Étude des enjeux pour l'évaluation de la performance en responsabilité sociétale des entreprises
Texte intégral
(2) SOMMAIRE Mots clés : responsabilité sociétale des entreprises, développement durable, performance, indicateurs, système de gestion, norme En 2010, l’Organisation internationale de normalisation a publié la norme ISO 26000 -‐ Lignes directrices relatives à la responsabilité sociétale marquant du même coup la nécessité pour les entreprises à s’engager sur la voie du développement durable. Le Bureau de normalisation du Québec fit de même avec la publication du BNQ 21000 intitulée Développement durable – Guide d'application des principes dans la gestion des entreprises et des autres organisations. Ces deux normes portant sur la responsabilité sociétale des entreprises s’effectuent selon une approche volontaire dite d’apprentissage, puisqu’elles ne mènent pas à l’obtention d’une certification. Malgré l’accroissement subséquent de la production d’outils dédiés au développement durable et à la responsabilité sociétale, les entreprises tardent à s’engager pleinement dans de telles démarches. Les recherches ont mis en évidence que l’obtention d’une certification est une condition sine qua non à l’appropriation de la responsabilité sociétale par les grandes entreprises. Ce constat amène à traiter avec la problématique émergente de la mesure de la performance globale et par le fait même, la construction d’indicateurs. Cet essai tente de fournir une réponse à cette problématique par l’étude des enjeux inhérents à la mesure de la performance en gestion du développement durable des entreprises. . . Suite à l’étude des origines et des enjeux découlant de la responsabilité sociétale, on constate que bien que celle-‐ci soit riche d’une longue histoire, elle reste imprécise et mal comprise. La pratique de la responsabilité sociétale est inséparable de la dimension communicationnelle de l’entreprise, puisque celle-‐ci tire ses bénéfices de la reconnaissance, garante de légitimité. L’obtention d’une certification jouerait alors le triple rôle d’évaluateur des pratiques, de promoteur de la réputation, ainsi que d’évaluateur de la progression des entreprises dans le domaine. Des différents cadres théoriques employés pour l’opérationnalisation de la responsabilité sociétale, la théorie des parties prenantes fait figure de proue. Elle mène à une réflexion sur les concepts de mesure et de performance en les élargissant aux attentes des parties prenantes. Ainsi, la concertation des parties prenantes est une composante intrinsèque tant pour la construction d’indicateurs, le pilotage de la responsabilité sociétale que pour l’évaluation des performances. i . .
(3) Le pilotage et la mesure de la performance en responsabilité sociétale comprennent une foule d’enjeux techniques, managériaux, humains et idéologiques qui demandent à revoir les systèmes de gestion des entreprises. Bien que l’élaboration d’une norme de performance ne puisse à elle seule résoudre tous les problèmes de la gestion du développement durable, elle constitue une occasion de dialogue entre les entreprises et ses parties prenantes. L’évaluation de la performance n’est donc pas la finalité de la responsabilité sociétale, mais bien le début d’un engagement à long terme par les entreprises. . . ii . .
(4) REMERCIEMENTS Je tiens tout d’abord à remercier mon directeur d’essai, le professeur Jean Cadieux, pour son soutien et sa compréhension, mais surtout pour sa dévotion envers ses étudiants et sa passion pour l’enseignement. Je tiens également à souligner l’aide financière fournie par la Chaire Desjardins en gestion du développement durable qui a grandement facilité la rédaction de cet essai. Je souhaite aussi remercier mes parents de leur aide précieuse, sans laquelle cet essai n’aurait pas été possible. Enfin, un sincère merci à Jonathan Deroy pour m’avoir supportée jusqu’au bout. . . iii . .
