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Repenser les fondements missiologiques du mouvement protestant évangélique francophone du Québec pour le contexte québécois du XXIe siècle

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Academic year: 2021

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Repenser les fondements missiologiques du

mouvement protestant évangélique francophone du

Québec pour le contexte québécois du XXI

e

siècle

Thèse

Gilles Marcouiller

Doctorat en théologie

Philosophiae doctor (Ph. D.)

Québec, Canada

© Gilles Marcouiller, 2017

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iii Résumé

L'activité missionnaire du mouvement protestant évangélique francophone au Québec relève d'une définition de la mission qui est orientée principalement vers l'évangélisation et la plantation d'Églises locales. Ses appuis missiologiques se fondent sur la théologie de la croissance de l'Église. En dépit de son engagement missionnaire indéfectible, nous pensons que le mouvement devrait accorder plus d'attention à l'analyse de ses fondements missiologiques.

En tenant compte des avancées du siècle dernier, nous proposons au mouvement de renouveler ses fondements à partir de la théologie de la mission qui semble aujourd'hui faire consensus : la missio

Dei. Pour justifier sa pertinence, nous ferons une analyse de l'architecture biblique des deux

théologies c'est à dire la théologie de la croissance de l'Église et celle de la missio Dei. D'abord concerné par le royaume de Dieu, ce « nouveau » paradigme de la mission ouvre la voix à la mise en œuvre d'une plus grande diversité d'activités missionnaires qui reflète toute l'amplitude et la portée de l'Évangile du royaume. Devant les défis que représente le Québec contemporain pour la foi chrétienne, nous pensons qu'un tel virage pourrait soutenir plus adéquatement l'activité missionnaire du mouvement et, par le fait même, manifester la pertinence et la raison d'être de la foi chrétienne.

À la lumière des orientations théologiques que nous offre la missio Dei, nous proposons de construire un projet de contextualisation s'appuyant sur les modèles synthétique et anthropologique de Stephen Bevans. L'application de ce modèle nous conduira à la reconnaissance de sources identitaires culturelles dans lesquelles le mouvement a pris son envol dans les années 1970. Non seulement ne sont-elles pas étrangères à son émergence, mais elles pourraient bien constituer une base importante pour la définition d'un actuel projet missionnaire.

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iv Abstract

The missionary activity of the French Protestant Evangelical Movement in Québec derives from a definition of mission that is primarily oriented towards evangelism and the planting of local churches. This definition is founded on the theology of Church growth. In spite of its unshakeable missionary commitment, we believe that the movement needs to pay more attention to an analysis of its missiological foundation.

On the basis of the development in missiological thinking over the last century, we propose that the movement should renew its foundation drawing from the theology of mission that seems today to form a consensus: the theology of missio Dei. With the goal of demonstrating the pertinence of the theology of missio Dei, we begin with an analysis of the biblical structure of the two theologies, the theology of Church growth and that of missio Dei. Concerned first of all with the Kingdom of God, the “new” paradigm of mission that is missio Dei opens the way for the initiation of a much larger diversity of missionary activities that reflect the breadth of the Gospel of the Kingdom. Faced with the challenges that contemporary Québec presents for the Christian faith, we believe that this new orientation could more adequately support the missionary activity of the French Protestant Evangelical Movement in Québec, and as such, more adequately demonstrate the pertinence and the basis for the Christian faith to the Québecois.

In the light the theological orientations provided by the missio Dei, we propose the development of a project of contextual theology based on the synthetic and anthropological models from Stephen Bevans. The application of these models leads us to the recognition of the sources of cultural identity out of which the French Protestant Evangelical Movement was born in the 1970s. These sources of origin then provide an important component for our definition of a contemporary missionary project.

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v Table des matières

Résumé ... iii

Abstract ... iv

Table des matières... v

Liste des tableaux ... x

Liste des abréviations utilisées ... xi

Dédicace... ... xii Remerciements ... xiii Introduction ... 1 1. Problématique... 2 2. Objet de la thèse ... 4 3. Question de la recherche... 5 4. Hypothèse ... 5 5. Méthodologie de recherche ... 6 6. Objectifs de la thèse... 7 7. Structure de la thèse ... 8 8. Plan de la thèse ... 8

Chapitre un : Analyse et critique de la théologie de la croissance de l'Église ... 11

1. Revue de littérature ... 14

2. Le contexte de Donald McGavran ... 15

3. Définitions ... 19

3.1 Croissance de l'Église ... 19

3.2 Mission ... 23

3.3 Évangélisation ... 24

4. Développement de la TCE ... 26

4.1 1950-1970 la période de l'énoncé des principes de la TCE ... 27

4.1.1 Principes théologiques ... 29

4.2 1970-1990 la période de consolidation et d'expansion de la TCE ... 36

4.3 1990 à aujourd'hui la période du redressement ... 39

5. Critique de la croissance de l'Église ... 43

5.1 Critiques de l'exégèse de Matthieu 28, 19 et de l'herméneutique de la TCE ... 44

5.2 Le problème de l'herméneutique des Actes ... 48

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vi

6. La critique des principes clés et de l'esprit pragmatique de la TCE ... 66

6.1 Le principe de homogeneous unity ... 66

6.2 Les sciences sociales et la TCE ... 69

6.3 Le pragmatisme ... 73

Conclusion ... 77

Chapitre deux : La missio Dei ... 81

1. Repères historiques de la missio Dei ... 82

2. Définition ... 85 2.1 Mission ... 87 2.2 « L'oeuvre » de Dieu ... 93 3. Genèse 12, 1-3 ... 94 3.1 Bénédictions ... 96 3.2 Les nations ... 100 4. Œuvre trinitaire... 105 4.1 Jean 20, 21 ... 107 4.2 Le terme « envoyé » ... 108

4.3 Rapport entre le faire de Dieu et l'être de Dieu ... 110

5. Missio Dei et le Royaume de Dieu ... 115

6. Le peuple de Dieu participant ... 119

Conclusion ... 121

Chapitre trois : La contextualisation ... 123

1. Revue de littérature ... 126

2. L'émergence du concept de la contextualisation ... 127

3. Définition ... 130

3.1 Contextualisation et missio Dei ... 130

(7)

vii

3.3 Présupposés fondamentaux de la contextualisation... 138

3.4 Indigénisation et contextualisation ... 141

3.5 Problèmes de la contextualisation ... 144

3.6 Culture et contextualisation ... 145

4. Le mouvement évangélique et la contextualisation ... 152

4.1 Le biblicisme évangélique ... 156

4.2. Problème du péché... 158

4.3 Le danger du syncrétisme ... 159

4.4 Le Core Gospel ... 161

5. La question herméneutique et la contextualisation ... 163

6. La question épistémologique dans la contextualisation ... 166

7. Modèles de contextualisation de Bevans ... 170

7.1 Le modèle de traduction (Translation Model) ... 172

7.2 Le modèle de praxis (praxis model) ... 173

7.3 Le modèle transcendantal (Transcendental model) ... 175

7.4 Le modèle contre culture (counterculral model) ... 176

7.5 Le modèle synthétique (synthetic model) ... 177

7.6 Le modèle anthropologique (anthropological model) ... 178

Conclusion ... 181

Chapitre quatre : Le Québec francophone du XXIe siècle : lieu de la contextualisation ... 184

