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Les Athéniens avaient une vision plutôt négative des autres constitutions. Ils avaient développé un certain nombre de jugements par rapport à chacune d’elles. Ils eurent aussi tendance à associer différents concepts (royauté, tyrannie, barbares) qu’ils mirent alors en opposition avec la démocratie. Si une part de ces jugements était fondés sur une incompréhension due aux différences culturelles et constitutionnelles, une grande part était aussi due à l’image construite par eux-mêmes. Cette vision des monarchies et des oligarchies tyranniques servait bien la démocratie athénienne. D’une part, elle permettait d’établir des barèmes concernant l’identité démocratique140. D’autre part, elle servait dans la vie politique de tous les jours comme topos rhétorique, celui de la conspiration141.

Pour bien comprendre comment les orateurs ont pu utiliser l’oligarchie et la monarchie à des fins rhétoriques, tout comme ils l’ont fait avec la démocratie, il faut explorer les divers moyens utilisés par les Athéniens afin d’associer ces régimes à la peur de la tyrannie et la manière dont ils réussirent à garder cette peur présente à une période où cette constitution ne représentait plus une menace réelle pour Athènes142.

139 J. ROISMAN, The Rhetoric of Conspiracy in Ancient Athens, p. 66 sq.

140 K. A. RAAFLAUB, « Stick and Glue », p. 59 et « Democracy, Oligarchy », p. 522. 141 J. ROISMAN, The Rhetoric of Conspiracy in Ancient Athens, p. 70-71.

142 Comme l’eisangélie a déjà été présentée au chapitre 1, elle ne sera pas traitée de nouveau dans cette section,

même si elle y a sa place. Gardons seulement en mémoire que cette procédure, qui avait pour but d’intenter un procès contre une personne liée à un renversement ou à une tentative de renversement de la démocratie, fut utilisée à outrance, faisant du thème de la conspiration un topos récurrent dans les discours des orateurs, ce qui contribua à la propagation de cette peur de la tyrannie. Par exemple : Hypéride, Pour Euxénippe, 3.

a) L’association royauté/tyrannie/oligarchie

L’association des constitutions (royauté, oligarchie et tyrannie) que l’on retrouve dans les discours des orateurs et chez les auteurs (historiens, comiques) se retrouvait aussi au sein même de lois et décrets connus de la majorité des citoyens, voire, de la totalité, influençant de façon continue la perception que les Athéniens pouvaient avoir de ces régimes. On peut donc comprendre comment il était aisé pour les orateurs d’user de ce thème dans leurs discours, comme le fit à plusieurs reprises Démosthène contre Philippe ou Eschine143.

Serments, lois et stèles

Après le retour à la démocratie de 410, un décret fut proposé par un certain Démophantos, liant tous les citoyens d’Athènes. Ceux-ci se réunirent par dèmes et par tribus afin de réciter un serment qui les engageait personnellement à résister à tout renversement ou tentative de renversement de la démocratie144. Ce serment donna le rôle de gardien de la démocratie à chaque citoyen, les incitant indirectement à se surveiller les uns les autres. De plus, il sous-entendait que tout un chacun pouvait être la source d’un tel renversement, faisant du renversement un événement pouvant survenir de manière sournoise, d’où la nécessité pour chaque citoyen d’être vigilant envers ses concitoyens145 :

Voici le texte rédigé par Démophantos. […] « Je ferai périr, par parole, par action, par vote, et de ma main, si je le puis, quiconque renversera la démocratie athénienne, ou, le régime une fois renversé, exercera par la suite une magistrature; quiconque se lèvera pour s’emparer de la tyrannie ou aidera le tyran à s’établir. Et si c’est un autre qui le tue, je l’estimerai pur devant les dieux et les puissances divines, comme ayant tué un ennemi public ; je ferai vendre tous les biens du mort, et j’en donnerai la moitié au meurtrier, sans le frustrer de rien. Et si un citoyen périt en tuant un de ces traîtres, ou en essayant de le tuer, je lui témoignerai ma reconnaissance, ainsi qu’à ses enfants, comme on l’a fait à Harmodios et à Aristogiton et à leur postérité. Et tous les serments qui ont été

