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Article pp.111-128 du Vol.6 n°2 (2014)

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doi:10.3166/r2ie.6.111-128 © 2014 Lavoisier SAS. Tous droits réservés

De l’intelligence économique comme état d’esprit à la transculture de l’information

Par Monica Mallowan

PhD, HDR, Université de Moncton,

218 J.-D.-Gauthier, Shippagan Nouveau-Brunswick E8S 1P6, Canada

Résumé

Cette étude aborde, sous une perspective transdisciplinaire, écologique et systémique, les compétences et les pratiques informationnelles d’utilisateurs non-initiés au modèle d’intelligence économique. En plus de tracer un contour de la manière dont procèdent ces informacteurs dans l’acte informationnel, des définitions de l’information stratégique et de l’intelligence de l’information sont proposées. Le concept de transculture de l’infor- mation est avancé, à la confluence des approches génériques dédiées à la maîtrise de l’information. © 2014 Lavoisier SAS. All rights reserved

Mots clés : intelligence économique, compétences, pratiques, information stratégique, intelligence de l’information, transculture de l’information, maîtrise de l’information.

Abstract

From competitive intelligence as a state of mind to information transculture. This study investigates the skills and the information practices of users who are uninitiated to the competitive intelligence model, through a transdisciplinary, ecological and syste- mic approach. The paper further examines the informactors’ behavior within the context of the «informational act», and proposes novel definitions of strategic information and information intelligence. The brand new concept of information transculture is proposed here for a first time--as a concept situated at the junction of the key generic approaches to information literacy. © 2014 Lavoisier SAS. All rights reserved

Keywords : competitive intelligence, information intelligence, information transculture, strategic information, skills, practices, information literacy.

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Introduction

L’avènement de la société de l’information et les avancées en matière de technologies numériques transforment l’environnement informationnel, devenu physico-virtuel, archi- complexe, en perpétuel changement, espace volatile de dynamiques accélérées, chaotiques, diffuses, incertaines (Rosa, 2010 ; Lanier, 2011 ; Martel, 2011 ; Morozov, 2013). Ces mutations obligent les structures organisationnelles formelles à changer leurs stratégies compétitives en tenant compte de la place qu’occupe désormais l’information dans leurs approches organisationnelles afin d’assurer l’atteinte de la performance. Les individus, pour leur part, acquièrent un pouvoir informationnel qu’ils ne détenaient pas auparavant. Conséquemment, les stratégies informationnelles adoptées peuvent avoir un impact considérable tant sur un plan organisationnel que personnel.

Ces nouvelles manières de faire en matière d’information s’appuient sur des concepts, principes et outils dont la configuration peut différer selon les visions des différents sys- tèmes géo-économiques ou selon les théories scientifiques élaborées à ce propos. Dans cette mouvance s’inscrit l’intelligence sociale (Wilensky, 1967, 2002 ; Dédijer, Jequier, 1987 ; Dedijer, 2003), qui tend vers le progrès social et économique d’une communauté ou d’une nation, par la rencontre entre information, connaissance et technologie, pour assurer la réalisation d’un programme de développement. En prenant pour source d’inspiration cette théorie, le gouvernement français a mis sur pied un dispositif national constitué de mesures et d’actions gouvernementales, de programmes de formation et d’activités de recherche promouvant le concept d’intelligence économique, qui cherche à fournir l’information nécessaire aux acteurs économiques en vue de l’amélioration de leur compétitivité. Au cœur de ce concept relevant en premier des sciences de l’information et de la communication, l’on retrouve l’état d’éveil et de vigilance grâce à l’information relative à l’environnement interne et externe de l’organisation, la protection du patrimoine immatériel et expérien- tiel, la collaboration ainsi que les actions de soutien communicationnel destinées à des projets collectifs - i. e. veille stratégique, management des connaissances, protection de l’information, influence (Martre, Clerc, Harbulot, 1994 ; Achard, Bernat, 1998 ; Delbecque, Pardini, 2008 ; Mallowan, 2010a ; Marcon, Moinet, 2011 ; Harbulot, 2012). Au-delà des diverses définitions formelles proposées par les chercheurs, l’intelligence économique est vue aussi comme étant un « état d’esprit fait d’ouverture, pour comprendre son espace…

fait de rapports humains… de désir de compréhension de l’environnement… une pratique quotidienne » (Juillet, 2007)1.

Des modèles relativement similaires peuvent se manifester dans d’autres aires géo- économiques, comme par exemple dans le contexte canadien, où la gestion stratégique de l’information privilégie elle aussi l’éveil informationnel (veille stratégique) et la prise en charge du patrimoine immatériel et expérientiel de l’organisation (gestion des connais- sances), sans toutefois y inclure la protection de l’information et l’influence (Bergeron, 1995, 2000 ; Davenport, Prusak, 1997, 2003 ; Nonaka, Toyama, Nagata, 2000 ; Bergeron, Hiller, 2002 ; Prax, 2007 ; Dalkir, 2008, 2011 ; Bergeron et al., 2009). La mise en œuvre de

1 L’état d’esprit est défini comme  une « manière d’être, à un certain moment, qui détermine une façon de voir les choses et de se comporter ; manière d’envisager les choses, d’agir et d’être, caractéristique d’une personne » (Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, 2011. http://www.cnrtl.fr).

