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À la recherche d'un idéal politique : analyse des discours des orateurs attiques du IVe siècle a.C.

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À la recherche d’un idéal politique : analyse des

discours des orateurs attiques du IV

e

siècle a.C.

Mémoire

Marie-Hélène Trépanier

Maîtrise en Études anciennes

Maître ès arts (M.A.)

Québec, Canada

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À la recherche d’un idéal politique : analyse des

discours des orateurs attiques du IV

e

siècle a.C.

Mémoire

Marie-Hélène Trépanier

Sous la direction de :

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Résumé

Ce mémoire propose d’analyser les discours des orateurs attiques du IVe siècle a.C. dans le but de déterminer s’il existait pour cette période un idéal au sein de la politique active et, le cas échéant, à quel type de constitution appartenait cet idéal. Pour ce faire, l’analyse porte d’abord sur les critiques liées au régime démocratique alors en place à Athènes. Elle établit que bien que les orateurs aient prôné de manière générale le système démocratique, une grande partie de ces louanges découlaient de la structure du système qui favorisait les flatteries grâce à l’utilisation de la rhétorique. La monarchie et l’oligarchie, autres régimes potentiels pour une cité, sont par la suite abordées. Il s’avère qu’aucun de ces deux systèmes politiques ne put représenter une option viable pour la cité d’Athènes, puisque les Athéniens avaient developpé de manière générale une vision bien trop néfaste de leurs contemporains usant de tels modèles politiques et que la cité s’était munie de mesures légales et culturelles pour maintenir constamment la peur de la tyrannie dans l’esprit de ses citoyens. Pourtant, les orateurs reconnurent certains points positifs à la monarchie et mirent bien souvent l’accent sur les raisons pour lesquelles Athènes méritait d’être un meneur parmi les cités grecques. C’est pourquoi, en dernier lieu, un parallèle est effectué dans ce travail entre les caractéristiques que l’on reconnaissait à Athènes et les attributs décernés par les philosophes au monarque idéal, le tout pour montrer un déplacement des idéaux politiques de la politique interne à externe et de la démocratie vers la bonne monarchie.

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Table des matières

Résumé ... iii Table des matières ... iv Remerciements ... vii Introduction ... 1 Contexte ... 1 Description du corpus et visées ... 2 Andocide ... 3 Lysias ... 4 Isocrate ... 4 Lycurgue ... 5 Eschine ... 5 Hypéride ... 6 Démosthène ... 6 Dinarque ... 7 État de la question ... 8 1. Régimes politiques ... 8 2. Orateurs ... 9 Intérêt du sujet ... 10 Approches théoriques et méthodologie ... 10 Chapitre 1 – Athènes et la démocratie ... 12 1) La démocratie : un idéal théorique ... 12 a) Égalité politique des citoyens ... 13 b) Équité par la loi ... 18 c) Liberté ... 22 2) La démocratie, un argument rhétorique ? ... 25 a) Le pouvoir du peuple ... 26 i) Système politique et judiciaire ... 26 ii) Éducation rhétorique et expertise politique ... 29 b) Règne des orateurs ... 30 3) Critiques à l’encontre de la démocratie ... 36 a) La décadence de la démocratie ... 37 Isocrate et Sparte ... 41 Démosthène contre Philippe ... 44 b) Le caractère volatile du peuple ... 46 c) L’iniquité du système ... 50 L’équité par le mérite ... 50 Le chaos légal ... 51 Conclusion ... 54 Chapitre 2 – Monarchie et oligarchie : reproches, peur et rhétorique ... 56 1) Théorie, perception et reproches ... 56 a) Reproches généraux ... 57 b) Les différents types monarchiques ... 60 Monarchie spartiate ... 60 Monarchie perse ... 61 Monarchie macédonienne ... 63 Tyrannie ... 68

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c) L’oligarchie ... 70 2) Rhétorique : peur et institutions ... 72 a) L’association royauté/tyrannie/oligarchie ... 73 Serments, lois et stèles ... 73 Institutions, cultes et procédures ... 75 3) L’efficacité monarchique ... 80 a) Unité ... 81 b) Rapidité de décisions et d’application ... 82 Conclusion ... 84 Chapitre 3 – Un nouvel idéal ? ... 86 1) Hégémonie, panhellénisme et politique extérieure ... 87 a) Contexte politique ... 87 Tentatives et visées hégémoniques ... 87 Menaces extérieures et panhellénisme ... 88 b) Athènes tyran ... 91 i) Un passé critiqué ... 91 ii) Le modèle « des ancêtres » inversé ... 94 c) Athènes, un chef idéal potentiel? ... 95 Reconnaissance, soumission volontaire et légitimité ... 95 Qualités ... 97 Pouvoir limité ... 98 2) L’idéal philosophique ... 99 a) Les modèles constitutionnels ... 99 Platon ... 100 Aristote ... 101 Xénophon ... 102 b) Le « bon roi » ... 102 c) La relation monarque/sujets ... 105 Conclusion ... 107 Conclusion ... 109 Bibliographie ... 113 Annexe I : Andocide ... 122 Annexe II : Aristote ... 123 Annexe III : Démosthène ... 124 Annexe IV : Dinarque ... 133 Annexe V : Eschine ... 134 Annexe VI : Hérodote ... 136 Annexe VII : Hypéride ... 137 Annexe VIII : Isocrate ... 138 Annexe IX : Lycurgue ... 144 Annexe X : Lysias ... 145 Annexe XI : Plutarque ... 146 Annexe XII : Thucydide ... 147

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« History also contributes to the power of speech, and a nobler thing than that may not easily be found. For it is this that makes the Greeks superior to the barbarians, and the educated to the uneducated, and, furthermore, it is by means of speech alone that one man is able to gain ascendancy over the many ; and, in general, the impression made by every measure that is proposed corresponds to the power of the speaker who presents it. » « Συµβάλλεται δ᾽ αὕτη καὶ πρὸς λόγου δύναµιν, οὗ κάλλιον ἕτερον οὐκ ἄν τις ῥᾳδίως εὕροι. Τούτῳ γὰρ οἱ µὲν Ἕλληνες τῶν βαρβάρων, οἱ δὲ πεπαιδευµένοι τῶν ἀπαιδεύτων προέχουσι, πρὸς δὲ τούτοις διὰ µόνου τούτου δυνατόν ἐστιν ἕνα τῶν πολλῶν περιγενέσθαι· καθόλου δὲ φαίνεται πᾶν τὸ προτεθὲν τοιοῦτον ὁποῖον ἂν ἡ τοῦ λέγοντος δύναµις παραστήσῃ. » Diodore de Sicile, I, 2

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Remerciements

Je voudrais d’abord remercier mon directeur de recherche, M. Baker, d’avoir accepté de diriger ce mémoire et pour les commentaires et corrections qu’il m’a donnés. Je remercie aussi les membres de mon jury, M. Gaétan Thériault et Mme Anne-France Morand d’avoir accepté de lire mon mémoire dans des délais impossibles. Ma gratitude va également à Mme Pascale Fleury qui m’a aidée à m’orienter lors des premières étapes de cette aventure. J’envoie aussi un grand merci à M. Alban Baudou pour toujours avoir été disponible pour répondre aux questions et aider lors de problèmes.

Je ne peux que féliciter mes parents pour toute l’aide qu’ils m’ont apportée, mais peut-être plus encore, pour la patience dont ils firent preuve à m’écouter fulminer. Bon temps et mauvais temps, vous avez toujours été là pour m’écouter et m’encourager. Du fond du cœur, merci.

Aussi, un grand merci à mes amis. Je voudrais particulièrement remercier ma « marmotte » préférée, Alice Fanguet, qui a été la meilleure amie que je pouvais avoir, et ce, dès le baccalauréat. Je voudrais aussi envoyer un clin d’œil à Émilie Lamarre-Bolduc pour nos séances de défoulement. Finalement, merci à Angèle de nous avoir accueillies toutes les trois lors de nos soirées de « thérapie ».