143 J. LUCCIONI, Démosthène et le panhellénisme, Paris, Presses Universitaires de France, 1961, p. 100.

144 J. MCGLEW, « Fighting Tyranny in Fifth-Century Athens : Democratic Citizenship and the Oath of

Demophantus », BICS 55 (2012), p. 97.

prêtés à Athènes, à l’armée, ou ailleurs, pour la ruine de la démocratie athénienne, je les annule et j’en romps les liens. » (Andocide, Sur les mystères, 96-98)

Un second décret fut par la suite voté en 336 à la suite de la défaite de Chéronée146. À nouveau, le décret faisait suite à des événements ayant menacé la démocratie. C’est pourquoi J. McGlew y a vu un moyen « to breath new ideological life into democratic regimes that were enervated by military failures and internal conflict147. »

Les différents décrets en lien avec la tyrannie et le renversement de la démocratie devaient être connus de tous et l’on devait s’efforcer que nul ne les oubliât. Les Athéniens installèrent donc à des endroits clés des stèles comportant des textes rappelant la loi, mais aussi les anciens tyrans. On retrouve quelques mentions de telles stèles chez les auteurs. Par exemple, Thucydide parle d’une stèle se trouvant sur l’Acropole listant les membres de la famille du tyran Hippias (VI, 55, 1-2). De plus, une stèle datant de 337-336 comportant une loi contre les tentatives de renversement et contre la tyrannie fut découverte en 1952148.

Non seulement le texte s’opposait à la tyrannie, mais il dénonçait aussi tout type de renversement de la démocratie, ce qui impliquait deux choses. Premièrement, ce décret était valable en cas de renversement par un groupe oligarchique. Deuxièmement, en venant mentionner en premier lieu les tentatives d’instauration de la tyrannie, le texte associait indirectement l’oligarchie à la tyrannie. Fait intéressant, le texte sous-entendait aussi une allégeance potentiellement pro-oligarchique ou, compte tenu la date du décret, promacédonienne de la part de l’Aréopage. En effet, il affirmait que tout membre de l’Aréopage continuant de maintenir ses fonctions sous un nouveau régime serait châtié. Ces stèles, au-delà de leur rôle législatif, renforçaient la crainte de la tyrannie associée à tout renversement de la démocratie auprès de la population athénienne. Elles étaient donc un rappel constant de ce que devait combattre un bon citoyen et de quelle menace pouvait surgir à tout moment. Il était donc aisé pour les orateurs de jouer sur ces émotions dans leurs discours afin de manipuler la foule.

146 M. OSTWALD, « The Athenian Legislation against Tyranny and Subversion », TAPhA 86 (1955), p. 103. 147 J. F. MCGLEW, Tyranny and Political Culture, p. 186.

Institutions, cultes et procédures

Afin de bien remplir son rôle, cette association oligarchie/royauté/tyrannie ne devait pas demeurer qu’une simple idée gravée sur de la pierre ou récitée par cœur au début d’une séance de l’Assemblée. Il fallait des moyens concrets pour la mettre en pratique. Athènes se munit donc de plusieurs moyens concrets afin de garder vivante la menace de la tyrannie, mais aussi afin de contrer de manière efficace tout renversement potentiel.

i) Ostracisme

L’ostracisme est généralement la première procédure venant à l’esprit lorsqu’on pense à la tyrannie. Mise en place par Clisthène, cette procédure se différenciait de l’exil pénal par le fait que la personne ostracisée gardait son statut de citoyen athénien de plein droit et ne subissait pas une confiscation de biens. Il s’agissait d’un processus en deux temps. Tout d’abord, une fois par année, le peuple votait à main levée à la sixième prytanie s’il désirait qu’un ostracisme ait lieu. Environ deux mois plus tard, les Athéniens se présentaient par tribu afin de déposer leur tesson. Ceux-ci étaient triés par nom, à la condition d’en avoir amassé au moins 6000. Alors, la personne dont le nom avait remporté la majorité simple avait dix jours pour quitter la cité pour une période de dix ans149. Durant cet exil, elle continuait néanmoins à toucher les revenus en lien avec ses propriétés. On estime que la procédure aurait été utilisée environ une quinzaine de fois au Ve siècle. Pour le IVe siècle, il semblerait que la procédure n’ait jamais été utilisée, même si on continuait chaque année à demander au peuple s’il désirait tenir un ostracisme150.