1. Le Québec contemporain ... 188

1.1 La modernité ... 188

1.2 La sécularité ... 194

1.3 La postchrétienté... 200

1.4 Quelles orientations pour la foi chrétienne? ... 209

2. Le Québec identitaire ... 212

2.1 Qu'est-ce que l'identité? ... 213

2.2 Identité sociale ... 217

2.3 Groupe ethnique ... 218

2.4 Identité sociale franco-québécoise ... 219

2.5 Identité collective et catholicisme québécois ... 226

2.6 Le catholicisme culturel... 230

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viii

3. L'identité du MPEFQ ... 237

3.1 Identité protestante évangélique et protestantisme francophone historique ... 238

3.2 Identité protestante évangélique et rapport Dumont ... 239

Conclusion ... 245

Chapitre cinq : La contextualisation de l'Évangile ... 248

1. L'Évangile du Royaume ... 250

1.1 L'Évangile du Royaume chez Jean-Baptiste ... 251

1.2 L'Évangile du royaume et Jésus ... 252

1.3 La prédication des apôtres et le Royaume ... 256

1.4 La première Église et le Royaume ... 257

1.5 L'Évangile du royaume et la missiologie ... 259

2. Une vie de célébration : un thème de la rédemption de l'Évangile du royaume ... 262

2.1 La célébration et la première Église ... 264

2.2 Obstacles à la vie de célébration... 265

3. Une vie de sagesse : thème de la création ... 269

3.1 Pourquoi parler de sagesse? ... 269

3.2 Sagesse et théologie ... 272

3.3 Sagesse et Nouveau Testament ... 277

3.4 Définition de la sagesse ... 281

3.5 La missiologie, un art de la sagesse? ... 285

4. La vie publique : thème de la préservation de l'Évangile du royaume ... 285

4.1 Théologie de la vie publique ... 286

4.1.1 La vie publique ... 289 4.1.2 La citoyenneté... 291 4.1.3 L'engagement ... 293 4.1.4 La politique ... 297 4.1.5 Monde ... 299 4.2 La théologie publique ... 301 Conclusion ... 307

Chapitre six : La contextualisation de l'Église ... 310

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ix

2. L'Église missionnelle : une communauté ... 318

2.1 Le mot communion ... 320

3. l'Église missionnelle : une communauté apostolique ... 328

4. Communauté apostolique mixte ... 337

4.1 L'Église participante à la mission de Dieu et les implications pour les dénominations 338 4.2 Participation à la mission de Dieu entre évangéliques et catholiques ... 340

5. Projets missionnels ... 347

5.1 Une musique pour l'âme ... 347

5.2 Un projet d'initiation à la spiritualité chrétienne ... 353

Conclusion ... 360

Conclusion générale ... 363

Retour sur l'ensemble ... 363

Des discussions à venir ... 367

Les défis ... 368

Notes sur le parcours... 370

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x Liste des tableaux

Tableau 1 : Nombres des Églises protestantes francophones au Québec ... 80

Tableau 2 : La carte des modèles de théologie contextuelle ... 173

Tableau 3 : Référents historiques... 221

Tableau 4 : Référents culturels ... 222

Tableau 5 : Référents psychosociaux... 222

Tableau 6 : Référents écologiques ... 222

Tableau 7 : Référents matériels ... 223

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xi Liste des abréviations utilisées

ACFAS : Association francophone pour le savoir AFER : African Ecclesial Review

AT : Ancien Testament CE : Croissance de l'Église

CGST : China Graduate School of Theology COE : Conseil œcuménique des Églises FT : Faith Today

HU : Homogeneous Unity

HTS : Hervormde Teologiese Studies IMC : International Missionary Council

MPEFQ : Mouvement protestant évangélique francophone du Québec MCE : Mouvement de croissance de l'Église

NT : Nouveau Testament

TCE : Théologie de la croissance de l'Église TEF : The Theological Education Fund

UNESCO : United Nations Educational, Scientific and Cultural Organization WCC : World Council of Churches

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xii Dédicace

If theology develops the finest theory possible without attending to the question of who is going to practice this theory, it remains suspended in the realm of possibilities.Thus, as theory of the Christian mission, theology must be passionately devoted to the life of the congregation.Whatever else its task might be, theology has constantly to serve the creation of the congregation as a viable historical Reality. Otherwise the work of theology has the tinge of vanity.

Jürgen Moltman The Passion for Life p. 14.

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xiii Remerciements

La production d'une thèse ne relève pas seulement des moyens dont dispose son auteur. À un certain âge surtout, elle est tributaire de la collaboration de plusieurs autres personnes et instances. Par la présente, j'aimerais remercier tous ceux et celles qui ont eu un apport important dans cette aventure qui tire à sa fin. Tout particulièrement je voudrais souligner la contribution de M. Gilles Routhier et de M. Glenn Smith qui ont agit respectivement à titre de directeur et de codirecteur de la thèse. Les échanges ainsi que les suggestions ont enrichi la réflexion et l'écriture de ce manuscrit. Tout ce parcours n'aurait pas été rendu possible sans le soutien et l'appui de ma communauté de foi (Communauté chrétienne des Deux-Rives) et de celle de mes fidèles partenaires (Lake Valley Community Church et Zionsville Fellowship). Je ne voudrais pas passer sous silence l'assistance de Madame Cécile Beaulieu qui, généreusement et diligemment, a accepté au fil de la rédaction de bien vouloir réviser les chapitres. En dernier lieu, je veux offrir une mention d'honneur à ma chère épouse qui a dû supporter avec patience mes longues heures d'absences de la vie familiale. Son engouement pour ce projet a souvent suppléé aux doutes et aux incertitudes que je pouvais entretenir face au projet. À toi ma belle, merci!

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1 Introduction

Le mouvement protestant évangélique québécois francophone du Québec (MPEFQ) fait partie d'un grand mouvement qui a vu le jour à la fin du XVIIIe siècle. Le terme « mouvement » est utilisé par les théologiens et les historiens de l'Église puisque l'expression « évangélique » ne fait pas référence à une dénomination propre; il est transdénominationnel. À cause de la diversité ecclésiologique et dénominationelle qui le constitue, le mouvement évangélique est un mouvement œcuménique1. Selon Bebbington, l'évangélisme se définit à partir de quatre piliers : le

« conversionisme », l'activisme, le biblicisme, et le crucicentrisme2. Sans entrer dans les définitions de chacun, nous dirions que l'importance de ces piliers démontre le souci que prêtent les évangéliques à la définition de l'Évangile et à sa prédication. La mission, telle que largement comprise aux XVIIIe et XIXe – la prédication de l'Évangile aux païens –, se trouve au cœur même

du mouvement évangélique. L'évangélisme peut être défini comme suit : « a movement that is based in classical Christian orthodoxy, shaped by a Reformational understanding of the Gospel, and distinguished from other movements in the history of the church by a set of beliefs and behaviors forged in the fires of eighteen-century revivals–the so called 'Great Awakening'–beliefs and behaviors that had mainly to do with the spread of the Gospel abroad3. »

En grande partie tributaire de l'effort missionnaire du Canada anglais, des États-Unis et de l'Europe, le MPEFQ a pris son essor dans les années 1970 à 1985, au moment même où la société québécoise était en pleine effervescence sur le plan sociétal (la Révolution tranquille), religieux (Vatican II), international (l'Expo 67 et les jeux olympiques de Montréal 1976), et politique (l'accession au pouvoir en 1976 du Parti Québécois). Alors que le mouvement ne comptait qu'une cinquantaine d'Églises vers la fin des années 1950, quatre-vingt quatre en 1960, cent deux en 1970,

1Voir Alister E. McGrath, « Evangelicalism », The Blackwell Encyclopedia of Modern Christian Thought, Oxford England; Cambridge, Mass., Blackwell, 1993, p. 183-192. En plus de ces quatre piliers, le mouvement évangélique se définit selon McGrath par quatre axes théologiques : 1. L'accent sur l'expérience personnelle et la vie intérieure de la foi. 2. La nécessité de la transformation de l'être humain qui ne peut s'opérer par l'instruction, mais seulement par l'œuvre du Saint-Esprit. 3. La grâce est un don immérité que l'on reçoit seulement par la foi. 4. L'accent sur la poursuite de la sainteté.

2 David Bebbington, Evangelicalism in Modern Britain: a History from the 1730s to the 1980s, London; Boston, Unwin Hyman, 1989, p. 2-17.

3 Douglas A. Sweeney, « Introduction », dans Martin I. Klauber et Scott M. Manetsch, The Great Commission:

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le MPEFQ en dénombrait trois cents cinquante en 19864. Ce fut sans conteste le plus grand mouvement protestant francophone de l'histoire du Québec. Phénomène paradoxal dirions-nous, puisqu'à la même époque nous assistions à la désaffectation massive des fidèles à l'endroit de l'Église catholique. Héritier d'une très grande tradition missionnaire qui accordait une grande importance à la prédication de l'Évangile, à la recherche du salut des âmes et à la plantation d'Églises, le MPEFQ poursuit le travail missionnaire avec la même vigueur et détermination et cela en dépit de résultats quantitatifs bien moindres que ceux des années 1970 à 1985.

