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La politique étrangère et de sécurité commune et l’Asie : l’ère de l’apprentissage pour la diplomatie européenne ? 1991-2011

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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Thesis

Reference

La politique étrangère et de sécurité commune et l'Asie : l'ère de l'apprentissage pour la diplomatie européenne ? 1991-2011

HERVIEU, Jérôme François

Abstract

J'étudie l'ensemble des relations entre l'Europe et l'Asie, tant les domaines de coopération/compétition sont nombreux, tout comme la multiplication des rencontres à différents niveaux, sur fond d'avancées institutionnelles quant à la gestion de l'action extérieure européenne. Pour cela, l'Asie offrait l'opportunité d'étudier différents aspects de la relation : le bilatéralisme, l'interrégionalisme (ASEAN), le transrégionalisme (ASEM) et « les multilatéralismes » et dans différents domaines d'interactions (Economie, Politique, Sécuritaire, Environnement, Droits de l'homme). De fait, c'est aussi l'émergence de la région, et de certains états clés (Chine, Inde, Japon, Corée) qui en ont fait le candidat le plus approprié pour y étudier la diplomatie européenne. Par l'analyse des relations euroasiatiques entre 1991 et 2011, il s'agit d'étudier le rôle qu'a pu jouer l'Asie dans l'action extérieure européenne, celle des institutions européennes et des États membres les plus impliqués dans la région. Si cette diplomatie européenne va se professionnaliser progressivement, c'est aussi par les [...]

HERVIEU, Jérôme François. La politique étrangère et de sécurité commune et l'Asie : l'ère de l'apprentissage pour la diplomatie européenne ? 1991-2011. Thèse de doctorat : Univ. Genève, 2020, no. L. 996

DOI : 10.13097/archive-ouverte/unige:145526 URN : urn:nbn:ch:unige-1455267

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:145526

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Université de Genève Faculté des lettres

THÈSE

pour obtenir le grade de

Doctorat ès lettres histoire générale

Présentée par

Hervieu Jérôme

La politique étrangère et de sécurité commune et l’Asie : l’ère de l’apprentissage pour la diplomatie européenne ? 1991-2011

Directeur de thèse : Ludovic Tournès

Soutenue le 29 octobre 2020

Membres du Jury de thèse

Président: Professeur Matthias Schulz (Université de Genève) Directeur: Professeur Ludovic Tournès (Université de Genève)

Membre: Professeur Rémi Baudoui (Faculté des sciences de la société,

Université de Genève)

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- 1 - Remerciements

Je tiens tout d’abord à remercier mon directeur de thèse qui, malgré la distance, m’a guidé pendant ces longues années de recherche et de rédaction et a su faire preuve de persévérance pour encadrer et corriger mon travail (ainsi que mon code couleur). J’aimerais également remercier mon jury qui a su organiser une soutenance malgré le contexte sanitaire.

J’adresse aussi mes remerciements aux archives historiques de l’Union européenne ainsi qu’à l’Institut Jacques Delors pour m’avoir permis d’utiliser leurs fonds.

Enfin, mes remerciements vont à ma famille, en particulier ma femme qui a dû endurer les pérégrinations d’un doctorant, ainsi qu’à mes amis.

Cette thèse a bénéficié d’un soutien financier de l’Institut des hautes études de la défense nationale (IHEDN).

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- 2 - Résumé

La politique étrangère et de sécurité commune et l’Asie : l’ère de l’apprentissage pour la diplomatie européenne ? 1991-2011

J’étudie l’ensemble des relations entre l’Europe et l’Asie, tant les domaines de coopération/compétition sont nombreux, tout comme la multiplication des rencontres à différents niveaux, sur fond d’avancées institutionnelles quant à la gestion de l’action extérieure européenne. Pour cela, l’Asie offrait l’opportunité d’étudier différents aspects de la relation : le bilatéralisme, l’interrégionalisme (ASEAN), le transrégionalisme (ASEM) et « les multilatéralismes » et dans différents domaines d’interactions (Economie, Politique, Sécuritaire, Environnement, Droits de l’homme). De fait, c’est aussi l’émergence de la région, et de certains états clés (Chine, Inde, Japon, Corée) qui en ont fait le candidat le plus approprié pour y étudier la diplomatie européenne. Par l’analyse des relations euroasiatiques entre 1991 et 2011, il s’agit d’étudier le rôle qu’a pu jouer l’Asie dans l’action extérieure européenne, celle des institutions européennes et des États membres les plus impliqués dans la région. Si cette diplomatie européenne va se professionnaliser progressivement, c’est aussi par les obstacles qu’elle devra surmonter.

Ainsi l’étude des relations entre l’Europe et l’Asie permet d’évaluer la pratique européenne des relations internationales. La relation entre l’Europe et l’Asie et la stratégie asiatique mise en place par les instances communautaires en complément de celles des états membres a-t- elle apporté quelque chose à la mise en place de la diplomatie européenne ? Et si oui, dans quel domaine ? Par la grande variété des contacts qu’elle offre, des domaines abordés, la diplomatie européenne a pu profiter de la relation euroasiatique pour expérimenter différentes formes de relations. Bien qu’elle y ait subi des revers, elle a su s’intégrer dans les différents dialogues, y améliorer son image et gagner en crédibilité. Elle est bien présente en Asie et même si le statut de l’UE, ainsi que l’action des États membres, peut rendre le processus de décision et d’adoption des mesures plus compliqué, malgré la distance, elle dispose des outils pour peser dans la région asiatique.

Mots clés : Union européenne, Asie, nouvelle stratégie asiatique, ASEAN, ASEM, PESC, PSDC, Chine, Inde, Japon, Corée, Aceh Monitoring Mission.

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- 3 - Abstract

The Common Foreign and Security Policy and Asia: A learning phase for the European diplomacy? 1991-2011

I’m studying the relationships between Europe and Asia, covering many areas as the fields of cooperation and competition are vast, as well are an increasing number of meetings at various levels and changes in the decision-making process of Europe’s external action. Asia offered the opportunity to study different aspects of the relationship: bilateralism, interregionalism (ASEAN), transregionalism (ASEM) and “multilateralisms" in various areas of interaction:

economy, politic, security, environmental and human rights. Indeed, it is also the emergence of Asia and certain key states (China, India, Japan, Korea) who made it the most suitable candidate to study European diplomacy. By analysing Euro-Asian relations between 1991 and 2011, the purpose is to study the role that Asia, European institutions and the Member States most involved in the region may have played in the definition of European external action. If this European diplomacy is going to become progressively professionalised, it is also through the obstacles that it will have to overcome.

Thus, the study of relations between Europe and Asia enables us to assess the European practice of international relations. Has the relationship between Europe and Asia and the Asian strategy put in place by the Community bodies, in addition to those of member states, contributed anything to the establishment of European diplomacy? And if so, in which area?

Through the wide variety of contacts it offers, the areas it addresses, Euro-Asian relationship has provided an opportunity for the European diplomacy to experiment different forms of relationship. Although she suffered setbacks there, she was able to integrate herself into various dialogues, improve her image and gain credibility. The EU is present in Asia and even if its status, as well as the action of the Member States, can make the decision-making process and the adoption of measures more complicated, despite the distance, the EU owns the means to weigh in the Asian region.

Keywords: European Union, Asia, New Asian Strategy, ASEAN, ASEM, CFSP, CSDP, China, India, Japan, Korea, Aceh Monitoring Mission.

