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Du roman au film : transécriture et récurrences problématiques dans la série James Bond

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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DU ROMAN AU FILM : TRANSECRITURE ET

RÉCURRENCES PROBLÉMATIQUES DANS LA

SÉRIE JAMES BOND

Mémoire présenté

à la Faculté des études supérieures de l'Université Laval

dans le cadre du programme de maîtrise en littérature et arts de la scène et de l'écran pour l'obtention du grade de maître es arts (M.A.)

DEPARTEMENT DES LITTERATURES FACULTÉ DES LETTRES

UNIVERSITÉ LAVAL QUÉBEC

2010

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Les livres et les films qui forment la série mettant en scène James Bond fournit l'occasion de repenser le débat sur les rapports entre littérature et cinéma non plus grâce au concept, vague et inapproprié, d'adaptation mais à celui de transécriture. C'est en termes d'écriture qu'il s'agit d'aborder les romans et les films afin de faire émerger les spécificités de chacun des médias et, en particulier, du cinéma. Par des analyses filmiques, nous étudierons les différents choix des producteurs et des réalisateurs et nous considérerons le poids et l'influence de la série par rapport à chacun des films qui s'y inscrit. Nous mettrons ainsi en lumière les récurrences problématiques qui menacent la cohérence vers laquelle tend toute la série, dès lors que l'ordre de visionnement des films est pris en compte. Enfin, c'est le mythe de James Bond lui-même qui nous intéressera et notamment l'ensemble des figures mythologiques que le héros Bond convoque et que la série actualise avec régularité.

Mots clefs : James Bond, Ian Fleming, transécriture, adaptation, série, récurrences, héros, populaire, mythe, média, analyses filmiques

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The series of books and films featuring James Bond provides a unique opportunity to rethink the debate about the links between literature and cinema. This time, however, it is not through the vague and inappropriate concept of "adaptation" but "transécriture" ("transwriting"). We need to think in terms of writing when we wish to underline the way each of these media is unique. By analyzing selected films, we will study the choices the producers and directors made and the way the series, as a whole, effects an influence. This approach in particular will show us how problematic recurrences threaten the coherence the series seems to achieve, when the order of viewing the films is considered. Finally the myth of James Bond will be studied, including the mythological figures constituting this hero.

Key Words: James Bond, Ian Fleming, transécriture, transwriting, adaptation, series, recurrences, hero, myth, popular, film analysis

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Je tiens à remercier mon directeur, M. Jean-Pierre Sirois-Trahan, pour son aide et ses judicieux conseils qui ont toujours réussi à me sortir des impasses dans lesquelles j'ai pu

me trouver. Nos discussions sur le cinéma ont toujours été un grand bonheur et une source intarissable de réflexions qui ont contribué à ma formation.

Ma gratitude va à Mme Marie-Andrée Beaudet, qui a permis au projet initial d'être formulé, à M. Guillaume Pinson pour ses relectures attentives et éclairantes, ainsi qu'à MM. Thierry Belleguic, Richard Saint-Gelais et Patrick Werly qui m'ont sans cesse, et des deux côtés de l'Atlantique, témoigné leur soutien pour que ce mémoire puisse aboutir. Enfin, j'exprime toute ma reconnaissance à Mmes Mélanie Bérubé, Julie de Blois, Nicole Quimper et bien entendu Chloé Gaumont qui ont chacune à leur niveau, par leur patience, leur enthousiasme et leur gentillesse fait de mes années d'études au Québec un enchantement que je souhaite à tous.

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Résumé i Abstract ii Avant-propos iii Table des matières v Introduction 1 Chapitre premier :

James Bond, un modèle de transécriture? 8 I. La question de la transécriture 9 1. Contre l'adaptation 10 a. La fidélité 10 b. La hiérarchie 13 2. La transécriture 14 II.

Le spectacle James Bond 18 Chapitre deuxième :

Les spectateurs et la politique , 29 I.

Faire rêver le spectateur 29 II.

Union Soviétique, États-Unis, Chine et Royaume-Uni 40 Chapitre troisième :

Les récurrences problématiques 50 I.

Un rôle, plusieurs acteurs 51 II.

Un acteur, plusieurs rôles 61 Chapitre quatrième :

Études de cas 70 I.

Au service secret de Sa Majesté 70 1. La problématique initiale d'Au service secret de Sa Majesté : la continuité et le

changement 73 2. « L'autre » 75 3. Le rappel des aventures passées 79

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Les récurrences « parasites » mais révélatrices 82 1. Casino Royale ou l'approche ironique 84 2. Jamais plus jamais ou la voie du remake 87 Chapitre cinquième:

Devenir un héros mythique 93 James Bond : un héros mythique 94

1. James Bond : un héros et ses mythes 94

2. Au service de Sa Majesté 102

Conclusion 105 Bibliographie et filmographie 109

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« La saga James Bond est avant tout une expérience cinématographique qui a traversé une bonne partie de l'histoire du cinéma. Comme telle, elle nous permet, mieux qu'aucune autre, de comprendre l'évolution du cinéma d'action, sans doute le plus populaire, tant en terme d'évolution idéologique que de mise en scène. Surtout de mise en scène. »

Yannick Dahan, « Meurs un autre jour », Positif, n°503, janvier 2003.

« Bond, James Bond ».

S'il est une affirmation que l'on peut tenir sans crainte de se tromper, c'est bien celle qui consiste à supposer que ce nom est connu de tous. De même peut-on postuler que beaucoup ont vu au moins un des vingt-deux longs métrages mettant en scène au cinéma l'agent britannique au service secret de Sa Majesté, 007, autorisé à tuer. Si les films sont parvenus à créer une imagerie forte autour du personnage symbolisé prioritairement par le smoking, une arme de poing et la fréquentation des casinos, il s'agit pourtant de toujours s'interroger sur les modalités qui ont fait qu'un tel héros soit partie intégrante de notre mémoire collective et ce, d'autant plus, qu'il a été crée à l'origine par un romancier.

En effet, avant d'être le personnage de cinéma que l'on connaît et reconnaît, James Bond a été le héros des romans d'aventures et d'espionnage écrits et publiés entre 1953 et 1966 par le britannique Ian Fleming. Ce n'est donc pas un personnage forgé pour le cinéma même si les biographes reconnaissent volontiers que Fleming a toujours eu l'espoir de voir le septième art s'emparer de sa création. Dans ses dix romans et deux nouvelles, Ian

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premiers lecteurs pour écrire Casino Royale (Casino Royale, 1953), Vivre et laisser mourir (Live and Let Die, 1954), Entourloupe dans l'azimut (Moonraker, 1955), Les diamants sont éternels (Diamonds Are Forever, 1956), Bons baisers de Russie (From Russia With Love, 1957), James Bond contre Dr. No (Dr. No, 1958), Goldfinger (Goldfinger, 1959), Bons baisers de Paris (For Your Eyes Only, 1960), Opération tonnerre (Thunderball, 1961), L'espion qui m'aimait (The Spy Who Loved me, 1962), Au service secret de Sa Majesté (On Her Majesty's Secret Service, 1963) et On ne vit que deux fois (You Only Live Twice,

1964)1. L'homme au pistolet d'or (The Man With the Golden Gun) et Meilleurs vœux de la Jamaïque (Octopussy and the Living Daylights) seront publiés de façon posthume en 1965 et .1966.

Si les ventes sont d'abord honorables, au mieux, le succès vient suite à la publication dans le magazine Life en 1961 du classement des dix livres préférés du président américain Kennedy dans lequel figure Bons baisers de Russie. À partir de là, les films vont prendre le relais et faire du héros romanesque un mythe populaire au sens premier du terme. Le rythme de production des films, un tous les deux ans en moyenne, et le nombre total de films que compte la série, 22 en 2009, sont autant d'indicateurs non seulement de la pérennité de James Bond au cinéma, mais aussi de leur réussite globale, tant financière qu'artistique. Si la chose n'est pas exceptionnelle en littérature, aucune autre série au cinéma, basée sur la récurrence du personnage principal, de certains personnages secondaires et sur le renouvellement des intrigues à résoudre, n'a connu un succès aussi continu.

C'est là ce qu'ont accompli les producteurs à l'origine de la série, Harry Saltzman et Albert R. Broccoli. Si le premier cesse ses activités après le semi-échec de L'homme au pistolet d'or en 1974, le second portera jusqu'à sa mort chacun des films de James Bond à travers la société EON Productions. Ce sont eux qui ont pris la décision de ne pas lier le rôle à un acteur en particulier mais, au contraire, de se faire succéder des personnalités différentes, un principe que leurs successeurs2 n'ont pas remis en cause. On compte donc au

1 On trouve entre les parenthèses les titres originaux, suivis de la première date de publication. 2 Les producteurs Michael G. Wilson et Barbara Broccoli.