(5) TABLE DES MATIÈRES INTRODUCTION ................................................................................................................................... 1 1 MISE EN CONTEXTE ....................................................................................................................... 3 1.1 Origine et définition du développement durable .................................................................. 3 1.2 Origine et définition de la responsabilité sociétale des entreprises ...................................... 4 1.3 Les enjeux globaux de la responsabilité sociétale des entreprises ........................................ 7 1.3.1 La légitimation ................................................................................................................ 8 1.3.2 La réputation ................................................................................................................. 12 1.3.3 La divulgation des actions responsables ....................................................................... 15 1.3.4 La responsabilité sociétale à l’ère d’internet ................................................................ 17 1.3.5 Recensement des enjeux en responsabilité sociétale .................................................. 18 1.4 Encadrement de la responsabilité sociétale ........................................................................ 19 1.4.1 La législation ................................................................................................................. 20 1.4.2 Les indicateurs de la GRI ............................................................................................... 21 1.4.3 L’approche normative ................................................................................................... 22 1.4.4 La norme ISO 26000 ...................................................................................................... 23 1.4.5 La norme BNQ 21000 .................................................................................................... 25 1.4.6 Le projet-‐pilote BNQ 21000 .......................................................................................... 26 1.4.7 Retour d’expérience ..................................................................................................... 27 1.4.8 Bilan de l’expérience BNQ 21000 ................................................................................. 30 2 CADRE DE RECHERCHE ................................................................................................................ 32 2.1 Méthodologie ...................................................................................................................... 33 2.2 Opérationnalisation de la responsabilité sociétale .............................................................. 34 2.2.1 Définition de la théorie des parties prenantes ............................................................. 35 2.2.2 Application de la théorie des parties prenantes à la responsabilité sociétale .............. 37 2.2.3 Cartographie et rôle des parties prenantes .................................................................. 38 2.2.4 Limites de la théorie des parties prenantes .................................................................. 41 3 LES VECTEURS D’INTEGRATION EN GESTION DU DEVELOPPEMENT DURABLE .......................... 43 3.1 La performance en gestion du développement durable ..................................................... 43 iv . .
(6) 3.2 Redéfinition du concept de performance ............................................................................ 46 3.3 Les approches théoriques en gestion du développement durable ..................................... 48 3.4 Les contextes d’utilisation des indicateurs en gestion du développement durable ............ 49 3.4 Définitions et caractérisques des indicateurs en gestion du développement durable ........ 51 4 ENJEUX POUR L’EVALUATION DE LA PERFORMANCE EN GESTION DU DEVELOPPEMENT DURABLE ........................................................................................................................................... 54 4.1. Enjeux dans la traduction des attentes des parties prenantes ............................................ 54 4.2 Enjeux pour la construction d’indicateurs en gestion du développement durable ............. 55 4.3 Enjeux pour l’utilisation des indicateurs en gestion du développement durable ............... 57 4.4 Enjeux de la gestion du développement durable pour les PME .......................................... 61 4.5 Enjeux sectoriels de la gestion du développement durable ................................................ 64 4.6 Enjeux culturels et internationaux de la gestion du développement durable ..................... 65 4.7 Enjeux idéologiques de la gestion du développement durable ........................................... 67 4.8 Bilan des enjeux ................................................................................................................... 68 5 RECOMMANDATIONS ................................................................................................................. 69 5.1 L’intégration des parties prenantes ..................................................................................... 70 5.2 La construction d’indicateurs en gestion du développement durable ................................ 73 5.3 L’utilisation des indicateurs en gestion du développement durable ................................... 74 5.4 La gestion du développement durable auprès des PME ..................................................... 76 5.5 Les indicateurs sectoriels ..................................................................................................... 77 5.6 Les contraintes culturelles et internationales ...................................................................... 77 5.7 Les conceptions idéologiques .............................................................................................. 78 CONCLUSION ..................................................................................................................................... 80 LISTE DES REFERENCES ...................................................................................................................... 82 BIBLIOGRAPHIE ................................................................................................................................. 88 ANNEXE 1 CORRESPONDANCE ENTRE LES PRINCIPES DE LA DECLARATION DE RIO SUR L’ENVIRONNEMENT ET LE DEVELOPPEMENT ET CEUX CONTENUS SUR DANS LA LOI SUR LE DEVELOPPEMENT DURABLE DU QUEBEC .......................................................................................... 90 ANNEXE 2 CORRESPONDANCE ENTRE LES INDICATEURS DE LA GRI 4 ET LES ENJEUX DU BNQ 21000 ...................................................................................................................................... 97 v . .