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Table des matières

Abréviations et sigles officiels --- - 6 -

Introduction générale --- - 10 -

Première partie – Politiques Européennes et Asies --- - 20 -

Chapitre 1 – L’émergence d’une diplomatie européenne --- - 21 -

A – La politique étrangère, idéaux européens et pragmatisme asiatique --- - 22 -

B – La question identitaire --- - 39 -

C – La PESC, principes, objectifs et institutions--- - 46 -

Chapitre 2 - La relation euro-asiatique --- - 71 -

A – Les relations avant la stratégie asiatique --- - 72 -

B – La « nouvelle stratégie asiatique » --- - 88 -

C – En Asie, une New Europe Strategy ? --- - 99 -

Deuxième partie -L’interrégionalisme --- - 134 -

Chapitre 3 – Le régionalisme --- - 135 -

A – Le régionalisme pour l’Union européenne et ses relations internationales --- - 136 -

B – L’ASEAN --- - 139 -

B – Les forums régionaux de l’ASEAN et l’UE face aux défis asiatiques --- - 160 -

Chapitre 4 - Le bilatéralisme interrégional --- - 173 -

A - L’UE et l’Inde, une relation à l’ombre du Pakistan --- - 174 -

B - L’Asie orientale --- - 188 -

C – Les Chine --- - 196 -

Troisième partie – Un dialogue élargi --- - 215 -

Chapitre 5 – Au-delà du régionalisme --- - 216 -

A - L’ASEM, chaînon manquant ou forum de dialogues ? --- - 217 -

B - L’ASEF, l’élément culturel fédérateur ? --- - 233 -

C – L’Europe et le multilatéralisme--- - 242 -

Chapitre 6 - Les domaines principaux --- - 261 -

A - L’économie, plus qu’un simple pilier --- - 262 -

B – Les droits de l’homme --- - 278 -

C – De l’environnement au développement durable --- - 294 -

Quatrième partie – Emergence asiatique et européenne --- - 310 -

Chapitre 7 - Les mutations européennes --- - 311 -

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- 5 -

A - La professionnalisation de la diplomatie européenne --- - 312 -

B - L’esprit de défense dans la PESC, une UE Westphalienne ? --- - 325 -

Chapitre 8 – L’UE dans les relations internationales --- - 346 -

A - Les acteurs tiers --- - 347 -

B - La coopération internationale Europe-Asie --- - 358 -

C - Diplomatie et identité européenne en Asie--- - 378 -

Conclusion Générale --- - 397 -

Sources et bibliographie --- - 408 -

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- 6 -

Abréviations et sigles officiels

ACP Afrique Caraïbes Pacifique ADM Arme de Destruction Massive AEBF Asia-Europe Business Forum

AECF Asia-Europe Cooperation Framework AEMM Asean-EC Ministerial Meeting

AEPF Asia-Europe People’s Forum

AIPO ASEAN Inter-Parliamentary Organization ALA Amérique Latine Asie

AMM Aceh Monitoring Mission

APD Aide Publique au Développement APEC Asia-Pacific Economic Cooperation APT Asean Plus Three

ARF Asean Regional Forum

ASEAN Association of Southeast Asian Nations ASEF Asia Europe Fondation

ASEM Asia Europe Meeting

CAEC Conseil de Coopération Asie-Europe CAN Communauté andine

CECA Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier CED Communauté Européenne de Défense

CEE Communauté Economique Européenne

CEEA Communauté Européenne de l’Energie Atomique CEI Communauté des États Indépendants

CIG Conférence intergouvernementale

CJCE Cour de Justice des communautés européennes CMC Comité Mixte de Coopération

CMUE Comité Militaire de l’UE

CNUCED Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement COPS Comité Politique et Sécurité

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- 7 - COREPER Comité des Représentants Permanents CPE Coopération Politique Européenne

CSCE Conférence sur la Sécurité et la Coopération en Europe CSP Country Strategy Papers

EAEC East Asia Economic Caucus EAS East Asia Summit

ECHO European Communities Humanitarian Office EEAS European External Action Service

EM Etat membre

EMUE État-major de l'Union Européenne ESS European Security Strategy EUDEL European Delegation

EUISS Institut d’étude de sécurité européenne

FEALAC Forum de coopération entre l’Asie orientale et l’Amérique latine FED Fonds européen de développement

FMI Fonds Monétaire International FMM Foreign Minister Meeting

GAERC General Affairs and External Relations Council

GAM Gerakan Aceh Merdeka (Mouvement pour un Aceh libre) GATT General Agreement on Tariffs and Trade

GCC Gestion de Crise Civile

HR Haut représentant pour la PESC

HRAEPS Haut représentant pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité HRPESC Haut représentant pour la PESC

IESD Identité Européenne de Sécurité et de Défense IPAP Investment Promotion Action Plan

JAI Justice et Affaires intérieures

JOCE Journal Officiel de la Communauté Européenne KEDO Korean Peninsula Energy Development Organization MERCOSUR Marché Commun du Sud

MNA Mouvement des Non-alignés

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- 8 -

NEPAD New Partnership for Africa’s Development NTS Non-Traditional Security Threats

OCDE Organisation de Coopération et de Développement Economiques OMC Organisation Mondiale du Commerce

ONG Organisation Non Gouvernementale ONU Organisation des Nations Unies

OTAN Organisation du Traité de l’Atlantique Nord OTASE Organisation du Traité de l’Asie du Sud-Est OUA Organisation de l’Unité Africaine

PCC Politique Commerciale Commune PECO Pays d’Europe Central et Orientale

PESC Politique Etrangère et de Sécurité Commune PSC Political and Security Committee

PSDC Politique de Sécurité et de Défense Commune RAS Région Administrative Spéciale

RDA République Démocratique Allemande RFA République Fédérale Allemande RPC République Populaire de Chine

SAARC South Asian Association for Regional Co-Operation SEAE Service Européen pour l'Action Extérieure

SOMTI Senior Official Meeting on Trade and Investment SPG Système européen de Préférence Généralisée TAC Treaty of Amity and Cooperation

TFAP Trade Facilitation Action Plan TICE Traité instituant la CE

TNP Traité de Non-Prolifération TUE Traité sur l’Union Européenne

UE Union Européenne

UEM Union Economique Monétaire UEO Union de l’Europe Occidentale UNGA United Nation General Assembly

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- 9 -

UPPAR Unité d’analyse de la politique et d’alerte rapide URSS Union des Républiques Socialistes Soviétiques ZOPFAN Zone of Peace, Freedom and Neutrality

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Introduction générale

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« Nous sommes en train, avec un certain retard, de prendre conscience de l’importance de l’Asie »1, cette formule prononcée par Jacques Santer lors de son discours d’investiture devant le parlement européen en janvier 1995 faisait référence à la « nouvelle stratégie asiatique » approuvée par le Conseil européen d’Essen quelques semaines plus tôt.

L’Union européenne n’a alors que deux ans d’existence tout comme une Politique étrangère et de sécurité commune handicapée par « l’incapacité à développer une approche cohérente englobant les aspects politiques, économiques et de développement ». En effet, les relations entre l’Europe et l’Asie étaient alors principalement entre les mains des États membres de l’UE. Pendant les négociations de Maastricht et son adoption, de la fin de l’année 1990 à 1993, les relations entre la CEE et l’Asie ne figurèrent pas à l’ordre du jour des Conseils européens et ce ne sera qu’avec le document de la Commission adopté à Essen en décembre 1994 que l’Asie va à nouveau apparaître dans l’agenda européen.

Mais avant de profiter du miracle asiatique, l’Europe devait avant tout gérer les conséquences de la fin de la guerre froide. Emprisonnée dans la bipolarité avec le Rideau de fer comme frontière orientale, l'Europe a dû composer avec un nouvel équilibre de la terreur, conséquence de bipolarité. Cet état de fait aura également un impact dans la région asiatique, en particulier sur la construction des États-nations dans les pays en développement, les régimes non démocratiques, autoritaires, voire militaires, étant parfois soutenus par les démocraties occidentales dans le but de limiter l’apparition de régimes communistes. Sa fin, que ce soit la chute du mur de Berlin ou la dissolution de l’URSS en décembre 1991, aura d’importantes répercussions sur le système international. L’Asie et l’Europe retrouveront une visibilité et une marge de manœuvre, cherchant à s’émanciper des doctrines qui les avaient condamnés à un second rôle, voir à un champ de bataille.

