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La conception des lois : la démarche légistique entre théorie et pratique
DELLEY, Jean-Daniel, JOCHUM CHRISTIN, Margit Theresia, LEDERMANN, Simone
Abstract
Le processus législatif a fait l'objet de nombreuses études. Mais curieusement, la phase initiale - celle qui consiste à élaborer un avant-projet sur la base d'un mandat - n'a guère suscité la curiosité des chercheurs. Cette première étape du processus reste encore nimbée de mystère. Qui façonne les premières ébauches, sur la base de quel mandat et en suivant quelle démarche méthodique ? La littérature politologique ne propose pratiquement pas de réponses à ces questions. Ce rapport de recherche défriche donc un terrain quasiment vierge. Après avoir développé et enseigné la légistique - une approche méthodique pour la conception et la rédaction des textes normatifs – durant un quart de siècle, nous avons ressenti le besoin d'aller observer ce qui se passe effectivement dans les administrations fédérales et les commissions d'experts. Cette recherche de caractère exploratoire – l'analyse a porté sur une dizaine de projets législatifs seulement – permet de confronter la pratique à une méthodologie fortement imprégnée de rationalité abstraite. Les résultats s'adressent autant au [...]
DELLEY, Jean-Daniel, JOCHUM CHRISTIN, Margit Theresia, LEDERMANN, Simone. La conception des lois : la démarche légistique entre théorie et pratique. Genève : CETEL, 2009, 103 p.
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La conception des Lois
La démarche légistique entre théorie et pratique
Jean-Daniel Delley Margit Jochum Simone Ledermann
Travaux CETEL, no 56 Mai 2009
Centre d’étude, de technique et d’évaluation législatives (CETEL) Université de Genève
Faculté de droit Uni Mail 2 Genève 4
www.unige.ch/droit/cetel Tél. : 4 (22) 379 86 02 Fax : 4 (22) 379 84 4
Cette recherche a été financée par le Fonds National Suisse de la Recherche Scientifique (Pro- jet no 3420) ; elle a également été rendue possible grâce au soutien du Centre d’étude, de technique et d’évaluation législatives (CETEL) de l’Université de Genève.
© Genève, mai 2009
tabLe des matières
Résumé ... 7
/ Introduction ... 9
2/ La démarche de recherche ... 5
3/ L’analyse de la démarche des légistes ... 2
3. Impulsions et mandat ... 23
3.. Les impulsions ... 23
3..2 Le mandat ... 24
3..3 Résumé ... 26
3.2 Définition du problème ... 27
3.3 Détermination des buts et objectifs ... 32
3.4 Le choix des instruments d’action ... 35
4/ Conclusions ... 39
4. Du modèle à la pratique ... 4
4.2 Les limites de la rationalité abstraite ... 42
4.3 Recommandations ... 45
Bibliographie ... 47
Annexe : Synthèses des dossiers ... 5
(Assistance au décès /53, Chiens dangereux /56, Contrôle de la sécurité /59, Don d’organes /62, Langues /66, Loteries et paris /70, Sites contaminés /74, Société anonyme /77, Transparence /80, Tutelle /83) Annexe 2 : Les cinq grilles modèles de l’analyse ... 87
Annexe 3 : Liste des personnes interrogées ... 0
résumé
Afin de rationaliser la production normative, la légistique propose une démarche méthodique susceptible d’optimiser les interventions publiques. L’objectif de cette recherche est de saisir dans quelle mesure cette discipline influence les pratiques de l’administration fédérale et de déterminer les facteurs qui rendent difficile son application. Il s’agit également d’interroger l’ambition méthodique de la légistique et sa capacité à répondre aux contraintes multiples du processus législatif.
Cette recherche n’a qu’un caractère exploratoire. Elle porte sur une dizaine de dossiers seu- lement qui ne constituent pas un échantillon statistiquement représentatif. Ses conclusions doivent donc être considérées avec précaution.
Nous avons analysé le premier stade du processus législatif, celui qui débute par une impul- sion agréée par les autorités ou suscitée par elles, qui se poursuit par un mandat délivré à l’interne à un groupe de travail de l’administration, ou à l’externe à un groupe d’experts, et se termine avec l’élaboration d’un avant-projet. Pour chacune de ces étapes, nous avons ob- servé si et dans quelle mesure l’analyse de la situation considérée comme problématique était effectuée, les buts et objectifs poursuivis explicités et si la stratégie d’action découlait des ef- fets attendus.
En général nous avons constaté que les impulsions à la source du processus législatif restent vagues, aussi bien dans la définition du problème que dans la description des buts visés et des moyens à mettre en œuvre. Une assez grande imprécision caractérise également les mandats.
Cette imprécision ne constitue pas un handicap pour le légiste qui jouit ainsi de l’autono- mie nécessaire à suivre la démarche méthodique. Elle est plus problématique dès lors qu’elle concerne la détermination des buts et objectifs à atteindre que seul le mandant, et non le légiste, est légitimé à effectuer.
Pour ce qui est de l’élaboration de l’avant-projet, nous avons observé de grandes variations dans la qualité et la quantité des informations réunies pour cerner la nature du problème à ré- soudre. Les données sont insuffisamment intégrées dans un modèle dynamique de fonction- nement du problème. La détermination des buts et objectifs souffre également d’un déficit de systématisation qui entrave la perception du lien entre les fins et les moyens. Par ailleurs le dialogue entre mandataire et mandant se révèle très insuffisant. L’intérêt des légistes porte
incontestablement sur le choix des mesures, la stratégie d’action, au détriment d’une ana- lyse fouillée de la réalité à transformer et des objectifs visés. Pourtant nous avons noté l’ab- sence presque complète d’alternatives d’action et d’évaluations prospectives des scénarios envisagés.
A l’aune de la démarche méthodique, la pratique des légistes apparaît peu systématique. L’ar- ticulation entre les caractéristiques du problème à résoudre, les objectifs visés et les moyens d’action choisis n’est guère visible.
Enfin, nous nous sommes posé la question de la pertinence pratique de la légistique, une dis- cipline qui relève d’une conception très théorique de la décision, telle que développée par les économistes classiques. Or les conditions extérieures – contraintes politiques, économiques, financières notamment – comme les ressources cognitives des décideurs ne permettent pas l’exercice d’une rationalité parfaite. S’y opposent aussi bien la connaissance toujours impar- faite de la réalité comme la faible propension du politique à affirmer des objectifs clairs. En définitive, un projet qui répondrait aux standards de la légistique, mais ne trouverait pas le soutien des autorités, ne présenterait que peu d’intérêt pratique. Dès lors peut-on imaginer une méthodologie légistique qui intègre ces contraintes ?
L’entreprise ne nous paraît guère possible. Nous préférons postuler une phase préalable du processus législatif où le légiste jouit d’une grande liberté pour appliquer une démarche mé- thodique – analyse systématique du problème, explicitation et hiérarchisation des buts et ob- jectifs, évaluation prospective des différents scénarios d’action envisagés. Nous ne contestons pas le fait que les choix normatifs relèvent en dernière instance du politique. Mais un projet de loi élaboré selon une démarche méthodique permettrait aux acteurs de la décision d’opé- rer ces choix en connaissance de cause, dans une plus grande transparence, ce qui ne pourrait qu’améliorer la qualité du débat démocratique.
En conclusion, nous proposons d’intensifier la formation des légistes, de leur accorder une marge d’autonomie lors de la phase initiale du processus législatif et de mieux expliciter la démarche méthodique suivie à l’intention des décideurs des phases suivantes du processus.