(7) ANNEXE 3 CORRESPONDANCE ENTRE LES ENJEUX DU BNQ 21000 ET LES DOMAINES D’ACTION DU CHAPITRE 6 DE L’ISO 26000 ...................................................................................................... 103 . . vi . .
(8) LISTE DES FIGURES ET TABLEAUX Figure 5.1 . Méthode top down ...................................................................................................... 71 . Figure 5.2 Méthode bottom-‐up ..................................................................................................... 71 Figure 5.3 Comparatif entre les processus de direction par objectif et pilotage par objectif ....... 75 Tableau 1.1 Enjeux en RSE/DD selon les professionnels en entreprises ....................................... 18 Tableau 1.2 Moteurs et freins au déploiement en RSE/DD ........................................................... 31 Tableau 2.1 Les théories d’opérationnalisation de la RSE ............................................................. 34 Tableau 3.1 Conditions à l’utilisation d’indicateurs pour le pilotage de la performance en GDDE . ................................................................................................................................... 50 . Tableau 4.1 Intérêts des différents acteurs envers les informations relatives aux activités de l’entreprise ................................................................................................................................... 58 Tableau 4.2 Répartition des usages aux différents indicateurs par les gestionnaires ................... 59 Tableau 4.3 Facteurs de contingence à l’intégration de la RSE auprès des PME ........................... 62 Tableau 4.3 Facteurs de contingence à l’intégration de la RSE auprès des PME ........................... 63 Tableau 4.4 Bilan des enjeux pour l’élaboration d’indicateurs de performance en GDDE ............ 68 . vii . .
(9) LISTE DES ACRONYMES AFNOR . Association française de normalisation . BNQ . . Bureau de normalisation du Québec . CCN . . Conseil canadien des normes . CERES . Coalition of Environmentally Responsible Economies . CMED . Commission mondiale sur l’environnement et le développement des Nations Unies . COPOLCO . Comité de l'ISO pour la politique en matière de consommation . CSI . . Confédération syndicale internationale . CSR . . Corporate social responsability . DD . . Développement durable . DPO . . Direction par objectifs . GDDE . Gestion du développement durable en entreprise . IDH . . Indice de développement humain . IPC . . Indice des prix à la consommation . ISO . . Organisation internationale de normalisation . OCDE . Organisation de coopération et de développement économiques . OIE . . Organisation internationale des employeurs . OIT . . Organisation internationale du travail . ONU . . Organisation internationale des Nations Unies . PE . . Petites entreprises . PIB . . Produit intérieur brut . PME . . Petites et moyennes entreprises . PNUD . Programme des Nations Unies pour le développement . PNUE . Programme des Nations Unies pour l’environnement . PP . . Parties prenantes . PSE . . Performance sociétale des entreprises . RSE . . Responsabilité sociétale des organisations . RSE/DD . Responsabilité sociétale des organisations et développement durable . RSO . . Responsabilité sociale des organisations . TPE . . Très petites entreprises viii . . .