En 1993, les États-Unis avaient répondu favorablement à l’initiative de l’APEC afin de profiter de l’essor économique asiatique (dont les Européens étaient exclus). Le triangle économique mondial formé par l’Europe, l’Amérique et l’Asie était presque fermé, il manquait une relation plus forte, voire institutionnalisée entre l’Europe et l’Asie. Cependant, l’APEC était pour les États-Unis un outil dont il aurait pu se passer tant leur présence, militaire et économique, en

1 Commission européenne, Discours du Président Santer devant le Parlement européen, 1995, Strasbourg. [En ligne : https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/SPEECH_95_1]. Consulté le 12 mars 2013.

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Asie était forte, ce qui n’était pas le cas de l’Europe qui connut, encore au 20ème siècle, une histoire tumultueuse avec cette région. Le contexte asiatique lui-même lui était défavorable, les tensions entre Taiwan et la RPC, entre le Japon et la RPC ou autres querelles territoriales étaient plus évidentes à maîtriser pour un État-nation que pour une organisation supranationale et ses États membres.

La présence de l’UE en Asie était surtout le fait de certains États membres, des puissances exportatrices comme l’Allemagne, ou d’anciens colonisateurs comme le Royaume- Uni ou la France. Pour leur part, les institutions communautaires s’attachaient à développer les relations avec l’ASEAN, certains pays, ou apporter une aide publique au développement. À la différence des États-Unis qui, dans les « dividendes de la paix », voyaient l’occasion de réorienter leur politique vers l’Asie, l’UE lança des programmes d’assistance à l’ex-URSS, aux pays d’Europe centrale et orientale et dut prendre en compte la réunification de l’Allemagne, sans oublier les guerres en ex-Yougoslavie. Ainsi, le contexte n’était pas favorable pour qu’elle puisse se concentrer sur le renforcement des relations avec l’Asie, mais sous l’impulsion des puissances économiques européennes et des dirigeants communautaires, une stratégie asiatique sera lancée en 1994 et affinée au fil des années, l’Asie sera ainsi qualifiée de « pivot prioritaire de la PESC »2 dans le premier rapport sur celle-ci en 1997.

La décennie 90 sera donc le point de départ de deux éléments importants dans l’histoire européenne : la mise en place d’une politique étrangère européenne qui doit compléter celles des États membres ainsi que le renforcement des relations entre l’Europe et l’Asie. Y a-t-il une corrélation entre ces deux évènements, l’un a-t-il pu influencer l’autre dans un monde de plus en plus interdépendant ? L’émergence de l’Asie et la volonté européenne de s’y faire une place auront-elles une influence sur la création de la PESC, son apprentissage et la réorientation des politiques nationales, ce que je qualifie de diplomatie européenne, celle qui regroupe la diplomatie commune mise en œuvre par les institutions européennes (PCC, APD) et celle des États membres. Elle forme le lien entre cette dernière et celle mise en pratique par les institutions communautaires, les deux se déployant dans des domaines semblables, parfois différent, et de manière plus ou moins poussée. L’action extérieure européenne ne va

2 Conseil européen, Rapport annuel sur la PESC, 1998. [En ligne :

https://core.ac.uk/download/pdf/16513848.pdf]. Consulté le 12 mars 2013.

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donc pas seulement reposer sur des principes de puissance westphaliens, mais aussi sur une diplomatie d’influence, de normes et une puissance structurelle. De nouvelles formes de diplomatie vont émerger, à l’initiative de l’UE ou simplement par le fait de l’émergence de nouveaux acteurs et d’interactions diplomatiques qui se développent maintenant dans des domaines très larges (politiques, sécuritaires, économiques, mais aussi environnementaux), d’interdépendance accrue et de globalisation.

Ainsi, nous avons d’une part, l’Union européenne qui doit composer avec les décideurs des États membres et ses propres institutions dont les prérogatives dans le domaine des relations extérieures « élargies » peuvent se chevaucher. La PESC consistant à tenter de coordonner les politiques étrangères, d’adopter des positions communes et des actions diplomatiques concertées. Dans une politique étrangère qui n’est qu’en partie dénationalisée, les politiques asiatiques des États membres tiennent donc une place importante. Et d’autre part, l’Asie qui ne dispose pas d’une entité régionale aussi institutionnalisée que l’UE au sortir de la guerre froide, mais qui doit faire face à de nombreux défis. Dans cette optique, qu’est- ce que l’Europe ? Qu’est-ce que l’Asie ? Ces termes peuvent prêter à confusion, car ils sont à la fois une notion politique, mais aussi géographique, une région. Cette région, élément intermédiaire entre État-nation et mondialisation, a-t-elle un caractère supranational comme l’Union européenne ou n’est-ce qu’un simple espace géographique ? Cette double échelle d’interprétation s’applique à la définition de l’Europe et de l’Asie.

Aussi, l’Europe, c’est l’ « Europe instituée »3, celle qui s’est institutionnalisée par un processus progressif et cumulatif depuis la Communauté européenne du charbon et de l'acier en 1951 et les traités de Rome de 1957. Ici, ce n’est pas celle du Conseil de l’Europe ni celle de l’Organisation européenne de coopération économique créée en 1948, devenue l’OCDE en 1960. C’est aussi l’Europe des plans Fouchet (1961 et 1962), projet d’union intergouvernemental défendu par la France du général de Gaulle qui prévoyait une concertation régulière au niveau des chefs d’État et de gouvernement, notamment sur les questions de politique étrangère et de défense, mais qui n’ira pas à son terme devant la réticence des Six. De Gaulle choisira alors de s’engager dans une voie purement bilatérale avec

3 Le terme est de Michel Foucher.

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l’Allemagne avec le traité de l’Élysée en 1963, avec peu d’avancées, et une dérive solitaire de la politique étrangère française (crise de la chaise vide en 1965-664, retrait de l’OTAN en 1966, veto à l’entrée du Royaume-Uni et contacts diplomatiques avec l’Union soviétique). Les successeurs de De Gaulle se montreront plus coopératifs avec leurs partenaires européens et les conclusions du rapport Davignon en 1970 amèneront la Coopération politique européenne (CPE) qui aura pour objectif principal de permettre à l’Europe ainsi définie d’exister sur le terrain de la politique étrangère. La CPE est un élément fondateur de la volonté de réaliser une politique étrangère européenne et de s’orienter vers l’idée d’ « Europe puissance » évoquée par Jean François-Poncet5. La route vers la CPE nous montre également les difficultés qu’elle peut rencontrer. Volonté de coordonner les PE des états membres de l’UE, mais pas une PE unique, elle doit compter avec des héritages diplomatiques différents et des champs de compétence élargie.

Quant à l’Asie, elle pourrait à la fois se définir par des éléments internes et externes. Le terme

« Asie » serait d’origine persane, « La ou le soleil se lève », hellénique avec le concept d’Asie Mineure, ou représenterait une certaine idée de l’Orient pour l’Occident, un assemblage de civilisations variées, une pléiade de pays et de religions. Cependant, plutôt que d’évoquer l’Asie, il faut penser aux « Asies ». La première, c’est celle qui se rattache à l’Inde autour de laquelle gravite aujourd’hui l’Asie du Sud qui fut en grande partie colonisée, principalement par les Britanniques. La seconde, c’est l’Asie du Sud-est qui comporte de multiples facettes.