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telles démarches de type gestion stratégique de l’information ou d’intelligence économique demande des compétences informationnelles pointues, acquises par l’intermédiaire de formations spécialisées. Cependant, toutes les organisations ne disposent pas toujours des ressources nécessaires pour l’implantation de telles démarches et, conséquemment, l’accès à l’information – au contenant et au contenu, compétence devenue hautement critique, risque de ne pas rencontrer les critères de qualité attendus pour l’appui efficace de la prise de décision organisationnelle (Bulinge, 2002 ; Bulinge, Agostinelli, 2005 ; Larivet, 2009 ; Mallowan, 2010b ; Gurke, 2012).

1. L’intelligence économique – un état d’esprit ?

En raison de ces faits ainsi que du regard plus ample que semble poser l’intelligence économique sur l’environnement informationnel et les défis de celui-ci pour la performance organisationnelle, cette étude a cherché à investiguer les compétences et les pratiques infor- mationnelles se manifestant chez des utilisateurs non-initiés à l’intelligence économique (UNIE) – i. e. à voir, plus précisément, quel serait le contour de leur état d’esprit orienté vers la compréhension et la maîtrise de l’environnement informationnel, sans qu’ils aient eu accès à une formation en IE.

L’intérêt d’étudier les pratiques informationnelles des UNIE réside dans le fait que le modèle d’intelligence économique n’est ni enseigné ni publicisé dans la région de rési- dence des répondants à notre enquête, ceci suggérant que les pratiques informationnelles en question peuvent être édifiantes quant à la présence ou non de l’état d’esprit de type IE.

En raison des implications considérables des actes informationnels / communicationnels devenus stratégiques et posés par les utilisateurs – webacteurs dans leurs milieux, l’étude a cherché à identifier le profil éventuel des pratiques informationnelles des UNIE par rapport au regard sur le monde et à sa compréhension, promu par l’intelligence économique, même si les utilisateurs participant à l’enquête ne connaissaient pas ce modèle. Cette interroga- tion s’est traduite par la question de recherche au cœur de l’étude, qui se formulait comme suit : Si l’intelligence économique est définie comme étant un état d’esprit – stratégie d’information, orientée vers la compréhension de l’environnement et si elle est constituée des axes de veille stratégique et gestion des connaissances, protection de l’information et lobbying (i.e. information stratégique, protection du patrimoine immatériel, pratiques d’influence), axes qu’on pourrait désigner aussi de manière imagée par une attitude d’éveil informationnel, de vigilance et d’agir communicationnel, alors il importe de savoir quel serait le profil de cet état d’esprit chez des utilisateurs qui ne sont pas initiés au concept d’intelligence économique (UNIE).

2. Au fil du temps, l’information et la connaissance…

Afin de mieux comprendre la signification et l’évolution du regard posé sur le monde / du désir de compréhension de l’environnement par l’individu, une incursion dans l’histoire de ces efforts permet de retracer les grandes lignes de cette quête : au début, l’époque des mythes et de la réflexion métaphysique pour comprendre les grands principes du monde –

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l’être humain, la vie, le bien, le mal. Ces questionnements ont continué graduellement avec la réflexion cartésienne, le calcul, l’observation empirique, la démarche scientifique objective.

De cette exploration au fil du temps sur un plan individuel, à l’âge industriel et postindus- triel, l’aspiration à la connaissance du monde et à sa compréhension est devenue pour les organisations un besoin diffus, pour s’imposer assez vite comme un impératif de survie et de performance, imposé par la course à la compétitivité et à la croissance. Toutefois, la conviction positiviste des décideurs relativement à l’importance de l’information brute pour l’atteinte des objectifs organisationnels a dû, assez vite et devant l’évidence de ses limites, faire de la place pour une autre vision, plus flexible, inspirée de l’observation des lois de la nature.

L’on commence alors à voir la structure à gérer comme un organisme vivant complexe, en interaction constante avec son environnement, où les individus qui y travaillent construisent la réalité ainsi que leur propre réalité, par l’intermédiaire d’un processus de communication fait d’échanges d’information. Si l’échange d’information (à l’interne et à l’externe) est en partie informel, l’organisation doit aussi mettre en place une démarche formelle, centrée sur l’information, dans le cadre de ses efforts visant l’atteinte des objectifs.

Cette démarche peut être rapprochée de celle au cœur du modèle de l’intelligence économique, qui permet à l’organisation de se servir d’un radar informationnel pour sa progression dans le labyrinthe de tous les éléments pouvant affecter sa route : informations critiques, savoir-faire capitalisables, actions d’influence. La question se pose alors au sujet des compétences spécialisées dont l’organisation dispose pour la mise en place de la démarche d’intelligence économique ou de la manière dont le personnel en place aborde l’information pouvant affecter l’organisation, s’il n’est pas initié ou formé à l’intelligence économique.

Lorsque les ressources le permettent, l’organisation, sensibilisée ou consciente de l’urgence de surveiller constamment son environnement pour assurer sa pérennité, peut procéder à l’implantation d’une unité spécialisée. Dans le cas où cette conviction est moins manifeste, les interactions informationnelles de l’organisation et des individus qui y travaillent ne cessent pas pour autant : la question de la qualité de l’information dont dispose la direction en est affectée, puisque les compétences informationnelles existantes dans l’organisation ne sont pas acquises par une formation dédiée. Et dans ce cas, l’investigation des pratiques informationnelles en place pourra s’avérer utile pour l’adéquation des stratégies à adopter par les organisations dans leurs efforts d’adaptation ou de proaction dans un environnement en perpétuel changement où l’information peut éclairer le chemin.