(10) INTRODUCTION L’intégration de pratiques responsables au sein des systèmes de gestion des entreprises apparaît dorénavant comme une nécessité face aux problématiques sociales et environnementales actuelles. Dans la foulée du développement durable (DD), la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) s’est imposée afin de faciliter l’intégration des principes macroéconomiques du DD dans les pratiques de gestion microéconomiques des entreprises. Jadis informelle et improvisée, la RSE s’est progressivement formalisée. Ainsi, différents outils dédiés à l’appropriation de la RSE par les entreprises ont été conçus et des cadres de référence ont été développés. Des différents encadrements possibles, la normalisation semble être la voie privilégiée par les gouvernements à travers leur organisme national de normalisation. En 2010, l’Organisation internationale de normalisation (ISO) publiait l’ISO 26000, la première norme consacrée exclusivement à la RSE. Afin de mettre en œuvre les principes contenus dans la Loi sur le développement durable du Québec, le Bureau de normalisation du Québec a emboité le pas avec la publication de la norme BNQ 21000. Ces deux normes, volontaires et non certifiables, sont construites dans une optique d’apprentissage. En dépit des efforts investis et du succès relatif des deux normes, les entreprises semblent tarder à s’engager sur la voie du DD. Selon diverses études réalisées à l’égard des pratiques responsables et des intérêts des entreprises, ce retard pourrait être en partie attribuable à l’absence d’une certification inhérente aux normes existantes (PRODURABLE 2013, Cadieux et Taravella, 2014). En effet, il a été démontré que les gestionnaires d’entreprise accordent une grande importance à l’obtention d’une certification qu’ils associent avec reconnaissance et crédibilité. La nécessité de développer une certification RSE et par le fait même, des indicateurs de performance se fait ainsi de plus en plus pressante. Cet essai porte sur la mesure de la performance en RSE pour l’intégration des principes du DD dans les pratiques de gestion des organisations. Il a pour objectif principal de recenser et comprendre les enjeux au développement d’indicateurs de performance pour la gestion du développement durable en entreprise (GDDE). Pour ce faire, cinq objectifs spécifiques sont développés. Tout d’abord il est question de comprendre les origines, les supports et les enjeux de 1 . .
(11) la RSE. Puis, les théories sous-‐jacentes à l’opérationnalisation de la RSE sont expliquées, suivies de l’inventaire des vecteurs à considérer pour la construction et l’utilisation d’indicateurs de performance RSE. Enfin, un inventaire des enjeux au développement d’une norme de performance est fait afin de fournir des recommandations. Le présent travail se veut une analyse critique basée sur l’exercice d’une revue de littérature académique et managériale. Afin d’assurer la qualité et la validité du contenu, une attention particulière a été portée sur la provenance des sources, la réputation des auteurs, l’objectivité et la date de parution de l’information, en plus de la pertinence et l’abondance des données recueillies. Les sources consultées sont issues d’articles de périodiques reconnus par les pairs, d’ouvrages académiques et de données provenant d’organismes gouvernementaux ou reconnus dans le domaine de la gestion, du DD et de la RSE. Cet essai est divisé en cinq chapitres. Le premier chapitre constitue une mise en contexte, elle présente les origines, les enjeux globaux et les modes d’encadrement de la RSE. Le second chapitre comprend le cadre de recherche, elle présente les bases théoriques de l’opérationnalisation de la RSE. La troisième se concentre sur les paramètres à considérer pour le développement et l’utilisation d’indicateurs de performance suivie d’un chapitre portant sur enjeux qui en découlent. Enfin, le dernier chapitre est consacré à la formulation de recommandations afin de faciliter le développement d’une norme de performance RSE. . . 2 . .