Elle fut colonisée d’abord par les Français, les Britanniques et les Néerlandais, puis conquise par les Japonais pendant la Seconde Guerre mondiale. Le terme était utilisé occasionnellement au 19ème siècle, mais il fut popularisé pendant la guerre du pacifique pour désigner la zone sud de l’Asie conquise par les Japonais. C’est aussi une ère de civilisation et culture chinoise dont les frontières sont longtemps restées floues, le monde birman, sous influence indienne, étant aux portes à la fois de l’Asie du Sud et de l’Asie du Sud-est. La troisième, c’est l’Asie du Nord-est, celle de la Chine, du Japon et de la Corée. Elle est particulière, car elle subit encore les partitions de la guerre froide, avec les deux Corées et les

4 Refus par la France de siéger au conseil des ministres de la CEE suite au projet de modification du principe de l'unanimité dans la prise de décision au profit de la règle majoritaire.

5 Secrétaire d’État aux Affaires étrangères (1976-1978) puis ministre des Affaires étrangères de Valery Giscard d’Estaing (1978-1981).

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deux Chines, mais aussi avec les tensions en mer de Chine autour des îles Paracels et Spratly, à l’origine de litiges territoriaux impliquant de nombreux pays, y compris des autres Asies.

L’Asie utilisée comme terrain d’étude ici, c’est donc à la fois une grande partie de l’Asie pacifique avec le monde indien, mais sans l’Australasie (Australie et Nouvelle-Zélande) déjà intégrée dans les échanges internationaux de par leur proximité avec l’Occident.

La fin de la guerre froide n’est donc que le début d’un autre monde dans lesquels les différents acteurs, anciens et nouveaux, vont devoir s’adapter et trouver leur place. L’Union européenne est à la fois dans une période d’intégration européenne, mais aussi dans une phase d’apprentissage. Les transferts inédits de souveraineté qu’acceptent les signataires de Maastricht ne font que renforcer l’image des Communautés européennes d’un « objet non identifié » dans les relations internationales. S’il l’histoire nous montrera qu’il est plus aisé de définir une politique commerciale commune qu’une politique étrangère commune, les années 1990 seront une phase d’apprentissage pour tous les domaines dans lesquels s’étend les prérogatives de l’UE ainsi que pour les États membres.

Mettre en perspective l’apprentissage de l’UE et la relation euroasiatique nous permet d’étudier la mise en place d’une diplomatie européenne qui se caractérise par une interaction complexe entre États membres, institutions communautaires et les objectifs fixés par un Conseil européen qui doit synthétiser la volonté de l’ensemble. Cette diplomatie est donc hybride à la fois par ses composants, mais aussi par les niveaux successifs qu’elle va utiliser comme canaux de discussions. Ainsi, la relation euroasiatique va couvrir toutes les phases de développement de cette nouvelle diplomatie d’après-guerre froide, offrant la possibilité de mesurer l’influence qu’elle a pu avoir sur la diplomatie européenne, la perception de part et d’autre et analyser la place de l’Europe, une aire géographique qui représente moins de 3%

de l’espace terrestre pour 27 états à la fin de l’étude (soit le plus haut ratio d’unité politique différente sur le même espace) alors que l’Asie représente 30 % de la surface pour 41 États.

L’étude porte sur la décennie 1990 ainsi que la première du 21ème siècle, mais des éléments historiques antérieurs sont nécessaires pour comprendre le contexte. L’étude de quatre axes principaux sous-jacents conjoncturels et structurels doit permettre d’analyser la problématique. Premièrement, il s’agit d’étudier l’idée même de politique étrangère

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européenne, ainsi que son pendant asiatique, de son évolution afin d’appréhender les difficultés qu’elle rencontre en étant partagée entre les États membres et les institutions communautaires. Deuxièmement, c’est l’histoire de la relation entre l’Europe et l’Asie qui nous montre à la fois l’importance du passé et les partenariats établis pendant et après la guerre froide. Troisièmement, analyser l’impact de cette relation sur la diplomatie européenne ne peut se faire uniquement dans le champ des relations politiques, l’action extérieure regroupant des domaines variés que ce soit pour les États membres ou les institutions, comme l’économie, le culturel, les questions sécuritaires ou des questions globales comme l’environnement. Dernièrement, les types d’interactions qui formatent cette politique étrangère doivent être analysés au sein même du fonctionnement européen, au niveau interrégional, des organisations internationales ou des forums communs.

Étudier le développement concomitant de l’action extérieure européenne avec celui de la relation euroasiatique offre l’opportunité d’étudier la transition entre un acteur majeur des siècles passés, l’Europe, et une région qui ferait du 21ème siècle le « siècle asiatique » comme Deng Xiaoping et Rajiv Gandhi l’avait évoqué lors d’un sommet bilatéral en 1988.

L’Asie semble donc un choix évident si l’on se réfère à l’histoire des relations internationales, l’émergence de la région en en faisant le candidat le plus approprié, mais il l’est aussi pour d’autres raisons. Premièrement, la relation entre l’Europe et l’Asie permet de couvrir toutes les phases de développement de cette nouvelle diplomatie d’après-guerre froide. C’est l’Asie qui bénéficie des expérimentations de la diplomatie européenne que ce soit dans la méthode ou dans les domaines. Les rapports vont représenter l’hybridité de la diplomatie européenne avec un niveau interrégional (ASEAN), un bilatéralisme interrégional (RPC, Inde, Japon et dans une moindre mesure, Corée), transrégional (ASEM) ainsi que multilatéral (ONU, OMC) et minilatéral (les Gs). L’action extérieure des institutions européennes accompagnera la politique étrangère des États membres dans certains cas, en gérera tous les aspects dans d’autres, mais en sera aussi écartée parfois.

L’évolution des relations euroasiatique est le témoin de cette démarche, de l’Aide publique au développement, aux sommets bilatéraux et transrégionaux. Ainsi, les relations transatlantiques sont anciennes, mais moins complexes, celles avec l’Amérique latine reposent essentiellement sur le Mercosur et la relation avec le Brésil tandis qu’avec l’Afrique,

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outre les relations avec l’Union africaine, l’histoire coloniale entache la formation d’un partenariat plus profond. Afin d’étudier ces différents niveaux, on va choisir quatre pays qui nous permettront un échantillonnage assez large de régimes, de courants de pensée et de domaines dans lesquels la diplomatie européenne et l’Asie vont échanger. Ces pays nous apportent des éléments de comparaison, les autres acteurs comme l’ASEM n’étant que le prolongement de la relation tandis que la comparaison avec l’action en Afrique et en Amérique latine permet de voir comment ils réagissent en dehors des enceintes internationales. D’autres questions seront vues à travers le prisme de l’un des acteurs étudiés, comme le cas du Pakistan et de la prolifération nucléaire avec l’Inde, mais les quatre pays choisis permettent de mettre en avant certains points auxquels la diplomatie européenne reste très attachée.

On peut regrouper les axes d’approches ainsi définis et les différents domaines qui ont été traités dans la littérature et la recherche scientifique dans quatre thèmes, celui sur la définition et la place de l’UE dans les relations internationales, sur l’évolution de ses institutions et de son action extérieure, les rapports que le continent européen a pu entretenir avec la région asiatique pour finir par les ouvrages dédiés à des pays ou des questions précises.