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Roger Moore, Timothy Dalton, Pierce Brosnan et Daniel Craig. Les uns après les autres, ils ont tous décliné de différentes manières leur compréhension du rôle de l'espion, influencé en cela par les événements internationaux au moment d'aborder un nouveau projet. Il est dès lors difficile de parler uniquement de James Bond au singulier car les films mettent en scène un personnage principal qui, s'il n'évolue pas de manière régulière, subit du moins des inflexions certaines. L'humour a une place plus ou moins constante et plus ou moins centrale en fonction de l'acteur et du goût de l'époque par exemple. Les relations entre les États-Unis et l'U.R.S.S. ont influencé l'image des Russes développée dans les opus. La signification même d'un personnage tel que James Bond s'est transformée. De défenseur zélé des intérêts et du mode de vie du monde occidental face à une Union Soviétique perçue comme une menace chez Ian Fleming et dans les premiers opus de Sean Connery, James Bond est devenu moins ouvertement idéologique tout en portant haut les valeurs d'un certain mode de vie, fait de voyages exotiques, de luxe et de femmes. Si ces dimensions étaient présentes dans les romans, les films les ont portées à un autre niveau et les ont durablement associées au personnage. De fait, un spectateur qui vient à lire les aventures originales serait surpris de constater à quel point les deux héros sont dissemblables, en apparence.

Les livres, comme les films, ont engendré leur « propre mémoire3 » puisqu'ils s'inscrivent tous dans la continuité de ceux qui les ont précédés, même si les deux séries, littéraires et cinématographiques ont pour principe de repartir de zéro à chaque nouvelle aventure. Cette mémoire qui s'engendre en vase clos apparaît problématique à certains moments, si l'on suppose qu'elle se doit d'être cohérente. Comment appréhender par exemple que des mêmes acteurs interprètent différents rôles dans plusieurs films quand bien même James Bond est toujours joué par le même acteur principal ? Comment le spectateur peut-il s'adapter aux choix artistiques de films pris indépendamment les uns des autres si ceux-ci tentent d'aller contre la logique interne de la série dans son ensemble? C'est là une problématique propre au cinéma, une problématique qui, pour d'évidentes raisons, ne concerne pas les romans. À un autre niveau encore, la série sur grand écran

3 Françoise Hache-Bissette, Fabien Boully et Vincent Chenille, James Bond : figure mythique, Paris, Autrement, 2008, p. 7.

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Songeons que l'on parle de « série officielle » pour différencier les films mettant en scène James Bond, produits par Harry Saltzman et/ou Albert R. Broccoli, des films réalisés et portés par d'autres qui utilisent, en la détournant, l'imagerie développée à l'occasion des films officiels - il s'agit des parodies plus ou moins fines et nuancées. On oubliera pas non plus de prendre en compte le remake d'Opération tonnerre sous le titre de Jamais plus jamais qui brouille encore plus les pistes puisque c'est Sean Connery qui joue l'agent secret et que le projet est porté par un ancien associé de Ian Fleming et coproducteur du film original. Il est aisé d'expliquer toutes ces ramifications qui font de James Bond une série gérée d'abord par une famille et des associés en étudiant les droits et les tractations qui les concernent. Un autre exemple peut être fourni avec le film Casino Royale, sorti en 2006, dont le titre est bien celui de la première œuvre de Fleming mais dont les droits d'adaptation ont donné lieu à de long et tortueux procès suite au film Casino Royale de 1967. Il résulte des liens ténus qui existent entre les titres, les intrigues et les personnages, que l'on considère les relations entre les livres et les films ou les relations des films entre eux, un ensemble que l'on peut tenter d'appréhender comme un tout et qui justifie la progression que nous suivrons.

La confrontation des livres et des films en termes d'écriture et de rapport à son média en tant que support précède ainsi une approche plus précise de la série cinématographique où c'est la cohérence supposée de chacun des films par rapport à l'ensemble de la série que nous aurons l'occasion de questionner. La mise en scène, une donnée rarement prise en compte dans les études portant sur James Bond, sera ainsi à l'honneur afin d'appréhender par le langage du cinéma des films qui s'inscrivent à l'origine dans le genre de l'espionnage pour finir par être un genre à eux seul, les James Bond. In fine, c'est donc le mythe que nous sommes invités à prendre en compte, un mythe

proprement populaire, un mythe qui ne cesse de se présenter comme renouvelé même si ce sont des variations que le spectateur est invité à reconnaître et à apprécier.

Le passage de la littérature au cinéma pour un héros dont les traits caractéristiques semblent si différents sur les deux supports pose la question des conditions nécessaires de

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s'agit d'analyser le phénomène de la « transécriture » qui est en jeu, transécriture ayant permis à un héros littéraire de devenir un héros cinématographique. Comment se fait-il que ce dernier ait fait oublier au plus grand nombre ses origines romanesques?

Nous avons considéré qu'il fallait dépasser le débat sur la notion d'adaptation, notion problématique et clivante. C'est pour cela que nous avons choisi de nous pencher sur la notion de « transécriture », transécriture qui a permis de forger un héros au cinéma, différent mais semblable de son équivalent romanesque. Ce point de départ nous permettra alors de considérer et de questionner la place des récurrences comme principe de la série. En effet, nous partirons de l'hypothèse que c'est par la conjugaison de la transécriture et des récurrences de personnages, d'actions et.de paroles que ce héros devient un cas bien particulier dans le paysage culturel, même si nous pointerons certaines difficultés qui lui sont propres. Les créateurs de la série ont su faire fi du contexte politique qui a déterminé la création de James Bond pour le développer de manière originale tout en portant un regard particulier sur les évolutions du monde.

Notre propos se veut donc un parcours ayant pour point de départ l'œuvre romanesque de Ian Fleming. En effet, ce n'est qu'après nous être arrêtés sur les écrits qui ont donné naissance à James Bond que nous pourrons aborder les films, eux qui ont renforcé et étendu la popularité du héros à travers le monde. Les films sont une étape primoridale pour aborder le mythe James Bond car c'est très majoritairement à travers eux que le personnage s'est fait connaître, à un point tel que sont bien rares ceux qui n'ont aucune idée préconçue à son encontre, qu'elle soit positive ou négative. L'association de Bond à la misogynie, par exemple, vient moins d'une fréquentation des livres de la part de ceux qui décrivent ainsi Bond que des films, qui ont choisi de conserver et de jouer plus ou moins avec ce trait de personnalité. D'autres traits d'ailleurs ne sont pas autant représentés dans les films que ce qu'une trop rapide généralisation laisserait croire : la fameuse réplique « Bond, James Bond », entre autre, n'apparaît pas avec la régularité que l'on imagine dans chacun des films.

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qui apparaîtrait uniquement comme un relevé des manques et des modifications. Il ne s'agit plus de mettre en regard des textes en considérant au préalable une subordination de l'un à l'autre, notamment une subordination des films aux livres, mais, au contraire, de les aborder comme deux écritures répondant à des attentes différentes par des moyens spécifiques toujours adaptés au support du média visé. Voilà qui éclaire le choix qui a été fait de ne pas utiliser le terme « adaptation » mais bien celui, plus exact par rapport à l'objectif que nous nous fixons, de « transécriture ». C'est aussi en raison de notre approche en termes d'écriture que nous pouvons volontiers parler de textes filmiques et de textes littéraires pour désigner les films et les livres.

Notre attention se portera sur l'originalité des deux écritures. C'est par ce biais que peuvent mieux se comprendre les différences fondamentales entre les deux héros pourtant porteurs du même nom. Si les titres des œuvres sont identiques, de même que les intrigues ou les noms des protagonistes principaux, l'écriture diffère radicalement à cause du média dans lequel elle doit s'inscrire. Sur grand écran, la série s'appuie sur la recherche d'un impact visuel absent ou ignoré dans les romans. Or cette dimension, qui se retrouve dans les attributs vestimentaires, la séquence du générique ou les décors, insiste sur ce qu'est le cinéma, un art où le sens se trouve dans les images. Dans les romans, cet impact n'est pas recherché puisque l'écriture n'est pas fondée sur des images immédiatement perceptibles par les spectateurs. Une construction et des objectifs différents sont à l'œuvre.