1/ introduction
Pour les juristes, d’abord préoccupés par le texte normatif et sa lecture jurisprudentielle (Noll 973 : 8), la production législative constitue une boîte noire de peu d’intérêt et qui relève de la politique plutôt que de la science du droit (Morand 999a : 25). Ce désintérêt trouve son origine dans le positivisme juridique qui confine la science du droit à la méthodologie d’ap- plication des normes en vigueur. Il n’en a pourtant pas toujours été ainsi. Au XVIIIe siècle, la problématique de la formation de la loi est omniprésente dans la réflexion juridique. Mais les auteurs aiment alors à disserter sur le droit désirable plutôt qu’ils ne développent une ap- proche réellement scientifique de la législation. Jeremy Bentham fait exception qui envisage le recours à diverses disciplines scientifiques pour rationaliser le contenu de la législation, et plus encore le Napolitain Filangieri avec sa monumentale « Science de la législation », véri- table précurseur de l’évaluation législative (Morand 999a : 24). Mais, sous l’influence conju- guée du libéralisme politique et du positivisme, l’action de légiférer est rapidement rangée au rayon de l’art ou de l’artisanat (Morand 999a : 25-26).
L’art de légiférer va céder la place à une approche systématique de la production législative dès lors qu’entre en scène l’Etat « propulsif » (Morand 999b : 7) dans la deuxième moitié du XXe siècle. Ce type d’Etat ne se contente plus de fournir des prestations. Il manifeste l’am- bition de transformer la société, ou pour le moins d’en influencer les évolutions en matière économique, sociale, culturelle. L’Etat propulsif agit par le biais de politiques publiques, en- sembles de mesures programmatiques organisées en vue de réaliser des objectifs, les pro- grammes finalisés. Dans ce contexte, la loi n’est qu’un instrument au service de ces objectifs (Flückiger / Delley 2006 : 25). Puisque l’instrument vise l’efficacité, sa conception implique
« une connaissance précise du terrain d’intervention, de sa logique de fonctionnement, un diagnostic explicite de la situation qui met en évidence non seulement le but poursuivi, mais encore les objectifs qui le concrétisent, l’élaboration d’une stratégie efficace, l’évaluation aussi bien prospective que rétrospective des effets » (Flückiger / Delley 2006 : 25-26).
C’est à cette fonction nouvelle de l’Etat que répond le développement de la légistique, « une
‹ science › (science appliquée) de la législation, qui cherche à déterminer les meilleures mo- dalités d’élaboration, de rédaction, d’édiction et d’application des normes » (Chevallier 99 : 5). La production normative n’est plus laissée « à l’empirisme et à la subjectivité du décideur » (Chevallier 99 : 33).
Cette discipline a pris son essor dans l’aire germanophone (Noll 973 ; Hugger 983). En nous inspirant de ces auteurs et des résultats de nos recherches sur la mise en œuvre des lois (Delley et al. 982 ; Delley / Mader 986 ; Delley 992 ; Delley 994), nous avons développé une démarche méthodique, la légistique matérielle. Le processus de création de la loi est découpé en plusieurs étapes présentées de manière chronologique et, pour chacune d’elle, la démarche méthodique propose des techniques propres à en optimiser le déroulement et le produit (Delley 999 : 82) :
– la définition du problème qui implique la récolte et l’analyse des données pertinentes, la modélisation causale qui met en évidence les facteurs explicatifs du problème et leurs relations mutuelles ;
– l’explicitation, la hiérarchisation et la pondération des buts et objectifs poursuivis ; – l’élaboration des stratégies d’action susceptibles de réaliser ces objectifs et leur évalua-
tion prospective.
En Suisse, la légistique a connu un développement significatif grâce à la division « projets et méthodes législatifs » de l’Office fédéral de la justice (OFJ) et de la formation continue délivrée depuis maintenant plus de vingt ans par l’Université de Fribourg pour les fonctionnaires ger- manophones et le Centre d’étude, de technique et d’évaluation législatives de l’Université de Genève (CETEL) pour les francophones. L’OFJ édite un « Guide de législation » qui expose entre autres les principales étapes de la démarche méthodique (cf. OFJ 2007). Quant au CETEL, il a proposé pendant plusieurs années une formation en légistique à distance sur l’Internet (Cer- tificat de formation continue en légistique – CEFOLEG).
Il faut noter que les exigences de la démarche méthodique ne sont pas totalement étrangères au droit. « Les juridictions constitutionnelles considèrent que les droits fondamentaux et les grands principes du droit exigent que la loi ne soit pas déraisonnable » (Morand 999b : 09).
Les principes d’égalité, de proportionnalité, d’aptitude et de nécessité renvoient tous à l’obli- gation d’une approche rationnelle de la loi. Mais ce contrôle juridictionnel de rationalité reste très superficiel et laisse « au législateur une très grande marge d’appréciation » (Morand 999b : 0). En effet, les tribunaux ne disposent pas des compétences nécessaires qui re- lèvent de la sociologie du droit. En Allemagne fédérale, une jurisprudence s’est développée qui impose au législateur de tenir compte d’une série d’exigences de la démarche méthodique (Morand 999b : 3) : obligation de réaliser une analyse exhaustive des faits pertinents justi- fiant l’intervention de l’Etat, d’étudier différentes variantes d’intervention, d’évaluer prospecti- vement les effets prévisibles et, après l’adoption de la loi, d’en évaluer les effets et de procéder à d’éventuelles corrections (Flückiger 2007). En Suisse, la loi sur le Parlement (art. 4) exige que les messages du gouvernement à l’appui d’un projet législatif adressés aux Chambres fédérales fassent mention des conséquences sociales, environnementales et économiques de ce projet. Par ailleurs des textes législatifs de plus en plus nombreux prévoient une obligation d’évaluation.
Ayant participé à l’élaboration et à la diffusion de cette démarche méthodique, nous avons ressenti le besoin de vérifier dans quelle mesure l’administration s’en inspirait et d’en exami- ner la pertinence face aux contraintes auxquelles les légistes sont confrontés.
Si le processus législatif est l’un des objets d’étude privilégié de la science politique, la phase initiale de la conception des projets législatifs par l’administration n’a guère fait l’objet d’une
Une liste des clauses d’évaluations se trouve sur le site de l’OFJ : www.bj.admin.ch, cf. rubriques Thèmes – Evaluation – Documentation – Clauses d’évaluations.
investigation empirique. L’intérêt des politologues porte surtout sur les politiques publiques, un objet plus large que le seul texte normatif, qui inclut la législation, sa genèse aussi bien que sa mise en œuvre. La littérature à ce sujet est abondante (notamment Knoepfel et al.
200 ; Mény / Thoenig 98 ; Muller / Surel 998 ; Scharpf 997). Pour ce qui est de la Suisse, le processus législatif a également fait l’objet de nombreuses publications portant aussi bien sur le processus en général (Kriesi 980 ; Poitry 989 ; Papadopoulos 997) que sur des lé- gislations ou des politiques particulières (Mironesco et al. 986 ; Linder 987 ; Delley et al.
982 ; Delley / Mader 986 ; Delley 992 ; Delley 994 ; Lascoumes et al. 989 ; Fischer 2003), ou encore des étapes particulières de ce processus (Delley 978 ; Germann 98 ; Blaser 2003 ; Klöti / Vögeli 2005).