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Introduction

Contexte

L’impression générale que l’on tire des textes des orateurs attiques du IVe siècle est celle d’un amour pour la démocratie. Les hommes politiques, ainsi que les logographes, n’hésitèrent pas à rappeler les nombreux points positifs d’un tel régime, tout particulièrement de la démocratie athénienne, dans bien des situations pour justifier leurs positions. Bien que l’on puisse y trouver certaines critiques à l’égard du peuple ou du fonctionnement de la démocratie à cette époque, ces critiques ne semblent prendre place que dans un espoir d’amélioration vers une meilleure démocratie. Pourtant, ce régime ne faisait pas l’unanimité. Athènes connut des périodes de renversements et une faction oligarchique existait toujours, bien que moins visible, au sein de la scène politique de ce siècle. De plus, Philippe de Macédoine, puis son fils Alexandre le Grand eurent des alliés parmi les citoyens de la cité athénienne, alors qu’ils représentaient en principe l’ennemi ultime de la démocratie : la monarchie. Après les terribles exactions des Trente, combinées à la vision que les Grecs avaient des monarchies barbares, la démocratie pouvait sembler la seule option viable pour les Athéniens. Ils avaient dû se battre pour récupérer leur constitution et il aurait été incohérent de leur part de ne pas vouloir garder à tout prix ce qui pour eux avait fonctionné par le passé, ce qu’ils connaissaient bien. Cependant, peut-on considérer le choix de la sécurité et de la continuité comme un idéal ? Jusqu’à quel point la démocratie représentait-elle vraiment un idéal politique pour eux et non simplement la moins mauvaise des options ou la seule réelle option ?

L’une des variables rendant cette période si intéressante, mais aussi si difficile à juger, est la grande place qu’avait prise la rhétorique au sein des discours et de la politique. Il est parfois ardu de faire la part des choses entre topos et idée sincère. C’est pourquoi on peut se demander s’il existait toujours un idéal à Athènes au IVe siècle a.C. au sein de la sphère politique. Comme cette recherche tentera de trouver un idéal regroupant plusieurs

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individus au sein d’un contexte politique réel, les textes des philosophes ne seront pas à l’honneur puisque ceux-ci représentaient l’opinion d’individus marginaux, dans des contextes ne répondant que peu aux impératifs de la vie réelle. Les textes des orateurs seront donc au centre de cette recherche.

Description du corpus et visées

L’objectif premier de ce travail sera de déterminer, grâce aux discours des orateurs attiques, s’il existait toujours une forme de régime considérée comme idéale en politique active au sein de la cité d’Athènes pour le IVe siècle. Pour ce faire, ce travail devra tenter de déterminer quelle était l’opinion émise par les orateurs sur les différents régimes politiques, tout en tentant d’établir quelle était la part de rhétorique au sein de ces discours. L’utilisation des textes des orateurs présente le grand avantage d’être bien plus représentative de l’opinion générale des citoyens que celle des textes des théoriciens/philosophes, puisque les orateurs devaient répondre à certaines attentes du public afin de faire adopter leurs positions.

Le corpus utilisé pour cette recherche regroupe plusieurs orateurs : Andocide, Démosthène, Dinarque, Eschine, Hypéride, Isocrate, Lycurgue et Lysias. On remarquera qu’il s’agit d’un mélange entre corpus judiciaire et corpus politique. La raison en est que dans l’esprit grec, l’application de la justice faisait partie des tâches liées au gouvernement, puisqu’être juré était une charge. C’est pourquoi le thème de la justice était intimement lié à la notion de démocratie. On retrouve ainsi plusieurs topoi politiques au sein des discours judiciaires, qui demeurent révélateurs de l’atmosphère politique, même si dits dans un contexte autre. Il est à noter que Dinarque et Lysias, n’étant pas citoyens athéniens, ne furent que logographes et non orateurs. Leurs textes seront néanmoins aussi pris en considération, puisqu’ayant produit des discours lus par des citoyens athéniens dans des contextes politiques. La diversité du corpus choisi permettra aussi d’avoir une vue plus globale des opinions d’alors, puisque ces orateurs venaient de milieux divers

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(oligarchique/démocratique, classe moyenne/famille riche, citoyen/métèque, etc.). Une analyse relevant des points communs à des textes provenant de personnages aussi différents sera plus fiable qu’une qui serait basée uniquement sur un auteur ou deux. Les éditions utilisées pour les extraits présentés dans ce travail se retrouvent dans la bibliographie et la version originale en grec de ces passages est fournie en annexe à la fin de ce travail.

Andocide

Andocide naquit aux environs de 440 au sein d’une famille riche, impliquée et influente dans la politique athénienne depuis au moins trois générations. L’auteur fut impliqué au sein du parti oligarchique dès sa jeunesse, mais dut se rallier au parti démocratique à la suite d’événements malencontreux. Il fut en effet accusé d’être impliqué dans la mutilation des Hermès (affaire sur laquelle il se défendit par la suite dans Sur les

Mystères). Afin de sauver entre autres son père et lui-même, il dénonça des citoyens (à

tendance oligarchique) pour ces méfaits contre une promesse d’immunité, ce qui lui valut plusieurs ennemis au sein du parti oligarchique. À la suite de cette affaire, il fut frappé d’atimia, ce qui l’empêcha de poursuivre une carrière politique. C’est pourquoi il décida de quitter Athènes. Il tenta par deux fois de récupérer sa citoyenneté de plein droit. La première fois, les Quatre-Cents qui étaient alors au pouvoir le considérèrent comme un allié des démocrates et refusèrent donc. Sa seconde tentative aux alentours de 408 résulta aussi en un échec. Ce n’est qu’après la paix de Thrasybule qu’il récupéra sa citoyenneté et put reprendre sa place au sein de la politique active de la cité. Il se présenta alors comme un défenseur de la démocratie. Il fit plus tard partie des négociateurs allés à Sparte pour mettre fin à la guerre de Corinthe. Le peuple, mécontent des conditions négociées, l’exila tout comme les autres envoyés1.

1 Voir la notice d’introduction écrite par G. DALMEYDA dans sa traduction d’Andocide : Discours, texte établi

et traduit par G. DALMEYDA, Paris, Les Belles Lettres, 1930 ; J.F.DOBSON, The Greek Orators, Freeport, Books for Librairies Press, 1967 [1919], p. 53-57.

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Lysias

Syracusain d’origine, Lysias appartenait à la classe des métèques. Bien que l’on ignore sa date de naissance, on sait que son père aurait emménagé à Athènes à l’époque de Périclès. Sa famille avait beaucoup d’argent, ce qui lui valut bien des problèmes sous le régime des Trente. Ils tuèrent son frère, tentèrent aussi de le tuer et saisirent la propriété familiale. Lysias réussit néanmoins à s’enfuir à Mégare. On ignore si cet auteur était d’allégeance démocrate, mais son expérience le poussa à s’allier à ce parti. Durant son exil, il fournit les démocrates en boucliers et en recrues, et leur envoya de l’argent afin de les aider à renverser le gouvernement oligarchique. Une fois la démocratie réinstaurée, un décret fut proposé lui offrant la citoyenneté athénienne, mais une formalité administrative aurait rendu le décret illégal, l’empêchant d’obtenir la citoyenneté. À défaut d’avoir une vie en politique active, Lysias devint logographe2.

Isocrate

Isocrate naquit vers 436 et vécut pendant quatre-vingt-dix-sept ans. Certaines de ses œuvres les plus importantes furent écrites durant la dernière décennie de sa vie. La longueur de sa vie et de sa carrière explique probablement les changements que l’on peut percevoir au fil de son œuvre. Comme le fit remarquer J. F. Dobson, cet homme vécut la guerre du Péloponnèse, la défaite sicilienne, la suprématie spartiate, la seconde ligue athénienne, la montée et la chute de la puissance thébaine, et la montée macédonienne3. Bien que son père fût fabricant de flûtes, il avait une fortune assez élevée pour permettre à son fils une bonne éducation. Durant la guerre décéliaque, Isocrate partit étudier en Thessalie auprès de Gorgias. Il revint ensuite à Athènes vers la fin de la guerre du Péloponnèse ou tout juste après celle-ci. Le patrimoine familial avait cependant été perdu durant la guerre et il dut donc acquérir une nouvelle fortune par ses propres moyens. Il ne put pas s’engager dans une vie politique active à cause de sa timidité et de la faiblesse de sa voix. C’est pourquoi il devint logographe, puis professeur de rhétorique. Ses discours

2 K. J. Dover, Lysias and the Corpus Lysiacum, Berkeley/Los Angeles, University of California Press, 1968,

p. 48-48 ; J. F. DOBSON, The Greek Orators, p. 74-77.