Deux héros différents se construisent donc mais leur récurrence demeure une caractéristique première partagée. Celle-ci s'exprime par le retour de plusieurs personnages d'une histoire à l'autre et, dans le cas des textes filmiques, par la récurrence, ou non, d'acteurs dans des rôles identiques ou différents. C'est alors l'attitude du spectateur qu'il faut prendre en compte, lui qui est face à ces personnages dont les supports successifs, c'est-à-dire les différents acteurs, varient. Ce phénomène ne se rencontre que dans les longues séries où l'identification d'un acteur à un rôle aurait moins d'importance que le rôle et les fonctions du personnage lui-même. Il faut ajouter à cette première approche de la récurrence, une seconde qui prendra en compte les éléments qui conditionnent la possibilité

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paroles et d'écrits, ainsi que par une construction globale. Dès lors la nécessité d'étudier ces biais se fait jour, notamment pour démontrer que c'est sans doute par eux que la transécriture se trouve renforcée.

En effet, ces deux approches de la récurrence tendent à rendre le personnage à l'écran atemporel, tout comme l'est le personnage romanesque par l'absence de mentions précises sur son âge. Il y aurait donc là un élément de transécriture à l'œuvre, moins visible mais tout aussi opératoire, pour arriver à rendre à l'écran une des caractéristiques du héros dans les romans. D'un autre côté, ces récurrences diverses soulignent la naissance du héros moderne. Ce ne sont pas les acteurs qui le créent, ceux-ci tâchent seulement de correspondre à Vidée de ce qu'il représente pour le plus grand nombre. C'est là un paradoxe qui est sans aucun doute aux fondements de la série qu'est James Bond au cinéma puisqu'elle contredirait l'identification qu'opère le spectateur entre un acteur et un rôle, en même temps que l'existence même de la série incite à aller voir les autres opus, et donc à réaliser que les récurrences peuvent être problématiques.

Cette étude souhaite donc emprunter le chemin que le personnage de l'agent James Bond 007 a lui-même suivi, en passant des romans aux films pour transcender au final les supports et accéder au rang de mythe moderne. Ces pages rendront par là même hommage aux études antérieures qui, chacune selon son point de vue et sa méthode, ont fait cet espion du cinéma n'a pas été ignoré par le milieu universitaire. Depuis le texte « Les structures narratives chez Fleming » d'Umberto Eco en 1967 jusqu'aux différents colloques organisés en 2006 et 2009, James Bond est de mieux en mieux appréhendé et étudié dans de nombreuses langues. Notre modeste contribution permettra de dresser un panorama qui ne se veut en aucun cas exhaustif mais qui donnera un lecteur un aperçu des différentes directions qui, jusqu'à présent, ont été privilégiées. Il s'agit donc en même temps d'encourager un approfondissement et une réflexion renouvelée sur ce mythe contemporain qui occupe une place unique dans la culture populaire.

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James Bond, un modèle de transécriture?

« Comme le disait James Cain à un journaliste qui lui demandait ce qu'il pensait de ce qu'on avait fait à ses romans en les adaptant au cinéma: 'On n'a rien fait à mes romans, ils sont toujours là, sur les étagères!' Un livre, c'est une chose, un film en est une autre. »

Joel Coen, « Entretien avec Joel et Ethan Coen », Positif, n°563, janvier 2008.

Avant d'être la série cinématographique au succès que l'on connaît, James Bond a d'abord été l'œuvre romanesque du britannique Ian Fleming. Cependant, des romans aux films, il ne reste que très peu de points communs entre les écrits originels et le personnage que l'on retrouve sur le grand écran. Il semble que le cinéma se soit à ce point approprié l'espion de Sa Majesté que les livres ne représentent plus qu'une source d'inspiration lointaine des producteurs et des réalisateurs et non le point focal à partir duquel on devrait juger le travail des uns par rapport aux autres. Les films se sont appliqués à utiliser les ressources offertes par le cinéma pour réduire à la portion congrue les aspects mis en place par Fleming. James Bond trouverait-il dans le cinéma le média à même de mieux révéler tout son potentiel? C'est à partir de cette question que nous voulons aborder le débat séculaire tournant autour de l'adaptation et de ses limites afin de faire nôtre la notion de « transécriture » portée par André Gaudreault, notion nous semblant plus à même de rendre compte de la spécificité de la série Bond. Ainsi, en convoquant les principaux arguments qui soulignent toute l'inadaptation du terme « adaptation », nous retracerons la réflexion qui a amené celui de transécriture. Ce cheminement nous incitera, de manière délibérée, à concevoir cette série comme un des exemples le plus à même d'illustrer ce qui fait de la transécriture une

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l'adaptation. Nous mettrons le texte romanesque de Ian Fleming et les textes filmiques en regard, non pour juger d'une soi-disant supériorité ou d'une infériorité de l'un sur l'autre, mais bien pour constater les divergences des textes ainsi que les raisons qui peuvent expliquer celles-ci. C'est donc à une plongée dans deux écritures que nous invitons, une écriture romanesque d'une part et une écriture filmique d'autre part.

I.

La question de la transécriture

La transécriture est le point d'aboutissement d'une réflexion sur l'inadéquation du terme « adaptation » pour désigner le passage d'un personnage, d'un thème ou d'une histoire d'un média, généralement le livre, à un autre, le cinéma. C'est dans les actes d'un colloque consacré à cette notion, publiés dans l'ouvrage sous la direction d'André Gaudreault et Thierry Groensteen La transécriture, pour une théorie de l'adaptation4, qu'une quinzaine de chercheurs dont André Gardies, Monique Carcaud-Macaire et Jeanne-Marie Clerc, pointent les insuffisances d'un terme bien trop généraliste, l'adaptation, pour sonder le potentiel que recèle celui de transécriture. Ils ne passent pas sous silence le fait que l'habitude, ainsi qu'une certaine convention de vocabulaire rendent le premier mot, sinon plus attrayant, du moins largement admis. André Gaudreault tient ainsi à préciser:

Commençons par un point de vocabulaire. D'abord ce fameux titre, la 'transécriture', qui n'est dit ici que 'fameux', dans un sens du mot, que précisément parce qu'il n'était pas fameux avant le colloque, qu'il ne l'a pas été vraiment au cours même du colloque, et qu'il n'a que fort peu de chance de le devenir à la suite de ce collectif... N'y a-t-il pas, tout de même, quelque chose d'étrange, et de fascinant tout à la fois, dans cette irréductibilité du mot 'adaptation' qui, malgré de nombreuses volontés, nous est resté collé à la peau, comme une cicatrice indélébile5.

4 André Gaudreault et Thierry Groensteen (dir.), La transécriture, pour une théorie de l'adaptation : littérature, cinéma, bande dessinée, théâtre, clip, (Cerisy, 14-21 août 1993), Québec, Nota Bene, Angoulême, Centre national de la bande dessinée et de l'image, 1998.

5 André Gaudreault, « Variations sur une problématique », La transécriture, pour une théorie de l'adaptation, ibid., p. 267.

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Nous ne pouvons que pointer l'ironie qui se dégage de cette situation où un terme, à qui un colloque était destiné, y est à peine utilisé. Ironie également par rapport à notre travail en général qui trouve dans cette notion une piste de lecture intéressante pour qualifier le travail opéré par les producteurs et les réalisateurs d'une franchise cinématographique à succès à partir d'un travail romanesque alors que le terme soulève encore plus d'interrogations que de réponses élaborées. Il nous faut donc retracer le parcours qui a donné naissance à cette nouvelle façon de voir les choses, à partir des arguments classiquement opposés à l'adaptation. C'est de cette manière que l'originalité de l'approche pourra, souhaitons-le, apparaître.

1. C o n t r e l'adaptation a. La fidélité

Bien plus qu'un simple problème de vocabulaire, qui se résoudrait par la substitution d'un terme par un autre, la question qui nous occupe touche au statut des œuvres bâties dans un média à partir d'un matériau conçu pour un autre média. Comme le rappellent André Gaudreault et Philippe Marion:

Notre intention première était de tenter de démontrer qu'en passant d'un média à un autre, le 'sujet' d'un récit [...] subissait une série de contraintes 'informantes' et 'déformantes' qui seraient liées à ce que l'on pourrait appeler sa 'configuration intrinsèque', chaque 'sujet' étant présumément doté de sa propre configuration. Cette configuration serait toujours-déjà plus ou moins compatible avec tel ou tel média et préprogrammerait, en quelque sorte, tout processus d'adaptation6.