Ces travaux mettent en évidence les acteurs impliqués dans le processus, les logiques et les stratégies qu’ils déploient pour préserver leurs intérêts. Tous ces éléments déterminent la conception de la loi ou de la politique, sans que pour autant soient clos les débats et les conflits qui réapparaissent dans la phase de mise en œuvre de cette loi ou de cette politique (Delley et al. 982). Pourtant la phase pré-parlementaire reste encore relativement confiden- tielle (Sciarini 2006), et plus encore sa première étape au cours de laquelle l’administration prépare une première ébauche de projet. A notre connaissance, cette étape préparatoire, celle qui précisément fait l’objet de la présente recherche, n’a jamais été soumise à des analyses empiriques permettant de cerner le mode opératoire et les principes méthodologiques de l’administration.
La littérature sur les politiques publiques est unanime à considérer le processus législatif comme un lieu tout à la fois d’affrontement entre intérêts divergents et d’élaboration de compromis indispensables à l’aboutissement d’un projet (Muller / Surel 998 : 2 s. ; Mény / Thoenig 98 : 205 s.). Ces caractéristiques paraissent difficilement compatibles avec le postu- lat de rationalité qui sous-tend la démarche méthodique proposée par la légistique. Pourtant il ne faut pas exagérer la portée de ce postulat. La légistique, parce qu’elle est une discipline finalisée par l’action, ne peut ignorer les limites d’une approche purement rationnelle, limites qu’Herbert Simon (985 ; voir également Demailly 2004) a mentionnées sous l’appellation de
« rationalité limitée » :
– L’environnement externe ne se présente au légiste que de manière partielle et contin- gente.
– La capacité du légiste se limite à n’en traiter qu’une partie plus réduite encore.
– Cette double limitation engendre une propension à rechercher des solutions satisfai- santes plutôt qu’optimales.
Ces limitations ne permettent pas cependant de dénier au processus de conception de la loi tout caractère méthodique et de le laisser se dérouler au gré des seuls rapports de force et des
2 « […] ensemble de pratiques et de normes émanant d’un ou de plusieurs acteurs publics » (Mény / Thoenig 989 : 30).
perceptions partisanes. Certes la tension entre exigences méthodiques et contexte politique subsistera toujours. La question est de savoir quel équilibre établir entre ces deux facteurs. En observant la démarche concrète des légistes fédéraux, cette recherche vise à déterminer la na- ture de cet équilibre. Nous reviendrons sur cette question dans la conclusion de ce rapport.
Nous présenterons tout d’abord notre démarche (chap. 2). Puis nous analyserons les différentes étapes de l’élaboration des projets législatifs (chap. 3) : impulsions et mandat (chap. 3.), dé- finition du problème (chap. 3.2), détermination des buts et objectifs (chap. 3.3) et choix de la stratégie d’action (chap. 3.4). Enfin nous tenterons une synthèse des résultats et formulerons quelques recommandations (chap. 4).
2/ La démarche de recherche
Notre intérêt porte donc sur le début de la phase pré-parlementaire du processus législatif avant la procédure de consultation. Comment procèdent les légistes dès lors qu’ils sont man- datés pour élaborer un projet législatif ? Pour répondre à cette question, nous avons choisi d’étudier une dizaine de dossiers relevant de différentes administrations fédérales, concer- nant aussi bien le droit privé que le droit public et pilotés selon des modalités diverses : groupe de travail interne à l’administration, groupe de travail mixte, experts extérieurs, commission parlementaire. Néanmoins cette diversité voulue ne garantit en aucun cas la représentativité statistique de notre échantillon. Afin de bénéficier de la mémoire des acteurs, nous avons pri- vilégié des processus récents. Les dossiers choisis sont présentés dans le Tableau .
Souvent, les projets législatifs ne sont pas élaborés au cours d’une période continue, mais en plusieurs épisodes distincts. Ce fractionnement temporel donne lieu à différents produits in- termédiaires – rapports préliminaires, avant-projets de loi, etc. On observe parfois des change- ments dans l’équipe ou même d’équipe chargée du projet. C’est pourquoi nous avons souvent distingué différentes phases dans un dossier (cf. Tableau 2, p. 9). De plus, chacune de ces phases a été divisée en différentes étapes (impulsions, mandat, processus d’élaboration et avant-projet).
Nous avons procédé à l’analyse matérielle et formelle de chacune de ces étapes au moyen de grilles reprenant les phases et éléments de la démarche méthodique (cf. Annexe 2, p. 87) : – la définition du problème et les données disponibles à cet effet ;
– l’explicitation et la structuration des buts et des objectifs ; – les alternatives d’action et leur évaluation prospective.
Pour recueillir nos informations, nous avons consulté les procès-verbaux de séance et autres documents disponibles et procédé à des entretiens avec certains des acteurs impliqués dans la démarche de conception des projets (cf. Annexe 3, p. 0).
Les diverses administrations concernées ont montré de l’intérêt pour la recherche et ont co- opéré activement à son bon déroulement. Seul l’Office fédéral de la police n’a pas accédé à notre demande d’intégrer la loi sur les armes à notre échantillon. Notre reconnaissance par- ticulière va à M. Luzius Mader, vice-directeur à l’OFJ, dont le soutien et les interventions ont grandement facilité nos contacts avec les services impliqués dans la conception des projets législatifs.
Jean-Daniel Delley, professeur titulaire et requérant principal, Margit Jochum et Simone Ledermann, assistantes, ont procédé à la récolte des données, à leur analyse et à la rédaction du présent rapport.
En mars 2008, nous avons présenté nos premiers résultats à un panel d’experts (Luzius Mader, les deux corequérants les professeurs Alexandre Flückiger et Christine Guy-Ecabert et le professeur Frédéric Varone). La confrontation des points de vue et les suggestions émises à cette occasion nous ont été d’une grande utilité.
tabLeau 1 : caractérisation des dossiers
Titre du dossier Titre du projet de loi Type de
changement Type de
droit Département / office responsables
Assistance au
décès a) Code pénal (CP)
b) Législation en matière d’assistance au décès
a) Révision partielle b) Nouvelle loi
Droit pénal,
droit public DFJP/OFJ
Chiens
dangereux a) Recommandations en matière de chiens dangereux
b) Ordonnance sur la protection des animaux (OPAn)
a) --- b) Révision partielle
Droit public DFE/OVF
Contrôle de
sécurité Loi sur le contrôle de la
sécurité (LCS) Nouvelle loi Droit public DETEC/SG Don d’organes Loi sur la transplantation Nouvelle loi Droit public DFI/OFSP Langues Loi sur les langues (LLC) Nouvelle loi Droit public DFI/OFC Loteries et paris Loi sur les loteries et paris
(LLP) Révision totale Droit public DFJP/OFJ
Sites
contaminés Loi sur la protection de
l’environnement, (LPE) Révision
partielle Droit public Parlement : CEATE-N (DETEC/OFEV) Société
anonyme Code des obligations (CO) :
Droit des sociétés Révision
partielle Droit privé DFJP/OFJ Transparence Loi sur la transparence
(LTrans) Nouvelle loi Droit public DFJP/OFJ
Tutelle Code civil (CC) : Droit de la
tutelle Révision totale Droit privé DFJP/OFJ
Légende : CEATE-N : Commission de l’environnement, de l’aménagement du territoire et de l’énergie du Conseil national ; DETEC : Département fédéral de l’environnement, des transports, de l’énergie et de la communication ; DFE : Département fédéral de l’économie ; DFI : Département fédéral de l’intérieur ; DFJP : Département fédéral de justice et police ; OFC : Office fédéral de la culture ; OFEV : Office fédéral de l’environnement ; OFJ : Office fédéral de la justice ; OFSP : Office fédéral de la santé publique ; OVF : Office vétérinaire fédéral ; SG : Secrétariat général.