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touchèrent bien des domaines sérieux (éducation, politique, philosophie, etc.) et étaient lus dans les milieux cultivés. Parmi ses nombreux discours conservés, quatre sont particulièrement révélateurs de l’originalité de la pensée d’Isocrate en ce qui concerne la politique athénienne et les relations entre cités : Panégyrique, Plataïque, Sur la paix et

Aréopagitique. Les lettres qu’il écrivit donnant des conseils à différents monarques

(Philippe de Macédoine, Nicoclès, Archidamos, etc.) sont aussi de précieux témoins de son ouverture à la monarchie4.

Lycurgue

Bien que peu d’informations soient connues sur la vie de Lycurgue, il fut un homme très influent dans la politique athénienne. On sait qu’il naquit dans les années 390 et que son grand-père, un personnage important dans la politique de la cité, reçut l’honneur d’être enterré dans le Céramique. Les Trente l’avaient exécuté, probablement pour avoir défendu des positions démocratiques. Tout comme Démosthène et Hypéride, Lycurgue fut l’un des principaux opposants de Philippe au sein de la politique athénienne. Il eut aussi le contrôle des finances de la cité pendant une période de douze ans, durant laquelle il parvint à augmenter de manière considérable les revenus de la cité. Son seul discours conservé est

Contre Léocrate5.

Eschine

Eschine naquit autour de 390. Son père fut exilé sous le régime des Trente et s’installa à Corinthe avec sa femme. Il loua ensuite ses services comme mercenaire en Asie, avant de revenir s’installer à Athènes après la restauration de la démocratie. Ruinée, la famille d’Eschine dut trouver du travail pour survivre. Son père enseigna la grammaire et sa mère tint des offices religieux mineurs en lien avec des cultes à mystères. Eschine et ses

4 P. CLOCHE, Isocrate et son temps, Paris, Les Belles Lettres, 1963, p. 5-8 ; J.F.DOBSON, The Greek Orators,

p. 126-129.

5 I. WORTHINGTON, C. COOPER & E. M. HARRIS, Dinarchus, Hyperides, & Lycurgus, p. 155-158 ;

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frères durent aussi travailler. Eschine enchaîna donc divers métiers (scribe, secrétaire élu du conseil, acteur, etc.), ce que son opposant Démosthène n’hésita pas à utiliser pour minimiser ses aptitudes à la politique, tout comme son appartenance à une famille de classe moyenne. C’est lors de son implication comme membre dans l’ambassade envoyée à Mégalopolis pour négocier avec Philippe qu’Eschine commença sa carrière politique. Avant son départ avec l’ambassade, l’orateur se présentait comme un fervent opposant à Philippe, alors qu’à son retour, il était devenu un défenseur de la paix avec les Macédoniens. Démosthène attribua ce revirement brusque à de la trahison, affirmant qu’il avait été soudoyé par le roi. Trois de ses discours politiques furent conservés, ainsi qu’une série de lettres6.

Hypéride

Né en 389/8, Hypéride provenait d’une des familles les plus riches d’Athènes. Il gagna tout d’abord sa vie comme logographe, puis plongea dans la politique, tout en continuant en parallèle cette carrière sans doute lucrative. Il fut un opposant important de Philippe et des rumeurs coururent disant qu’il aurait reçu de l’argent du roi perse afin de l’aider dans cette opposition. Parmi les textes d’Hypéride, seuls cinq discours et une oraison funèbre furent conservés7.

Démosthène

Né entre 384 et 380, Démosthène fut l’un des plus grands opposants de Philippe de Macédoine, et un défenseur farouche de la démocratie et de la liberté des Grecs. Son origine fut cependant à plusieurs reprises remise en cause par son principal adversaire, Eschine. Son père, citoyen athénien, était un riche artisan, alors que son grand-père était architecte, ce qui faisait de Démosthène le premier homme impliqué dans la politique de sa lignée. Son grand-père maternel, Gylon, fut présenté par Eschine comme un traître,

6 J.F.DOBSON, The Greek Orators, p. 163-170 ; Voir aussi la notice d’introduction écrite par V. MARTIN &

G. DE BUDE, Eschine. Discours, t. I., Collection Guillaume Budé, Paris, Les Belles Lettres, 1962 [1927].

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puisqu’il avait livré au roi du Bosphore une forteresse à Nymphaion en Crimée, alors qu’il y commandait une garnison athénienne. Accusation encore plus grave, Eschine disait de Démosthène qu’il était un barbare. Sa grand-mère maternelle étant scythe, sa mère aussi aurait pu l’être par les lois athéniennes. Périclès avait resserré les lois concernant la citoyenneté, exigeant que les deux parents soient athéniens pour qu’un enfant obtienne la citoyenneté. Cette loi fut suspendue durant la guerre du Péloponnèse pour des raisons pratiques, puis réinstaurée en 403. Or, la date de naissance de la mère de Démosthène est inconnue. Il est cependant à noter que sa grand-mère aurait pu elle-même être de descendance hellénique.

Démosthène fit ses débuts sur la scène publique lorsqu’il intenta un procès contre ses tuteurs qui auraient dilapidé l’héritage de son père. Il entama par la suite une carrière comme logographe qui lui permit de refaire sa fortune. Il se lança ensuite dans une importante carrière politique. Il est parmi les orateurs celui pour lequel le plus grand nombre de discours furent conservés. Son corpus comprend de nombreuses harangues politiques, un très grand nombre de discours politiques et judiciaires, des lettres, une série d’exordes jamais utilisés, ainsi que quelques autres textes. C’est pourquoi cet auteur sera de loin le plus exploité dans cette recherche8.

Dinarque

Peu d’informations sont parvenues jusqu’à nous sur la vie de Dinarque. Cet auteur serait né en 361/0 à Corinthe et aurait déménagé à Athènes dans sa jeunesse pour y apprendre la rhétorique. Il y serait devenu logographe au milieu des années 330, ce qui lui aurait permis d’amasser une bonne fortune. Puisqu’il était un métèque, il ne pouvait pas prendre part directement à la vie politique athénienne. Bien qu’il écrivît de nombreux

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discours, seulement trois sont conservés. Il s’agit d’accusations liées à l’affaire d’Harpale9, discours commissionnés par la cité10.

État de la question

1. Régimes politiques

On trouve maintes recherches traitant des régimes politiques dans l’Antiquité. Plusieurs présentent une évolution chronologique de la création de la démocratie ou du développement des relations entre les Grecs et les monarchies environnantes11. Bien que ces ouvrages soient précieux pour obtenir une bonne compréhension du contexte sociopolitique, ils présentent généralement peu les questions d’idéaux et de perception, préférant aborder les faits. Certains chercheurs se sont penchés sur la perception des Grecs. J. de Romilly12 a d’ailleurs fourni une recherche exhaustive des diverses critiques que les Grecs verbalisaient à l’endroit de la démocratie. Plus courants encore sont les articles traitant de la manière dont les Grecs percevaient la monarchie et la tyrannie, plus particulièrement la royauté perse13. Certains tentèrent même d’expliquer historiquement cette perception parfois biaisée qu’avaient les auteurs grecs. Néanmoins, ces recherches tendent à se concentrer sur un seul régime et, bien souvent, un seul auteur. Il est donc

9 Il sera question de cette affaire au chapitre 1.

10 I. WORTHINGTON,C.COOPER & E.M.HARRIS, Dinarchus, Hyperides, & Lycurgus, Austin, University of

Texas Press, 2001, p. 3-10 ; I. WORTHINGTON, A Historical Commentary on Dinarchus, Ann Arbor, The

University of Michigan Press, 1992, p. 3-12.

11 N. ALBAFULL &E.PAGÉS, « Tendencias del pensamiento politico en el siglo IV », BIEH 4-5 (1970-71), p.

45-61 ; P. CABANES, « Société et institutions dans les monarchies de Grèce septentrionale au IVe siècle », REG

93 (1980), p. 324-351 ; P. CABANES, « La Grèce du nord (Épire, Macédoine) en plein développement au IVe

siècle avant J.-C. », in P. CARLIER (éd.), Le IVe siècle av. J.-C., Paris, De Boccard, 1996, p. 195-204 ; P. CARLIER, La royauté en Grèce avant Alexandre, Strasbourg, AECR, 1984 ; P. CLOCHE, « Philippe de

Macédoine depuis la harangue de Démosthène sur la paix jusqu’à la rupture athéno-macédonienne (automne 346 – automne 340) », RBPh 30 (1952), p. 677-720 ; M. H. HANSEN, La démocratie athénienne à l’époque de

Démosthène, Paris, Les Belles Lettres, 1993 [1991].