Les traits marquants du modèle de l’intelligence économique – comme approche de management de l’information stratégique destinée à soutenir la performance organisation- nelle sont exposés dans la figure ci-dessous :

Les spécialistes élaborent des scénarios d’évolution pour ce modèle et ils considèrent que l’intelligence économique, à court terme, peut soit atteindre la maturité et innover en se « privatisant » (sortir du dispositif gouvernemental), soit stagner et rencontrer un intérêt déclinant en entreprise, ou bien devenir uniquement une démarche de sécurité économique (Clerc, 2011). Finalement, les chercheurs s’accordent à dire que la sensibilisation et l’édu- cation à l’utilisation de l’information afin de répondre aux défis posés par le contexte de ces turbulences géo-politico-économiques sont de la plus grande importance : ce n’est pas en laissant libre cours aux habitudes intuitives en matière d’utilisation de l’information que les utilisateurs et les organisations découvriront les meilleures façons d’appréhender l’environnement physique et virtuel à l’âge de l’hyper-information. C’est la raison pour

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laquelle les recherches en SIC tendent à concentrer leur attention, entre autres, sur le thème de la culture de l’information, vraie littératie du XXIe siècle2, que nous explorons afin de voir éventuellement si des liens peuvent être établis avec l’approche d’aide à la décision organisationnelle (i. e. la culture au cœur de l’intelligence économique).

Figure 1 : Caractéristiques du concept d’intelligence économique français

3. Méthodologie de l’étude

Afin de dresser le profil des compétences informationnelles des UNIE, trois hypo- thèses ont été formulées, dont la première cherchait à déceler l’existence de compétences informationnelles chez les répondants, la deuxième visait à établir si des rapprochements pouvaient être faits entre les profils identifiés et le modèle d’intelligence économique, tandis que la troisième hypothèse se proposait d’identifier la présence de marques culturelles dans les pratiques informationnelles investiguées :

• Hypothèse 1. Les utilisateurs non-initiés à l’IE possèdent des compétences informationnelles ;

• Hypothèse 2. Les utilisateurs non-initiés à l’IE manifestent des perceptions infor- mationnelles proches du modèle d’IE ;

• Hypothèse 3. Les perceptions informationnelles des utilisateurs non-initiés à l’IE sont marquées culturellement.

Cette étude, à notre connaissance la première à investiguer les caractéristiques mention- nées de répondants UNIE, s’inscrit principalement dans le cadre de référence des sciences de l’information et de la communication (SIC), où se manifeste actuellement un intérêt croissant pour les concepts de littératie – culture – intelligence de l’information (Bruté de Rémur, 2005, 2006, 2008 ; Serres, 2009 ; Maury, Serres, 2010 ; Boisvert, 2010 ; Le Deuff, 2010 ; Liquète,

2 Dans le sens d’alphabétisation, literacy en anglais (Grand dictionnaire terminologique).

✓ L’impulsion donnée du sommet (ou l’approche top – down) ;

✓ Les objectifs de compétitivité des entreprises, des régions et de l’économie nationale ;

✓ Le processus de veille stratégique ;

✓ La protection de l’information / du patrimoine et l’influence ;

✓ Les fonctions organisationnelles principales : réseau, mémoire, maîtrise, analyse / vigilance, anticipation, influence / maîtrise de l’information stratégique, protection du patrimoine, détection des opportunités et des menaces, confirmation stratégique, mise en œuvre de pratiques d’influence ;

✓ Les métiers à compétences multiples (management, information, communication, TIC, droit, influence, etc.).

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2010, Webber, 2010 ; Livingstone, 2011, 2012 ; Mallowan, 2012). Cet intérêt, au-delà de la question de la qualité des pratiques des utilisateurs de l’environnement informationnel, s’investit afin de soutenir l’acquisition de compétences informationnelles réfléchies et avisées, qui dépassent le caractère procédural et instrumental des paradigmes en cours en matière d’apprivoisement du contenu et du contenant informationnels. Cependant, en raison de la transversalité de l’information3 dans une pluralité de domaines – éducationnel, organisation- nel, professionnel ou personnel, le besoin d’un cadre de référence élargi s’impose, avec des ouvertures dialogiques en direction d’autres champs disciplinaires, comme le management, les sciences politiques ou l’éducation, entre autres. De manière paradoxale, même si les champs mentionnés sont fort préoccupés par une problématique très similaire – l’accès et l’utilisation de l’information -, les rapprochements restent rares entre réflexions théoriques et approches pratiques, malgré l’urgence d’un dialogue entre « deux tribus : les gens de l’info-doc et ceux de l’info-business », car ayant à « penser les problèmes de l’autre » (Baltz, 1998) – et devant trouver ensemble des solutions nouvelles à de nouveaux défis4.

La posture épistémologique adoptée dans notre étude est constructiviste et transdiscipli- naire, écologique et systémique, en accord avec les conceptions kuhnienne (Kuhn, 1983) et floridienne (Floridi, 2011) voyant la réalité comme une construction sociale complexe5, en réponse à la manifestation, dans le champ des SIC, de l’approche positiviste, objective, pour laquelle l’information – communication est mécanique ainsi que de l’approche socio-culturelle pour laquelle le même processus ne peut exister, se construire, en dehors du contexte social.

Cette conception reflète d’ailleurs l’évolution de la réflexion entourant l’objet au cœur des SIC – entre science exacte et science humaine ou sociale (Fondin, 2001, 2002, 2006 ; Hulin, 2009). D’une vision positiviste (et post-positiviste)6, réaliste, analytique, voyant comme linéaires la transmission de l’information et la réception du message, dont le sens non-ambigu peut être traité mécaniquement afin de répondre à un besoin informationnel (Guba, Lincoln, 1994 ; Denzin, Lincoln, 2011 ; Trochim, Donnely, 2006), l’on constate le passage à la vision systémique et globale du processus, vu comme un ensemble dynamique et ouvert dans lequel les acteurs sociaux font appel à de multiples codes socio-culturels et composantes physiques dans un but de construction de la réalité. Cette réalité est multiple, complexe, et elle se construit à partir des perceptions que les individus forment à son sujet et qui évoluent avec le temps, selon les expériences et les contextes de chacun (Gall, Gall et Borg, 2007).