tabLeau 2 : phases de la procédure législative préliminaire Titre du
dossier Phases, types d’avant-projets et modalités de leur élaboration (phases non analysées en détail en italique)
Premier
mandat Ouverture de la
consultation
Forme de la consultation
Assistance
au décès ) Rapport : Groupe de travail mixte 2) Rapport : Commission extra- parlementaire
3) Rapport : Groupe de travail interne
20/03/997 06/02/2006 Consultation des offices avec publication simultanée sur Internet
Chiens
dangereux ) Rapport : Groupe de travail mixte 2) Projet d’ordonnance : Groupe de travail interne
0/2/2000 --- ---
Contrôle de
sécurité ) Rapport : Groupe de travail interne 2) Projet de loi : Groupe de travail interdépartemental et groupe de travail mixte
07/05/998 04/09/200 Procédure de consultation externe écrite Don d’organes ) Projet de loi : Groupe de travail
interne 8/04/996 0/2/999 Procédure de
consultation externe écrite Langues a) Projet de loi : Groupe de travail
interdépartemental
b) Rapport : Groupe de travail interne 2) Rapport : Groupe de travail mixte 3) Projet de loi : Groupe de travail paritaire Confédération/cantons
29/0/997 7/0/200 Procédure de consultation externe écrite
Loteries et
paris ) Projet de loi : Groupe de travail
paritaire Confédération/cantons 23/05/200 09/2/2002 Procédure de consultation externe écrite Sites
contaminés ) Projet de loi : Expert individuel 2) Projet de loi : Commission parle- mentaire / Groupe de travail mixte
7/2/998 29/05/200 Procédure de consultation externe écrite Société
anonyme ) Projet de loi : Groupe de travail externe
2) Projet de loi : Groupe de travail interne
0/0/2002 02/2/2005 Procédure de consultation externe écrite Transparence ) Projet de loi : Groupe de travail
interdépartemental 02/07/998 9/04/2000 Procédure de consultation externe écrite Tutelle ) Rapport : Groupe de travail externe
2) Projet de loi : (Petit) groupe de travail mixte
3) Projet de loi : (Grand) groupe de travail mixte
24/09/993 25/06/2003 Procédure de consultation externe écrite
3/ L’anaLyse de La démarche des Légistes
3.1 impuLsions et mandat
Toute demande d’une législation nouvelle ou de modification d’une législation existante pré- suppose un sentiment d’insatisfaction : la situation présente se révèle problématique, à tel point qu’une intervention de l’Etat paraît inévitable. Ce sentiment d’insatisfaction se fonde sur un diagnostic plus ou moins précis exprimé par les impulsions externes (interventions parlementaires, campagnes médiatiques notamment) qui déclenchent le processus législatif (chiens dangereux, assistance au décès et langues, p. ex.). Parfois l’impulsion provient pour l’essentiel de l’administration elle-même (contrôle de sécurité, loteries et paris, tutelle). Mais dans les deux cas de figure, la formulation d’un problème, telle qu’elle parvient au légiste ou au gouvernement, est le produit d’un processus complexe d’appréhension d’une réalité qui appelle une demande de régulation publique.
Nous examinerons si et dans quelle mesure les impulsions et le mandat que doit exécuter le légiste précisent la nature du problème à résoudre, les objectifs visés et la stratégie permet- tant de les atteindre.
3.1.1 Les impulsions
En règle générale, l’analyse du problème justifiant le besoin d’une réglementation reste très sommaire. Les interventions parlementaires se limitent à des généralités :
– l’insuffisance du cadre légal et l’insécurité juridique qui en découle, l’évolution de l’opi- nion publique (assistance au décès) ;
– les progrès de la médecine de transplantation et le retard du droit dans ce domaine, les risques et les problèmes liés à la xénotransplantation (don d’organes) ;
– le caractère désuet de la législation en vigueur et la nécessité de distinguer jeux de lo- terie et jeux de hasard (loteries et paris) ;
– les lacunes dans le contrôle interne des entreprises et la position de faiblesse des actionnaires vis-à-vis des organes dirigeants révélées par certains scandales (société anonyme) ;
– l’écart important entre le droit et la réalité (tutelle) ;
– l’hétérogénéité de la politique d’information des autorités fédérales et la difficulté d’ob- tenir des informations (transparence).
Mais les impulsions peuvent aussi circonscrire de manière très précise le problème. Dans le dossier des chiens dangereux par exemple, des événements saillants et tragiques mais isolés résument les risques que représentent les « chiens de combat ». C’est également un événe- ment saillant, un accident, qui provoque l’ouverture du dossier du contrôle de sécurité. Mais ici l’événement particulier conduit à une impulsion qui généralise le problème des contrôles de
sécurité. Le dossier des sites contaminés est le seul dont l’impulsion, une initiative parlemen- taire, propose une description précise du problème, sans pour autant en spécifier l’importance quantitative. Nous verrons plus bas (cf. chap. 3.2, p. 27) que cette description était loin de cor- respondre à la réalité.
Les impulsions restent également vagues ou pour le moins à un niveau d’abstraction élevé pour ce qui est des objectifs visés et des moyens de réaliser ces derniers. C’est à nouveau le dossier des sites contaminés qui se distingue ; l’objectif est clairement formulé, tout comme le moyen de l’atteindre : il s’agit de libérer les propriétaires fonciers de la prise en charge des frais d’investigation lorsque leur bien-fonds se révèle non contaminé et de mettre à contribution un fonds fédéral alimenté par le produit des taxes sur le stockage et l’exportation des déchets.
Le caractère très circonscrit du problème évoqué explique probablement la précision de la for- mulation. Mais dès lors que le problème est complexe, les impulsions se limitent à des propos d’une grande généralité. Ainsi la compréhension mutuelle et la cohésion nationale sont évo- quées pour justifier une législation sur les langues nationales, buts qui devraient être atteints par des mesures dans les domaines de la formation, de la culture, des médias et de l’économie.
Parfois la stratégie d’action suggérée met l’accent sur la forme plus que sur le contenu : codi- fication et unification des pratiques cantonales (assistance au décès), réglementation claire et uniforme (transparence), unification du droit (don d’organes). Par contre les parlementaires semblent plus à l’aise sur la question des chiens dangereux puisqu’ils n’hésitent pas à évoquer toute une série de mesures, de l’interdiction de certaines races à l’examen de capacité pour les détenteurs, en passant par l’obligation du port de la muselière et de la laisse. Mais cette forte implication des parlementaires dans la définition du problème et la formulation des solutions reste rare, cette tâche étant confiée à l’exécutif qui est prié « d’étudier la question » et « de proposer les mesures nécessaires ».
3.1.2 Le mandat
Faire prendre en considération par les autorités le problème évoqué constitue le premier suc- cès d’une impulsion. Une motion ou un postulat adopté par le Parlement, une décision du collège gouvernemental, d’un chef de département ou même d’un cadre de l’administration peuvent déclencher un processus susceptible d’aboutir à une innovation normative. Ces diffé- rents types de décision conduisent à l’élaboration d’un mandat, véritable feuille de route qui indique au légiste le champ à investiguer et les objectifs visés.
Dans la pratique, cette feuille de route n’est guère contraignante et laisse au légiste un large pouvoir d’appréciation pour définir le problème, préciser les objectifs et proposer des solu- tions. Le caractère ouvert du mandat est particulièrement visible dans les dossiers complexes (p. ex. assistance au décès) ou pour lesquels l’administration ne dispose pas des ressources nécessaires (p. ex. société anonyme) :
– Ainsi à propos de l’assistance au décès, un premier mandat demande à un groupe de travail (997) de répondre à un catalogue de questions, de faire la synthèse des débats sur le sujet et de présenter les arguments qui plaident en faveur et contre une régle- mentation.