12 J. DE ROMILLY, Problèmes de la démocratie grecque, Paris, Hermann, 2006.

13 M. M. AUSTIN, « Greek Tyrants and the Persians, 546-479 », CQ 40 (1990), p. 289-306 ; A. AYMARD &

J. AUBOYER, L’Orient et la Grèce Antique, Paris, Presses Universitaires de France, 1967 ; P. BRIANT, « Les

Grecs et la décadence perse », in M.-M. MACTOUX & E. GENY, Mélanges Pierre Lévêque, Paris, Les Belles Lettre, 1989, p. 33-47 ; J. G. GAMMIE, « Herodotus on Kings and Tyrants », JNES 45 (1986), p. 171-195.

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difficile de trouver une recherche établissant des liens directs entre toutes ces critiques, particulièrement des recherches où l’on met en parallèle les critiques à l’égard de la démocratie et celles de la monarchie. Généralement, on retrouve dans les recherches des comparaisons utilisant les associations démocratie/oligarchie et monarchie/tyrannie. De plus, plusieurs chercheurs s’appuyèrent en grande partie sur les traités politiques philosophiques, traités qui relèvent souvent davantage de la théorie que d’une politique en phase avec le contexte sociopolitique de leur temps14. Bien que ces études demeurent intéressantes, elles ne nous renseignent que peu sur les opinions en politique active.

2. Orateurs

En ce qui concerne les orateurs, la première critique que l’on pourrait formuler est qu’outre les œuvres générales traitant de la rhétorique et des orateurs15, il existe peu de recherche mettant en parallèle les auteurs les uns avec les autres. Les deux seuls auteurs à faire exception sont Démosthène et Eschine à cause de l’intense opposition qu’il y eut entre eux durant leurs carrières politiques. On retrouve donc un certain nombre de recherches traitant des deux à la fois, ou du moins mentionnant assez fréquemment les deux noms pour que des liens soient établis. Or, ces recherches tentent de manière générale à mettre l’accent sur les querelles et les évènements politiques, voulant parfois montrer la vertu de l’un ou l’hypocrisie de l’autre, sans jamais faire ressortir les potentielles similarités au sein de leurs discours. Isocrate, quant à lui, fut souvent analysé d’un point de vue chronologique, les chercheurs voulant comprendre les changements de position que l’auteur prit au fil de sa

14 J. BORDES, Politeia dans la pensée grecque jusqu’à Aristote, Paris, Les Belles Lettres, 1982 ; P. CARLIER,

« L’Idée de monarchie impériale dans la Cyropédie de Xénophon », Ktema 3 (1978), p. 133-163 ; M. H. HANSEN, Reflections on Aristotle’s Politics, Copenhagen, Museum Tusculanum Press, 2013 ;

C. NADON, Xenophon’s Prince, Berkeley/Los Angel, University of California Press, 2001 ; M. WORONOFF, « L’autorité personnelle selon Xénophon », Ktema 18 (1993), p. 41-48.

15 J. F. DOBSON, The Greek Orators ; I. WORTHINGTON, A Companion to Greek Rhetoric, Malden, Blackwell

Publishing, 2007 ; J. ROISMAN, The Rhetoric of Conspiracy in Ancient Athens, Los Angel, University of California Press, 2006.

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longue carrière16. En ce qui concerne les autres auteurs, ils sont généralement abordés dans des recherches où l’on présente leurs textes et commente leur style rhétorique17.

Intérêt du sujet

Le principal intérêt du sujet est son approche. Ce travail tentera de couvrir plusieurs aspects des régimes politiques, ainsi que de nombreux auteurs. Il ne sera donc pas ici question de décortiquer un point précis de la démocratie et de l’approfondir autant que possible, mais plutôt de prendre du recul afin d’avoir une vision d’ensemble de la réalité athénienne et d’établir une série de liens entre divers éléments qui à première vue ne semblent pas nécessairement connectés. Par ailleurs, le troisième point majeur qui sera abordé, soit un déplacement potentiel des idéaux de la cité vers la politique extérieure, est un aspect qui a été très peu traité. Il sera donc intéressant de voir comment ce déplacement, si déplacement il y eut, s’articula avec la réalité interne à la cité d’Athènes et avec les troubles politiques extérieurs du IVe siècle.

Approches théoriques et méthodologie

Plusieurs textes seront décomposés et analysés de manière à faire ressortir les points positifs et les points négatifs que les orateurs associaient aux divers régimes politiques. Dans un premier temps, cette recherche s’attardera à la démocratie et à la manière dont celle-ci fut présentée. Les principaux avantages que les orateurs louaient et la manière dont ceux-ci étaient liés à la forme qu’avait prise le gouvernement démocratique à Athènes y seront traités. Par la suite, un regard sera jeté sur les institutions et sur comment celles-ci jouèrent un rôle important sur les discours des orateurs. Ce rôle permettra d’expliquer la

16 C. BEARZOT, « Isocrate e il problema della democrazia », Aevum 54 (1980), p. 113-131 ; P. CLOCHE, Isocrate

et son temps, Paris, Les Belles Lettres, 1963 ; C. D. HAMILTON, « Isocrates, IG ii2 43, Greek Propaganda and

Imperialism », Traditio 36 (1980), p. 83-109.

17 Par exemple : K. J. Dover, Lysias and the Corpus Lysiacum ; I. WORTHINGTON,C.COOPER &E.M.HARRIS,

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présence de nombreuses critiques, directes ou indirectes que l’on peut aussi retrouver dans les mêmes discours chez les orateurs. Puisque la démocratie ne sembla pas correspondre en tout point à un idéal politique, il faudra explorer d’autres options.

C’est pourquoi, dans un second temps, la monarchie et l’oligarchie seront abordées. Il y sera vu comment les Athéniens perçurent les modèles monarchiques les entourant (perse, macédonien, spartiate, tyrannique), ainsi que l’oligarchie. Les Athéniens eurent tendance à associer tout autre régime que la démocratie à la tyrannie, développant une véritable rhétorique de la conspiratio18. Non seulement les discours des orateurs contribuèrent à établir ces liens, mais en plus, certaines mesures prises par la cité furent la cause d’un constant rappel de cette peur de la tyrannie qu’avaient les citoyens à une époque où ce régime n’était pourtant plus réellement une menace. Néanmoins, certains points positifs de la monarchie peuvent toujours être perçus derrière ce discours négatif. Si les institutions et le fonctionnement de la cité avaient rendu la monarchie et l’oligarchie comme des options officiellement inacceptables, certains Athéniens n’étaient pour autant peut-être pas totalement fermés à l’idée d’un changement de régime ou, du moins, acceptaient qu’il pouvait aussi y avoir du bon parmi ces options.

Puisque les louanges de la démocratie tenaient davantage à la rhétorique qu’au véritable idéal et que les autres formes de constitutions ne pouvaient représenter une option viable au sein de la cité, les extraits analysés dans le premier chapitre seront réexaminés avec un regard plus large. Comme le IVe siècle représente une période de grands changements pour le monde grec, ce travail tentera de déterminer si un idéal politique pourrait être retrouvé dans la manière dont Athènes était présentée par les orateurs par rapport à la politique extérieure. Des parallèles seront ensuite effectués avec les idéaux philosophiques de cette période afin de voir comment ceux-ci ont pu affecter le discours des hommes politiques.

