui assiégeait Sayda31. En 1109, les navires égyptiens,

retardés par un vent contraire et surtout par les atermoiements du vizir al-Afdal quant à la nécessité d’aller engager sa marine pour libérer Tripoli qui depuis longtemps déjà n’était sous tutelle fatimide que de manière très théorique, ne peuvent rien faire pour empêcher la ville, alors assiégée par quelque soixante à

Figure 3. Acre musulmane et croisée d’après R. Gertwagen

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soixante dix navires génois de tomber aux mains des Francs32. Le principal problème des Fatimides est

alors de faire face à la multiplication des flottes chrétiennes car, l’année suivante, en plein hiver, Beyrouth subit le siège de vingt deux galères génoises et à l’été ce sont quelque cinquante cinq navires norvégiens qui bloquent le port de Sayda33.

Malgré tout, une flotte fatimide formée des escadres de Tyr et de Sayda, sur lesquelles nous ne savons rien, tente une action pour libérer Beyrouth. Mais l’escadre de Sayda demeure bloquée par la flotte

norvégienne34. Après 1110, hormis les ports

égyptiens, il ne reste plus aux Fatimides que les bases de Tyr, véritable forteresse en mer (fig. 4), et celle d’Ascalon, au contraire considérée par les géographes arabes comme un mauvais port qui n’offrait pas d’abri (fig. 5)35.

Malgré l’adversité, les Fatimides ne désespèrent pas et continuent à lancer des navires. Soixante cinq bateaux fatimides sont mentionnés à Jaffa en 111536.

Mal protégée, la flotte fatimide est détruite à Ascalon en 1123 par une flotte vénitienne comprenant plus de cent bâtiments37. Elle ne put en conséquence pas

intervenir lorsque, en 1124, Tyr tomba après cinq mois de siège. L’année 1123-1124 fut une année noire pour les Fatimides qui virent disparaître leur flotte et leur meilleur port hors d’Egypte. Il faut alors attendre 1126 pour de nouveau entendre parler de navires égyptiens, les Fatimides parviennent tout de même à lancer environ vingt-trois galères et cinquante trois navires de transport contre des côtes maintenant franques et sur Chypre38. Après cette date

la flotte fatimide est signalée de manière régulière par les sources. Elle était notamment utilisée pour amener des vivres, du matériel et des soldats vers Ascalon. En représailles au sac d’al-Faramâ par les Francs la flotte égyptienne parvint même à ravager Acre, Tyr, Sayda et Tripoli et à rentrer en Egypte avec des prisonniers39. Mais en 1153, tout semble

fini lorsque les Francs donnent l’assaut final sur Ascalon. Les Fatimides ne disposent plus cette fois-ci d’aucun point de relais pour faire de l’eau, handicap important lorsque la durée en mer s’allonge, bien que les géographes considèrent déjà celle d’Ascalon comme à demi saumâtre40. C’est

peut-être là que la force et le pouvoir naval de la dynastie se manifestèrent le mieux. Après 1153, les Fatimides continuèrent leurs efforts en matière de marine car des unités fatimides sont signalées dans le port de Tyr en 1155-1156, dans le port de Beyrouth et à Acre en 1157-1158. En 1158-1159 des navires quittent Alexandrie pour les côtes franques et rentrent avec beaucoup de succès. Enfin, en 1159-1160, des bâtiments prennent la mer vers la côte palestinienne41. Après cette date, la dynastie sombre

dans le chaos et les troubles intérieurs l’emportent. Pourtant, des navires sont encore armés en 1166-1167 alors que les Francs progressent vers Le Caire42. Enfin, en 1170-1171, le dernier vizir

fatimide, Saladin, fait transporter des bateaux en pièces détachées depuis la côte méditerranéenne vers la mer Rouge pour attaquer les Francs à revers43. 0 900 m

Figure 4. Tyr d’après R. Gertwagen

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Durant ces trois grandes périodes il est assez paradoxal de noter que ce fut à chaque fois au moment où les Fatimides étaient à priori dans la situation la plus défavorable à l’exercice d’un pouvoir naval qu’ils démontrèrent toute leur aptitude à utiliser leur marine et par là même prouvèrent qu’ils constituaient bien une puissance navale. Tant dans le premier moment de l’expansion et de la stabi-lisation de leur domination sur le Proche Orient (969-1000) que dans la troisième phase, celle de leur recul (1099-1171), les Fatimides furent dans la situation a priori la plus difficile en terme d’utilisation de leur marine. Les bases navales potentielles étaient éloignées d’Egypte, les capacités d’approvisionne-ment en bois d’œuvre ne cessèrent de s’amenuiser, sans parler du recrutement des marins, et finalement les Fatimides durent affronter non pas une seule puissance navale, comme c’était le cas dans la première phase, mais au moins trois ou quatre marines différentes, la plupart du temps largement supérieures en nombre. Malgré tout, les Fatimides résistèrent grâce à leur marine et maintinrent un effort naval régulier qui leur permit d’armer des flottes composées de toujours plus d’unités au prix d’un effort financier grandissant et d’une dépendance à l’égard des marchands chrétiens fournisseurs de matières premières de plus en plus forte44.

Composition des flottes et des équipages

Car la marine, c’est avant tout des navires et des marins. Si les sources relatant les premières expédi-tions fatimides en Méditerranée orientale ne citent jamais plus de vingt bateaux, les expéditions du XIIe siècle se font souvent avec des flottes allant de quarante à plus de cinquante bâtiments. Certains textes, tardifs, indiquent même que le total de la flotte fatimide à cette période s’élevait entre soixante quinze et quatre vingt dix galères de guerre (shîni) plus dix transports de troupes (shîni hamala)45. Mais

les sources ne se préoccupent que bien peu de « ces vers sur des bouts de bois » affrontant l’immensité de la mer46. Le terme le plus courant est celui de navire

(markab pl. : marâkib) ou de navire de guerre (marâkib harbî). Parfois cependant, le vocabulaire s’étoffe et les textes évoquent alors des galères (shîniyâ ou shawânî) ou encore ‘ushariyât47. Les

navires de transport (shalandî pl. : shalandiyât)) sont également cités comme composant les flottes fatimides qui semblent le plus souvent avoir été engagées non pas dans des actions en pleine mer,

même si ce fut le cas, mais dans des débarquements de troupes pour assister d’autres forces terrestres48.