1. Problématique

Dans cette tradition, l'activité missionnaire n'est pas un principe intégrateur pour la vie de l'Église. Elle n'a pas de lien avec l'ensemble des autres activités. Au même titre que les cultes, l'école du dimanche, les réunions de prières, les groupes de jeunes, elle est considérée par les Églises locales comme un autre programme de l'Église. La place que l'on accorde aux activités missionnaires est déterminée par des dirigeants qui, trop souvent, accordent beaucoup plus d'importance à la vie pastorale de l'Église qu'à la mission. Généralement, la mission, comme ce fut le cas tout au long des derniers siècles, consiste à envoyer ou à soutenir des missionnaires à l'étranger. Chaque dénomination est organisée de manière à recruter, préparer et envoyer des missionnaires. Certes, « la mission » est présente dans toutes les Églises locales, mais elle demeure une préoccupation de deuxième ordre.

Contrairement à l'intérêt que prêtent les pasteurs au renouveau des modèles d'Églises et plus particulièrement à la forme du culte, le mouvement s'est très peu occupé de faire l'examen des axes et des présupposés théologiques qui sous-tendent sa pratique missionnaire. Guidées par le pragmatisme, les Églises se contentent la plupart du temps de chercher de nouvelles méthodes d'évangélisation afin de pouvoir adapter le message. Le mouvement continue, à grands coups d'efforts humains et financiers, à faire avancer l'Évangile avec l'assurance que les fondements théologiques de la mission n'ont pas besoin d'être remis en question.

4 Voir Richard Lougheed, Glenn Smith et Wesley Peach, Histoire du Protestantisme au Québec depuis 1960 : une

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3

Il est vrai qu'au moment où le MPEFQ connaissait une croissance phénoménale dans les années 1970 et 1980, il n'y avait guère lieu de remettre en question la compréhension évangélique classique des fondements de la mission. Toutefois, parce que la croissance du nombre d'Églises à partir des années 1990 a considérablement ralenti, nous avons été poussés par les circonstances à réfléchir sur le sens de la mission et de la présence du MPEFQ au sein de la société québécoise. La reprise continue de lectures de textes bibliques et théologiques nous a amenés à remettre en question certains fondements d'une théologie de la mission que nous avions : l'évangélisation est-elle l'équivalent de la mission? Le salut des âmes est-il la seule raison de l'existence de la mission? La plantation d'Églises locales est-elle le but ultime de la mission? Dans quelle mesure le texte Matthieu 28,18-20 représente-t-il le texte central de la mission? Et dans quelle mesure la mission est-elle le mandat de l'Église?

À l'image du caractère hétérogène du mouvement évangélique, il est difficile de bien circonscrire ce sur quoi se fondent les Églises pour construire leur idée de la mission. La littérature sur le sujet abonde et les maisons de publications font de tous les thèmes qui s'y rapportent, directement ou indirectement, une partie de leur pain et de leur beurre. En dépit du fait que le mouvement évangélique mondial ait une voix importante sur la question de la mission – la Conférence de Lausanne – les Églises évangéliques au Québec semblent ne pas avoir pris connaissance de l'évolution des discussions missiologiques et par le fait même, ne pas avoir mis en œuvre les orientations dégagées dans la Conférence. Pour avoir posé la question à certains leaders évangéliques qui ont participé à cette Conférence, à savoir si les Églises de manière générale suivaient les délibérations de Lausanne, nous avons été surpris d'apprendre que la plupart d'entre elles ne le faisaient pas.

Bien qu'il soit difficile d'identifier les sources sur lesquelles le MPEFQ s'appuie pour fonder sa compréhension de la mission, nous pensons qu'elle découle des propositions de la théologie de la croissance de l'Église (Church Growth). Bien qu'elle ne soit pas systématiquement enseignée au Québec et que l'application intégrale des nombreux principes de la théologie de la croissance de l'Église (TCE) ne soit supervisée par aucune institution d'enseignement et de recherche, le MPEFQ

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4

trouve, dans les diverses publications qui font la promotion des orientations théologiques de la TCE, des idées qui soutiennent sa pratique.

2. Objet de la thèse

Devant les défis auxquels le mouvement fait face, non seulement par rapport à son développement, mais aussi par rapport à son questionnement concernant son avenir au Québec, nous pensons que la réflexion missiologique doit occuper une place plus grande au sein du MPEFQ. C'est ce qui nous a encouragés à produire cette thèse. C'est sur ce front que nous voulons établir l'objet de notre recherche : la missiologie protestante évangélique. Nous pensons qu'à ce stade-ci de sa jeune histoire, le MPEFQ doit accorder plus d'attention à la réflexion missiologique. À notre avis, il existe un décalage important entre les pratiques missionnaires et la réflexion missiologique. Bien que certains cours sur l'évangélisation, la plantation d'Église ou l'apologétique aient été dispensés par les institutions théologiques du MPEFQ, jusqu'à maintenant il y a eu très peu de formation en missiologie.

La présente thèse se situe dans le champ de la missiologie évangélique. Dans cette discipline, le missiologue cherche, par une approche multidisciplinaire – exégèse, histoire de l'Église, études culturelles – à investiguer, à comprendre et à mettre en lumière les divers éléments de la théologie de la mission ainsi que les rapports qui s'opèrent dans la dynamique missionnaire entre Dieu, la culture et l'Église. Le missiologue consacre d'abord ses efforts à la dimension réflexive et critique des théories missionnaires et de ses pratiques. Son travail consiste à analyser ces rapports et à élaborer des cadres théoriques qui permettront à l'Église de mieux réfléchir sur le fondement de ses actions. En second lieu, le travail du missiologue ne s'arrête pas seulement à la dimension réflexive, le pourquoi, mais aussi à l'aspect pratique, le comment. L'Évangile certes ne se réinvente pas, mais les sociétés changent, évoluent et se transforment. Par surcroit, l'Église aussi. S'impose alors un devoir continu de contextualisation. Le missiologue accompagne l'Église dans son désir de vivre et de communiquer l'Évangile, et cela d'autant plus lorsque de nouvelles conditions de culture émergent comme c'est le cas aujourd'hui. À la fois académique et pratique, la missiologie ne délaisse jamais le terrain qui l'a fait naître.

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Nos trente années passées au sein du MPEFQ, et dans lesquelles nous avons participé à maintes activités de nature missionnaire ici au Québec ainsi qu'à l'étranger, ont été au cœur de la mise en chantier de toutes ces questions et de bien d'autres. Aussi, c'est à partir d'une pratique engagée que nous nous sommes interrogés sur les fondements de la mission.

3. Question de la recherche

En remettant en question l'évangélisation, le salut des âmes et la plantation d'Églises comme fondements de la mission, nous avons été amenés à formuler ainsi la question de base de recherche pour cette thèse : sur quels fondements théologiques pourrait se construire un projet missionnaire protestant évangélique francophone québécois?

4. Hypothèse

Bien que la missiologie soit une discipline relativement récente, elle a produit des œuvres importantes dont encore aujourd'hui on ne saurait se passer. C'est à la lecture du livre de David Bosch « Dynamique de la mission chrétienne » que nous avons constaté que nos remises en question avaient déjà fait l'objet de nombreuses réflexions. Bien que brève, c'est dans sa présentation de « la mission comme missio Dei » que nous avons pu constater que les fondements théologiques de la missio Dei pouvaient correspondre à une théologie biblique de la mission. Sans exclure l'évangélisation, la poursuite du salut des âmes et la plantation d'Églises, nous avons découvert que ces activités pouvaient s'inscrire dans un cadre théologique plus grand, celui de la mission de Dieu.