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Chapitre 1 – Athènes et la démocratie

« Notre régime politique ne se propose pas pour modèle les lois d’autrui, et nous sommes nous-mêmes des exemples plutôt que des imitateurs. Pour le nom, comme les choses dépendent non pas du petit nombre, mais de la majorité, c’est une démocratie. S’agit-il de ce qui revient à chacun ? La loi, elle, fait à tous, pour leurs différends privés, la part égale, tandis que pour les titres, si l’on se distingue en quelque domaine, ce n’est pas l’appartenance à une catégorie, mais le mérite, qui vous fait accéder aux honneurs ; inversement, la pauvreté n’a pas pour effet qu’un homme, pourtant capable de rendre service à l’État, en soi empêché par l’obscurité de sa situation. Nous pratiquons la liberté, non seulement dans notre conduite d’ordre politique, mais pour tout ce qui est suspicion réciproque dans la vie quotidienne. » (Thucydide,37, 1-2)

Bien qu’offrant des points de vue différents sur la politique d’alors, les orateurs attiques du IVe siècle a.C. usèrent bien souvent de lieux communs lors de la composition de leurs discours. La notion de démocratie se retrouve ainsi au cœur de maints débats, notion souvent présentée comme étant un idéal politique à atteindre pour toute cité19. Cependant, une lecture plus attentive permet au lecteur d’apercevoir que le concept de démocratie est parfois, sinon souvent, utilisé à des fins rhétoriques et que, derrière cet idéal, se cachent aussi des critiques.

1) La démocratie : un idéal théorique

Dans les textes des orateurs attiques, la démocratie est souvent présentée comme un idéal. Par exemple, on peut lire chez Isocrate (Aréopagitique, 62). : « D’ailleurs les plus illustres et les plus grandes parmi les autres cités […] ont tiré plus de profit de la démocratie que de l’oligarchie. En effet, pour notre constitution que tout le monde critique20, si nous la comparons, non pas à celle que j’ai exposée21, mais à celle qu’avaient

19 Comme mentionné dans l’introduction, Isocrate s’avère être un cas intéressant où l’auteur s’est distancié au fil

de sa carrière de l’idéal de la démocratie, allant jusqu’à prôner ouvertement des valeurs monarchiques. Pour approfondir l’évolution des idées d’Isocrate à travers son œuvre, voir P.CLOCHE, Isocrate et son temps.

20 L’auteur pourrait faire ici référence à deux types de critiques. On peut d’abord y voir une référence aux

nombreuses critiques qui furent émises à l’encontre d’Athènes pour son attitude à la tête de la ligue de Délos, la comparant à un tyran régnant sur des sujets. On peut aussi y voir une allusion aux diverses critiques émises par les intellectuels de son temps, comme il sera vu plus loin.

21 Lorsqu’il parle de cette autre constitution exposée, il parle de la démocratie des « ancêtres », une sorte d’idéal

de l’âge d’or de la démocratie qu’il mettait en opposition avec la démocratie de ses contemporains. Ce point sera abordé plus loin.

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établie les Trente22, il n’y aurait personne pour ne pas la déclarer une œuvre des dieux. » On retrouve plusieurs éloges de ce type dans les discours d’alors. Sans entrer nécessairement dans les détails, les auteurs se permettent d’affirmer la suprématie du système politique en place. Il ressort de ces passages que les qualités de la démocratie étaient souvent associées à des valeurs bien précises. Celles-ci furent majoritairement liées au démos puisque dans un système démocratique le pouvoir repose entre les mains de la majorité23. Trois de ces idéaux semblent avoir tenu une place particulièrement importante dans les discours choisis pour cette étude : l’égalité politique entre tous les citoyens, l’équité devant la loi et la liberté. Il faut cependant noter que ces idéaux n’étaient pas une nouveauté du IVe siècle, puisque, comme l’explique C. Bearzot, on retrouvait déjà ces notions au Ve siècle24. L’étude plus approfondie de ceux-ci permettra de mieux comprendre comment ces idéaux ont été associés à la notion de démocratie.

a) Égalité politique des citoyens

Déjà, chez Hérodote, on peut lire : « Au contraire, le gouvernement du peuple, tout d’abord, porte le plus beau de tous les noms : isonomie. Puis, il ne s’y fait rien de ce que fait le monarque : on y obtient les magistratures par le sort, on y rend compte de l’autorité qu’on exerce, toutes les délibérations y sont soumises au public. » [III, 80]. Bien que le cadre narratif prenne place dans une discussion entre Perses, les chercheurs s’entendent généralement pour dire que ce passage d’Hérodote est plutôt représentatif des débats de ses

22 Il est intéressant de voir qu’Isocrate a choisi comme élément de comparaison le régime des Trente. S’il est

vrai qu’il constituait un choix chronologiquement logique, puisqu’il s’agissait du plus récent coup oligarchique pour renverser le gouvernement démocratique, donc de l’exemple le plus frais en mémoire, il est aussi important de noter que l’on faisait référence à ce gouvernement comme celui des Trente tyrans. En offrant pour exemple ce gouvernement comme modèle oligarchique, l’auteur démonisait en quelque sorte ce type de constitution. En présentant l’extrême opposé à la démocratie pour exemple d’oligarchie, l’auteur venait créer un gouffre entre les deux modèles, comme si les seules possibilités reposaient dans ces extrêmes.

23 On parle ici de la masse ne faisant pas partie de l’élite aristocratique et non de la totalité des citoyens, comme

l’emploi plus large du terme pourrait le laisser penser. On voit d’ailleurs dans les textes de la fin du IVe siècle

que le terme démos est de plus en plus utilisé dans ce sens, ne désignant pas l’ensemble des citoyens d’une cité, mais bien la masse plus pauvre, mise en opposition avec l’élite. Voir, C. MOSSÉ, Fin de la démocratie

athénienne, Paris, Presses Universitaires de France, 1962, p. 363 et M. N. HANSEN,« The Concepts of Demos,

Ekklesia, and Dikasterion in Classical Athens », GRBS 50 (2010), p. 500.

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contemporains dans le cadre de la cité grecque du Ve siècle25. Cependant, cette idée selon laquelle l’égalité politique faisait de la démocratie le plus beau des systèmes se poursuivit au IVe siècle.

Ce concept provenait avant tout de la manière dont les principaux organes gouvernementaux étaient constitués et de la façon dont les magistrats étaient élus26. L’Aréopage ayant perdu la majorité de ses pouvoirs d’antan27, les principaux organes étaient l’Ecclésia, la Boulè et l’Héliée. Or, ces trois institutions intégraient les citoyens sans tenir compte de leur niveau de richesse. Tout citoyen pouvait participer à l’Ecclésia et y présenter de nouveaux projets. De plus, son mode de fonctionnement direct rendait toute décision représentative des souhaits de l’ensemble des citoyens présents. En ce qui concerne la Boulè et l’Héliée, les participants étaient désignés par le sort, ce qui empêchait l’élite aristocratique d’obtenir le contrôle sur ces deux organes. Somme toute, le peuple, dans sa totalité, contrôlait tant le volet politique que le volet juridique de la cité. De la même manière, les magistrats étaient tirés au sort parmi les candidats et il était impossible de cumuler les magistratures ou d’itérer une charge, à l’exception de la stratégie. En outre, les magistrats étaient sous le contrôle de l’Ecclésia et de la Boulè, et ils risquaient de graves conséquences à mécontenter le peuple puisqu’une procédure d’eisangélie pouvait s’abattre sur eux à tout moment28. Un individu ne pouvait donc pas espérer contrôler la cité en briguant l’un de ces postes.

25 G.WALSER,« La Notion de l’État chez les Grecs et les Achéménides », in D. M. PIPPIDI (éd.), Assimilation et

résistance à la culture gréco-romaine dans le monde ancien, Paris, Les Belles Lettres, 1976, p. 228.

26 Sur les différentes institutions politiques et leur mode de fonctionnement : M. HUMBERT & D. KREMER,

Institutions politiques et sociales de l’Antiquité, Paris, Dalloz, 2014 [1984].