D’autres types de bâtiments apparaissent sans pour autant qu’il soit fait allusion à leur forme. Ainsi, vers 1025 est mentionnée la disparition d’un navire dit

hamâma (pl.: hamâ’îm) qui faisait la liaison entre Tyr

et l’Egypte et qui était chargé de rapporter au calife les relations des événements de Syrie à ce moment ainsi que la neige servant au sorbet du calife49. Enfin,

un dernier terme apparaît, lui aussi imprécis, il s’agit des navires jirânî50. Il est évident que les Fatimides

ne se privèrent pas de réquisitionner des navires de marchands lorsqu’ils en avaient besoin voire d’en acheter tout faits aux cités italiennes et ailleurs comme ce fut le cas en 114751. A aucun moment

cependant, les textes ne se préoccupent de donner des détails supplémentaires quant aux formes des embar-cations ou aux modes de propulsion exacts, dont une des forces essentielles semble avoir été la force des bras humains.

Evidemment, tout navire nécessite des hommes mais les sources, par leur silence, laissent plutôt l’impression d’équipages fantômes. Pourtant, selon des textes tardifs il est vrai mais utilisant des archives fatimides, il apparaît que quelque cinq mille hommes composaient la force navale fatimide52. Il y avait

évidemment les capitaines de navires (rû’asa) et leurs marins (bahrî ou nawâtiyât al-marâkib) qui, lorsqu’ils ne sont pas des esclaves comme durant de l’expédition de Tyr en 998, se révoltent parfois contre leurs salaires ou contre l’eau de plus en plus croupie, surtout après la perte d’Ascalon53. Ils

donnent alors l’occasion de faire parler d’eux. Seul un texte fournit des détails supplémentaires. Il y apparaît alors qu’une expédition navale ne consistait pas seulement en l’envoi des allumeurs de feu (mashâ‘iliya), des cavaliers (fâris), de la piétaille (râjil) et de leurs chefs (‘ûmrâ’). Ces entreprises duraient plusieurs jours, les possibilités de mourir en mer ou ailleurs étaient grandes. Il ne faut donc pas s’étonner que les Fatimides aient pris soin d’envoyer avec leurs troupes, des hommes capables de guérir les corps, tels les docteurs (al-â’tbâ’), mais aussi les âmes, avec des muezzins (al-mû’adhinîn) et des lecteurs du Coran (al-qurrâ’) qui participèrent à l’expédition préparée en mars 112354. Cependant, la

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textes indiquent clairement que si la population égyptienne la plus démunie n’était pas enrôlée de force dans la flotte, les Maghrébins qui se trouvaient en Egypte n’avaient pas cette chance. Ceux qui avaient quelque argent payaient la zakât (aumône légale), sinon ils se voyaient contraints d’entrer dans la marine en raison de leur connaissance du métier. Ils se cachaient donc pour échapper à la conscription55. Comme en 1025, les marins des

flottes commerciales purent également être enrôlés, mais cela pénalisait alors le départ des navires marchands et les Fatimides n’avaient aucun intérêt à cela56.

Cette capacité de résistance navale, cette aptitude à expédier des flottes et leurs équipages ne pouvaient que s’appuyer sur une administration et une organi-sation spécifiques.

L’organisation navale fatimide

Il est clair qu’une telle aptitude à maintenir le cap en terme de marine, malgré les troubles internes et les difficultés extérieures, ne pouvait s’appuyer que sur une administration bien huilée et opérationnelle.

Marine, littoraux et administration centrale

D’un point de vue administratif, les territoires fatimides étaient divisés en deux provinces distinctes ayant chacune une administration spécifique. L’Egypte constituait un premier ensemble et la province de Syrie-Palestine ou Bilâd al-Shâm formait la deuxième grande province. D’après al-Musabbihî, le Dîwân al-Shâm ou Secrétariat à la Syrie-Palestine était chargé de contrôler les comptes des représentants du pouvoir central dans cette province57. Cependant, les villes littorales,

notamment celles de Syrie et de Palestine, étaient considérées comme des villes frontières du fait de leur proximité avec l’ennemi byzantin. En conséquence, elles étaient gérées par un secrétariat spécifique appelé le Secrétariat des postes frontières ou Diwan al-thughûr qui était également chargé de contrôler le bilan financier des gouverneurs nommés à leur tête. Les textes mettent en évidence que cette division administrative fut créée dès l’arrivée des Fatimides dans la région. Ceux-ci souhaitaient certainement donner un rôle spécifique à ces ports dont les gouverneurs étaient tous nommés et responsables devant la personne même du calife. Toutes les grandes villes littorales depuis Tripoli

jusqu’à Ascalon avaient un gouverneur spécifique58.

Il faut noter qu’à cette époque, c'est-à-dire à la fin du Xesiècle, les ports égyptiens n’étaient pas considérés comme des postes frontières. Ce n’est qu’à partir de l’arrivée des Francs et de la perte des villes littorales que le terme de thughûr fut appliqué aux ports égyptiens. Enfin, l’administration centrale comportait un service appelé indifféremment dîwân

al-Jihâd ou dîwân al-Ammâ’ir (Secrétariat au Jihâd

ou à la construction navale) entre autres chargé de la construction navale, de la coupe du bois, du paiement du salaire des marins. Il est particulièrement intéressant de noter que les deux termes étaient associés dans l’administration fatimide. Signe sans doute de l’importance pour la dynastie du rôle de la marine dans la réalisation du Jihâd. Nous ne connaissons malheureusement pas actuellement le moment où ces termes apparurent au sein de l’administration, ce qui pourrait donner quelques indices sur les modifications de stratégie fatimide. Quoi qu’il en soit, ce bureau était en relation directe et étroite avec le vizir ou le calife59. La nécessité de