En 2003, la Commission nationale d’éthique se voit confier l’examen de l’ensemble du problème de l’accompagnement des mourants sous l’angle éthique, avec mandat de présenter une proposition de réglementation.
Enfin en 2004, un groupe de travail interne doit répondre à la question de l’urgence et de la nécessité de légiférer sur le « tourisme de la mort », à savoir la venue en Suisse d’étran- gers désireux de mettre fin à leur vie et qui cherchent une assistance au suicide auprès d’organisations spécialisées.
– Dans le cas de la révision du droit de la société anonyme, le trio d’experts désigné à cet effet doit examiner la nécessité d’une révision du titre 26 du code des obligations au regard des exigences du gouvernement d’entreprise et proposer les réglementations lé- gales nécessaires. Même si les experts sont également priés d’évaluer un certain nombre de propositions parlementaires, le mandat reste néanmoins très large.
– Aux experts du droit de la tutelle, l’administration demande de pointer les insuffisances du droit en vigueur et de proposer une réforme fondamentale qui tienne compte des développements en Europe.
– Dans le dossier des langues, le mandat concernant l’utilisation des langues officielles par l’Etat consiste tout simplement à concrétiser le nouvel article constitutionnel.
Quant à l’encouragement de la compréhension et de l’échange entre les communau- tés linguistiques, un groupe de travail de la Confédération et des cantons est prié de faire des propositions concrètes pour l’apprentissage et l’enseignement des langues et la coordination entre la Confédération et les cantons.
Cette liberté laissée aux légistes par les mandants est d’autant plus étonnante que le man- dat serait le lieu prédestiné pour la définition, par les responsables politiques, des buts et des objectifs matériels à atteindre. Or, nous constatons que souvent les mandats confondent des objectifs concernant le contenu avec des objectifs relatifs à la procédure (pour cette distinc- tion voir OFJ 2007 : 2) ou se limitent à évoquer les seconds. Ainsi, pour ne citer que quelques exemples, le mandat du dossier de la transparence propose d’examiner et d’approfondir les buts – sans pour autant mentionner des buts matériels ; le mandat de la première phase du dossier du droit de la tutelle fait de même : le but est de définir des buts ; le mandat du dossier de la société anonyme demande d’examiner la nécessité de changer une législation existante.
Si la commission d’experts pour la révision de la législation sur les loteries et paris se voit fixer des objectifs plus explicites, le mandat laisse néanmoins une grande latitude pour leur réali- sation, puisqu’il reste muet quant à la stratégie à suivre.
Dans le dossier du contrôle de sécurité, le mandat évolue en deux étapes. Il s’agit d’abord de réunir les données nécessaires à la compréhension du problème. Une fois ces données connues, le mandant fixe les buts généraux et les grandes lignes de la stratégie auxquels doit obéir le projet de loi. On observe également une évolution du mandat dans le dossier de l’assistance au décès. Le groupe de travail du Département fédéral de justice et police a suc- cessivement porté son attention sur le tourisme de la mort, l’assistance au décès, l’assistance au suicide et la médecine palliative. Visiblement les événements d’actualité ont influencé ses travaux, dans un contexte de flottement de l’autorité politique sur ce sujet.
Le mandat concernant le problème des sites contaminés résulte du texte même de l’initia- tive parlementaire (98.45) qui a déclenché le processus de révision de la loi sur la protection de l’environnement. Ici le mandat se confond avec l’impulsion. Pourtant la sous-commission parlementaire chargée d’élaborer un projet élargit considérablement le mandat lorsqu’elle constate d’autres lacunes et équivoques au chapitre des déchets. Si le mandat pour l’élabo- ration d’une réglementation de la médecine de transplantation est distinct des impulsions formelles (deux motions), il se base toutefois sur celles-ci en ce qui concerne le contenu et se contente de donner plus de détails sur la manière de procéder.
Le groupe de travail sur la transparence dispose d’un mandat relativement ouvert puisqu’il est chargé d’approfondir le principe de la publicité, les questions de procédure et les effets pra- tiques de l’introduction de ce principe. Néanmoins nous avons constaté que son travail a été contrôlé de près par le chef du département et le Conseil fédéral ainsi que par la Conférence des secrétaires généraux.
Le travail des légistes concernant le dossier des chiens dangereux ne s’appuie sur aucun man- dat formel. Dans un premier temps (2000), l’Office vétérinaire fédéral (OVF) analyse le pro- blème des chiens dangereux à la suite d’un accident mortel en Allemagne. Dans un second temps (2005), après la mort dramatique d’un garçon à Oberglatt, on peut supposer que l’an- nonce de mesures sévères par le chef du département a tenu lieu de mandat implicite pour l’OVF. En effet, ce dernier va proposer une série de mesures – dont l’interdiction de certaines races – qu’il tenait pour inadéquates auparavant.
3.1.3 résumé
De manière générale, l’analyse des impulsions et des mandats montre que les légistes, qu’ils soient membres de l’administration ou experts extérieurs, jouissent d’une grande autonomie, aussi bien dans la définition du problème que dans la détermination des buts et objectifs et le choix des mesures. Cette relative indétermination des mandats ne constitue pas un han- dicap pour les légistes, bien au contraire. La distance critique indispensable à une démarche de caractère méthodique est ainsi facilitée, formellement du moins. Car en fait plusieurs fac- teurs interviennent qui peuvent restreindre la capacité autonome de jugement comme par exemple :
– le système de valeurs du légiste, son idéologie fonctionnant comme une grille de lecture de la réalité ;
– la pression de l’opinion, par exemple dans une situation fortement émotionnelle, comme l’illustre le dossier des chiens dangereux : comment développer une analyse rigoureuse lorsqu’une pétition lancée par un quotidien de boulevard et signée par la majorité des députés indique la solution ? ;
– l’insertion des légistes dans une structure administrative hiérarchisée.
Malgré la distance critique requise du légiste face aux impulsions et au mandat, celui-ci a be- soin de savoir ce que recherche son mandant, afin de pouvoir exercer sa compétence. Du point de vue de la démarche méthodique, la question des buts et objectifs visés justifie des relations étroites entre le légiste et son mandant. En effet, seul ce dernier est légitimé à définir les buts recherchés, ce qui constitue la véritable direction politique du processus législatif. La compé- tence du légiste se limite à l’analyse de la réalité considérée comme insatisfaisante et aux moyens susceptibles d’y remédier en fonction des buts indiqués. Or l’analyse des impulsions et des mandats montre que les intentions des mandants ne sont pas toujours très claires et que les rares objectifs relatifs au contenu imposés par les mandats restent généralement à un niveau plutôt abstrait.
3.2 définition du probLème
L’analyse de la situation présentée comme problématique constitue la première étape de la démarche de légistique matérielle. Que se passe-t-il ? Où réside le problème ? Ce sont les ques- tions principales à résoudre lors de cette étape (OFJ 2007 : 3).
La situation initiale peut être examinée selon différentes perspectives, notamment sociale, politique et juridique (OFJ 2007 : 7). La perspective politique est exprimée par les impulsions et le mandat (cf. chap. 3., p. 23). Mais le légiste ne peut se contenter de relayer ce flux peu structuré d’informations multiples et parfois d’émotions. La démarche méthodique préconise une prise de distance qui lui garantit l’autonomie nécessaire à la définition de la situation sociale, à l’évaluation de son degré de gravité et d’urgence. Dans ce sens, le légiste se doit de relativiser les impulsions à l’origine du processus législatif, d’en interroger de manière critique la pertinence. Par ailleurs ces impulsions traduisent parfois des visions très divergentes en ce qui concerne le diagnostic, un phénomène qui justifie d’autant plus une analyse du problème social propre au légiste.