27 M. HUMBERT &D. KREMER, Institutions politiques et sociales de l’Antiquité, p. 129.

28 L’eisangélie était utilisée lorsqu’un crime n’ayant aucune loi précise l’encadrant était commis contre la cité.

Hypéride (Pour Euxénippe, 7-8) la résume comme suit : « Quels sont les cas où, selon vous, s’imposent les eisangélies ? Sans chercher plus loin, vous l’avez inscrit point par point dans la loi, afin que nul n’en ignore. “Si un homme, y est-il dit, cherche à ruiner le gouvernement populaire à Athènes […] Ou bien, si on se rend n’importe où à des réunions en vue de renverser la démocratie, si on a constitué pour ce but une association politique ; si on a livré à l’ennemi une ville, des vaisseaux, une force de terre ou de mer en campagne ; si, étant orateur, on ne tient pas le langage le plus conforme aux intérêts du peuple d’Athènes, parce qu’on reçoit de l’argent pour cela.” » Le but principal de la procédure était donc d’empêcher tout renversement de la démocratie. On apprend, toujours chez Hypéride, qu’une personne reconnue coupable était passible de mort et pouvait se voir interdit d’être enseveli en territoire attique (Pour Euxénippe, 18 ; Pour Lycophron, 20). Pour plus d’explications, voir M. HUMBERT &D. KREMER,Institutions politiques, p. 169. Pour plus de détails sur la procédure, voir M. H. HANSEN, Eisangelia. The Sovereignty of the People’s Court in Athens in the Fourth

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En plus du fonctionnement des constituants politiques de la cité, l’existence d’une indemnité versée en contrepartie de l’exercice de fonctions rendait davantage équitable le système, permettant aux moins nantis de s’éloigner de leur travail quotidien le temps de se consacrer aux affaires de la cité. En effet, au milieu du Ve siècle, Périclès mit en place le

misthos bouleutikos et le misthos héliastikos, deux formes de rémunération offrant

l’équivalent d’une solde de soldat, soit le minimum vital29. Au début du IVe siècle, le même principe fut appliqué à l’Ecclésia avec le misthos ekklesiastikos. Un salaire de trois oboles était donné aux six mille premiers citoyens à venir participer à l’assemblée30. Ces mesures permirent de rendre réelle l’équité politique théorique entre les citoyens. Non seulement tous avaient le droit de participer, mais en plus, chacun était en mesure de jouir concrètement de ce droit.

L’égalité politique et le système de rémunération étant des principes vécus au quotidien, les discours des orateurs n’exploitèrent que très peu ces notions puisqu’il s’agissait d’une évidence pour l’auditoire. Cependant, l’importance de cette équité était utilisée de manière indirecte. L’équité du système démocratique apporta l’idée que la masse, étant composée de nombreux individus, pouvait posséder une plus grande sagesse que n’importe quel homme seul31, comme on peut le lire chez Aristote (Politique, 1281a-b) :

Mais attribuer le pouvoir souverain à la masse du peuple plutôt qu’à la minorité des citoyens les meilleurs semblerait être une solution valable et offrirait sans doute des difficultés, mais peut-être aussi quelque vérité. La majorité, en effet,

Century B. C. and the Impeachment of Generals and Politicians, Odense, Odense University Press, 1975 et M. H. HANSEN, La démocratie athénienne, Paris, Les Belles Lettres, 1993 [1991], p. 249 sq.

29 Il est à noter que M. H. Hansen a cependant défendu l’idée que le misthos alloué aux magistrats, qui avait été

aboli lors du coup oligarchique de la fin du Ve siècle, n’aurait pas été réintroduit 403 avec le retour à la

démocratie, sauf dans certains cas particuliers. Sur ce, voir « Misthos for Magistrates in Fourth-Century Athens ? », GRBS 54 (2014), p. 404-419.

30 M. HUMBERT &D. KREMER,Institutions politiques, p. 168. Il faut cependant noter que ces mesures furent

critiquées par les intellectuels. Le fait de donner une rémunération aurait favorisé la présence des pauvres de la cité qui y voyaient une manière facile de gagner de l’argent sans travailler. On se serait donc retrouvé dans les assemblées avec un nombre important de gens sans éducation et ayant un intérêt limité pour les questions politiques, donc une masse qui représentait une cible facile pour les orateurs. Ce point sera exploré plus loin.

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dont chaque membre n’est pas un homme vertueux, peut cependant par l’union de tous être meilleure que cette élite, non pas individuellement, mais collectivement, de même que les repas à frais communs sont meilleurs que ceux dont une seule personne fait la dépense. Du fait qu’ils sont plusieurs, chacun a sa part de vertu et de sagesse pratique, et de leur union naît comme un seul homme à plusieurs pieds, plusieurs mains et doué de plusieurs sens, et il en va de même pour le caractère et l’intelligence.

Cette idée était liée à l’importance de l’égalité politique entre tous les citoyens, puisqu’une plus grande participation aux débats de la cité égalait une plus grande chance de prendre de bonnes décisions32. Thucydide, quant à lui, rapporta un discours de Cléon faisant de l’homme simple un juge plus impartial et donc meilleur que l’homme instruit :

Les autres au contraire, qui ne se fient pas à leur propre esprit, consentent à en savoir moins que les lois comme à être moins capables de critiquer le discours d’un orateur brillant, de sorte qu’étant des juges impartiaux plutôt que des jouteurs, ils réussissent le plus souvent. (III, 37, 4)

Chez les orateurs, cette idée se traduisit de manière plus subtile. On retrouve d’abord chez certains auteurs des interpellations à l’assemblée ou aux juges, dans lesquelles on en appelle à l’intelligence commune. Ainsi, Dinarque, lors d’un procès contre Démosthène33, écrivit dans son discours aux juges : « Et vous qui voyez, qui savez tout cela beaucoup mieux que moi » (Contre Démosthène, 33), en remémorant des actions politiques que l’accusé aurait commises lors de sa carrière. Comme l’explique J. Ober, Dinarque ne pouvait pas réellement penser que chaque membre du jury, individuellement, avait une connaissance complète de la longue carrière politique de Démosthène34. C’est donc

32 I. Worthington a cependant relevé un point intéressant qu’on peut mettre en lien avec l’idée ici traitée. Si l’on

considère la géographie du lieu où l’Assemblée se réunissait et le fait que les gens ne devaient probablement pas rester silencieux lors des discours et propositions, il semblerait que dans les meilleures conditions jusqu’à un cinquième de l’assistance n’aurait pas pu comprendre plus de 85% de ce qui était dit. Lorsqu’il s’agissait de sujets litigieux, les réactions bruyantes auraient davantage diminué le taux de compréhension de la part de l’assistance. Sur ce, voir I. WORTHINGTON, A Companion to Greek Rhetoric, Malden, Blackwell Publishing, 2007, p. 263. On peut ici supposer qu’un plus grand taux de participation augmentait les chances de dérangement lors des discours et, ainsi, remettre en question la sagesse de décisions votées par une assemblée dont un pourcentage important n’aurait pas tout compris ce dont il était question.

33 Dans cette affaire, on accusait Démosthène d’avoir détourné une partie de l’argent que possédait Harpale.

Celui-ci, alors prisonnier d’Athènes suite aux conseils de l’orateur, se serait évadé grâce à la négligence dont aurait fait preuve Démosthène. Initialement, ce dernier avait exigé une enquête de la part de l’Aréopage afin de trouver les coupables. Il avait même déclaré que si l’Aréopage le reconnaissait coupable, il accepterait la peine capitale. Cependant, lorsque l’Aréopage l’accusa, il s’y opposa, d’où ce procès. Pour plus de détails sur cette affaire, voir I. WORHTHINGTON, Demosthenes of Athens and the Fall of Classical Greece, Oxford, Oxford University Press, 2013, p. 313-324 ; C. MOSSÉ, Démosthène ou les ambiguïtés de la politique, Paris,

Armand Colin, 1994, p. 130-135 ; P. CLOCHE, Démosthène et la fin de la démocratie athénienne, Paris,

Bayot, 1937, p. 265-305.

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l’ensemble du jury, la somme des connaissances de cette foule, que l’orateur interpellait. D’autres orateurs ont usé de cette technique pour appuyer leurs raisonnements lorsqu’ils tentaient d’étayer une preuve. Isocrate, dans le Contre les Sophistes [7-8], se servit du raisonnement populaire pour conclure lorsqu’il présenta en quoi les philosophes n’agissaient pas en accord avec ce qu’ils promettaient d’enseigner aux jeunes gens. Dans cette tirade, Isocrate mettait de l’avant que la masse des citoyens, bien que non profane, voyait avec raison à travers les supercheries des philosophes. Il utilisa l’opinion populaire pour appuyer ses dires. On retrouve aussi ce type de procédé dans les plaidoyers, lorsque les orateurs tentent d’obtenir la bienveillance du jury ou de la foule. Démosthène en offre un bon exemple dans l’un de ses Prologues :

Now, if you all held the same opinions, I should not have come forward if you seemed to me to prefer the right course, considering it superfluous to speak before people doing the right thing of their own accord, nor again, if the contrary were true, for I should have thought that a lone person like myself was more likely to misapprehend the best measures than all of you. (Prologues, 44.1)

Dans ce prologue, Démosthène vient justifier sa présence devant ses concitoyens en affirmant qu’il n’aurait pas osé se présenter devant eux s’il avait pensé être d’opinion contraire à eux, puisque la masse a bien plus de chances d’avoir raison qu’un seul individu. En agissant de telle sorte, il utilisait un lieu commun pour flatter l’audience et augmenter ses chances d’être écouté avec une oreille bienveillante.