trouver du bois et de préserver les zones de production paraît avoir contribué à créer un service spécial d’approvisionnement, au moins en Egypte. Les forêts d’acacias de la haute vallée du Nil étaient protégées et surveillées. Au mois d’avril, des troncs étaient débités et transportés par bateau jusqu’à Fustât. Les charges étaient pesées à leur point de départ, un bon de transport était remis au capitaine du navire et, à l’arrivée, les services officiels pesaient de nouveau le bois pour éviter les fraudes60. Les autres

produits nécessaires à la construction navale comme le fer et la poix étaient achetés par un autre organisme central appelé le Matjar qui imposait un monopole d’Etat sur ces produits dits stratégiques. Les Fatimides payaient les deux tiers des sommes dues aux marchands chrétiens en nature, avec de l’alun, le reste était payé en monnaie61. Ce système

évitait évidemment aux Fatimides de limiter la sortie de numéraire hors d’Egypte. Trois administrateurs en rapport direct avec un des plus grands dîwâns fatimides géraient ce service particulier62.

Ainsi, à l’échelle de l’administration centrale, l’impression dominante est celle d’une forte centrali-sation des décisions en matière de gestion des espaces littoraux.

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Palestine se caractérise par une grande difficulté à contrôler durablement l’intérieur de ces régions. Les Fatimides paraissent s’être peu à peu contentés d’un contrôle des villes littorales aux débouchés des routes caravanières venant de l’intérieur et qui permettaient notamment à l’Egypte de recevoir du blé en cas de mauvaise récolte. Toutefois, même dans les villes côtières, la main mise fatimide paraît souvent avoir été relativement fragile et les hommes placés là comme gouverneurs étaient parfois peu dignes de confiance. En effet, l’installation des Fatimides au Proche Orient est marquée par la révolte de nombre de cités côtières, notamment des plus importantes. Ainsi, dès les années 990 puis de nouveau à partir de 1070, Tripoli et Tyr tentèrent de rejeter la tutelle du Caire63. Les sources indiquent

que lorsque al-Hâkim prit le pouvoir en 996, il multiplia les fermes de taxes. Il donna par exemple en gestion les villes côtières de Tyr, Sayda et Beyrouth à un homme qui n’avait pas fait preuve d’une grande loyauté lorsqu’il était en poste à Alep64.

Les textes semblent ainsi indiquer qu’à partir du califat d’al-Hâkim, plusieurs villes côtières furent confiées en gestion à des gouverneurs non pas sélectionnés sur leurs capacités à tenir la ville, même si cela était une des exigences, mais davantage sur leur niveau de richesse et leurs capacités à fournir au Trésor fatimide la somme estimée des taxes annuelles de la ville. Les Fatimides comptaient alors sur l’engagement personnel des gouverneurs qui avaient ainsi tout intérêt à ce que les villes qu’ils administraient restent calmes s’ils voulaient récupérer leur mise de départ souvent énorme. Pour ce faire, les gouverneurs levaient ensuite les impôts comme ils le souhaitaient et disposaient de la force publique pour faire payer les récalcitrants. Les textes mettent en évidence que les Fatimides laissèrent s’implanter dans les villes côtières des dynasties de gouverneurs ou de cadis qui s’enrichissaient grâce au commerce et qui furent souvent les premiers à tenter de secouer le joug fatimide dès que l’occasion se présentait. Ce mode de gestion, si surprenant soit-il de la part d’une dynastie perçue comme très centralisatrice, paraît avoir été pensé par les califes. Cela leur permettait de récolter beaucoup de numéraire. Un tel système n’a pu qu’orienter l’organisation navale fatimide.

Concentration des flottes et du commandement

Il faut effectivement remarquer que, lorsqu’il en est fait mention, la grande majorité des opérations navales organisées par les Fatimides eurent pour point de départ l’Egypte et même plus particulière-ment les arsenaux d’al-Fustât-Le Caire. Les textes indiquent bien que le gouverneur militaire de Tripoli, donc le plus près des Byzantins, avait sous son commandement unique les forces terrestres et maritimes des autres places fortes littorales, de Tripoli à Tyr65. Cependant, l’examen des diverses

expéditions navales révèle qu’en fait, ces cités côtières constituaient le plus souvent le point d’arrivée d’une flotte égyptienne. Les textes n’évo-quent pas de manière explicite la présence de navires de guerre sous contrôle des gouverneurs locaux.

Seuls quelques passages permettent de penser qu’il devait y avoir des escadres locales, sans doute modestes. Ainsi, lorsqu’en février 1047 le voyageur persan Nâsir-i Khusraw arriva à Tripoli, il remarqua que le sultan d’Egypte y possédait des navires « qui se rendaient en Grèce, en Sicile, au Maghreb pour y faire le commerce »66. S’il est tout à fait possible que

ces navires puissent devenir des navires de guerre, pour peu qu’ils soient pourvus du matériel nécessaire et de soldats, l’auteur qui vient alors de préciser que le port de Tripoli était sans cesse en alerte du fait de la proximité des Byzantins n’en souffle mot. Le même auteur indique également qu’à proximité de Tinnîs se trouvaient de nombreux navires, que beaucoup appartenaient à des marchands mais que la majorité «…étaient la propriété du Sultan », c’est-à-dire du calife67. Cependant, la ville de Tinnîs était un