La question qu'ils posent, et qui est à la source de l'idée même de transposition, concerne la possibilité pour un sujet - que l'on conçoive ce terme comme la fable dans son ensemble ou simplement un personnage - d'exister indépendamment du support dans lequel il est créé. C'est la question rhétorique soulevée par les auteurs: « y a-t-il vraiment moyen d'imaginer une fable dans son état de 'virginité' originelle, d'avant son incarnation médiatique7 ? » Toute histoire est façonnée en fonction du média qui l'accueille. Marie-Claire Ropars-Wuilleumier l'affirme: « pas d'histoire qui ne s'incarne et, en s'incarnant, ne

6 André Gaudreault et Philippe Marion, « Transécriture et médiatique narrative. L'enjeu de l'intermédialité », La transécriture : pour une théorie de l'adaptation, ibid., p. 31.

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se dérobe8». De fait, passer d'un média à un autre suppose de s'exprimer dans le langage propre du média que l'on cherche à atteindre. Cela étant dit, se pose la question de l'écart, et partant de la fidélité à l'œuvre originelle, qui résulte entre les deux fables que les deux médias ont ainsi produites. La fidélité, envers l'auteur ou envers le « sujet », est certainement l'une des questions les plus sensibles qui soit dans une réflexion sur l'adaptation, c'est-à-dire sur le rapport entre la littérature et le septième art. Partons simplement du principe, avec Jean-Louis Leutrat, que l'on n'a que « trop tendance à jauger la 'fidélité' d'une adaptation à l'aune de ce qui a été ajouté ou retranché, de ce que l'on reconnaît ou de ce que l'on ne reconnaît pas9. » Cette façon, fausse, de raisonner nie en effet la spécificité de chaque média et postule qu'un même sujet peut naturellement trouver une place en littérature, au cinéma, au théâtre ou en musique. N'est-ce pas ce que Truffaut pointait en 1954 dans son article « Une certaine tendance du cinéma français10 » en insistant sur le procédé d'équivalence utilisé par les scénaristes Aurenche et Bost qui suppose

qu'il existe dans le roman adapté des scènes tournables et intournables et qu'au lieu de supprimer ces dernières (comme on le faisait naguère) il faut inventer des scènes équivalentes, c'est-à-dire telles que l'auteur du roman les eût écrites pour le cinéma"[?]

L'analyse n'aurait alors qu'à faire le compte des différences entre le modèle et l'adaptation, sachant que cette dernière n'est plus qu'une succession d'événements, un « squelette narratif12 », jugé par essence inférieur puisque détournement de l'œuvre première.

Nous pourrions encore ajouter que l'utilisation d'un terme de morale a peu de place quand il s'agit de juger d'un travail consistant à rendre une lecture, par essence individuelle, au cinéma, média de masse s'il en est. Robert Stam, dans l'article « Novel and Film: The Theory and Practice of Adaptation » tient à ce sujet un double discours. Il souligne d'une part l'opprobre véhiculé par des termes synonymes:

8 Marie-Claire Ropars-Wuilleumier, « L'oeuvre au double : sur les paradoxes de l'adaptation », La transécriture : pour une théorie de l'adaptation, idid., p. 131.

9 Jean-Louis Leutrat, « Roman : Roman et cinéma », Encyclopaedia Universalis, en ligne, <http://tinyurl.com/djd3i_?>. consulté le 16 avril 2009.

10 François Truffaut, « Une certaine tendance du cinéma français », Le plaisir des yeux. Écrits sur le cinéma, Paris, Petite bibliothèque des Cahiers du cinéma, 2000, p. 293-314.

11 Ibid, p. 296.

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La pudibonderie victorienne raisonne de façon lancinante dans le terme d"infidélité'; la 'trahison' fait écho à une perfidie éthique; la 'déformation' révèle un dégoût esthétique; la 'violation' nous rappelle la violence sexuelle; une 'vulgarisation' évoque la perte d'un statut social; et la 'désacralisation' réfère au sacrilège religieux13.

D'autre part, il met un point d'honneur à justifier dans une certaine mesure la part de vérité contenue dans la notion de « fidélité » afin de dresser un tableau plus nuancé des jugements à l'égard des films adaptant des romans.

Quand on affirme qu'une adaptation a été 'infidèle' à l'original, la violence même des termes donne la mesure de l'immense déception que l'on ressent face à une adaptation filmique qui échoue à rendre ce que l'on conçoit comme étant le récit, la thématique et les aspects esthétiques fondamentaux de sa source littéraire. La notion de fidélité prend toute sa force argumentative car oui nous pensons que certaines adaptations sont meilleures que d'autres et que certaines adaptations échouent à capter et à appuyer suffisamment ce que nous avons le plus apprécié dans les romans originels. Les termes comme 'infidélité' et 'trahison' traduisent en ce sens notre sentiment qu'une adaptation d'un livre que nous avons aimé, n'a pas été à la hauteur de l'amour que nous lui avions porté14.

Soulignons que cette tolérance à l'égard de l'utilisation du terme « fidélité » a trait à la réaction émotionnelle suscitée par le visionnement du film et ne peut vraisemblablement pas résister à une analyse réfléchie de l'œuvre, de ses intentions propres et de la réalisation, ou non, de ces dernières. L'infidélité est ainsi réduite à n'être bien qu'un jugement péremptoire et non l'aboutissement d'une réflexion.

La transécriture insiste sur la nécessité de « trouver les formes d'une fidélité à l'esprit du média15 » plus qu'à celle de l'auteur ou du sujet, références improductives. C'est là reconnaître le poids du média, jusque à présent nié, dans l'écriture première comme dans l'opération de transposition. Le point focal est ainsi déplacé afin de juger des œuvres, non les unes par rapport aux autres, mais par rapport aux médias dans lesquels elles

13 « 'Infidelity' resonates with overtones of Victorian prudishness; 'betrayal' evokes ethical perfidy; 'deformation' implies aesthetic disgust; 'violation' calls to mind sexual violence; 'vulgarization' conjures up class degradation; and 'desecration' intimates religious sacrilege. », Robert Stam, « Novel and Film: The Theory and Practice of Adaptation », La décima musa. The Tenth Muse. II cinema e le altre arti. Cinema and Other Arts, Leonardo Quaresima et Laura Vichi (dir.), Udine, Forum, 2001, p. 441. Sauf indication contraire, nous traduisons.

14 « When we say an adaptation has been 'unfaithful' to the original, the very violence of the term gives expression to the intense disappointment we feel when a film adaptation fails to capture what we see as the fundamental narrative, thematic, and aesthetic features of its literary source. The notion of fidelity gains its persuasive force from our sense that a) some adaptations are indeed better than others, and that b) some adaptations fail to 'realize' or substantiate that which we most appreciated in the source novels. Words like 'infidelity' and 'betrayal' in this sense translate our feeling, when we have loved a book, that an adaptation has not been worthy of that love », id.

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s'inscrivent. Un film devra être moins jugé par rapport à un livre que par rapport aux chefs-d'œuvre du cinéma, le média dans lequel il s'inscrit. Un film aura d'autant plus d'impact qu'il est une réussite cinématographiquement parlant, quelle que puisse être son origine romanesque ou littéraire. C'est ce que souligne André Gardies dans sa contribution à l'étude de la transécriture:

En d'autres termes si la transécriture est, dans son principe, de l'ordre du transport, transporter un texte d'un médium vers un autre, elle n'est esthétiquement intéressante que dans la mesure où elle suscite, à partir de la mutation sémiotique qui la fonde, un déplacement au sein de l'ensemble des œuvres dans lequel prend place le texte qui résulte du travail de transposition16.

b. La hiérarchie

Si la question de la fidélité est celle qui surgit presque immédiatement quand on aborde le problème de l'adaptation, il en est une autre qui pousse à remettre en cause l'utilisation d'un tel terme, à savoir la hiérarchie sous-entendue entre les deux œuvres. Parler d'adaptation, c'est poser une relation hiérarchique entre les deux objets étudiés. En effet on suppose que l'objet issu de l'adaptation, que l'on appelle « hypertexte » (dans notre cas il s'agit du texte filmique) est redevable de quelque chose au texte original, que l'on a surnommé « hypotexte », c'est-à-dire le texte source. On n'arrive pas à considérer l'un sans l'autre ainsi que le synthétise André Gaudreault: « [l]e mot adaptation, on le sait, fait problème; notamment du fait qu'il garde toujours sous-jacente l'idée de comparaison et d'équivalence entre une œuvre souche, que l'on a appelée l'hypotexte, et une œuvre dite dérivée, que l'on a appelée, symétriquement, l'hypertexte17. » On supposerait donc que le film devrait être subordonné au livre car ce dernier est l'œuvre première, « souche », à partir de laquelle « dérive » une variante, encore une fois nécessairement inférieure.