Nous proposons ce qui suit comme hypothèse de recherche de cette thèse : la mise en contexte du paradigme missio Dei aiderait le MPEFQ à renouveler sa réflexion missiologique et du même coup, ses pratiques missionnaires. Au sens de ce que la missio Dei a à proposer comme avenues théologiques, le MPEFQ serait beaucoup plus en mesure de stimuler l'interaction nécessaire entre Dieu, l'Église et la culture au sein de la société québécoise du XXIe siècle. En somme, le dynamisme qu'inspire la missio Dei permettrait au MPEFQ de participer de manière plus globale à la mission de Dieu et ainsi mettre en valeur la pertinence de l'Évangile et de la foi chrétienne.

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6 5. Méthodologie de recherche

Dans la première partie de cette thèse qui englobera les trois premiers chapitres, nous présenterons trois notions capitales qui fondent la thèse : la croissance de l'Église, la missio Dei et la contextualisation. Nous le ferons en nous appuyant sur les principaux ouvrages et textes théologiques qui ont été produits sur ces notions. Nous prendrons bien soin de les lire de manière chronologique – du plus ancien au plus récent – et nous essaierons de dégager les contenus principaux de ces ouvrages qui, d'une part, semblent mieux définir ces notions et, d'autre part, en font une présentation critique et distanciée.

Pour chacun des trois thèmes, il s'agira de créer un corpus. Par une revue soigneuse de littérature, nous analyserons plusieurs monographies et textes de revues scientifiques qui proviennent de différentes familles d'Églises. En recensant plusieurs écrits pertinents issus du milieu évangélique, nous prendrons soin de souligner les contributions importantes provenant de missiologues protestants autres qu'évangéliques et de missiologues catholiques. Bien que la missiologie se développe dans des contextes propres de familles d'Églises, il n'en demeure pas moins que les éléments généraux de ces thèmes se recoupent d'une tradition à l'autre. C'est à partir de ces données communes que se construira notre traitement.

L'analyse des ouvrages permettra de valider ou non les hypothèses que nous avons établies au préalable. Premièrement, que la théologie de la mission de la croissance de l'Église est en fait une théologie missionnaire évangélique contextualisée nord-américaine fondée sur le pragmatisme et sur les modèles de croissance socio-économique. Ses fondements bibliques sont plutôt faibles et résistent mal à un examen soigneux. Deuxièmement, que les fondements bibliques de la missio

Dei semblent correspondre beaucoup plus aux critères d'une théologie biblique de la mission parce

qu'ils fondent d'abord l'activité missionnaire dans l'être trinitaire de Dieu et que l'Église devient participante à la mission de Dieu. Troisièmement, que la contextualisation, et cela malgré la grande prudence que les missiologues évangéliques conservent à l'égard de celle-ci, est le chemin naturel à suivre pour l'Église puisqu'elle demeure une réalité de tous les temps.

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7

Dans la deuxième partie de cette thèse, nous proposerons un essai de contextualisation pour le MPEFQ et cela à partir des deux modèles de contextualisation que propose Bevans dans son ouvrage « Models of Contextual Theology », à savoir le modèle synthétique et le modèle anthropologique. Nous construirons un projet missionnaire qui pourrait trouver sa source dans des matériaux de la culture québécoise francophone. L'application de ces deux modèles nous permettra d'abord de dégager des composantes importantes de cette culture et ensuite de reconnaître le rôle culturel que joue encore l'identité religieuse catholique. Ces éléments de la culture québécoise nous orientront dans l'élaboration de cet essai.

La pertinence et l'originalité de cette recherche se situent dans la proposition d'une réflexion missiologique au sein même du MPEFQ par un membre de ce mouvement. À notre connaissance, aucune autre thèse, mémoire ou livre n'a proposé, d'un point de vue d'un Québécois de souche, une telle réflexion. Un autre élément qui justifie la pertinence de cette thèse et en souligne l'originalité est celui d'un essai de contextualisation qui permettra de suggérer une perspective missiologique ancrée dans la réalité québécoise actuelle. Ce qui pourrait, tout à la fois, positionner le MPEFQ au cœur des questions et des enjeux Église-Évangile-culture et lui permettre ainsi d'avoir une plus grande participation au progrès de l'Évangile dans le Québec du XXIe siècle.

6. Objectifs de la thèse

Nous entendons dans cette thèse poursuivre quatre objectifs. D'abord, construire et proposer une réflexion missiologique à l'intérieur du MPEFQ. Au moment où la croissance est beaucoup plus lente que dans les années 1970 et 1980, le temps est peut-être bien choisi pour stimuler la réflexion missiologique. En second lieu, nous voulons mieux comprendre les fondements de la théologie de la croissance de l'Église et celle de la missio Dei. Notre troisième objectif est de voir de quelle façon une évolution de la théologie de la croissance de l'Église vers la théologie missio Dei équiperait mieux le MPEFQ dans son entreprise missionnaire. Finalement, nous voulons faire un essai de contextualisation pour le MPEFQ qui puisse situer au cœur même de l'évolution socioreligieuse de la société québécoise francophone.

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8 7. Structure de la thèse

Comme l'indique le titre de la thèse, celle-ci s'articulera en deux mouvements. D'abord, il s'agira de construire une architecture théologique qui puisse soutenir l'élaboration d'un projet missionnaire pour le MPEFQ. Sans rejeter d'emblée tous ses contenus, nous proposerons de substituer à la TCE la théologie de la missio Dei. Théologiquement mieux fondée que la TCE, la missio Dei ouvre sur la diversité et l'originalité du travail de Dieu. Loin de s'appuyer sur des principes méthodologiques universels, elle met au défi chaque Église, dans son contexte social global, d’interpréter le travail de Dieu. Pour assurer l'arrimage avec le deuxième mouvement de la thèse, celui de l'élaboration d'un projet missionnaire pour le MPEFQ, il nous est apparu essentiel de réfléchir à la notion de contextualisation. De plus en plus conscient que les textes bibliques s'inscrivent dans un contexte qui leur est propre, nous nous sommes penchés sur les couleurs québécoises que pourrait prendre le MPEFQ. Quoique ses membres soient impliqués dans les affaires quotidiennes de la vie en société, le mouvement dans son ensemble demeure trop souvent en marge de la vie sociétale. Comme la plupart d'entre eux sont issus du catholicisme, il nous semble tout à fait opportun d'examiner les liens qu'il pourrait y avoir entre l'émergence du MPEFQ dans les années 1970 et l'évolution du catholicisme québécois. Et cela pour découvrir des éléments pouvant expliquer la condition de cette émergence, ainsi qu'un filon qui pourrait faire partie intégrante d'un projet missionaire. L'implication que pourrait avoir la reconnaissance de ces liens dans la définition de ce dernier constitue en soi un projet aux multiples embûches. Nous espérons par cette thèse fournir des matériaux pour en surmonter quelques-unes.

8. Plan de la thèse

Dans le premier chapitre, nous essaierons en toute objectivité de faire ressortir les éléments qui ont constitué le fondement de la théologie de la croissance de l'Église. Il s'agira de mettre en contexte les différents matériaux qui ont mené au travail de Donald McGavran qui fut sans l'ombre d'un doute le paradigme missionnaire le plus important de l'histoire du mouvement évangélique. Après quoi, nous offrirons notre critique de la TCE pour démontrer que ses fondements bibliques tout autant que sociologiques sont très contestables.

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Dans le deuxième chapitre, nous examinerons les principaux éléments qui forment l'architecture de la missio Dei. En ayant recours à la théologie biblique, nous verrons comment l'ensemble des textes sacrés rend compte du fait que la mission est bel et bien l'affaire de Dieu. Naturellement, nous aborderons la question trinitaire si caractéristique de la missio Dei. Nous essaierons de donner quelques pistes de réflexion théologique pour soutenir l'idée de la nature missionnaire de Dieu. Au troisième chapitre, nous prêterons une attention particulière à la notion de contextualisation. Après l'avoir situé au sein de l'évolution de la missiologie, nous définirons le concept. Nous essaierons de comprendre la réticence dont font preuve certains missiologues évangéliques tout en sachant qu'il y a au cœur de la contextualisation des questions herméneutiques et épistémologiques importantes à se poser.