(12) 1 . MISE EN CONTEXTE . La section suivante a pour objectif de situer le lecteur à l’égard des concepts de DD et de RSE. Les concepts du DD et de la RSE ainsi que leur origine y sont définis pour aboutir aux enjeux de leur déploiement. Enfin, les différents modes d’encadrement des démarches sont expliqués, l’intérêt étant porté sur l’approche normative à travers les normes ISO 26000 et BNQ 21000. 1.1 . Origine et définition du développement durable . La définition officielle du DD se retrouve dans le rapport Notre avenir à tous ou Rapport Brundtland publié en 1987 par la Commission mondiale sur l’environnement et le développement des Nations Unies (CMED). Le DD s’y définit comme étant « un développement qui répond aux besoins du présent, sans pour autant compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs. » (Brundtland, 1987, p.40). L’application concrète du DD repose sur l’atteinte d’un équilibre entre les trois aspects fondamentaux de l’activité humaine, soit l’économie, la société et l’environnement. Ceux-‐ci représentent les enjeux du DD pour lesquels des stratégies de gestion sont conjointement élaborées. L’analyse sémantique de l’expression « développement durable » est révélatrice de la complexité et de la large portée du concept. Le DD peut revêtir différentes significations parfois même contradictoires et c’est justement cette ambiguïté qui lui donne tant de popularité, puisqu’elle permet en quelque sorte à chacun de se l’approprier en fonction de ses besoins et intérêts (Libaert, 2010). C’est que le DD possède une capacité rassembleuse à travers un discours environnemental qui fonctionne comme référent social. Les débats environnementaux étant aujourd’hui centralisés sur le concept de durabilité, on perçoit ainsi l’importance accordée à la temporalité en termes de développement, la croissance est saine tant qu’elle est pérenne. C’est précisément à l’intérieur de cette notion de temporalité que réside le caractère polémique de l’expression, car celle-‐ci est très difficilement discernable et par conséquent aisément malléable (Tremblay, 2007; Libaert, 2010). Le terme « développement » est d’abord et avant tout un synonyme de croissance, ce qui le relie directement à l’économie conformément aux vues de la 3 . .
(13) société néocapitaliste. Puis, son apposition au terme « durable » suppose que le développement, qu’il soit social, environnemental ou économique, n’est nullement remis en question tant et aussi longtemps qu’il est durable. Ce paradoxe ouvre la voie à une foule d’interprétations possibles qui, dans tous les cas, justifient une prévalence des impératifs économiques, de la recherche de profits. Cela amène certains auteurs à affirmer que dans l’état actuel des choses, il y a impossibilité d’un DD en absence de recherche d’un profit (Libaert, 2010; Tremblay, 2007; Capron 2009). En dépit d’efforts significatifs, le DD continue à être un concept flou, son caractère macroéconomique, sa très large utilisation et sa popularité généralisée contribuant possiblement à cet état de fait. Certains auteurs soulèvent la question à savoir si le DD ne serait pas qu’un outil au service de l’image des entreprises leur permettant de légitimer un management axé sur la croissance économique, soi-‐disant respectueuse de l’environnement et des générations futures (Tremblay, 2007). En ce sens, Libaert affirme que le DD constitue « une nouvelle idéologie managériale sous le couvert d’une communication consensuelle permettant d’éviter les remises en cause nécessaires face aux impératifs écologiques » (Libaert, 2010, p.42). Quoi qu’il en soit, les impératifs environnementaux sont incontestables et les entreprises consacrent une part significative de leurs efforts dans le DD, que ce soit pour des considérations utilitaristes, intégratives ou normatives (PNUE, 2010). 1.2 . Origine et définition de la responsabilité sociétale des entreprises . Si le DD répond à une approche macroéconomique, la RSE, par son niveau de pensée microéconomique, constitue, quant à elle, une déclinaison au niveau des pratiques managériales des organisations. Sommairement, la RSE est vue comme la traduction managériale du DD. L’ISO considère la RSE comme la contribution des entreprises au DD. Plus précisément, l’Organisation la définit comme : « un engagement des entreprises d’évoluer dans un cadre éthique pour participer au progrès économique et contribuer à l’amélioration de la qualité de vie de leurs salariés, de l’environnement local et de la société dans son ensemble » (Callot, 2013, p.42). 4 . .