Cette hiérarchie, induite par les termes mêmes utilisés, fait abstraction de l'idée d'écriture en fonction du média car elle se base sur la simple comparaison entre ce que le film a retenu du livre, et ce qu'il a donc laissé de côté, sans jamais s'interroger sur la logique propre au film à faire tel ou tel choix. Choisir et affirmer une écriture cinématographique, différente de l'écriture romanesque d'un livre, est ce qui fonde le

16 André Gardies, « Le narrateur sonne toujours deux fois », dans La transécriture, pour une théorie de l'adaptation, op. cit., p. 80.

17 André Gaudreault, «Variations...», op. cit., p. 267-268. Rappelons que les termes d'hypotexte et d'hypertexte sont issus de Palimpsestes, la littérature au second degré de Gérard Genette.

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jugement dépréciatif sous-entendu par le terme adaptation. C'est à cela que s'attaque la transécriture en mettant le média, et corrélativement la transmédiatisation qui résulte de la transécriture, au centre des considérations.

2. La transécriture

La transécriture déplace la question de l'adaptation pour mettre l'écriture et son rapport aux médias au cœur du sujet, suivant l'idée qu'un média détermine l'écriture d'une œuvre qui lui est destinée. Derrière le terme d'adaptation il y a l'idée d'un procédé qui viserait à se saisir d'une fabula, d'une histoire, « pour la faire entrer dans le corset d'un autre média que celui pour lequel cette fabula était déjà prévue18 ». Au contraire d'un procédé qui force le passage d'un média à un autre et qui n'implique pas de création ou une écriture suffisante pour, sinon oublier l'œuvre originale, du moins ne plus considérer que l'œuvre d'arrivée, la transécriture est « le processus même de l'écriture, que celle ci soit littéraire, cinématographique, bédéesque ou autre19. » Ce que l'on cherchera dès lors à analyser c'est l'écriture qui s'est emparée de la fable, l'a transcendée pour en faire quelque chose d'unique, tant au niveau du média en lui-même que par rapport aux autres œuvres produites dans ce média précis. Dans un certain sens, l'adaptation se préoccupe également de cet aspect mais le problème réside dans une idéologie associée au mot qui pose une subordination d'une œuvre à une autre, sans percevoir et insister sur le génie de l'une et de l'autre.

Une fois la spécificité de la transécriture mise en évidence, à la fois par une définition positive et par la négative - afin de mettre en relief les manques inhérents au concept d'adaptation - il importe d'établir une approche spécifique, c'est-à-dire une méthodologie qui permette d'utiliser la transécriture à son meilleur. C'est la volonté d'André Gardies dans l'article « Le narrateur sonne toujours deux fois20 » qui invite à partir du film et non du roman.

18 André Gaudreault, « Variations... », op. cit., p. 268. 19 Id.

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La question à poser n'est donc pas: comment le roman source 'génère'-t-il le film (ce qui validerait le fantasme de la paternité)? mais: vu depuis le film, comment apparaît le roman source? Quelle part a-t-il prise dans l'émergence du texte filmique?

Il accrédite l'idée du texte source comme un « réservoir d'instructions »21 dans lequel le réalisateur-adaptateur est libre de puiser ou non. Le sens final, et partant, la transécriture elle-même, se découvrira par l'analyse des instructions qui ont été retenues in fine. Il ne s'agit pas pour autant, précise-t-il, de faire revenir la question de la fidélité à cette étape, en considérant, par exemple, qu'une bonne transécriture est jugée par rapport au nombre et à la nature des instructions retenues.

André Gardies distingue trois niveaux d'instructions: le niveau diégétique, le traitement narratif et le niveau axiologique. Le niveau diégétique concerne le monde diégétique « que l'on pourrait du reste, ordonner en sous-rubriques. » Aux paramètres traditionnels du récit - « logique actionnelle, personnages, temps et espace » - , s'ajoutent ceux qui se rapportent aux postulats narratifs et à la question du genre « dans la mesure où celui-ci commande la présence de diverses composantes du monde diégétique (le policier, la justice, la loi, scènes nocturnes, meurtres, etc.) »22 Le traitement narratif analyse les choix du romancier qui sont « retenus, transformés ou ignorés23 », tels les principes d'organisation du récit, la succession événementielle « semblable ou non à celle du texte source » ou le rythme, « dilatation ou contraction de certains épisodes, travail sur la durée, sur les effets de chute ou d'ellipses, etc. » Une série de question a trait à renonciation: « quelle voix prend en charge le récit? [...] Comment le réglage du savoir spectatoriel est-il effectué? Les stratégies liées aux points de vue sont-elles retenues ou transformées? » Enfin, le style, avec le niveau de langue notamment, devra être pris en compte. Le troisième type d'instructions concerne le niveau axiologique: « les diverses valeurs, morales, sociales et idéologiques sont-elles prises en compte ou non par le texte-adaptation? »24

21 Ibid, p. 67.

22 Ibid., p. 69. Précisons que l'hypothèse de travail sur laquelle se base André Gardies concerne le roman de James M. Cain Le facteur sonne toujours deux fois et les transécritures filmiques de Pierre Chenal, Le dernier tournant (1939), de Luchino Visconti, Les amants diaboliques (1942), de Tony Garnett et de Bob Rafelson sous le titre original, respectivement en 1946 et 1981.

23 Id.

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Ce triple niveau d'instructions donne une base méthodologique et ne doit pas être pris pour ce qu'il n'est pas, à savoir un moyen de juger la qualité, c'est-à-dire de la supériorité présumée, d'un film par rapport à un autre. Ce n'est pas parce qu'un film intègre tous les niveaux dans un respect strict qu'il serait supérieur à un autre qui ne le ferait pas. Ceci est d'autant plus vrai que le véritable intérêt de la théorie développée par André Gardies vient de sa considération pour deux facteurs qui ne sont pas communément intégrés dans la question de l'adaptation. En effet, les contraintes et les instructions qui conditionnent le film final ne viennent pas exclusivement du texte source. Il s'agit d'abord de la question du genre dans lequel un film vient s'inscrire, genre posé indépendamment du type de roman qui est à l'origine du projet25. Il «fournit [...] un très grand nombre d'instructions, portant sur tous les niveaux de l'activité narrative26. » Gardies relève ainsi que si des scènes nocturnes sont déjà présentes dans le roman Le facteur sonne toujours de deux fois, celles-ci deviennent prédominantes dans le film de Tay Garnett. L'inscription d'un film dans un genre peut faire en sorte que ce dernier devienne son principal réservoir à instructions car le film doit, dans une certaine mesure, correspondre et exploiter les règles qui prédéterminent son existence et son fonctionnement même. Cette simple relation fait qu'un nouveau film doit souvent beaucoup plus à d'autres projets et à une tradition cinématographique qu'à un roman qui, pourtant, peut être à l'origine du film même. Les films sont toujours au cœur d'une intertextualité généralisée, au croisement des textes les plus divers et surtout au croisement d'autres films. Cette constatation invite d'elle-même à ne plus juger une prétendue qualité de l'adaptation mais bien à se demander si le film produit une révolution, quelle qu'elle puisse être, dans le domaine du septième art, révolution comparable ou non par exemple à celle qu'a pu représenter la parution du livre source dans le domaine littéraire, si tant est qu'il y en ait eu une. La transécriture s'occupe des relations entre les médias et de l'influence qu'ils peuvent avoir a priori sur un projet à venir. La question du genre devient dès lors un des meilleurs moyens de comprendre non

25 Rappelons que la critique cinématographique désigne les genres populaires, science-fiction, récit policier, récit d'aventures, etc. par les notions de cinéma de genre ou de «film genre». Voir par exemple Stuart Kaminsky, American film genres: approaches to a critical theory of popular film, Dayton, Pflaum, 1974 et Barry Grant, Film genre reader III, Austin, University of Texas Press, 2003.

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seulement l'intention de la transécriture mais bien aussi son fonctionnement et son apport théorique par rapport à l'adaptation telle qu'on a pu l'envisager d'une façon plus classique.

C'est dans cette même logique que le deuxième nouveau facteur envisagé par Gardies concerne le traitement spécifique des instructions lors du changement de médiums.

À l'évidence, les instructions délivrées par le texte source ne sont pas toutes de même nature. Les unes se prêtent aisément à la transécriture, probablement parce qu'elles échappent à l'écriture en se situant en amont ou en surplomb du récit; les autres, en s'inscrivant au cœur du langage, demandent à être retravaillées en fonction des contraintes propres au langage qui les prend en charge".