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Enfin lorsqu’en 1073 Badr al-Jamâlî, gouverneur d’Acre, quitta le port pour se rendre en Egypte, il prit 100 navires avec lui68. Il faut évidemment tenir

compte de l’exagération, mais il reste cependant peu probable qu’un gouverneur d’une cité côtière ait eu à sa disposition une force navale qui paraît plus que conséquente. En fait, il est indiqué qu’à cette époque, Badr, qui avait été assiégé dans Acre par divers rebelles, recevait sans cesse par mer des approvisionnements69. Il est ainsi tout à fait possible

de penser que sa flotte se composait en fait d’un certain nombre de navires qui avaient pu lui être envoyés précédemment pour le ravitaillement de l’escadre locale et de navires appartenant à divers marchands de la ville. Badr al-Jamâlî avait en effet de bonnes relations avec les marchands qui lui confièrent de l’argent dès son arrivée à Damiette. Ceux-ci avaient tout intérêt à ce que Badr réussisse dans sa mission de restauration de l’ordre en Egypte et on peut supposer que les marchands d’Acre contribuèrent par leurs navires à cette entreprise. Il s’agit évidemment là d’hypothèses tout à fait susceptibles d’être remises en cause par de nouveaux éléments. Enfin, durant les divers épisodes qui opposèrent les Fatimides aux Francs, les textes qui mentionnent des flottes de Tyr ou de Sayda n’évoquent qu’un nombre très limité de navires. Ainsi, en 1103, douze galères seulement sortirent de Tyr et Sayda pour aller s’opposer aux seize navires chrétiens qui bloquaient Acre70. En 1109 et 1110, les

allusions à des flottes considérées comme locales semblent en fait correspondre à des éléments de la flotte égyptienne qui avaient été répartis dans les divers ports de la côte71.

Les Fatimides paraissent avoir été très conscients de l’importance de la marine dans la formation de leur pouvoir et de l’obligation qu’il y avait à en disperser le moins possible les éléments et le commandement. Ainsi, toutes les expéditions navales pour lesquelles les textes donnent quelques détails mettent en évidence une chaîne de commandement très courte et extrêmement centralisée. En cela, les Fatimides restèrent fidèles à ce qui existait déjà en Ifriqiya. Lorsqu’en 969, les Fatimides s’avancèrent vers l’Egypte, la direction de la flotte alors en attente à Tripoli de Libye fut confiée à l’amiral qui n’était autre que l’émir de Sicile, Hasan al-Kalbî, et il recevait ses ordres du calife seulement. Mais Hasan décéda à Tripoli en 97072. Lors de la première

expédition réellement égyptienne, le calife n’étant pas encore arrivé du Maghreb, son général Jawhar

ordonna aux navires de partir pour mater la révolte dans le haut Sa‘id. Avec l’installation de la dynastie et la mise en place d’une administration un peu plus étoffée, les choses ne paraissent pas avoir évolué. Des sources tardives décrivent sommairement le fonctionnement du Dîwân al-Jihâd ou al-Ammâ’ir. Ce bureau était en relation directe et étroite avec le vizir et le calife73. La chose semble confirmée par

Yahya Ibn Sa‘id qui évoque l’épisode de la construc-tion d’une flotte de guerre dans l’arsenal du Caire sous les ordres du vizir ‘Isâ Ibn Nesturûs (993-996) en mars-avril 99674. De même, plusieurs dizaines

d’années plus tard, au mois de mars 1123, un texte contemporain du calife al-Âmir (1101-1138) précise que dans la perspective d’une action contre les Francs, le calife ordonna à son vizir d’aller aux deux arsenaux (sinâ‘atayn), de procéder aux dépenses pour l’armement de quarante galères, les soldats et les vingt chefs qui partiraient75.

La place donnée à l’Egypte dans la stratégie navale fatimide s’explique donc en grande partie par la concentration des organes de commandement entre les mains du calife ou du vizir ainsi que par le mode de gestion des autres cités côtières de Palestine et de Syrie. Dans la logique fatimide, on ne pouvait donc pas davantage disperser les lieux où étaient mis en chantier les navires composant la flotte. A aucun moment les sources ne mentionnent clairement l’existence d’un arsenal, c’est-à-dire un chantier naval procédant d’une volonté étatique, hors de l’Egypte, et peut-être même hors de l’ensemble al-Fustât-Le Caire pendant la période fatimide. En 1047, Nâsir-i Khusraw s’étonne même de la présence de charpentiers de marine à Haïfa où, précise-t-il, sont construits des navires de commerce destinés à la navigation maritime. En effet il s’agissait là d’une nouveauté car dans son trajet le long de la côte syro-palestinienne il n’en avait encore vu aucun76. Près du

Caire, il semble qu’il y ait tout d’abord eu un seul arsenal en fonction. Les sources mettent sa construction au crédit d’al-Mu‘izz77. Dès son arrivée

en Egypte en 973 le calife se rendit dans cet arsenal dit d’al-Maqs afin de passer la flotte en revue78. Cet

arsenal était encore en service sous le calife suivant puisqu’y furent mis en chantier les navires qui prirent feu79. Durant le califat d’al-Hâkim, l’arsenal était

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noyé à sa famille80. Ce Préposé était en charge de

tout ce qui touchait la gestion de l’arsenal et du Nil au sens large, comme par exemple le nilomètre de l’île de Rawda. Il ne s’agissait cependant que d’un administrateur, d’un exécutant qui ne pouvait apparemment pas réellement prendre d’initiatives en matière de construction. Toutefois, à partir d’une date indéterminée, il dut y avoir des modifications car un texte se référant à l’année 1123 signale que « tous les navires de la flotte étaient construits dans l’arsenal de l’île de Rawda (sinâ‘at bi-l-jazîra) », arsenal utilisé avant la venue des Fatimides. Ce passage met en évidence que l’arsenal dit de Maqs avait dû être délaissé à une date inconnue. Mais le vizir du moment, al-Ma’mûn al-Batâ’ihî, changea cela et ordonna que soient construits les galères de combat et les navires destinés à la navigation sur le Nil dans l’arsenal de Fustât (sinâ‘a bi-misr) alors que les bâtiments de transport et d’autres navires continueraient à être mis en chantier dans l’île. Pour ce faire, il décida d’agrandir l’arsenal de Fustât en y annexant un bâtiment commercial et il fit construire un pavillon dans lequel le calife venait pour faire la revue de la flotte81. Il semble ainsi que ces deux