La procédure fut bien souvent associée par les modernes au contrôle de la tyrannie principalement pour deux raisons. Premièrement, plusieurs ostraka ont été retrouvés faisant

149 M. H. HANSEN, La démocratie athénienne à l’époque de Démosthène, p. 59-60 et S. FORSDYKE, Exile,

Ostracism, and Democracy, p. 147.

150 M. H. HANSEN, La démocratie athénienne à l’époque de Démosthène, p. 60 et M. R. CHRIST, « Ostracism,

mention d’aspiration à la tyrannie comme justificatif. Deuxièmement, il s’avère que plusieurs des premières personnes ayant été exilées par la procédure étaient liées à la famille de Pisistrate151. Cependant, certains chercheurs ont remis en question cette interprétation. Il se serait davantage agi d’un moyen pour le peuple de contrôler les joutes de pouvoir au sein de l’élite, joutes pouvant parfois devenir violentes. Au lieu de laisser les membres de l’élite, par des moyens plus ou moins légaux, exiler leurs concurrents, le peuple s’appropriait ce pouvoir. L’ostracisme serait devenu un symbole du pouvoir qu’avait le peuple, ainsi que de son autorité152. Par ailleurs, en expulsant les éléments considérés comme nuisibles à la politique athénienne, cette procédure permettait de faire des rappels clairs sur ce qu’était un comportement politique acceptable153. S. Forsdyke a identifié trois éléments pouvant laisser penser que l’ostracisme servait à contrôler l’élite et non à contrer la tyrannie154. D’abord, l’ostracisme aurait été inefficace contre la tyrannie puisque le tyran en devenir aurait pu user de son influence ou de sa richesse pour orienter les votes en sa faveur. Ensuite, rien ne garantissait qu’un tyran prendrait des moyens légaux pour obtenir le pouvoir. Enfin, Athènes, grâce à ses lois, disposait déjà de moyens bien plus efficaces en place pour contrer la tyrannie (e.g. eisangélie).

Quelle qu’ait été l’intention de départ de Clisthène lorsqu’il instaura cette mesure, il demeure tout de même qu’un certain nombre d’individus perçurent cette procédure comme un moyen d’écarter tout danger de tyrannie puisque des preuves ont été retrouvées sur les

ostraka. Ainsi, même si aucun ostracisme n’eut lieu au IVe siècle, comme le peuple continua annuellement de poser la question, l’ostracisme fut un des divers moyens de rappel récurrent de la peur de renversement de la démocratie (et donc, par association, du retour à la tyrannie) utilisé par les Athéniens.

151 S. FORSDYKE,Exile, Ostracism, and Democracy, p. 153. 152 S. FORSDYKE,Exile, Ostracism, and Democracy, p. 150.

153 E. STONEMAN, « The Available Means of Preservation : Aristotelian Rhetoric, Ostracism, and Political

Catharsis », RSQ 43 (2013), p. 136.