En prenant ainsi en compte la notion d'écriture et de langage, à la fois dans le domaine littéraire et dans le domaine cinématographique, nous sommes invités à considérer le processus de la transécriture comme « un travail d'écriture à partir d'une position autre28. » Adapter ne signifie en aucune façon se dispenser d'écriture car le nouveau média possède un langage qui lui est propre, requérant ainsi une écriture spécifique. La question est alors posée d'analyser la transformation des instructions initiales en fonction de la demande du média pour lequel une transécriture est effectuée. C'est cette analyse que nous nous proposons de faire spécifiquement avec la série qu'est James Bond. Non seulement la question du genre vient-elle s'inscrire de plain-pied dans notre exemple, mais bon nombre d'autres éléments peuvent nous faire croire que James Bond est sans doute l'illustration même de ce que la transécriture peut nous offrir. Le héros atteindrait et communiquerait sa véritable dimension à partir du moment où il trouve le média qui lui permet au mieux de se réaliser. Cette thèse prend ainsi en compte le fait qu'un personnage peut exister sur plusieurs supports et plusieurs médias mais elle pose qu'il existerait un média privilégié selon le type de héros. L'écriture cinématographique ne serait-elle pas celle qui conviendrait le mieux à l'espion 007?

27 Ibid, p. 75-76. 28 Ibid, p. 76.

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II.

Le spectacle James Bond

Il est difficile de poser que James Bond est une série uniforme qui pourrait s'analyser comme un tout. Bien au contraire, ainsi que nous le verrons en détail dans le chapitre second, à plonger dans le détail des films et à mettre chacun d'eux en relation avec la série qu'ils contribuent à former, on ne peut être que saisi par les divergences et les multiples chemins qui ont été entamés au cours des plus de quarante années d'existence de l'espion 007. Derrière les possibles que forment vingt-deux films officiels, et parmi eux les neufs films que l'on peut considérer comme des transécritures des œuvres romanesques de Ian Fleming29, il est nécessaire de dégager les lignes de force et de ne pas toujours s'arrêter sur les divergences qu'un film en particulier peut représenter par rapport à l'ensemble. Cette règle est particulièrement valable dans notre approche de la théorie de la transécriture et ne nous empêchera pas, en temps voulu, de nous pencher sur une des exceptions les plus notables de l'histoire de la série. Ainsi, nous aborderons les transécritures de Ian Fleming sur le grand écran en nous posant les questions telles qu'André Gardies a pu le faire pour Le facteur sonne toujours deux fois. Dans quelle mesure peut-on affirmer que la série 007 constitue un exemple de choix pour cette nouvelle théorie de l'adaptation?

Nous ne comptons pas entreprendre ici l'analyse des neufs films en question avec, en regard, les écrits romanesques dont ils sont issus. Nous avons choisi de circonscrire notre propos nécessairement général à quelques exemples que nous espérons probants. Le premier d'entre eux constitue la lecture d'une scène de Goldfinger. Par rapport à un schéma actantiel classique, il s'agit du moment où le héros se voit confier la quête qu'il va devoir accomplir. Dans le livre, Bond est invité par son chef M à rencontrer le colonel Smithers de la Banque d'Angleterre pour être mis au courant d'un problème d'escroquerie avec l'or national:

29 À savoir les neufs premiers films de la série, James Bond contre Dr. No, Bons baisers de Russie, Goldfinger, Opération tonnerre, On ne vit que deux fois, Au service secret de Sa Majesté, Les diamants sont éternels, Vivre et laisser mourir et L'homme au pistolet d'or. D'autres films reprennent les titres des autres œuvres de Ian Fleming mais prennent une liberté telle au niveau de l'intrigue qu'il est difficile pour notre travail de les considérer comme des transécritures.

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J'ai dîné hier avec le gouverneur de la Banque d'Angleterre, et on a vraiment raison de dire qu'on apprend tous les jours. En tout cas, j'ai appris pas mal de choses sur l'or et notamment sur le trafic et la fabrication d'or qui n'a pas la teneur voulue. J'ai été étonné d'apprendre que la Banque d'Angleterre en sait énormément sur ce genre d'escroquerie. Vous y connaissez quelque chose, vous?

-Non, monsieur.

-Eh bien, on va éclairer votre lanterne, dès cet après-midi. Vous avez rendez-vous à 4 heures à la banque, avec le colonel Smithers50.

La suite de la discussion concerne le personnage de Goldfinger, que l'on apprend être l'homme le plus riche d'Angleterre. James Bond révèle alors à M que, durant ses heures de bureau, il est allé établir son portrait-robot suite à l'aide qu'il avait fournie à Junius Du Pont afin de faire face à une tricherie mise en place par Goldfinger au jeu de la canasta. M clôt la conversation - et le chapitre - en insistant sur l'importance à venir de ce personnage:

Ce sera tout pour l'instant, 007. Vous en apprendrez plus cet après-midi. Un drôle de type, ce Goldfinger. Je l'ai rencontré une fois ou deux chez Blades, où il a l'habitude déjouer au bridge quand il est en Angleterre. Il figure en tête de la liste noire de la banque. Et à partir de cet instant, il devient également le numéro un, en ce qui vous concerne31.

C'est dans le chapitre suivant, « Talk Of Gold32 », que James Bond rencontre le colonel Smithers. Il importe de souligner que la discussion proprement dite est précédée de la description de l'arrivée de 007 dans la Banque d'Angleterre dans des détails qui visent à mettre en relief le luxe du bâtiment:

Bond walked up the steps and through the fine bronze portals and into the spacious, softly echoing entrance hall ofthe Bank of England and looked around him. Under his feet glittered the brilliant golden patterns of the Boris Anrep mosaics ; beyond, through twenty-feet-high arched window, green grass and geraniums blazed in the central courtyard. To right and left were spacious vistas of polished Hopton Wood stone. Over all the hung the neutral smell of air-conditioned air and the heavy, grave atmosphere of immense riches33.

Le texte est structuré par les coups d'œil que Bond jette autour de lui, « under », « beyond », « to right and left » et « over ». La décoration de l'entrée est détaillée suivant le goût qu'a Fleming d'être particulièrement précis : ainsi les mosaïques sont-elles de l'artiste

30 Ian Fleming, « Goldfinger », dans James Bond 007, t. 2, Paris, Laffont, coll. Bouquins, 1986, p. 38. 31 Ibid, p. 39.

32 Titre traduit par « De l'or en barre » dans notre édition de référence en français.

33 Puisque nous nous attachons à étudier l'écriture de Fleming, c'est sur le texte anglais que nous nous baserons, extrait de Ian Fleming, Goldfinger, London, Penguin Books, 2006, p. 71. Notre édition de référence en français traduit ainsi ce passage en page 39 : « Bond monta les quelques marches qui conduisent au vaste et luxueux hall de la Banque d'Angleterre. Comme il jetait un coup d'œil admiratif sur la décoration de la salle, un huissier s'approcha de lui. » Le détail des décorations n'est pas conservé.

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russe Boris Anrep et les pierres sont-elles des « Hopton Wood». La richesse et la majesté des lieux sont suggérées par les adjectifs «spacious», répété deux fois, «fine», « brilliant », « twenty-feet-high » et « immense ». Le trajet menant au bureau du colonel achève de nous convaincre de l'environnement feutré et respectable qui sied à une institution aussi vénérable que la Banque d'Angleterre - ce qui pousse à trouver d'autant plus inacceptable une escroquerie la concernant:

The commissionaires moved off to the right between the pillars. The bronze doors of a discreetly hidden lift stood open. [...] Now there was a long panelled corridor ending in a tall Adam window. The floor was close-carpeted in beige Wilton. The commissionaire knocked at the last of several finely carved oak doors that were just so much taller and more elegant than ordinary doors34.

Chacune de ces phrases contient un ou plusieurs éléments descriptifs à même de rendre aux lieux leur gigantisme - impossible d'aller au bureau en question sans être accompagner d'un guide35 - et, encore une fois, leur richesse, par l'indication du bois « poli » ou de la moquette suffisamment épaisse pour « étouffer » le bruit des pas. Ce n'est qu'au terme de cette procession que Bond rencontre Smithers. Il est dès lors inutile de décrire son bureau en particulier puisque, suite aux éléments introductifs, le lecteur parvient lui-même à imaginer le cadre. Fleming nous met de toute façon sur la piste grâce au détail de la boîte à cigare en «argent36», « a silver box of Senior Service31», véritable synecdoque pour l'ensemble de la pièce. James Bond, et le lecteur par la même occasion, peut ainsi découvrir les intrigues autour de l'or.