arsenaux aient fonctionné ensemble jusqu’à la fin de la période fatimide. Certaines questions se posent quant à l’existence d’arsenaux fatimides dans les autres ports égyptiens, notamment Alexandrie et Damiette ou encore Tinnîs. Deux sources évoquent effectivement le terme d’arsenal (sinâ‘a) pour ces ports82. Les textes, rédigés par deux membres de

l’administration ayyoubide, font cependant allusion à une période dont les spécialistes ne savent avec certitude si elle fait référence à l’époque fatimide ou à la période ayyoubide83. La logique fatimide de

gestion directe de tout ce qui touchait à la marine de guerre, le danger qu’il y avait à faire construire des navires de guerre dans des ports susceptibles d’être attaqués par des ennemis, rendent peu probable l’existence d’arsenaux officiels dans les villes d’Alexandrie ou de Damiette, au moins jusqu’aux années 1160. Cela n’exclut pas pour autant la présence de chantiers privés. Il apparaît également que lorsqu’une flotte partait pour une expédition, le calife se déplaçait jusqu’à un pavillon sur le Nil et assistait à une parade navale où les navires de la flotte passaient devant lui, viraient de bord de concert et se livraient à divers jeux nautiques qui reproduisaient des situations de combat84. Les

marins subissaient ainsi un entraînement pour être capables de manier les navires avec dextérité.

L’existence de ce type de manifestations publiques mettant en scène le pouvoir naval du califat nécessitait la présence de la majeure partie de la flotte là où elle avait été mise en chantier, c’est-à-dire près de la résidence du calife.

Ainsi, nombre d’éléments mettent en évidence l’organisation extrêmement centralisée de la marine fatimide. Ce mode de fonctionnement rejaillit sur l’organisation même des expéditions navales de la dynastie et put même parfois constituer un handicap. L’organisation fatimide était en continuité avec ce qui avait été créé en Ifriqiya et en Sicile. Elle permet-tait de ne pas disperser la flotte et cela explique large-ment la résistance navale qu’opposèrent les Fatimides aux flottes chrétiennes qui ne purent ruiner les centres de fabrication. Cependant, cette tactique de concentration avait nombre de faiblesses. Si la mise en action de la flotte pouvait se faire en sécurité, beaucoup de temps était perdu du fait de l’éloigne-ment des grandes flottes fatimides des aires de combat. Cette tactique ne tenait pas compte non plus des conditions naturelles, notamment de la direction des vents dominants qui, au moment où la navigation a été ouverte dans la zone, soufflaient le plus souvent de nord-ouest, obligeant ainsi les navires à remonter au vent et entraînant parfois des retards considérables dans des actions qui ne pouvaient attendre. Il est possible d’estimer qu’il fallait en moyenne deux mois entre l’arrivée au Caire d’une nouvelle, les préparatifs de la flotte et la présence effective de cette flotte sur les lieux de l’action. La plupart des sièges entrepris par les Francs s’achevèrent en moins de six semaines85.

Ce système centralisé constitua donc à la fois une des forces de la flotte fatimide et se révéla également être son talon d’Achille lorsque les conditions du pouvoir en Méditerranée orientale furent remises en causes par les Francs. Selon toute vraisemblance, ce mode d’organisation de la flotte et de gestion des villes portuaires ne pouvait qu’avoir des consé-quences sur les infrastructures maritimes fatimides.

Les infrastructures navales fatimides

Un vaste et ancien réseau de villes portuaires

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qui paraît encore en activité vers 98086. Il est évident

que tous ces ports n’avaient pas le même statut ni la même importance en terme de capacité navale. La grande majorité des ports qui passèrent sous le contrôle des Fatimides existaient déjà avant l’arrivée de la dynastie dans la région et avaient été créés ou renforcés par les dynasties précédentes87. Les textes

arabes ne mentionnent malheureusement que peu les infrastructures maritimes égyptiennes et ne nous permettent pas de faire une comparaison entre les deux côtes. Tinnîs était située sur une île, mais le port ne paraît pas avoir été dans la ville comme c’était le cas des ports syriens et palestiniens, car il est écrit que les «…navires sont amarrés aux environs…88 ».

Il paraît pourtant y avoir eu deux ports, un pour les pêcheurs et l’autre pour le commerce. Un de ces deux ports, voire les deux, mais les choses ne sont pas claires, était entouré d’un mur car il fallait passer par une porte pour y entrer89. Cependant la ville

elle-même n’avait plus de murailles depuis le début de la présence fatimide. L’auteur chrétien Ibn al-Muqaffa‘ indique en effet que des rebelles sunnites terrorisaient les marchands de la ville et empêchèrent le gouverneur envoyé par al-Mu‘izz d’entrer. Ce

n’est qu’après trois mois de siège et seulement grâce à une ruse d’un des chrétiens de la ville que le gouverneur pu pénétrer dans Tinnîs. Il fit tuer tous les rebelles et ordonna la destruction des murailles de la ville qui ne furent pas reconstruites90. Cet épisode,

qui survient entre 973 et 975, est éclairant sur l’attitude ultérieure des Fatimides à l’égard des fortifications urbaines de leurs villes littorales. Pour Alexandrie, il est seulement indiqué que le phare était à l’entrée du nouveau port (minâ) et que l’ancien port qui se trouvait dans la ville antique n’était plus utilisé car il était éloigné91 (fig. 6). Un

auteur signale également que le port était fermé selon le système classique des ports orientaux, c’est-à-dire une chaîne tendue en travers de la passe. Ce système était bien connu dans les ports syriens et palestiniens. Au moment où les Fatimides prirent pied sur la côte syro-palestinienne ils héritèrent donc d’un réseau portuaire formé de longue date dont Acre, Tyr, Sayda, Tripoli, ne formaient que quelques-unes des pièces maîtresses. Ces ports constituaient le réseau défensif fatimide et étaient considérés comme des postes frontières face aux Byzantins. Si l’on en croit les descriptions du géographe al-Muqaddasî dans les