Dans ces différents exemples, on voit bien que les orateurs avaient conscience de l’importance d’un public réceptif. Or, cette affirmation que la masse du peuple avait plus de chance de voir clair et de prendre les bonnes décisions qu’un seul individu venait indirectement affirmer l’importance du système démocratique pour le bon fonctionnement de la cité, tant au plan politique que législatif. De plus, le fait même de soutenir l’importance de la sagesse et de la connaissance collective venait aussi appuyer le principe de l’égalité politique entre tous les citoyens et les diverses mesures le permettant, tels le tirage au sort et la rémunération. Puisque les décisions finales reposaient entre les mains du peuple, les orateurs devaient obtenir les faveurs de celui-ci et le meilleur moyen d’y arriver était de prôner l’idéal de la participation politique pour tous.

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b) Équité par la loi

Servant de logographe pour Épicharès dans le procès Contre Théocrinès [61], Démosthène35 écrivit dans son discours : « Montrez à tous qu’enfant, vieillard, à tout âge,

celui qui a les lois pour lui quand il se présente devant vous est sûr d’obtenir justice. » L’idée d’une justice équitable pour tous les citoyens, de toute classe et de tout âge, était étroitement associée au système démocratique. Or, cette équité ne semblait possible que par la soumission du peuple aux lois36. Ainsi, Lysias affirme dans son Oraison funèbre [19] qu’ « il ne convient qu’aux bêtes sauvages […] de régner par la force ; mais il appartient aux hommes de fixer le droit par la loi, de le faire accepter par la raison et d’obéir à ces deux puissances, la loi étant leur reine et la raison leur guide ». Chez les auteurs athéniens, la cité d’Athènes fut souvent présentée comme l’exemple par excellence de ce qu’était une démocratie. Bien que l’exemple d’Athènes ne soit pas le plus représentatif de la réalité démocratique d’alors, puisqu’elle était bien plus grande et peuplée que les autres cités, elle était devenue une forme de symbole du régime démocratique grâce à ses hauts faits lors des guerres médiques, mais aussi, grâce à son rôle majeur lors de la guerre du Péloponnèse, puisqu’elle représentait alors le pôle démocratique qui s’opposait aux valeurs plus traditionnelles de la ligue du Péloponnèse. C’est pourquoi on retrouve des passages chez les orateurs attiques représentant la cité athénienne comme étant celle où la justice était la meilleure, de par son grand respect envers la loi :

Tu me parais mal te rendre compte, Polyeucte, [– toi et ceux qui pensent comme

toi,] – qu’il n’est pas une [démocratie] au monde, pas une monarchie, pas une

nation plus magnanime que la démocratie athénienne. Voit-elle des citoyens, soit isolément soit en groupe, en butte aux attaques de sycophantes quelconques, loin de les abandonner, elle vient à leur secours. (Hypéride, Pour Euxénippe, 33)

35 L’authenticité du discours a cependant été remise en question dès l’Antiquité. Certains affirmèrent que

Dinarque était à l’origine de celui-ci. Cependant, pour des raisons de chronologie, cette théorie est peu probable, voire impossible. Sur ce point, voir la notice du discours écrite par Louis Gernet dans DEMOSTHENE, Plaidoyers civils, t. IV, texte établi et traduit par L. GERNET, Paris, Les Belles Lettres, 1960.

36 Le lien ou opposition entre équité et nomos a été au centre de maints débats auprès des chercheurs. D’un point

de vue philosophique, la justice se serait appuyée davantage sur le principe d’équité que de loi. Certains chercheurs ont vu dans les discours juridiques un reflet de la pensée philosophique et ont pensé que ce principe s’appliquait aussi dans la pratique. D’autres chercheurs ont cependant conclu qu’il y avait sur ce point une grande différence entre les idéaux philosophiques et la pratique légale, cette dernière s’appuyant d’abord sur les lois. Pour un résumé de ces différentes théories, voir H. MEYER-LAURIN, « Law and Equity in the Attic Trial », in E. CARAWAN, The Attic Orators, Oxford, Oxford University Press, 2007, p. 116.

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Puisque ce respect de la loi était directement en lien avec le type de système politique utilisé par une cité, les orateurs usèrent souvent de cette thématique pour mettre en opposition le système politique d’Athènes, la démocratie, avec la monarchie ou l’oligarchie utilisée soit par d’autres cités, soit par les barbares. Ces oppositions servaient généralement à des fins rhétoriques permettant souvent de montrer comment Athènes était dans son droit vis-à-vis d’une décision prise par le peuple ou bien servant à justifier l’argumentation utilisée par un orateur37. Ainsi, Isocrate, après avoir longuement comparé « l’ancienne » démocratie au gouvernement des Trente, justifie cette partie du discours de cette manière :

Si j’ai exposé cela, c’est pour deux raisons : c’est pour démontrer tout d’abord que je ne recherche pas le régime oligarchique ni la tyrannie, mais une constitution juste et qui garantisse l’ordre ; ensuite que la démocratie, si elle est mauvaise, cause de moindres malheurs et, si elle suit une bonne politique, se distingue en étant plus juste, plus impartiale et plus agréable pour les citoyens. (Aréopagitique, 70)

Bien qu’Isocrate n’ait pas écrit ce passage dans le but de louer en soi la démocratie, mais plutôt pour ne pas paraître sympathisant de la cause oligarchique38, les thèmes généraux de la justice et de l’impartialité envers tous les citoyens ressortent tout de même. En fait, puisqu’il ne s’agissait pas d’un éloge à la démocratie, mais bien d’une justification permettant à l’auteur de ne pas être discrédité, on peut penser que les avantages attribués à la démocratie aient été des lieux communs reconnus par la majorité du peuple au IVe siècle. Cette utilisation rhétorique du thème de la démocratie comme étant le système le plus juste et le plus impartial d’entre tous est donc un écho de ce à quoi s’attendait le public visé, de ce qui était accepté par la majorité. Ce type d’argumentation était aussi utilisé dans un autre contexte : les poursuites judiciaires. Toujours chez Isocrate, on peut lire :

37 À l’époque classique, les penseurs classaient les formes de pouvoir en fonction de l’arkhè. Ils séparaient ainsi

les constitutions en trois catégories : le pouvoir d’une personne, le pouvoir du petit nombre et le pouvoir d’un grand nombre de personnes. Sur ce, voir M. H. HANSEN,Reflections on Aristotle’s Politics, Copenhagen,

Museum Tusculanum Press, 2013, p. 2-3 et J. BORDES, Politeia dans la pensée grecque jusqu’à Aristote, Paris, Les Belles Lettres, 1982, p. 129.Dans les discours, cette classification se traduisit en trois formes de politique : la démocratie, l’oligarchie et la monarchie. Cependant, diverses ramifications découlant de ces principaux systèmes furent reconnues par les penseurs du IVe siècle, apportant des variantes au schéma de

base. Sur ce, voir : C. MOSSÉ, Fin de la démocratie athénienne, p. 361-362 et J. DE ROMILLY, « Le classement

des constitutions d’Hérodote à Aristote », REG 72 (1959), p. 81-99. Chez les orateurs attiques, ces variantes sont cependant très peu exploitées. Il était souvent plus utile à des fins rhétoriques de simplifier dans un discours les systèmes politiques de manière à opposer la démocratie à tout ce qui pouvait être fait ailleurs. Ainsi, il y avait Athènes et ses alliés, et les autres.