Cette évolution explique d’ailleurs la boutade qui dit que les « sciences de l’information sont les “mathématiques” des sciences humaines et sociales » - vision qui « tire nettement vers les sciences exactes… et elle est le cadre explicatif d’activités comme la documentation ou la bibliothéconomie » (Fondin, op.cit.). Toutefois, cette posture ne suffit pas à expliquer toutes les facettes du processus info-communicationnel, qui constitue la finalité du processus de transmission de l’information – d’où la nécessité de la posture épistémologique compréhensive ou subjective.

3 Le terme d’information est employé comme générique pour « donnée, information, connaissance ».

4 Dans l’esprit de la célèbre affirmation attribuée à Einstein : “We can’t solve problems by using the same kind of thinking we used when we created them.” http://en.wikiquote.org/wiki/Talk:Albert_

Einstein#Formerly_unsourced.2C_now_in_article

5 Ainsi, le changement de paradigmes est nécessaire et l’humain est le créateur de sa connaissance.

6 Le post-positivisme essaie de corriger la rigidité du positivisme par rapport à la recherche sociale, en considérant que la réalité est objective et indépendante de l’observation humaine, mais qu’elle peut être connue, de façon imparfaite toutefois.

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Cette ambivalence concerne directement le concept central de cette étude, celui d’intel- ligence économique, devant composer, en raison de son objet de recherche (l’information stratégique) avec, d’une part le positionnement informationnel – exprimé synthétiquement par le cycle de l’information7, neutre et objectif, et avec, d’autre part, le regard commu- nicationnel, ce qui l’amène à mieux se définir comme processus téléologique - ayant une finalité d’action, de construction – par une communication ayant atteint son but en plus de s’abreuver, de manière interdisciplinaire, à des disciplines telles que la science politique, le management ou la stratégie, entre autres.

Pour notre part, nous sommes d’avis qu’il n’est pas possible d’appréhender le monde par les filtres rigides des démarcations disciplinaires et par les processus mécanistes igno- rant les dimensions socio-culturelles qui le construisent, par conséquent notre posture en est une constructiviste, où l’individu est subjectif, flexible et acteur construisant sa réalité / créateur de sa réalité.

En ce qui concerne le design de la recherche, il a été orienté vers une recherche mixte, approche de recherche non-traditionnelle quantitative-qualitative, exploratoire et descriptive, qui permet de combiner de manière flexible la collecte de données quantitative et l’analyse statistique et / ou de contenu, design approprié pour l’étude de phénomènes nouveaux ou peu étudiés (Tashakkori, Teddlie, 2003, 2006 ; Fortin, 2010 ; Therriault, Harvey, 2011). La recherche mixte présente l’avantage de réunir « explication quantitative et compréhension qualitative » (Watzlawick, in Benoit, 2009, p. 11). Ceci vient pallier l’inadaptation de la dichotomie traditionnelle QUAN / QUAL face à la nécessité de rendre compte de la com- plexité des phénomènes et des objets (Royer, 2007 ; Van der Maren, 2009). Cette approche - de « nouvelle génération », cherche à se mettre au service des problématiques auxquelles la pratique est confrontée, car c’est seulement cette vision qui permettra de prouver l’uti- lité et l’efficacité des études qualitatives. Elles pourront dès lors « accéder aux problèmes de la réalité et non pas à des fictions théoriques, contribuer au progrès des connaissances professionnelles, cesser d’être disqualifiées par les praticiens et associées au progrès de la société » (Van der Maren, op. cit., p. 4).

La collecte des données de l’étude a été réalisée par l’intermédiaire d’un questionnaire d’une vingtaine de questions, distribué auprès d’un échantillon d’une centaine de répon- dants, professionnels actifs sur le marché du travail, détenteurs d’un diplôme d’études post-secondaires, équipés en objets techniques numériques et ayant une activité informa- tionnelle professionnelle et personnelle régulière. En prenant comme point de référence les normes en matière de compétences informationnelles de l’ACRL (2000) et le Référentiel de formation à l’intelligence économique (2004), et afin d’identifier des marques d’un profil de type intelligence économique chez les répondants à l’enquête, le questionnaire a été structuré selon les axes principaux du concept d’intelligence économique traduits en trois dimensions - sous-concepts, dont :

• l’attitude d’éveil informationnel correspondant à l’axe de la veille stratégique et de la gestion des connaissances

• la vigilance informationnelle pour l’axe de la protection de l’information

• et l’agir communicationnel, pour celui de l’influence.

7 Cycle de l’information : besoin, collecte, traitement, analyse, diffusion.

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Une autre dimension a été ajoutée, celle des compétences informationnelles, désignant la capacité de reconnaître le besoin informationnel et d’agir de manière adéquate pour y répondre 8 (ACRL, op.cit. ; CRÉPUQ, 2008).