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années 980, ou celles de Nâsir-i Khusraw vers 1047-48, toutes les villes de la côte étaient alors fortifiées92. Cependant les infrastructures qui

servaient à la navigation n’intéressaient généralement pas les auteurs à moins d’être particulièrement originales. Ainsi, al-Muqaddasî fait le récit de la construction du port fortifié d’Acre uniquement parce que son grand-père en fut l’architecte. Selon ce dernier, en 868, le gouverneur d’Egypte Ibn Tulûn décida de doter le port d’Acre des mêmes fortifications qu’il avait vues à Tyr. Mais les entrepreneurs lui firent savoir qu’il n’existait plus qu’un architecte capable de construire sous l’eau et il habitait Jérusalem. Al-Muqadassî poursuit en indiquant que son grand-père construisit le port et procéda à la touche finale : «…enfin, il éleva, au-dessus de l’entrée, un arc (qantara). Les bateaux regagnaient le port (minâ’) chaque nuit et l’on tendait, comme à Tyr, une chaîne…93 ». Ce passage indique

donc que le port de Tyr était le modèle de celui d’Acre. Ce système de port intérieur (minâ’) et de chaîne bloquant l’entrée ressemblait de très près à celui qui existait dans la capitale tunisienne de Mahdiya que venaient de quitter les Fatimides et dont le modèle était lui-même copié sur les ports orientaux94. Il est

ainsi fort probable que ce type de fortification convenait aux Fatimides qui ne cherchèrent pas à le modifier. En effet aucun texte n’évoque de constructions fatimides dans ces ports au Xesiècle. Au XIesiècle, la plupart des renseignements sur les ports et les infrastructures navales sont fournies par le voyageur Nâsir-i Khusraw. L’auteur semble indiquer que tous les ports de la côte en question se ressemblaient et avaient été établis selon le même modèle. Encore une fois, le port d’Acre sert de prétexte à un développement utile :

« ‘Akka est entourée d’une muraille extrêmement solide. Le côté ouest et celui du sud sont baignés par la mer. Le port (mina’) est au sud. La plupart des villes de la côte de Syrie ont un mina’. On donne ce nom à une darse (tshîzî) construite pour la sécurité des navires95. Elle ressemble à une écurie dont la

muraille du fond s’appuie à la ville pendant que les murs latéraux s’avancent dans la mer. A leur extré-mité s’ouvre une entrée de 50 guez (62,5m.) et une chaîne est tendue d’un des murs à l’autre. Lorsqu’on veut faire entrer un navire dans le minâ’ on baisse la chaîne jusqu’à ce qu’elle descende sous l’eau puis on le fait passer au dessus d’elle et on la tend de nouveau afin qu’aucun ennemi ne puisse rien tenter contre les vaisseaux96. »

Il s’agissait donc dans la plupart des cas de ports dotés de bassins protégés par des digues, des môles et des tours. Cela explique d’ailleurs qu’à plusieurs reprises, les flottes chrétiennes ne purent détruire les navires fatimides qui étaient venus trouver refuge à l’intérieur des ports. Les textes laissent supposer que dans certains cas il existait deux zones de mouillage possibles. L’une à l’intérieur, protégée par les fortifications, et l’autre extérieure. C’est en tout cas ce qui ressort de la description de Tyr par al-Muqaddasî qui indique en substance que durant la journée, les navires étaient ancrés à l’extérieur et que la nuit on les mettait en sûreté dans le bassin intérieur97. Qu’en était-il des autres ports ? Les

sources ne mentionnent rien de très précis, mais un système semblable a peut-être également existé à Acre. Lorsqu’en 1184, le voyageur Ibn Jubayr décrit le port d’Acre et le compare de nouveau à Tyr, il précise en substance qu’à la différence de ce dernier les gros navires ne pouvaient pas pénétrer dans le bassin et devaient mouiller à l’extérieur, laissant supposer qu’il existait un mouillage relativement protégé dans lequel les bateaux pouvaient jeter l’ancre en sûreté.

Les descriptions portuaires sont ainsi relativement sommaires, surtout elles n’indiquent aucun effort fatimide en matière de fortifications portuaires. Il est donc nécessaire d’utiliser les résultats des quelques fouilles archéologiques qui ont pu avoir lieu dans les ports de la côte syro-palestinienne.

Les apports de l’archéologie

Les fouilles sur les sites portuaires fatimides sont relativement peu nombreuses. Une des plus anciennes a été réalisée à Tyr dans les années 1930 par le père jésuite A. Poidebard. S’appuyant essen-tiellement sur la photographie aérienne et sur quelques plongées il a cependant réussi à montrer que le port de Tyr en activité à l’époque fatimide était situé dans la partie nord de la ville et qu’il était formé de six môles98. A part cela aucune fouille n’est venue

compléter les connaissances sur ce qui constituait selon les textes la plus formidable place forte fatimide en Méditerranée orientale. Quelques recher-ches réalisées dans les années 1990 sur l’actuelle côte israélienne ont permis de mettre au jour deux ensembles que les archéologues considèrent comme faisant partie du réseau de ribat évoqué par al-Muqaddasî99. Il s’agit d’Ashdod et de Kfar Lâm. Les

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fin de l’occupation de ces sites, mais les éléments de céramique découverts tendent cependant à prouver une occupation fatimide. Toutefois, il apparaît aussi dans les résultats que cette période correspond à un entretien moindre du bâti, laissant ainsi supposer que les Fatimides n’ont pas fait tous les efforts néces-saires à l’entretien de ce réseau défensif traditionnel-lement utilisé comme moyen de prévenir et d’avertir de l’arrivée de navires byzantins100.