Dans le quatrième chapitre, après analyse, nous proposerons la société québécoise francophone comme lieu de la contextualisation. Nous examinerons comment la modernité, la sécularité et la postchrétienté sont des matériaux importants pour comprendre la culture actuelle. Sur le plan anthropologique, nous proposerons de considérer le lien qui existe entre les Québécois francophones et la religion catholique comme lieu exploratoire pour la construction d'un projet missionnaire.

Au cinquième chapitre, nous établirons ce qui à notre avis constitue les éléments de l'Évangile qui ont besoin d'être mis en valeur non sans avoir préalablement établi qu'il est impensable de dissocier Évangile et royaume de Dieu. En tenant compte des multiples orientations que l'Évangile du royaume peut prendre et de la quête des Québécois francophones qui s'orientent en fonction du spirituel qui donne un sens à la vie ici-bas, nous suggérerons que l'Église fasse de la célébration, de la sagesse et de la participation à la vie publique ses orientations de vie.

Dans le sixième chapitre, nous proposerons un projet de contextualisation visant à établir des communautés apostoliques mixtes. Avec l'idée que le paradigme de la missio Dei impose le devoir à l'Église de définir une ecclésiologie missionnelle conforme à la nature missionnaire que lui octroie ce paradigme, nous jugeons qu'il serait opportun de créer de telles communautés

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apostoliques. Celles-ci pourraient permettre de mieux opérer la transition entre l'Église missionnaire et l'Église missionnelle.

Naturellement, nous soumettons à nos lecteurs l'hypothèse de cette thèse puisque la simple articulation de ses orientations pour le MPEFQ ne peut permettre de l'infirmer ou de la confirmer. Notre prise de parole n'aura de portée que si nous arrivons à encourager et à stimuler la réflexion et la discussion en vue de l'innovation dans les pratiques missionnaires.

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Chapitre un : Analyse et critique de la théologie de la croissance de l'Église

Le mouvement évangélique s'inscrit dans une longue tradition missiologique dans laquelle le travail missionaire est une partie intégrante de l'identité du mouvement. Celle-ci a été marquée par des siècles d'innovations et d'activités missionnaires. Inspirée par le texte de Matthieu 28 « Allez, faites de toutes les nations des disciples », cette tradition a été particulièrement marquée par la contribution des puritains (John Eliot 1604-1690), celle du piétisme (Philipp Jacob Spener 1635-1705), celle du mouvement des frères Moraves (Nicolas Ludwig von Zinzendorf 1700-1760), de William Carey (1761-1834) et celle d'Hudson Taylor (1832-1905).

Malgré ses trois cents ans d'engagement missionnaire, le mouvement évangélique a, comme toutes les grandes familles d'Églises de l'Occident dans la première moitié du XXe siècle, vécu de profondes remises en question sur le plan missiologique : « like its conciliar counterpart, the evangelical missionary motivation has not remained a constant. Within it has been a continual, painful process of sifting, testing, reformulation, and even discarding5. » Le mouvement était aux prises avec les mêmes enjeux que ces familles d'Églises, à savoir les relations entre les grandes sociétés missionnaires et les Églises nationales, la place de la justice sociale dans la mission, les relations du christianisme avec les autres grandes religions et l'unité de l'Église.

Au beau milieu de cette période de turbulence missiologique, Donald A. McGavran6 publia en 1954 The Bridges of God: A Study in the Strategy of Missions. Dans ce livre, McGavran remettait en question le modèle des stations missionnaires et prônait un recentrage de la mission7 autour de

5 Efiong S. Utuk, « From Wheaton to Lausanne: The Road to Modification of Contemporary Evangelical Mission Theology », Missiology, 14/2 (1986), p. 206.

6 Glasser définit McGavran comme un missiologue et non un théologien au sens traditionnel du terme. Toute son attention théologique s'est prêtée à définir le centre de la responsabilité de l'Église. Il concevait la théologie comme « in constant and dynamic relationship with faith and, hence, with the Word of God, on the one hand, and with the Church and pulpit on the other. Only as it lives and works at the center of this double polarity can theology be meaningful and relevant...In the forefront of his concern is the empirical church...Dr McGavran's theologizing keeps the components of Scripture, church and mission in constant and dynamic interaction. » Dans l'esprit de McGavran, l'unité de l'Église doit reposer sur cette interaction tripartite et non sur celles des crédos qui en fait divisent l'Église et omettent la mission en tant que centre. Arthur F. Glasser, « An Introduction to the Church Growth Perspectives of Donald Anderson McGavran » dans Harvie M. Conn, Theological Perspectives on Church Growth, N.J., Presbyterian and Reformed Pub. Co. (coll. Studies in the world church and missions; 3.), 1977, p. 26.

7 Dans ce chapitre, nous présenterons plus loin une définition de la mission selon la théologie de la croissance de l'Église. Dans le deuxième, nous revisiterons le concept à partir de la théologie missio Dei.

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l'évangélisation et de la plantation d'Églises à partir de la mise en pratique de principes qui lui avaient permis d'établir ses observations. Comme en témoignent les premières critiques, l'ouvrage fut très bien reçu dans les différents cercles missiologiques8.

Toutefois, personne n'aurait soupçonné que son contenu allait constituer la base de l'un des plus importants mouvements de la mission du XXe siècle; le mouvement de la croissance des Églises (MCE) communément appelé en anglais le Church Growth Movement. Ce mouvement a donné au milieu évangélique dans la deuxième moitié du XXe siècle une nouvelle impulsion missionnaire. L'impact de ce mouvement ne s'est pas limité seulement au milieu évangélique, mais il s'est aussi fait ressentir dans le milieu protestant traditionnel (mainline).

L'appellation Church Growth désigne à la fois un mouvement et une théologie qui vise l'expansion du christianisme : « McGavran developed the theory of church growth and funded the institution with a precisely defined objective : to make more effective the propagation of the gospel and the multiplication of churches on new ground9. » La théologie de la croissance des Églises (TCE)

s'articule autour d'orientations théologiques et de fortes considérations pratiques que lui inspirent les sciences humaines. La TCE est aussi caractérisée par un esprit pragmatique qui lui a valu bon nombre de critiques.

D'abord concerné par la mission dans les pays du Sud, le MCE s'est aussi développé dans les années 1970 et 1980 en Amérique du Nord. Les ténors par excellence de la croissance de l'Église (CE) sont alors devenus les praticiens associés au phénomène des megachurches10. L'effet de ce phénomène a fait en sorte que l'armature théologique de la TCE s'est un peu estompée devant le

8 « Its one of most important books on missionary methods that has appeared in many Years. », Kenneth Scott Latourette, « Introduction », The Bridges of God; a Study in the Strategy of Missions, New York, Friendship Press, 1955, p. xiv; « This is in many respects a revolutionary book », Georg F.Vicedom, « Bridges of God: A Study in the Strategy of Missions », International Review of Mission, 45/179 (1956), p. 331; « Mr McGavran's book is bound to receive a great deal of attention » George S. Gunn, « The Bridges of God. By Donald A. McGavran », Scottish Journal

of Theology, 11/01 (1958), p. 105.

9 C. Peter Wagner, Your Church Can Grow, Ventura, CA, Regal Books, 1982, p. 13.

10 Joel Osteen, Lakewood Church Houston TX, 43,500 membres; Andy Stanley, North Point Ministry Alpharetta GA, 30,629 membres; Bill Hybels, Willow Creek Community Church South Barrington IL, 25,743 membres; Perry Noble NewSping Church Anderson SC, 23,055 membres; Chris Hodges, Church of the Highlands Birmingham AL, 22,184 membres; Rick Warren, Saddleback Church Lake Forest, CA, 22,055 membres. Pour consulter la liste complète des plus grandes Églises aux États-Unis voir : http://www.outreachmagazine.com/2013-outreach-100-largest-churches-america.html.

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trop grand recours à une forme de croissance fondée sur les modèles d'affaires. Des théologiens comme Thom Rainer ont tenté tant bien que mal de ramener les praticiens aux principes fondamentaux de McGavran, sans quoi le MCE risquait peut-être de se perdre.