Le Tableau 3 synthétise les résultats de l’appréciation du problème social dans les différentes phases de la légifération (pour la définition des phases, cf. chap. 2, p. 5). Nous évoquons uni- quement les phases que nous avons analysées en détail. Nous commençons par la présence d’une définition politique du problème imposée au légiste par les impulsions ou le mandat, ou encore par le biais d’une surveillance politique du processus (cf. chap. 3., p. 23). Nous cherchons
à savoir si les légistes ont confronté cette définition politique à d’autres informations. En par- ticulier, il est intéressant d’observer si la possibilité de non-intervention a été évoquée.
Nous examinons ensuite si les dimensions du problème ont été analysées de manière systé- matique. La légistique propose deux instruments à cet effet : la grille d’analyse et la modé- lisation causale (OFJ 2007 : 7). Selon la grille d’analyse, il s’agit de déterminer la nature (en quoi consiste le problème ?) ; les causes (quelles sont les conditions qui créent le problème ?) ; la durée et la dynamique (depuis quand le problème existe-t-il et comment a-t-il évolué ?) ; les effets (quelles sont les conséquences du problème et qui est touché ?), ainsi que l’impact d’une non-intervention. L’analyse peut être affinée dans une représentation graphique du pro- blème : la modélisation causale. Notre analyse porte sur l’application de ces instruments et le degré de prise en compte des différentes dimensions du problème pendant le processus et dans le résultat, c’est-à-dire l’avant-projet.
Finalement, nous étudions l’objectivité des informations prises en compte par le légiste. Est-ce qu’il s’agit d’informations qui ont été récoltées de manière systématique ? En effet le légiste se doit de récolter les données disponibles de manière méthodique. Tout comme il doit sollici- ter les informations qui lui manquent pour parvenir à une définition fondée du problème. De plus, le légiste est tenu de prendre en considération les résultats d’éventuelles études scienti- fiques. C’est ainsi qu’il peut mettre en évidence une éventuelle contradiction entre la défini- tion politique du problème et la situation sociale observée.
tabLeau 3 : résultats de l’évaluation des analyses de la situation sociale
Cas Définition
politique du problème
Importance de la question de non- intervention
Prise en compte des dimensions du problème
Systéma- tique de la récolte des informa- tions
Quantité de la docu- mentation consultée
Qualité scientifique des infor- mations Assistance au décès,
phase 3 + + (+) (–) (–) (–)
Chiens dangereux,
phase 0 + + (+) (+) +
Chiens dangereux,
phase 2 + – – – (–) –
Contrôle de sécurité,
phase (+) (+) (+) + 0 –
Contrôle de sécurité,
phase 2 0 0 0 (–) (–) –
Don d’organes (+) – + + + +
Langues, phase a 0 (+) (–) 0 (–) (–)
Langues, phase b (+) (–) (–) 0 (–) –
Langues, phase 2 0 – – (–) (–) –
Langues, phase 3 0 (–) (–) (–) – (–)
Loteries et paris 0 (+) + + + +
Sites contaminés, phase 2 (+) – + 0 (–) (–)
Société anonyme, phase (+) (+) + 0 0 (+)
Société anonyme, phase 2 (+) (–)/? (–)/? (–) (–)/? (–)/?
Transparence (+) – + + + (+)
Tutelle, phase – 0 + (+) + +
Tutelle, phase 2 (–) – (+) + + +
Tutelle, phase 3 (–) – + 0 (+) 0
Légende : – : faible ; (–) : plutôt faible ; 0 : moyen ; (+) plutôt fort ; + : fort ; ? : pas connu.
Dans quelle mesure la définition politique du problème a-t-elle influencé le travail des lé- gistes ? L’importance accordée à une possible non-intervention peut nous servir d’indicateur.
Le dossier de l’assistance au décès montre que l’intervention étatique est mise en question malgré une forte pression parlementaire pour une intervention, lorsque le chef du départe- ment s’y oppose. Par contre, dans le cas de la transparence, la pression politique persistante du Parlement et de l’opinion publique a empêché le Conseil fédéral de faire examiner la non- intervention. Dans le dossier des chiens dangereux, la possibilité d’une non-intervention n’est plus discutée dès lors que le chef du département a fait sienne la définition du problème issue du débat public.
En général, la question de la nécessité d’une intervention est plutôt soulevée au début du processus. Dans la première phase du dossier de la société anonyme, les experts avaient à exa- miner l’effectivité de l’autorégulation du secteur et à se prononcer sur la nécessité de mesures législatives. Pour le cas du contrôle de sécurité, la volonté du chef de Département de l’environ- nement, des transports, de l’énergie et de la communication (DETEC) de changer la situation était claire. Par contre les offices au sein du DETEC n’étaient pas favorables à une réforme, ce qui a conduit à une discussion du besoin d’une intervention dans la première phase. Le dossier de la tutelle illustre un type de cas où la définition politique est faible ; les travaux ont été ini- tiés par l’administration. Tout de même, la première tâche du groupe d’experts, selon le man- dat, consistait à démontrer le besoin d’une révision totale. La question d’une non-intervention n’a pas été posée lorsque le processus a été déclenché par une initiative parlementaire (sites contaminés) ou s’il a été précédé immédiatement par une révision constitutionnelle (don d’organes). L’approbation du Parlement ou du peuple a suffi pour ne pas mettre en question le besoin d’agir. En bref, il paraît que le légiste ne doute de l’opportunité d’une intervention que lorsque l’autorité politique elle-même partage ce doute.
Pour l’analyse du problème, nous n’avons observé l’application explicite de l’un ou l’autre des instruments – la grille d’analyse et la modélisation causale – dans aucun des dossiers exami- nés. C’est pourquoi notre analyse se concentre sur le degré de prise en compte des différentes dimensions du problème. Ce degré est élevé dans sept des dix dossiers : La nature du problème, ses causes et effets ainsi que son évolution ont été examinés de manière assez compréhensive par l’administration (transparence, assistance au décès, don d’organes, contrôle de sécurité), par un groupe d’experts et/ou une commission d’experts (tutelle, loteries et paris) ou par une sous-commission parlementaire (sites contaminés).
Pour le dossier de la société anonyme, le groupe d’experts chargé d’élaborer un premier avant- projet s’est occupé de manière assez systématique du problème. L’administration a ensuite adopté cette analyse, sans apparemment aller plus loin. Pour le dossier des chiens dangereux, l’analyse a été faite soigneusement dans une première phase par l’administration, mais n’a plus été prise en compte par cette même administration dans la phase ultérieure ; le problème n’a presque plus été analysé dans cette deuxième phase. Le dossier des langues est le seul cas où nous avons observé très peu d’effort pour analyser de manière systématique les dimen- sions du problème. La nature du problème – les obstacles à « la compréhension mutuelle » –,
ses causes et ses effets restent flous jusqu’à la fin. Pourtant, dans l’ensemble, nous constatons que les dimensions des problèmes ont été prises en considération de manière satisfaisante, même si aucun des instruments proposés n’a été appliqué.