Ces dimensions, à leur tour, ont été déclinées dans le questionnaire selon les indicateurs suivants (avec les questions correspondantes) :

• Les compétences informationnelles : perception de la distinction entre concepts de contenu et contenant, compréhension du besoin informationnel, diversité des sources d’information utilisées, utilisation diversifiée d’outils de repérage, durée hebdomadaire de recherche d’information, utilisation d’outils de management de l’information ;

• L’éveil informationnel : stratégie d’information pour l’apprentissage pour la vie, diversité des sources d’information utilisées (question de vérification), signification du concept d’information, rôles des stratégies informationnelles, importance du savoir expérientiel, vision systémique d’une stratégie proactive et / ou anticipatoire ;

• La vigilance informationnelle : perception de la distinction entre sécurisation du contenant technique et protection du contenu immatériel, connaissance de l’évolution des configurations professionnelles dans l’environnement informationnel ; degré de pertinence de l’information repérée, appréciation des attributs de l’information numérique ;

• L’agir communicationnel : positionnement par rapport à la dynamique d’influence, initiation aux changements intervenant dans l’environnement informationnel, compréhension du concept d’influence.

Pour ce qui est de la méthode d’analyse des données, le choix s’est porté sur une analyse descriptive par distribution des fréquences ainsi que sur l’analyse thématique (classificatoire et interprétative), puisque cette voie permet de décrire une population ou un phénomène, des caractéristiques, des comportements, des conditions de personnes ou de groupes, caractéristique qui correspond à notre objectif (Miles, Huberman, 2003). De plus, elle ouvre une perspective pour des recherches ultérieures et offre la possibilité de relier des concepts et leurs descriptions rattachées, pour mener éventuellement à une analyse de la portée théorique des résultats.

4. Un profil émergent : l’intelligence économique intuitive

Selon la grille de référence qu’on s’est donnée, les réponses obtenues et analysées ont permis d’identifier des éléments pouvant être réunis pour signifier un niveau de base en matière de compétences informationnelles. En effet, le caractère des pratiques constatées reste de manière prépondérante instrumental et procédural et moins évaluatif/critique par rapport à la qualité de l’information existante dans l’environnement informationnel – sur- tout virtuel, vu la confiance placée en la capacité des outils et des technologies à répondre au besoin informationnel ressenti. Il a semblé possible de positionner ces résultats sous un

8 Selon l’ACRL (op. cit.) et CRÉPUQ (2008) : déterminer les paramètres du besoin, les stratégies et les ressources nécessaires pour y accéder, recueillir l’information pertinente et l’exploiter conformément avec le problème de départ).

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angle positiviste, où la relation entre le besoin d’information, la voie pour le résoudre et le résultat est linéaire, sans que l’éventualité de la présence d’éléments perturbateurs soit prise en considération – tels que la diversité des motivations des producteurs d’information ou des fournisseurs de solutions technologiques, par exemple. Il se peut que, sous l’influence de l’idéologie technologiste prédominante, le doute par rapport au contenu existant dans l’environnement informationnel et à ses dynamiques ne se manifeste pas. En raison de ces constats, il serait encore possible de parler de pratiques informationnelles formées sur le tas, et non pas de compétences informationnelles dans le sens des normées évoquées, acquises par une formation et appliquées systématiques dans les actes informationnels.

La mise ensemble de ces éléments apporte des éclaircissements supplémentaires au profil des pratiques informationnelles des répondants à l’enquête. Nous avons constaté que les perceptions par rapport à l’information et ses problématiques traduisent une sensibilité à ce sujet, tout en restant vagues et inopérantes – à titre d’exemple, le besoin de protéger ou sécuriser les avoirs immatériels, qui représente aujourd’hui une responsabilité qui n’incombe pas seulement aux responsables informatiques, malgré la croyance et la pratique générale.

Lorsque l’on parle de protection de l’information, il faut aussi penser à la surveillance et à la diffusion de résultats, à la prépublication, à la communication stratégique, etc., tâches qui sont plutôt reliées à des fonctions comme celles de gestionnaire d’information, docu- mentaliste, agent du savoir, chargé de veille, recherchiste, etc., sans oublier par exemple l’enregistrement de brevets, marques et dessins industriels, à assurer de concert avec le département juridique de l’organisation. La conscientisation de ces enjeux ne tient pas nécessairement d’une connaissance approfondie et détaillée des procédures et des tâches reliées à ces objectifs et à ces professions, mais plutôt d’une compréhension plus large des enjeux stratégiques sous-tendus par la production d’une information de valeur, dans un monde agité par des dynamiques discordantes ou difficilement lisibles.

Nous avons aussi constaté que les pratiques informationnelles des répondants, utilisateurs non-initiés à l’IE, sont marquées par des valeurs – convictions ou principes, en lien avec la manière d’appréhender l’information. Les valeurs personnelles sont relativement libres, forgées au fil du temps par l’intermédiaire des interactions sociales, tandis que les valeurs organisationnelles et les normes, référant à des standards et des règles, sont plutôt imposées par les milieux de travail. La lecture que nous faisons des réponses obtenues dans cette investigation laisse transparaître une culture de l’information / état d’esprit d’éveil basique, non structuré, instinctif et intuitif, orienté vers l’utilisation des objets et des technologies disponibles. La démarche qui le sous-tend est pragmatique, utilitaire et positiviste, de type linéaire : le besoin informationnel ressenti peut être résolu par des approches procédurales et instrumentales, vu que les outils et les réponses existent, la volonté d’agir suffit pour les trouver, le doute par rapport à des facteurs hors de contrôle n’a pas de place dans le processus.