Dans le premier, nous retrouvons des auteurs qui s’intéressent au contexte international, Michel Foucher, Bertrand Badie, Pascal Boniface, Zbigniew Brezinski, à l’histoire et aux théories des relations internationales, Robert Frank, Dario Batistella, Sabine Saurugger, et plus spécifiquement sur la situation de l’Union européenne dans cet ensemble comme Robert Cooper. L’évolution des institutions européennes, et particulièrement de ses relations extérieures, a été abordée par, entre autres, Michael Smith et Christopher Hill, Ian Manners et Richard Whitman, Maxime Lefebvre et René Schwok comme celui de la défense européenne par Sven Biscop, Jo Colemont, André Dumoulin et Estelle Poitevin. Quant aux relations entre l’Europe et l’Asie, dans l’histoire moderne et contemporaine, le thème a été traité sous l’angle de l’histoire coloniale, mais aussi sous celui de la coopération interrégionale avec l’ASEAN par Daniel Novotny et Clara Portela ou Laura Allison, de la coopération transrégionale avec les ouvrages sur l’ASEM de Yeo Lay Hwee, Bart Gaens, de la coopération internationale en Afrique, Valeria Bello et Belachew Gebrewold, la coopération interrégionale intraasiatique, Philomena Murray et Louis Brennan ou des relations entre l’UE et des pays comma avec la RPC (Nicola Casarini), l’Inde (Juha Jokela), le Japon (Julie Gilson) ainsi que des

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ouvrages spécifiques à l’Asie dédiés à des pays, la RPC avec François Joyaux, Denis Lambert, Caroline Puel ou David Scott, l’Inde avec Christophe Jaffrelot, Jean Luc Racine, Sumit Ganguly, Alka Acharya, le Japon avec Gilbert Rozman et Kazuhiko Togo, la Corée avec In-Taek Hyun et Shin-wha Lee, le multilatéralisme asiatique, Michael J. Green et Bates Gill ou l’intégration régionale, Christian Taillard et Philippe Pelletier.

En ce qui concerne les sources, il y a tout d’abord les primaires, celles qui sont émises directement par les institutions européennes. En premier lieu les décisions et orientations du Conseil dont le rôle est de donner l’impulsion politique nécessaire, celles de son secrétariat (SEC) qui retracent les processus, mais les communications au Conseil de la Commission (COM) validées par le Conseil européen sont celles qui définissent les objectifs à atteindre, des rapports intermédiaires permettant d’en mesurer l’impact. Les résolutions du Parlement européen, alors que son rôle progresse, ont également un impact, ne serait-ce que symbolique, sur la conduite de l’action extérieure dans son ensemble. Enfin, le Journal Officiel des Communautés Européennes (JOCE) précise les directives, règlements et décisions de la CEE/UE ainsi que l’actualité des Communautés. Les rapports généraux sur l’activité des Communautés européennes proposent des informations à la fois sur les domaines qui intéressent mon sujet, mais aussi sur la conduite de la PESC avant que celle-ci ne dispose à partir de 1998 de ses propres rapports d’activité. Sans omettre les archives européennes même si la difficulté de travailler sur un sujet récent ne permettait pas de disposer de l’accès à toutes les archives souhaitées, le fonds privé Delors ayant été néanmoins précieux. Traitant de la politique des États membres, les sources gouvernementales, principalement des ministères des Affaires étrangères, sont utiles pour argumenter les positions de tel État membre sur telle question, en priorité leur propre politique asiatique ou leur influence dans la définition de la stratégie asiatique européenne, interrégionale, bilatérale et autres niveaux.

D’autre part, les sources documentaires secondaires seront composées de livres d’orientation et de recueils de documents incontournables pour l’historien.

L’objectif est d’évaluer la place de l’Asie dans la diplomatie européenne pendant les vingt ans ou cette dernière se renforce, de Maastricht à Lisbonne. L’UE est-elle ce « géant économique », mais « nain politique » paralysé par son processus de décision ou a-t-elle développé des compétences propres qui permettrait une approche différence. En effet, juger

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la diplomatie et l’action européennes selon des critères westphaliens n’est-il pas réducteur alors que les défis que doit relever l’UE abordent d’autres domaines en plus de celles d’un État-nation. Les défis soulevés par la gestion des crises civiles, l’apparition de menaces sécuritaires d’un nouveau genre, tout cela dans un monde en mutation ne permettraient-ils pas d’apporter un nouveau regard sur l’UE et sa relation avec l’Asie ?

Pour répondre à ces questions, la première partie traitera de l’esprit diplomatique européen et asiatique en y présentant la notion de politique étrangère et sa conception de part et d’autre. C’est aussi la présentation institutionnelle de la Politique étrangère et de sécurité commune ainsi que des premiers temps de la relation euroasiatique, soit l’histoire coloniale et l’impact que les Européens y ont laissé, mais aussi la définition de la « nouvelle stratégie asiatique » et sa réception dans une Asie encore marquée par la Guerre froide. Dans l’optique d’analyser l’hybridité de la diplomatie européenne, la seconde partie portera sur le régionalisme et sa définition en en présentant deux facettes, l’interrégionalisme avec les relations entre l’UE, l’ASEAN et ses forums ainsi que le régionalisme « UE +1 » que l’on peut qualifier de bilatéralisme interrégional ou l’UE privilégie le renforcement des relations avec un pays en particulier. À travers cette partie, on analyse également les positions des États membres. La troisième partie présentera à la fois les deux autres niveaux d’interactions avec le transrégionalisme de l’ASEM, le multilatéralisme/minilatéralisme de l’ONU et des forums

« Gs » ainsi que les principaux domaines de coopérations, ou de frictions, l’économie, les droits de l’homme et l’environnement. La dernière partie s’attachera à retracer l’évolution de la diplomatie communautaire à travers les traités successifs ainsi que le retour au premier plan de l’idée d’une défense européenne qui a une importance particulière dans la crédibilité de l’Europe en Asie. Ce sont les derniers éléments qui nous permettent d’examiner la place et la perception de l’UE en Asie. Mais l’UE n’est pas seule et d’autres acteurs peuvent influer sur sa diplomatie, c’est ce que nous étudierons avec la place des États-Unis, de la Russie ainsi que l’irruption des acteurs asiatiques en Afrique ou les Européens disposaient encore d’une certaine influence ainsi qu’en Amérique latine afin d’apporter un autre point de comparaison là ou l’influence américaine reste prépondérante.

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Première partie – Politiques

Européennes et Asies

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Chapitre 1 – L’émergence d’une diplomatie européenne

Comprendre les fondements de la Politique étrangère et de sécurité commune, c’est connaître l’histoire des politiques étrangères européenne et asiatique tel que la Seconde Guerre mondiale a pu les influencer. Si la guerre froide y tient une part importante, les legs de la colonisation également. L’Eurasie est l’ensemble géographique, au sortir de la guerre, le plus marqué par les destructions engendrées et les changements politiques provoqués. Des ruines de l’Europe de l’Ouest à l’aube de la superpuissance militaire soviétique tandis qu’en Asie, les exactions de l’armée impériale japonaise et l’affaiblissement des colonisateurs allaient marquer les relations intraasiatiques. En Europe, la division de l’Allemagne, la création de l’OTAN et du Pacte de Varsovie définissent les frontières géographiques et politiques poussant les pays d’Europe de l’ouest à se regrouper au sein de Communautés, la première étant celle du charbon et de l’acier en 1951 avant que les traités de Rome ne lancent la construction européenne. Si en Europe ne plane que la menace d’une guerre, en Asie, elle va être avérée pendant la majeure partie de la guerre froide. D’abord en Corée de 1951 à 1953, ensuite avec les conflits liés à la décolonisation (Indochine, insurrection en Malaisie) puis le Viêtnam et le Cambodge. Quelques pays asiatiques, accompagnés de pays africains, tenteront à Bandung en 1955 de sortir la région de la bipolarisation et des ingérences extérieures, mais sans succès. Ces éléments vont tracer les contours d’une pensée diplomatique spécifique à chaque région, mais aussi marquer leur identité, les valeurs et principes à défendre. Certains aspects de la construction européenne permettent de comprendre sa pratique de la diplomatie (chapitre 1.A) alors qu’elle doit définir ex nihilo son existence sur la scène internationale tout en tenant compte de ses principes fondateurs, la coopération et l’intégration. Ces deux concepts, malgré la création de la Coopération politique européenne, peuvent représenter une force lorsque la CEE est unie ou un manque de crédibilité dans le cas contraire. L’ensemble formant un système hybride complexe qui sera pourtant l’instrument le plus important de la relation entre l’Europe et l’Asie. La question identitaire (chapitre 1.B) est elle aussi très présente à la fois en Asie et en Europe et marque profondément la relation euroasiatique en participant à la définition de leur vision du monde et intrinsèquement, leur pratique de la politique étrangère. L’étude de la PESC (chapitre 1.C), de ses fondements comme la représentation extérieure des Communautés, de ses objectifs ou tout simplement

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de ses différents mécanismes présente les moyens qu’à Bruxelles pour peser dans la région asiatique, tout en devant composer avec les États membres.

