4 ENJEUX POUR L’EVALUATION DE LA PERFORMANCE EN GESTION DU DEVELOPPEMENT
4.6 Enjeux culturels et internationaux de la gestion du développement durable 65
Pour une entreprise, la pratique d’activité à l’intérieur de pays en voie de développement est exposée à plusieurs risques. Les instabilités politiques, les risques de conflits armés, l’imprévisibilité économique et financière, la corruption, les risques de complicité dans la violation des droits ainsi que des dangers d’atteinte à l’image et à la réputation sont les principales raisons expliquant le faible taux d’investissements directs à l’étranger (IDE) dans ces pays. L’adaptation des exigences de la responsabilité sociétale de l’entreprise aux contextes culturels et économiques internationaux est une problématique récurrente pour les grandes entreprises possédant des filiales à l’étranger (Wong et Yameogo, 2011). Les différences socioéconomiques et culturelles entre pays industrialisés et pays en voie de développement étant considérables, il est nécessaire de mener une réflexion afin d’adapter les visions et les modes opérationnelles de la RSE aux différentes réalités. Cet essai présentera les conclusions rapportées lors de séminaires portant sur la RSE tenus en France au cours desquels différents acteurs de la diaspora africaine ont tenté de fournir des réponses. Le cas de l’Afrique a été retenu puisque celle-‐ci abrite plusieurs nations membres de la francophonie et qu’elle constitue un territoire ciblé pour l’établissement de filiale par les grandes industries françaises et canadiennes. De plus, plusieurs états africains, dont l’Afrique du Sud, le Cameroun, la Côte d’Ivoire, l’Égypte, le Maroc et le Sénégal, sont des membres pleins de l’ISO et prennent part au processus d’élaboration des normes RSE/DD à travers leur propre organisme de national de normalisation, dont l’ISO 26000 est un exemple (Wong et Yameogo, 2011).
Il ressort des différents séminaires que les mêmes valeurs et les mêmes pratiques responsables ont été identifiées entre les différents états africains, et ce, malgré la diversité culturelle des différents pays concernés (Wong et Yameogo, 2011). Parallèlement, il y avait cohérence quant aux avantages et aux limites de ces pratiques, comme quoi il y a une certaine homogénéité dans la conception de la responsabilité sociétale en Afrique. Toutefois, cette responsabilité sociétale est très implicite et informelle, elle n’est pas formalisée telle qu’on la retrouve dans le monde occidental. Concrètement, la RSE traditionnelle africaine est enracinée dans les cultures depuis des siècles, bien avant la formalisation et l’institutionnalisation du concept par l’occident. Dans les sociétés occidentales, la RSE est d’abord mise en place et coordonnée par l’État. La situation est différente en Afrique où la RSE est promue majoritairement par les ONG et les entreprises et très
peu par les pouvoirs publics. Ainsi, depuis la mondialisation et la consolidation de l’emprise impérialiste économique sur l’Afrique, on assiste à la cohabitation de deux types de RSE (Yameogo, 2007).
La pratique de la RSE en Afrique comporte une dimension forte de son empreinte collective, informelle et familiale qu’il ne faut pas négliger. En d’autres mots, une tentative d’intégration d’une démarche en RSE trop formelle et processuelle irait à l’encontre des fondements sociaux africains. Par exemple, la mise en commun d’un capital doit se réaliser dans un cadre familial pour avoir des chances de perdurer. En Afrique, l’homme est pensé comme le remède de l’homme et non comme un moyen économique. Ce type de gestion humaniste de l’entreprise, une fois intégré aux démarches internationales en matière de RSE, placerait les PP au centre des décisions économiques. Ce constat permet d’émettre deux considérations majeures à l’intention des gestionnaires œuvrant dans les pays en voie de développement et plus largement aux acteurs impliqués dans le déploiement de la RSE. Premièrement, la nécessité d’adapter la RSE à l’intérieur des filiales des grands groupes internationaux aux réalités culturelles et économiques du pays hôte. Puis, la pertinence de promouvoir à l’échelle internationale les pratiques RSE telle que pratiquée dans les pays en voie de développement, tant au niveau des modèles de gestion, de management et d’organisation. À la question à savoir comment adapter les exigences de responsabilité sociétale de l’entreprise aux contextes culturels et économiques africains, les acteurs de la diaspora africaine en France ont répondu d’effectuer une hybridation des modes traditionnels avec les modes modernes occidentaux. Il y a une volonté des acteurs africains à intégrer le savoir-‐faire occidental dans le respect de leurs traditions, valeurs et coutumes. Cette hybridation, loin de freiner l’implantation de la RSE africaine, pourrait en devenir le moteur, tout en appuyant la modernisation du continent. Cela est applicable à l’échelle de tous les pays hôtes, comme quoi la compréhension et le respect des cultures sont indispensables à l’implantation fructueuse de la RSE sur la scène internationale (Wong et Yameogo, 2011). Selon Yameogo :
« le véritable défi actuel est moins de faire face à des règlementations et normes érigées par des États pour protéger des entreprises ou des secteurs au niveau national, que de répondre à des exigences et normes posées individuellement ou collectivement par des entreprises occidentales désormais très peu enclines à traiter avec des partenaires qui constitueraient un risque potentiel pour leur image. Tout l'enjeu pour les États et pour les entreprises africaines est donc de tirer le meilleur parti des échanges internationaux en créant le cadre à la manifestation et à
l’institutionnalisation de la RSE et en s'inscrivant dans une démarche de responsabilisation » (Yameogo, 2007, p.137).