En dépit d'une évolution marquée par la critique, le paradigme de la TCE continue encore aujourd'hui d'être la principale orientation missiologique de la plupart des Églises évangéliques : « the vast majority of evangelical churches, perhaps up to 95 percent, subscribe to the contemporary church growth approach in their attempts to grow the congregation, in spite of the fact that successful applications of this model remain relatively rare11. »

Le mouvement protestant évangélique francophone du Québec (MPEFQ) a grandement été influencé par la TCE. Pour des raisons de manque de formation et de discussion missiologique au sein du mouvement, il est difficile de démontrer explicitement ses liens avec la TCE. C'est seulement implicitement que nous pouvons établir ces liens. L'évangélisation, le discipulat et la plantation des Églises constituent encore jusqu'à ce jour le cœur de sa missiologie. L'idée de la croissance qui est le pivot de la TCE demeure toujours la motivation missionnaire principale. Le succès d'une Église est évalué en fonction du nombre de personnes qui s'y intègre.

Malgré une croissance fulgurante du mouvement durant les années 1970 et 1980, il y a eu un ralentissement important depuis les années 1990 (voir tableau 1). Nos vingt-cinq dernières années d'expérience comme implanteur d'Églises au sein du MPEFQ nous ont poussé dans ce contexte de ralentissement à réfléchir sur les fondements missiologiques du mouvement.

Après examen, nous pensons que la TCE doit être remise en question, et cela, pour diverses raisons. D'un côté, le contenu théologique que l'on y trouve résiste difficilement à un examen approfondi. De l'autre, l'intégration et la théologisation mal réfléchie de principes tirés des sciences humaines compromet sa structure théologique. Ensuite, le pragmatisme dont la TCE est empreinte s'adapte mal à une théologie biblique de la mission. Finalement, les conditions de la culture québécoise

11 Alan Hirsch, The Forgotten Ways: Reactivating the Missional Church, Grand Rapids, Mich., Brazos Press, 2006, p. 36.

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exigent, pour démontrer la pertinence et la raison d'être de la foi chrétienne, que l'Église interagisse avec la société québécoise pour d'autres motivations que celle de la croissance.

Dans ce premier chapitre de notre thèse, nous voulons exposer les raisons pour lesquelles la TCE doit être abandonnée comme théologie de la mission pour le MPEFQ. Pour ce faire, nous jetterons d'abord un bref regard sur le contexte qui a poussé Donald McGavran à élaborer la TCE. Ensuite, nous revisiterons quelques définitions clés de la TCE. Par la suite, nous énoncerons les grands principes de celle-ci en les situant sur une échelle de temps : principes théologiques, missiologiques, philosophiques, méthodologiques. En dernier lieu, ce qui constituera la plus grande partie du chapitre, nous offrirons une critique des composantes de la TCE qui nous semblent, d'un point de vue biblique, les plus litigieuses et qui sont les plus valorisées au sein du MPEFQ.

1. Revue de littérature

La littérature sur la TCE est extrêmement abondante12. Pour la construction de notre chapitre, nous

avons choisi de consulter les ouvrages qui nous apparaissent les plus importants dans leur contribution à l'évolution de la TCE. Par notre sélection, nous avons essayé de représenter un honnête corpus en choisissant des ouvrages de soutien ou de critique de la TCE. Notre recherche nous a amenés à considérer la période de 1970 à 1985 comme étant celle où les enjeux théologiques les plus substantiels ont été articulés.

Cette période correspond à celle où Donald McGavran13 et Peter Wagner14 étaient les figures théologiques dominantes de la TCE. Ce sont eux qui ont érigé l'architecture de cette théologie.

12 Plus de six cents ouvrages portant sur le sujet Church Growth sont enregistrés à la Librairie du congrès. Plus de mille articles sont répertoriés dans les moteurs de recherche. Entre 2001 et 2012, il y a 46 maisons d'éditions qui ont été impliquées dans la parution de cent ouvrages en rapport avec le Church Growth.

13 The Bridges Of God; A Study In The Strategy Of Missions, London, World Dominion Press, 1955; How Churches

Grow; The New Frontiers Of Mission, London, World Dominion Press, 1959; Understanding Church Growth, Grand

Rapids, Eerdmans, 1970; How To Grow A Church, Glendale, Calif., Regal Books, 1973; Principles Of Church

Growth, South Pasadena, Calif., William Carey Library, 1974.

14 Church Growth And The Whole Gospel: A Biblical Mandate, San Francisco, Harper & Row, 1981; Leading Your

Church to Growth, Ventura, CA, Regal Books, 1984; Your Church Can Grow, Ventura, CA, Regal Books, 1984; Spiritual Power And Church Growth, Altamonte Springs, Fla., Strang Communications Co., 1986.

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Pendant ces mêmes années, Charles Kraft15 et Paul Hiebert16, deux anthropologues ont, quant à eux, été les figures dominantes représentant l'apport des sciences sociales dans la TCE.

Comme nous l'avons précédemment mentionné, les meilleurs ouvrages critiques de la TCE sont ceux qui ont été aussi publiés avant 1985. Nous avons particulièrement trouvé très éclairants les deux écrits collectifs que Wilbert Shenk a dirigés : The Challenge of Church Growth: A symposium paru en 1973, Exploring Church Growth, paru en 1983 et l'ouvrage de George W. Peters, A

Theology of Church Growth publié en 1981.

Dans les titres parus après 1985, nous devons souligner celui dirigé par Gray McIntosh et Paul Engle : Evaluating the Church Growth Movement: 5 Views. Édité en 2004, il est une mise à jour des enjeux de la TCE. À travers l'interaction des cinq auteurs souscrivant à la TCE – Elmer Towns (Effective Evangelism View), Craig Van Gelder (Gospel and Our Culture View), Charles Van Egen (Centrist View), Gailyn Van Rheenan (Reformist View), Howard Snyder (Renewal View) – l'ouvrage nous fait revisiter la TCE en soulignant ses points forts et ses points faibles.

Nous avons aussi constaté que bon nombre d'articles critiques de qualité avaient été publiés avant 1985. Entre autres, la revue International Review of Missions qui a consacré dès 1968 un numéro complet à la TCE. Il a aussi été intéressant de noter que les deux premières consultations menées par la Conférence de Lausanne avaient un rapport avec la TCE. Le premier Lausanne Occasional

Paper, le Pasedena Consultation (1978) analysait le concept clé de la TCE soit le homogeneous unit principle tandis que le deuxième The Willowbank Report (1978) soulignait des rapports entre

l'Évangile et la culture.

2. Le contexte de Donald McGavran

Donald McGavran est né en Inde. À l'instar de ses parents et de ses grands-parents, il a été missionnaire dans ce pays de 1923 à 1961. Il débuta sa carrière comme enseignant après quoi il assuma diverses fonctions pour sa société missionnaire : la United Christian Missionary Society.

15 Christianity In Culture: A Study In Dynamic Biblical Theologizing In Cross-Cultural Perspective, Maryknoll, N.Y., Orbis Books, 1979; Communication Theory for Christian Witness, Nashville, Abingdon, 1983.

16 Cultural Anthropology, Philadelphia, Lippincott, 1976; Anthropological Insights for Missionaries, Grand Rapids, Mich., Baker Book House, 1985.

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Il en devint le responsable en 1932. Il avait alors quatre-vingt missionnaires sous sa responsabilité. Il dirigeait 5 hôpitaux, supervisait plusieurs écoles ainsi que des maisons pour les lépreux. Il prêta une attention particulière au développement des vingt Églises qu'avait fondées sa mission.

À son époque, les missions à l'étranger se développaient autour des missions stations : « It has been, nevertheless, the central element in the program of missions during most of the modern period17. » Selon McGavran, ce modèle comportait des problèmes auxquels il fallait remédier. Dans son texte de 1955, New Methods for A New Age in Missions, McGavran évaluait la situation comme suit :

The mission station approach founded churches which were started alike, regardless of the founding denomination and of the nation in which they were planted. They arose at or near the mission stations. They were composed of rescued persons and of occasional converts. Their membership at the earlier stages was largely employed by the mission and missionaries. It profited greatly by extended exposure to mission education. Such churches grew very slowly–chiefly by the excess of births and deaths. They face great resistance to Christianity on every hand18.