A – La politique étrangère, idéaux européens et pragmatisme asiatique

1 – Les grands principes hérités de la guerre : le droit international et le rejet d’une forme de puissance

Dès la fin du conflit, l’Europe de l’Ouest prend conscience de la nouvelle configuration politique internationale. Les vainqueurs restent dépendants de l’aide américaine, les vaincus sont ruinés et tous se posent la question de la place politique de l’Europe dans un monde où aucune de ses composantes nationales ne peut faire face aux superpuissances soviétique ou américaine. Aussi, pour ne pas rééditer les carnages de deux guerres mondiales en trente ans, limiter le déclin face à l’essor des États-Unis et se prémunir de la menace soviétique, l’Europe va se choisir des valeurs à défendre. Motivée par des impératifs économiques et politiques, une conscience européenne va voir le jour, très différente de celle de l’après-Première Guerre mondiale et de « l’Allemagne paiera ». Là où le traité de Versailles de 1919 était un énième traité de paix désignant des vainqueurs et des vaincus, comme les traités marquants du

« concert européen » (Westphalie : 1648 ; Utrecht : 1713 ; Vienne : 1815), les traités européens seront marqués par un idéal.

Désormais, les pays européens auront à cœur de promouvoir des « valeurs européennes », la recherche de la paix et de la liberté, de la coopération, de la prospérité interdisant tout recours à la guerre. Ces idéaux se retrouvent dans le préambule du traité instituant la Communauté européenne du charbon de l’acier précisant que « la contribution qu’une Europe organisée et vivante peut apporter à la civilisation est indispensable au maintien des relations pacifiques ; Résolus à substituer aux rivalités séculaires une fusion de leurs intérêts essentiels, à fonder par l'instauration d'une communauté économique les premières assises d'une communauté plus

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large et plus profonde entre des peuples longtemps opposés par des divisions sanglantes, et à jeter les bases d'institutions capables d'orienter un destin désormais partagé »6.

Mais avant d’y parvenir, les deux principaux pays du continent, l’Allemagne et la France vont organiser leur reconstruction selon deux modèles sociaux différents. La France le fera sous la tutelle de l’État qui pilote le redressement national et pratique l’interventionnisme keynésien, l’Allemagne de l’Ouest devant d’abord se reconstruire institutionnellement tout en se méfiant d’une implication directe des pouvoirs publics après douze ans de nazisme. C’est donc un système de régulation sociale de marché et de cogestion des entreprises qui va compenser l’absence de moteur public de croissance.

Ce qui est paradoxal dans ce constat, c’est que le redressement économique de l’immédiate après-guerre se fait dans un contexte national et sur des modèles de développements dont les différences auront leurs importances dans la construction européenne. Les premières tentatives d’union vont voir le jour sous la forme des Communautés économiques européennes. La CECA sera une réponse aux inquiétudes françaises suite à la restitution de la Ruhr à l’Allemagne de l’Ouest, région qui traditionnellement était à la base de la puissance allemande. La production charbonnière et sidérurgique de deux pays sous une autorité commune permettait à la Ruhr de rester sous le contrôle d’une autorité supranationale. Si ces débuts ne peuvent être isolés du contexte international de l’époque, c’est donc la France et l’Allemagne qui vont jouer un rôle particulier dans ce processus de par leur réconciliation qui permet la CECA et les Traités de Rome. Brzezinski résumera la psychologie de ce couple franco- allemand dans la formule « dans la construction européenne, la France vise la réincarnation et l'Allemagne la rédemption »7.

Par la CECA, les Européens cherchent à établir un nouveau type de relation favorisant l’établissement d’institutions mettant en avant, d’une part, la promotion du droit international comme élément fédérateur, et d’autre part, la coopération économique comme élément stabilisateur évitant ainsi le recours à la guerre et aux politiques de puissance

6 Traité instituant la Communauté européenne du charbon et de l’acier, 1951, p. 11. [En ligne : http://eur- lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=LEGISSUM:xy0022]. Consulté le 4 avril 2015.

7 Brzezinski Zbigniew, Le grand échiquier, Paris, Bayard, 1997, p. 91.

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traditionnelle. Deux éléments qui seront repris dans le traité instituant la Communauté économique européenne du 25 mars 1957 avec l’article 4 qui évoque les institutions (Assemblée, Conseil, Commission, Cour de Justice) et la cinquième partie qui précise leurs fonctionnements8. L’élément économique est au cœur du traité dont le but reste d’établir un marché commun, ses principes étant énoncés dans l’article 3 et décrits dans les deuxième et troisième parties (Fondements de la communauté ; La politique de la communauté)9.

Ces réponses politico-économiques sont soutenues par les États-Unis et implantées par les dirigeants des États membres. Le marché commun consacre le développement d’une orientation politique plus libérale en Europe, mais des divergences existent déjà entre une France planificatrice et une Allemagne plutôt libérale, ces deux conceptions qui vont plus ou moins bien cohabiter au fil de la construction européenne. D’autre part, la transformation de la relation politique entre États européens va être à l’origine d’un double niveau de gouvernance original, propre à l’intégration européenne.

2 – Les spécificités européennes : le double niveau et l’européanisation

La difficulté principale pour analyser la diplomatie européenne, et sa visibilité, découle des fondements de l’Europe instituée qui mettent en place un double niveau ou des institutions supranationales peuvent, en suivant le principe de subsidiarité10, adopter des mesures applicables sur le territoire national de tous les pays contractants. On s’interroge ici sur les interactions entre les politiques étrangères des États membres et les décisions européennes qui mènent à l’européanisation de certaines politiques nationales. Les spécificités seront, elles, analysées à travers le traité de Maastricht dans la partie sur la Politique Etrangère et de Sécurité Commune.

8 Traité instituant la Communauté économique européenne, version non consolidée, 25 mars 1957. [En ligne : http://www.cvce.eu/obj/traite_instituant_la_communaute_economique_europeenne_rome_25_mars_1957- fr-cca6ba28-0bf3-4ce6-8a76-6b0b3252696e.html]. Consulté le 4 avril 2015.

9 Ibid.

10 Principe défini à l’article 5 du Traité instituant la communauté économique européenne statuant que : « la Communauté n’intervient, conformément au principe de subsidiarité, que si et dans la mesure où les objectifs de l’action envisagée ne peuvent être réalisés de manière suffisante par les États membres et peuvent donc […], être mieux réalisés au niveau communautaire. », op cit.,

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L’européanisation est la synthèse de deux concepts. Tout d’abord, l’influence que peuvent avoir les institutions européennes sur la conduite de la politique nationale des États membres, mais aussi celle des autres pays de la communauté qui peuvent être une source d’inspiration pour les autres membres. Ensuite, l’utilisation par les gouvernements nationaux de l’Europe comme excuse, voire comme bouc émissaire, pour faire adopter des réformes nationales controversées (avec le risque d’une montée de l’europhobie), mais aussi comme levier supplémentaire pour une réélection face à des opposants nationaux qui ne disposeraient pas de l’accès au pouvoir communautaire. On peut donc la mesurer en étudiant la convergence des politiques nationales et européennes depuis l’intégration de l’État membre, européanisation verticale descendante, mais aussi la projection de la politique nationale sur la politique européenne, européanisation verticale montante.