Bond retourne voir M le jour d'après pour lui faire son rapport sur la rencontre. Évoquant des lingots d'or de Goldfinger récupérés par les services britanniques lors de l'incendie des bureaux du représentant russe à Tanger, M met 007 sur la piste du SMERSH, les services soviétiques régulièrement croisés dans les romans et chargés de l'élimination des espions étrangers, dont Goldfinger semble être le trésorier pour les agents opérant hors

34 ld. Nous soulignons. La traduction de référence a choisi : « L'huissier précéda Bond, entre les énormes piliers à la droite du hall. [...] [I]ls débouchèrent dans un long couloir. Une moquette beige étouffait le bruit des pas. L'huissier frappa à la dernière d'une série de portes en bois poli. »

35 Ceci est également vrai lors du départ de Bond, qui se fait raccompagner par le colonel et peut ainsi observer les « triple steel gates » (ibid., p. 87), dernier détail à même de faire de la Banque un coffre fort au sens strict.

36 Ibid, p. 40.

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d'URSS. C'est avec ces enjeux posés que l'aventure à proprement parler commence, la première péripétie étant pour Bond celle qui consiste à défier Goldfinger au golf.

Dans ce roman le but de la quête est ainsi révélé à James Bond au terme de trois étapes successives, étapes qui mettent en relief l'exposé délivré par Smithers et le danger spécifique que représente Goldfinger en tant que membre de l'organisation russe vouée à la destruction des services alliés, et des services britanniques en premier lieu38. Au regard de la méthodologie suggérée par la transécriture, il faut donc poser que le roman invite à considérer la possibilité d'une structure tripartite, ce qu'un autre média sera libre de reprendre ou non. Dans notre cas de figure, les trois temps se retrouvent dans le film Goldfinger mais selon une répartition différente de celle que nous venons de mettre au jour. En effet, la quête est confiée à 007 suite à sa rencontre avec M dans le bureau de celui-ci, suite au dîner avec le colonel Smithers à la Banque d'Angleterre en compagnie de M, suite enfin à une visite à la section Q pour récupérer les gadgets à même de lui servir pendant la mission. Trois temps donc qui réécrivent au sens fort les trois temps tels que Ian Fleming les avait envisagés afin de correspondre à l'image que les créateurs veulent façonner de James Bond au grand écran, en se servant au mieux de la grammaire du langage cinématographique.

Là où dans le roman James Bond vient en aide à une de ses connaissances pour démasquer la tricherie de Goldfinger, dans le film, c'est M qui, par l'intermédiaire d'une note portée par l'agent de la CIA Félix Leiter, enjoint 007 de surveiller le personnage. C'est à cette occasion qu'il met fin à la duperie aux cartes, en plus de séduire la maîtresse de Goldfinger. James Bond retourne à Londres après avoir retrouvé cette dernière morte, recouverte de peinture d'or, telle une victime du roi Midas qui transformait tout ce qu'il touchait en or. Dans le bureau de M, il se fait réprimander pour n'avoir pas suivi les ordres et pour avoir laissé Goldfinger retourner en Angleterre. Face à la curiosité que Bond manifeste pour connaître la raison de cette surveillance nécessaire, il est invité à se présenter à la Banque d'Angleterre à l'occasion d'un dîner en smoking en compagnie de M et du colonel Smithers. Si dans le roman le premier temps de l'annonce de la quête avait lieu dans le bureau de M, on constate que, dans le film, il est précédé d'une période

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incertaine où Bond se familiarise, et le spectateur également, avec Goldfinger. Dans le roman il y a un hasard qui a déjà permis aux deux personnages de se confronter, et cela sans que Goldfinger ne fasse l'objet d'une enquête. Ce préalable n'est pas retenu dans la transécriture puisque James Bond sait, avant même de revenir à Londres, que Goldfinger va être l'objet de sa mission. Cela a très certainement été pensé afin de lancer de manière plus immédiate la nouvelle aventure.

La séquence du dîner des trois hommes est centrale dans le film car de nombreux éléments répartis dans les trois moments du roman y sont concentrés. Si dans le roman c'est M qui dîne en tête-à-tête avec le colonel, le film a fait le choix de fusionner les différentes rencontres en une seule. Non seulement l'ensemble des informations fournies sur la situation de l'or et des possibles escroqueries y sont évoquées mais la première rencontre entre Bond et Goldfinger est préparée, par le biais d'un lingot d'or nazi fourni par la Banque laissé aux bons soins de 007. Aucune évocation n'est lancée pour suggérer que Goldfinger serait un maillon de l'URSS comme le roman avait pu le faire.

Le troisième moment du lancement de la quête dans le film est un ajout total par rapport au roman puisqu'il s'agit de la séquence à la section Q où Bond récupère les gadgets utiles à sa mission. C'est à cette occasion que la fameuse voiture Aston Martin est introduite pour la première fois de la série. Ce n'est pas pour autant le premier film où Bond reçoit des gadgets. Nous avons, en effet, été introduits à Q, joué par Desmond Llewelyn, dans Bons baisers de Russie. Toutefois ce moment se situait dans le bureau de M et non dans le département de Q lui-même. Ce n'est qu'à l'issue de cette séquence que Bond va rencontrer Goldfinger pour leur partie de golf, d'où notre choix de considérer ce moment comme le troisième de la présentation de la quête. Soulignons qu'une telle séquence se retrouve dans presque l'ensemble des opus de la série39 et constitue dans une certaine mesure une signature visuelle des James Bond. La place des gadgets est en effet centrale dans les transécritures alors que, chez Ian Fleming, ils occupent un espace moindre, s'ils ne sont pas totalement absents. Plusieurs études40 soulignent le rapport quasi

39 Seul Vivre et laisser mourir ne met pas en scène le maître des gadgets Q. Ce dernier d'ailleurs est toujours joué par Desmond Llewelyn (excepté dans James Bond contre Dr. No où Peter Burton tient le rôle, alors

appelé major Boothroyd), qui est de fait l'acteur le plus récurrent de la série.

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consubstantiel entre Bond à l'écran et la technologie en général qui permet de le sauver des situations les plus dangereuses et les plus diverses. On peut ainsi lire dans James Bond : figure mythique : « C'est l'un des traits identitaires les plus importants de la formule et la raison pour laquelle les James Bond sont des thrillers high-tech. Les gadgets rendent spectaculaires les missions [...]41. » Il ne nous paraît pas hors de propos de considérer les gadgets comme une trace de la transécriture opérée par les films en ce qu'ils possèdent un caractère hautement cinématographique. Ils ont une fonction narrative puisqu'ils viennent en aide à Bond, ils lui permettent de changer le cours de la narration et in fine de vaincre le méchant mais, en plus, ils mettent en jeu des propriétés visuelles. Si l'on excepte les véhicules, la plupart des gadgets sont relativement petits et dissimulés dans des objets du quotidien, objets qui sont aménagés pour l'occasion et détounés de leur usage courant afin de pouvoir contenir ces gadgets. « Pour les Bond, il fallait toujours trouver des objets d'usage ordinaire pour en faire quelque chose de bondien42 » résume le réalisateur Guy Hamilton. Une mallette est protégée de l'ennemi par une boîte de talc qui est en fait un explosif dans Bons baisers de Russie tandis que Goldfinger familiarise le spectateur avec ce qui est devenu le système de localisation type GPS, grâce à la boîte de métal de la taille d'un paquet de cigarette qu'il faut dissimuler dans la voiture que l'on veut suivre afin d'avoir sa position exacte. Les montres43 et les stylos44 reviennent avec régularité dans les

Bowler Hats to Boat Jumps: The Real Technology Behind 007's Fabulous Films, Hoboken, Wiley, 2006. 41 Françoise Hache-Bissette, et al., James Bond : figure mythique, op. cit., p. 85.

42 Guy Hamilton, cité dans Laurent Bouzereau, James Bond l'art d'une légende: du story-board au grand écran, Paris, Flammarion, 2006, p. 110.

43 La montre de Red Grant dans Bons baisers de Russie dissimule une corde de piano pour étrangler des ennemis alors que celle de Bond dans Opération tonnerre contient un compteur Geiger. Dans Vivre et laisser mourir, 007 porte une montre qui contient un champ magnétique capable de dévier une balle à longue portée, son cadran cachant une scie circulaire. Dans L'espion qui m'aimait, sa montre contient un message à bande déroulante tandis que Moonraker en présente une dont le boîtier incorpore une petite quantité d'explosifs et un fil détonateur (un gadget similaire, mais sans fil, apparaît dans Demain ne meurt jamais). Dans Rien que pour vos yeux la montre possède une radio et un transmetteur. Deux montres

apparaissent dans Octopussy, l'une avec un pisteur radio directionnel, l'autre avec un écran de télévision à cristaux liquides. La montre de Pushkin dans Tuer n 'est pas jouer contient un bouton déclenchant une alarme silencieuse. Goldeneye et Meurs un autre jour mettent en scène Bond avec une montre intégrant un laser tandis que dans Le monde ne suffit pas elle cache un grappin relié à une corde.