(14) Théoriquement, la RSE est vue comme un outil de légitimation et de facilitateur des relations de l’entreprise avec ses parties prenantes (PP) lui permettant de renforcer sa position et ses soutiens (Libaert, 2010). La RSE ou la locution anglo-‐américaine corporate social responsiblity (CSR) est tout d’abord apparue aux États-‐Unis dans les années 1950, du moins en ce qui a trait à son approche contextuelle. La forte présence de la religion auprès des dirigeants d’entreprises et la méfiance généralisée envers l’État ont amené les entreprises à étendre leurs actions sur la société, principalement à travers des actions philanthropiques (Pesqueux, 2010). Bowen a été le premier à formuler une définition conceptuelle de la RSE postulant que les décisions, les politiques et les actions menées par les gestionnaires ne doivent pas être conditionnées par des intérêts purement économiques (Laprise, 2009). Elle s’est ensuite progressivement transformée pour répondre au besoin de conciliation entre les activités économiques de l’entreprise et les préoccupations de la société. Son expansion concorde avec la montée des critiques sociales envers les entreprises qui ont émergé à la fin des années 60; elle s’est par la suite globalisée et institutionnalisée (Lemay, 2001; Wong et Yameogo, 2011). En 1983, Carroll propose une définition charnière de la RSE soit comme « un mode de gestion de l’entreprise de telle façon à être profitable économiquement, tout en respectant la loi et l’éthique. (traduction libre) » (Carroll, 1979, p.505). La RSE englobait désormais les responsabilités économique, légale, éthique et philanthropique. Bien que plusieurs acceptations de la RSE soient admises, la communauté internationale s’entend pour la définir comme : « la prise en compte des effets de l’activité des entreprises ou organisations sur la société et l’environnement et de la responsabilité subséquente d’en limiter, voire compenser, les impacts négatifs par des stratégies de gestion adaptées à l’égard de toutes les PP concernées » (Encyclopédie du développement durable, 2011, p.1). La RSE repose grandement sur des préoccupations éthiques et son déploiement à large échelle répond aux pressions croissantes de la société civile. Il faut savoir que le contexte actuel de mondialisation des produits et des marques, l’accroissement des écarts sociaux entre les populations ainsi que l’épuisement des ressources naturelles contribuent largement à la nécessité pour les entreprises de s’approprier la RSE. 5 . .
(15) D’abord implantée en Amérique, il a fallu attendre le virage des années 2000 pour que la RSE s’implante réellement en Europe grâce, notamment, aux efforts déployés par la Commission européenne. Soit trente ans après l’Amérique, l’Europe entrait finalement dans l’ère de la RSE de concert avec la reconnaissance de sa pertinence (Pasquero, 2005). Cette expansion de la RSE concorde avec l’intégration du concept de PP à sa définition en réponse à la prise en compte de l’impact des activités des entreprises sur leur environnement et leurs externalités (Pesqueux, 2010). La capacité de la RSE à établir un lien logique entre les grands principes du DD et les activités des entreprises faisant finalement consensus sur l’ensemble du monde occidental. Depuis lors, le concept s’implante progressivement partout dans le monde, même dans les pays les moins développés où elle tend à se retrouver davantage dans les discours que des stratégies. Le déploiement de la RSE s’effectue selon deux tendances distinctes : d’un côté, la RSE s’institutionnalise avec la création de normes internationales et de l’autre, elle s’autonomise en s’ajustant aux réalités culturelles et institutionnelles locales (Pasquero, 2005). À l’heure actuelle, le mouvement RSE représente une foule de discours, de pratiques et de dispositifs de mises en œuvre mettant en jeu une diversité d’acteurs ne se limitant pas aux entreprises : gouvernements, organisations de la société civile, syndicats, associations de consommateurs et universités étant les plus notables. L’institutionnalisation de la RSE a donné naissance à bons nombres d’organes spécifiques d’observation et de conseils d’évaluation des démarches responsables qui supportent et encadrent les initiatives (Pasquero, 2005). L’histoire de la RSE respecte deux modèles culturels, soit l’approche anglo-‐saxonne et l’approche européenne francophone. Le modèle anglo-‐saxon présent en Amérique du Nord se rapporte principalement au choix éthique de gouvernance des entreprises en présentant un idéal de relations à atteindre entre les diverses PP. Il s’agit d’une approche volontariste. Le modèle francophone, quant à lui, est une approche plus politique de la RSE ancrée sur le respect des droits nationaux et internationaux par les entreprises selon un questionnement portant sur la durabilité et le bien commun (Belem et autres, 2007 et Wong et Yameogo, 2011). La norme ISO 26000 a été élaborée selon ce dernier modèle alors que le BNQ 21000 repose davantage sur le modèle anglo-‐saxon. Dahlsrud, quant à lui, étudie le concept de RSE en tant que construit social comme quoi sa définition est indissociable du contexte (Dahslrud, 2008). Il recense cinq dimensions données à la RSE depuis l’analyse des définitions existantes retrouvées dans la littérature. Bien que ces 6 . .