Ce que nous avons observé dans cette étude semble rendre compte d’une capacité réu- nissant des traits d’éveil, de vigilance et d’action, capacité générée par l’(auto)- mise en relation intuitive des axes de l’intelligence sociale dedijerienne l’interaction pragmatique entre information, connaissance et technologie, selon un programme donné – que ce soit un programme personnel ou collectif. Puisque nos répondants présentent de tels traits, non-for- mels et non-explicites, et vu qu’ils ne sont pas initiés au concept et au modèle d’IE, il nous semble possible de conclure que l’état d’esprit de type IE peut émerger en tant que réponse intuitive, non-formelle et non-structurée, aux changements intervenant dans l’environnement

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informationnel des individus, tout en sachant que la réaction la plus appropriée à ces contextes resterait l’approche formelle et structurée, inspirée des modèles de la culture de l’information, soutenue par des mesures et des initiatives gouvernementales et organisationnelles.

Figure 2 : Pratiques informationnelles chez des utilisateurs UNIE

• compétences informationnelles basiques, procédurales

• perceptions vagues, inopérantes

• culture de l’information intuitive

• État d’esprit de type IE auto-formé

Le comportement informationnel que nous avons décelé peut être qualifié de mimétique, comme expression de l’adoption d’une pratique d’imitation de comportements vus ailleurs, en plus d’être mémétique : les convictions ou les valeurs semblent se répandre d’elles-mêmes et, petit à petit, toute la communauté se retrouve imprégnée de la même manière d’aborder des questions, des phénomènes, des situations. La flexibilité que procure une telle alliance empiriste et pragmatique est peut-être plus appropriée à un monde où l’impératif de trouver des solutions se combine à la vitesse vertigineuse du changement, à l’opposé des époques de la lenteur et de la stabilité. Si la pensée linéaire cherche à aligner et contrôler causes et effets selon une logique cartésienne dépassée par la complexité et l’imbrication des proces- sus, cette manière de regarder le monde semble également d’inspiration constructiviste, car la réalité n’est pas immuable, mais elle peut être façonnée par la vision de chacun, en alliance avec le groupe. Cette alliance nouvelle entre visions opposées se rapproche d’une certaine manière de la pensée de Floridi (op. cit.) qui donne de nouveaux repères à l’humain lost in cyberspace. Il est fort possible et souhaité que cette attitude converge, avec le temps, avec un certain degré de vision systémique, où diversité, interaction et imprévu s’entremêlent en synergie porteuse de forces créatrices. La condition pour y arriver : que les réflexions en matière de formation à la l’information, à la culture et à l’intelligence de l’information deviennent plus flexibles et aillent de l’avant vers un dialogue et une réelle vision transdisciplinaire, en reflétant les passerelles que les utilisateurs bâtissent dans leurs actes info-communicationnels. C’est seulement en acceptant l’existence de la complexité, principe irréductible aux silos disciplinaires, ainsi que l’existence des niveaux d’abstraction variés et de la logique d’inclusion des interrelations insoupçonnées que les disciplines, les recherches et leurs bénéficiaires réussiront à s’inscrire dans un changement paradigmatique vital. Cette perspective constituera un pas important vers l’édification de la transculture de l’information, vision généralisée reconnaissant que l’information – communication est dans, entre, et partout en tant que principe vital des activités humaines.

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5. De l’intelligence économique à la transculture de l’information

Si l’intelligence économique partage concepts, objectifs et outils avec la littératie / nouvelle alphabétisation et la culture de l’information, les rapprochements recherchés se révèlent possibles, chaque champ gardant en même temps sa spécificité, qui est celle de son domaine d’application : pour la littératie informationnelle, le domaine éducationnel, pour la culture de l’information – le socio-culturel, pour l’intelligence économique – l’organisationnel. Leur rencontre s’édifie dès lors dans un nouveau concept, celui de transculture de l’information, qui serait la transmutation par laquelle l’individu devient informacteur, plein acteur / partie prenante de l’environnement informationnel physico-virtuel. L’informacteur parvient à comprendre les manifestations et les mécanismes de l’information ante- et post-numérique, à les assimiler et à s’en servir, pour aller vers la réelle construction de sens, libérée de tout carcan. La transculture de l’information est transdisciplinaire (Freitas, Nicolescu, Morin, 1994 ; Floridi, op. cit.) : englobante, puisqu’elle réunit la littératie, la culture et l’intelligence de l’information, écologique par la mise en relation dynamique de ses composantes avec les autres disciplines, systémique par son intégration dans les processus de la vie humaine, dialogique par son acceptation de la complexité.

Figure 3 : Principes et objectifs de la transculture de l’information

Intelligence de l’information : aide à la décision organisationnelle Transculture de l’information

constructivisme, minimaliste Complexité, dialogique, niveaux de réalité

Culture de l’information : résolution de problèmes, épanouissement de l’individu Littératie de l’information :

formation à l’utilisation de l’information

À travers la pensée antique, l’observation empirique et la recherche scientifique, l’aspiration de l’humain à la connaissance a mené à une prodigieuse accumulation de savoir sur laquelle il a bâti son existence, tout en continuant de s’y abreuver aujourd’hui pour trouver des réponses à des questions existentielles ou des solutions à des problèmes de tous les jours. À cet effet, il se sert des mêmes processus qu’autrefois, dans l’échange d’information avec son entourage ou avec son environnement, processus qu’il a appris à améliorer grâce à des stratégies, des méthodes et des outils à la mesure de chaque époque et de chaque système socio-économique. Ainsi, pour la bonne marche de la société et celle des affaires, l’information échangée dans l’acte info-communicationnel se révèle comme étant mémorielle, stratégique, soumise à l’influence de la société, gérée et manipulée selon des logiques bibliothéconomiques et documentaires édifiées avec le passage du temps.

