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Dans notre définition de la missio Dei, nous avons suggéré que la mission de Dieu ne se résume pas seulement à l'envoi du Fils par le Père, du Saint-Esprit par le Père et le Fils et de l'envoi du peuple de Dieu. Nous avons aussi soulevé le point qu'une définition de la missio Dei devait expliciter le but de la mission de Dieu, c'est à dire l'édification de son Royaume.

Dans son article The Kingdom of God as the Goal of the Missio Dei publié en 1979317, Johannes

Verkuyl pose la question suivante; « What is the ultimate goal of the missio Dei? » La question semblait très pertinente puisque si la missio Dei devait être le nouveau paradigme de la mission il devait être fondé sur un but plus élevé que celui d'être simplement le substitut du paradigme précédent. Verkuyl a proposé la réponse suivante à sa question : « in both the Old Testament and the New, God by both his words and deeds claims that he is intent on bringing the kingdom of God to expression and restoring his liberating domain of authority318. » Il nous semble qu'en attribuant ce but à la missio Dei, l'action missionnaire de Dieu prend tout son sens319. Toutefois, contrairement à ce que nous serions en mesure de penser, l'association n'est pas chose si naturelle. Dans le paradigme de la croissance de l'Église, le but de la mission était l'évangélisation et la plantation d'Église. Le lien avec la question du Royaume de Dieu était minime pour ne pas dire inexistant : « the word kingdom was almost totally banned from Evangelical literature for at least

317 En 1980, à la Conférence de Melbourne, la question du Royaume de Dieu est devenue centrale à la poursuite de la réflexion missiologique.

318 Verkuyl, Johannes, « The Kingdom of God as the Goal of the Missio Dei », International Review of Mission, 68/270 (1979), p. 168-175.

319 Il est à noter que la notion du Royaume de Dieu n'apparaît pas chez Bosch. Dans son corrolaire, Constant in

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50 years320. » Aujourd'hui, si le concept du Royaume de Dieu est de plus en plus présent dans la plupart des cercles missiologiques, il n'en demeure pas moins que « the word is still suspect in many Evangelical circles321. » Cette suspicion est dûe au fait que la notion est associée à l'œuvre sociale et qu'elle compromet en quelque sorte l'essence de la mission. La tension entre une définition de la mission qui exclut ou inclut l'œuvre sociale est très palpable.

Dans son élaboration des éléments d'un paradigme missionnaire œcuménique, Bosch énumère une série de notions qui constituent en soi les composantes importantes pour la redéfinition d'un nouveau paradigme. Étonnamment, la question du Royaume de Dieu n'apparaît pas dans ses éléments. Elle n'apparaît pas on plus dans son index thématique. Tandis que dans son corollaire catholique Constants in Context, Bevans et Schroeder font de la notion du Royaume de Dieu une notion importante pour la définition d'une théologie de la mission car selon eux elle s'impose de soi. Elle découle directement du ministère de Jésus : « a kingdom-oriented mission theology has direct recourse to scripture – in fact, to the central theme in Jesus' ministry322. »

En suggérant au MFPEQ une autre alternative pour fonder sa théologie de la mission, la missio

Dei, nous proposons d'associer la missio Dei au concept de Royaume de Dieu. Elles sont, selon

nous, deux composantes complémentaires, indissociables l'une de l'autre. La missio Dei décrit la nature de l'activité missionnaire et le Royaume de Dieu décrit sa finalité. En fait, la capacité que nous avons d'entrevoir la missio Dei comme paradigme possible pour la mission est directement proportionnelle à notre façon de concevoir théologiquement le Royaume de Dieu : « The differences in the understanding of missio Dei correspond with differences in the understanding of the Kingdom of God323. »

320 Ralph D. Winter « The Future of Evangelical in Mission » dans D. J. Hesselgrave, E. Stetzer et J. M. Terry,

Missionshift: Global Mission..., p. 164.

321 R. D. Winter « The Future of Evangelical... » p. 180. Il est aussi à remarquer que dans les récents ouvrages sur la perspective missiologique évangélique pour le XXIe siècle, aucun des auteurs ne fait mention d'un lien entre la missio

Dei et le Royaume de Dieu : Taylor, William David, Global Missiology for the 21st Century: the Iguassu Dialogue,

Grand Rapids, Mich., Baker Academic, 2000; T. C.Tennent, Invitation to World Missions..., C. J. H. Wright, The

Mission of God...

322 S. B. Bevans et R. Schroeder, Constants in Context..., p. 317. D'ailleurs, les auteurs tracent un intéressant historique de l'évolution de la notion du Royaume de Dieu au XXe siècle en rapport avec la mission et cela autant dans les cercles catholiques que protestants.

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Selon Engelsviken, il y a de façon générale deux manières de concevoir le Royaume de Dieu324. Voici comment s'expriment les différences importantes.

Dans la première, le Royaume de Dieu est conçu en terme sotériologique et se limite à l'histoire du salut. La sphère du Royaume de Dieu est principalement tracée là où les hommes reçoivent le salut. Le règne de la paix et de la justice passe par l'Église. Si elle n'exclut pas la dimension du progrès éthique et social des sociétés, elle est un programme de deuxième ordre. L'Église est l'acteur principal dans l'avancement du Royaume de Dieu.