Elle est également liée aux identités collectives, différentes dans les trois grands pays de l’Ouest européen ou elle est plus forte en Allemagne qu’en Grande-Bretagne qui observe à distance le continent européen, la France étant entre les deux tendances. Pour Berlin, où historiquement la question des intérêts nationaux est discréditée, une européanisation de sa politique étrangère lui donne les moyens de se mettre en avant en promouvant d’autres méthodes, comme la Friedenspolitik (peace policy) qui se développe par les interactions sociales et économiques et que l’on retrouvera dans la définition de la stratégie asiatique.

La diplomatie européenne reposerait alors sur un double niveau, source d’un compromis entre les politiques étrangères nationales des États membres. Néanmoins, au fil des traités, une culture diplomatique européenne s’est bel et bien développée, même en l’absence d’un État décideur et centralisé. Cela, en partie grâce à la coopération et aux discussions nécessaires entre les missions diplomatiques afin de parvenir à des positions communes, même minimales, qui lient désormais des décideurs auparavant autonomes.

Dans le cadre de la politique étrangère, cette européanisation est liée à l’environnement politique et économique et mène à plusieurs constats. L’adaptation de la politique étrangère d’un pays se fait par les interactions entre États membres et peut avoir comme conséquence de changer les lignes préexistantes, héritières son histoire diplomatique, soit dans les questions internationales, soit dans les rapports avec un tiers. La question des « relations

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spéciales » que le nouvel État membre entretenait auparavant est primordiale quant à l’influence qu’elles peuvent avoir sur l’européanisation de la politique étrangère, l’exemple du Royaume-Uni et des États-Unis est sur ce point marquant dans la difficulté de définir une politique étrangère commune, et encore moins une politique de défense commune non liée à l’OTAN. Au plan intérieur, un changement de gouvernement peut avoir un impact sur l’Europe tout comme une politique européenne, comme la PESC, aura un impact intérieur.

Porteuse de nouvelles opportunités et agissant comme un relais supranational de leur diplomatie, la PESC permet à des États d’agir dans le monde post-guerre froide avec un multiplicateur d’influence.

Pour en revenir aux différents paliers dans l’élaboration d’une politique étrangère européenne, on voit donc qu’il existe un « jeu à deux niveaux » avec des interactions entre l’international et le national. Des compétences gouvernementales se transposent au niveau supranational tandis que la région européenne prend elle aussi de l’importance. C’est la naissance de la souveraineté en commun, voire confiée à des instances communautaires (souveraineté partagée) propres à un système politico-économique intégré.

3 – Intégration et coopération : principe, méthodes et l’expérience de la CPE L’intégration

La communauté européenne représente l’exemple le plus abouti d’une intégration régionale qui participe à l’idée d’une gouvernance à niveaux multiples (nationale, régionale et mondiale). Les fondateurs de l’Europe instituée ne souhaitaient pas l’émergence d’un État- nation à grande échelle, mais d’un ensemble garantissant les particularités des États membres d’où la devise européenne « Unis dans la diversité ». L’européanisation de la politique étrangère se fait à travers une double structure, intergouvernementale et communautaire, qui s’est dessinée par la « construction européenne » et l’intégration, deux mots n’ayant pas la même signification.

Dans le préambule du traité de Rome, il est précisé que les Hautes parties contractantes sont

« déterminées à établir les fondements d’une union sans cesse plus étroite entre les peuples

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européens », l’article 3 évoquant les grandes lignes du projet européen, l’article 8 les périodes de transition (trois) sur douze ans afin d’établir le marché commun et l’établissement du tarif douanier commun (articles 12 à 29). Les traités et les conférences intergouvernementales représentent la construction européenne au sens ou des objectifs à réaliser sont préalablement déterminés tandis que l’intégration vise à renforcer un tout déjà existant selon deux principes, celui de diversité et celui d’unité. Si la construction donne un calendrier, c’est l’intégration qui permet de mesurer l’efficacité des politiques menées et leurs étendues.

Les principes théoriques

Pour mesurer cette étendue, l’économiste hongrois Bêla Balassa a mis au point en 1961 un schéma qui distingue cinq étapes11 : une zone de libre-échange ; une union douanière ; un marché commun ; une union économique et monétaire ; une union politique qui touche également les Affaires étrangères et la Défense. Si l’intégration européenne a suivi cette voie à ces débuts, Balassa n’avait pu prévoir les bouleversements liés à la mondialisation économique et politique. Fabrice Larat propose un modèle en six points12 : des organes communs à l’ensemble régional, des structures politiques internes aux pays membres ; des relations entre pays ; des relations entre pays et organes communs ; des frontières entre pays membres (frontières intérieures) ; des frontières entre l’ensemble régional et le reste du monde (frontières extérieures), un modèle qui s’adapte à l’intégration européenne.

La définition de l’intégration établit également un lien entre elle et la paix. Karl Deutsch et Ernst Haas y voient la création d’une communauté avec la garantie d’une évolution pacifique, succès assuré à la fois par des institutions communes et par la volonté de se réunir. Deutsch suggéra en 1957 un autre facteur qui incitait les États à se regrouper, la formation de

« communautés de sécurité » qui représentent des « entités politiques intégrées dont les membres ont acquis la conviction que leurs problèmes sociaux communs peuvent et doivent être résolus par des mécanismes de changement pacifique »13. Haas définit l’intégration

11 Balassa Béla, The theory of economic integration, Homewood, 1961.

12 Larat Fabrice, Histoire politique de l’intégration européenne, Paris, La Documentation française, 2003.

13 Deustch Karl, Political community and the north Atlantic Area: International organization in the light of historical experience, Princeton University Press, 1957, p. 5.

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comme « un processus par lequel des acteurs politiques de nationalité différente sont amenés à transférer leurs allégeances, attentes et activités politiques vers un centre nouveau dont les institutions ont, ou cherchent à avoir, compétence sur les États nationaux préexistants

»14, mais il tend à sous-estimer l’attachement des États membres à leur souveraineté nationale ainsi que le contexte international dans la formation de la CEE. Joseph Nye ira jusqu’à attribuer aux organisations politiques régionales le qualificatif « d’îlots de paix au sein du système international »15.

Hoffman estime lui que l’intégration ne fait pas automatiquement disparaître les anciennes tensions internationales, les États qui se rapprochent restent membres du système international. Si l’intégration favorise la coopération intra-européenne, elle n’empêche pas le maintien des relations bilatérales extra-européennes, mais aussi des clivages européens qui tendent parfois à s’atténuer, mais pas à disparaître. L’intégration d’un nouvel élément, l’élargissement, n’est pas sans conséquence sur l’ensemble. C’est à la fois le principal moyen pour l’UE de diffuser ses valeurs et une preuve de son pouvoir d’attraction, mais le nouvel État membre amène avec lui une histoire propre qui peut modifier les rapports de forces internes.

Il existe des clivages géopolitiques et géoéconomiques, certains pays sont tournés vers l’Est (pays scandinaves, PECO et Allemagne) et d’autres vers le Sud (France, Péninsule ibérique, Italie, Grèce).

Les principes théoriques de Bela, Larat, Deutsch, Haas ou Hoffman permettent de situer la CEE et son évolution ainsi que les difficultés qu’elle peut rencontrer à adopter des positions communes, élément indispensable à toutes politiques étrangères communes. On peut le voir avec la question de l’appartenance à l’OTAN. Le Royaume-Uni et le Danemark défendent la relation transatlantique et s’alignent sur les positions américaines, ce que la France, et parfois l’Allemagne, ne font pas systématiquement. De plus, le Danemark a refusé d’être lié par l’Europe de la défense tandis que le « Groupe de Višegrad » (Hongrie, Slovaquie, Pologne et République tchèque), fondé après la guerre froide, a favorisé le lancement du « partenariat oriental » afin de renforcer les relations avec les « voisins de l'est ». Tous ces clivages ont une part de responsabilité dans la difficulté à adopter des positions communes.