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L’information et la communication contribuent aussi à améliorer la performance de la structure groupale ou ce qui est appelé désormais organisation, pour laquelle la course à la compétitivité par rapport aux autres demande la recherche d’avantages concurrentiels grâce à des vigies et des chasses gardées. Et, progrès scientifique et technologique aidant, l’environnement devient ambivalent, les paradigmes changent : le monde physique n’est plus seul, il a un double, le monde virtuel, où tout est information. Ce basculement appelle à un changement dans les façons de faire : si les savoir-faire et les encadrements en matière de processus d’information et de communication dans le monde physique ont mis des millénaires pour se construire, le fonctionnement du monde virtuel invite à la rapidité, à la précipitation, à la liberté. Ce glissement est enivrant et en même temps douloureux. Il ouvre la porte à des exploits et à des égarements. C’est pour cette raison que les recherches se penchent sur la question des nouvelles manières à adopter et des règles à établir en matière d’information et de communication dans l’environnement physico-virtuel. Ces préoccupations ont donné naissance à la littératie – culture – intelligence de l’information, selon des finalités relative- ment distinctes mais restant en relation : activité de formation, résolution de problèmes et réussite personnelle et professionnelle, aide à la décision organisationnelle. Les spécificités de la littératie, de la culture et de l’intelligence de l’information n’empêchent pas de voir leur trait commun, l’enchaînement d’étapes allant du besoin informationnel de départ jusqu’à la réponse ou à la solution. De plus, ces approches informationnelles s’intéressent toutes à la qualité de cet enchaînement, qu’il soit normé ou non. Si les formations destinées à édifier des compétences informationnelles existent, ceci ne signifie pas nécessairement que les procédures enseignées sont assimilées et appliquées de manière constante. Les résultats des enquêtes cherchant à évaluer l’état de l’application de ces apprentissages dans la pra- tique semblent indiquer des niveaux faibles en la matière : les pratiques informationnelles courantes reflètent peu le niveau des normes ou des modèles établis par les recherches en sciences de l’information et de la communication ou en sciences de l’éducation.

D’autre part, les définitions du concept d’information stratégique9 relevées dans la littérature en management laissent transparaître l’importance des pratiques information- nelles à l’œuvre dans les organisations. L’information stratégique se retrouve disséminée dans toutes les unités et dans toutes les activités organisationnelles, et il devient alors de la plus haute importance de voir si la démarcation entre pratiques informationnelles for- melles et informelles est clairement établie ou bien si elle est plutôt perméable, avec des conséquences de différents ordres. Par ailleurs, en l’absence d’une définition de l’infor- mation stratégique faisant autorité, une proposition est faite suite à l’étude présentée ici, considérant que l’information stratégique est toute information de valeur indispensable à la pérennité de l’organisation. Cette vision ne s’appliquerait plus seulement à l’information de type économique à visée compétitive, mais plutôt à tout contexte organisationnel et aux besoins informationnels relatifs à la résolution de problèmes – donc vers ce qu’on pourra voir comme étant une démarche globale d’intelligence d’information, que nous voyons comme un processus d’aide à la décision, complexe et marqué culturellement,

9 La revue de la littérature entreprise dans le cadre de cette étude a permis de classer l’information stratégique, selon la nature fondamentale attribuée par les définitions répertoriées, en : élément d’aide à la prise de décision organisationnelle ; processus et source de création de valeur ; principe directeur en matière de politiques et de management ; dispositif d’un système d’intérêt national.

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qui, par sa concentration sur l’information de valeur, soutient la réalisation des objectifs ainsi que la pérennité de l’organisation, en s’appuyant sur une approche constructiviste globalisante, où le processus d’info-communication est édifié par des informacteurs, à l’aide de codes socio-culturels et d’objets techniques. Cette vision correspondrait mieux aux déclinaisons actuelles de ce modèle qui devrait se concentrer davantage sur son angle de démarche générique d’éveil et de vigilance face au monde en changement et moins sur celui de patriotisme économique le plaçant forcément dans une logique de confrontation.

L’investigation du domaine de la culture de l’information nous a permis de percevoir une tendance émergente reliée au caractère décisif de l’information pour l’individu ainsi qu’à la qualité et à la finalité de sa démarche informationnelle. Il devient évident aussi que, dans une perspective prospectiviste, la culture de l’information devient centrale pour tous les acteurs et les structures de la société de l’information pour que le stade suivant, de société de la communication prenne forme et se réalise sous de bons auspices. Que l’intérêt de la stratégie aille de soi pour les affaires du prince ou celles des capitaines d’industrie, ne doit pas nous empêcher de garder en mémoire que la stratégie est née dans la vie de tous les jours et dans le jeu, et que c’est beaucoup plus tard qu’elle devint un jeu de guerre.

De cette vision émerge notre conviction que le regard posé par le modèle d’intelligence de l’information sur le monde constitue un modèle apte à assurer un arrimage éclairé de l’individu dans son environnement, tout en lui permettant de remplir son rôle pour l’organi- sation. Au cœur de ce regard, se trouve un état d’esprit fait d’ouverture, de relation à l’autre et de vigilance qui ultimement ne s’éloigne en rien des aspirations vers l’épanouissement et le progrès individuel et collectif nourries par la littératie – culture de l’information.