Dans la deuxième, le Royaume de Dieu est conçu comme le règne de Dieu sur toute la création. Dieu cherche à transformer le monde éthiquement et socialement pour l'amener à son intention initiale. S'il inclut la rédemption, celle-ci n'est pas exclusive. L'achèvement de l'humanité à l'image de Dieu ainsi que toutes les causes qui peuvent s'y attacher ou s'y opposer deviennent des lieux d'activités ayant un rapport avec le règne de Dieu. L'histoire de l'homme devient ainsi le lieu de réalisation du règne de Dieu. Dans cette perspective, l'Église n'est pas l'agent principal par lequel Dieu travaille et elle n'est pas non plus la finalité de l'activité de Dieu. Elle devient participante et témoin important de la réalisation du Royaume.

Selon que l'on soit enclin à adopter l'une ou l'autre de ces positions, deux modèles de participation de l'Église à la mission de Dieu se développent. Selon Flett, c'est là que se situe le nœud du problème : « Missio Dei theology forces treatments either to emphasize the divine acting in opposition to the human or to formulate an account of human agency via ecclesiology or creation325. »

Dans le premier modèle, qui est le plus répandu des deux, le point de départ repose sur une vision du futur, celle de la deuxième venue de Christ. L'histoire n'est qu'un prologue, une préparation, un stade provisoire avant la parousie. L'Église participe à cette anticipation en annonçant l'Évangile. Dans ce modèle, la seule histoire qui compte c'est l'histoire de la conversion des peuples païens au

324 Dû à la polarisation des deux modèles, « a split emerged between the evangelical churches and the ecumenical aligned churches and church organizations. » Wilhelm Richebächer (2003), « Willingen 1952-Willingen 2002: the Origin and Contents of this Edition of IRM », International Review of Mission, 92/367, p. 593.

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christianisme. L'histoire des hommes ne fait que se distancier de l'objectif final de rédemption et conséquemment, c'est ce qui provoque la fin.

Dans le deuxième modèle, la participation de l'Église à la mission de Dieu est au service de l'histoire. L'Église se situe dans le courant de l'histoire et elle doit embrasser toutes ses dimensions. Elle ne peut se résoudre qu'à l'annonce de l'Évangile et à la plantation d'Églises. La nature et l'activité de Dieu ne se concentrent pas seulement sur l'histoire de l'Église ou du salut. Elles recouvrent toute l'activité humaine, Dieu voulant compléter en Christ la réconciliation de toutes choses avec lui. Cela revient à dire que la participation de l'Église aux différentes activités des sociétés en vue de la restauration de l'image de Dieu, de la dignité humaine ainsi que de l'instauration de la paix et de la justice est le corollaire de la mission de Dieu dans le monde. Le point de départ de ce modèle pour la théologie missionnelle est la confrontation du Royaume de Dieu avec le monde sécularisé.

La première manière de concevoir le Royaume est plus compatible avec la TCE. La deuxième l'est beaucoup plus avec la missio Dei. Sans diminuer l'importance de la première, car une compréhension plus large de la mission de Dieu et de la participation de l'Église à cette mission devrait inclure un engagement indéfectible pour l'évangélisation du monde et la plantation de l'Église, l'adoption de la missio Dei comme théologie de la mission exige une ouverture quant à l'étendue du travail de Dieu dans le monde et dans l'histoire. Si la présence de l'Église s'inscrit dans une perspective eschatologique nous convenons, comme le souligne Newbigin, que c'est d'abord comme témoin de Dieu dans l'histoire qu'elle participe à la mission de Dieu. Conçue non comme une force combattant d'autres forces qui façonnent l'humanité, soumise au Père à qui toutes choses lui sont soumises, « the Christian mission is the clue to world history, not in the sense that it is the "winning side" in the battle with the other forces of human history, but in the sense that is the point at which the meaning of history is understood [reveal] and at which men are required to make the final decisions about that meaning326. »

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Cette perspective du Royaume donne à l'Église une dimension plus grande de la notion d'espérance. Elle ne pointe pas seulement le « pas encore », mais aussi le « déjà ». En d'autres mots, le monde n'est pas oublié par Dieu ni laissé à lui-même. Il demeure le lieu d'interaction de l'activité de Dieu par laquelle il cherche continuellement à bénir l'humanité. L'Église n'a pas seulement les yeux rivés au ciel dans l'attente d'un bien à venir. L'Église est dans l'expectative d'une manifestation de Dieu aux nations, et cela même en dépit des signes peu encourageants. La promesse faite à Abraham est toujours effective.

L'attribution du Royaume de Dieu comme finalité de la mission du Dieu trinitaire peut entraîner une certaine ambigüité quant au rôle de l'Église. Deux considérations doivent diriger notre réflexion.

D'une part, il est tout à fait concevable et souhaitable que le travail de Dieu dans le monde ne se limite pas à celui de l'Église. Il est tout aussi désirable que le travail de l'Église ne représente pas tout le travail de Dieu. L'Église n'est pas le Royaume de Dieu. Elle ne peut donc pas se faire l'interprète immuable de l'activité de Dieu et ni prétendre que son activité missionnaire correspond à l'entièreté de l'avancement du Royaume de Dieu.

D'autre part, l'Église demeure un acteur très important dans l'avancement du Royaume et du règne de Dieu parce qu'en possédant les arrhes et les fruits de l'Esprit, elle incarne l'amour, la paix, la justice et la vérité. Dans la mesure où elle poursuit avec diligence son entendement, elle devient un agent important de transformation du monde. Si elle doit lutter contre les forces du mal, c'est avec la victoire acquise à la croix qu'elle peut devenir pleinement participante de l'œuvre de Dieu. Si l'Église ne réduisait sa participation à la mission de Dieu qu'à l'annonce de la Bonne Nouvelle du Royaume, ce comportement ne reviendrait-il pas à celui du mauvais intendant qui, par crainte de son maître, n'a pas fait fructifier ce que celui-ci lui avait légué?