14 Haas Ernst, The Uniting of Europe, Political, Social and Economic Forces, Stanford University Press, 1958.

15 Nye Joseph, Peace in parts. Integration and conflicts in regional organization, Boston, 1971.

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La coopération intergouvernementale semble préserver une forme d’autonomie des États et d’elle dépend le niveau d’intégration. L’histoire de la construction européenne est là pour nous rappeler que les deux notions ne vont pas toujours de pair. Lors de l’Acte unique, toutes les institutions européennes avaient renforcé leurs positions et si l’ensemble fonctionnait mieux suite aux crises des années précédentes, l’intégration l’avait emporté sur la coopération. De plus, la fin de la guerre froide entraîne de nouvelles perspectives d’adhésion qui risquent de compliquer encore plus l’intégration politique. D’autant qu’aux clivages dans la politique étrangère s’ajoutent ceux sur l’esprit du fonctionnement de l’Europe. L’Allemagne est le pays le plus fédéraliste de l’Union et le plus porté vers l’Europe politique, la France est, elle, coupée en deux, tantôt favorable, tantôt méfiante. Quant aux pays du Benelux, l’intégration valorise leur position de petits États et ils sont donc les principaux soutiens des institutions communautaires. Londres, avec le discours de Margaret Thatcher à Bruges en septembre 198816, reste sur les positions de Churchill quant à la place de la Grande-Bretagne sur l’échiquier, mais apporte des précisions intéressantes, entre l’Acte unique et la conférence qui mènera à Maastricht. D’abord le maintien des nationalités, de l’État souverain, son opposition à un « super-État européen », mais aussi une volonté de coopération plus étroite dans certains domaines (commerce, défense, relations internationales), une réforme des politiques communautaires, l’ouverture des marchés et une défense européenne reposant sur une UEO renforcée et l’OTAN.

Le traité de Maastricht devra donc composer entre l’intégration et la coopération en tenant compte de l’évolution des institutions et des perspectives d’élargissements. Sa structure en pilier favorise la coopération interétatique dans les deuxième (Politique étrangère et de sécurité commune ; PESC) et troisième (Justice et affaires intérieures ; JAI) piliers, l’intégration dans le premier pilier qui comprend tous les aspects communautaires (union monétaire et intégration économique, instauration d’une citoyenneté européenne, l’intégration politique).

Les conférences intergouvernementales suivantes (Amsterdam, Nice) tenteront de régler les

16 Thatcher Margareth, Bruges, 20 septembre 1988. [En ligne :

http://www.cvce.eu/content/publication/2002/9/18/5ef06e79-081e-4eab-8e80- d449f314cae5/publishable_fr.pdf]. Consulté le 10 octobre 2016.

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problèmes soulevés lors de la ratification du traité de Maastricht avec de nombreux débats sur la légitimité de la construction européenne, sur les transferts de compétence et le déficit démocratique en faveur d’une « technocratie bruxelloise ».

L’intégration serait alors idéaliste et relèverait de la volonté des États-nations, tandis que la coopération intergouvernementale laisserait la place au réalisme. Ce sont les deux combinées qui participent au processus européen et si l’idée fonctionnaliste de départ n’a toujours pas produit d’Europe politique après l’Europe économique, la construction européenne peut représenter un modèle pour la société internationale. Un des problèmes majeurs rencontrés par l’Europe reste tout de même l’asynchronie entre une intégration économique de plus en plus poussée et une intégration politique et diplomatique qui doit affronter de nombreux obstacles. Si depuis le début de la construction et de l’intégration européenne aucun conflit n’a éclaté entre les États membres, la coopération est vue comme un élément de régulation des relations intra-européennes ou les plus sceptiques sont aussi pragmatiques et voient la supériorité des gains qu’apporte la coopération, favorisée par l’institutionnalisation, en regard aux pertes mineures de souveraineté. L’idée de diplomatie européenne doit donc évoluer entre idéalisme, intérêts nationaux et calculs politiques.

Une première tentative non économique, la « Coopération politique européenne »

Après l’échec de l’Europe de la défense en 1954, les États membres tenteront d’apporter de la cohérence à leurs politiques extérieures dans le cadre de la Coopération politique européenne et dépasser ainsi les clivages évoqués précédemment. Lié au Conseil européen dans sa formulation, plus tard à l’Acte unique et à l’Union de l’Europe occidentale, la CPE n’est pas pour autant l’ancêtre de la PESC, mais elle représente la première tentative pour l’Europe instituée de parler d’une seule voix. Depuis 1959, les ministres des Affaires étrangères des Six se réunissent en dehors du cadre communautaire sans qu’il n’y ait de calendrier précis, mais la question de l’OTAN ou celle des relations avec la Grande-Bretagne empêche la formulation d’un compromis. Une commission sera créée en mars 1961, la commission Fouchet, afin de mettre en place une coopération organisée entre les Six. Malgré l’échec des deux plans

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Fouchet17 un Comité politique, composé des directeurs politiques des ministères des Affaires étrangères, se réunit à partir de mars 1970.

Sous la présidence d’Étienne Davignon, qui donnera son nom au premier compte rendu de ces réunions, le Comité politique doit œuvrer à l’harmonisation des positions des États membres afin de se mettre d’accord sur des principes, car « c’est dans le domaine de la concertation des politiques étrangères qu’il convient de faire porter concrètement les premiers efforts pour manifester aux yeux de tous que l’Europe a une vocation politique »18. Même si les questions de défense et de sécurité sont laissées de côté, la coopération s’étendra aux ambassades des Six dans les capitales des pays tiers dès le début des années 1970, indépendamment des délégations de la Commission.

Le lancement en 1973 de la « Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe »19 (CSCE) permet aux « deux Europe » instituées de participer. D’une part la CPE intergouvernementale s’intègre dans l’aspect politique des discussions, comme la sécurité, d’autre part la Communauté participe aux discussions dans les domaines économiques. Le sommet de Copenhague en 1973 institue des relations trimestrielles, des groupes de travail et un réseau de communication chiffré (COREU) qui renforceront le dispositif, mais le rapport Tindemans en 1975 qui proposait la mise au point d’une politique extérieure commune allant au-delà de la CPE sera écarté, les plus grands des États membres n’étant pas disposés à transiger sur leur souveraineté. La Coopération politique européenne sera alors définie par trois traits principaux20 : l’engagement entre les parties de se consulter et de coopérer sur les questions

17 Projets portés par la France visant à créer une union politique basée sur une coopération intergouvernementale, en marge des traités communautaires en matière de politique étrangère et de défense.

Les autres États membres, en particulier les Pays-Bas, craignant une domination française et des complications pour l’élargissement ne parvinrent pas à trouver un terrain d’accord et en avril 1962, le général de Gaulle mis fin aux discussions.

18 Davignon Etienne, Rapport des ministres des Affaires étrangères des États membres sur les problèmes de l'unification politique, Luxembourg, octobre 1970, Première partie, article 10. [En ligne : http://www.cvce.eu/obj/rapport_davignon_luxembourg_27_octobre_1970-fr-4176efc3-c734-41e5-bb90-

d34c4d17bbb5.html]. Consulté le 10 octobre 2015.

19 Conférence ouverte en juillet 1973 à Helsinki afin de favoriser la coopération entre les deux blocs et de « rendre continu et durable le cours de la détente » comme indiqué en préambule de l’acte final de la conférence. [En ligne : https://www.osce.org/fr/mc/39502?download=true]. Consulté le 14 octobre 2015.

20 La Coopération politique européenne, Luxembourg, Office des publications officielles des Communautés européennes, 1988, p. 5. [En ligne : http://bookshop.europa.eu/fr/coop-ration-politique-europ-enne-cpe-- pbFX5288574/]. Consulté le 10 octobre 2015.

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