Concernant l’objectivité des informations à disposition, les cas peuvent être classés en trois groupes. Tout d’abord, les cas « méthodiques ». Ils se caractérisent par une phase de collecte systématique de données de base, une documentation compréhensive et de qualité scienti- fique élevée. Dans ce groupe on peut classer les dossiers du don d’organes, des loteries et paris, de la transparence ainsi que de la tutelle. Le discours d’experts y est dominant et on constate l’élaboration de nombreux papiers de travail et l’octroi de mandats d’études auprès d’instituts de recherche. Cependant, à l’exception du dossier des loteries et paris, les processus n’ont pas suivi de manière explicite une démarche méthodique. Pour le cas de la tutelle, le travail des légistes a été très méthodique dans les deux premières phases. Dans la troisième phase, la commission d’experts s’est appuyée sur les informations existantes et n’a procédé à une re- cherche de documents que si cela s’est encore avéré nécessaire. Ces dernières recherches n’ont plus été très systématiques.
Ensuite, les cas « moyens ». Ils révèlent quelques éléments d’objectivation, mais ces efforts restent limités dans l’ensemble du dossier. Nous pouvons citer le dossier des chiens dange- reux, dont la première phase a été conduite de manière très méthodique, voire exemplaire pour une démarche légistique. Pourtant, les informations systématiques réunies initialement n’ont plus été prises en compte dans la deuxième phase.
La catégorie moyenne comprend aussi le dossier du contrôle de la sécurité : le groupe de travail a établi de manière très systématique un inventaire des tâches de contrôle de sécurité au sein du département dans une première phase. A cet effet, le groupe a d’abord consulté tous les offices, puis il a systématisé les informations reçues, avant de les faire valider encore une fois par les offices. Pourtant, la quantité d’informations consultée est restée limitée et il s’agissait de documents administratifs et non pas scientifiques. Quant à la société anonyme, les experts ont travaillé sous la pression du temps, ce qui a limité la quantité de documents consultés et les efforts de systématisation. Pourtant, la qualité scientifique a été élevée, et le travail des experts a servi de base pour le remodelage ultérieur du projet par l’administration.
Enfin, les autres cas peuvent être qualifiés de « peu objectifs ». Ils sont marqués par une re- cherche d’informations plutôt arbitraire, une documentation restreinte et lacunaire et un manque de documents de caractère scientifique. Les dossiers des langues, de l’assistance au décès et des sites contaminés tombent largement dans cette classe de cas. Dans le dossier des langues, nous observons quelques efforts au cours de la première phase pour collecter systématiquement des données, mais ces efforts sont faibles : il s’agit d’un court catalogue de questions posées aux offices impliqués dans le groupe interdépartemental en charge de l’élaboration d’une loi sur les langues officielles, ainsi que d’une série d’auditions avec un choix d’acteurs sur la problématique de la compréhension entre les communautés linguistiques.
Mais même le déroulement de ces auditions a été peu structuré. L’objectivation du problème par les légistes reste limitée pendant tout le processus.
La même remarque vaut pour le dossier de l’assistance au décès. L’administration n’a réuni que des données ponctuelles. Finalement, l’avant-projet des sites contaminés a été élaboré en peu de temps par un expert d’une administration cantonale sur la base de quelques auditions et a été adapté par la sous-commission. La sous-commission s’est abstenue d’analyser de ma- nière systématique la situation dans les différents cantons. Le volume d’informations était plutôt faible, et nous n’avons pas trouvé de données de caractère scientifique. Néanmoins, il n’est pas certain qu’il existe une expertise scientifique pertinente pour ce dossier.
En résumé cette analyse montre une assez grande diversité entre les dossiers quant au de- gré de confrontation de la définition politique du problème à d’autres informations et quant au degré d’exhaustivité et d’objectivité de ces informations. Nous observons qu’en général l’analyse du problème est plus complète dans les dossiers qui révèlent les plus grands efforts d’objectivation de la base des connaissances.
3.3 détermination des buts et objectifs
Le constat d’un écart entre la réalité observée et la réalité souhaitée est à l’origine de toute in- tervention du légiste. Après avoir procédé à l’analyse de la situation jugée insatisfaisante (cf.
chap. 3.2, p. 27), ce dernier doit se faire une idée des buts et objectifs visés, de la situation dé- sirée. Idéalement les buts et objectifs à atteindre sont mentionnés dans les impulsions et les mandats confiés au légiste. Ils expriment le choix politique d’une perspective d’avenir. Mais leur explicitation est souvent insuffisante pour que le légiste puisse en déduire une stratégie d’action. Ce dernier se doit de préciser et de concrétiser le discours politique sur les buts, sans pour autant se substituer au pouvoir politique. Dans un premier temps, la détermination des buts et objectifs nécessite donc que le légiste explicite les finalités qui lui sont proposées dans le mandat (et les impulsions), puis qu’il élargisse le spectre des buts possibles sur la base de l’analyse du problème. Le légiste procède tout à la fois à une concrétisation des buts en tra- duisant ces derniers en objectifs opérationnels et à leur rattachement à des finalités plus gé- nérales établies dans le système de valeur de la société. Ce système de buts et objectifs ainsi hiérarchisés permet de détecter d’éventuelles incompatibilités et, le cas échéant, de pondérer buts et objectifs.
L’analyse de nos dix dossiers montre que les impulsions, et plus particulièrement encore les mandats, sont généralement pauvres en buts et objectifs (cf. chap. 3., p. 23). La formulation des finalités n’intervient souvent que durant le processus d’élaboration du projet (p. ex. assis- tance au décès). Les rares buts exprimés dans les mandats – et parfois les buts récupérés des impulsions (p. ex. transparence) – sont en général élargis et retravaillés, ce qui s’inscrit dans une démarche plus générale « d’ouverture du terrain » – aussi peu systématique soit-elle.
De manière similaire au mandat, nous observons également au stade de l’élaboration du pro- jet que des objectifs relatifs au contenu sont fréquemment mentionnés côte à côte avec des objectifs procéduraux (OFJ 2007 : 2-22), voir avec des objectifs relatifs à la « forme » de l’acte
et de l’ordre normatif visés, comme par exemple la systématique de l’acte normatif, l’inté- gration dans l’ordre juridique existant ou l’harmonisation des règles existantes. Le cas de la première phase du dossier du droit de la tutelle est à ce propos très particulier. En effet, le mandat demande aux trois experts d’élaborer les exigences auxquelles une réglementation moderne devrait répondre. Cependant les huit objectifs de réforme identifiés comprennent également toute une série de buts procéduraux, comme par exemple l’implication d’experts non juridiques ou la sensibilisation du grand public aux préoccupations du projet de révision de loi. Contrairement aux objectifs relatifs au contenu, ces buts procéduraux perdent leur im- portance lorsque le projet de loi est terminé.
La plupart du temps nous en savons très peu sur les « procédures » et les « techniques » qu’uti- lisent les groupes de travail internes ou externes, les commissions d’expert et autres manda- tés pour déterminer et concrétiser les buts et objectifs d’un projet. Ces démarches ne sont pas explicitées dans les documents et, lors des entretiens, nos interlocuteurs peinent à donner des réponses.
Ainsi, pour la grande majorité des cas, nous ne savons pas si les buts et objectifs ont été hiérar- chisés. Les informations sur les processus laissent soupçonner que bien souvent les légistes ne procèdent pas à une hiérarchisation explicite, mais fixent les objectifs dans un ordre plus ou moins spontané (p. ex. loteries et paris où les buts restent dans l’ordre donné initialement par le secrétariat de la commission d’experts). La première phase du dossier du droit de la tutelle, qui est entièrement consacrée à la recherche et la définition des objectifs d’une révision com- plète, livre le seul exemple contraire. En effet, les trois experts procèdent à une hiérarchisation des objectifs, bien que ceux-ci soient de nature très variée (principes fondamentaux relatifs au contenu, qualité du produit final ou encore manière de procéder lors de la révision).