ii) Culte des tyrannicides

Comme mentionné précédemment, Pisistrate devint tyran d’Athènes en 561. Il demeura au pouvoir de 561 à 527, excepté pour deux périodes d’exil. Bien qu’il fût tyran, on le considéra comme étant le « champion des pauvres155 » grâce à ses réformes agraires. De 527 à 510, son fils Hippias devint à son tour tyran. L’aristocratie aurait progressivement commencé à montrer de la résistance à son pouvoir, ce qui résulta en une série d’exils pour la classe aristocratique. En 514, Harmodios et Aristogiton tentèrent de tuer Hippias, mais ne tuèrent finalement que son frère, Hipparque. Ce meurtre aurait été la cause d’un comportement davantage tyrannique de la part d’Hippias jusqu’à ce qu’il fût délogé, en 510, avec l’aide de Sparte. À la suite de ces événements, Athènes érigea sur l’Agora, en 509, un groupe statuaire d’Harmodios et Aristogiton, les tyrannicides. Ce premier ensemble fut emporté par le roi perse lors des guerres médiques, puis remplacé par un nouveau groupe en 477156. Un culte fut établi par la cité autour de ces personnages à la fin du VIe siècle157. Ce culte, qui consistait en une offrande faite par l’archonte polémarque au nom de la cité, se tint annuellement dans le Céramique, là où se trouvaient leurs tombes. K. Raaflaub vit une similitude entre ce rituel et la manière dont on honorait les Athéniens morts au combat158. Par ailleurs, toujours selon le chercheur, les représentations de Thésée – le fondateur mythique de la démocratie – devinrent peu à peu similaires aux représentations des tyrannicides, associant ainsi les tyrannicides à la restauration de la démocratie. En fait, on voit à travers les textes des anciens que les tyrannicides furent d’abord présentés comme les restaurateurs de l’isonomie, puis, avec le temps, ils devinrent les restaurateurs de la démocratie (bien que le concept n’existât pas encore !).

155 M. H.HANSEN, La démocratie athénienne à l’époque de Démosthène, p. 57.

156 J. L. SHEAR, « Religion and the Polis : The Cult of the Tyrannicides at Athens », Kernos 25 (2012), p. 37 ;

M. H. HANSEN, La démocratie athénienne à l’époque de Démosthène, p. 57 ; A. J. PODLECKI, « The Political

Significance of the Athenian “Tyrannicide”-Cult », Historia 15 (1966), p. 129.

157 J. L. SHEAR, « Religion and the Polis », p. 29 ; K. A. RAAFLAUB, « Stick and Glue », p. 63 ; A. J. PODLECKI,

« The Political Significance », p. 129 ; C. W. FORNARA, « The Cult of Harmodius and Aristogeiton »,

Philologus 114 (1970), p. 159.

Or, tous les auteurs anciens ne rapportèrent pas la même version du renversement du tyran Hippias. Chez Hérodote (VI, 123), ce seraient les Alcémonides qui auraient libéré la cité du tyran et non l’acte commis par les tyrannicides. L’auteur mit d’ailleurs l’accent sur les quatre années de tyrannie suivant le meurtre d’Hipparque, passant très rapidement sur l’acte en tant que tel. Thucydide, quant à lui, affirma que le meurtre n’aurait pas été commis pour des raisons politiques, mais plutôt à cause d’une histoire d’amour. Plus étonnant encore, toujours chez cet auteur, on voit que les Pisistratides n’auraient pas changé la constitution démocratique. En réalité, ils auraient usé des rouages du régime, ainsi que d’intimidation et d’alliances pour obtenir et garder ce pouvoir. Le renversement de la tyrannie, effectué par les tyrannicides ou non, n’aurait pas été un changement de constitution. Il n’y aurait donc eu aucune raison de les représenter comme des restaurateurs de l’isonomie ou de la démocratie puisqu’aucun changement de régime n’aurait eu lieu159.

La tradition officielle liée au culte, celle où Harmodios et Aristogiton auraient délivré Athènes de l’emprise du tyran, fut construite par la cité afin de répondre à des besoins bien précis. J. L. Shear a identifié principalement cinq rôles pour cette tradition160.

Tout d’abord, le culte des tyrannicides apporta un modèle spécifique aux citoyens à imiter. Ensuite, ce rituel donna une identité aux Athéniens, celle de démocrates, coincidant avec les intérêts de la cité. Ce culte aida peut-être aussi à établir le lien entre démocratie et liberté civique, puisque les tyrannicides furent souvent décrits comme ayant apporté la liberté à Athènes. De plus, il contribua davantage à mettre en opposition démocratie et tyrannie. Finalement, il permit d’établir en même temps une identité pour la cité (démocratie) et pour les citoyens (tueurs de tyrans). On peut d’ailleurs voir une fierté de la part des Athéniens par rapport à cette identité (Lycurgue, Contre Léocrate, 51) : « Chez les autres peuples, vous trouverez des statues d’athlètes dressées sur les places publiques; chez vous, ce sont celles de stratèges vainqueurs et des meurtriers du tyran. » Le culte des tyrannicides, par son caractère répétitif et par la présence des statues, fut un moyen de rappeler de façon durable la tyrannie aux citoyens dans un contexte où la menace de

