G154. L'énigme du polyèdre
J’ai fabriqué la maquette d’un polyèdre régulier qui comporte n faces que je numérote de 1 à n. Je lance ce polyèdre à la manière d’un dé et je note le numéro de la face sur laquelle il repose sur la table. La probabilité d’obtenir un numéro quelconque est la même pour tous les numéros. Je constate qu’après de très nombreux lancers, il faut un nombre moyen de lancers voisin de 72 pour obtenir au moins une fois tous les entiers de 1 à n. Comment s’appelle ce polyèdre ?
Solution proposée par Patrick Gordon
Nous commencerons par calculer la probabilité :
qk = Pr {après k lancers, il manque encore au moins un des n entiers de 1 à n}.
Bien entendu, si k < n, qk = 1.
Puis, appelant X la variable aléatoire "rang du premier lancer au bout duquel on obtient au moins une fois tous les entiers de 1 à n", nous remarquerons que qk n'est autre que :
qk = Pr {X > k}
Nous en déduirons la valeur de : pk = Pr {X = k} = qk-1 – qk Puis nous calculerons l'espérance de X :
E(X) = ∑n+1 k pk
et nous rechercherons pour quelle valeur de n (= 4, 6, 8, 12 ou 20, car seuls existent ces 5 polyèdres réguliers) E(X) est proche de 72.
1. Calcul de qk = Pr {après k lancers, il manque encore au moins un des entiers de 1 à n}
Notons Ei l'événement {après k lancers, il manque encore l'entier i}.
L'événement dont nous cherchons la probabilité est E1 E2 … En. Sa probabilité est :
1) qk = ∑ Pr {Ei} – ∑ Pr {Ei Ej} + ∑ Pr {Ei Ej Em} – … Or Pr {Ei} se calcule comme suit.
Sur les nk tirages ordonnés avec remise (et réputés équiprobables) ceux auxquels manque l'entier i sont en nombre (n–1)k. Donc :
Pr {Ei} = [(n–1)/n] k.
De même Pr {Ei Ej} se calcule comme suit.
Sur les nk tirages ordonnés avec remise (et réputés équiprobables) ceux auxquels manquent les entiers i et j sont en nombre (n–2)k. Donc :
Pr {Ei Ej} = [(n–2)/n] k.
Reste à reporter dans (1) en tenant compte des nombres respectifs d'événements de type Ei, (Ei Ej), (Ei Ej Em) etc. et en faisant attention aux signes alternés de (1).
Il vient ainsi :
2) qk = n [(n–1)/n]k – Cn2 [(n–2)/n]k + Cn3 [(n–3)/n]k – …
Le dernier terme de cette somme alternée est en théorie Pr {E1 E2 … En} mais sa probabilité est évidemment nulle car le tirage ne peut pas ne contenir aucun des entiers 1 à n. Il n'y a donc que (n – 1) termes et le dernier terme est Cnn-1 [(n–(n–1))/n]k, c’est-à-diren / nk, affecté du signe + si (n – 1) est impair, du signe – si (n – 1) est pair.
Réécrivant (2) en tenant compte de l'alternance des signes, il vient (l'indice u est de simple sommation) :
3) qk = ∑u=1n-1 (–1)u-1 Cnu [(n–u)/n]k
Restant entendu que cette expression ne vaut que pour k ≥ n car pour k < n, qk = 0.
2. caractérisation de la variable aléatoire X
Rappelons que nous avons défini la variable aléatoire X = "rang du premier lancer au bout duquel on obtient au moins une fois tous les entiers de 1 à n" et que nous avons relevé que :
pk = Pr {X = k} = qk-1 – qk
Reprenant l'expression (3) de qk, nous pouvons exprimer pk :
Les expressions (3) de qk et de qk-1 sont toutes deux des sommes de (n–1) termes indicées par u.
Nous pouvons donc les soustraire terme à terme. Il vient : pk = ∑u=1n-1
(–1)u-1 Cnu
{[(n–u)/n]k-1 – [(n–u)/n]k} C’est-à-dire :
4) pk = ∑u=1n-1
(–1)u-1 Cnu
[(n–u)/n]k-1 u/n
C'est cette expression de pk qui va maintenant nous servir à calculer l'espérance de la variable aléatoire X.
3. espérance de la variable aléatoire X
Rappelons que nous avons défini la variable aléatoire X = "rang du premier lancer au bout duquel on obtient au moins une fois tous les entiers de 1 à n".
Il nous faut maintenant sommer les pk tels que définis par la formule (4), pondérés par les valeurs de k, de n à l'infini.
Il y aura donc une double sommation (sur u dans l'expression des pk et sur k). En intervertissant l'ordre des sommations, on peut tout d'abord sommer sur k, de n à l'infini, chacun des termes de (4), dont on rappellera qu'ils sont au nombre de (n–1). Il vient, pour un u donné (entre 1 et n–1) :
5) ∑k=n
(–1)u-1 Cnu k [(n–u)/n]k-1 u/n
Dans cette sommation sur k, seul le terme k [(n–u)/n]k-1 est variable.
Posons (n–u)/n = x. La somme de k = n à l'infini de k [(n–u)/n]k-1 s'écrit :
∑k=n
k xk-1
C'est la dérivée de la somme :
∑k=n
xk c’est-à-dire : xn + xn-1 +… ou encore : xn / (1–x) La dérivée de xn / (1–x) est : [n xn-1 – (n–1) xn] / (1–x)²
Si l'on remplace x par (n–u)/n, il vient : (n–u)n-1 [(n–1) u + n] / nn-2 u²
Reste à multiplier cette expression par les termes indépendants de k laissés provisoirement de côté dans (5), à savoir : (–1)u-1 Cnu
u/n. Il vient, toujours pour un u donné (entre 1 et n–1) : (–1)u-1 Cnu
u/n × (n–u)n-1 [(n–1) u + n] / nn-2 u² En simplifiant, la somme (5) devient donc :
(–1)u-1 Cnu
(n–u)n-1 [(n–1) u + n] / nn-1 u
Pour obtenir E(X), il reste à sommer cette expression de u = 1 à u = n–1.
Comme les simplifications ne sautent pas aux yeux, nous le ferons au moyen d'un tableur, pour n
= 4, 6, 8, 12 et 20.
Voici le résultat :
u 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19
n
4 11,8 -3,75 0,27 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 8,3333
6 26,5 -15,8 4,38 -0,4 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 14,7
8 47,1 -41,1 20,2 -4,92 0,5 -0,014 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 21,743 12 106 -151 139 -80,1 28,2 -5,865 0,7 -0,03 0 -0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 37,239 20 294 -744 1334 -1676 1508 -986,7 472 -165 42 -7 1 -0 0 -0 0 -0 0 -0 0 71,955
Une valeur très voisine de 72 est obtenue pour n = 20.
Le polyèdre est donc un icosaèdre.