(16) différentes définitions soient convergentes, elles divergent sur l’objet de construction du concept, soit l’environnement, la société, l’économique, les PP et le volontarisme. Quoi qu’il en soit, l’auteur conclut que cela ne pose pas un problème en soit puisque le véritable défi est de comprendre comment la RSE est socialement définie dans un contexte particulier afin de l’intégrer dans le développement de stratégies d’entreprises. Ainsi, peu importe la définition retenue, elles échouent toutes à fournir les bases nécessaires pour intégrer efficacement les principes du développement durable dans les pratiques de gestion des organisations. Les travaux de Dashlud permettent de dépasser la simple question de la définition conceptuelle de la RSE par sa remise en contexte au niveau des pratiques managériales des entreprises (Dahslrud, 2008). De ce fait, l’expression GDDE sera utilisée dans cet essai pour traiter de l’élaboration d’outil d’évaluation et de mesure en responsabilité sociétale des organisations et développement durable (RSE/DD). La revue de littérature effectuée démontre que la terminologie de la RSE possède une dimension variable. Ainsi, certains auteurs parlent de responsabilité globale, de responsabilité sociale et environnementale ou encore de responsabilité corporative. Bien que certaines nuances entre les expressions existent, elles sont superposables dans le sens où elles renvoient toutes à « l’intégration par les entreprises des préoccupations sociales et environnementales à leurs activités comme à leurs relations avec les PP » (Noel, 2010, p.3). De ce fait, le terme RSE a été retenu dans le cadre de cet essai conformément à la terminologie utilisée par les organismes ISO et GRI. Enfin, puisque la RSE constitue la déclinaison du DD par les entreprises, plusieurs notions et théories traitées dans le cadre de cet essai y sont conjointement applicables. 1.3 . Les enjeux globaux de la responsabilité sociétale des entreprises . Concept à la fois intemporel et récent, la RSE n’échappe pas aux critiques que ce soit aux niveaux théoriques ou pratiques, tout comme l’a été et continue de l’être le DD. Certains reprochent à la RSE d’être : « un exemple de compromis fourre-‐tout et boiteux, mêlant éthique, satisfaction des parties prenantes, respect des lois et des normes internationales de comportement et développement durable » (Callot, 2013, p.44). 7 . .