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On devrait s’étonner si, jugeant dignes de mort ceux qui ont commis des violences sous l’oligarchie, vous laissez impunis ceux qui sous la démocratie agissent comme les premiers. Cependant ils mériteraient un châtiment plus grand ; car ils montrent plus ouvertement leur caractère criminel. En effet si quelqu’un ose violer la loi maintenant que cela n’est plus permis, qu’aurait-il fait quand les gouvernants allaient jusqu’à être reconnaissants envers ceux qui commettaient de telles fautes ? (Contre Lokhitès, 4)

Il est intéressant de voir comment l’auteur a utilisé les valeurs politiques du jury pour tenter de montrer en quoi Lokhitès méritait le plus grand châtiment possible. En opposant la justice de la démocratie aux « violences » de l’oligarchie, il faisait de ce procès une cause plus grande que le simple jugement d’un individu ayant enfreint les lois de la cité. Le jugement de cette affaire devenait le reflet d’un idéal politique. Si le jury ne prenait pas le choix de punir sévèrement l’accusé, c’était tout le système démocratique qui était remis en question, puisque l’une de ses valeurs fondamentales était la justice pour tous.

Cette idée que le système démocratique était le système le plus juste était directement liée à la forme du pouvoir décisionnel. En effet, c’était parce que l’ensemble des citoyens prenait la décision, et non un seul individu ou une minorité, que les décisions prises étaient équitables pour tous. Plus encore, comme il n’y avait pas d’autorité suprême (roi ou magistrature), le peuple devait s’en remettre à une instance neutre et équitable, la loi. Ainsi, bien que le peuple fût l’instance décisionnelle, lorsqu’il s’agissait de justice, il était soumis au nomos, à la loi. Le système juridique était alors conçu en fonction de cette idée. On faisait une différence entre lois et décrets, ces derniers devant respecter les lois39.

Or, c’était l’assemblée qui votait les décrets. Comme le peuple devait décider des décrets qui étaient obligatoirement soumis aux lois en place, le peuple se retrouvait automatiquement sous l’autorité des lois40. Ce n’était donc pas un individu – un être potentiellement avare ou ambitieux – qui possédait le pouvoir absolu, mais plutôt un concept neutre, ayant été reconnu par tous pour le bien de tous. Cette idée était mise de

39 M. H. HANSEN, La démocratie athénienne, p. 195 et P. J. RHODES, The Athenian Boule, Oxford, Clarendon

Press, 1985 [1972], p. 49.

40 M. HUMBERT &D. KREMER, Institutions politiques, p. 125. Bien que les Athéniens fussent soumis à la loi,

Démosthène et Eschine rapportent qu’à chaque année les citoyens devaient décider en assemblée s’ils désiraient nommer des nomothètes afin de modifier une loi. Il était donc possible pour le peuple de modifier ces lois si il en ressentait le besoin. Pour en savoir plus sur le processus, voir P. J. RHODES, The Athenian Boule, p. 50.

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l’avant par les orateurs lorsqu’ils voulaient montrer la supériorité de la démocratie devant les autres types de régimes. On la retrouve entre autres dans le Contre Timocrate [75-76] de Démosthène :

Demandez-vous en quoi le règne des lois est supérieur à l’oligarchie, et pour quel motif les pays qui ont choisi le gouvernement des lois ont une réputation de sagesse et d’honnêteté, tandis que les pays oligarchiques passent pour lâches et serviles. La vraie raison, et qui se présente immédiatement, est celle-ci : dans une oligarchie, chaque gouvernant a tout pouvoir de révoquer le passé et de régler l’avenir selon sa volonté, tandis que les lois n’édictent des ordres que pour l’avenir, et encore faut-il, pour qu’elles soient adoptées, que leur utilité ait été démontrée aux intéressés.

Ici, l’auteur réfère à la démocratie comme étant « le règne des lois », ce qui fait directement référence à cette idée du démos soumis au nomos. Cette soumission aux lois est mise en opposition au caractère partial et inconstant de l’oligarchie, régime qui était perçu comme étant souvent injuste envers le peuple, puisque la minorité mieux nantie en constituait la classe dirigeante. On présentait d’un côté un régime où tous étaient assujettis aux mêmes lois et, de l’autre, un régime où une minorité faisait sa propre loi. On remarquera que l’extrait finit avec la mention « encore faut-il, pour qu’elles soient adoptées, que leur utilité ait été démontrée aux intéressés ». Ce passage vient confirmer l’idée que, selon l’idéal démocratique, toute loi était faite pour le bien commun, pour répondre aux besoins du peuple, dans sa totalité, puisque les « intéressés » sont le démos. Un autre passage exprimant les mêmes idées se retrouve chez Eschine :

Vous savez bien, Athéniens, qu’il y a trois types de systèmes politiques pour tous les hommes – la tyrannie, l’oligarchie et la démocratie –, mais que les tyrannies et les oligarchies sont dirigées selon le caractère de ceux placés à leur tête, alors que les cités qui se gouvernent démocratiquement le sont par les lois établies. Par conséquent, qu’aucun d’entre vous n’ignore, mais que chacun sache clairement que lorsqu’il entre au tribunal pour juger une poursuite pour illégalité41, il est en ce jour sur le point de poser son caillou42 au sujet de sa propre liberté à s’exprimer. C’est pourquoi le législateur a mis ceci en premier dans le serment des juges, « je voterai selon les lois », cela en sachant bien que lorsque les lois sont observées dans la cité, la démocratie est aussi sauvegardée. (Contre Ctésiphon, 6)

41 L’auteur fait ici référence à la graphē paranomōn soit une action contre une proposition jugée illégale selon

les lois de la cité. Concernant les différentes procédures, voir M. H. HANSEN, The Sovereignty of the People’s

Court in Athens in the Fourth Century B.C. and the Public Action against Unconstitutional Proposals, Odense, Odense University Press, 1974.

(29)

Une fois de plus, l’association de la démocratie au régime des lois est présente. Ce qui est cependant mis davantage de l’avant, que l’on ne retrouvait pas dans le premier extrait, est le lien entre le respect des lois et la souveraineté du peuple. Le fait que tous soient soumis aux mêmes lois permettait d’assurer qu’aucun individu ne se hisse au-dessus des autres, par exemple par l’apparition d’un tyran, menant ainsi au renversement de la démocratie. L’équité pour tous était ainsi possible par l’appartenance à un gouvernement démocratique, mais ce gouvernement était lui-même sécurisé par cette soumission aux lois. Ce dernier aspect est particulièrement important pour bien comprendre les avantages qui étaient associés à la démocratie, puisqu’il vient intimement lier deux des principaux aspects de l’idéal démocratique : l’égalité politique des citoyens et l’équité pour tous devant la loi. J. Ober a d’ailleurs tenté d’expliquer la contradiction entre le pouvoir absolu du peuple et l’application de la loi et il expliqua que les Athéniens n’abordaient pas les pouvoirs politiques et judiciaires comme deux réalités distinctes. Pour eux, puisque le peuple gouvernait, le désir de celui-ci était généralement la loi43. D’ailleurs, J. Ober donnait un exemple qui illustre bien cette réalité : « The standard term for destruction of the political order used by the orators was “ to overthrow the demos’’ (kataluein ton demon), rather than “to overthrow the laws’’44 ». On voit ainsi que ces deux aspects de la démocratie, le

pouvoir à tous les citoyens et la justice pour tous, étaient des éléments inséparables dans cette vision qu’avaient les Athéniens du IVe siècle à propos de la démocratie.

c) Liberté

La notion de liberté dans les discours des orateurs attiques est bien souvent liée de près à la politique45. Lorsqu’on effectue une première lecture de ces textes, il en ressort de

manière générale que la démocratie était gage de liberté, alors que les autres types de gouvernements (monarchie et oligarchie) apportaient inévitablement une certaine forme de

43 J.OBER, Mass and Elite, p. 299-304. 44 J.OBER, Mass and Elite, p. 299.

45 M. H. Hansen a montré que le terme eleutheria pouvait cependant revêtir plusieurs nuances, y compris dans

des discours touchant idéaux et politique. Selon s’il s’agit de critiques envers la démocratie ou de louanges, ou bien selon le contexte dans lequel le terme est utilisé, la notion de liberté peut comprendre des différences ou n’englober qu’un partie du corps citoyen. Sur ce sujet, voir « Democratic Freedom and the Concept of Freedom in Plato and Aristotle », GRBS 50 (2010), p. 1-27.

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