Nos analyses montrent également des tendances intéressantes en ce qui concerne le degré de concrétisation des objectifs et le moment où les finalités font réellement objet de débat parmi les légistes impliqués.
Le degré de concrétisation des objectifs est souvent assez faible. Le rapport sur les travaux préparatoires de la loi sur la compréhension (langues, phase b) part même d’un but global présupposé et se concentre entièrement sur les mesures. Au cours de cette même phase, des consultations ont eu lieu avec des acteurs impliqués afin de déterminer les bases pour formuler les buts, mais dans les procès-verbaux de ces réunions les buts ne sont jamais mentionnés.
Lorsque nous constatons une concrétisation relativement prononcée des buts, celle-ci est en général étroitement liée à la discussion des mesures. Autrement dit, les légistes semblent confrontés à la question des buts et objectifs en discutant des mesures à prendre afin de remédier au problème et ils s’en occupent « en passant » (p. ex. assistance au décès, phase 3).
Cette manière de procéder se reflète ensuite également dans les rapports. Par exemple, les documents de la deuxième phase du dossier des chiens dangereux mentionnent des objec- tifs d’un caractère concret comme l’élevage de chiens au caractère équilibré et peu agressif envers l’homme et d’autres animaux. Mais la plupart de ces objectifs plus « opérationnels »
sont cachés dans la discussion des mesures. Ceci est également le cas dans les recomman- dations de la Commission nationale d’éthique (assistance au décès, phase 2) ou encore dans la deuxième phase du dossier du droit de la tutelle. On distingue alors rarement un stade de projet réellement consacré à l’élaboration d’un système de buts et d’objectifs que devrait réa- liser le projet législatif. Nous notons toutefois deux exceptions : la première phase du dossier du droit de la tutelle (cf. supra) et le dossier du contrôle de sécurité dans lequel les légistes, en début du processus, consacrent du temps tout particulièrement aux objectifs.
Non seulement on trouve rarement une phase propre aux buts et objectifs, mais – contraire- ment à la démarche méthodique préconisée par la légistique – sur le terrain, les objectifs ne sont explicités, discutés et concrétisés souvent que tardivement dans le processus. Et dans certains cas, une telle discussion n’a jamais lieu. Ainsi la troisième phase du dossier de la tu- telle : un papier de travail sur les buts de la révision est établi en vue de la 3e et dernière séance de la commission d’experts, mais en fin de compte, il ne semble même pas avoir été discuté. De même, le rapport explicatif et le projet de loi sur la transparence contiennent bien des objectifs, mais d’après les documents une discussion des buts n’a jamais été agendée dans le groupe de travail.
Comme le montre entre autres le cas du contrôle de sécurité (cf. supra), de rares exemples contraires existent. Dans la phase principale du dossier de l’assistance au décès, les objectifs sont discutés lors de la première réunion du groupe de travail. La commission d’experts sur la loi sur les loteries et paris discute explicitement des objectifs à partir de la 6e séance (sur 6 séances) et dès la 9e séance sur la base d’un papier de travail.
Nous n’avons trouvé aucune indication que les légistes procèdent à une pondération des ob- jectifs. Nous ne savons pas non plus dans quelle mesure les groupes de travail, commissions d’experts et autres légistes ont considéré la compatibilité des différents buts et objectifs. Le dossier des loteries et paris constitue une exception. Dans ce cas, le conflit entre la lutte contre l’addiction au jeu et la production de revenus à des fins d’utilité publique et de bienfaisance est explicitement évoqué.
De manière générale, nos analyses montrent que chacun des dix projets mentionne des ob- jectifs et que ces objectifs, qui restent souvent à un niveau plutôt abstrait, peuvent au moins implicitement être rattachés à la définition du problème. Leur degré élevé d’abstraction tra- duit le fait qu’ils sont rarement le fruit d’un travail systématique pour décrire une situation désirée, mais qu’ils s’inspirent plutôt d’une inversion de la situation jugée inadéquate. Dans la plupart des dossiers, les légistes n’accordent pas un rôle très important aux objectifs, même si en raison d’exigences formelles (« Zweckartikel ») ils sont obligés de mentionner au moins une finalité dans le texte normatif. On trouve même des cas où la discussion sur les objectifs n’a tout simplement pas lieu (cf. supra). Ou alors les objectifs formulés dans des impulsions sont repris tels quels sans être retravaillés, même s’ils sont vagues (société anonyme).
3 Même si celle-ci reconnaît le fait qu’il s’agit d’un processus itératif.
Sur la base de nos données, nous pouvons difficilement établir dans quelle mesure les buts et objectifs sont soumis à un processus de négociation politique « caché » ou si les légistes prêtent aussi peu d’attention aux buts et objectifs afin d’éviter le plus possible de tels débats politiques et de pouvoir se concentrer sur l’élaboration de la stratégie d’action. La principale phase du dossier de l’assistance au décès révèle ce genre de problème : les buts et objectifs mentionnés dans le rapport final sont bien plus abstraits que ceux, pourtant peu concrets, in- voqués dans différents documents durant le processus. Pourquoi renonce-t-on à être plus pré- cis ? La tentation est grande d’invoquer des raisons politiques : en l’absence d’une volonté de légiférer de la part du chef du département, il vaut probablement mieux se limiter à des buts plutôt généraux pour pouvoir argumenter que la situation est maîtrisable avec les moyens légaux existants. Trop de détails concernant les buts visés pourrait indiquer la nécessité de légiférer. Dans le cas de la loi sur les langues, la discussion des buts et objectifs concernant le soutien aux cantons plurilingues est entièrement omise et tous les efforts se concentrent sur les mesures à prendre : il est vrai que dans ce dossier, les cantons et la Confédération pour- suivent clairement des objectifs différents.
Parmi nos dix études de cas, nous trouvons néanmoins un cas (contrôle de sécurité) dans lequel, durant les travaux en cours, une liste d’objectifs est explicitement soumise au juge- ment du chef du département qui donne son approbation. Des discussions avec le chef du département et un séminaire impliquant les offices concernés sont en outre à l’origine de la détermination des buts dans ce dossier. Aussi bien du point de vue légistique que de celui du fonctionnement d’un Etat démocratique – c’est aux représentants élus de définir les buts de l’action publique –, la manière de procéder adoptée dans ce dossier peut être considérée comme exemplaire.
3.4 Le choix des instruments d’action
L’analyse de la situation considérée comme problématique et la détermination des buts et objectifs visés constituent les conditions préalables à la recherche d’une solution : légiférer implique de connaître le terrain sur lequel on veut agir et de savoir où l’on veut aller. Pour ré- soudre le problème, l’Etat cherche à infléchir les comportements ou les représentations des ac- teurs sociaux. Il veut influencer le choix de ces derniers entre différentes possibilités d’action, en favorisant ou imposant certaines d’entre elles, en décourageant ou interdisant d’autres.
Pour ce faire, l’Etat dispose de toute une panoplie d’instruments (OFJ 2007 : 265). Et comme une mesure isolée se révèle rarement suffisante pour répondre au problème posé, il s’agit d’en combiner plusieurs dont l’ensemble constituera une stratégie ou un programme d’action. Le choix de ces mesures est déterminé tout à la fois par la qualité de l’analyse du problème et par la précision des buts recherchés : une bonne connaissance des comportements et des motiva- tions des acteurs concernés, tout comme une représentation claire et concrète des objectifs à atteindre facilite la sélection de mesures adéquates.