Dans ces stations on érigeait des écoles, des dispensaires, des bâtiments pour réunir les croyants et on y trouvait des centres administratifs et de services de toutes sortes. On y menait des activités d'évangélisation et d'éducation des jeunes croyants. Ainsi rattaché à la station missionnaire, McGavran voyait deux effets négatifs. D'abord, le nouveau croyant passait beaucoup de temps à la station missionnaire ce qui avait pour effet de le détacher de sa communauté naturelle. Il était ainsi amené à se conformer aux standards éthiques, moraux, cultuels et culturels des missionnaires étrangers. Il se trouvait donc de moins en moins équipé pour rejoindre ses semblables. Ensuite, cet attachement à la station missionnaire créait un problème de dépendance à long terme. Ce qui, au dire de McGavran, ralentissait considérablement la possibilité de croissance.

À l'opposé, McGavran avait observé qu'à l'intérieur de leur communauté naturelle, là où les croyants développaient leur foi, il y avait un effet positif sur la croissance. Cette observation fut à

17 Lesslie Newbigin, The Open Secret: An Introduction To The Theology Of Mission, Grand Rapids, Mich., W.B. Eerdmans, 1995, p.122.

18 Donald Anderson McGavran, « New Methods for A New Age in Missions », International Review of Mission, 44/176 (1955), p. 395-396.

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la base des premiers questionnements de McGavran19. Elle fit naître une série de questions qui demeurèrent au cœur de ses travaux. En voici la teneur : pourquoi certaines Églises croissent-elles et d'autres pas? Quelles sont les causes de la croissance de l'Église? Quelles sont les barrières à la croissance de l'Église? Quels sont les facteurs qui peuvent faire de la foi chrétienne un mouvement au sein des peuples? Quels sont les principes de la croissance de l'Église qui peuvent se reproduire? À l'ère de la croissance phénoménale de la population mondiale, il y a eu un énorme vent d'optimisme qui a grandement influencé la pensée de McGavran dans les années 70 et 80 par rapport à l'expansion de l'Évangile dans le monde : « the proportion of Christians to non-Christians is gradually increasing20 ». L'évangélisation du monde était réalisable ou du moins il n'y avait pas

de raison de ne pas y croire; le monde était atteignable pour l'Évangile;

More winnable people live in the world today than ever before. There are far more winnable men and women in Illinois or British Colombia than there were a hundred years ago. The general population in many states and regions is more favorable to Christ and more open to conversion. India has far more now than in the days of Carey or Clough. Africa has myriads who can be won. Latin America teems with opportunity21.

Cet enthousiasme évangélique, qui coïncidait avec la prospérité états-unienne de l'après-guerre et qui se situait à l'opposé du scepticisme européen, venait en quelque sorte jeter un baume sur l'imbroglio missiologique du début du siècle qui affectait toute la chrétienté colonisatrice.

Il faut tenir compte de l'évolution des sciences sociales si nous voulons comprendre McGavran. Elles ont joué un rôle important dans la construction de la TCE. Même si McGavran avait une certaine réserve par rapport aux prémisses de base ainsi qu'à la direction que prenaient les sciences sociales, il voyait d'un bon œil le recours à ces dernières et plus particulièrement à l'anthropologie culturelle : « Cultural anthropology, one of the behavioral sciences, describes how people act, how

19 Au début de sa réflexion, McGavran a été influencé par William Carey, Roland Allen, Kenneth Scott Latourette, J. Waskom Pickett et John R. Mott. Le Student volonteer movement a aussi eu un impact sur McGavran. Mouvement étudiant qui avait été initié par D.L. Moody à la fin du XIXe siècle. McGavran s'inscrit dans la lignée de ceux qui voyaient l'évangélisation du monde comme le but de la mission. L. Elmer Towns, et Gary McIntosh, Evaluating the

Church Growth Movement: 5 views, Grand Rapids, Mich., Zondervan (coll. Counterpoints), 2004, p. 10.

20 Donald A. McGavran et C. Peter Wagner, Understanding Church Growth, Grand Rapids, Mich., W.B. Eerdmans, 1990, p. 3.

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they innovate, how they govern themselves, what restraints the set up for their societies, and a thousand other matters of note22. » À cet effet, nous pourrions dire que McGavran a innové en intégrant les sciences sociales au sein de la missiologie évangélique.

Des ouvrages, entre autre, celui de Durkheim intitulé : Les formes élémentaires de la vie religieuse intéressa particulièrement McGavran. Dans cet ouvrage Durkheim tenta de démontrer la fonction sociale de la religion. Selon lui, la religion est d'abord et avant tout régulatrice de l'identité et du sens de la vie que se donne un groupe donné. Elle a la fonction de normaliser la moralité et les conventions sociales. La religion tout comme les autres faits sociaux sert à la cohésion sociale. Tout est donc une question de fonction. Ses théories ont grandement influencé l'anthropologie culturelle.

Les travaux de Bronislaw Malinowski23 et d'Alfred Radcliffe-Brown24 qui ont donné naissance au

fonctionnalisme ont aussi influencé la pensée de McGavran. Ils ont suivi en anthropologie la voie que leur avait tracée Durkheim en sociologie. Selon la théorie du fonctionnalisme, chaque fait social de la culture assume une fonction déterminante au sein d'un groupe culturel : « L'intuition fondatrice du fonctionnalisme emprunte aux travaux anthropologiques et sociologiques classiques qui, à la fin du XIXe siècle, se sont souvent laissé séduire par l'analogie organiciste. De ce point de vue, la société est plus que la somme des parties qui la composent. Comme dans un corps vivant, chaque segment (la famille, l'école...) remplit un rôle précis et contribue à la bonne marche du système social25. »

Selon Taber, le fonctionnalisme est devenu dans la deuxième moitié du XXe siècle un outil indispensable à la missiologie :

What makes functionalism particularly important... is the fact that it dominated cultural anthropology in the English-speaking world during the second quarter of the twentieth century, which was precisely the period when missionaries and missiologists became fully aware of this discipline. As one that could be useful to

22 D. A. McGavran et C. P. Wagner, Understanding Church Growth..., p. 93.

23 Les dynamiques de l'évolution culturelle (1941), Une théorie scientifique de la culture (1944). 24 Method in Social Anthropology (1958), Structure et fonction dans la société primitive (1952).

25 Michel Lallement, « Fonctionnalisme », Encyclopædia Universalis, [http://www.universalis-edu.com.acces.bibl. ulaval.ca/encyclopedie/fonctionnalisme], (consulté le 6 janvier 2015).

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their endeavors; "missionary anthropology" thus became, for good or ill, an adaptation of functionalism26.

À partir des travaux en anthropologie, la notion d'ethne dans Matthieu 28 fut, dans l'esprit de McGavran, illuminée. L'identification de chaque groupe social spécifique (classe, race, tribu, ...) à l'intérieur même d'un plus grand ensemble (pays, région), devenait désormais un élément déterminant de premier ordre à analyser et à comprendre si l'on voulait communiquer efficacement l'Évangile. Cet argument donnait à McGavran tout le poids nécessaire pour fonder la valeur des sciences sociales pour la missiologie.

Il voyait dans l'analyse des facteurs sociaux et surtout dans la dislocation de la cohérence sociale « why certain churches have grown and others have not27 ». Les sciences humaines pouvaient donc être au service de l'Évangile. S'il lui fallut défendre à bien des reprises l'intégration des sciences sociales à la théologie, il ne faisait aucun doute dans son esprit que leur apport ne minait en rien l'autorité de la Bible. Bien au contraire. Elles pouvaient révéler des faits objectifs sur la manière de vivre, la vision du monde, la dimension religieuse d'un groupe culturel. Ceux-ci étaient des outils indispensables à l'entreprise missionnaire. C'est McGavran qui fit de l'anthropologie un champ d'études privilégié « Much of the energy of the church growth researchers in the 1960s and 1970s was spent on discerning factors of church growth informed by behavioral sciences, specially cultural anthropology28. »

3. Définitions

Pour bien comprendre l'articulation de la TCE, il importe de définir les concepts clés de cette théologie, soit : la croissance de l'Église, la mission et l'évangélisation.