(17) Par ailleurs, la Commission européenne rapporte un décalage dans la définition de la RSE en regard de la taille de l’entreprise et de la spécificité des secteurs. En ce sens, elle rapporte que dans leur état actuel, les initiatives RSE ne sont pas adaptées à la majorité des petites et moyennes entreprises (PME), en particulier les microentreprises, pour qui elles resteront probablement informelles et intuitives (Germain et Gates, 2010). Au-‐delà des efforts déployés afin d’intégrer le DD aux pratiques de gestion des entreprises, toutes démarches en ce sens perdent leur raison d’être en l’absence d’une concertation avec les différentes PP. Le cas échéant, la RSE se réduit à un acte de communication dont l’enjeu est la crédibilité de l’engagement. La crédibilité des entreprises en matière d’engagement responsables est par conséquent une composante indissociable du succès de toutes initiatives en responsabilité sociétale des entreprises et développement durable (RSE/DD), à l’instar de la réputation et de la légitimation (Lemay, 2001). Dans le contexte actuel d’institutionnalisation de la RSE et aux vues de la popularité grandissante des valeurs éthiques et responsables, l’entreprise se retrouve dans une impasse à moins qu’elle sache présenter une image s’y conformant. La crédibilité de son engagement devient un gage de légitimité, elle-‐même garante des soutiens (Capron, 2009). La section qui suit présente les enjeux majeurs inhérents à la pratique de la RSE par les organisations, quoique ceux-‐ci s’adressent particulièrement aux entreprises. On y constate que les moteurs et les freins à l’engagement des entreprises en matière de RSE/DD partagent un univers commun. 1.3.1 . La légitimation . La RSE constitue une appropriation du DD par les entreprises afin de communiquer une image éthique et de se bâtir une réputation. La centralité des concepts d’image et de réputation inhérents à la RSE la rend très dépendante des actions de communication. Cela semble logique, toute la finalité d’un comportement éthique et responsable demeure vaine si celui-‐ci n’est pas reconnu. La RSE et les communications sont, par conséquent, indissociables d’où l’émergence du champ de la communication responsable au sein de la profession. La proximité entre RSE et communication tient ainsi dans le besoin des entreprises à légitimer leurs activités auprès de la 8 . .
(18) société. Ce besoin amène un risque potentiel de confondre les intérêts des entreprises de ceux de ses PP conformément à la finalité réelle de la RSE. Le cas échéant, la RSE s’écarte de son objectif premier en devenant une dérive du DD pour communiquer une démarche éthique (UDA, 2010). Ainsi, bien plus qu’une pratique de gestion, la RSE peut être vue comme un outil de communication sachant qu’elle constitue une réponse managériale face aux critiques formulées envers les entreprises. Puisque la raison d’être de la communication d’entreprise est de faciliter les échanges et de favoriser la compréhension avec les PP, on est en droit d’affirmer que la RSE est un type de communication. Pour Libaert, ce fait est palpable lorsque l’on compare les champs lexicaux et sémantiques entre la communication et la RSE (Libaert, 2010). Si les citoyens reconnaissent désormais la responsabilité sociale des entreprises, les opinions exprimées quant à leurs engagements responsables sont souvent marquées par la méfiance et le scepticisme. Une étude internationale menée par Ipsos MORI démontre que 80% des personnes interrogées estiment que les entreprises ont une obligation morale vis-‐à-‐vis de la société (Ipsos MORI, 2014). En contrepartie, seulement 18% d’entre eux estiment que les entreprises se préoccupent des impacts sociaux et environnementaux de leurs activités (PNUE, 2010). Parallèlement, la fonction d’agenda mis en évidence par le rôle des médias démontre que ces derniers, en regard du choix de contenu communiqué, ne dictent pas ce qu’il faut penser, mais plutôt ce à quoi il faut penser (Libaert, 2010). Appliqués à la communication responsable, les médias dictent à la société qu’elle doit penser à l’environnement. Sachant que la vision globale projetée de l’environnement est potentiellement problématique, le fait pour une entreprise de communiquer sur ses actions environnementales engendre un réflexe de méfiance, de doute et de questionnement du public sur sa responsabilité envers la dégradation constatée. Cela est applicable à tous types d’entreprises (Libaert, 2010). Le thème environnemental est donc étroitement associé avec celui de problème, dont la problématique des changements climatiques en est un exemple type (Bérubé, 2010). Dans les faits, très peu de citoyens sont directement confrontés à la réalité des changements climatiques dans leur quotidien, alors que le chômage et la pauvreté les touchent directement. Il y a donc une corrélation à faire avec les paramètres RSE ressentis comme prioritaires par la population et leurs expériences personnelles. Ainsi, l’entreprise, en communiquant sur ses vertus environnementales, fait une promesse au public qu’elle se doit de respecter au risque de resserrer l’attention sur l’efficacité de ses pratiques, voire même, de s’attirer un jugement plus sévère en cas de non-‐respect (Laprise, 2010; Hérault, 2012). 9 . .
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