Si les chercheurs expriment leurs préoccupations relativement aux pratiques informa- tionnelles et implicitement au regard que les natifs digitaux posent sur le monde à travers l’information – et qui, selon les attentes, devraient performer dans ce type d’activité vu leur aisance dans le maniement des objets numériques, nous avons cherché à dresser le profil de ces pratiques chez des utilisateurs de l’environnement informationnel selon une grille de lecture – celle de l’intelligence économique, qui propose, à notre avis, une perspective plus ample et plus avisée que les modèles méthodologiques déjà présentés. Nous souli- gnons aussi que les démarcations géo-linguistiques, opératoires jadis, ne nous semblent plus pertinentes, dans un contexte où la circulation des idées s’avère plus intense que jamais. La vision transdisciplinaire qui nourrit notre réflexion ainsi que la similarité des problématiques révélée suite à la lecture de ces travaux nous semblent justifier notre intérêt pour des recherches menées dans plusieurs champs des sciences sociales. Pour ce qui est du caractère relativement circulaire des réflexions portant sur la culture de l’information, ceci doit être dû en premier lieu à la jeunesse de la thématique, sans que cela enlève quoi que ce soit à l’intérêt des opinions exprimées par les auteurs cités.

Conclusion

Notre étude a cherché à apporter des réponses à un étonnement relatif à la définition de l’intelligence économique en tant qu’état d’esprit apte à soutenir, par l’intermédiaire de l’information économique, la compétitivité de l’économie française. Puisque nous voulions voir si les dynamiques informationnelles caractéristiques de ce modèle étaient décelables dans

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les pratiques informationnelles d’utilisateurs d’information non-initiés à l’IE, nous avons procédé à une enquête par questionnaire auprès d’un échantillon d’environ une centaine de répondants. Sans vouloir prétendre que les constats faits à la suite de l’analyse des réponses fournies par un groupe d’une taille limitée seraient extrapolables à la population entière de l’aire qui nous intéressait ou davantage, nous considérons toutefois que ce regard porté sur les distinctions en matière de formation, de recherche et de politiques relatives au management de l’information a pu apporter des éclaircissements utiles quant aux visions à l’œuvre dans les contextes abordés (français versus canadien). Notre choix s’est porté sur la méthode du questionnaire puisqu’elle nous permettait de nous adresser, à la différence de la méthode des entrevues, à un nombre plus important de répondants afin de voir s’il était possible de déceler dans leurs pratiques informationnelles des éléments associables à l’intelligence économique. De plus, si nous avons fait le choix de nous servir dans l’élaboration de notre enquête de documents de référence traitant de normes établies pour le milieu étudiant, ce choix est justifié par le caractère générique des normes contenues dans ces référentiels et par leur applicabilité aux activités informationnelles en milieu organisationnel.

• L’analyse et l’interprétation des résultats nous ont permis de dresser un profil schématique, dont les contours présentent certaines similarités avec celui de l’IE :

• les pratiques informationnelles explorées présentent, du point de vue des normes de référence, un niveau de base, instrumental et procédural, peu critique par rapport à la qualité de l’information virtuelle ;

• les perceptions de type IE relativement à l’information et à ses problématiques font état d’une certaine sensibilité à ce sujet, mais elles restent vagues et inopérantes ;

• la culture de l’information décelée est intuitive, orientée vers les objets numériques.

Si des utilisateurs d’information non-initiés à l’intelligence économique développent par eux-mêmes de telles pratiques informationnelles – instrumentales et non pas structu- relles et stratégiques, c’est le résultat d’un apprentissage sur le tas et non pas celui d’une acquisition de compétences ou de connaissances à caractère normatif ou prescriptif dans un programme de formation formelle ou par l’impulsion donnée par le système gouverne- mental. Et dans le cas où de tels enseignements ou formations sont dispensés / disponibles, il semble qu’ils ne soient pas systématiquement appliqués par les utilisateurs dans leurs pratiques courantes, comme il ressort d’ailleurs dans les résultats de nombreuses enquêtes en SIC (Mallowan, op.cit.). Dans le contexte de notre étude, une des raisons de cet état de fait résiderait, en plus des visions différentes en matière de recherche en management de l’information stratégique, en la distinction entre l’approche d’intelligence économique telle que promue et soutenue par le dispositif public du gouvernement français et l’approche canadienne, où les pratiques informationnelles de type intelligence économique sont laissées à l’initiative privée, sans que le gouvernement s’oriente vers l’adoption d’un plan ou de mesures spécifiques, ou que des institutions d’enseignement lancent des programmes de formation spécialisée à l’intelligence économique.

Ceci nous amène à conclure que ces pratiques informationnelles font état d’un com- portement informationnel de type intelligence économique émergent, auto-formé, une réponse intuitive, non-formelle et non-structurée que ces informacteurs ont développée en réaction aux changements secouant l’environnement informationnel. Cette approche semble s’en remettre à l’aléatoire, à la sérendipité, et se fier principalement aux conditions matérielles : supports, objets, outils. Les représentations reliées à l’information en tant

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que savoir - pouvoir - levier se révèlent être moins manifestes. Pour les répondants à notre enquête, l’accès à d’information signifie presque exclusivement recherche d’information sur Internet, sans que l’appropriation poussée du nouvel environnement informationnel du point de vue de ses principes et de ses méthodes soit vue comme nécessaire. Les approches de l’information traditionnelles sont délaissées, les rapports consacrés entre information – espace – temps – éthique se diluent, c’est le règne de l’objet numérique qui ne réussit pas, malgré tout, à rendre la communication parfaite. Vus sous cet angle, les résultats à notre enquête nous rappellent le concept de non-connecté relatif, qui est l’individu disposant de l’équipement nécessaire à la navigation dans Internet, mais n’y ayant pas un accès réel et efficace en raison du niveau de ses compétences informationnelles, ce qui ne l’empêcherait pas pour autant de jouer un rôle d’informacteur – avec des résultats dont la qualité laisse à désirer, car il est self literate.

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