44 Un stylo plume constitue le canon du pistolet d'or dans L'homme au pistolet d'or alors que dans Octopussy le stylo de Bond contient un récepteur permettant de suivre l'émetteur intégré à l'œuf de Fabergé, un écouteur qui fonctionne avec le micro également placé dans l'œuf et une dose d'acide capable de dissoudre le métal. Dans Goldeneye le stylo confié à Bond est en fait une bombe amorcée par les pressions successives sur le bouton.

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films en ayant chaque fois des fonctions cachées. Tous ces exemples divers mettent en jeu systématiquement le contraste entre la puissance d'un gadget et sa taille relative45.

Le dîner à la Banque d'Angleterre tel qu'il apparaît dans le film est composé de 30 plans pour une durée de deux minutes et 32 secondes. La séquence s'ouvre par un plan de situation (establishing shot) de 24 secondes composé d'un travelling arrière nous faisant passer d'un plan moyen de M, du colonel Smithers et de Bond assis au bout d'une table à un plan d'ensemble de la salle à manger où se tient ce dîner. Le reste de la séquence est monté en champs-contrechamps, alternant plans américains et plans rapprochés. Si l'on s'attarde sur le travelling inaugural, on pourra constater que ce seul plan permet de donner à un spectateur les mêmes informations sur l'ambiance de luxe que recèle cette péripétie de l'aventure qu'un lecteur du roman a pu obtenir par le biais des évocations que nous avons relevées précédemment. Tous les protagonistes de la scène sont en smoking et prennent place dans une pièce impressionnante, ce qui est appuyé par le mouvement du travelling arrière puisque le spectateur en découvre toujours plus au fur et à mesure que le plan se poursuit. La décoration est faite d'une table majestueuse en bois, d'un lustre, de tableaux et de chandeliers qui sont disposés à la fois sur la table des convives et sur le buffet qui apparaît en amorce à la fin du plan. Ils contribuent à donner une idée des dimensions du lieu. De même, le serviable majordome Brunskill, la distribution des cigares et l'aparté à propos du brandy font correspondre ce dîner aux stéréotypes populaires des dîners de gentlemen britanniques dans leurs clubs privés. Il y a là non seulement la reconstitution de l'ambiance telle qu'on l'avait relevée dans le roman mais c'est le mouvement même des descriptions de Fleming qui est rendu par le mouvement du travelling inaugural.

Grâce au mouvement de la caméra, cette séquence parvient à rendre, notamment, le procédé littéraire de la synecdoque, figure littéraire s'il en est. Le procédé de la transécriture tel que nous l'avons défini, à savoir penser les équivalences de deux œuvres au niveau des médias, apparaît dans cette séquence dans sa pureté car le travelling est la transécriture des descriptions de Fleming. Le cinéma s'est approprié le sens de l'épisode

45 II n'y a bien que dans Au service secret de Sa Majesté où un dispositif pour forcer un coffre-fort a la taille d'une photocopieuse devant être amenée sur le terrain par l'intermédiaire, dans notre cas, d'une grue de chantier.

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romanesque pour le rendre avec les outils propres au septième art. La composition du plan et le mouvement de la caméra réécrivent visuellement ce qu'avait voulu signifier Fleming en soulignant ce qui se dégage de l'atmosphère de la Banque. Le critère du niveau diégétique d'André Gardies est peu modifié en dehors de la scène du dîner de M et du colonel, scène fondue avec la discussion du colonel avec James Bond. Les niveaux narratifs et axiologiques sont, eux, parfaitement rendus par la séquence, comme tend à le prouver le cas précis du travelling. En intégrant la dimension visuelle constitutive du cinéma, ce plan, exemplaire de la série toute entière, prouve l'appropriation par l'équipe des créateurs de James Bond des outils et des moyens du cinéma. Avant de nous attarder plus précisément sur la construction visuelle de l'univers de luxe dans lequel évolue constamment le Bond du grand écran - autre preuve de la transécriture à l'œuvre dans la série - il nous semble important de souligner la place des génériques de début des films dans notre approche de la dimension visuelle de la série James Bond.

Un film de la série des James Bond s'identifie comme tel par l'« emblème46 » de la séquence dite du « gun barrel », où l'on voit à travers le tube à canon d'un pistolet - que l'on peut prendre pour le diaphragme d'un appareil photo - James Bond marcher au rythme des notes de la musique du James Bond theme de Monty Norman, se retourner et tirer en direction de la caméra avant que l'écran ne soit recouvert de haut en bas d'un voile rouge. Conçue par Maurice Binder, cette image parvient à capturer les motifs centraux (voir/être vu, tué/être tué) d'un film d'espionnage « tout en convoquant l'image du coup de feu tiré en direction des spectateurs à la fin du film de 1903 L'attaque du Grand Rapide de Edwin S. Porter, tandis que le voile'rouge représente le sang de l'assassin47 » selon James Chapman. Cette ouverture, à la palette de couleurs réduite mais très contrastée, se retrouve dans chacun des opus et introduit la séquence du prégénérique qui, elle-même, est un condensé d'action. Il s'agit, en effet, généralement du climax d'une mission précédente, qui constitue donc une séquence colorée, au sens où la palette des couleurs se diversifie et où les teintes chaudes apparaissent, ne serait-ce que par les explosions que l'on peut y trouver. Pour

46 Alexandre Tylski, « La saga James Bond au cinéma: des génériques audiovisuels populaires », dans James Bond (2)007. Anatomie d'un mythe populaire, Françoise Hache-Bissette, Fabien Boully et Vincent Chenille (dir), Paris, Belin, coll. « Histoire et société », 2007, p. 203.

47 James Chapman, Licence to thrill. A Cultural History of the James Bond Films, New-York, Columbia University Press, 2000, p. 61.

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Alexandre Tylski, le générique officiel du début devient dès lors paradoxalement le « générique de fin » de cette séquence, « spectaculaire comme une fin de film ». Cette confusion entre les frontières du début et de la fin pourrait signifier « que ce qui suit relève d'un grand bonus luxueux, ou d'un cadeau offert aux spectateurs »48, mais dans tous les cas cela souligne le système dans lequel prennent place les films, système qui ne peut jamais avoir de véritable fin, système qui invite toujours le spectateur à découvrir une nouvelle aventure qui reprendra les mêmes recettes pour ne le surprendre que dans des limites précises. Le gun barrel est précisément là pour à la fois annoncer un nouveau film et signifier une rassurante continuité entre chacun des opus.

La séquence du générique de début proprement dite est dans une position similaire. Elle se doit d'assurer une continuité en mettant toujours en scène les mêmes thèmes et les mêmes silhouettes, de femmes qui dansent, de Bond lui-même et d'armes49. Pour Françoise Hache-Bissette, Fabien Bouly et Vincent Chenille, « les génériques reposent sur une bible de figures, qui se doivent d'être reprises. Cette récurrence tisse un réseau d'interdépendance entre tous les films et offre une remarquable constance esthétique50. » Cette esthétique, graphique, unique et de fait largement assimilée à James Bond, concentre encore une fois les valeurs véhiculées par la série, le sexe et la mort, et peuvent ainsi atteindre sans problème un degré d'érotisme qui ne fait que refléter ce que le reste du film va mettre en image. En témoigne une description que l'on peut en faire:

Sur un fond noir, diverses parties du corps d'une femme, aux poses alanguies ou offertes au regard, entièrement recouvertes de peinture dorée (en particulier sa main tendue, motif qui ouvre et ferme le générique), se détachent en relief. Cette anatomie en or sert d'écran de projection à des plans du film [...J51.

On aura reconnu le générique de Goldfinger, unique film à mettre en avant le thème de l'or. Les silhouettes des femmes et les autres éléments introduits ponctuellement font des images des génériques de relatives abstractions, ce qui invite d'une certaine manière à considérer

48 Alexandra Tylski, op. cit., p. 205.

49 Une exception notable à ce principe se trouve dans Casino Royale où le générique opère une rupture en se concentrant sur Bond et sur les cartes. Cela reste cohérent avec le propos du film, qui raconte les débuts de l'agent Bond et cherche à mettre en valeur Daniel Craig dans le rôle titre.

50 Françoise Hache-Bissette, et al, James Bond: figure mythique, op. cit., p. 11. 51 Id.

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