Les ports fatimides et surtout leurs infrastructures sont très peu connus. Seul celui d’Acre a réellement été fouillé. Les résultats font d’abord état d’une diminution de la qualité de la construction navale à l’époque médiévale par rapport aux époques précé-dentes. Ainsi les chercheurs ont montré que le rempart construit en 867 avait eu tendance à s’affaisser sous l’assaut des vagues du fait de la médiocrité des matériaux de construction. S’il y eut des tentatives de renforcement à la période fatimide nous ne les connaissons pas et elles ne paraissent pas avoir été efficaces car au XIIIe siècle, alors que la ville était sous domination franque, on ne parlait plus que du « récif de la Tour des mouches101 ». Les

conclusions des archéologues concernant le port d’Acre mettent en évidence que l’est du port était constitué d’un môle et son côté sud d’un quai, et qu’il n’existait aucun bassin creusé à l’intérieur même de la ville comme cela avait pu être écrit au XIXe siècle102. Comme l’indique al-Muqaddasî, ce port

était également doté de deux tours entre lesquelles était tendue une chaîne103.

Il faut alors recourir à l’épigraphie pour constater une action fatimide dans les villes portuaires de la côte syro-palestienne. Cependant, cet effort ne paraît pas avoir porté sur les infrastructures navales mais plutôt du côté des murailles urbaines voire des citadelles à l’intérieur même des villes. Les inscriptions répertoriées mettent en évidence une série de travaux de fortification entrepris sous le règne du calife al-Mustansir, à partir de 1082. Il s’agissait peut-être de renforcer les murailles des villes afin de parer aux éventuelles attaques terrestres lancées par les Seljukides alors en pleine expansion en Iraq et en Syrie. Pourtant, les deux premières mentions concernent la construction ou la restauration de tours à l’intérieur des citadelles de ces deux villes, c’est-à-dire le lieu où se trouvait le symbole du pouvoir fatimide sur la cité, la garnison. Peut-être s’agissait-il en fait de protéger les soldats des mouvements d’humeur des populations des cités côtières. Les citadelles de Jbeil et Sayda connurent

donc quelques renforcements à la fin du XIe siècle mais l’épigraphie indique que seule Ascalon vit sa muraille renforcée en 1138, puis en 1150, à un moment où elle résistait à la pression chrétienne104.

Cependant, ce qui peut apparaître comme un désintérêt des Fatimides pour les infrastructures maritimes de leur réseau portuaire peut finalement s’expliquer par la stratégie navale et l’organisation mises en place par la dynastie tout au long de sa présence sur ces rivages. Le niveau satisfaisant de fortification des ports au moment de l’installation de la dynastie, puis les révoltes que connurent ces diverses cités dès les années 970 pour les villes côtières égyptiennes et surtout les années 990 pour les cités syriennes, et enfin les difficultés éprouvées par les Egyptiens pour reprendre en main les villes rebelles, ont peut-être fait hésiter les Fatimides à renforcer des cités dont ils savaient qu’elles pouvaient se retourner contre eux comme ce fut de nouveau le cas dans les années 1070 puis 1090. Il faut rappeler que dans l’objectif initial des Fatimides l’effort allait être surtout terrestre et non pas naval. Aussi les Fatimides n’ont-ils peut-être pas voulu dépenser de l’argent dans ce domaine là. De la même manière, le fait d’affermer ces villes à des gouverneurs et de laisser se créer localement des dynasties de dirigeants n’incita pas non plus les califes du Caire à doter ces villes de trop de capacités militaires ou en tout cas navales et donc ne favorisa pas le renforcement ou le développement des infrastructures maritimes préexistantes. Finalement, les Fatimides restèrent fidèles à la logique de leur système et ne cherchèrent, ou ne parvinrent pas réellement à l’améliorer.

Conclusion

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géographique et politique. Il est clair que les Fatimides ne surent et ne purent tirer tout le profit des nouvelles conditions navales et de toutes les potentialités qui s’offraient à eux en la matière. Toutefois, la capacité des dynastes du Caire à construire des flottes toujours plus grandes à mesure que les ressources en bois s’amenuisaient, que leurs

bases navales échappaient à leur contrôle direct et passaient aux mains des ennemis, montre combien la dynastie fatimide, à défaut d’être une puissance maritime contrôlant efficacement ses littoraux, fut bien entre le Xeet le XIIesiècle une puissance navale majeure de la Méditerranée orientale.

1. IBN KHÂLDUN, Discours sur

l’his-toire universelle, al-Muqaddima, tr. V. Monteil, coll. Thésaurus, Sinbad, Actes Sud, Arles, 1997, p.397. Il associe à la marine fatimide celle des Umayyades d’al-Andalus.

2. Sur les partisans d’une marine

fatimide puissante et active voir entre autres A. M. AL-ABBADÎ, A.S. AL

-SAYEDD, Târikh al-Bahriyya al-Islamiyya, Beyrouth, 1972, p.63. A. HAMDANI, « Some considerations of the Fatimid as a Mediterranean power », Congress Studi Arabi e Islamici, Ravello (1966), 1967, p.385-386. M.A. SHABAN, Islamic History ; a new interpretation, A.D. 750-1055/A.H. 132-448, Cambridge, 1976, p.192-193 Concernant les détracteurs, voir: D. AYALON, « The Mamlûks and Naval Power, a phase of the struggle between Islam and Christian Europe », Proceedings of the Israel Academy of Sciences and Humanities, vol.1, Jerusalem, 1965, p.4. A.S. EHRENKREUTZ, « The place of Saladin in the naval history of the Mediterranean sea in the Middle Ages », Journal of the American Oriental Society, 76 (1956), p100-116. Y.LEV, « The fatimid navy, Byzantium, and the Mediterranean sea, 996-1036 », Byzantion, LIV (1984), p.250

3. Entendons par acteurs les éléments,

aussi bien une administration que des individus, ou des flottes de combat qui contribuent à la mise en place de la stratégie établie.

4 .Sur la présence fatimide dans le

Bilâd al-Shâm ; T. BIANQUIS, Damas et la Syrie sous la domination fatimide, 359-468/969-1076, 2 vols., I.F.E.A.D., Damas, 1984, 1989.