3.1 Croissance de l'Église

Le terme « croissance de l'Église » est certes le terme le plus important de la pensée de McGavran. Il caractérise à la fois la nature du mouvement et la théologie qui y est associée. Malgré la place

26 Charles R Taber, The World Is Too Much With Us: "Culture" in Modern Protestant Missions, Macon, Ga., Mercer University Press (coll. The Modern Mission Era, 1792-1992), 1991, p. 94.

27 D. A. McGavran et C. P. Wagner, Understanding Church Growth..., p. 94. 28 D. A. McGavran et C. P. Wagner, Understanding Church Growth..., p. 7.

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centrale de ce concept, la définition de la croissance de l'Église n'est pas chose simple. En suivant l'évolution du terme, nous nous sommes aperçu que celui-ci a connu des modifications considérables selon le développement du mouvement et des critiques qui l'ont accompagné. Si McGavran n'a pas donné de définition succincte du Church Growth, ce que Peter Wagner a fait comme nous le verrons, McGavran est toutefois celui qui a le mieux défini l'esprit de la TCE. Selon Rainer, l'entrée en vigueur du terme Church Growth est associée à la publication The Bridges

of God en 195529 : « In 1955 The Bridges of God came off the press and the Church Growth Movement was born30. » La logique de McGavran est la suivante. Si le Christ bâtit son Église et si Dieu veut que tous les hommes soient sauvés, nous pouvons en déduire qu'il désire la croissance. Sans elle, il est impossible que l'intention de Dieu se réalise, et que son Église se bâtisse. La croissance de l'Église est indéniablement un principe théologique absolu qui doit orienter les priorités de l'activité missionnaire. Nous reviendrons un peu plus loin sur l'élaboration du principe théologique de McGavran à propos de la croissance de l'Église, mais à ce stade-ci, nous voulons tout simplement souligner que la croissance constitue l'élément essentiel de sa définition.

Selon Glasser, le terme Church Growth était dans l'esprit de McGavran un terme équivalent à mission. L'introduction de ce terme aurait servi à se distancier des appellations traditionnelles telles que « évangélisation » ou « mission » qui, au goût de McGavran, étaient devenues des termes trop inclusifs. Tout ne pouvait pas être mission : « McGavran has coined this phrase "church growth". He equated it with the traditional understanding of the word "mission", a word that had lost its significance because it was made to embrace every activity of the church, sometimes to the negation of evangelism31. » Dans l'esprit de McGavran, la croissance n'est pas seulement la priorité première de l'Église, mais elle en constitue la mission même. Obéir à l'impératif de la croissance c'est obéir à Matthieu 28.

29 Il est toutefois à noter que le terme Church Growth ne se retrouve qu'une seul fois dans cet ouvrage. D'ailleurs, selon Zunkel : « Although McGavran coined the phrase "Church Growth" he never defined it. » Wayne C. Zunkel, « Church growth: "not another evangelistic fad" », Brethren Life and Thought, 25/4 (1980), p. 223.

30Thom Rainer, The Book of Church Growth: History, Theology, and Principles, Nashville, Tenn., Broadman Press, 1993, p. 34.

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Après la parution du deuxième ouvrage de McGavran How Churches Grow en 1959, l'expression

Church Growth devint de plus en plus le terme de prédilection pour décrire ce nouveau courant

missiologique. Si sa valeur théologique est contestée, elle sera néanmoins consacrée en 1960 lorsque McGavran fondera l'Institute of Church Growth. Les activités de cet institut seront dédiées à « the critical evaluation of all existing methods, the use of statistics and comparative studies to achieve this, and the modification or termination of all activities which would not contribute to achieving the primary objective: the expansion of the Christian movement32. » Pour McGavran, l'expansion du christianisme est la seule raison d'être de la mission.

Toutefois, cette expansion n'est possible que si l'Église concentre ses efforts sur l'évangélisation, le discipulat et la plantation d'Église. Ces trois éléments forment en fait un mouvement en trois temps qui constituent la sphère d'activités essentielles au Church Growth. L'évangélisation sans le discipulat n'est pas l'évangélisation. Le discipulat sans plantation d'Églises n'est pas le discipulat. Il y a donc dans l'esprit de McGavran l'idée selon laquelle il ne s'agit pas seulement de multiplier les conversions; il faut multiplier les Églises. Comme l'indique le terme Church Growth, McGavran pensait que la mission était complétée lorsqu'une Église était implantée et que cette dernière à son tour se multipliait. C'était alors le signe tangible de la véritable expansion du christianisme. Cette idée de multiplication est importante dans l'esprit de la TCE : « By "church growth" we mean a process of spiritual reproduction whereby new congregations are formed33 ». Peter Wagner, qui fut d'abord un étudiant de McGavran, est devenu le deuxième porte-parole le plus important de la TCE. Il est celui qui en a donné la définition la plus substantielle.

Dans son ouvrage Your Church Can Grow, Wagner définit la croissance de l'Église comme suit : « all that is involved in bringing men and women who do not have a personal relationship to Jesus into fellowship with Him and into responsible church membership34. » Cette définition démontre bien le lien étroit qui existe entre la TCE et l'évangélisation. Au dire de Wagner, l'Institute of

32 A. F. Glasser, « Church Growth at Fuller... », p. 406.

33 J.W. Pickett et D.A. McGavran, Church Growth and Group Conversion, William Carey Library, 1973, p. 98. 34 C. Peter Wagner, Your Church Can Grow; Seven Vitals Signs of a Healthy Church, Ventura, Regal Books, p. 12.

(35)

22

Church Growth avait pour objectif « the propagation of the gospel and the multiplication of

churches on new ground35. »

Dans son allocution de 1984, lorsque Wagner est devenu le titulaire de la chaire Donald McGavran

Chair of Church Growth à Fuller, il a défini la croissance de l'Église (CE) comme suit :

Church Growth is that science which investigates the planting, multiplication, function and health of Christian churches as they relate specifically to the effective implementation of God's commission to "make disciples of all nations" (Matt 28:19-20) Church growth strives to combine the eternal theological principles of God's Word concerning the expansion of the church with the best insights of contemporary social and behavioral sciences, employing as its initial frame of reference, the foundational work done by Donald McGavran36.

Sans conteste, le point le plus important qui conduisit Wagner dans sa définition fut celui d'élever la TCE au titre de science.

Selon lui, les vingt-cinq années de parcours théologique, de travail de recherche et de praxis de la TCE lui permettaient de revendiquer pour le Church Growth le statut de science pour les raisons suivantes. D'abord, la théologie tout comme le mouvement avait un historique. Ensuite, la TCE avait un centre d'étude, en l'occurrence le Fuller Theological Seminary. De plus, celle-ci avait produit une somme considérable de livres, de revues et d'articles scientifiques. Ensuite, la TCE avait développé un langage scientifique nouveau. Et il y avait des spécialistes formés dans plusieurs dénominations et dans plusieurs régions du monde. Puis, la TCE avait fait sa place dans les discussions théologiques et son apport autant que sa critique avaient contribué à l'évolution de la missiologie. Finalement, celle-ci avait produit un grand nombre de ressources pour les praticiens.

On retrouve dans cette définition deux autres traits importants que nous ne prendrons pas le temps de traiter, mais que nous jugeons essentiel de mentionner. D'abord, même si Wagner avait déjà tenté en 1976 de définir ce qu'était une Église en santé dans Your Church Can Grow; Seven Vital

Signs of a Healthy Church, la TCE avait subit les assauts de plusieurs commentateurs à l'effet

35 C. P. Wagner, Your Church Can Grow...., p. 13.

36 Elmer L. Towns, « The Relationship of Church Growth and Systematic Theology », Journal of the Evangelical

Figure

Tableau 1 : Nombres des Églises protestantes francophones au Québec 195
Tableau 2 : La carte des modèles de théologie contextuelle 477

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