159 V. J. ROSIVACH, « The Tyrant in Athenian Democracy », p. 47. 160 J. L. SHEAR, « Religion and the Polis », p. 36-42.

renversement, parce que venue de l’intérieur, devait toujours être évitée par la vigilance de tout un chacun161.

iii) Graphē paranomōn

Même si la graphē paranomōn162 n’avait pas explicitement pour but de contrer la

tyrannie, il convient d’en toucher un bref mot. Cette procédure, l’action pour illégalité, était utilisée lorsqu’une proposition allant à l’encontre d’une ancienne loi ou du bien de la cité était déposée. Il existait deux variantes. La première, la graphē paranomōn, était utilisée contre les décrets contredisant une loi existante ou si un décret avait été proposé de manière non appropriée. La seconde, la graphē nomon mē epitēdeion theinai, avait, quant à elle, lieu lorsqu’une proposition de nouvelle loi était inappropriée ou considérée comme dangereuse pour la cité163. H. Yunis fait remarquer qu’aucune description de ce qui pouvait être considéré comme une offense lors de propositions de décret n’existait164. Le jugement dépendait ainsi de la perception des juges. C’est pourquoi cette procédure fut rapidement utilisée par les hommes politiques afin de contrer les actions de leurs adversaires. Or, comme l’indique J. Roisman165, puisque les lois étaient présentées par les Athéniens comme étant les gardiennes de la démocratie, il était aisé d’associer une graphē paranomōn avec l’intention de nuire ou de renverser la démocratie (Eschine, Contre Timarque, 5) : « Vous savez aussi, Athéniens, que ce sont les lois qui garantissent la sécurité des citoyens d’un état démocratique et de sa constitution, tandis que les monarques et les chefs d’une oligarchie trouvent leur salut dans la méfiance et dans les gardes du corps. » Eschine, dans un discours, insiste d’ailleurs sur l’importance de cette procédure pour la constitution :

Puisqu’il en est ainsi, puisque la situation de la république est bien telle à peu près que vous la comprenez, il n’y a plus dans la constitution qu’une seule chose qui reste, si moi aussi j’ai un peu d’entendement, ce sont les actions en illégalité.

161 V. J. ROSIVACH, « The Tyrant in Athenian Democracy », p. 46.

162 Pour une description complète de la procédure, de ses étapes et de ses particularités, voir : M. H. HANSEN,

The Sovereignty of the People’s Court, p. 28-65.

163 J.ROISMAN, The Rhetoric of Conspiracy, p. 95.

164 H. YUNIS, « Law, Politics, and the "Graphe Paranomon" in Fourth-Century Athens », GRBS 29 (1988),

p. 363.

Mais si vous abolissez ces actions ou que vous laissiez faire ceux qui les abolissent, je vous le déclare, peu à peu et sans vous en douter vous aurez abandonné la direction des affaires publiques à un petit nombre d’hommes. (Contre Ctésiphon, 5)

Cette procédure était donc une occasion pour éveiller dans l’esprit des juges la peur de la tyrannie en associant ce qui pouvait avoir été une simple maladresse à une intention malveillante de reversement de la constitution.

La thématique du tyran fut un topos souvent utilisé dans les discours, tant politiques que judiciaires. Trois éléments permirent d’en faire un lieu rhétorique courant : la vision négative des autres constitutions, la peur de la tyrannie renforcée par diverses institutions et lois, et l’association que firent les Athéniens entre la tyrannie et les régimes monarchiques et oligarchiques. Il devenait ainsi possible de jouer sur la peur des citoyens afin de faire passer plus facilement une idée ou une accusation. Comme l’explique J. Ober, tous ceux qui espéraient instaurer un nouveau régime politique étaient automatiquement tyranniques, puisque la démocratie et la tyrannie étaient alors présentées comme un système bipolaire166. Aucune autre option n’était possible. Soit le peuple régnait, soit il était dominé par un régime tyrannique.