5. MAQRIZÎ, ‘Itti‘âz al-hûnafâ’ bi-akhbâr A‘imma Fâtimiyyîn al-khulafa’, ed. J. al-Shayyâl, Le Caire, 1967, p.148-153 ( ITTI‘AZ, I)

6. A.F. SAYYID, « Lumières nouvelles sur quelques sources de l’histoire fatimide en Egypte », Annales Islamologiques, 13 (1977), p.1-41. C. CAHEN, « Quelques

chroniques anciennes relatives aux derniers Fatimides », Bulletin de l’I.F.A.O., 37 (1937), p.1-27

7. Membre de l’administration fatimide, auteur d’une chronique d’Egypte en grande partie perdue mais contenant de nombreux renseignements de premier ordre. AL-MUSABBIHÎ, Tome

quarantième de la chronique d’Egypte de Musabbihî 366-420/997-1029, éd. et présentée par A.F. SAYYIDet T. BIANQUIS, I.F.A.O., Textes arabes et études islamiques, n°13, Le Caire, 1978.

8. IBN AL-QALÂNISÎ, Dhayl Ta’rîkh Dimashq, éd. H.F. Amedroz, Leide, 1908. YAHYA IBN SA‘ÎD, Histoire de Yahya

d’Antioche, éd. et trad., I. Kratchkhosky et A.A. Vassiliev, Patrologie Orientale, 23 fasc.3 (1932). Ed. critique du texte arabe de I. KRATCHKOVSKY, trad. fr.

annotée par F. MICHEAu, G. TROUPEAU, Patrologie Orientale, Tome 47, fasc. 4, n°212, Pontifico Instituto Orientale, Rome, Brepols, Turnhout, Belgique, 1997.

9. AL-MANSÛR, Sîrat Ustadh Jawdhar, ed. H.Kâmil et A.H.Cha‘ira, Le Caire, 1954. Traduction M. Canard, « Vie de l’Ustadh Jawdhar », Publication de l’Institut d’Etudes Orientales d’Alger, IIe

série, tome XX, Alger, 1958 (SÎRAT

JAWDHAR), ed. 118, tr.178-179

10. ITTI‘AZ, I, p.155. T. BIANQUIS, « La prise de pouvoir par les Fatimides en Egypte (357-363/968-974) », Annales Islamologiques, XI (1972), p.49-108.

11. AL-MAQRÎZI, Kitâb al-Mawâ‘iz wa al-I’tibâr fî dhikr al-khitat wa al-Athâr, nvlle. ed. A.F. Sayyid, Al Furqan Islamic Heritage Foundation, t. III, Londres, 2002, p. 611-612 (KHITAT, III)

12. IBNAL-DAWADÂRI, Kanz al-Durar wa-Jâmi‘, ed. D al-Dîn al-Munajjid, Le Caire, 1961, vol. VI, p.143. YAHYAIBN

SA‘ÎD, Histoire de Yahya d’Antioche, éd. et trad., I. Kratchkhosky et A.A. Vassiliev, Patrologie Orientale, 23 fasc.3 (1932), p.351-352. TARIKHAL-QARÂTIMA, éd. S.

Zakkar, Beyrouth, 1971, p.59

13. ITTI ‘AZ, I, p.194. TARIKH AL -QARÂTIMAop.cit., p.59.

14. IBN MUYASSAR, Choix de passage

de la chronique d’Egypte, éd. A. Fu’âd Sayyid, I.F.A.O., Le Caire, 1981, p.161. ITTI‘AZ, I, p.192. 15. ITTI‘AZ, I, p.277-278; 282-284. Y. LEV, op.cit, p.241. 16. YAHYA IBN SA‘ÎD, op.cit., p.447-449. 17. Ibidem, p.454-455 ; IBN AL -QÂLNISÎ, op.cit., p.50-51 18. YAHYA IBN SA‘ÎD, op.cit., p.457-461. J. SKYLITZES, « Empereurs de Constantinople », texte traduit par B. Flusin et annoté par J.C. Cheynet, Réalités byzantine, 8, ed. P. Lethielleux, Paris, 2003, p.284. T. BIANQUIS, Damas et la Syrie sous la domination fatimide, IFEAD, 2 vols.1986 et 1989, Damas. Vol. I, p. 309.

19. A ce sujet voir Y.LEV, ibidem.

20. AL-MAQRÎSÎ, Itti‘âz al-Hunafa’

bi-Akhbar A‘imma Fatimiyyin al-Khulafa, Vol. 2-3, ed. M.H.M. Ahmad, Le Caire, 1971-1973 ci-après (ITTI‘AZ, II), (ITTI‘AZ, III). ITTI‘AZ, II, p.129.

T. BIANQUIS, op.cit., p.307.

21. YAHYA IBN SA‘ÎD, op.cit., p.504. AL-MUSABBIHÎ, op.cit., p.54. M. GIL, « The sixty years war (969-1029 C.E.) », Shalem, 3 (1981), p.1-55 (en hébreu)

22. ITTI‘AZ, II, p.172, p.187, p.194, 202

23. IBN MUYASSAR, Passages de la chronique d’Egypte, IFAO, Le Caire, 1981, p.14. ITTI‘AZ, II, p. 231. A.F. FAHMY, Muslim naval organisation in the Eastern Mediterranean, National publication and printing house, Républiques Arabe d’Egypte, Le Caire, 1948, p.131-132, sur la définition du terme de shîni (pl. : shawânî)

24. ITTI‘AZ, II, p.229. 25. Ibid., p.294

26. IBN MUYASSAR, op.cit, p.40. ITTI‘AZ, II, p.311.

27. IBN AL-QALÂNISÎ, op. cit., p.119,

p.124-125. IBN AL-ATHÎR, Al-Kâmil fi-l-târikh, X, éd. Dâr Sâder, Beyrouth, 1979, p.176, 223.

28. W. HAMBLIN, « The Fatimid navy

during the early crusades: 1099-1124 », The American Neptune, vol.46-1 (winter 1986), p.-77-83. L’auteur donne un appendice de toutes les actions navales fatimides ou presque entre 1099 et 1126.

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